théologie – Revue Sources https://www.revue-sources.org Sun, 12 Jun 2022 16:29:56 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.3.1 « François a fait preuve de bienveillance pastorale envers la Fraternité Saint Pierre » https://www.revue-sources.org/francois-a-fait-preuve-de-bienveillance-pastorale-envers-la-fraternite-saint-pierre/ https://www.revue-sources.org/francois-a-fait-preuve-de-bienveillance-pastorale-envers-la-fraternite-saint-pierre/#respond Fri, 25 Feb 2022 15:10:22 +0000 https://www.revue-sources.org/?p=2865 En juillet 2021, le pape François avait donné l’impression de vouloir réduire strictement la célébration de la messe d’avant Vatican II. Il y a quelques jours, il a accordé à la Fraternité Saint-Pierre une large possibilité de célébrer selon l’ancien missel. Le frère Henry Donneaud, dominicain de la Province de Toulouse et professeur de théologie fondamentale à l’Institut Catholique de Toulouse revient sur ces évènements.

 Peut-on dire que l’attitude de François envers la Fraternité Saint-Pierre constitue un revirement dans sa manière de considérer les courants traditionnalistes ?

De manière générale, il est vrai qu’on est habitué aux surprises avec le Pape François ! Mais, plus profondément, je crois qu’il faut lire cette décision comme significative de la manière de se positionner de ce pape. Si vous me permettez un parallèle qui surprendra peut-être, je dirais que François agit dans le domaine de la liturgie un peu comme dans celui de la morale familiale. Il y a d’une part la question des principes (sur lesquels il se montre strict) et d’autre part la mise en œuvre de ces principes (dans laquelle une certaine souplesse est envisageable). 

Dans le domaine liturgique, quels sont les « principes » pour François ?

Les principes ont été clairement développés dans Traditionis Custodes, publiée le 16 juillet 2021. Le pape a indiqué dans ce document qu’il n’y a qu’une seule forme du rite romain. Cette forme est la célébration selon le missel de Paul VI. Si des exceptions peuvent exister, elles doivent être très restreintes et soumises à l’autorité des évêques diocésains. 

Les décisions concernant la Fraternité Saint-Pierre sont donc à lire comme la mise en œuvre de ces principes ?

Tout à fait. Le pape reconnaît que des catholiques puissent être attachés à la célébration de la messe tridentine. Il accède à leur demande, car, je crois, il a été sensible au geste humble de la Fraternité Saint-Pierre. Ses représentants ont indiqué au pape que, depuis la création de la Fraternité, le Saint-Siège lui avait permis l’usage des livres liturgiques antérieurs à Vatican II. Surtout, la Fraternité Saint-Pierre affirme ne pas critiquer et donc contester la messe de Paul VI. C’est là une différence capitale qui tranche avec les propos tenus par certains traditionnalistes, affirmant que la messe de Paul VI est une messe « au rabais » ou « qui n’honore pas la dimension du sacrifice ». La Fraternité Saint-Pierre s’étant distanciée de ces déclarations inacceptables, le pape n’a pas voulu exiger trop des personnes attachées à la liturgie tridentine en les obligeant à changer du jour au lendemain leurs pratiques. Il a donc fait preuve d’une bienveillance pastorale à l’égard de la Fraternité.

Ne peut-on pas avoir le sentiment que chaque pape (d’abord Paul VI, puis Benoît XVI et maintenant François) va dans un sens différent pendant son pontificat à propos de la liturgie ?

Le rôle du pape est de veiller à l’unité de l’Église. Très tôt dans l’histoire, le propre de la liturgie romaine a été son caractère unifié et unificateur : on célèbre comme célèbre l’évêque de Rome. Depuis S. Pie V, il n’y a jamais eu deux formes du rite romain. Il s’agit là d’une nouveauté qui est apparue après le Concile Vatican II car certains ont refusé la réforme liturgique. Dans cette perspective, si Benoît XVI avait reconnu une forme « ordinaire » et une forme « extraordinaire » du rite romain c’était dans un souci d’unité, mais avec une condition importante : la nécessité pour tous de reconnaître la validité et la sainteté de la messe de Paul VI. De fait, cette condition n’a, dans certains cas, pas été respectée. Le risque était donc de voir apparaître deux Églises parallèles. C’est pour préserver l’unité de l’Église que le pape François est intervenu. On ne peut, en effet, être catholique et refuser la mise en œuvre de Vatican II qu’est la réforme de la liturgie voulue par ce Concile. La sensibilité personnelle en matière liturgique ne peut primer sur l’obéissance à l’autorité du magistère. 

Comment voyez-vous le développement de cette question à l’avenir ?

Le temps est une autre dimension sur laquelle le pape François insiste beaucoup dans l’ensemble de ses écrits. Il faut des décennies pour recevoir un Concile. On l’a vu, par exemple avec les Conciles de d’Éphèse (en 430) et de Chalcédoine (en 451). Il convient donc de continuer à travailler pour que la liturgie de Vatican II soit reçue partout. Après ce Concile, les camps se sont un peu figés. Mais des évolutions pourraient être possibles. Par exemple, dans les célébrations où le missel tridentin est encore utilisé, on pourrait introduire des éléments permettant la participation active des fidèles promue par Vatican II. La liturgie est étymologiquement un « acte du peuple » ; lire les lectures en français, demander aux fidèles de réciter le « Notre Père » pourraient être des pistes à approfondir dans ces célébrations. Ou encore, on a vu récemment telle communauté traditionaliste recourir à la concélébration… Ensuite, il faut reconnaître que des abus ont eu lieu, ici ou là, dans la mise en œuvre de la réforme liturgique de Vatican II. Cela peut expliquer pourquoi certains, des jeunes en particulier, peuvent, aujourd’hui encore, se tourner vers la liturgie tridentine. Cependant, les pratiques actuelles montrent qu’il est possible, avec le missel de Paul VI, de vivre des célébrations priantes qui mettent en valeur cette dimension importante (mais pas exclusive) de la liturgie qu’est le sacré. La nouvelle traduction du missel romain constitue une étape supplémentaire sur ce chemin, ce qui est très encourageant !

