Zurich – Revue Sources https://www.revue-sources.org Wed, 04 Jan 2017 12:50:47 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.3.1 La première «Zürcher Bibel» https://www.revue-sources.org/premiere-zurcher-bibel/ https://www.revue-sources.org/premiere-zurcher-bibel/#respond Wed, 15 Jun 2016 01:35:21 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=1386 [print-me]

Le frère Clau Lombriser a participé le jeudi 12 mai 2016 au vernissage à Zurich de l’édition d’extraits de la première version de la Bible en langue allemande. Une œuvre attribuée au Frère dominicain Marquart Biberli qui vivait dans notre couvent de Zurich au début du XIV ème siècle.

Un moment mémorable pour notre famille dominicaine suisse qui prit une part décisive à l’édition de cette Bible dont voici les références:

Marquart Biberli, Die erste Zürcher Bibel
Die Erste Zürcherbibel
Erstmalige teilweise Ausgabe und Uebersetzung der ältesten vollständig erhaltenen Bibel in deutscher Sprache.
Eingeleitet, herausgegeben und übersetzt von Adrian Schenker, Raphaela Gasser und Urs Kamber.
Academic Press Fribourg, 2016

Deux siècles avant la Bible de Zwingli

Les Eglises de la Réforme sont à juste titre fières de leurs Bibles en langue vernaculaire. C’est le cas de l’Eglise de Zurich, héritière de la célèbre Zürcher Bibel, traduite en allemand à partir de l’hébreu et du grec par le réformateur Huldrych Zwingli et ses collègues et parue en 1531. Présentée comme Première Bible intégrale en langue allemande, elle connaîtra de nombreuses rééditions dont la dernière remonte à 2007.

Récemment, des recherches approfondies menées par une équipe sous la direction du professeur Adrian Schenker (Fribourg) sont venues rappeler que la première édition complète de la Bible en allemand remonte à quelques 200 ans avant la Bible de Zwingli.

Oubliée ou ignorée de la recherche scientifique, elle aurait vu le jour 200 ans plus tôt, entre 1300 et 1330, également à Zurich, vraisemblablement dans l’entourage du couvent des Prêcheurs dont l’église connue sous le nom Predigerkirche existe encore de nos jours. Le professeur Schenker pense même pouvoir attribuer cette toute première traduction de la Bible en allemand (Mittelhochdeutsch) à un Frère Dominicain de ce même couvent du nom de Marchwart Biberli (lire SOURCES 2015/3).

Dernièrement, une illustre assemblée de collègues et amis de l’auteur à assisté à la maison «Karl der Grosse» à Zurich au vernissage du livre présentant les résultats de cette recherche et appuyant ces quelques thèses qui viendront bouleverser l’histoire de la Bible en ses traductions allemandes.

A fait l’honneur d’assister à ce vernissage également Konrad Schmid, professeur d’Ancien Testament à Zurich et co-auteur de la nouvelle «Zürcher Bibel», lequel s’est déclaré heureusement surpris de se trouver confronté à une traduction de la Bible dont il ignorait jusqu’à son existence. Le professeur Schmid a remercié les auteurs d’avoir restitué cette Bible presque oubliéede la science et du grand public.

Une hypothèse à confirmer

Certes, le livre présenté à Zurich par le professeur Schenker n’a nullement l’ambition de clarifier définitivement une page de l’histoire de la Bible dans ses traductions. Bien au contraire, il entend ouvrir d’autres pistes de recherches qui devront aboutir tôt ou tard à une édition intégrale et scientifique de la Bible de Biberli. Si l’attribution de cette traduction au dominicain Marchwart Biberli relève davantage de l’hypothèse que de la certitude, on pourra d’ores et déjà retenir Zurich comme son milieu d’origine.

Zwingli et ses compagnons de route partageront un jour la même ambition qui habitait, quelques deux cent ans plus tôt, les Prêcheurs de Zurich

Le livre du professeur Schenker ne donne pour l’instant qu’un avant goût de cette toute première Bible alémanique, grâce à 17 extraits de chapitre en version originale parcourant l’ensemble des livres bibliques, tous accompagnés d’une traduction en Hochdeutsch. Cette partie du travail est due aux médiévistes Raphaela Gasser et Urs Kamber, co-auteurs du livre ici présenté. La lecture à haute voix de quelques passages originaux de la Bible de Biberli a fait le bonheur de l’auditoire familier du parler alémanique.

