Revue Sources

Aujourd’hui, à la cafétéria de l’hôpital (en psychiatrie), une rencontre commence par ces quelques mots : «J’en peux plus, je veux juste mourir, si seulement je pouvais. Rien n’a de sens. J’ai tout perdu, j’ai plus rien…»

Les larmes aux yeux, le silence pesant, les cigarettes qui s’enchaînent et pourtant dans le moment présent, dans un instant, la joie peut aussi se lire sur le visage de cette personne rencontrée.

Elle distribue alors des spéculoos aux moineaux sur la terrasse et dit à sa voisine (sa petite-fille de cœur comme elle aime l’appeler) «Fais-moi un sourire»(qui lui est donné) et elle de répondre: «Moi je t’en fais un tout nu»du fait qu’elle n’a plus d’appareil dentaire, et on se met toutes les trois à rigoler!

Cette rencontre, comme de multiples autres dans ce lieu singulier, est marquée par l’expression de la souffrance, de la solitude, de l’injustice et pourtant le rire et l’humour y sont aussi présents.

Vivre la joie en profondeur

Depuis le début de son mandat, le pape François ne cesse de nous lancer un appel à nous tous chrétiens d’annoncer la joie de l’Evangile, comme une Bonne Nouvelle pour aujourd’hui aussi! Comment l’annoncer si nous ne sommes pas nous-mêmes remplis de cette joie, en tant qu’aumôniers, patients ou simplement comme chrétiens?

« Tout est joie. Mais nous les chrétiens, nous ne sommes pas tellement habitués à parler de joie, d’allégresse. Je crois que, très souvent, nous aimons davantage les plaintes ! Qu’est-ce que la joie ? La clef pour comprendre cette joie est ce que nous dit l’Évangile : “Élisabeth fut comblée du Saint-Esprit”. Ce qui nous donne la joie est le Saint-Esprit »[1].

Vivre de la joie profonde. Tel est le défi de ces chrétiens qui sont là, à l’hôpital dans le contexte de la psychiatrie. Ils ont un message à nous donner, à nous tous chrétiens. C’est une joie qui n’est, par conséquent, pas une simple joie humaine, du fait même qu’elle arrive à exister malgré l’angoisse, la maladie et les épreuves.

Cet article est une occasion, en quelque sorte, de leur donner la parole. Sur la base de ces rencontres, nous allons essayer d’entendre cette joie qu’ils arrivent à vivre au cœur de leur réalité. Qui pourrait mieux témoigner de cette joie à laquelle Dieu nous invite? Tout comme Paul lorsqu’il écrit «réjouissez-vous sans cesse» (Phil 4,4) alors qu’il se trouve en prison…

La joie et la logique du don

Un point qui surgit régulièrement lors de ces rencontres dans le cadre de l’aumônerie à l’hôpital psychiatrique, c’est bien un certain malaise d’être comme projeté dans cette vie, que nous n’avons pas choisie et dont nous ne savons pas quoi faire. Vie, qui de plus, n’est pas épargnée de toutes sortes d’épreuves.

En effet, nous n’avons rien demandé mais la vie nous est donnée. Le simple fait de fêter notre anniversaire pourrait nous rappeler que notre vie est un don, un cadeau pour nous et ceux qui nous entoure. Et pourtant le premier défi se trouve peut-être bien là: dans le fait d’accueillir la vie qui se donne.

La joie s’inscrit dans cette logique du don. La joie est un fruit de l’Esprit comme nous le rappelle Paul (Ga 5, 22), nous ne pouvons la rechercher pour elle-même. Cencini, prêtre et docteur en psychologie, présente la joie comme étant « une surprise… non prévue… donc non recherchée, puis perçue comme non méritée; et elle est une surprise justement parce qu’elle n’est pas survenue de façon intentionnelle et se situe donc toujours au-delà des attentes (et des mérites) du sujet[2]

La joie et le bonheur, tout comme la vie ne peuvent pas être considérés comme un dû mais seulement comme un don (don de Dieu dans notre perspective chrétienne).