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Sport et théologie https://www.revue-sources.org/sport-et-theologie/ https://www.revue-sources.org/sport-et-theologie/#respond Fri, 18 Feb 2022 20:48:10 +0000 https://www.revue-sources.org/?p=2853 Alors que les Jeux Olympiques d’hiver de Pékin ont marqué les esprits, Alessandra Maigre nous résume les points principaux de sa thèse sur sport et théologie.

Pourquoi s’intéresser au sport en théologie ?

Il y a d’abord une idée générale. Certains auteurs ont vu dans le sport les éléments d’une religion. A mon avis, il faudrait plutôt dire que le sport est un fait culturel qui a des finalités religieuses.

Je m’intéresse à cette question selon trois angles. D’abord la question du corps. Comment la vision chrétienne du corps peut soutenir une vision du sport plus large ? Ensuite, il y a la question de la vocation. A quoi est appelé l’athlète : comment la « vocation sportive » s’inscrit-elle dans la vocation humaine ? Enfin, je m’intéresse à la dimension du jeu : le sport, s’il vise une performance, a aussi cette dimension de « jeu » qu’il ne faut pas négliger, y compris dans la vie chrétienne.

Il s’agit donc de situer le sport dans la manière qu’a le christianisme de voir l’être humain…

Tout à fait. Dans le sport on parle beaucoup de santé physique car le corps est engagé en premier. On parle de plus en plus depuis un certain temps de santé mentale. Mais une question me préoccupe : qu’en est-il de la santé spirituelle ? C’est une piste à développer et à définir selon moi et qui peut l’être spécialement par les aumôneries sportives.

De fait, quel rôle peut jouer un aumônier sportif dans ce domaine ?

Les aumôniers peuvent proposer une espérance au-delà de ce que le sport peut fournir. Le sport est quelque chose de parfois très émotionnel et limité dans le temps. L’aumônerie sportive n’est pas d’abord intéressée aux performances de l’athlète mais à qui il est humainement. Il apporte donc quelque chose de tout à fait important. 

Le Vatican a développé une section « Église et sport » qui réfléchit au fait que le sport est au service de la croissance humaine intégrale. En France, un groupe de travail Église et sport a été créé. Ce groupe réfléchit aux liens entre sport et religion pour développer une pastorale du sport pour les sportifs de haut niveau mais aussi au niveau amateur.

Un texte texte biblique pour méditer sur tout cela  ?

J’aime beaucoup un passage du livre des Proverbes (cf. plus bas). La Sagesse est là comme pour accomplir les oeuvres de Dieu. Ce texte représente la dimension ludique du sport. Cette dimension du sport comme jeu est à retrouver. Cela est particulièrement vrai pour les sportifs de haut niveau, souvent centrés sur la performance. Il faudrait retrouver une sorte de spiritualité ludique dans le sport.

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Synode sur les jeunes et les vocations: une réflexion inutile? https://www.revue-sources.org/synode-jeunes-vocations-reflexion-inutile/ https://www.revue-sources.org/synode-jeunes-vocations-reflexion-inutile/#comments Tue, 09 May 2017 16:39:21 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=2288 Après les familles, les jeunes. A travers son prochain synode, l’Eglise catholique a décidé de « s’interroger sur la façon d’accompagner les jeunes à reconnaître et à accueillir l’appel à l’amour et à la vie en plénitude ». Mais l’heure occidentale est à la déchristianisation, rappelle Jörg Stolz. Le professeur de sociologie des religions de l’Université de Lausanne ne se fait pas d’illusion sur l’effet d’un tel synode, tant le processus de déchristianisation est profond. « Raison de plus pour amorcer une telle réflexion », rétorque l’abbé François-Xavier Amherdt, professeur de théologie pastorale à Fribourg, qui entend « laisser à Dieu le soin de guider l’histoire ». [print-me]

Dans son petit bureau lausannois avec vue sur le Léman, Jörg Stolz est plongé dans la lecture du document préparatoire pour la XVème Assemblée générale ordinaire des évêques d’octobre 2018. Thème de la réflexion: « Les jeunes, la foi et le discernement vocationnel ». Derrière ses lunettes de sociologue, il dissèque avec une attention particulière le premier chapitre: « Les jeunes dans le monde d’aujourd’hui ». Une approche sociologique – ce sont les mots du document – « utile pour aborder le thème du discernement des vocations ». La sociologie a ceci de particulier, lit-on, de « faire voir la profondeur et de donner une base concrète au parcours éthique et spirituel ». Indispensable, donc.

« Apprendre à vivre sans Dieu »

Dans le document préparatoire, la précision du vocabulaire est moins chirurgicale que les mots utilisés par Jörg Stolz et son équipe lors leur grande enquête Religion et spiritualité à l’ère de l’égo (Labor et Fides, 2015). Mais les réalités se recoupent. Le document préparatoire parle « d’un contexte de fluidité et d’incertitude jamais atteint auparavant », « de croissance de l’incertitude », « de sociétés (…) toujours plus multiculturelles et multireligieuses ». Avec ce constat, amer: « l’appartenance confessionnelle et la pratique religieuse deviennent toujours plus les traits d’une minorité où les jeunes ne se situent pas ‘contre’, mais sont en train d’apprendre à vivre ‘sans’ le Dieu présenté par l’Evangile et ‘sans’ l’Eglise ».