Les auteurs de la Erste Zürcher Bibel tiennent à présenter leurs recherches sous l’angle de la continuité. Ils font tout simplement remonter davantage dans le temps le travail des réformateurs zurichois qui viendront rendre, quelques deux siècles plus tard, la parole de Dieu définitivement au peuple de Dieu. Zwingli et ses compagnons de route partageront un jour la même ambition qui habitait, quelques deux cent ans plus tôt, les Prêcheurs de Zurich, sous la plume, vraisemblablement, d’un certain Marchwart Biberli. Ils le feront – inestimable nouveauté – non pas à partir de la Vulgate latine, mais de l’original hébreu et grec.

La marque dominicaine

Le vernissage de la Erste Zürcher Bibel en cette année 2016 est aussi à considérer comme un hommage rendu à l’Ordre dominicain qui, fort d’une histoire qui comporte autant de pages sombres que des pages lumineuses, commémore en 2016 les 800 ans depuis sa fondation par l’espagnol Dominique de Guzman.

Qui plus est: cet hommage à Saint Dominique est rendu par une équipe appartenant aux trois branches de son Ordre, à savoir un frère de la province dominicaine suisse, une sœur de la congrégation des Dominicaines d’Ilanz, un membre laïc du tiers Ordre de saint Dominique. La satisfaction qui se lisait sur leurs visages était légitime.

Dans sa préface, les auteurs font mémoire du dominicain Franz Müller, disparu prématurément en 2012 et qui avait tissé, ensemble avec sœur Ingrid Grave op, un apostolat intense entre les Prêcheurs revenus à Zurich dans les années 1950 et les responsables de la Predigerkirche, devenue à la Réforme une des quatre églises protestantes de la vieille ville.

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Clau Lombriser

Clau Lombriser

Clau Lombriser

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Jubiler: en trois temps! https://www.revue-sources.org/jubiler-trois-temps/ https://www.revue-sources.org/jubiler-trois-temps/#respond Wed, 30 Mar 2016 09:09:29 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=1186 [print-me]

A l’initiative des frères la communauté Saint-Nicolas de Myre, la «Predigerkirche» de Zurich a laissé la joie du Jubilé de l’Ordre retentir le 13 novembre 2015. Parmi les invités, outre les frères et les sœurs de saint Dominique, se trouvaient les amis de notre Ordre et des membres des communautés religieuses de Zurich. Monseigneur Pierre Henrici, le vicaire général Joseph Annen et l’abbé d’Einsiedeln Urban Federer nous ont réjoui de leur présence. Une communauté vibrante s’est ainsi retrouvé pour un moment de célébration en trois temps.

La Bible du frère Biberli

Le premier temps avait pour centre d’intérêt le frère Marchwart Biberli. Celui-ci est né en 1265 à Zurich et probablement décédé en 1330. Le frère Marchwart a été lecteur du couvent de Zurich en 1320 et prieur de la communauté en 1325.

Le frère Adrien Schenker nous a introduit à la première traduction en allemand de la Bible par ce frère amoureux de la Parole. Nous avons quelques fragments de cette Bible datée entre 1300 et 1330. Le frère Adrien travaille actuellement sur ces textes en vue de la publication d’un livre.

Sœur Raphaela Gasser nous a montré comment la langue utilisée par le frère Marchwart Biberli est encore compréhensible aujourd’hui: un «majestätische Gott»proche de nous aujourd’hui! En 1330 la ville de Zurich comptait 5000 habitants. Beaucoup de couvents se trouvaient en ville à cette époque, en particulier les ordres mendiants. Pour les moniales dominicaines aussi présentes il était important que celles-ci puissent avoir une Bible en allemand pour leurs étude et leur prière.

Vêpres solennelles

Le deuxième temps a été la prière solennelle des Vêpres chantées par les frères et les sœurs en un «chœur unanime». Un moment fort pour se rappeler des merveilles du passé de l’Ordre et orienter l’avenir dans l’espérance. Notre prière bien ancrée dans le temps a rejoint la voute céleste par l’encens et la ferveur de communion des cœurs.