Steffens, professeur agrégé de philosophie, nous invite, lui, à nous «déposséder du désir de posséder pour accueillir ce qui se donne sans cesse[3].»

Le premier mouvement auquel nous pouvons donc être attentif est de recevoir ce qui est, ce qui nous est donné. «Le drame de l’homme n’est pas de manquer: c’est de ne pas recevoir pleinement ce qu’il a[4]

Il nous faut aussi pour ça reconnaître et accepter cette image du Dieu donateur sans conditions: «Nous ne savons pas recevoir: nous ne croyons pas à la gratuité du don [5]» «Toujours, nous croyons qu’il faut payer ou faire payer: éternelle logique du sacrifice[6]

Le Christ est venu une fois pour toute abolir cette dette pour chacun d’entre nous. Notre façon de répondre à ce don serait simplement de l’honorer en le recevant pleinement.

La santé est un cadeau

Steffens, nous lance une interrogation qui peut valoir la peine de se poser: « Goûte-t-on assez la santé?» Tous les soirs, quand je sors de l’hôpital, je me le redis. Quelle chance de pouvoir rentrer chez moi. Cette conscience-là, est un vrai cadeau, reçu de par la rencontre avec toutes ces personnes. Ils me rendent présente à mon présent, qui est de pouvoir envisager ma santé comme une vraie ressource, que j’ai à ma disposition aujourd’hui, par grâce.

Effectivement, la joie nous fait entrer dans cette logique du don, dans laquelle nous devons apprendre à recevoir. Mais la joie ne s’arrête pas là. La joie nous remet perpétuellement dans une dynamique en mouvement, en avant. Le Seigneur lui-même nous a enseigné et nous pouvons l’expérimenter qu’il y a plus de joie à donner qu’à recevoir. En demandant à une patiente ce qu’elle aimerait recevoir pour son anniversaire, elle m’a répondu: «c’est moi qui aimerait offrir quelque chose!» Voilà sans doute une belle illustration.

Accueillir la vie  qui se donne

Accueillir la vie qui se donne, nous projette nécessairement dans une zone de tension: «…tension impossible entre le bonheur d’être et la conscience du malheur des hommes…[7]» Plus que jamais les personnes dans le contexte de la psychiatrie sont confrontées de façon violente au malheur des hommes. Ils voient et entendent en plus du leur, le malheur de ceux qui se trouvent aussi hospitalisés. Quelles sont les stratégies pouvant aider à vivre de la joie ? Laissons-nous guider par les rencontres vécues en hôpital psychiatrique pour illustrer cet « art d’aimer la vie »…

Le chant et la louange

Ainsi, une personne requérante d’asile, qui a traversé tant de difficultés et qui continue de chanter. Elle connaît par cœur tant de chants de louanges qui se sont comme incarnés dans sa vie. Son chant qui retentit dans la chapelle de l’hôpital est à la fois cri de détresse et louange.

Elle nous redonne là une clé: «dans le chant, les contradictions s’abolissent: le chant a toujours quelque chose de la réconciliation, même quand il s’agit, comme en de nombreux psaumes, de moduler un cri de désespoir…[8]» Ainsi, la louange a cette capacité de tenir ensemble la réalité difficile de ce que peut être nos vies tout en laissant la possible expression de la joie de vivre: «Quand je poussais vers lui mon cri, ma bouche faisait déjà son éloge» Ps 65,17. Et comme nous le dit également le Pape François, la louange nous décentre de nous-même et nous amène à vivre la gratuité dans le tempsen nous apportant de l’espace : «Louez-vous Dieu ? Ou demandez-vous seulement à Dieu et rendez-vous grâces à Dieu ? Mais louez-vous Dieu ? Cela, signifie sortir de nous-mêmes pour louer Dieu, perdre du temps en louant. (…) Si tu adoptes cette attitude de la joie, de la louange à Dieu, cela est beau. Du reste, voilà ce que sera l’éternité : louer Dieu. Mais cela ne sera pas ennuyeux, ce sera très beau. Cette joie nous rend libres [9]