Jorg Stolz, Le professeur de sociologie des religions de l’Université de Lausanne (Photo: Pierre Pistoletti)

Jörg Stloz souscrit. « En sociologie, pour comprendre le rapport à la religiosité, nous distinguons les ‘effets d’âge’ des ‘effets de génération’. Empiriquement, les différences de religiosité que l’on constate entre les générations ne sont pas des effets d’âge ». En d’autres termes, lorsqu’ils auront des cheveux blancs, les jeunes d’aujourd’hui ne seront pas plus religieux. « Les choses que l’on a intégrées jeune vont nous accompagner tout au long de notre vie, poursuit le sociologue. Les plus âgés sont plus religieux parce qu’ils ont été socialisés dans des sociétés plus religieuses. Lorsque que cette génération croyante ne sera plus là, toute la société sera moins religieuse ».

Les causes de la rupture sont multiples. Parmi les « moments charnières », Jörg Stolz évoque les années 60, « où de grands changements se sont produits ». Des changements qui se sont progressivement développés, certes, mais qui ont connu un paroxysme dans leur manifestation à cette époque-là. « La croissance économique était importante, explique le professeur. Il était facile de travailler et de gagner de l’argent. Les anciennes valeurs n’étaient plus adaptées », poursuit-il. Une époque pleine de promesses, même dans les Eglises. « Il y avait beaucoup d’enthousiasme dans les milieux religieux. Pensez au Concile. Une nouvelle théologie allait renouveler la foi ». Force est de constater que, cinquante ans plus tard, l’époque marquait plutôt le début d’un affaissement religieux.

L’Eglise et ses concurrents

Un déclin qui s’explique en partie par l’émergence de nouvelles « concurrences », selon Jörg Stolz. « Tant que la vie restait un pur mystère, Dieu s’occupait de tout. Avec Darwin, on commence à comprendre quelque chose de son développement. L’évolution de la médecine atténue le besoin de recourir au divin, tout comme le développement des assurances sociales et de l’Etat providence. D’un point de vue sociologique, les Eglises créent des communautés, donnent du sens, aident en cas de problème. Or, si beaucoup de ces fonctions sont déjà remplies de manière qualitative par la société, les gens ne trouvent plus votre ‘produit’ si intéressant ».

« Les Eglises sont comme des châteaux de cartes qui s’écroulent. » Jorg Stolz

L’utilité de l’Eglise en prend un coup, c’est indéniable. Mais l’Eglise n’est-elle qu’un « produit » utile qui a pour vocation de remplir des fonctions sociales? « Non, soutient François-Xavier Amherdt. Elle répond avant tout à une soif spirituelle. Et cette soif ne va pas disparaître. Elle est même aiguisée par un refus du technologique ou de la croissance économique à tout prix ». Un signe des temps. « On n’a jamais autant parlé de jeûne », sourit-il.

Sécularisation inébranlable? 

Certes, mais de là à adhérer au Christ, il y a encore un pas à faire. Pis encore. Pour Jörg Stolz, la société occidentale tend à s’éloigner toujours davantage du christianisme. « Il y a une majorité de ‘distanciés’ dans nos sociétés. Des gens qui ont hérité d’une certaine croyance chrétienne, qui posent un regard bienveillant sur les Eglises, mais qui n’y sont plus impliqués », explique-t-il. C’est une génération de transition vers ce que le sociologue appelle les ‘séculiers’. Eux, n’auront plus aucun lien avec l’Eglise. « En ce qui concerne la sécularisation de l’Occident, les chiffres sont difficiles à contredire. Les Eglises sont comme des châteaux de cartes qui s’écroulent. D’un point de vue mondial, certes, le nombre d’athées diminue. Les décennies à venir verront même une croissance du religieux, en particulier de l’islam. C’est un effet démographique lié aux pays moins industrialisés et encore très religieux ». Mais cela ne semble pas faire l’ombre d’un doute, pour Jörg Stolz: « Si ces pays se modernisent, ils vont également se séculariser ».

Rien n’enrayerait donc le mouvement. Pas même une catastrophe? « Je ne suis pas sûr. L’Europe du XXe siècle a connu deux immenses traumatismes. Elle n’est pas devenue plus religieuse pour autant. Un facteur de changement pourrait venir de la migration, si le nombre de nouveaux venus était suffisant pour imposer leur religiosité. Ou peut-être qu’un nouveau Karl Barth ou un nouveau Karl Rahner pourraient changer quelque chose. Mais je n’en suis pas sûr. Les changements sont tellement profonds, ça ne me semble pas vraiment possible ».

L’ère de l’égo

« Nous sommes dans l’ère de l’égo, poursuit le sociologue. Les années 60 ont vu l’émergence de l’individu amené à prendre des décisions par lui-même. Certains collègues réfutent ce point de vue en avançant le fait que, malgré tout, les modes ou les normes n’ont pas disparu. Pour ma part, je maintiens ma position. L’individu est au centre et non plus la famille ou la classe. On peut tout choisir, même sa sexualité. Beaucoup de données le montrent. Mais aussi l’évolution des valeurs. Elles suivent les structures sociales. Une récente étude sur l’évolution des annonces de recherches de partenaire est emblématique à ce propos. Avant les années 60, les femmes étaient « discrètes », « modestes », « ponctuelles », voire « obéissantes ». Elles sont devenues « libres », « indépendantes », ou encore « créatives ».

