Revue Sources

Les sociétés africaines font face à un phénomène complexe et inquiétant, à savoir le mensonge.

La réalité du mensonge s’est transformée en une véritable culture, mode de vie, de penser, d’agir, d’être ou en système de gouvernement. D’aucuns parlent de la «maladie du mensonge», car le mal est tellement profond qu’il a atteint une dimension endémique. Aucune couche et classe sociale ne semble être épargnée. Les enfants, les jeunes, les personnes âgées, les hommes, les femmes, les personnalités politiques et même les hommes d’Eglise mentent. Il n’y a ni peur ni honte de mentir. C’est un gagne-pain, un business florissant. Le mensonge et les contre-valeurs sont érigés en vérité. On s’interroge sur les causes de ce fléau. Est-ce un fait culturel, un problème d’éducation ou une conséquence de la civilisation moderne?

Quelques réalités et visages du mensonge en Afrique

Si tous les secteurs de la vie sociale sont concernés par le phénomène du mensonge, le monde politique est celui qui est le plus épinglé et fait l’objet de plusieurs critiques. L’Afrique étant plurielle, avec des réalités diverses et complexes, nous ne pouvons prétendre maîtriser le phénomène du mensonge, ni en parler de façon générale, et encore moins de manière exhaustive. Dans les limites de cet article, nous voudrions juste évoquer quelques réalités du mensonge qui nous semblent pertinentes pour aborder cette problématique, telles qu’elles sont présentées et vécues dans notre pays le Congo-Brazzaville et dans certains pays voisins où nous avons vécu.

Au Congo-Brazzaville

Le sujet est à la une de l’actualité et de toutes les conversations. Il est alimenté par la crise socio-politique et économique que traverse le pays. Ainsi, on entend dire:«le Congo a menti au FMI». Dans la presse on trouve des articles avec des titres évocateurs comme: «Mensonge d’Etat: le ridicule ne tue pas au Congo-Brazzaville» ou encore,«Le mensonge comme programme gouvernemental au Congo-Brazzaville ». On fait allusion ici aux «ragots» et «supercheries» dont le pouvoir abreuverait le peuple congolais. Ces critiques font suite, entre autres, au bruit qu’a couru au sujet d’une menace terroriste contre les intérêts français et américains au Congo-Brazzaville. La presse congolaise a fustigé le gouvernement soulignant que: «Pour les ex-communistes au pouvoir, la maxime est rodée: un mensonge répété plusieurs fois devient une vérité’’. Une partie de la rue congolaise nourrie aux ragotsse met à croire à la nouvelle supercherie.» (http://congo-liberty.com). Sur le site de Dac-Presse, on peut lire:«Menace terroriste au Congo? Plus le mensonge est gros, plus il passe’’. «Plus souvent il est répété, plus le peuple le croit’’» (http://www.dac-presse.com).

Ces articles rappellent une certaine conception congolaise de la politique. En effet, pour nos parents, «la politique c’est l’art de mentir». On entend les parents dire d’un politicien «qu’il a la politique»; ce qui se traduit dans une langue locale (le lari) par: «Nge nguria politike yenaku». Cette conception populaire de la politique indique que la personne ne fait pas de la politique, mais elle a, elle possède la politique, c’est-à-dire le mensonge.

Littéralement l’expression «Nge nguria politike yenaku» signifie, tu as vraiment de la politique. Mais le mot nguria traduit par l’adverbe «vraiment» vient de nguri qui signifie, mère, maman mais aussi, la mère des jumeaux ou des jumelles «Mâ Nguri». Le politicien a donc un mensonge mère, c’est-à-dire un gros mensonge ou un très gros mensonge à l’image de Mâ nguri qui, non seulement est la mère des jumeaux ou des jumelles, mais curieusement est souvent grosse physiquement. C’est donc toute une image d’énormité et de gros mensonge qui est portée par le mot nguria. L’histoire politique du Congo est marquée par de gros mensonges, souvent montés de toutes pièces.

Un ancien homme politique, général de l’armée congolaise à la retraite, Benoît Moundélé-Ngollo, qui a occupé de hautes fonctions politiques et administratives comme celles de Ministre des Travaux Public, d’Administrateur-Maire et Préfet de Brazzaville, a écrit un livre dont le titre en dit long: Les vautours ou charognards de la République Populaire de Lokuta capitale Mbongwana. Ce livre contient des néologismes qui décrivent le comportement des citoyens de cette république pour gérer et diriger leur pays. Le nom de cette république, Lokuta qui en lingala (une des deux langues nationales du Congo-Brazzaville), veut-dire: mensonge. Le nom de la capitale, Mbongwana (toujours en lingala) signifie, chambardement, grand bouleversement, grand changement, rupture. Qu’un tel livre soit écrit par un ancien homme du pouvoir permet donc de comprendre l’ampleur de la culture du mensonge, quand on sait qu’au temps du communisme / marxisme, le Congo-Brazzaville s’appelait République Populaire du Congo.

