Vatican II – Revue Sources https://www.revue-sources.org Fri, 01 Jun 2018 08:57:50 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.3.1 Apostolat des laïcs: mission du Peuple de Dieu? https://www.revue-sources.org/apostolat-des-laics-mission-du-peuple-de-dieu/ https://www.revue-sources.org/apostolat-des-laics-mission-du-peuple-de-dieu/#respond Fri, 01 Jun 2018 04:36:04 +0000 https://revue-sources.cath.ch/?p=2661 «Il n’est pas question que j’entre dans une église, moi, je suis laïc.» Propos entendu lors d’une préparation au baptême. Un des membres de la famille avait ainsi déclaré sa «laïcité». Il est avéré que, dans les contrées francophones, le mot laïc se trouve affublé d’un nouveau sens. Il signifie à tout le moins une neutralité vis-à-vis du religieux institutionnel, quand il n’est pas une profession d’agnosticisme, voire d’athéisme.

Parler d’apostolat des laïcs demandera peut-être que l’on change d’expression. Faut-il abandonner le mot laïc? Ce ne serait pas catastrophique. Le mot laikos n’existe pas dans le Nouveau Testament; il n’est apparu que plus tard sous la plume de Clément d’Alexandrie. En revanche, le mot laos est bel et bien présent dans l’Ecriture. Il signifie le peuple, qui est convoqué par Dieu et qui s’engage dans la confiance devant son Dieu. Dans ce sens, que l’on pourrait dire originel, laïc signifie membre du Peuple de Dieu.

Il est significatif que le Concile Vatican II, après avoir parlé dans le chapitre premier de Lumen Gentium du mystère de l’Eglise, et donc de son lien vital, nécessaire et passionnant avec la Trinité sainte, ait consacré le chapitre suivant au Peuple de Dieu. Par le baptême (et la confirmation), la personne devient membre du Corps visible de l’Eglise et participe de la mission du Christ prêtre, prophète et roi. Cette mission est décrite dans les numéros 10 à 13 de Lumen Gentium. Sans entrer dans tous les aspects, on peut souligner que cette mission est faite d’offrande de soi (Romains 12, 1), de témoignage par la vie et par la parole, de service de la paix et de l’unité, en portant attention à la dignité de chaque personne. Cet engagement, confié à la liberté et la générosité de tout baptisé, est au fondement de la co-responsabilité de tous en Eglise.

Affirmations à nuancer

Plus loin, un chapitre, le quatrième, est consacré aux laïcs, en particulier pour les situer par rapport au ministère des évêques et des prêtres. On y lit: «le caractère séculier est le caractère propre et particulier des laïcs». Et, un peu plus loin: «La vocation propre des laïcs consiste à chercher le règne de Dieu précisément à travers la gérance des choses temporelles qu’ils ordonnent selon Dieu» (Lumen Gentium 31).

Certes, mais ces affirmations ont besoin de quelques nuances. Il fut trop simple de dire: aux laïcs, les affaires du monde; aux évêques et aux prêtres, les affaires de l’Eglise. Car, comme le Concile l’a souligné plus haut, les laïcs portent aussi responsabilité dans la mission de l’Eglise; et, d’autre part, évêques et prêtres ne sont pas absents des affaires du monde, dont ils ont mission de se préoccuper, comme le fait si bien le pape François à propos de l’écologie et des migrants.

Les laïcs ne sont pas les abeilles de l’évêque ou du curé.

C’est dans ce sens baptismal qu’il est parlé de l’apostolat des laïcs comme d’une «participation à la mission salutaire elle-même de l’Eglise (…) Les laïcs sont appelés tout spécialement à assurer la présence de l’Eglise dans les lieux et les circonstances où elle ne peut devenir autrement que par eux le sel de la terre» (Lumen Gentium 33), par exemple pour le respect de la création, pour une distribution équitable des biens, pour la lutte contre l’injustice, pour le respect de la dignité de chaque homme.

Déploiement des ministères laïcs

Le Concile fait même une ouverture vers l’engagement de laïcs pour la catéchèse, l’annonce de la Parole, l’accompagnement en vue des sacrements. A ce moment-là, c’était très nouveau. Aujourd’hui, cette porte ouverte permet le déploiement de nombreux «ministères laïcs»: assistants pastoraux, catéchètes, aumôniers d’hôpitaux ou de prisons, etc, lesquels contribuent à un redéploiement des ministères au sein de l’Eglise à partir des dons du baptême et de la confirmation.

Une mission qui vient de Dieu

Pourquoi employer l’expression «apostolat des laïcs»? Le Concile Vatican II a consacré tout un décret, Apostolicam actuositatem, à cette réalité. Au numéro 3, il écrit: «Les laïcs tiennent de leur union même avec le Christ Chef le devoir et le droit d’être apôtres. Insérés qu’ils sont par le baptême dans le Corps mystique du Christ, fortifiés grâce à la confirmation par la puissance du Saint-Esprit, c’est le Seigneur lui-même qui les députe à l’apostolat». Cette affirmation est de grande importance, car elle fait remonter l’engagement apostolique des laïcs au Christ lui-même.

Parfois, en effet, l’apostolat est présenté comme appartenant en propre à l’évêque, successeur des Apôtres. L’évêque le vit avec des collaborateurs, prêtres, diacres… et laïcs; ces derniers sont alors souvent désignés comme des aides nécessaires, du fait que l’évêque ne peut pas tout faire, même avec son presbyterium. Dans cette manière de voir, tout découle de l’évêque. Le texte du Concile ouvre sur une présentation différente des rôles respectifs de l’évêque et du laïc. Pour ce dernier, la mission d’être apôtre vient du Christ lui-même, et non pas par délégation de l’évêque. Mais cette mission doit se vivre en communion avec l’ensemble de l’Eglise, et en particulier avec l’évêque qui a la tâche de garantir la cohérence apostolique de ce qui se vit dans l’Eglise. Cette perspective est cohérente avec la grande ligne du Concile, qui commence par affirmer la mission de l’ensemble du Peuple de Dieu et qui poursuit en montrant que l’évêque (et le prêtre) sont au service du Peuple de Dieu et doivent veiller à la fidélité à la mission que le Christ a confiée aux Apôtres pour toute l’Eglise.