« Il y a à rendre audible l’épaisseur anthropologique de la proposition évangélique ». François-Xavier Amherdt

Et cette individualisation s’étend au religieux, avec deux caractéristiques majeures. « Tout le monde se dit libre de choisir sa foi ou sa non-foi. C’était frappant dans notre étude. La grande majorité des personnes interrogées – même les évangéliques convaincus ou les catholiques intégristes – insistait sur leur adhésion personnelle. ‘C’est ma foi et c’est moi qui l’ai choisie' ». Résultat, l’autorité spirituelle est mise à mal. « En même temps, on assiste à un changement de vocabulaire. La « spiritualité » a remplacé la « religion ». Il est plus ouvert, plus créatif, donc plus proche des valeurs actuelles. Il est aussi très flou, on peut donc y mettre beaucoup de choses à la fois. On va s’intéresser à la fois au bouddhisme zen et aux exercices spirituels de saint Ignace, sans que cela ne pose problème ».

L’individualisme: une chance?

L’individualisme, un défi pour l’Eglise catholique à la veille de son nouveau synode? « Pas seulement », selon François-Xavier Amherdt, à condition d’un renversement nécessaire. « Il s’agit de ne pas envisager l’individualisme simplement comme la source d’un relativisme et d’un délitement social, mais d’y voir la possibilité d’une démarche autonome et libre pour une adhésion plus profonde à la Bonne Nouvelle, assure-t-il. D’ailleurs la pédagogie du Christ est individualiste. Il est universel parce qu’il s’adapte à la manière de faire de chacun. D’où l’importance, dans nos activités pastorales, de l’inculturation ».

François-Xavier Amherdt, professeur de théologie pastorale à l’Université de Fribourg (Photo: Pierre Pistoletti)

Dans ce contexte, l’abbé prêche l’accompagnement: « il s’agit moins de montrer la route à suivre que de marcher avec. Notre rôle est d’éclairer les consciences pour que chacun discerne son propre chemin. Etymologiquement, autorité vient de ‘faire grandir’. Elle consiste donc à ne pas vouloir enfermer l’autre dans un moule, mais à servir sa liberté ».

Dans quel but? « Rencontrer le Christ, rétorque du tac-au-tac François-Xavier Amherdt. Et permettre aux gens d’être heureux ». Certes, mais l’adéquation Christ égale bonheur ne va pas sans poser certaines difficultés à l’ère de l’égo. « Je suis mille fois d’accord, concède-t-il. La clé, c’est une conversion quant aux modalités de langage. Il y a à rendre audible l’épaisseur anthropologique de la proposition évangélique ». Le but: « Montrer les pistes que l’Evangile propose pour un quotidien heureux, dans l’Esprit ».

Le paradoxe de l’universel

Les formules ne cachent-elles pas une forme de paradoxe? Comment tenir un véritable individualisme et, dans le même temps, annoncer un bonheur qui, pour tous, s’identifie au Christ? La pastorale vise-t-elle à faire que l’humanité entière reconnaisse le Christ comme l’ultime réponse à sa soif de bonheur? « Pas nécessairement. C’est dans la capacité de cheminer ensemble que nous pouvons tous évoluer. Rien d’unilatéral. Des gens restés à distance du Christ vont nous permettre de mieux suivre le Christ. Voyez le documentaire Demain: c’est une sorte de concrétisation de l’encyclique Laudato Si et l’occasion, pour un chrétien, de redécouvrir la force d’une petite communauté qui ne se referme pas sur elle-même ». Mais alors, est-on tenté de rétorquer, il leur manque bien quelque chose à ces braves gens? François-Xavier Amherdt réfléchit. « Fondamentalement, Matthieu 25 est la réponse. ‘J’avais faim et tu m’as donné à manger’. Et je ne savais pas que je nourrissais le Christ. L’acte de justice, l’acte d’engagement garde toute sa valeur, bien qu’il ne soit pas explicitement au nom du Christ ».

Qu’est-ce que l’annonce de la foi chrétienne peut dès lors apporter? « Le verbe ‘apporter’ est ambigu. Nous pouvons simplement témoigner de ce que nous vivons. Le Christ est mon modèle et il remplit ma vie. Nous plantons quelque chose et nous ne savons pas ce qui en germera ». Et François-Xavier Amherdt de souligner l’importance de la durée. Une sorte de période d’incubation de plusieurs années, en somme, après laquelle les catéchètes d’hier souhaitent une nourriture plus consistante à l’occasion d’un deuil ou d’un mariage, par exemple.

« Dieu a la peau dure »

L’efficacité – ou plutôt la fécondité – de la démarche pastorale interpelle face à la vague de déchristianisation qui modifie profondément les sociétés occidentales. La question s’étend au prochain synode. En définitive, peut-on espérer de cette réflexion un changement de paradigme social? « Je ne suis pas Cassandre », répond François-Xavier Amherdt, en faisant un petit pas de côté pour élargir la réflexion. « Il y a une urgence eschatologique à faire de l’aujourd’hui le moment favorable pour témoigner de notre foi. Qu’est-ce que sera le monde dans 20 ou 30 ans? Je ne sais pas. Le contexte géopolitique est tendu, tout est insaisissable. Je me garderai bien de prédire comment le monde et l’Eglise vont évoluer. A vues humaines, il y a toutes les raisons de penser que les Eglises classiques sont en train de s’écrouler en Occident. Mais je crois que la question de Dieu a la peau dure. Pour moi, ce qui m’incombe, c’est de faire entendre la petite voix de l’Eglise dans le concert du monde sans me faire de fausses illusions. Mais en laissant à Dieu le soin de guider l’histoire ».

Un acte de foi qui rejoint l’espoir dont la jeunesse est porteuse aux yeux de l’Eglise. Citant le message du Concile aux jeunes (8 décembre 1965), le document préparatoire mentionne « ce qui fait la force et le charme des jeunes »: (…) la faculté de se renouveler et de repartir pour de nouvelles conquêtes ». Une capacité qui n’a sans doute jamais été aussi nécessaire.


