Revue Sources

Tout le monde cherche le bonheur, la réussite, la joie. Une chanson a fait le tour du monde entier: «I am happy». Cependant notre monde est caractérisé par le fait qu’aujourd’hui être heureux, avoir de la joie est de la responsabilité de l’individu.

Les librairies regorgent de livres de recettes pour y parvenir. Malheur à ceux qui n’y arrivent pas! Cette responsabilité peut être source d’angoisse voire de mélancolie, car si on n’y arrive pas, c’est qu’on a fait «tout faux», que l’on est un incapable voire un impuissant.

Le récit franciscain de la «joie parfaite»

Dans les sources de la spiritualité franciscaine, un récit fait référence dans ce domaine, celui dit de la joie parfaite ou de la vraie joie:

«1 Le même [frère Léonard 1] rapporta au même endroit qu’un jour, à Sainte-Marie, le bienheureux François appela frère Léon et dit :

– Frère Léon, écris.

2 Et lui répondit :

– Voilà, je suis prêt.

3 – Écris, dit-il, quelle est la vraie joie. 4 Un messager vient et dit que tous les maîtres de Paris sont venus à l’Ordre; écris : ce n’est pas la vraie joie. 5 De même, tous les prélats d’outremonts, archevêques et évêques ; de même, le roi de France et le roi d’Angleterre; écris : ce n’est pas la vraie joie. 6 De même, mes frères sont allés chez les infidèles et les ont tous convertis à la foi 5 ; de même, j’ai de Dieu une telle grâce que je guéris les malades et fais beaucoup de miracles : je te dis qu’en tout cela n’est pas la vraie joie.

7 – Mais quelle est la vraie joie ?

8 – Je reviens de Pérouse et, par une nuit profonde, je viens ici et c’est le temps de l’hiver, boueux et à ce point froid que des pendeloques d’eau froide congelée se forment aux extrémités de ma tunique et me frappent sans cesse les jambes, et du sang coule de ces blessures. 9 Et tout en boue et froid et glace, je viens à la porte, et après que j’ai longtemps frappé et appelé, un frère vient et demande : «Qui est-ce ?» Moi je réponds : « Frère François. » 10 Et lui dit : « Va-t’en ! Ce n’est pas une heure décente pour circuler ; tu n’entreras pas. » 11 Et à moi qui insiste, à nouveau il répondrait : « Va-t’en ! Tu n’es qu’un simple et un illettré. En tout cas, tu ne viens pas chez nous ; nous sommes tant et tels que nous n’avons pas besoin de toi. » 12 Et moi je me tiens à nouveau debout devant la porte et je dis : « Par amour de Dieu, recueillez-moi cette nuit ! » 13 Et lui répondrait : « Je ne le ferai pas. 14 Va au lieu des Croisiers et demande là-bas. » 15 Je te dis que si je garde patience et ne suis pas ébranlé, en cela est la vraie joie et la vraie vertu et le salut de l’âme.[1]

Un chemin de croissance spiriuelle

Ce récit de style parabolique est très vivant. Il pose une question qui taraude l’humanité depuis la nuit des temps: la quête du bonheur. Cette question est aussi celle de François dans un moment difficile pour lui et celle qu’il pose à ses frères. Dans le récit, le jeu d’aller et retour de questions réponses tout en dénonçant les impasses, ainsi que les verbes de mouvement donnent une première clef de sens: déterminer ce qu’est la vraie joie est une recherche, un chemin, un déplacement. En ajoutant au mot joie l’adjectif «vraie» ou «parfaite», le récit nous montre qu’il ne s’agit pas d’un état mais bien d’un chemin de croissance spirituelle. Le dialogue relate aussi qu’il est plus facile de dire ce qu’elle n’est pas que ce qu’elle est.

Le second baiser au lépreux

Le récit nous fait entrer dans les profondeurs de l’âme sombre de François. Le propre des descriptions dans un récit est d’indiquer des valeurs et des états d’âme: c’est l’hiver, la boue, le froid, la nuit, le sang des blessures. François est démoralisé car ses frères ne sont pas aussi intransigeants que lui en matière de style de vie, de pauvreté. François en est affecté au point qu’il ne peut plus les voir. Le récit poursuit en décrivant son sentiment d’impasse. François frappe à une porte mais elle ne s’ouvre pas. D’un côté, il y a un homme, François, simple, qui n’est pas un lettré, il n’a fait que «l’école primaire» dans sa paroisse, un être blessé qui se présente comme un frère.