Donc, si l’on me passe l’expression, les laïcs ne sont pas «les abeilles de l’évêque (ou du curé)». Leur engagement a une consistance propre, venant du Christ dans l’Esprit, mais en communion avec l’Eglise, en particulier par le lien avec l’évêque (ou respectivement le prêtre). Revenons aux questions de vocabulaire. Le mot apostolat, en soi tout à fait exact, a trop souvent fait penser à cette manière de voir la tâche des laïcs de haut en bas, à savoir comme une députation de l’évêque à certaines tâches. Et le mot laïc, comme on l’a vu, a subi de fâcheuses dérives, en particulier en France. Dès lors, j’estime qu’il serait utile de changer d’expression. Je propose de parler de «mission des membres du Peuple de Dieu», même si c’est moins habituel et moins élégant. Si quelqu’un trouve une meilleure expression, qu’il en soit loué.

Qu’en est-il en réalité?

Ceci posé, il reste à promouvoir sans cesse la réalisation existentielle par chaque baptisé de la participation à la mission du Christ prêtre, prophète et roi. Elle peut se vivre de façon personnelle. Mais il est bon – pour ne pas dire nécessaire – qu’elle se vive aussi de façon communautaire à l’intérieur de groupes et de mouvements. Car, comme il est dit avec justesse quand il est parlé de pastorale d’engendrement, la croissance dans la foi se fait en bonne partie au sein de petites cellules d’Eglise, à la fois variées et reliées à l’Evangile, à la confession de foi, au pape et aux évêques.

Suisse Romande: richesse et diversité

Si l’on regarde le panorama de ces groupes et mouvements en Suisse romande, on peut constater qu’il est riche et divers.

Très importants furent les mouvements d’action catholique, en milieux ouvrier, rural, indépendant, estudiantin. Hélas, la relève est faible et beaucoup de groupes sont devenus vieillissants. Pourtant, la réflexion et l’action au sein des milieux de vie à partir de l’Evangile sont nécessaires, si l’on ne veut pas que la foi soit confinée à la sphère privée et spirituelle. Il reste à espérer que des chrétiens soient inspirés à trouver de nouveaux chemins qui permettent cette présence dans les différents milieux. Des promesses apparaissent. Des groupes de révision de vie sont en train de renaître; ils vont recréer, souhaitons-le, de nouveaux chemins pour réfléchir la vie sociale et professionnelle, en la pénétrant de valeurs évangéliques. Il faut accorder une mention particulière au MADEP (mouvement d’apostolat des enfants et préadolescents), qui garde une belle vitalité. Car il est précieux d’initier les tout jeunes à réfléchir leur vie scolaire, leur vie dans la rue, leur vie à la maison dans la lumière de l’Evangile.

L’intérêt pour la connaissance existentielle de la Parole de Dieu grandit. De nombreux groupes bibliques voient le jour. Et l’initiative de l’Evangile à la maison a permis la naissance de petites communautés de voisinage autour de la Parole.

De nombreux groupes sont désignés comme mouvements de spiritualité. Les équipes Notre-Dame pour les couples. Foi et lumière, à l’inspiration de Jean Vanier, pour les personnes avec un handicap mental et leurs amis. Espérance et vie pour les veuves. La Fraternité chrétienne des malades et handicapés. La Vie montante, mouvement chrétien des retraités. La prière et l’intériorité y sont cultivées, mais aussi l’amitié, la convivialité et la solidarité.

Dans la suite des anciens «Tiers-Ordres», groupes de laïcs vivant en lien avec une spiritualité particulière et très souvent avec une congrégation religieuse, on trouve le Mouvement franciscain laïc, les Fraternités dominicaines et des groupes carmélitains. Par ailleurs, de nombreux groupes sont nés au sein du Renouveau charismatique

Dans la ligne de la diaconie et de la solidarité, on trouve les Conférences saint Vincent de Paul, l’ACAT (pour l’abolition de la torture), beaucoup de groupes de visiteurs de malades, et, plus institutionnels mais si précieux, Caritas ou l’Action de Carême.

Une liste non exhaustive

Ma liste n’a aucune prétention à être exhaustive. Elle devrait encore comprendre tous les groupes de laïcs qui oeuvrent au sein des paroisses ou des unités pastorales et qui sont de beaux témoins de la responsabilité de tous les baptisés. Que me pardonnent donc ceux qui se sentiraient par trop oubliés. Ma liste se veut plutôt illustrative, de deux aspects.

D’abord, ces mouvements reflètent toute la palette de la participation au Christ prêtre, prophète et roi-serviteur. Vivre dans l’Esprit, c’est un engagement sacerdotal. Cultiver la Parole dans la vie, c’est un rôle prophétique. Servir la justice, exercer la solidarité, cela fait partie de la fonction royale, qui est précisément le service de tous les hommes dans la justice et la paix, en respectant l’infinie dignité de chaque personne.

Puis, il faut avouer que ces mouvements vivent et meurent. N’est-ce pas une marque du fait d’être vivants? Avec reconnaissance, on peut regarder ceux qui ont accompli leur tâche et qui laissent la place à de nouvelles pousses. Avec joie, on peut constater que de nouvelles créations se mettent en place. Autrement dit, le tissu de l’engagement des baptisés, aux couleurs variées et complémentaires, est encore fécond. Et il porte du fruit, pour que la foi soit vécue dans toute la vigueur que donne le baptême.

Que vive donc la mission co-responsable de tous les membres du Peuple de Dieu, dans un esprit de communion ecclésiale et au service d’un monde de lumière et d’amour.