Un fléau généralisé

Ce qui étonne et surprend les Anciens (nos grands-parents) c’est le fait de rencontrer des personnes adultes, mûres, qui selon la tradition devraient être sages, honnêtes et modèles, mais malheureusement racontent des mensonges. Comment ces personnes respectées pour leur âge et leur sagesse peuvent-elles mentir, sans honte, ni crainte, ni respect de la culture des ancêtres ? En effet, un adage africain dit: «La bouche d’un vieillard sent, mais elle ne prolifère pas de mensonges». En lingala, cela se dit: «Monoko ya mobange ebimaka solo kasi ebukaka lokuta te.»

Au côté des adultes, des hommes politiques, il y a aussi les enfants, autre catégorie de menteurs. Ce qui est aussi inquiétant et préoccupant. Un prêtre, directeur d’un Foyer de Charité nous a fait remarquer avec stupéfaction le degré de mensonge des enfants d’aujourd’hui. Il en est de même dans les familles, à l’école, dans la société a-t-il poursuivi, se demandant où les enfants puisent un tel courage pour mentir à leur âge. Une religieuse nous a raconté comment une petite fille de onze ans s’est présentée à leur communauté comme orpheline: une histoire montée de toute pièce. Les communautés religieuses elles-mêmes ne sont pas épargnées. Elles souffrent de ce qu’on appelle, les ‘‘les ont dit’’ qui font naitre des inimitiés en communauté.

Signalons enfin le phénomène des téléphones cellulaires ou portables. Autre source de mensonges. Au temps du téléphone fixe on était sûr que l’interlocuteur se trouvait là où on l’avait appelé. Aujourd’hui, les téléphones portables mentent sans vergogne; ils vous trompent sur l’endroit où devrait se trouver celui ou celle à qui vous parlez. Ces scènes sont fréquentes dans les transports ou lieux publics et donnent lieu à des réactions amusantes ou violentes. De bonnes histoires de ce genre courent dans le pays.

Et chez les voisins?

En République Démocratique du Congo (RDC), le mensonge est considéré comme un art, une profession, une maladie, un fléau social «systémique». Tout se passe comme si le mensonge avait établi son «règne» dans ce pays, notamment dans la vie politique congolaise qui, selon l’auteur du livre, «Le règne du mensonge politique en RD Congo », est réglée par le mensonge.

Dans sa déclaration en marge de la marche des laïcs du 31 décembre 2017 violemment réprimée par les forces de l’ordre, le Cardinal Laurent Monsengwo, archevêque de Kinshasa, a dénoncé « des mystifications présentées comme informations véridiques et fiables.Il est temps, martèle-t-il, que la vérité l’emporte sur le mensonge systémique, que les médiocres dégagent et que règnent la paix, la justice en RD Congo ».

Flatteries et mensonge semblent être unemarque déposée. Dans son article intitulé «La saison des flatteries et du mensonge en RDC», Didier Makal souligne que «flatteries et mensonges sont tellement répandus qu’ils devraient mobiliser sociologues, communicologues, psychologues et politologues pour être compris en RDC» (http://lubumbashiinfos.mondoblog.org).

Mentir, flatter et endormir n’épargnent même pas les religions, affirme Makal. Dans un contexte de pauvreté généralisée, «flatter devient ainsi une nécessité, mentir un art ». Survivre est la règle et s’enrichir une obsession. Ceci est un vestige de la dictature de Mobutu qui touche intellectuels et citoyens ordinaires. Makal donne ce témoignage: «Je croise des politiciens soutenant des thèses qu’ils reconnaissent vraies juste pour la télévision. J’ai vu des intellectuels révoltés en chambre, mais moutons en pleine journée. Pas de remord, au-delà du double discours et de la double vie qui en résultent! «Il faut vivre, mon petit», lance un politicien».

Du côté du Cameroun

Au Cameroun le mensonge est un sujet qui fait couler beaucoup d’encre et de salive. Mentir est devenu une culture, une mentalité, un style de vie et un mode de gouvernement. Un ancien ministre, Urbain Olanguena Awono, qui se trouve en prison dans le cadre de «l’opération épervier», parle des «Mensonges d’Etat». Un journaliste rescapé du «train de la mort», Intercity 152 dans la tragédie d’Eseka de 2016, a ravivé la sempiternelle question du mensonge au Cameroun. Le journaliste-animateur, Patrick Goldman a décrié une «communication mensongère sur le bilan humain» et dénoncé l’attitude des autorités avec leurs «grossiers mensonges». Pour lui, au Cameroun «on a érigé le mensonge en style de vie, qui devient une carrière, une fonction, un métier pour des gens. Au mépris de la vie humaine. Au mépris de la vie des individus» (www.cameroon-info.net).