De l’autre côté, il y a le nombre «nous sommes tant et tel», beaucoup de frères, maîtres en théologie, prélats, archevêques, évêques, rois. François a beau être l’initiateur de tout cela, de ce nouvel Ordre «sous l’inspiration du Seigneur», les autres, ceux qui l’ont suivi ne le reconnaissent pas, ne veulent plus de lui. Ses frères n’ont plus besoin de lui. Ici ce n’est plus chez toi, c’est chez nous, disent-ils. Ce que tu as initié ne t’appartient plus. François apprend dans la souffrance la désappropriation radicale mais plus que cela encore la non-appropriation. Ses frères, son Ordre ne lui appartiennent pas. Il fait l’expérience de la pauvreté radicale. Rien ne lui appartient ni son projet, ses initiatives, ses réalisations, ses frères amis et ennemis.

Le frère hostile le renvoie à l’hôpital des lépreux tenus par les Croisiers. Pour François, cela signifie qu’il est renvoyé à son expérience fondatrice, celle de son baiser au lépreux. A la fin de sa vie, en relisant son parcours de vie dans son testament, François pourra revenir à cette expérience fondamentale qui l’a conduit à sa conversion, le baiser au lépreux, là où «tout ce qui était amer pour lui a été changé en douceur de l’âme et du corps». Ce lieu où l’amer devient grande douceur pour lui est celui de la rencontre du Christ dans ce corps à corps avec le lépreux, là où l’humanité se décompose. Mais il n’en est pas encore là.

Patience et confiance

Devant cette porte fermée et ce renvoi, François peut énoncer ce qu’est la vraie joie en deux expressions. «Si je garde patience…» Le mot latin a pour racine «passion-pâtir», tenir dans la souffrance, dans l’épreuve, traverser la difficulté, ne pas éloigner le calice de la volonté du Père, vivre la Passion du Christ. «Et ne suis pas ébranlé.» Croire ou mieux dit «faire confiance» comme le Fils fait confiance au Père, miséricordieux, créateur, souverain bien, source de tout bien, de toute vie. Faire confiance en Celui qui est capable par-delà la mort de ressusciter son Fils et nous aussi.

Par ces deux attitudes patience et non-ébranlement qui sont celles du Fils, nous sommes fils et filles de Dieu à son image capable de «vraie joie, vraie vertu et salut de l’âme». La vertu est d’abord une qualité de Dieu, elle n’est pas la force de l’être humain. C’est la force de Dieu en nous, le souffle, l’énergie de l’Esprit qui nous fait vivre en vérité. Le salut est l’immense don de Dieu qui écrit avec nous l’histoire de la libération, de l’alliance. Celui qui nous sauve, nous rend fils, frères et sœurs réconciliés, pacifiés en nous-mêmes avec Lui et avec les autres. Ce n’est pas le fruit de nos efforts mais le salut donné par un Autre.

Le long chemin de la non-appropriation

Revenons sur le chemin de la vie de  François. S. François n’avait pas l’intention première de fonder un Ordre. Mais son exemple a fait école. Après quelques hommes d’Assises, son Ordre est devenu florissant et de façon exponentielle. Non seulement en quantité, mais aussi en qualité: évêques, roi, maîtres de théologie, personnes de noble condition, etc. Pour s. François, cette situation est une tentation, une mise à l’épreuve: celle de la toute-puissance, de la supériorité de la science et du savoir, de la prétention d’être comme Dieu (convertir, guérir, faire des miracles…). On dirait aujourd’hui en entreprise, productivité, compétitivité, labellisation, nombre d’admirateurs, de like ou encore «créer de la valeur» pour les actionnaires.

Pour s. François tout cela, ce ne sont que fausses joies. Il a trop le sens du discernement évangélique pour ne pas prendre le succès, le nombre, comme unique critère du vrai et de l’authentique. La gloire et l’assurance que cela peut procurer n’est qu’un leurre. S. François rappelle à tous les frères de l’Ordre de se mettre en quête de la vraie joie, celle qui est en rapport avec la Source, le Père, à laquelle dans l’Esprit, on peut accéder par le Christ pauvre et crucifié.