Marc Donzé, prêtre et théologien du diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg. Professeur de théologie pastorale, il assuma aussi la charge de Vicaire épiscopal dans son diocèse.

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Penser le laïcat? https://www.revue-sources.org/penser-le-laicat/ https://www.revue-sources.org/penser-le-laicat/#respond Fri, 01 Jun 2018 04:34:38 +0000 https://revue-sources.cath.ch/?p=2657 Qui sont les laïcs? En quels termes, dans quels contextes, sur quels appuis sacramentels, les «fidèles laïcs du Christ» «pensent-ils» leur identité? A la manière des membres d’une famille, comment définissent-ils leur place, leur rôle, le degré de leur intégration? Quel est leur rapport au sacré, à la loi, à la transcendance? Quel est enfin, leur passé, leur présent, et comment se projettent – ils dans l’avenir?

Si l’on cherche à donner ces repères aux laïcs, on constate assez vite que les réponses manquent, ou qu’elles sont sujettes à des appréciations contrastées, donc compliquées à interpréter. Si incertaines, que l’on peut légitimement se demander s’il est possible aujourd’hui de répondre à la question posée…

En effet, dans l’Église, depuis un bon millénaire et demi, le laïc est en tension avec le clerc. Le clerc, qui reçoit le sacrement de l’Ordre, est l’homme qui est à la tâche dans l’institution, par le moyen des sacrements. En outre, depuis la réforme grégorienne (11-12e siècles), il assure toute responsabilité de gouvernement, de sanctification et d’enseignement (ce sont les trois charges ou «munera»). Les clercs sont les «piliers de l’Église» alors que les laïcs, bénéficiaires de l’action évangélisatrice des clercs, sont en charge de l’évangélisation du monde.

Comment ceux «qui ne sont pas» peuvent-ils se penser autrement que par soustraction de «ceux qui sont»?

Mais la clarté de ce partage est aujourd’hui brouillée. Vatican II a revitalisé la notion d’Église peuple de Dieu. Mais en encourageant vivement la formation et la prise de responsabilité des laïcs à l’intérieur même de l’Église, il n’a pu qu’engendrer une crise, dont on mesurera l’ampleur à partir de cette définition donnée par Jean-Paul II: les laïcs sont « l’ensemble des chrétiens qui ne sont pas membres de l’ordre sacré et de l’état religieux reconnu par l’Eglise[1]». Aïe! Comment ceux «qui ne sont pas» peuvent-ils se penser autrement que par soustraction de «ceux qui sont»? Devant le don de soi pour la vie entière qu’offre l’engagement du prêtre au célibat, à la pauvreté et à l’obéissance, comment estimer sans comparer l’état de vie du laïc, un état «commun», fait d’une négociation sans cesse ouverte en face de ses proches et… de son agenda? Comment ne pas se penser, consciemment ou non, comme un clerc au petit pied, aimanté par la figure de référence qui lui sert de miroir?

Certes, il est affirmé que le sacerdoce ministériel a sa finalité essentielle dans le sacerdoce royal de tous les fidèles et est orienté vers celui-ci[2]. Le frère Yves Congar dit d’ailleurs dans une formule puissante que «le peuple est le plérôme de la hiérarchie[3]». Certes, le pape François a rappelé que «les laïcs sont les protagonistes de l’Église et du monde ; nous sommes appelés à les servir, non à nous servir d’eux[4]». Certes, on dit volontiers que la tête (le clergé) ne peut rien sans les membres (laïcs). Il n’empêche que le laïc engagé dans l’Église n’a pour se penser que le modèle du clerc, un modèle qui n’est pas celui qu’il a choisi, mais qui reste «la» référence. Tel est le premier malaise.

Différence de nature, non de degré

Le malaise est amplifié par la réaffirmation appuyée de la différence «de nature et non de degré[5]» entre le clerc et le laïc, ce qu’explicite le canon 230 du Code de droit canonique: «Là où les nécessités de l’Eglise le conseillent, et à défaut de ministres sacrés, des laïcs peuvent, même sans être lecteurs ou acolytes, remplir en suppléance telle ou telle de leurs fonctions: ministère de la parole, présidence des prières liturgiques, administration du Baptême, distribution de la Sainte Communion, suivant les normes du droit». Et Jean-Paul II d’ajouter: «Il faut remarquer toutefois que l’exercice d’une telle fonction ne fait pas du fidèle laïc un pasteur[6]: en réalité, ce qui constitue le ministère, ce n’est par l’activité en elle-même, mais l’ordination sacramentelle. Seul le sacrement de l’Ordre confère au ministre ordonné une participation particulière à la fonction du Christ Chef et Pasteur et à son sacerdoce éternel[7]». 

Le Nouveau Testament, lui, part des charismes des personnes pour définir ensuite des fonctions.

Distinction qui questionne… Ne fait-elle pas du sacrement un «en soi» déconnecté du récipiendaire, alors que le Nouveau Testament, lui, part des charismes des personnes pour définir ensuite des fonctions[8]? N’invite-t-elle pas, alors, à inventer une ordination particulière qui permette à ceux des laiïcs pourvus de charismes pastoraux de jouir de la plénitude de la fonction pastorale? De plus, la discussion est vive sur le sens à donner à la formule«in persona Christi» associée au sacrement de l’Ordre. Le frère Dominique Marliangeas a montré que cette dernière n’était jamais appliquée au sacerdoce ordonné avant Pierre Lombard (12e siècle), et qu’une confusion de la Vulgate sur la traduction de 2 Corinthiens 2, 10 a transformé «en présence du Christ» en «en tenant le rôle du Christ[9]». Peut-on fonder une distinction aussi radicale entre prêtres et laïcs sur des appuis scripturaires fragiles?

