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Michel, quelle place prend la famille dans ta vie?

Ma famille tient un rôle fondamental au sens du mot « fondement ». Elle est le lieu principal de ma vie en complémentarité avec celui de la rue qui est le lieu de mon travail. Quand je me débarrasse de mes habits de balayeur de rue et que je retrouve ma famille, je suis moi. Auprès des personnes qui me sont le plus proches sur le plan naturel, en famille, je me trouve être le plus moi-même. Ma famille est le lieu fondamental de ma vie.

Tu es père de famille nombreuse…

Oui, ma femme Claudine et moi sommes parents de 7 enfants âgés de 27 à 14 ans, 4 fils et 3 filles. Une famille nombreuse où les enfants restent longtemps à la maison. En effet, l’aîné vient tout juste de quitter le foyer à 27 ans. Il a terminé ses études d’économie à l’Université et travaille maintenant à Berne à la Poste. Il s’est installé en colocation avec deux copains. Les six autres sont aux études et vivent chez nous. Bien sûr, ceux qui sont majeurs mènent leur propre vie. Leur vie affective les transporte déjà un peu hors de la famille.

Quelles études suivent les enfants?

Le deuxième suit le parcours de son frère aîné et étudie donc l’économie à l’Université; la troisième fait elle aussi des études universitaires pour devenir professeur de sport; la quatrième est à la Haute Ecole Pédagogique pour devenir enseignante d’école primaire; le cinquième est au collège et prépare son bac; les deux derniers étudient au cycle d’orientation.

Etait-ce un choix d’avoir une famille nombreuse?

En fait, nous avions décidé d’avoir au moins trois enfants … Puis, nous n’avons rien fait contre la possibilité d’en avoir davantage. Nous avons simplement laissé ouverte la possibilité d’avoir une grande famille. Les enfants sont arrivés tous les deux ou trois ans sans l’avoir planifié… Et on est très heureux…

Quelle a été ta formation et quel métier pratiques-tu aujourd’hui?

De formation, je suis employé de commerce. J’ai obtenu un diplôme commercial au Collège St-Michel et j’ai fait ensuite de la théologie à l’Ecole de la Foi. J’ai toujours eu un grand intérêt pour les sciences humaines, pour les humanités, plutôt que pour les branches scientifiques. Les langues anciennes m’intéressent beaucoup ainsi que l’histoire et la philosophie. Je garde le plaisir d’apprendre, la joie de lire et d’étudier pour mieux découvrir ce qui touche à l’humain. Les sciences ne sont pas mon fort.

Il y a 27 ans, à la fin des études, j’ai fait le choix de travailler à la ville de Fribourg, comme balayeur de rue et je n’ai plus quitté cet emploi. Je ne le regrette pas.

Subviens-tu aux besoins de ta famille avec ton seul salaire?

Oui, nous vivons avec un bas salaire, celui de balayeur de rue, et Claudine est mère au foyer. De plus, nous avons construit une maison et avons donc une dette hypothécaire importante. Pourtant, jusqu’à maintenant, nous ne sommes pas aidés par qui que ce soit. Il faut reconnaître que nous vivons dans un pays qui a de bonnes prestations familiales. On a de la chance. Je perçois des allocations familiales convenables et paye de faibles impôts. La situation est peut-être un peu plus dure maintenant alors que les enfants grandissent et s’en vont de la maison. Mais pour l’instant nous vivons au jour le jour. «Demain aura soin de lui-même » nous dit l’Evangile.

Il est vrai que nous pouvons aller de l’avant ainsi car nous avons des filets comme les trapézistes du cirque. En effet, mes parents ne sont pas pauvres et bien que jusqu’à maintenant nous n’ayons pas eu besoin de leur aide, nous savons, tout comme mes deux frères, que si un jour nous nous trouvons dans une situation plus difficile, nous pourrons compter sur eux. Jusqu’à maintenant nous avons toujours pu maîtriser notre vie de tous les jours sur le plan financier parce que les conditions salariales et les prestations familiales en Suisse sont bonnes.

Comment vis-tu ta relation de père envers les enfants?

Etre père c’est quelque chose de naturel. Je peux bien me reconnaître dans mes enfants. C’est certainement l’habitude de vivre ensemble, la promiscuité, qui rend plus facile l’apprentissage. Nous apprenons aussi les uns des autres. Le lien avec mes enfants est naturel, mais il me remet en question. J’ai à apprendre comment être père.

J’ai des relations très personnalisées avec mes enfants. Je pense toujours à cet apophtegme des pères du désert qui raconte qu’un disciple qui en faisait voir de toutes les couleurs à son père spirituel lui demanda pardon avant de mourir. Celui-ci l’embrasse et lui dit: « Tu m’as appris à devenir moine ». De même, mes enfants, en tout cas les plus difficiles, m’ont appris à devenir père, à remplir un rôle d’autorité que je n’ai pas naturellement, mais que j’ai appris grâce à eux. Dans le judaïsme il est dit: « J’ai beaucoup appris de mes maîtres et encore davantage de mes disciples ».

D’une certaine manière nos fils et nos filles sont des disciples. Un enfant est quelqu’un qu’on doit éduquer, à qui ont doit apporter quelque chose pour le faire grandir. Un enfant, c’est gratifiant. Mais le devoir de père n’est pas toujours facile à assumer. Je le dis pour ce qui me concerne car j’ai dû apprendre l’autorité et à sortir de moi-même, alors que je suis plutôt un solitaire. C’est paradoxal…

En tant que parents, vous êtes-vous mis d’accord sur quelle éducation donner aux enfants?

