Revue Sources

[print-me]Le livre de l’Apocalypse développe abondamment le thème de l’habit blanc, signe de résurrection, porté par la multitude des élus et des martyrs qui ont été lavés dans le sang de l’Agneau. C’est aussi l’habit des nouveaux baptisé qui ont revêtu le Christ. L’aube blanche portée au sortir de la cuve baptismale en est le signe.

Le «prêt-à-porter» et la mondialisation semblent avoir modifié le sens du vêtement. On retrouve les mêmes vitrines d’un bout du monde à l’autre. Pourtant, aujourd’hui encore arborer telle ou telle tenue n’est pas anodin. Le style décontracté et «casual» se substitue à la solennité du complet trois pièces: c’est affaire de mode et la mode change. Pourtant le vêtement continue de parler et de signaler le monde du travail, du sport, des loisirs, du business ou la fête d’un mariage. Le «jeans» déchiré de l’ado signale un autre milieu que le costume d’un banquier de la City.

Le jeune homme nu de l’évangile de Marc

C’était plus vrai encore dans les sociétés anciennes, traditionnelles, et particulièrement dans le monde biblique. Je me cantonnerai ici à quelques aspects du Nouveau Testament. En commençant par une scène étrange du récit de la Passion dans l’évangile selon Saint Marc.

C’est l’Apocalypse de Saint Jean qui donne à la thématique du vêtement tout son déploiement.

Jésus vient d’être arrêté, et c’est la débandade. «Et, l’abandonnant, ils prirent tous la fuite.» (14,50). Mais Marc poursuit (et il n’y a pas de parallèle à cet épisode): «Un jeune homme le suivait, n’ayant pour tout vêtement qu’un drap, et on le saisit; mais lui, lâchant le drap, s’enfuit tout nu» (14,51-52).

La question n’est pas d’abord de savoir qui était-ce? Certains ont pensé que Marc s’était représenté lui-même dans cette posture. Je crois plus intéressant de se demander quel sens a un tel épisode qui fait le lien entre l’arrestation de Jésus et la scène du reniement de Pierre qui va suivre, dans la cour du Grand Prêtre. Marc note avec soin: «Pierre l’avait suivi de loin jusqu’à l’intérieur du palais du Grand Prêtre».

Ce jeune homme ne serait-il pas une sorte d’arrêt sur image, une mise en abyme? Le jeune homme nu qui avait le propos de suivre Jésus dut en fait s’enfuir tout nu. Il lui fallait accepter de tout perdre pour suivre le Christ, jusque dans l’humiliation du dépouillement de la croix. Pierre n’y était pas encore prêt, lui qui se montra souvent généreux en paroles, mais faible dans la suite effective du maître. Le reniement en fera la démonstration.

Revêtir le Christ

Si dans un premier temps, le disciple doit accepter d’être dépouillé, de renoncer à lui-même pour suivre le Christ, ce n’est pas le dernier mot. En effet, le Christ va le revêtir de sa vie, de sa lumière et de sa gloire. Je ne suis pas sûr qu’un occidental moderne prenne facilement la mesure de l’expression «revêtir le Christ» dont parle Saint Paul en l’appliquant aux baptisés.

Lorsqu’il écrit aux chrétiens de Galatie, c’est pour les affermir dans la liberté qu’ils ont reçue du Christ et qu’ils risquent d’oublier. Il les renvoie à leur baptême: «vous tous en effet, baptisés dans le Christ, vous avez revêtu le Christ; il n’y a ni Juif ni Grec, il n’y a ni esclave ni homme libre, il n’y a ni homme ni femme; car tous vous ne faites qu’un dans le Christ Jésus.» (Ga 3,26-29).

Revêtir le Christ signifie donc entrer dans les vues du Christ et adopter son comportement. Faire tomber les murs comme lui l’a fait, ouvrant le salut à tous, aux pécheurs, aux païens. Aux yeux de Dieu et pour un disciple du Christ, les grandes séparations qui structurent la société (barrière religieuse, sociale, sexuelle) n’ont pas cours. Reste pour le chrétien à faire passer dans son comportement ce qu’il professe dans sa foi. Celle-ci va donc le bousculer, le conformer au Christ, sinon elle ne serait que théorique et notionnelle.

Ce programme impressionnant n’est envisageable que parce qu’il est précédé du don de la vie nouvelle: «vous vous êtes dépouillés du vieil homme avec ses agissements, et vous avez revêtu le nouveau, celui qui s’achemine vers la vraie connaissance en se renouvelant à l’image de son Créateur.» (Col 3,9-10).