Laïcs face à la pénurie des clercs

Sur l’élan donné à Vatican II vient se greffer une double réalité qui obscurcit encore la définition du laïcat. La décrue constante depuis soixante ans des vocations presbytérales (100 prêtres environ par an ordonnés en France, 60 en Suisse, 10 en Belgique) obère l’avenir, celui du presbytérat et par ricochet celui du laïcat. Quel diagnostic poser? Crise passagère, comme le laisse deviner ce propos de Mgr Barbarin : «Pourrons-nous tenir jusqu’à la relève?» Ou signe des temps, qui appelle des changements dans la discipline de l’Église? Les laïcs doivent-ils se préparer à s’investir davantage, comme en Amérique du Sud, mais aussi en Europe, en France, par exemple, où de petites communautés lisent l’Évangile, célèbrent la Parole ou partagent le pain? Ne faudrait-il pas, en particulier, les susciter davantage dans le monde rural où il n’y a plus de clergé?

La raréfaction des prêtres s’accompagne d’un mouvement de re-cléricalisation

La seconde réalité à prendre en compte est la très grande hétérogénéité du laïcat. Certes, la définition de Lumen Gentium rappelle son «caractère séculier[10]», valable pour tous. Mais il faut d’abord tenir compte du fait que la grande majorité des fidèles vivent leur foi dans une totale discrétion, au travail, en famille, dans leur vie associative. Et parmi ceux qui sont engagés, de grandes différences existent. Certains ensembles paroissiaux menés par une «Équipe d’animation pastorale» sont co-animés par des laïcs accompagnés, parfois à distance, d’un prêtre modérateur. Des laïcs célèbrent des funérailles, d’autres, sur délégation, baptisent. En certaines paroisses «expérimentales», comme Saint Merry à Paris, ils co-animent en profondeur la vie liturgique. Á l’inverse, ailleurs, on refusera à des femmes de distribuer la communion ou de lire les lectures… Enfin, selon les diocèses, les contenus des «Lettres de mission» données aux laïcs peuvent différer de beaucoup.

Par ailleurs, la raréfaction des prêtres s’accompagne, en France surtout, depuis une quinzaine d’années, d’un mouvement de re-cléricalisation qui remet en question des fonctions exercées jusque là par des laïcs[11]. Les tensions se cristallisent autour de la question du pouvoir[12], que les prêtres entendent assumer et que les laïcs, parfois mieux formés, ne veulent plus accepter, au risque de reconstituer… un cléricalisme laïc. Le déséquilibre est évident quand on sait que sans les laïcs, la «maison Église» aujourd’hui ne «tournerait» plus. Avenir incertain, identité variable, instrumentalisation, re-cléricalisation, autant de malaises supplémentaires.

La référence à l’histoire interroge

Pour compliquer encore la donne, la référence à l’histoire interroge, elle aussi. En effet, au temps de Jésus, le «laïc» d’aujourd’hui n’existait pas. Le terme qui sillonne l’Écriture est celui de «laïos», peuple, et plus précisément«peuple consacré». C’est le baptême qui était le signe nécessaire et suffisant de l’authentification chrétienne[13]. Et s’il n’y avait qu’une évidence à rappeler au sujet des origines, ce serait la très vive contestation par Jésus du système clérical du Temple de Jérusalem. Qui dit sacrifice dit impureté du peuple, et sacralisation des intermédiaires, les prêtres. Or Jésus, dénonçant le culte des lèvres, la vanité des sacrifices et les prescriptions accablantes des prêtres, en faisant fi des règles de pureté et d’impureté (La femme aux pertes de sang, la Samaritaine), a mis à bas ce système.

Pourtant vers le milieu du 3e siècle, l’Église a distingué le peuple d’une catégorie particulière, comportant l’«épiscope» (surveillant), puis le «cléros», qui remplaçait le «presbyteros» des communautés primitives, l’«ancien» chargé de veiller à sa bonne marche, qui était un homme sûr, pris du milieu du peuple pour sa prudence et sa sagesse. Le reste du peuple est alors devenu «laïcos». Très vraisemblablement, la complexité et le désordre liés à la gestion d’une Église en très forte croissance ont poussé à adopter une organisation plus stricte. Mais ce faisant, l’Église n’est-elle pas revenue, malgré elle, à la conception vétéro-testamentaire d’un clergé intermédiaire, sacralisé, «sacerdotalisé», et fatalement poussé à frayer avec le pouvoir qui en découlait? Ne perdait-elle pas cette intuition première, celle de prendre les charismes au milieu du peuple sans imposer ni consécration ni état de vie? Le prêtre, figure totalement absente du Nouveau Testament (à part… le Grand-Prêtre condamnant Jésus pour blasphème), devenait le centre du dispositif ecclésial. Revenait-on à une religion «classique», au détriment du «style de vie» fondé sur la foi, que proposait Jésus? Ce bref rappel des origines montre que l’Église, qui évolue plus qu’on ne le dit souvent, aurait de sérieux fondements scripturaires pour repenser en profondeur sa structure institutionnelle.

La Conférence des baptisés

De ces rapides constats, je déduis que le laïcat, mouvant, mal défini, sans identité claire, est «impensable» aujourd’hui. Il ne le devient que s’il se pense à partir de ce peuple unique de baptisés que Jésus a invité à instituer. Pour Jésus le peuple de Dieu est Un. Et ce qui fait l’unité du peuple de Dieu, c’est le baptême. Préférer le terme de «baptisés» à celui de «laïcs», c’est un choix qui dit «non» aux clivages, car aujourd’hui ils sont devenus contre productifs. C’est ce qu’a fait, il y a déjà dix ans, la Conférence catholique des baptisé-e-s francophones[14], mouvement qui rassemble des laïcs, des prêtres, des religieux et des diacres.

Le baptisé devrait pouvoir, s’il en a la compétence, gouverner, sanctifier, enseigner dans son Église.