Membre du comité de rédaction de la Revue Sources, Pierre Pistoletti est journaliste et théologien.

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ThéDom: la théologie en ligne https://www.revue-sources.org/thedom-theologie-ligne/ https://www.revue-sources.org/thedom-theologie-ligne/#respond Tue, 09 May 2017 14:41:16 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=2264 Il y a quelques mois, des frères étudiants dominicains de la Province de France se sont réunis pour évoquer la création de nouveaux projets d’apostolats. Ces projets apparaissaient structurés par trois grandes directions. La première consistait à insister sur la présence auprès des adolescents et des jeunes adultes; la seconde à affirmer de manière plus explicite la vocation de prédicateur et de théologien des dominicains; enfin, le troisième élément soulignait la nécessité d’un engagement encore plus important sur Internet.[print-me]

Ces différentes directions ont convergé, entre autres, vers le projet d’une nouvelle interface destinée à la formation. Notre réflexion a fait émerger de multiples questions dont nous voudrions esquisser quelques aspects dans le présent article. Quelles sont les caractéristiques de la génération actuelle? Quelles sont les offres qui existent déjà aujourd’hui dans le domaine de la formation théologique et leurs limites? Quels outils mettre en place pour répondre aux nouveaux besoins sur Internet?

Une transformation du public des jeunes adultes catholiques

Une des caractéristiques essentielles des jeunes catholiques est non seulement que ces derniers constituent une minorité dans leur tranche d’âge, mais cet aspect minoritaire est renforcé par le fait que ces baptisés, aujourd’hui jeunes adultes, n’ont pas tous été catéchisés. On estime en effet le nombre d’enfants catéchisés compris entre un tiers et un quart d’une classe d’âge aujourd’hui[1]. Ce qui signifie donc qu’entre deux tiers et trois quarts des jeunes adultes français (nés entre 1985 et 2000) n’ont jamais bénéficié de catéchèse.

Il s’agit de mettre en œuvre un espace d’initiation à la théologie qui permet de découvrir les grandes questions qui traversent la foi chrétienne.

Ces données transparaissent également dans la pratique religieuse. Les jeunes sont ainsi très fortement sous-représentés dans la population catholique pratiquante. Alors que les 18-24 ans et les 25-34 ans représentent respectivement 11% et 19% de la population française totale, ils représentent 7% et 9% des catholiques pratiquants en 2009. À rebours de ce mouvement général de décroissance du catholicisme dans la société française, le catéchuménat d’adolescents et d’adultes n’a cessé de croître. Ainsi en 2017, on a recensé le baptême de 4503 jeunes et adultes pour la seule nuit de Pâques en France, en hausse de 5,58% par rapport à 2016 et de 55,39% sur 10 ans[2].

Ce mouvement est l’aboutissement d’un processus de plus grande ampleur, débuté il y a maintenant près d’un siècle quand la France commençait à être qualifié alors de «pays de mission»[3]. Entre autres phénomènes, il a conduit à ce que la sociologue D. Hervieu-Léger a appelé une «exculturation» du catholicisme[4]. Ainsi, contrairement à ce qui se passait encore dans les années 1950 ou même 1970 où des générations socialisées chrétiennement mettaient en cause ces racines, mais entraient en discussion avec des catholiques sur des bases culturelles communes, on observe aujourd’hui que le catholicisme ne fait plus partie de la culture française commune.

Ceci renforce chez un grand nombre de catholiques français pratiquants le sentiment d’appartenir à une minorité[5]. Minoritaires au sein d’une société qui ne parle plus directement leur «langage», les plus jeunes générations de catholiques apparaissent soucieuses d’affermir leur connaissance de ce langage pour des objectifs ad extra: défendre leurs spécificités ou encore entrer en dialogue avec le reste de la société en étant solidement ancrés dans les fondements de leur foi. Mais cette volonté a aussi un objectif ad intra qui paraît important. Conscients de former à la fois une minorité, mais également une minorité se présentant sous une forme éclatée, posséder un langage de foi unifié a aussi pour objectif de structurer les diverses sensibilités autour d’un même dépôt commun.

Dépasser le cadre des propositions existantes

Pour répondre à cet appel, des frères dominicains de la Province de France ont lancé le projet ThéoDom en 2015. Il s’agissait concrètement de proposer de petites initiations à la théologie au cours de l’été, dans des lieux et une ambiance de vacances pour de jeunes adultes. La première session avait eu lieu à Belle-Ile-en Mer en août 2015. Face au succès rencontré par cette proposition, deux rencontres ont été organisées l’année suivante: l’une à Kergallic en Bretagne et l’autre à Chalais, près du monastère des moniales dominicaines. La même proposition est refaite en juillet et en août 2017.

Mais la question s’est rapidement posée de constituer une formation à plus long terme pendant l’année. Les propositions existantes hors des temps d’été[6] sont d’abord des formations de proximité (essentiellement dans les grandes villes) ou des formations sur Internet. Or, la plupart des formations de proximité excluent, par définition, la participation de personnes n’habitant pas dans des lieux pourvus en Instituts catholiques ou groupes de formation. Même si les formations dispensées sur Internet permettent de pallier ces limites, elles proposent souvent des parcours de nature universitaire, impliquant, de fait, un engagement en temps important dans lequel beaucoup de jeunes et de jeunes adultes ne sont pas en mesure de s’investir.