François le rappelle en un temps très difficile pour lui. Il est démoralisé par le mauvais exemple des frères. Au début de sa vie, il voulait être chevalier, le Seigneur lui a montré une autre voie, celle de l’Evangile, mais son esprit d’ambition est resté le même: être un héros du Seigneur. Sa radicalité évangélique s’est transformée en intransigeance vis-à-vis de ses frères et surtout dans un esprit fusionnel, il voudrait que tous ses frères soient comme lui, il se sent «propriétaire» de son Ordre et même du for intérieur de ses frères. Dans la Compilation d’Assise, le Seigneur l’interpelle:

Je t’ai posé en signe au milieu d’eux

«112 [LP 86] C’est pourquoi à une époque, considérant et apprenant que certains frères donnaient le mauvais exemple dans la religion et aussi que les frères se détournaient du très haut sommet de leur profession, touché de douleur jusqu’au fond du cœur, il dit une fois au Seigneur dans la prière: « Seigneur, je te recommande la famille que tu m’as donnée. » Et il lui fut dit par le Seigneur : « Dis-moi : pourquoi t’attristes-tu tant quand quelque frère sort de la religion et quand les frères ne marchent pas par la voie que je t’ai montrée ? Dis-moi encore : qui a planté la religion des frères ? Qui fait se convertir un homme pour qu’il fasse pénitence en elle ? Qui donne la force de persévérer en elle ? N’est-ce pas moi ? » Et il lui fut dit en esprit : « Moi, je ne t’ai pas choisi comme un homme lettré et éloquent au-dessus de ma famille, mais je t’ai choisi simple, pour que tu sois à même de savoir – tant toi que les autres – que c’est moi qui veillerai sur mon troupeau. Mais je t’ai posé en signe parmi eux, pour que les œuvres que, moi, j’opère en toi, ils doivent les reconnaître en toi et les accomplir. Ceux qui marchent par ma voie, ils m’ont et m’auront en abondance; mais ceux qui ne veulent pas marcher par ma voie, ce qu’ils paraissent avoir leur sera enlevé. C’est pourquoi, je te le dis, ne t’attriste pas tant, mais fais ce que tu as à faire, accomplis ce que tu as à accomplir, car j’ai planté la religion des frères dans une charité éternelle. Aussi sache que je la chéris tant que, si l’un des frères, retourné à son vomissement 2, mourait hors de la religion, je remettrais un autre dans la religion pour qu’il ait sa couronne à sa place. Et à supposer qu’il ne soit pas né, je le ferai naître. Et pour que tu saches que je chéris naturellement la vie et religion des frères, à supposer que dans toute la vie et religion des frères ne restent que trois frères, pour l’éternité je ne l’abandonnerai pas. »[2]

La grâce et la joie de la  déposession

Le Seigneur lui révèle la racine de sa tristesse. Il y a un écart entre son projet de vivre selon le saint Evangile, humble, simple, être un fou dans le monde, être soumis à tous et ce qu’il ressent au fond de lui. Il doit faire un pas de plus. Ne pas s’approprier le bien que Dieu a accompli à travers lui, devenir totalement pauvre c’est-à-dire au-delà de la désappropriation entrer dans le chemin de la non-appropriation, autrement dit, de demander la grâce de déposer son Ordre. Reproches, louanges de la part des frères, recherche de gloire, bien et mal réalisé par les frères, etc. tout ce qui lui arrive, s. François reçoit la grâce de le déposer est ainsi être libéré et vivre libre. Au cœur de son épreuve, cette liberté le fait entrer dans le dynamisme de la donation et la joie l’envahit, celle de la conformité avec le Fils. Cette joie n’est pas le résultat d’un effort personnel, de quelque méthode de développement personnel ou d’ascèse de spiritualité, ni non plus de sublimation d’un désir refoulé, mais l’attestation de l’authenticité de l’accomplissement qui nous est promis par le Père.

Une apologie de la souffrance?

A première lecture, le récit de la vraie joie pourrait être compris comme une apologie de la souffrance, les souffrances méritoires. Eclairé par d’autres passages des écrits de s. François, il n’en est rien. Le mot clef qui permet de comprendre la position de s. François est le terme de «restitution» en latin «reddere». S. François restitue à son père, Pierre Bernadone son argent et ses vêtements, car pour lui il tout ce qu’il possède vient de Dieu. A la fin de sa vie, il comprend que ce geste n’est qu’un début de ce qu’il doit comprendre et intérioriser. Dieu est le bien, origine de tout bien, celui qui nous rend capable de faire le bien. S. François ne doit rien s’approprier et donc surtout ne pas s’approprier son Ordre florissant, mais plus encore, il ne doit pas non plus s’approprier la lettre de l’Evangile, mais la redonner par la prédication et l’exemple. Plus profond encore, il ne doit pas s’approprier le mal qui pourrait être opéré par un frère. Sommet de la restitution, comme il le dit dans l’Admonition XI:

