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[print-me]En Suisse, les organisations Exit et Dignitas proposent leurs services aux personnes désireuses de mettre fin à leurs jours. Elles accueillent toujours plus d’adhérents. Il arrive qu’avant de mourir, ces personnes souhaitent être accompagnées dans leur décision et même dans le geste fatal par un aumônier et bénéficier d’un service religieux après leur décès. La Conférence des Evêques Suisses se préoccupe de ces demandes et a chargé une sous-commission ad hoc de lui présenter des instructions à ce sujet.

Le frère dominicain Michel Fontaine, prieur du couvent de Genève, fait partie de cette sous-commission. Théologien et soignant, il a été interrogé par Maurice Page, journaliste à cath.ch. Avec l’autorisation des intéressés, nous reproduisons ici les éléments essentiels de cet interview.

Comment cet accompagnement peut-il se concevoir?
Ce type d’accompagnement ne peut s’établir que dans la temporalité, dans la durée. On ne saurait en aucun cas se limiter à la seule célébration du sacrement des malades. Concrètement, nous entrons en matière si une personne nous approche en déclarant avoir adhéré à une association d’assistance au suicide. L’aumônier doit être capable d’entendre sans jugement. Dans le respect de la personne, il faut d’abord comprendre avec elle pourquoi elle a effectué cette démarche. Souvent, s’inscrire à Exit signifie vouloir se préserver d’une fin dans la souffrance et la solitude: c’est comme une pseudo-assurance. Ce qui est tout de même assez éloigné de la question du suicide en soi. En ce sens, il est utile de rappeler que les ‘directives anticipées de fin de vie’ ne peuvent pas prévoir l’assistance au suicide.

“Il m’apparaît essentiel de rester très humble”

Cette première démarche, grâce à cette écoute et cette pédagogie du pas à pas, permet assez souvent de ‘désamorcer’ le processus du suicide. Si la personne persiste ou évolue peu à peu vers l’acceptation de l’idée du suicide, l’accompagnement ne doit pas pour autant cesser. Il ne faut pas couper les ponts. Nous ne sommes pas là pour juger, mais pour rester proches et ne pas démissionner devant la réalité du suicide, même si elle nous met mal à l’aise et nous déstabilise. Il est important de rappeler que la conscience est comme un sanctuaire inviolable.

Michel Fontaine, dominicain engagé dans l’enseignement et la recherche dans les milieux de la santé, des sciences sociales et de l’éthique.

Comment agir lorsque des personnes engagées dans cette démarche demandent le sacrement des malades?
Nous devons développer une réflexion théologique et pastorale dans le respect d’une certaine gradualité, autrement dit, une approche progressive dans l’espérance bien sûr de faire émerger une nouvelle dynamique qui permet d’accompagner la vie jusqu’à la mort. Si, sur ce chemin très souvent ‘clair-obscur’, la personne demande la grâce du pardon parce qu’elle est consciente de sa fragilité, de ses limites, au nom de qui et de quoi pourrions-nous la lui refuser? Nous ne savons pas ce qui se passe au plus profond d’elle-même. Il se peut en effet, que dans un temps qui échappe autant à elle qu’à nous, sa demande resurgisse de prendre la potion létale. L’accompagnement, si la personne continue à le demander, reste toujours ouvert. La temporalité de ce processus est imprévisible. Une seule exigence nous incombe: être disponible. N’avons-nous pas à prendre en compte la réalité de cette incertitude fondamentale qui vient creuser toute fin de vie, quelle qu’elle soit? Le sacrement des malades, comme celui de la réconciliation, est le lieu de la grâce où la personne doit se sentir entendue, écoutée, reconnue et portée par une confiance, celle que Dieu lui fait au plus profond de son humanité. C’est là que se réalise le mystère du sacrement.

Pas de schéma standard ou de protocole?
Il est vrai que la situation demande à l’aumônier d’entrer dans une zone grise dans laquelle il ne faut pas avoir peur de se laisser conduire ‘jusque dans les méandres les plus secrets’ de l’autre. Nous sommes incapables de mesurer les conséquences de notre écoute et de notre présence: elles peuvent être l’ouverture à une décision différente.

La question de la cohérence avec la foi catholique et avec le sens d’un sacrement se pose tout de même.
Il s’agit à la fois de montrer l’importance de cette cohérence tout en tenant compte de la fragilité humaine d’une personne confrontée à sa propre fin et effrayée par la mort. Nous ne pouvons donc pas proposer un schéma standard ou satisfaire à un protocole établi à l’avance. On reste dans la singularité déjà évoquée et on laisse l’aumônier maître de sa décision quant à la manière de vivre cet accompagnement.

Comme dans tout accompagnement spirituel, la démarche de cohérence et de vérité concerne autant l’aumônier que la personne. Quelqu’un qui demande la grâce du pardon se trouve probablement à un point nodal de son existence. Il cherche à redécouvrir comment le Seigneur peut encore être présent dans sa vie et comment retrouver l’espérance et la force. C’est là aussi toute l’importance de la temporalité.

Sans critères de jugement objectifs, l’aumônier peut être en difficulté.
La difficulté est déjà là au moment où il commence à accompagner une personne en fin de vie indépendamment de la problématique du suicide assisté. Un aumônier qui sent que les choses sont trop difficiles pour lui doit pouvoir le partager, soit dans une équipe, soit avec un référent. Mais je pense qu’il y a encore plus de mal à proposer une grille ou une recette inapte à absorber la globalité complexe d’une telle situation.

Jusqu’ou peut-on accompagner une personne qui maintient sa décision de se suicider?
L’enjeu fondamental est de ne pas abandonner les personnes, même dans des choix qui sont contraires à l’enseignement de l’Eglise. Le Christ n’a jamais abandonné quiconque. Nous avons souvent l’expérience de personnes qui meurent naturellement avant de faire le geste du suicide. Selon mon hypothèse, mais qui est assez bien vérifiée, dès qu’une personne se sait reconnue, entendue, écoutée dans sa propre vérité, sans jugement, un processus de libération se met en route et aboutit à accepter de lâcher prise et de mourir naturellement. Elle a pu, peut-être inconsciemment, évacuer, exorciser ce choix qu’elle avait fait de vouloir se suicider. En tout cela, il m’apparaît essentiel de rester très humble.

Un aumônier peut-il être présent au moment où la personne va absorber la potion létale?

Je ne me suis jamais trouvé dans une telle situation. Mais personnellement, je peux imaginer que je puisse être présent, sans pour autant cautionner l’acte. Il faudrait que cela soit une personne que j’aie pu accompagner un certain temps, que je connaisse assez bien et qui me demande d’être là. Je m’assurerais aussi que l’environnement soit informé du pourquoi je suis présent et du fait que je ne soutiens en aucun cas l’acte du suicide. Entre le oui et le non, il y a peut-être une troisième voie, celle de la présence qui dépasse tout discours, parce que je suis convaincu que là, le Christ est présent et pleure devant la mort de cette personne. L’un des maîtres-mots est la vérité avec la personne, avec les gens qui l’entourent et avec soi-même. Mais par exemple donner l’eucharistie à ce moment-là me paraît impensable. C’est une ligne rouge infranchissable. Bien évidemment, aucun aumônier ni agent pastoral ne doit se sentir contraint d’aller au-delà de ce que lui-même peut supporter: il importe d’aller le plus loin possible.[print-me]

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