Il manque donc à ce panorama d’offres de formation une interface Internet (palliant de ce fait les problèmes liés à la distance géographique) permettant un apprentissage non-universitaire, assez souple quant à l’investissement (en temps et en argent) qu’il représente, et placé hors des périodes de vacances.

ThéoDom: une initiation à la théologie en ligne

Pour cela, l’idée a été avancée, dans la dynamique des camps d’été ThéoDom, de proposer une nouvelle interface internet répondant à ces besoins. Il s’agit de mettre en œuvre un espace d’initiation à la théologie qui permet, via un site internet, de manière brève et ludique, de découvrir les grandes questions qui traversent la foi chrétienne. Ce site serait surtout destiné à des chrétiens de 25 à 45 ans qui souhaitent mieux connaître leur foi, mais n’ont pas la possibilité de s’investir dans un cycle de formation long. Les jeunes chrétiens auxquels ThéoDom est destiné n’ayant pas tous les mêmes attentes de formation ce site va aussi proposer une offre différenciée et participative. Enfin, animé par de jeunes frères dominicains et nouvelle proposition du portail Retraite dans la Ville, ce site a pour objectif de montrer que la théologie, centrale dans notre tradition religieuse, peut nourrir tout chrétien et qu’elle est une matière vivante qui invite au débat.

Même s’il peut être jugé ambitieux, les terrains que touche ce projet sont exaltants et placés au cœur de la mission de l’Ordre dominicain. Ils présentent en outre le mérite de fédérer la réflexion théologique et pastorale de frères dominicains de différentes générations. Rendez-vous à l’automne 2017 pour le lancement de ce nouveau site. Nous vous y attendons!


Charles Desjobert (à gauche) et Jacques-Benoîr Rauscher, deux jeunes frères dominicains français en formation à Fribourg portent un réel souci d’initier au contenu de la foi chrétienne leurs jeunes contemporains français. Avec d’autres frères de France, ils lancent sur le net pour l’automne 2017 «ThéoDom», un site qui passera allégrement les frontières pour intéresser les jeunes francophones de partout.


[1] Chiffres donnés à partir des tendances relevées dans D. Villlepelet, L’avenir de la catéchèses, Paris, Les Éditions de l’Atelier/ les Éditions ouvrières, 2003.
[2] D’après la Conférence des évêques de France, 2017.
[3] Pour reprendre le titre du livre célèbre des Pères Godin et Daniel publié en 1943.
[4] D. Hervieu-Léger, Catholicisme la fin d’un monde, Paris, Bayard, 2003.
[5] Avec le paradoxe qu’ils sont parfois encore perçus comme majoritaires ou disposant de moyens de pression majoritaires, cf. R. Rémond, Le christianisme en accusation, Paris, Desclée de Brouwer, 1999.
[6] Un panorama de ces différentes propositions est présentésur le site: http://www.parolesdecatholiques.org/se-former/formations-de-l2018eglise-catholique#, liste consultée le 01/05/2017.

 

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Les entrailles de la miséricorde de notre Dieu https://www.revue-sources.org/entrailles-de-misericorde-de-dieu/ https://www.revue-sources.org/entrailles-de-misericorde-de-dieu/#respond Tue, 13 Dec 2016 16:05:54 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=1633 [print-me]

En guise de vœux présentés à tous les internautes qui visitent son site, la revue Sources leur offre ce cadeau de fin d’année: une stimulante réflexion sur la Miséricorde qui contredit nos habitudes et fait miroiter de merveilleuses espérances.  

Summa religionis christianae in misericordia consistit.[1]

Nous traitons ici d’un sujet qui dépasse infiniment notre capacité intellectuelle et donc aussi la capacité d’en faire une présentation adéquate. Les « entrailles de Dieu » nous disent sa vibrante maternelle pour chaque être humain[2]. Dieu lui donne la vie comme une mère le fait pour son enfant.

Cette expression si forte met en évidence le rapport unique et très intime qui lie le père à chacun de ses enfants. Un sage proverbe nous rappelle que Dieu compte seulement jusqu’à un, en ce sens que chaque individu créé et aimé par lui a une valeur infinie à ses yeux, autant que la totalité de l’univers.

Jésus unique médiateur[3]

Le Logos, le Fils unique du Père se fait chair et pose sa tente parmi nous[4]. Une fois encore, nous sommes confrontés à un mystère qui dépasse notre entendement. L’image suggérée par saint Augustin du petit trou creusé dans le sable pour contenir l’océan fait entrevoir l’abyssale différence entre ce que nous annonçons et ce que nous pouvons expliquer rationnellement.

Même Jésus, en tant qu’homme, est confronté à deux exigences qui paraissent inconciliables: d’une part, le Logos immergé dans le sein du Père est venu nous Le révéler[5]; d’autre part, la totale insuffisance de notre compréhension du mystère trinitaire nous permet seulement de bafouiller quelque chose d’une réalité qui nous transcende totalement. Voilà pourquoi Jésus passe toute une nuit en prière[6] à la recherche d’une explication cohérente de son expérience ineffable et nous fait découvrir dans le Très-Haut le «Papa», l’Abba, celui qui nous aime d’un amour infini[7].

Les Paraboles

Elles sont le moyen habituel que Jésus utilise pour s’adresser à ses contemporains: « Il utilisait des paraboles pour leur enseigner beaucoup de choses » et Matthieu précise: « longuement »[8]. Le Verbe, la Parole incarnée, a pour mission d’expliquer l’inexplicable, c’est-à-dire, le mystère de Dieu, en traduisant avec de simples mots humains la transcendance absolue: le Fils unique nous en fait l’exégèse[9].

La parabole l’aide à dire l’indicible, à revêtir de paroles humaines un message révolutionnaire, transcendant, inimaginable. La parabole est aussi simple qu’élevée et le risque est grand pour chaque génération de disciples de vouloir la domestiquer, en faire un fait divers, lui enlevant cette force explosive qui lui est propre.

