Revue Sources

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On connaît la « diplomatie vaticane », ses nonciatures et ses nonces. Depuis plus de 60 ans, des papes sont ainsi venus parler à l’Assemblée générale des Nations Unies où le Saint-Siège est présent comme Etat observateur.

Ce qui est beaucoup moins connu, c’est le travail au jour le jour des missions diplomatiques du Saint-Siège dans le cadre des organisations internationales à New York, Genève, Vienne, Strasbourg et dans d’autres villes sièges d’organisations régionales ou internationales. Mais ce qui est très largement méconnu, c’est ce que fait le Saint-Siège dans le domaine de la sécurité, du désarmement et du contrôle des armes. Du moment que le Saint-Siège, au moins depuis plus de 150 ans, n’a plus d’armée ni d’arsenaux militaires, pourquoi cette présence dans ces fora et quelle légitimité a-t-il comme acteur dans ce domaine?

Pour la reconstruction d’un nouvel ordre mondial

Cet article ne prétend pas écrire l’histoire du Saint-Siège dans le domaine du désarmement, encore moins disserter sur la conception de l’Eglise catholique et son engagement pour la paix entre les peuples et à l’intérieur des frontières nationales. Ce texte n’est qu’une introduction au travail du Saint-Siège dans le cadre des institutions multilatérales dédiées au désarmement, au contrôle des armes et au respect du droit international humanitaire en général.

Si le Saint-Siège a opté pour le statut d’observateur aux Nations Unies, il a fait un choix différent dans le domaine qui nous intéresse dans cet article. A la fin de la Seconde Guerre mondiale et suite à trois conflits majeurs successifs que l’Europe et le monde ont vécus avec leur cortège de millions de morts, de blessés, d’handicapés, de destructions de populations entières et des infrastructures, les pays, surtout européens, étaient dans une situation de désespoir et de déboussolement. A côté de la reconstruction économique et politique, il y avait un besoin urgent d’une reconstruction morale et d’un nouvel ordre mondial basé sur le respect de la dignité de la personne et de ses droits fondamentaux inaliénables.

Dans cet effort, le Saint-Siège a rejoint la communauté internationale comme un acteur privilégié pour créer des institutions et négocier des traités qui limitent et réglementent l’usage des armes. Dans ce domaine, le Saint-Siège est Etat partie (pas observateur) à presque tous les instruments relatifs au contrôle des armes et au désarmement: Traité de Non-Prolifération (Nucléaire), Convention sur les armes biologiques, Convention sur les armes chimiques, Convention sur certaines armes classiques, Convention sur les mines antipersonnelles, Convention sur les armes à sous-munitions, etc. Le Saint-Siège est aussi membre de l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE) et de l’Agence Internationale de l’Energie Atomique. Il est Etat observateur à la Conférence du Désarmement qui a son siège à Genève.

Trois objectifs principaux

Trois objectifs principaux sont au centre de l’activité et des positions du Saint-Siège:

Tout d’abord, la défense de la dignité de la personne, quelle qu’elle soit, et la remise de la personne humaine au centre de la discussion, et en premier lieu les victimes ou les victimes potentielles des conflits armés. Le Saint-Siège se base sur des données scientifiques, techniques, stratégiques et politiques solides. Mais le fondement de ses positions réside dans le corpus de l’enseignement social de l’Eglise développé à longueur de décennies. En cela, il cherche à dépasser une discussion sur les armes en tant que telles pour montrer leurs effets et leurs conséquences humanitaires.

Deuxième objectif  : Même en acceptant qu’un Etat ait le droit, sinon le devoir, de défendre sa population et d’assurer sa sécurité, tout n’est pas permis ni acceptable dans la conduite des hostilités. Il y a des principes éthiques, humanitaires et juridiques qui s’imposent à tous dans les situations de conflits armés. L’échec de préserver la paix ne devrait pas se doubler par des actes assimilables à des crimes de guerre ou à des génocides ou encore à des crimes contre l’humanité. Le Saint-Siège plaide pour un minimum d’humanité dans des situations où ostensiblement on assiste à un échec évident.

Le développement est l’autre nom de la paix

Trois exemples d’intervention, enfin, la sécurité et la paix ne se préservent pas seulement par des moyens militaires. Comme le disait le Pape Paul VI, le développement est l’autre nom de la paix. L’éducation, la santé, la justice sociale, la participation politique et la coopération régionale et internationale sont des éléments indispensables pour la sécurité et la paix nationales et internationales. Pour cela, il n’est pas raisonnable ni utile d’investir exagérément dans le domaine militaire et de dilapider des biens plus nécessaires pour le développement et les besoins vitaux de la population, surtout des pauvres. Le désarmement est aussi essentiel pour plus de stabilité et de sécurité. Plus d’armes peuvent être aussi une raison de déstabilisation et de conflits.

Ces objectifs ne sont pas suffisants pour l’action du Saint-Siège. Il faut aussi œuvrer concrètement, en collaboration avec d’autres acteurs étatiques, des organisations internationales comme le CICR, des organisations de la société civile, afin de traduire ces objectifs en règles pratiques contraignantes et respectées en temps de guerre comme en temps de paix. Le Saint-Siège a travaillé et travaille avec de nombreux partenaires pour faire avancer des objectifs communs au service de la paix afin de prévenir que de nouvelles victimes payent pour l’aveuglement des hommes. A ce titre, trois exemples illustrent le mieux l’engagement du Saint-Siège dans le domaine du désarmement.