Pour le combat et pour la paix

Le croyant ne peut accueillir ce don qu’au prix d’un combat spirituel dont Arthur Rimbaud disait «qu’il est aussi brutal que la bataille d’hommes» (Une saison en enfer). Et c’est pourquoi l’Apôtre parle encore du baptême en termes d’équipement pour le combat: il s’agit de «revêtir la cuirasse de la foi et de la charité, avec le casque de l’espérance du salut» (1Th 5,8) ou de «revêtir l’armure de Dieu, pour pouvoir résister aux manœuvres du diable» (Ep 6,11).

Mais cette thématique guerrière est aussitôt mise en tension avec un comportement fait de douceur, exprimé aussi dans l’image du vêtement: «Vous donc, les élus de Dieu, ses saints et ses bien-aimés, revêtez des sentiments de tendre compassion, de bienveillance, d’humilité, de douceur, de patience; supportez les uns les autres et pardonnez-vous mutuellement, si l’un a contre l’autre quelque sujet de plainte; le Seigneur vous a pardonné, faites de même à votre tour. Et puis, par-dessus tout, la charité, en laquelle se noue la perfection. Avec cela, que la paix du Christ règne dans vos cœurs: tel est bien le terme de l’appel qui vous a rassemblés en un même Corps. Enfin vivez dans l’action de grâces!» (Col 3,12-15).

Un vêtement blanc

Mais c’est l’Apocalypse de Saint Jean qui donne à la thématique du vêtement tout son déploiement. Dans la vision solennelle du chap. 4, Jean de Patmos campe vingt-quatre Anciens vêtus de robes blanches et portant une couronne d’or.

Commençons par la couleur blanche: elle est à interpréter. Elle n’a pas le même sens dans toutes les cultures. En Chine, le blanc est la couleur de la mort, alors qu’en Iran la couleur du deuil serait le bleu, et le jaune pour les Philippins. Dans la bible, le blanc signale la vie et le monde divin. C’est ainsi qu’à la transfiguration les vêtements de Jésus apparaissent blancs comme la lumière (Mc 9,3 et par.). Au tombeau, l’ange de l’annonce de la résurrection est en vêtement blanc (Mc 16,5) ainsi que les deux anges de l’ascension (Ac 1,10). Dans l’apparition solennelle du Christ qui ouvre le livre de l’Apocalypse, le Christ arbore des cheveux blancs comme la neige (1,14): non qu’il soit vieux! mais c’est sa divinité qui est ainsi exprimée. Plus loin dans le récit, la nuée sur laquelle apparaît le Fils de l’Homme est blanche (14,14) ainsi que le trône de Dieu au chapitre 20 (verset 11). Au chapitre 19 le cheval de «Fidèle et Vrai», le Verbe de Dieu, est blanc, et il est déjà annoncé par le premier des quatre chevaux du chapitre 6, blanc lui aussi.

Dans l’Apocalypse, ces vingt-quatre Anciens sont donc revêtus de blanc puisqu’ils sont au ciel, devant le trône de Dieu puis devant celui de l’Agneau. Ils portent une couronne d’or, signalant leur autorité. Ils représentent les dignitaires de l’ancienne et de la nouvelle Alliance. Ils sont des figures corporatives, représentant le peuple des croyants. Mais contrairement à de petits ou de grands potentats auxquels l’Apocalypse s’oppose avec force, ils se prosternent devant la majesté de Dieu (chapitre 4) puis devant l’Agneau debout et comme immolé (chapitre 5).

Des fameuses Lettres aux Églises qui ouvrent le livre de l’Apocalypse, retenons l’oracle prophétique à l’Église de Sardes, une communauté qui passe pour vivante mais qui est morte. Le Seigneur vient la ranimer. Quelques-uns pourtant sont restés fidèles: «quelques-uns des tiens n’ont pas souillé leurs vêtements; ils m’accompagneront en blanc, car ils en sont dignes. Le vainqueur sera donc revêtu de blanc; et son nom, je ne l’effacerai pas du livre de vie, mais j’en répondrai devant mon Père et devant ses Anges.» (3,4-5). S’il y a un vainqueur, c’est donc qu’il y a un combat, le combat spirituel que nous évoquions plus haut. Cette escorte du Christ, ceux qui sont restés fidèles, est logiquement revêtue de blanc. Plus loin, et c’est la dernière des sept Lettres, c’est la communauté de Laodicée qui est interpellée. Le diagnostic est le plus sévère: «ainsi, puisque te voilà tiède, ni chaud ni froid, je vais te vomir de ma bouche.» (3,15). Et le Seigneur de proposer des remèdes pour la perte de tonus de cette Église: «de l’or purifié au feu pour t’enrichir; des habits blancs pour t’en revêtir et cacher la honte de ta nudité; un collyre enfin pour t’en oindre les yeux et recouvrer la vue.» (v. 18).