Le pape François a d’ailleurs vigoureusement dénoncé un cléricalisme qui fait presque oublier le baptême au profit de l’Ordre: «Personne n’a été baptisé prêtre ni évêque». Et le pape de poursuivre: «Telles sont les situations que le cléricalisme ne peut voir, car il est plus préoccupé par le fait de dominer les espaces que de générer des processus. Nous devons par conséquent reconnaître que le laïc, par sa réalité, par son identité, parce qu’il est immergé dans le cœur de la vie sociale, publique et politique, parce qu’il appartient à des formes culturelles qui se génèrent constamment, a besoin de nouvelles formes d’organisation et de célébration de la foi. Les rythmes actuels sont si différents (je ne dis pas meilleurs ou pires) de ceux que l’on vivait il y a trente ans! « Cela demande d’imaginer des espaces de prière et de communion avec des caractéristiques innovantes, plus attirantes et significatives pour les populations urbaines » (Evangelii Gaudium 73)[15]»

Générer des processus…

inventer des formes nouvelles d’organisation et de célébration de la foi, est un projet enthousiasmant. Il ne peut se déployer qu’à partir d’un baptême revalorisé, exploré jusqu’à son message central, qui est celui d’une promesse, celle de la présence de Dieu aux côtés du baptisé, pour une mission qui dure toute la vie.

Une fois posé ce principe, beaucoup de champs sont à labourer. D’abord, celui de la spiritualité. Le baptême ne peut se fonder que sur le mystère pascal, dans une offrande de soi [16] fondée sur le bon usage du monde. Pardonner au jour le jour, construire le Royaume, savoir que l’on est aimé à en mourir, et donner ce que l’on a reçu… Sur cette spiritualité doivent ensuite s’édifier un ou plusieurs types d’engagements, souples, modulables, de durée limitée, car c’est ainsi que les gens, aujourd’hui, vivent. Faut-il imaginer un «service d’Église», à l’image d’un service civique? Faut-il le rémunérer ou tenir à ce qu’il soit gratuit?

La question de la gouvernance

Vient ensuite la question de la gouvernance. L’exemple du Synode sur la famille en est l’illustration. Comment l’opinion peut-elle comprendre que seuls les évêques votent sur des questions familiales alors que les conséquences sont pour tous? Le baptisé devrait pouvoir, s’il en a la compétence, gouverner, sanctifier, enseigner dans son Église. «Penser le laïcat» implique de reconnaître sa responsabilité. Les sacrements, eux non plus, pourraient ne pas rester la conséquence du sacrement de l’Ordre. Autrefois, les abbesses confessaient[17], les baptisés donnaient le sacrement des malades[18]. Pourquoi ne pas s’en souvenir?

Le frère Yves Congar rapportait ce mot d’esprit. Un prêtre, voulant expliquer la position du laïc dans l’Église, disait: la position du laïc est double. Il se met à genoux devant l’autel, c’est sa première position, il est assis en face de la chaire, c’est sa seconde position. Enfin, il y en a une troisième: il met la main à son porte monnaie[19]. Bien sûr, ce propos date d’avant le Concile. Mais il dit bien la situation «bancale» du laïcat, qui n’existe que par soustraction. Il n’y aura d’avenir pour lui que dans sa reconsidération «ontologique». Celle-ci passe par un retour à l’unicité foncière du peuple de Dieu, voulue par Jésus. Que le ministère presbytéral, en l’état actuel, ne parvienne pas à le traduire, c’est un fait; mais il faut parier qu’il gagnerait aussi à ce retour, car pour lui aussi, le cléricalisme est un venin. Il se recentrerait ainsi sur ce qui le caractérise le plus, l’eucharistie et le pardon. Ce serait le signe incontestable de la royauté paradoxale du Christ pauvre, offert pour le salut du monde.


Anne Soupa, déjà connue des lecteurs de Sources, est une journaliste spécialisée dans la vulgarisation biblique et l’histoire de l’Eglise. Elle est cofondatrice avec Christine Pedrotti du Comité de la jupe et de la Conférence catholique des baptisé-e-s francophones.

[1] Christi Fideles laïci, 9, 1998
[2] Lumen Gentium 10.
[3] Jalons pour une théologie du laïcat, p. 642. Coll. Unam Sanctam, Cerf, 1952
[4] Lettre au cardinal Ouellet, 2016
[5] Christi fideles laïci, 22.
[6] En italique dans le texte.
[7] Christi fideles laïci, 23.
[8] Ephésiens 4, 11.
[9] B.D. Marliangeas, Clés pour une théologie du ministère. In persona Christi, in persona Ecclesiae, coll. Théologie historique 51, 1978, cité par André de Halleux, Ministère et sacerdoce, Revue Théologique de Louvain, 1987, p. 429.
[10] Lumen Gentium, 31.
[11] Ainsi, le porte parolat de la Conférence des évêques, en France, est redevenu une fonction cléricale.
[12] Il est entendu que tout pouvoir dans l’Église est un service, mais le fait est qu’il faut tout de même savoir qui prend les décisions.
[13] André Faivre, Les laïcs aux origines de l’Église, Le Centurion, 1984.
[14] www.baptises.fr;
[15] Lettre au cardinal Ouellet, 2016.
[16] Romains 12, 1.
[17] Hildegarde de Bingen, par exemple.
[18] Jena Rigal, L’Église à l’épreuve de ce temps, p. 88-93, Cerf, 2007.
[19] Jalons pour une théologie du laïcat, p.7.

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Le laïcat dominicain https://www.revue-sources.org/le-laicat-dominicain/ https://www.revue-sources.org/le-laicat-dominicain/#respond Fri, 01 Jun 2018 04:32:12 +0000 https://revue-sources.cath.ch/?p=2654 Le concile Vatican II, même après 50 ans, est considéré comme un moment clé de la reconnaissance de la mission des laïcs dans l’Église et dans le monde. Les deux grandes Constitutions Lumen gentium et Gaudium et spes ont renouvelé la réflexion théologique et pastorale sur la place qu’ils y tiennent du fait de leur baptême. Le Concile a aussi libéré des initiatives, signes de ce renouveau–même s’il faut rappeler que le mouvement avait commencé bien avant–renouveau, aux aspects divers, parfois un peu anarchiques, et qui se déploie encore aujourd’hui.