Paroles libéréres

Le troisième temps s’est déroulé dans les allées latérales de l’église. Un moment convivial où chacun a pu échanger sur ce qui venait de se vivre et reprendre quelques forces pour la route. Les paroles se sont libérées pour une rencontre pleine d’humanité.

Ainsi fidèle à l’intuition de Dominique nous avons pu étudier – prier – vivre en frères et sœurs la joie de la Parole. Merci au frère Marchwart Biberli pour sa traduction en langue vivante de la Parole de Dieu!

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Didier Boillat

Didier Boillat

Communication du frère Didier Boillat, de la communaité de Zurich

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Le paysage dominicain suisse https://www.revue-sources.org/le-paysage-dominicain-suisse/ https://www.revue-sources.org/le-paysage-dominicain-suisse/#respond Fri, 01 Jan 2016 08:03:41 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=409 [print-me]

Vu sa menue taille géographique et son importance historique toute relative, le paysage dominicain couvrant l’actuelle Confédération helvétique se révèle étonnamment riche et varié, et cela dès la fondation de l’Ordre des Prêcheurs par saint Dominique en 1215/1216.

Implantations médiévales

Situé au cœur de l’Europe, le plateau suisse qui s’étend entre le Lac Léman et le Lac de Constance a rapidement vu naître des couvents de frères rattachés à l’une ou l’autre des Provinces voisines : Zurich en 1229/1230, Bâle en 1233, Lausanne en 1234, Genève en 1263, Berne en 1269, Coire entre 1277 et 1280, Zofingen en 1286, auxquels viendront se joindre deux couvents plus tardifs, Coppet en 1499 et Ascona au XVIe siècle. Faut-il rappeler ici l’importance des couvents voisins de Constance et de Strasbourg, véritables foyers de la mystique rhénane dont l’histoire retiendra à jamais trois noms : Maître Eckhart, Henri Suso et Jean Tauler. Saint Nicolas de Flüe, patron de la Suisse, en fut lui-même influencé.

L’implantation des monastères de moniales n’a pas tardé à suivre. De son histoire riche et complexe, retenons les noms de ceux qui existent encore de nous jours : St-Gall/Wil (1228/1607), Weesen (1256), Constance (1257), Estavayer-le-Lac (avant 1303/1316), Schwytz (avant 1303) et Cazis (refondation en 1647).

En ce qui concerne les couvents de Töss, Oetenbach et Sankt Katharinenthal, aujourd’hui disparus, ils ont connu au XIVe siècle une vie spirituelle intense grâce à des échanges fructueux avec des frères dominicains. En témoigne la correspondance d’Elsbeth Stagel, du monastère de Töss, avec Henri Suso. Quant au rayonnement des couvents de frères, des recherches récentes sont venues attribuer la première Bible complète en version allemande, non pas à Luther, mais à Marquart Biberli, un frère du couvent de Zurich, au début du XIVe siècle (Sources 2015/3).

Quelque trois siècles après leur fondation, la Réforme viendra mettre fin à l’ensemble des couvents de frères, y compris à ceux qui s’étaient ralliés à la réforme interne (Bâle, Berne…), tout comme à un certain nombre de monastères. Tandis que les bâtiments conventuels ont partout disparu, les églises des Prêcheurs subsistent dans toute leur splendeur à Berne (église réformée française), à Bâle (église catholique chrétienne) et à Zurich (paroisse réformée zu Predigern). Cette dernière a noué depuis deux décennies des liens prometteurs avec les Dominicains et les Dominicaines de Zurich, notamment dans le domaine de l’accueil et de l’animation liturgique et spirituelle. En l’an 2000, la Predigerkirche a offert l’hospitalité pour l’ordination sacerdotale d’un frère dominicain. Une première depuis la Réforme!