A l’école du rire et de l’humour

Une autre clé se trouve dans le sens de l’humour toujours possible, L’humour a une place de choix en psychiatrie. D’ailleurs, dans son exhortation apostolique Gaudete et exsultate[10], le pape François intitule «Joie et sens de l’humour» l’une des cinq caractéristiques de la sainteté dans le monde actuel. Et même si nous avons pu dire précédemment que la joie est comme une surprise qui ne se commande pas, la bonne nouvelle est que «la joie est quelque chose qui s’apprend »[11]. Nous pouvons ainsi développer notre capacité de se réjouir, de dire merci, en s’exerçant à la louange ou encore en développant son sens de l’humour le tout en souriant. Autant d’éléments qui nous amèneront à laisser toujours plus de place à la joie dans nos vies.

Aimer la vie est donc bien le fruit d’un travail sur la manière dont on accueille les choses mais aussi sur notre capacité à se réjouir. Pour cela, le Père Boisson nous suggère d’introduire un nouveau commandement: «La joie tu pratiqueras[12]

La joie découle de la certitude d’être aimé

Comme nous le rappelle Paul VI dans l’exhortation apostolique sur la joie, nous ne pouvons pas parler de cette dernière sans repartir de la base, à savoir la charité: «réaliser sans tarder la justice et la charité pour un développement intégral de tous! (…) Même si ce n’est pas directement le thème que nous abordons ici, que l’on se garde bien d’oublier ce devoir primordial d’amour du prochain, sans lequel il serait malséant de parler de joie [13]

La joie de croire découle sans doute en tout premier lieu de cette assurance d’être aimé. C’est ce que nous redit si bien le Pape Françoisen ces termes:«Il y a des moments difficiles, des temps de croix, mais rien ne peut détruire la joie surnaturelle qui « s’adapte et se transforme, et elle demeure toujours au moins comme un rayon de lumière qui naît de la certitude personnelle d’être infiniment aimé, au-delà de tout ». C’est une assurance intérieure, une sérénité remplie d’espérance qui donne une satisfaction spirituelle incompréhensible selon les critères du monde [14]

La joie se vit en communion

La joie est cette émotion qui demande à être partagée. Elle nous met en lien, elle est décuplée par la joie rencontrée chez l’autre. «La joie est toujours liée à la nature relationnelle de l’homme, à sa relation à Dieu et aux autres.»[15]

Concernant Dieu, il s’agit de la rencontre avec un Dieu qui se veut être en relation et qui se veut être proche: «Je ne vous laisserai jamais seul, je vous enverrai l’Esprit Saint[16].Concernant non seulement la relation à Dieu, mais aussi les rencontres interpersonnelles, nous pouvons faire référence à l’évangile de la Visitation (Lc 1, 39-45). La joie naît de la rencontre : Marie visite sa cousine Elisabeth et Jean-Baptiste dans le ventre de sa mère déjà tressaille d’allégresse. La joie de Noël est proche. « Heureuse es-tu Marie ». Pourquoi Elisabeth la considère comme heureuse ? Parce qu’elle a cru, nous dit Elisabeth, que « ce qui a été dit de la part du Seigneur s’accomplira ». Marie a vécu ce que nous sommes tous appelé à vivre à savoir Dieu vivant en notre chair. La Bonne Nouvelle, c’est que : «le ciel et la terre se rencontrent et communiquent. Dieu, l’Éternel, entre dans le temps [17].» Dieu veut unir sa vie, la communiquer à tous les hommes. Dieu veut parler, entrer, en dialogue avec nous. Lorsque nous disons: «Parole de Dieu», nous sommes tellement habitués à cette expression que nous ne percevons plus ce qu’elle peut avoir d’insolite. Dieu nous parle à travers les Ecritures et nous rejoint dans les événements de notre vie, par les personnes qu’il met sur notre route. Il nous parle au travers des choses de notre vie qui nous portent vers la paix, vers la joie.

La joie, c’est ce cadeau qui est fait au cœur de la rencontre. La joie est alors comme un révélateur pour nous dire si la rencontre a eu lieu.