«QUE PERSONNE NE SE LAISSE CORROMPRE PAR LE MAL D’AUTRUI: 1 Au serviteur de Dieu, rien ne doit déplaire, excepté le péché. 2 Et de quelque manière qu’une personne pécherait, si, à cause de cela, le serviteur de Dieu se troublait et se mettait en colère – non par charité –, il thésaurise pour lui une faute. 3 Ce serviteur de Dieu qui ne se met pas en colère ni ne se trouble pour personne mène une vie droite, sans rien en propre. 4 Et bienheureux est-il, car il ne retient rien pour lui, rendant à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu»[3]

Cette admonition est un conseil, une interpellation et non une menace. Elle est bien d’actualité aujourd’hui en un temps où trop de gens s’approprie à leur profit les faux pas des politiciens, des criminels ou des ministres d’Eglise dénoncés à juste titre pour perversité et abus. Il ne s’agit donc pas de justifier de quelque manière le mal perpétré comme le dit le Lévitique 19,17-19: «17 N’aie aucune pensée de haine contre ton frère, mais n’hésite pas à réprimander ton compatriote pour ne pas te charger d’un péché à son égard; 18 ne te venge pas, et ne sois pas rancunier à l’égard des fils de ton peuple; c’est ainsi que tu aimeras ton prochain comme toi-même. C’est moi, le SEIGNEUR.» Cependant dénoncer le mal n’est pas s’arroger un droit de propriété sur la faute de l’autre comme s’il s’agissait d’un capital à notre disposition.

En restituant le bien pour le mal, comme le propose Paul en Rm 12,17, François ne cherche en aucun cas à faire l’apologie du mal et encore moins de la souffrance mais il cherche et trouve un sens à sa douleur, son épreuve, sa souffrance dans la conformité avec le Fils qui donne sa vie. Jésus, ce Fils, est capable de recevoir totalement l’amour du Père. Il remplit sa mission en coulant sa volonté dans celle du Père jusqu’à aimer ses ennemis et donner sa vie. Comme le dit l’Admonition IX:

Aimez vos ennemis

«DE L’AFFECTION. 1 Le Seigneur dit : Aimez vos ennemis, [faites du bien à ceux qui vous haïssent et priez pour ceux qui vous persécutent et vous calomnient]. 2 En effet, il aime vraiment son ennemi, celui qui ne s’afflige pas de l’injustice que celui-ci lui fait, 3 mais qui est brûlé par le péché de son âme, à cause de l’amour de Dieu, 4 et qui lui montre par des actes son affection.».[4]François conformément aux groupes évangéliques de son temps opère un retour à l’Evangile. Jésus lui parle au présent, il lui dit qui il est et ce qu’il faut faire. L’Admonition rappelle un des messages centraux du Sermon sur la Montagne: «aimez vos ennemis, priez pour ceux qui vous persécutent». En se conformant à ce faire «extra-ordinaire» qui est accomplissement de toute la loi, en réalisant la volonté du Père, ce qu’Il a voulu en édictant la loi, l’amour inconditionnel du prochain au point d’être responsable de la responsabilité de l’autre, nous sommes fils de Dieu

Une bonne nouvelle pour aujourd’hui

La joie dont parle l’Evangile et s. François nous rend libres face à la psychologie positive actuelle garantissant un soi-disant bonheur, alors qu’elle risque subtilement de nous rendre dociles, de nous asservir aux valeurs de ce monde. La vraie joie est l’objet d’une révélation. Elle n’est pas conforme aux critères de notre monde. Pourtant elle peut être vécue comme une libération dans notre société occidentale touchée par les maladies de l’autonomie du sujet livré à lui-même, en manque d’appartenance forte, en quête de renforcement de lien et de reconnaissance, en proie à l’angoisse de la non-réussite voire à la mélancolie. En effet notre société a été dite «dépressive» suite à la perte de l’illusion de l’idée du développement des trente glorieuses (pollution du Torrey Canyon, Tchernobyl, explosion de la navette spatiale, etc.). Mais aujourd’hui, il faudrait plutôt parler de mélancolie. Ce sentiment surgit au fond de l’être par l’impuissance ressentie devant la perte (le réchauffement climatique, les guerres, la possibilité toujours présente de génocides, le terrorisme, etc.). Cette perte projette son ombre sur l’être du sujet.