Le format de cet article ne permet pas de rendre compte de toute la complexité de la question de la place des laïcs dans l’Église ni de la grande diversité de ses aspects dans le temps comme dans l’espace. Aussi focaliserons-nous notre regard sur la manière dont elle a été vécue, perçue et pensée dans le contexte large que nous venons d’évoquer au sein de l’Ordre des Prêcheurs où les laïcs ont une place depuis les origines et, plus particulièrement, dans la sphère occidentale et même française.

L’avènement du couple: clerc – laïc

Partir de Vatican II comme moment important n’est pas en faire le point zéro d’une histoire qui a commencé il y a plus de 2000 ans et trouve sa source dans l’Évangile lui-même et dans la vie des premières communautés chrétiennes. Le Christ s’adresse à tous les hommes et femmes de son temps et, s’il en choisit quelques-uns pour fonder son Église, c’est l’ensemble de ceux qui croient en lui qui sont envoyés proclamer la Bonne Nouvelle du salut et appelés à vivre de sa vie. On ne distingue pas à cette époque, ni dans les premiers temps de l’Église, entre clercs et laïcs, le peuple de Dieu étant, comme le rappellera Vatican II, toute la communauté des croyants, où chacun est appelé à être «prêtre, prophète et roi». Toutefois dans les Actes des Apôtres et les lettres de Paul on voit apparaître la notion de charismes, grâces particulières accordées à certains pour l’édification de tout le corps. Simultanément, se déploient des catégories telles que tous/quelques-uns, troupeau/pasteurs, etc. Mais tous sont appelés «frères» et ce n’est que plus tard qu’apparaîtront des catégories institutionnelles.

Le mot «laïc» est utilisé pour la première fois par Clément de Rome à la fin du 1er siècle. Son usage se développera par la suite pour définir un type de ministère que les laïcs ne possèdent pas, mais dans un contexte où ils participent activement à la vie de l’Église, dans un rôle subordonné au ministère des évêques et des prêtres, mais actif jusque dans les décisions. C’est à partir du moment où l’Église reçoit un statut dans le droit public de l’Empire (IVe) que sa structure, et avec elle la place des laïcs, se transforme. En même temps le développement du monachisme, phénomène à l’origine plus laïc que clérical, absorbe pour de longs siècles l’aspect charismatique du laïcat. Il contribuera à une certaine dépréciation de la vie laïque, la vie monastique tendant à devenir fuite du monde plutôt que plénitude d’incarnation. La condition de laïc et celle du mariage deviennent une concession à la faiblesse humaine.

Ceci va caractériser en grande partie la chrétienté médiévale, tandis que parallèlement la réforme grégorienne (XIe siècle) renforce le pouvoir de la hiérarchie face au pouvoir laïc. Une division entre un ordre de clercs et un ordre de laïcs tend à s’imposer, l’Église ayant de plus en plus tendance à s’identifier elle-même à l’état ecclésiastique.

Les laïcs du XIII ème siècle

Cela n’a pas empêché des expressions très positives de la condition laïque et d’une spiritualité propre, marquées en particulier par une volonté de pauvreté et de radicalisme évangélique (XIe et XIIIe siècle), dont on trouve de nombreuses expressions dans les différents mouvements de pénitents et autres confréries. Ils appellent à un retour aux idéaux de l’Église primitive auxquels une bonne partie du clergé est alors loin d’être fidèle, non sans quelques débordements hérétiques. C’est dans ce contexte que naissent aussi les ordres mendiants, franciscains et dominicains, qui sont appelés à combattre ces hérésies en répondant eux-mêmes à ces idéaux. Ils attirent dans leur sillage beaucoup d’hommes et de femmes qui, sans embrasser la vie religieuse, aspirent à la «vita apostolica» qu’ils promeuvent et sont prêts à y engager leur vie.

Le laïcat et les Prêcheurs

Lorsque naît l’Ordre des Prêcheurs, les laïcs sont bien sûr les destinataires de la prédication des frères dont la mission est tout à la fois la lutte contre l’hérésie, verbo et exemplo et l’appel à vivre au monde l’idéal évangélique. Cette prédication répond aux attentes de nombreux hommes et femmes qui vont constituer, dans le sillage des frères prêcheurs, une sorte de nébuleuse très composite et peu régulée. Puis selon un processus assez complexe, va émerger un mouvement de laïcs, présent dès l’époque de saint Dominique mais qu’il n’a pas fondé, que l’on connaît sous le nom de l’«Ordre de la pénitence de Saint Dominique» puis de «tiers-ordre». Peu à peu les maîtres de l’Ordre vont lui donner un cadre institutionnel avec une règle.

Si pour les laïcs attachés à l’Ordre des Franciscains cette règle a effectivement existé dès le XIIIe siècle, il semble que pour ceux de l’Ordre des prêcheurs, elle ne s’impose qu’à partir du début du XVe siècle, dans le contexte de la canonisation de Catherine de Sienne. Sous le nom de «Règle de Muño de Zamora», ce statut va ensuite régir jusqu’au XXe siècle cette branche «paradoxale» (M.H. Vicaire) qu’est le «tiers-ordre» dominicain au sein d’un ordre essentiellement clérical. C’est en son sein que, parallèlement à tout le mouvement de prise de conscience de la vocation propre du laïcat, va se chercher un mode de vie et une spiritualité propre à un laïcat soucieux de prendre sa part de la mission de prédication qui est celle de tout l’Ordre. Catherine de Sienne, femme, laïque et dominicaine, proclamée docteur de l’Église par le pape Paul VI en 1970, est l’une des expressions les plus fortes de l’existence dans l’Ordre d’une prédication laïque.