La joie est une œuvre de l’Esprit, et comme nous le rappelle St Paul, tout don de l’Esprit Saint est donné pour être au service de la communauté.La joie est reçue, et par le fait même d’être reçue, elle place le récepteur en position de pouvoir redonner, comme si elle se trouvait au commencement de tout et à la fin de tout[18]. Le fait d’avoir reçu, pousse à entrer dans cette dynamique du Don. C’est comme ça que la joie donne forme à la communauté: le don circule. La «joie qui se vit en communion» [19].

La joie du salut d’un peuple

En effet le fait de se retrouver régulièrement, de s’éprouver en tant que peuple, est à l’origine d’un certain plaisir spirituel: la joie d’être un peuple. D’autant plus que nous pouvons, de par le fait même de se rassembler, exercer et améliorer notre capacité à se réjouir:

«L’amour fraternel accroît notre capacité de joie, puisqu’il nous rend capables de jouir du bien des autres : « Réjouissez-vous avec qui est dans la joie » (Rm12, 15)[20]

La joie d’être un peuple signifie aussique : « Je ne dois pas porter seul ce que, en réalité, je ne pourrais jamais porter seul. La troupe des saints de Dieu me protège, me soutient et me porte».C’est ce que nous dit Benoît XVIau moment de son intronisation en tant que Pape[21]. Si souvent nous pouvons entendre dire à l’hôpital: «Heureusement que nous sommes tous ensemble ici! ».

Enfin, le pape François nous rappelle aussi que, du fait même de notre identité de chrétien, nous appartenons à un peuplequi a fait ensemble l’expérience du salut : «Le bon vouloir de Dieu a été que les hommes ne reçoivent pas la sanctification et le salut séparément, hors de tout lien mutuel ; il a voulu en faire un peuple ». Le Seigneur, dans l’histoire du salut, a sauvé un peuple. Il n’y a pas d’identité pleine sans l’appartenance à un peuple. C’est pourquoi personne n’est sauvé seul, en tant qu’individu isolé (…)[22]

Peuple de Dieu renvoie à la notion de fraternité qui renvoie elle-même à une certaine filiation et à une paternité fondamentale. Nous ne pouvons pas en rester seulement à un niveau fraternel, la joie ouvre aussi une racine personnelle: recevoir la bonne nouvelle pour sa propre vie. Même si la joie nous donne de nous éprouver en tant que peuple elle vient aussi nourrir notre identité individuelle et peut nous aider à nous structurer en tant que personne.

La joie critère de notre identité

La joie peut être perçue comme un révélateur de qui on est profondément: «Si tu veux savoir qui tu es, ce que tu portes en ton cœur, ce qui est devenu important pour toi, où réside pour toi le sens de la vie, interroge-toi sur tes joies[23].» Le pape François nous invite à considérer les béatitudes[24] «comme la carte d’identité du chrétien»[25].

Aussi, dans son exhortation sur la sainteté, François nous donne de comprendre que la sainteté ne nous rend pas moins humain, qu’elle ne nous enlève pas notre identité, ni nos forces, ni notre liberté, ni notre joie «C’est tout le contraire, car tu arriveras à être ce que le Père a pensé quand il t’a créé et tu seras fidèle à ton propre être. Dépendre de lui nous libère des esclavages et nous conduit à reconnaître notre propre dignité[26].» Devenir ce que nous sommes là est bien notre joie profonde. Être heureux ici et maintenant est bien notre vocation.

Si nous reprenons les mots de Christian de Chergé prieur de Tibhirine, nous voyons qu’un passage est nécessaire pour devenir ce à quoi nous sommes appelés: «(…) cette Pâque qui nous dépossède au passage de tout ce que nous avons reçu pour que nous devenions ce que nous sommes (…) [27]»

La joie et la croix

«Comment l’Église peut-elle parler de bonheur avec toutes ses interdictions, ses pénitences et le symbole qu’elle s’est choisi, la croix[28]

C’est justement cette expérience paradoxale et pleinement pascale que le Christ nous appelle à vivre avec lui à sa suite: «La joie chrétienne inclut en son sein la croix» [29]. Comme nous le rappelle le Père Boisson, ce n’est pas du dolorisme, ni le refus des joies humaines, «mais c’est une existence capable d’unir, dans la joie de la résurrection, les souffrances et les joies quotidiennes». Nous devons combattre la souffrance, mais pour ce qui est de la souffrance invincible, si nous la portons avec le Christ elle devient source de joie et de paix.