Indigné par le mensonge institutionnel dont les médias d’Etatabreuvent le peuple camerounais, le Cardinal Christian Tumi, archevêque émérite de Douala, connu pour son franc-parler et sa défense de la vérité, a toujours combattu cette peste avec la dernière énergie. C’est ainsi qu’il a doté l’Archidiocèse de Douala d’une radio catholique appelée Radio Veritas et lui a donné comme devise «La vérité libère». Une ligne éditoriale qui faisait peur au pouvoir de Yaoundé, au point que la radio fut fermée un temps par le ministre de la communication, avant d’être autorisée par le chef de l’Etat camerounais, lui-même. Cette radio que nous avons mise sur pied et dirigée pendant une dizaine d’années s’est distinguée dans l’échiquier médiatique camerounais par son professionnalisme et son engagement pour l’annonce de la vérité.

Mensonge et éducation

Il est difficile d’expliquer les causes d’un phénomène aussi complexe que le mensonge. L’éducation étant la base de la formation à la vie de tout être humain, nous allons étudier un principe d’éducation dans la culture Kôongo dont la pratique pourrait avoir une influence dans l’agir des enfants et des adultes. Il s’agit des « interdits et des non-dits». Nous dirons aussi un mot bref sur la culture Ubwenge du Rwanda.

Dans la culture Kôongo, notamment chez le peuple Lari du Sud du Congo-Brazzaville, l’éducation des enfants se faisait aussi à travers le principe d’interdit et de non-dit (Mulôngo). Un de ces principes appelé kinzienina consistait à interdire aux enfants d’uriner dans les eaux pour raison d’hygiène et pour protection l’environnement. Le kinzienina est une douleur ressentie à l’extrémité de l’appareil génital masculin du fait d’uriner dans les eaux. Cette sorte de maladie serait une punition de l’esprit des eaux appelé Ya Wamba. Bien que les objectifs de cet interdit soient nobles, le principe en lui-même est basé sur la crainte et le mensonge. Sans le vouloir, on apprend aux enfants à mentir. Plutôt que de reconnaître sa faute et demander pardon, le principe invite l’enfant à accuser l’esprit d’être l’auteur de sa transgression.

Un enfant accuse donc un «dieu» sans avoir peur. Grandissant dans cet esprit, il ne craindra pas de mentir, même à ses parents ou à toute autre personne. On voit ainsi dans les familles des enfants qui n’acceptent jamais spontanément leur faute. S’ils viennent à voler, ils nient et mentent de toutes leurs forces. A la limite, c’est sous le coup de la chicotte qu’ils avoueront leur faute. D’autres enfants nieront jusqu’au bout, malgré le fouet.

Dès le bas âge les enfants et les jeunes développent une certaine habileté, malignité et ruse dans la manière de parler. Porte ouverte au mensonge. Ils apprennent et croient à l’adage courant déclarant que «l’habilité dans la manière de parler n’est pas un péché»; en lari «Mayela ma zonzela ka disumuako». Nous nous rappelons comment le curé de notre paroisse, un spiritain français, condamnait cet adage avec la dernière énergie, martelant que cette habilité et cette ruse était précisément un péché.   

La culture d’Ubwenge au Rwanda

Au Rwanda (et au Burundi), il existe un principe d’éducation culturelle appelé Ubwenge. La culture d’Ubwenge consiste à inculquer certains principes à l’enfant et au jeune pour lui permettre d’acquérir la capacité à s’organiser pour s’en sortir en toute situation. En d’autres termes, il s’agit, de développer sa sagacité pour faire face à toute espèce de communicateur. Ce terme polysémique d’Ubwenge veut dire intelligence, savoir. Mais, suivant les contextes, il peut aussi signifier la malignité, la ruse (y compris la ruse du vaincu), l’esprit astucieux. Il peut même avoir le sens de fourberie, de calcul mesquin. Ces aspects négatifs seraient une porte ouverte au mensonge. Aussi certains auteurs parlent-ils d’une culture rwandaise du mensonge. C’est l’avis d’Antoine Nyetera qui affirme qu’on apprenait aux jeunes enfants rwandais dès leur jeune âge à travestir età dissimuler: ne jamais dire ce qu’il pense. Travestir et dissimuler étaient des qualités d’une bonne éducation. Ce mensonge ou cette restriction seraient simplement motivés par le besoin de protection de soi et du groupe auquel on appartient. Il ne faut pas se dévoiler devant n’importe qui, surtout pas devant un étranger . (https://rdcongoveritas.wordpress.com)

En conclusion

Le mensonge est une réalité humaine. Mais quelle que soit son ampleur, il ne pourra jamais triompher de la vérité. La transformation des mentalités et la promotion d’une culture de la vérité passent par une bonne éducation et par le témoignage de vie lumineux des chrétiens. Il faut croire à la conversion des cœurs et en la miséricorde de Dieu.


Le frère dominicain Gabriel Samba, de nationalité congolaise (Congo-Brazzaville) vient d’achever un mandat d’assistant du Maître de l’Ordre des Prêcheurs pour l’Afrique subsaharienne. Frère du Vicariat provincial d’Afrique Equatoriale, assigné au couvent St-Hyacinthe de Fribourg.

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