Des religieuses «tertiaires»!

Ce mouvement s’est très rapidement étendu en Italie, Allemagne et ailleurs dans le monde, dans le sillage du développement de l’Ordre. Il existe mais n’est pas très facile à connaître en France, faute de sources et peut-être de visibilité jusqu’au XVIe siècle. Mais il faut aussi noter qu’il évolue fréquemment vers des formes de vie religieuses.

En effet, et cela ne concerne pas seulement les dominicains, lorsque des laïcs, et surtout des femmes, s’associent au sein de tiers-ordres, pour mieux répondre aux exigences de leur vocation apostolique auprès des enfants, des malades, des pauvres, etc., la tendance est de les organiser au sein de congrégations religieuses, jusqu’à en exiger parfois la stricte clôture. Ce mouvement de régularisation des tertiaires aboutit à quelques belles fondations durables du tiers-ordre régulier mais aussi un peu plus tardivement de congrégations de sœurs apostoliques et cela jusqu’au XXe siècle. Ce phénomène est sans doute le signe de la fécondité du tiers-ordre mais il en contrarie quelque peu la dimension laïque.

La laïcat dominicain et la Révolution

En France, la réforme du frère Sébastien Michaelis à la fin du XVIe siècle remet pourtant l’accent, dans le règlement qu’il donne au tiers-ordre en 1599, sur la présence dans la société par «les œuvres de charité et miséricorde envers le prochain». Cette réforme induit un état mixte, contemplatif et actif, en lien avec sa mission apostolique au service des plus démunis. Elle ouvre pour le tiers ordre dominicain en France une période florissante qui va sans doute permettre sa survivance dans la tourmente révolutionnaire, tandis que les autres branches de l’Ordre ont pratiquement disparu du territoire. En l’absence des frères ce sont des prêtres diocésains qui soutiennent ces groupes, discrets sans doute, mais actifs, en lien avec le maître de l’Ordre à Rome.

Ozanam, Maritain, Maurice Denis….

Après la restauration de l’Ordre par Lacordaire ses compagnons auront parfois quelques difficultés à accepter de reconnaître l’authenticité de ces groupes. Lacordaire lui-même «refonde» le tiers-ordre en créant une fraternité à Paris, dès janvier 1844. Ce faisant, il invite ses membres à être des «moines qui vivent dans le monde». L’expression, non dénuée toutefois d’ambiguïté, est un appel à vivre dans la société une vie à la fois contemplative et active. Un nouvel élan est donné qui verra encore une fois la fécondité du tiers-ordre se traduire dans la fondation de nouvelles congrégations, non monastiques et soucieuses de vivre la foi au cœur du monde. mais aussi qui fait émerger quelques personnalités de laïcs dominicains issus du monde universitaire, artistique, littéraire, engagés dans la vie sociale et politique, etc. Connus ou anonymes, ils se nourrissent de la sève dominicaine, dans la prière, l’étude et la vie fraternelle et donnent un sens spirituel et apostolique très fort à leur «profession» dans le tiers-ordre. Ils font partie de ces hommes et femmes, chrétiens, qui depuis le début du XIXe siècle, dans une Église très hiérarchique et au discours très clérical, sont conscients des exigences de leur baptême et, accompagnés de prêtres ou de religieux, s’engagent, au service de leurs frères dans le mouvement intellectuel, social ou politique. On peut citer Frédéric Ozanam, Pauline Jaricot ou Jacques Maritain mais aussi le peintre Maurice Denis. L’Église a reconnu la sainteté de vie de certains d’entre eux comme l’Italien, Pier Giorgio Frassati, béatifié en 1990. Le témoignage de vie, les initiatives et les recherches de ces laïcs ont contribué à donner plus de consistance à la vie apostolique des chrétiens dans le monde. Elles sont sous-jacentes à l’invention de nouvelles formes d’engagements et d’organisation des chrétiens, parmi lesquelles l’Action catholique qui sera au milieu du XXe siècle, en France, la forme d’engagement privilégiée. Ces recherches traversent aussi l’Ordre, non sans difficultés et tensions. Des dominicains, comme le frère Yves Congar, qui publiera en 1954 Jalons pour une théologie du laïcat et dont les travaux auront un impact important au concile Vatican II, participent de ce mouvement.

Tensions et dissonances

Au sein du tiers-ordre dominicain des tensions assez vives apparaissent entre ceux qui pensent que le tiers-ordre n’est plus adapté au monde de ce temps et ceux qui craignent une remise en cause qui ébranle sa vocation spécifique. Tous les débats qui concernent le rôle, la place et la mission des laïcs pénètrent en son sein et se poursuivent jusqu’à aujourd’hui, malgré des évolutions importantes. La première remise en cause a été celle de la règle qui sera quatre fois modifiée entre 1923 et 1985 et qui finira par intégrer, non sans mal, les avancées de Vatican II.

Mais les difficultés viennent surtout de la manière de vivre la vocation apostolique. Celle-ci intègre la nécessité de vivre au monde en s’appuyant sur une vie spirituelle forte, tandis que dans l’Église c’est le modèle de l’Action catholique spécialisée qui tend à s’imposer. Or le modèle du tiers-ordre, même devenu «fraternités laïques dominicaines», avec ses dévotions, ses pratiques, ses références, son vocabulaire, calqués les uns et les autres sur la vie religieuse–et même s’il n’est pas exclusif d’une véritable vie apostolique et d’un engagement dans la vie du monde–est peu compatible avec les méthodes de l’Action catholique, son «Voir, Juger Agir», son concept d’enfouissement, son organisation par milieux sociaux. Les appels du maître de l’Ordre, dans les années 30, à ne pas se contenter de recevoir des frères une vie spirituelle forte mais à répondre par des actes à la vocation d’apôtres, tout en donnant également plus de place à l’étude, ont alors quelques difficultés à s’incarner dans l’institution telle qu’elle subsiste.

