Revue Sources

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« Oui, je connais la situation de plus en plus précaire dans laquelle se trouve l’Eglise protestante de Genève. Je connais toutes ses difficultés. Et pourtant, j’aimerais quand même suivre ma formation pastorale en son sein. Pour moi, c’est un acte de foi. »

Pourquoi s’engagent-ils?

Ces paroles, je les ai entendues plusieurs fois dans mon bureau ces dernières années. Elles m’ont marqué à chaque fois. Mon Eglise ne forme pas des cohortes de nouveaux pasteurs ou diacres, mais un à deux par année. Contrairement à ses voisines romandes, mon Eglise ne connaît pas de crise de vocation. Celles qui se présentent sont déjà presque trop nombreuses pour couvrir les besoins actuels. En effet, pour des raisons financières, le nombre de postes pastoraux devra encore baisser. Il a diminué de 60% en 20 ans. Si nous formons encore de nouveaux ministres, c’est pour permettre à l’EPG de se renouveler malgré tout. Je suis chargé de les accompagner dans le processus d’admission, de suivi et de validations de leurs stages en paroisse ou en ministère spécialisé. A tous, je tiens le même discours: « Dans la conjoncture actuelle, l’EPG ne peut vous donner aucune garantie d’engagement au terme de votre formation. » Et ce n’est pas tout. Dans le cas le plus favorable, ces futurs pasteurs et diacres savent que leur salaire sera convenable, mais sans plus. Ils devront sacrifier une partie de leur vie sociale (travailler en général le dimanche et de nombreux soirs au cours de la semaine) et ils devront défendre eux-mêmes une fonction désormais mal reconnue ou incomprise socialement.

Alors pourquoi ces nouveaux ministres s’engagent-ils? Par la force d’un appel intérieur? Par goût du défi ou d’une mission impossible? Peut-être un peu des deux. Mais aussi et surtout parce qu’ils découvrent, dès qu’ils s’y lancent, que le ministère pastoral ou diaconal est passionnant. Quel autre métier donne-t-il tant de possibilités de contacts profonds avec des personnes d’horizons si divers? Il offre des privilèges incroyables, tels que recueillir le récit intime d’une vie qui s’est éteinte lors de la préparation d’un service funèbre, accompagner des mariés dans leur réflexion sur leur couple, suivre des jeunes dans leur choix de vie ou des adultes dans leur recherche de spiritualité et même une communauté entière dans de nouvelles formes de témoignage…

Attentes nouvelles

Avec mes collègues-formateurs, nous nous posons sans cesse cette question: « La formation initiale les prépare-t-elle suffisamment? Auront-ils la capacité de répondre aux besoins existentiels et spirituels d’un monde sans cesse en mutation? »

Quel autre métier donne-t-il tant de possibilités de contacts profonds avec des personnes d’horizons si divers?

Pendant longtemps, les protestants ont tout misé sur un cadre de formation de type académique: les pasteurs sont avant tout des enseignants-théologiens avec de belles compétences de réflexion et d’éloquence. Si cela reste essentiel, je pense pourtant que ce n’est plus suffisant. Lorsque les gens expriment en vérité leurs besoins spirituels – je parle surtout de ceux qui ne viennent plus à l’église !-, certains évoquent désormais des expériences spirituelles, souvent irrationnelles, qu’ils ne savent plus interpréter. La plupart vivent des crises de vie qui les désemparent. Ils n’ont plus de clefs pour continuer à espérer dans un monde qui semble s’écrouler sous leurs yeux. Ils ont besoin d’être accompagnés, guidés, dans les épreuves comme dans les choix de vie. Ils sont une multitude à se rendre dans des monastères à la recherche d’une vie intérieure intense, de lieux de méditation pour trouver un ancrage intérieur. Souvent, ils y trouvent ce qu’on ne sait pas ou plus offrir dans nos paroisses: une expérience spirituelle guidée. Quelques-uns aimeraient même pouvoir s’engager dans des formes de « monachisme intériorisé » ou dans une vie d’une radicalité comparable.

Formés comme les Jésuites?

Pour répondre à cette demande, il faudrait des ministres qui ont pu apprendre à thématiser leurs expériences de vie, qui savent traverser les crises de la vie en utilisant des « outils » spirituels (et pas seulement psychologiques), qui se sont laissés accompagner dans un processus de maturation, qui savent opérer un discernement spirituel… Mais cela manque cruellement dans la formation actuelle. Il faudrait, par exemple, s’intéresser davantage aux trésors de la mystique chrétienne, en s’inspirant de la philocalie, des Pères du désert, ou d’autres grands spirituels.

Je dis souvent que le modèle ignacien de la formation des Jésuites me séduit par l’alternance des temps d’ « expériments » et ceux de relecture spirituelle. Et si on s’en inspirait pour la formation des pasteurs? Je trouve aussi que les « exercices spirituels » sont porteurs d’une pédagogie résolument moderne et, en fait, tout à fait compatible avec la tradition réformée[1. Dans les exercices, il n’y a pas d’intermédiaires entre Dieu et le méditant, l’accompagnateur n’offrant que des pistes et un cadre pour la méditation. La Parole de Dieu est centrale. Chaque méditant est responsable, devant Dieu, de son cheminement. Quoi de plus réformé?]! Dire que « ce n’est pas d’en savoir beaucoup qui satisfait et rassasie l’âme, mais de goûter et sentir les choses intérieurement » correspond exactement à l’aspiration de tant de contemporains: pouvoir éprouver par eux-mêmes et « en live », dans leur vie quotidienne et jusqu’au cœur de leurs épreuves, la force de l’Evangile! Mais qui les initiera?

Modifier le modèle de formation actuel et séculaire des pasteurs représenterait évidemment un changement identitaire important. Mais l’Eglise protestante n’a-t-elle pas placé en son fondement le principe de l’ «ecclesia semper reformanda« , c’est-à-dire le devoir de se réformer toujours?

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Nils Phildius

Nils Phildius

Nils Phildius est pasteur réformé et formateur d’adultes. Il est chargé de la formation professionnelle des ministres de l’Eglise Protestante de Genève (EPG).

 

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