La liturgie a pour première tâche de nous ramener sur ce chemin pascal ouvert par le Christ, où l’on consent à mourir pour entrer dans la vie. Consentir signifie que, chaque fois que dans nos vies, nous entrons dans cette œuvre de mort, nous pouvons spirituellement, en étant enracinés dans la vie chrétienne, faire le passage vers la vie, vers Dieu et donc la joie.

La joie doit trouver en nous un passage

Steffens, dans son traité sur la joie, insiste sur l’importance de pouvoir consentir à la vie, d’en arriver jusqu’au point de pouvoir dire «tout est bien». «Non seulement le consentement libère l’énergie pour affronter le cours des choses mais, de plus, il a cette étrange vertu de créer de la liberté à rebours, de révéler le sens de ce qui n’en avait pas. En renonçant à corriger mon passé, je le transfigure[30] Le chemin ainsi parcouru est source de joie profonde et fait de notre histoire, une histoire «sainte», permettant de trouver ou de créer de l’ordre dans le désordre apparent de ce qui constitue notre vie. Nous faisons alors une véritable alliance et accueillons la vie comme un don.

Le pape François, reprend les mots de Jésus à ce sujet alors qu’il est lui-même dans cette période qui précède son arrestation, les derniers moments qu’il passe avec ses disciples: «Jésus nous donne une assurance : « Vous serez tristes, mais votre tristesse se changera en joie […]. Je vous verrai de nouveau et votre cœur sera dans la joie, et votre joie, nul ne vous l’enlèvera » (Jn16, 20.22) « Je vous dis cela pour que ma joie soit en vous et que votre joie soit complète » (Jn15, 11)[31]

Le fait même de retrouver la joie, qui est toujours menacée dans le quotidien de nos vies, est une expérience de liberté, de résurrection, une pâque, un passage. La joie doit trouver en nous un passage[32].

Ce passage, le Christ nous appelle à le vivre au quotidien, peu importe les épreuves que nous pouvons vivre. La Bonne Nouvelle et la joie que l’Evangile nous propose est justement là, au cœur de nos vies. Vivre des kairos[33], une vraie rencontre qui nous fait vivre un instant d’éternité.

Rester les bras ouverts

Dans l’encyclique Spe Salvi, Benoit XVI relie sans cesse ce thème de la joie «comme composante ou conséquence de l’espérance[34].» En effet cette louange pascale est portée par un dynamisme profond, celui du combat de l’espérance. La louange repose elle-même sur la mémoire des merveilles de Dieu dans l’histoire du salut.

Voilà un vaste défi que de rester en tout temps les bras ouverts, attitude qui rejoint, comme nous le dit Steffens, la nature même de la prière, qui « demande l’impossible, qui n’est pas d’avoir une autre vie, sans aspérité, sans souffrance (car il faudrait alors ne plus aimer, et la chose serait réglée). L’impossible qu’elle demande, c’est de continuer d’aimer dans l’épreuve. Jésus dit bien: «Qui demande obtiendra» mais ce dont il parle alors, c’est de l’Esprit Saint, c’est de cette force au-delà de nos forces qui vient à leur soutien et nous donne de garder les bras ouverts là où toutes les bonnes raisons du monde conspiraient à nous les faire baisser[35]

La vie en rose

Un patient un jour m’a interpellée : «ce qui me manque ici à l’aumônerie c’est la joie, la fête, pourquoi on ne le vit pas ici?». Une question m’a dès lors taraudée: est-ce qu’on doit mettre comme objectif pastorale de vivre la joie?

La joie est multifactorielle, elle se conjugue toujours au présent, que Dieu y a une part première et fondamentale, et qu’elle s’entraîne grâce à de bonnes habitude (ap)prises.