Le temps de la restauration

Il aura fallu attendre presque 400 ans avant de voir des Frères Prêcheurs revenir en Suisse. Les premiers, venant de France et d’Allemagne, vont répondre à l’appel des fondateurs de l’Université de Fribourg qui confiaient à l’Ordre dominicain l’enseignement de la théologie et de la philosophie dans une nouvelle faculté, à mettre sur pied de toutes pièces. La maison de l’Albertinum ouvre ses portes en 1890, discrètement, car la Constitution suisse interdisait à l’époque la fondation de nouveaux couvents. Quant à celui de St-Hyacinthe, également en ville de Fribourg, ses origines remontent aux débuts du XXe siècle, avec l’arrivée de frères français chassés de leur pays à la suite des lois antireligieuses de 1905. La maison ne deviendra couvent qu’en 1943, en attendant la fondation d’une Province suisse qui sera formalisée en 1953.

« L’essor, au XXe siècle, de la vie dominicaine féminine rendra à l’Ordre des Prêcheurs en Suisse une surprenante visibilité ».

L’ancien couvent de Genève fut rétabli en 1951, d’abord à Annemasse (France) avant d’être transféré à Genève en 1953. Suivra la fondation d’une maison à Lucerne en 1941. Le couvent de Zurich fut refondé en 1959. Deux autres fondations, éphémères celles-ci, eurent lieu à Bâle et à Lausanne.

Les sœurs ne sont pas en reste

Quant à la vie dominicaine féminine, elle connaîtra au XIXe et au XXe siècle une véritable floraison, à l’image de tant d’autres communautés religieuses, grâce notamment à l’implantation de la Congrégation romaine de Saint-Dominique à Pensier et à Lucerne et grâce à l’arrivée des Dominicaines de Béthanie à Châbles et à Sankt Niklausen. La branche la plus nombreuse toutefois deviendra la Congrégation des Dominicaines d’Ilanz qui vient de fêter les 150 ans de sa fondation et les 125 ans de son affiliation à l’Ordre dominicain. Pas moins de 881 noms de religieuses figurent dans le registre de cette congrégation, dont 151 sont encore en vie. Ce nombre aura permis un rayonnement dominicain puissant dans les Grisons, en Suisse alémanique, en Allemagne, en Autriche et bien au delà en Chine/Taiwan et au Brésil.

Il convient de faire ici mémoire, plus particulièrement, de soeur Cherubine Willimann, moniale de Schwytz qui, en 1868, partit avec deux consœurs en Allemagne où elle fonda la solide Congrégation des Dominicaines d’Arenberg qui tient, de nos jours encore, une maison d’accueil à Rickenbach, la patrie de leur fondatrice.

L’essor, au XXe siècle, de la vie dominicaine féminine rendra à l’Ordre des Prêcheurs en Suisse une surprenante visibilité. Les liens voulus par saint Dominique entre couvents de frères et couvents de sœurs vont s’intensifiant, grâce entre autre à de nombreux frères qui en deviendront les aumôniers.

Les champs d’apostolat de ces Congrégations dominicaines étaient classiques, conformément à l’époque et à l’Eglise de ce temps, tournées vers l’enseignement et les soins des malades. Ce n’est que relativement tard que les sœurs dominicaines en Suisse se sont ouvertes à l’étude de la théologie et aux services de type pastoral.

Les Dominicaines de Bethanien à Sankt Niklausen méritent ici une mention spéciale. Leur tout nouveau couvent érigé en 1972 sur les hauteurs de Sachseln, à proximité de l’ermitage de saint Nicolas de Flüe, fut une des toutes premières maisons modernes d’accueil en Suisse. Son hôtellerie généreuse avec sa chapelle priante fut des années durant une référence pour le monde catholique de Suisse alémanique et même au-delà. Tout récemment, la maison de Bethanien a été confiée par les sœurs dominicaines à la Communauté du Chemin Neuf, tout comme, vingt ans plus tôt, la maison de Pensier avait été confiée à la Communauté du Verbe de Vie. Loin de disparaître, la vie évangélique se pérennise à travers le charisme de communautés nouvelles. A noter ici, en termes de vocations, la belle vitalité du couvent des Dominicaines de Cazis, quoique situé un peu à l’écart dans le canton des Grisons.