Pour illustrer le sens théologique de la miséricorde divine nous nous appuierons sur deux paraboles: celle du Bon Samaritain[10] et celle des Deux Fils[11], quand bien même l’ensemble du Nouveau Testament nous transmet ce message. Nous le faisons pour indiquer à quel point la routine et la superficialité nous ont souvent conduits à réduire des messages aussi déroutants à de simples épisodes d’une chronique journalistique insignifiante. Alors que le Fils de Dieu nous communiquait de très hautes vérités qu’il faut accueillir et incarner.

Le Bon Samaritain

La parabole est la réponse à la question du docteur de la loi: « Mais qui est mon prochain? »[12] Une réponse humainement déconcertante. Jésus introduit son discours en présentant un homme ordinaire, sans aucune connotation religieuse ou financière, qui se risque à descendre seul le chemin rude et traître qui conduit de Jérusalem à Jéricho.

Aujourd’hui encore, cette route fait peur. Elle serpente un désert inhospitalier. Des promeneurs imprudents, sans escorte armée, peuvent se faire agresser. Qu’un voyageur, comme celui mis en scène par la parabole, soit agressé, battu et dépouillé sur ce chemin est un fait divers courant. Notre homme est laissé seul, gravement blessé[13]. Le même itinéraire est emprunté par un prêtre et un lévite; l’un et l’autre sont préposés au service du temple. Leur réaction paraît concevable. Conscients du risque qu’ils courent eux-mêmes, ils s’enfuient à toutes jambes, évitent volontairement le blessé, invoquant peut-être aussi dans leur cœur l’obligation de la pureté rituelle qui leur interdit tout contact avec le sang.

La souffrance viscérale de Jésus pour la foule témoigne de l’amour viscéral du Père qui pardonne sans limites, même la dette la plus colossale.

La parabole prend alors une tournure inattendue. Passe un Samaritain qui s’arrête pour secourir le blessé. On a trop vite pensé au Christ venant soigner nos blessures intérieures Mais cette interprétation enlève la clé de voûte de la parabole. Le Samaritain d’autrefois est le mécréant d’aujourd’hui, l’excommunié, l’impie, le pécheur par définition. Le conflit sans merci entre Juifs et Samaritains est aussi évoqué dans l’évangile de Jean: « Les Juifs n’entretiennent pas de relations avec les Samaritains. »[14]

On ne peut cacher l’ironique provocation de Jésus en comparant le comportement des deux ministres sacrés à celui d’un individu qu’ils jugeaient méprisable et peu fréquentables. Si on nous comparait aujourd’hui à un nazi, nous serions ulcérés. Jésus ne pouvait choisir pire exemplaire à proposer aux Juifs de son temps.

De plus, le comportement du Samaritain dépasse toute imagination. Non seulement il s’arrête, bousculant le programme de sa journée et met en danger sa vie, mais il s’occupe du malheureux avec la tendresse d’une mère. Les blessures sont sérieuses.

Pour les soigner, il commence par les désinfecter avec du vin et les adoucit avec un peu d’huile tirée de sa besace. Puis, il charge le blessé sur sa monture et l’amène au caravansérail. Sous le porche, le malheureux, étendu sur la paille, sera pris en charge par le gardien qui reçoit une bonne somme d’argent pour ses services et qui sera encore payé si d’autres dépenses devaient survenir. Ces gestes outrepassent tout ce qu’on pourrait imaginer. Lequel parmi nous se chargerait aujourd’hui de supporter les coûts d’hospitalisation d’un blessé anonyme rencontré par hasard au détour d’un chemin?

La provocation

Non seulement la figure du Samaritain est repoussante, mais ses gestes – pour un Juif de ce temps – sont à vrai dire inacceptables : il se contamine avec le sang d’un inconnu, renvoie à plus tard ses obligations professionnelles, soigne, nourrit un inconnu cabossé et se porte garant de toutes les dépenses encourues. Jésus conclut sa parabole par un provocant: « Va et fais de même »[15], qui nous interpelle tous.

La clé de cette attitude si nouvelle se trouve dans les verbes d’action: « il le vit et il en eut pitié ». Le Samaritain est viscéralement saisi à la vue du malheureux. Il ne le connaît pas, mais en le voyant, il se rend compte de son atroce souffrance. Le verbe grec évoque la souffrance viscérale (splagna). Le Samaritain est comme une mère qui vibre au spectacle de la douleur de son fils. Nos ternes traductions trahissent la lecture évangélique. La souffrance viscérale de Jésus pour la foule[16] témoigne de l’amour viscéral du Père qui pardonne sans limites, même la dette la plus colossale[17].

L’imitation

Le Père, qui pardonne tout veut que ses disciples l’imitent en pardonnant tout[18]. Cette parabole laisse les disciples dans le trouble. De tels gestes leur paraissaient impossibles. On comprend ainsi le commandement précis et tranchant de Jésus: « Vous donc vous serez parfaits, comme parfait est votre Père qui est dans les cieux. »[19] Jésus nous pousse à l’impossible. Plutôt que d’atténuer son exigence, il élève notre engagement vers la conversion. il faut tendre au maximum pour faire croître en nous les sentiments du Christ: « Cultivez en vous les sentiments qui étaient en Christ Jésus. »[20]

En lisant le Nouveau Testament, on a parfois l’impression que les premières générations de baptisés, follement attirées par le Christ, pratiquaient une spiritualité d’imitation que nous ne pouvons plus imaginer. En réalité, avec le temps, on est passé de la tension vers la perfection du Père à la recherche d’une frontière entre véniel et mortel, entre licite et illicite Un tour de passe-passe indigne de Dieu.