Pour conclure, écoutons les mots d’une patiente en psychogériatrie qui répondait à ma question: «qu’elle est le secret de votre joie ?» «Dans la malchance j’ai toujours eu le bonheur, dans la vie, y’a des hauts, des bas, des secousses et des re-secousses. Dans le temps présent, il faut prendre la vie en rose, dans le bon côté.»

Elle a en effet choisi la bonne couleur liturgique: le rose, celle de la joie. Et même si la joie se reçoit et entre dans cette dynamique du don, cette patiente nous rappelle qu’il en va de notre responsabilité de sourire à la vie. Elle met aussi en évidence que le Royaume est pour aujourd’hui, que c’est dans l’instant présent que nous devons mettre en œuvre la joie de l’Evangile et la joie d’être ensemble dans les lieux où nous vivons. La première chose que nous avons à communiquer, c’est la joie, comme nous le rappelle le pape François, pour communiquer ce qui nous habite.

Devant cet enjeu, si présent à l’hôpital, peut-on apprendre à être heureux? Le Christ répond qu’il nous donne sa joie. Et notre bonheur dépend du temps que nous accordons chaque jour à la joie. Alors si nous devions retenir trois verbes pour entrer dans cette dynamique de la joie: souriez – priez –  aimez


Marie Romeuf est une agente pastorale en fin de formation à l’Institut de formation aux Ministères de Fribourg. Psychologue de formation initiale, elle nous partage son expérience de la joie en institution psychiatrique.


[1] https://w2.vatican.va/content/francesco/fr/cotidie/2013/documents/papa-francesco-cotidie_20130531.html

Vu le 3 octobre 2018. Méditation matinale en la chapelle de la maison sainte Marthe, 31 mai 2013, Pape François.

[2] Cencini, Amedeo, Choisir la joie sel de la vie, Editions des Béatitudes, Clermont-Ferrand, 2014, p. 23.

[3] Steffens, Martin, Petit traité de la joie. Consentir à la vie. Editions Salvator, Paris, 2011, p. 66. Lauréat du

prix Humanisme chrétien 2013, prix qui a pour but de promouvoir toute forme d’action touchant l’éducation et les applications de l’enseignement social-chrétien.

[4] Steffens, idem, p. 69.

[5] Thérèse d’Avila, citée par Steffens p. 68.

[6] Steffens, p. 68.

[7] Steffens, p. 154.

[8] Steffens, p. 155.

[9] Idem, Pape François,31 mai 2013.

[10] Pape François, Exhortation apostolique Gaudete et exsultate, Rome, le 19 mars 2018.

[11] Cencini, p. 24.

[12] Boisson Benjamin,  Pour l’humour de Dieu,, Editions des Béatitudes, Nouan-le-Fuzelier, 2009.

[13]Pape Paul VI, Exhortation Apostolique Gaudete in Domino, Rome, le9 mai 1975, § 11.

[14] Pape Francois, 2018, § 125.

[15] Cencini, p. 14.

[16] Jn 14 cité par le Pape François, 2018, § 122.

[17] Frère Antoine de l’Abbaye de Tamié, Homélie pour le 4ème dimanche de l’Avent 2013, https://www.histoiredunefoi.fr/meditations-bibliques/1886-homelie-pour-le-4eme-dimanche-de-lavent-a-tamie

[18] Cencini, p. 58.

[19] Pape François, 2018, § 128.

[20] Pape François, 2018 § 128.

[21] Pape François, 2018, § 708.

[22] Pape François, 2018, § 6.

[23] Cencini, p. 28.

[24] Mt5, 3-12 ;Lc6, 20-23.

[25] Pape François, 2018, § 34.

[26] Pape Francois, 2018, § 32.

[27] Frère Christian de Chergé, L’invincible espérance, Bayard Edition, Montrouge, 2010, p. 264.

[28] Cencini, p. 10.

[29] Idem, Boisson, p. 170.

[30] Steffens, p. 40.

[31] Pape François, 2018, § 124.

[32] Frère Christian de Chergé, 2010, p. 266.

[33] En grec ce mot signifie «le moment opportun, propice»

[34] Cencini, p. 11.

[35] Steffens, p. 55.

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