Revue Sources

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Tout au cours de nos livraisons de l’année 2015, la rédaction de l’Eclairage sera confiée au Professeur Thierry Collaud. A chaque parution, il portera un regard professionnel sur un problème éthique qui actuellement défraie la chronique. Quelques lignes brèves et transparentes suffiront à permettre au lecteur de se forger lui-même une opinion voire même un jugement. Aujourd’hui: la question très débattue du « diagnostic préimplantatoire ». De quoi s’agit-il? Que faut-il en penser?

Nous avons été confrontés ces derniers temps et le serons encore au diagnostic préimplantatoire (DPI). Sans prétendre épuiser le sujet, je voudrais souligner trois aspects de cette pratique sur lesquels l’éthicien va achopper.

Ce nom si peu poétique est celui d’une technique développée pour répondre à la souffrance et au désarroi que représente la naissance d’un enfant handicapé. Souffrance réelle, il ne faut pas le nier, mais pour beaucoup aussi souffrance fantasmée. On imagine ce que sera la vie perturbée par l’impensable d’un handicap. Face à la souffrance, on veut savoir si on peut en être épargné. Peut-on m’assurer que mon enfant ne sera pas handicapé?

Souffrance Fantasmée

Nous touchons là une première difficulté éthique qui est cette impossibilité où nous sommes de nous rendre disponibles pour une relation sans en avoir fait au préalable un scénario. Nous mobilisons ce que le philosophe E. Levinas appelle « l’idée de l’autre en moi« , les projections, les espoirs, les désirs et les peurs face à cet autre avec qui nous allons être appelés à vivre. Nous nous trouvons là avec l’idée que la vie va être plombée par ce handicap de départ.

Il s’agit donc bel et bien de trier entre des vies humaines désirables et indésirables.

Qu’est-ce que cette attitude dit de notre capacité à recevoir l’autre comme un don et à commencer une histoire avec lui, indépendamment de ses blessures, ou à gérer les handicaps qui arrivent en cours de route? L’enfant né sain, mais qui a un accident par la suite et qui reste handicapé, faut-il l’éliminer aussi, demande Jeanne B., une femme lumineuse souffrant de mucoviscidose et qui tremble à l’idée que si ces techniques avaient été offertes à sa mère, elle ne serait certainement pas là.

Trier entre vies désirables et indésirables

Deuxième pierre d’achoppement: le tri. Le terme « diagnostic » induit en erreur puisque, ayant obtenu en laboratoire un certain nombre d’embryons, il s’agit de sélectionner celui qui sera le plus apte, celui qui aura la « meilleure qualité », disent souvent les scientifiques. Le diagnostic n’intervient que pour désigner l’embryon indésirable qu’il faut éliminer. La technique devrait alors plus justement s’appeler tri ou sélection préimplantatoires. On se réfugie souvent derrière l’argument disant que le tri survient à un stade où l’embryon ne comporte que quelques cellules et qu’on ne trie pas vraiment des êtres humains. Dans son message aux chambres, le Conseil fédéral parle de l’embryon comme n’étant pas « un être humain à part entière mais son étape préalable ». À voir! Mais même si cet argument était recevable, le tri, lui, se base sur les caractéristiques futures que ces embryons vont développer après leur naissance. Il s’agit donc bel et bien de trier entre des vies humaines désirables et indésirables.

Logique eugénique au profit des riches

La troisième difficulté éthique, que l’on aborde moins, a trait à la justice sociale au niveau international. Pourquoi, à la différence de la Suisse et des pays qui nous entourent, n’y a-t-il pas, à ma connaissance, de débats nationaux sur l’opportunité d’introduire le diagnostic préimplantatoire au Malawi, au Burundi ou en République centrafricaine (trois pays en queue de classement pour leur PIB)? Parce que ces techniques extrêmement complexes sont réservées à ceux qui en ont les moyens, c’est-à-dire, et encore pour longtemps, aux pays riches que nous sommes. Or si nous acceptons d’entrer dans cette logique eugénique (le terme est assumé par le Conseil fédéral), cela signifie que nous aurions au final, ce que certains vont considérer comme une amélioration de la « qualité » de la population du nord, les pays du sud ayant, en plus de leur pauvreté endémique, le poids d’un plus grand nombre de personnes handicapées, mais aussi le poids de notre regard stigmatisant.

Je pense pour finir à François d’Assise dans son rapport aux lépreux, état indésirable s’il en est. Dans sa jeunesse, ceux-ci lui faisaient horreur et leur vue lui était insupportable. Le réflexe eut été de s’en distancer, de valider leur expulsion de l’espace social, mais François fait le chemin inverse, il les fréquente, mange avec eux, voire les embrasse. Faut-il y voir une forme d’ascétisme masochiste? L’interprétation qu’il donne est plutôt celle de l’abandon des peurs et de ce que j’ai appelé au début la souffrance fantasmée, la capacité d’une rencontre fraternelle qui amène à la vraie joie: « ce qui m’avait semblé si amer s’était changé pour moi en douceur pour l’esprit et pour le corps ».

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(Photo: Pierre Pistoletti)

(Photo: Pierre Pistoletti)

Thierry Collaud est père de famille, médecin et théologien. Il occupe la chaire de théologie morale spéciale à la Faculté de théologie de l’Université de Fribourg. Thierry Collaud est également président de la Commission de bioéthique de la Conférence des Evêques Suisses (CES).

 

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