100 % laïc!

L’une des questions récurrentes et qui traversera la période conciliaire est celle de la possibilité de laïcs dominicains «100% laïcs», membres à part entière d’un ordre religieux, participant de sa vocation propre en s’appuyant sur une manière proprement dominicaine de réaliser le couple sacerdoce/laïcat (Yves Congar). Comment y prendre en compte la nécessaire autonomie du laïcat, dans une complémentarité tout aussi nécessaire au service de la mission?

A la veille de leur prochain congrès international, qui se tiendra en octobre 2018 à Fatima, le frère Bruno Cadoré, maître de l’Ordre, appelle les laïcs de l’Ordre des Prêcheurs à davantage de «créativité apostolique qui intègre réellement la participation spécifique des laïcs de l’Ordre […pour] mieux servir le monde et l’Église par la prédication», sans nombrilisme ni crispation, en gardant «comme horizon premier […] les défis de l’évangélisation» (25 janvier 2018).

L’enjeu est celui du partenariat dans le respect des états de vie et vocations particulières qui oblige à penser à frais nouveaux la relation clercs/laïcs, au service de l’Évangile. Les réponses ne sont pas les mêmes dans les mouvements de laïcs appartenant à un Ordre religieux bénéficiant d’une longue tradition que dans les communautés nouvelles nées après Vatican II et qui ont un autre héritage. Elles sont, cependant, les unes et les autres, l’expression de la fécondité des engagements de chrétiens dans l’Église et le monde d’aujourd’hui.

Catherine Masson est maître de conférences à la Faculté libre de sciences humaines à Lille. Elle a écrit de nombreux ouvrages. En particulier«Le cardinal Liénart, évêque deLille1928-1968»(Cerf, 2001), «Les laïcs dans le souffle du Concile»(Cerf, 2007) « Des laïcs chez les prêcheurs»(Cerf, 2016). Elle est responsable provinciale des Fraternités laïques dominicaines de France,


Bibliographie

-Les laïcs au souffle du concile, éd. du Cerf, Paris 2007, 348 p.

Des laïcs chez les prêcheurs. De l’ordre de la pénitence aux fraternités laïques une histoire du tiers-ordre dominicain. Editions du Cerf. CollectionHistoire. 304 pages – juin 2016

A noter aussi:«Au cœur du monde. Témoignages de laïcs dominicains», avec Fabrice Espinasse et Jacques Tyrol, Coll. Patrimoines, Cerf, 104 p.

On pourra consulter aussi:

Jean-Bernard Dousse OP et Bernard Hodel OP: Les fraternités laïques et la mission de l’Ordre des Prêcheurs. Les textes officiels de l’Ordre de 1946 à 1998, ed.du Cerf, Paris 2000. (NDLR)

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Au fait, que faut-il entendre par « Eglise », label que l’on croyait protégé jusqu’à l’arrêt d’un tribunal britannique qui en reconnaît l’usage aux scientologues du Royaume-Uni? Qu’appelle-t-on aussi « mariage » quand ce terme recouvre les unions homosexuelles? J’ai l’impression que les institutions qui ont bravé les orages du temps se dissolvent maintenant.

Ainsi, notre vieille Eglise catholique serait moins une citadelle qu’une « spiritualité » diluée dans un magma indifférencié où se mêlent et s’entremêlent les humanistes de tout poil, les adorateurs de Vishnu, les Mormons polygames, les cœurs purs des crêtes du Jura et tant d’autres humains de plus ou moins bonne volonté. C’est ainsi que beaucoup voudraient qu’apparaisse notre Eglise ou regrettent qu’elle ne le soit pas. Une communauté sans odeur ni couleur, insignifiante pour tout dire.

Nous rêvons d’une Eglise mise à jour (aggiornamento), qui respire l’air du large tout en n’abandonnant pas le roc sur lequel elle est fondée

Que répondre à cela? Tout d’abord un constat. Il y a belle lurette que des milliers, voir des millions de catholiques baptisés ont quitté la place forte sur la pointe des pieds ou en claquant le portail d’entrée. Ils vivent leur croyance ou leur non croyance « hors les murs », détachés de toute pratique religieuse régulière, et se méfient des confessions de foi trop bien définies. D’autres avouent leur « sensibilité chrétienne », mais rejettent tout contact avec une institution qui se réclame de cette mouvance. L’évangile serait-il devenu une valeur folle? Et Dieu une marque non déposée?

Face à ces courants vagues et indéfinis, voici l’archipel des îlots identitaires, entourés de hautes murailles dogmatiques et de principes éthiques verrouillés. Ces murs protègent les assiégés contre les intrus qui voudraient s’infiltrer. Ils interdisent aussi de s’aventurer hors de l’enclos fortifié. Parmi les multiples sectes retranchées dans ces forteresses, vouant aux gémonies ceux qui demeurent au dehors, mentionnons la dernière en date, celle d’Ecône, verjus de la vigne conciliaire. Mais il en est tant d’autres!

Où nous situer dans cette mêlée? Et bien, dans la maison de Pierre que Jean XXIII a aérée. Les persiennes sont largement ouvertes et les baies éclatent de lumière. Du moins, c’est ainsi que nous rêvons d’une Eglise mise à jour (aggiornamento), qui respire l’air du large tout en n’abandonnant pas le roc sur lequel elle est fondée. Nous vivons le paradoxe d’être au milieu du monde sans pour autant lui appartenir. Un défi qui nous oblige à l’ouverture, sans cesser d’être fidèles. Corde raide qui nous expose à deux dangers: soit nous nous enfermons dans de prétendues certitudes et rejetons des hommes et des femmes que Dieu aime, soit nous nous diluons dans une opinion commune anonyme qui nous impose sa loi.

Aurons-nous le courage lucide de garder droite notre marche? Le regard fixé sur Jésus-Christ?

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