Un désarmement nucléaire total

Le Saint-Siège et les Papes, depuis le Concile Vatican II et l’Encyclique  Pacem in Terris  de Jean XXIII, se sont exprimés fortement et ont plaidé pour un désarmement nucléaire total. Malgré quelques progrès limités, la prolifération nucléaire et les risques liés à la possession de ces armes sont très élevés.

Le Saint Siège a aussi fait circuler un document de fond qui remet en cause les fondements éthiques de la dissuasion nucléaire.

Le Saint-Siège s’est associé à une coalition d’Etats, d’ONG (International Campaign to Ban Nuclear Weapons), au CICR et à des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge pour relancer la discussion sur le désarmement nucléaire mais dans une nouvelle perspective, celle des conséquences humanitaires d’une détonation nucléaire qu’elle soit intentionnelle ou accidentelle. Le Saint-Siège est totalement engagé dans cette initiative. Trois grandes conférences ont déjà eu lieu à Oslo (Norvège, mars 2013), Nayarit (Mexique, février 2014) et Vienne (Autriche, décembre 2014).

Lors de cette dernière conférence qui a regroupé environ 160 Etats et 900 participants au total, le Saint-Père a adressé un message puissant pour appeler au désarmement nucléaire total. Le Saint Siège a aussi fait circuler un document de fond qui remet en cause les fondements éthiques de la dissuasion nucléaire. Ce n’est pas seulement l’utilisation qui est immorale mais aussi la possession.

Protection des populations civiles

Un autre sujet de préoccupation pour le Saint-Siège est l’utilisation des armes explosives dans des régions à haute densité de population. Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, la population mondiale est plus urbaine que rurale. Les conflits armés auront de plus en plus lieu dans des contextes urbains. D’ailleurs, les conflits récents au Moyen-Orient, en Afrique ou en Europe le montrent bien.

Dans ces conditions, il est presque impossible de respecter le droit international humanitaire, notamment la règle de distinction entre objectifs militaires et objectifs civils, la règle de proportionnalité, etc. Les conséquences humanitaires de conflits dans les zones urbaines sont catastrophiques: les civils ne sont plus des victimes collatérales mais forment la majorité écrasante des morts et blessés, des destructions des infrastructures économiques, éducatives, sanitaires, etc. Les conditions d’une vie décente ne sont plus possibles. En général, ce sont des guerres civiles qui renforcent la haine entre les belligérants. La réconciliation devient encore plus difficile.

Le Saint-Siège, depuis quelques années, essaye avec différents partenaires, surtout des ONG, de sensibiliser la communauté internationale à cette nouvelle donne et d’encourager une réflexion multilatérale afin de trouver des solutions concrètes et adaptées.

Les armes léthales autonomes

Le Saint-Siège s’engage aussi dans certains cas pour prévenir des développements dans le domaine militaire qui portent en eux les problèmes de demain. La prévention est la meilleure option.

A titre d’exemple, il faudrait mentionner les systèmes d’armes létales autonomes. Le progrès scientifique et technologique dans le domaine de la robotique est rapide. Plusieurs pays ont entamé des programmes de recherche pour développer des applications militaires. Il s’agit de systèmes complètement autonomes et qui seraient en mesure d’opérer des actions militaires sans aucune intervention humaine. La décision de donner la mort serait prise par un robot. Les défenseurs de tels systèmes avancent l’idée qu’un robot n’a pas de sentiments et est donc moins soumis à la haine ou à l’esprit de revanche. L’autre argument est qu’il serait tout aussi capable qu’un être humain de respecter le droit international humanitaire, sinon plus.

La décision qui concerne la vie et la mort de personnes humaines ne peut pas être laissée à une machine quel que soit son degré de perfection.

Depuis l’année dernière, ce sujet est à l’ordre du jour de la Convention sur certaines armes classique. Le Saint-Siège a fait une intervention en 2014 sur le sujet pour soulever les problèmes éthiques liés à la robotisation en général et à la robotisation militaire en particulier. Le problème principal est le risque de la déshumanisation. La décision qui concerne la vie et la mort de personnes humaines ne peut pas être laissée à une machine quel que soit son degré de perfection. A côté de nombreux problèmes pratiques liés à la robotisation, il ne faut pas perdre de vue qu’un conflit garde toujours une dimension politique et humaine qu’on ne peut évacuer sans risquer de déshumaniser la guerre mais aussi la personne humaine elle-même.

Artisan de paix

Ce qui précède ne prétend aucunement proposer un tableau exhaustif. Ce n’est qu’une courte introduction pour encourager les lecteurs à s’informer davantage et, pourquoi pas, à s’engager d’une manière ou d’une autre au service de la paix à travers le désarmement. Pour un chrétien, cela n’est pas un luxe mais fait partie de son identité de chrétien, qui devrait faire de lui un artisan de paix.

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Le Père Antoine Abi Ghanem est conseiller attaché à la Mission permanente du Saint-Siège auprès de l’Office des Nations Unies et des institutions spécialisées à Genève. Il est plus spécialement chargé des questions de désarmement.

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