Rosaire et liturgie

Le paysage dominicain suisse, autre fait étonnant, ne s’est jamais exprimé qu’à travers ses couvents, ses frères et ses moniales, ses sœurs et ses fraternités laïques. Dans un pays excessivement marqué par le baroque religieux, l’Ordre de saint Dominique s’est aussi fait connaître à travers la prière du chapelet et les retables du Rosaire, leur expression iconographique.

On ne compte plus les très nombreux autels du Rosaire qui ornent les églises de campagne un peu partout dans les régions catholiques. La Vierge Marie, reine du Rosaire, remet un chapelet ou une chaîne de «roses» à saint Dominique, le fondateur des Prêcheurs. Les tableaux du Rosaire associent en règle générale à Dominique la plus célèbre des Dominicaines, sainte Catherine de Sienne. Certes, la dévotion du Rosaire était déjà en usage depuis le XIIe siècle chez les Chartreux, mais c’est sous l’influence des Dominicains qu’elle s’est largement développée, grâce aux confréries du Rosaire notamment.

En termes de spiritualité, le paysage dominicain suisse a été marqué ces dernières décennies par l’introduction de la «Liturgie chorale du Peuple de Dieu» composée par le dominicain André Gouzes à l’Abbaye de Sylvanès.

Jusqu’à nos jours, l’Ordre des Prêcheurs promeut la dévotion du Rosaire, notamment lors du traditionnel pèlerinage du Rosaire à Lourdes. Inauguré en 1903 par les Dominicains français, il draine annuellement près de 15’000 pèlerins et malades dans ce site marial. Un apostolat de la prière et de la transmission de la foi dans lequel s’investit aussi le couvent de Genève et sa dynamique fraternité laïque.

En termes de spiritualité, le paysage dominicain suisse a été marqué ces dernières décennies, et ceci est moins connu, par l’introduction de la «Liturgie chorale du Peuple de Dieu» composée par le dominicain André Gouzes à l’Abbaye de Sylvanès. Inattendue de la part de cet Ordre qui pourtant s’inscrit dans la tradition de l’office choral, la liturgie dite «tolosane» a puissamment renouvelé les offices des communautés dominicaines, en version allemande jusqu’ à Zurich et en Allemagne. Elle deviendra décisive pour l’entrée dans l’Ordre d’une jeune génération de Dominicains, notamment en France.

Quel avenir en suisse pour la famille dominicaine?

Pour ce qui est de l’avenir de la présence dominicaine en Suisse, les communautés de moniales méritent une considération à part. Certes, elles n’ont pas l’assurance de la pérennité, pas plus que les communautés de frères. Cependant, le fait d’avoir traversé sans interruption les siècles, nous reliant à travers elles aux origines de l’Ordre, parfois au bord de la fermeture ou de la suppression, ayant connu de belles embellies de ferveur spirituelle, prises aux pièges de la médiocrité et de l’insignifiance… nous fait croire et espérer en cette longue haleine dont les moniales ont le secret.

Contrairement aux sœurs, les frères de ce pays n’ont guère fondé ou mis sur pied des œuvres rattachées à la Province et appelées à durer et à être transmises. Les apostolats ont pris les marques et les visages des frères qui les portaient. Ministères individuels liés à de belles figures qui ont donné d’heureuses et fertiles réalisations, le plus souvent au service de l’Eglise locale. Les compétences professionnelles requises et acquises font que les Prêcheurs ne sont plus interchangeables.

Certains se souviendront encore des équipes de frères sillonnant à partir de leur couvent de Lucerne les paroisses alémaniques pour y prêcher les Missions populaires. L’enseignement de la philosophie dans les collèges d’Etat fut un autre domaine de prédilection des Dominicains suisses, tout comme l’animation des aumôneries auprès des trois universités romandes, Fribourg, Lausanne et Genève. De nos jours, les Prêcheurs sont en charge de la paroisse de St-Paul à Genève et de la Mission catholique de langue française à Zurich.

Saurions-nous taire ici la désaffection, ces dernières décennies, de nombreux frères qui ont réduit sensiblement le champ d’action de la Province, jusqu’à mettre en péril son avenir? Ces frères nous manquent! Mais, la page de la refondation dominicaine en Suisse est encore à écrire, tout comme la vie, les visions, les projets, le travail des frères et de leurs couvents de part et d’autre de la Sarine.