En général, nous avons toujours été sur la même longueur d’onde concernant la manière d’élever les enfants… En effet, ma femme et moi sommes très proches, non seulement spirituellement mais aussi culturellement. Nous avons tous deux grandi à Fribourg et reçu la même formation scolaire, religieuse, sociale. Je ne dis pas qu’il faut être de même culture pour s’entendre. Mais c’est peut-être plus facile sur certains aspects.

Claudine et moi n’avons jamais eu de schéma théorique et préétabli par rapport à ce qu’il y avait à faire. Nous transmettons ce que nous avons reçu de par notre propre éducation. Chacun ressemble à ses parents, tout en ayant une touche personnelle et en essayant de faire mieux qu’eux. Il arrive tout de même qu’on fasse des choses qu’on ne voudrait pas. Alors on est heureux que nos enfants puissent vivre d’autres expériences. Par exemple, mes enfants ont chanté dans un chœur d’enfants. Ils ont pu vivre là quelque chose que ma femme et moi ne leur donnions pas, n’étant pas nous-mêmes des personnes très expansives. Cet apport extérieur a été très positif pour nos filles. Il est des choses qu’on n’a pas et que les enfants doivent aller chercher ailleurs.

Le christianisme est une grande famille dans le sens qu’il apporte quelque chose dont nous sommes imprégnés.

Y a-t-il des règles spécifiques à suivre pour bien gérer la vie de famille?

Les règles, chez nous, ne sont pas très précises et n’ont pas été déterminées d’avance. Ma femme est assez stricte et moi je suis quelqu’un de plutôt bien organisé. On maintient des règles, mais toujours très humainement. Chez nous ce n’est pas très « ordré », par exemple. L’ordre et la propreté sont à notre service, mais pas le contraire.

Avez-vous éduqué les enfants dans la foi chrétienne?

Nous nous définissons comme une famille chrétienne, tout en ayant une vision humaniste. Il existe différentes tendances dans le christianisme. Nous sommes plutôt pragmatiques. Nous tenons compte du monde qui nous entoure. Ce n’est pas toujours facile. Nous avons remarqué que l’éducation a été très différente entre le carré (nos quatre aînés), et le triangle (les trois derniers). En effet, autour de nous le monde a beaucoup évolué au cours des ans, avec les médias et l’arrivée des technologies nouvelles. Nous avons beaucoup joué aux jeux de société avec les aînés. Les derniers ont suivi le courant de la société et nous n’avons pas jugé bon d’interdire, par exemple, l’usage des portables, ipod ou autre. Tous nos enfants cependant font beaucoup de sport. Cela éveille en eux un côté social et l’ouverture vers l’extérieur. Il est nécessaire d’avoir des activités qui ouvrent l’esprit.

Comment les enfants répondent-ils à l’éducation religieuse?

La pratique religieuse s’est imposée à nos enfants dès leur plus jeune âge, surtout aux quatre aînés. Je pense que la messe est une atmosphère, tout comme la prière, dont l’enfant s’imprègne depuis tout petit. Claudine et moi sommes mariés à l’Eglise catholique, tout en ayant une foi œcuménique. Nous nous sommes rencontrés alors que nous faisions partie d’un groupe évangélique. Après notre mariage à l’Eglise catholique, nous avons aussi connu le monde byzantin. Je chante toujours d’ailleurs dans un chœur de rite byzantin. Nos premiers enfants plus que les trois derniers ont été baignés dans cette atmosphère religieuse.

Certains de nos enfants sont croyants pratiquants, d’autres moins. Les trois derniers ont plus de peine, probablement parce que leurs amis ne vont pas à l’église. Il faut reconnaître que depuis quelques années la présence de la foi chrétienne dans notre société a baissé. Nos enfants n’ont pas été mis sous un couvercle familial pour les soustraire à toute influence extérieure qui nous semblerait mauvaise. Au contraire, nous avons toujours essayé de trouver un équilibre entre ce que nous leur offrons et ce que la société pouvait leur apporter de positif.

Qu’est-ce que la religion apporte à la famille?

Le christianisme est aussi une grande famille dans le sens qu’il apporte une tradition, quelque chose dont nous sommes imprégnés. De cette appartenance découle une harmonie, un équilibre sur le plan du comportement. On en reçoit une certaine douceur, une maîtrise de soi. La paix, la douceur, une certaine sérénité. Ces vertus reçues du christianisme, nous tâchons de les transmettre à nos enfants.

Quels liens vivent les enfants entre eux?

Je pense qu’aujourd’hui, à la différence d’autrefois, les enfants de famille nombreuse restent plus longtemps à la maison. De cette façon, leurs liens grandissent avec eux. Il y a presque quatorze ans d’écart entre notre aîné et le dernier, une grande différence d’âge, et pourtant le lien qui unit nos enfants est très fort. Certainement, parce qu’ayant vécu longtemps ensemble ils se connaissent très bien. Ce n’est pas à comparer avec une famille de l’ancien temps où il y avait une autre dynamique familiale. Certaines choses se ressemblent, bien sûr. Mais, autrefois, avec quinze ans d’écart, les derniers ne connaissaient pas très bien les aînés qui avaient déjà quitté la maison pour travailler. Chez nous, au contraire, le cadet a vécu quatorze ans avec tous ses frères et sœurs. Les liens sont donc très étroits entre tous.

En peu de mots, comment définir la famille?

La famille se construit à partir de relations. C’est un chemin et un vivre ensemble.

La vie continue, on n’est jamais au bout du chemin.

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Michel Simonet, 52 ans, et son épouse, Claudine, ont sept enfants. Après avoir obtenu un diplôme commercial, Michel Simonet étudie la théologie et opte ensuite pour le métier de balayeur de rue. Travail qu’il poursuit aujourd’hui. Depuis 27 ans, Michel est toujours au service de la voirie de la ville de Fribourg en Suisse.

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