Dans ce contexte, la «vraie» joie, celle sur laquelle on peut s’appuyer, est l’assurance d’une appartenance de Fils au Père dans l’Esprit. Le salut est l’œuvre de Dieu. Créatures non nécessaires, croyant que nous sommes fils et filles de Dieu, nous devons remonter à la Source, à ce Père qui nous tient dans l’être et y trouver la racine de tout désir de «re-connaissance». Cette reconnaissance a bien une origine mais il ne s’agit pas de s’arrêter en chemin, car il s’agit de prendre conscience que le «re» de reconnaissance remonte à la Source. Elle est en Dieu. Cette assurance est le fondement de l’espérance qui nous fait croire que l’impossible est possible. Dans la joie éprouvée par cette conviction, l’espérance nous enjoint à ne pas baisser les bras mais à œuvrer dans le sens de ce que Dieu veut pour notre terre. Témoigner de cette espérance est le plus grand don que nous pouvons faire à notre société. Car en effet, notre contexte assez sombre pourrait nous paralyser, bloquer notre agir ou en tout cas nous interroger sur le sens de ce que nous faisons. Notre société suit une direction, celle du système libéral économique. Ce système génère tant d’inégalités dans le monde. Libres, mais aussi affectés nous-mêmes par la souffrance des autres, la joie de l’Evangile nous engage à la libération des hommes et des femmes dans notre monde même si l’on n’en voit pas les fruits immédiatement. Agir selon l’Evangile n’est pas sans effet, il pousse notre monde dans une direction autre, celle de la communion, de la fraternité. Car Dieu, le Père est le fondement de toute communauté fraternelle. C’est ce que prie s. François dans la première règle (1Rg 23,8-9):

«8 Aimons tous, de tout notre cœur, de toute notre âme, de tout notre esprit,
de toute notre vertu et toute notre force, de toute notre intelligence, de toutes nos énergies,
de tout notre effort, de toute notre affection, de toutes nos entrailles, de tous nos désirs et volontés,
le Seigneur Dieu,
qui nous a donné et qui nous donne à tous tout notre corps, toute notre âme et toute notre vie, qui nous a créés, rachetés
et qui nous sauvera par sa seule miséricorde,
qui, à nous misérables et miséreux, putrides et fétides, ingrats et mauvais,
nous a fait et nous fait tant de bien.

9 Ne désirons donc rien d’autre, ne veuillons rien d’autre,
que rien d’autre ne nous plaise et ne nous délecte
que notre Créateur et Rédempteur et Sauveur,
le seul vrai Dieu,
qui est plein bien, tout bien, tout le bien, le vrai et souverain bien,
qui seul est bon, pieux, aimable, suave et doux,
qui seul est saint, juste, vrai et droit,
qui seul est bienveillant, innocent, pur,
de qui et par qui et en qui est tout pardon, toute grâce, toute gloire
de tous les pénitents, de tous les justes,
de tous les bienheureux qui se réjouissent ensemble dans les cieux.»[5]

Cette prière rappelle que Dieu est le bien, source de tout bien, que sans Lui, nous ne pouvons rien faire. Elle rappelle aussi que la création a un sens, qu’elle est promise à un accomplissement (cf. Ep 1). Le chrétien croit qu’en dernier ressort, c’est Dieu lui-même qui interviendra pour cette terre. La Jérusalem céleste descend du ciel, elle n’est pas une pure et simple construction humaine (cf. Ap 21).

Pour conclure

Les deux clefs pour saisir le sens de ce qu’est la vraie joie sont la conformité au Fils et la non-appropriation. Elle est plus que la joie du contentement ou de l’émerveillement. Elle dépasse la simple désappropriation, elle est consentement à ce que nous avons reçu, la filiation, à être fils, fille de Dieu dans le Fils. Cette identité donnée est un appel. Elle nous enjoint à aimer, à continuer à aimer l’autre même si l’autre nous est hostile. Cette joie est la joie de Pâques, la joie de la force du salut gratuit de Dieu, ce Dieu qui est don et qui nous demande à son image de donner jusqu’à l’abandon du don. C’est alors que conformés au Fils, du fond notre être, une joie profonde, discrète et vraie peux éclater un chant de louange avec le psalmiste:

«Moi, je compte sur ta fidélité:
que mon cœur jouisse de ton salut,
 que je chante au SEIGNEUR pour le bien qu’il m’a fait!» Ps 13,6


Le frère Marcel Durrer, bibliste, superviseur pastoral, est franciscain de la branche capucine de cette famille. Il dirige l’Hôtellerie franciscaine de Saint-Maurice en Suisse.


[1] Les textes des sources franciscaines sont tirés de: François d’Assise, Écrits, Vies, témoignages (édition du VIIIe centenaire), J. Dalarun (dir.), Paris, Le Cerf/Éditions franciscaines, 2010, p. 392-393.

[2] Id, p.1388-1390.

[3] Id, p. 289

[4] Id, p.288

[5] Id, p. 225-226

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