Vers une reconfiguration… sans frontières

Ce qui est certain est que la présence dominicaine sur le territoire suisse n’est pas forcément sur le point de disparaître, mais de se reconfigurer. La volonté de la petite Province suisse est de redoubler d’effort pour maintenir, si possible, les implantations de Zurich, Fribourg et Genève, villes attrayantes pour tout apostolat dominicain. Cela suppose un ajustement à l’Europe dominicaine. En fait, celle-ci est déjà une réalité. Une bonne moitié des frères dominicains, vivant et œuvrant sur le territoire suisse, est d’origine étrangère. Un Dominicain est un religieux sans frontières! De même, la Province suisse a, de tout temps et malgré sa fragilité, envoyé des frères prêcher «ailleurs», au Guatemala mais surtout au Rwanda/Burundi, où de nombreux frères ont exercé un ministère passionnant et contribué à l’implantation des Prêcheurs en Afrique.

Quant à la dynamique ville de Fribourg avec ses deux couvents bien garnis en frères étudiants, l’Albertinum et StHyacinthe, elle se profile depuis plus d’un siècle comme pôle d’enseignement universitaire et d’études théologiques, au service aussi bien de l’Ordre dominicain que de l’Eglise en Suisse. Dans cette reconfiguration de l’Europe dominicaine, plusieurs Provinces, dont celle de France, ont décidé récemment que leurs jeunes frères feront une partie de leurs études académiques à Fribourg! Cela se remarque et se ressent, tant dans les deux couvents qu’à l’université.

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Le frère dominicain suisse Clau Lombriser est Père-Maître des frères étudiants dominicains résidant au couvent St-Hyacinthe de Fribourg. Il est aussi membre de l’équipe rédactionnelle de la revue Sources.

 

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Les Prêcheurs de Zurich vivaient-ils hors les murs? https://www.revue-sources.org/les-precheurs-de-zurich-vivaient-ils-hors-les-murs/ https://www.revue-sources.org/les-precheurs-de-zurich-vivaient-ils-hors-les-murs/#respond Wed, 01 Jan 2014 13:06:35 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=178 [print-me]

Evoquer la présence des Frères Prêcheurs de Zurich en lien avec la thématique « Église hors les murs » semble à première vue paradoxal. Il est vrai que leur tout premier domicile, à Stadelhofen, était vraiment « hors les murs », mais leur couvent et les différentes églises et agrandissements ultérieurs furent construits à l’intérieur de la ville. La naissance des ordres mendiants allait en effet de pair avec le développement des villes, affirmant leur autonomie face aux princes et à l’empereur. Pour cette raison, les couvents des « mendiants » étaient quasiment toujours situés à l’intérieur des murs, étroitement liés au développement urbain ainsi qu’à l’implantation des premières universités. Ce fut la cas de Zurich lorsque les Dominicains s’y établirent en 1230.

Au XIIIe siècle, cette ville d’à peine 5000 habitants comptait sept couvents et chapitres avec leurs églises attenantes. Parmi les sept, cinq appartenaient à des ordres mendiants, dont trois couvents dominicains. L’église gothique des ‘Prediger’ est encore aujourd’hui une des quatre églises de la vieille ville. Du monastère d’Oetenbach ne subsiste qu’un petit bâtiment isolé, tandis que le couvent des sœurs de St. Verena n’est mentionné que par une plaque commémorative posée sur une maison du Niederdorf, non loin des ‘Prediger’.

Alors couvent « hors » ou « dans » les murs? Il faudrait mieux parler, en pensant aux trois siècles d’existence des Prediger à Zurich, d’un couvent en mouvement, qui se meut hors de ses murs. Un indice? Ce couvent était construit contre les murailles de la ville, proche d’une de ses portes. Une invitation faite aux Prediger de sortir de la cité pour rayonner hors de ses murs. Comment ont-ils répondu à cette invitation? Quatre illustrations qui pourraient servir de preuves.