Dans les larmes

Abordons maintenant un autre épisode de l’Apocalypse. Au septénaire des Lettres a succédé le septénaire des sceaux. Le Voyant de Patmos, mis en présence du trône de Dieu, voit dans la main droite de Celui qui siège sur son trône un livre scellé de sept sceaux. L’auteur précise que nul n’était capable d’ouvrir ce livre, «ni dans le ciel, ni sur la terre, ni sous la terre» (5,3). L’un des Anciens lui dit que pourtant quelqu’un peut ouvrir ce Livre et l’interpréter, autrement dit comprendre l’agir de Dieu dans notre monde, en particulier lorsque l’Église est en train ou de s’assimiler au monde, ou de le craindre, ou de subir la persécution. Et cet interprète autorisé, c’est l’Agneau. Le mystère pascal est la clé d’interprétation de l’histoire du monde: Dieu n’inscrira pas d’autre victoire que celle du crucifié maintenant ressuscité.

A l’ouverture des sceaux, après le cheval «blanc» signe et annonciateur de victoire, suivent un cheval rouge feu (signe de la guerre), puis un cheval noir (signe de la crise économique) et un cheval verdâtre (signe de la peste et de la mort). A l’ouverture du cinquième sceau, les âmes de ceux qui furent égorgés à cause de la parole de Dieu et du témoignage de Jésus auquel ils étaient attachés, lancent ce cri: «jusques à quand, Maître saint et vrai, resteras-tu sans juger et sans venger notre sang sur les habitants de la terre?» (6,10). C’est un cri de souffrance qui monte du monde, le cri des humiliés, des vaincus, des témoins fidèles au Christ mais que l’on tue. L’Agneau immolé est maintenant vainqueur, mais qu’en est-il de ses disciples? La réponse vient du ciel et une fois encore en termes de vêtement, et de vêtement blanc: «Et il fut donné à chacun une robe blanche, et il leur fut dit de patienter encore quelque temps, jusqu’à ce que soient au complet leurs compagnons de service, leurs frères, qui allaient être tués comme eux.» (6,11). C’est évidemment le baptême qui est ainsi signifié: le disciple du Christ qui a «revêtu» le Christ est d’ores et déjà associé à la victoire de Jésus, même si pour lui elle ne s’inscrit pas en victoire terrestre. Le temps de l’Église est le temps du témoignage et le jugement final qui rendra à chacun selon ses œuvres n’est pas encore advenu.

Au chapitre 7, Jean entrevoit une foule de croyants, serviteurs du Dieu vivant, marqués sur leur front. Tout d’abord 144’000 venus des 12 tribus d’Israël: sorte d’armée pacifique du Messie, venue du sérail, de l’intérieur, puis une foule innombrable de toutes nations, tribus, peuples et langues: le salut dépasse les frontières de l’ancien Israël «Ils se tenaient devant le Trône et devant l’Agneau, vêtus de robes blanches avec des palmes à la main» (7,9). C’est une réponse à la question des martyrs évoquée plus haut. Cette foule immense vient «de la grande épreuve; ils ont lavé leurs robes, ils les ont blanchies par le sang de l’Agneau» (v. 14). Comme le Christ, ils ont subi l’épreuve, le monde a paru gagner en les mettant à mort, mais jour et nuit, ils se tiennent maintenant devant le trône de Dieu dans la tenue des vainqueurs, vêtus de blanc et palmes à la main. C’est encore la tenue de l’Épouse de l’Agneau, vêtue de lin d’une blancheur éclatante. Ce lin, précise l’auteur, «ce sont les actions justes des saints» (19,8).

Ce rapide parcours nous a permis de mieux comprendre la portée de l’expression «revêtir le Christ». Il s’agit de se laisser sauver et purifier par lui, de lui rester fidèles, d’être alors revêtu de sa lumière et de sa victoire. Un souffle d’espérance traverse le livre écrit par Jean de Patmos qui n’a pas été écrit pour nous faire peur, mais pour vivifier notre courage.[print-me]


Jean-Michel Poffet, frère dominicain, prieur du couvent St-Hyacinthe de Fribourg, est un bibliste connu par ses conférences, ses prédications et ses multiples publications. Ancien directeur de l’Ecole Biblique et Archéologique de Jérusalem et membre du Comité de rédaction de la revue Sources.

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