Tout d’abord, un indice architectural. Les Dominicains de Strasbourg qui répondirent au vœu des autorités zurichoises de voir établi dans leur cité un couvent de Prêcheurs ne construisirent qu’un petit bâtiment à côté d’une petite chapelle mise à leur disposition par la municipalité. Un simple oratoire où les frères priaient avant de sortir pour prêcher sur les places publiques ou dans d’autres églises. Les bâtiments qui suivirent au milieu du XIIIe siècle comprenaient une « Leutekirche », église pour les fidèles destinée avant tout à la prédication, et un petit chœur séparé pour la communauté qui s’agrandit au fil des ans. Les Prêcheurs de Zurich suivirent le modèle de leurs frères de Toulouse qui construisaient l’église dite des Jacobins.

Les frères prêcheurs suivaient les mouvements d’une société en pleine évolution et de ce fait contribuaient à leur manière au développement d’une « Église hors les murs ».

A Zurich, une porte latérale s’ouvre encore sur la « Predigergasse ». Au moyen âge, plusieurs maisons de cette ruelle logeaient de béguines qui ne vivaient pas en béguinage. Femmes veuves ou célibataires, elles se réclamaient du mouvement « Armutsbewegung » ou « Frauenbewegung ». Proches des couvents dominicains ou franciscains, à qui elles faisaient don de leur maison, attendant en retour que les frères les accompagnent. Il semble que le conseil municipal de Zurich en invitant les Prediger dans leur ville avait aussi comme objectif de leur confier l’éducation des femmes. N’existait alors dans la cité qu’un seul institut d’éducation, celui des chanoines, réservé à la jeunesse masculine.

Les moniales dominicaines d’Oetenbach semblent provenir elles aussi de la mouvance de l’ « Armutsbewegung ». Leur monastère, un des premiers de la région alémanique, fut fondé « parce que des femmes voulaient vivre comme les frères prêcheurs ». Un chapitre général intima plus tard aux frères de Zurich comme à tant d’autres couvents de frères de ne plus incorporer de nouveaux monastères de moniales et donc de mettre fin à la direction qu’ils exerçaient sur celui d’Oetenbach. La chronique dit que les moniales de ce monastère furent assez astucieuses pour faire annuler cette décision.

Le monastère d’Oetenbach était-il « hors les murs »? Oui, en quelque sorte. Issues du « Frauenbewegung », les moniales participaient au mouvement de renouveau de l’Église. Oetenbach fut aussi un des centres du réseau de la mystique rhénane. Très probablement, Maître Eckhart, Jean Tauler et certainement Henri Suso y ont séjourné et prêché. A sa fermeture, le monastère comptait plus de 250 moniales. Ce chiffre en dit long sur le rôle important que joua cette communauté dans la cité. Nous savons aussi que Zwingli donna ses premiers sermons réformateurs dans l’église de ce monastère. Il pressentait que si ses idées avaient la faveur des moniales, il lui serait facile de gagner le reste de la cité.

Finalement, l’histoire nous apprend que le rayonnement d’un couvent dominicain ne se limitait pas au territoire d’une ville précise. Son espace de prédication allait bien au-delà. On appelait autrefois « predicatio » ou « termini », ou encore en allemand « Terminbezirk / Terminkreis » l’espace de prédication attribué à un couvent. Avec la fondation de nouveaux couvents en Suisse ou en Allemagne, le territoire assigné aux Prediger de Zurich, immense à ses débuts, se réduisit au fil du temps. Ce secteur était jalonné de maisons « terminales », pied-à-terre pour les frères en tournée de prédication. On a découvert et restauré l’une d’entre elles dans l’Oberland saint-gallois. Ces maisons ne se trouvaient pas dans les bourgs qui avaient déjà acquis un statut social et politique, mais dans les petites villes émergeantes grâce à un marché qui s’y développait. Les frères prêcheurs suivaient les mouvements d’une société en pleine évolution et de ce fait contribuaient à leur manière au développement d’une « Église hors les murs ».

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Viktor Hofstetter

Viktor Hofstetter

Le frère Viktor Hofstetter, ancien provincial des Dominicains suisses, exerce actuellement son ministère de prêcheur à la Mission Catholique de Langue française de Zurich, très proche de la « Prediger » qui abrita pendant trois siècles le couvent des Prêcheurs.

 

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