L’infinie bonté trinitaire enveloppe la créature comme dans une flamme

En réalité, chaque chrétien est le prolongement visible de l’incarnation. Sa vie concrète devient le message salvateur pour tous les peuples. Il ne s’agit pas tellement de faire mais plutôt d’être lumière, levain ou sel. La mentalité humaine nous pousse à mesurer et à peser nos œuvres; la mentalité divine nous conduit au paroxysme de l’amour, au don inconditionnel, au martyre. L’Eglise n’a jamais été aussi éloignée de son idéal, du projet qui l’a générée que lorsqu’elle s’est sentie omnipotente, dominatrice, maîtresse du monde. Il fut nécessaire que vienne le poverello pour tenter son renouveau.

L’exigence

L’impératif absolu pour comprendre quelque chose de la miséricorde de Dieu est de se laisser pénétrer par elle existentiellement. A tel point que chaque chrétien doit pouvoir dire: « Je vis, mais ce n’est plus moi, mais Christ vit en moi. La vie que maintenant je vis dans la chair, je la vis dans la foi, celle dans le Fils de Dieu qui m’a aimé et se donna pour moi. »[21]

Dans la vie chrétienne il n’est pas permis de parler d’un minimum pour le salut, mais toujours d’un maximum qui doit être poursuivi par tous. Plus on perçoit que nous tendons vers la cité céleste, plus on comprend que la course vers l’infini a déjà commencé.

Il s’agit d’admettre le renversement des valeurs humaines, défini par les Béatitudes[22] et de reconnaître que l’Eglise appartient aux pauvres, de tout partage avec eux. Elle appartient aussi aux martyrs, qui comme le Christ meurent pour la justice; elle appartient aux persécutés qui n’hésitent pas à dénoncer le péché du monde.

Souvent les saints ont été considérés comme des fous[23], mais seule la folie incarnée révélée par le Fils de Dieu est la plus intelligente de toutes les doctrines humaines[24]. Plus nous entrons dans la perspective de la miséricorde infinie de la Trinité, plus nos catégories humaines s’émiettent pour faire place à un horizon complètement nouveau. Là où compréhension, humanité, pardon, enveloppent aussi bien l’individu que le cosmos lui-même.

Les deux fils

La parabole dite aussi du fils ou du père prodigue a comme protagonistes les deux fils du père qui, comme Rembrandt en a eu l’intuition, est aussi mère.

Le contexte est important. Le début de Luc 15 nous raconte un fait inouï et scandaleux: Jésus a l’habitude d’accueillir publicains et pécheurs et se rend ainsi «impur», selon la pensée judaïque. Le terme générique de pécheurs désigne tous ceux qui vivent publiquement en désaccord avec la loi (concubins, usuriers, prostituées…) tandis que les publicains pourraient être comparés aux mafieux de notre époque. Ils versaient à Rome le montant des taxes requises et encaissaient à leur profit un surplus en faisant pression sur les contribuales. Tout cela sous le couvert de l’autorité romaine. Le fait que Jésus prenne place à la table des publicains était pour les juifs un scandale répugnant.

A leurs objections, le Maître répond par trois paraboles. On ne relève pas assez les hyperboles qu’elles contiennent. Ainsi la fête organisée par une femme qui retrouve une drachme égarée de peu de valeur est disproportionnée. De même aussi celle du berger qui ramène non pas au bercail mais à la maison une brebis perdue après l’avoir hissée sur ses épaules comme un trophée et invité parents et amis. Ces références nous donnent le vertige quand on aborde la parabole des deux fils.

Le fils cadet demande au père la part d’héritge qui aurait dû ne lui revenir qu’à la mort du père. La docilité du père est stupéfiante, alors que la hâte du fils à dilapider son bien n’étonne pas. La famille, déshonorée reste impuissante. Quant au jeune débauché, il se retrouve bientôt les mains vides, mal en pointet affamé. Il se convainc alors de tenter le chemin du retour, même s’il ne peut espérer être compté parmi les serviteurs de son père.

Mais ce dernier l’aperçoit de loin et court à sa rencontre. Il l’embrassant à plusieurs reprises et l’accueille comme un roi. La traduction « il en eut compassion » ne rend pas justice à l’original grec: « il fut saisi aux entrailles », qui rappelle une fois encore les douleurs d’une mère pour l’enfant porté dans son sein. Le fils est revêtu par le père comme un seigneur: habits splendides, anneau signe de pouvoir et sandales signe de richesse. Puis repas somptueux avec musiques et danses.

Le fils aîné, qui revient des champs, est informé du retour de son frère et, outré, refuse de prendre part au banqet. Il reproche au père d’avoir réservé un traitement de prince au fils indigne, alors qu’il ne lui avait jamais offert un chevreau pour festoyer avec ses amis.

On est porté à stigmatiser le comportement de l’aîné, alors que sa réaction aurait pu être la nôtre. Le cadet n’avait plus de droit à faire valoir et un accueil si somptueux avait un relent de scandale pour tous les bien pensants. Le père sort alors de la maison pour supplier l’aîné d’entrer et de se réjouir lui aussi que « ce frère qui était mort est revenu à la vie, il était perdu et il a été retrouvé »?[25]

La lecture de ce texte peut provoquer désarroi et confusion. Ce sentiment est plus sain qu’une acceptation docile de la parabole. Il faut l’assimiler pour qu’elle révolutionne notre vie.

Révolution

Nos concepts habituels du juste ou de l’injuste sont bouleversés et il nous semble entrer dans un monde aux dimensions inhabituelles. Nous nous demandons où est la justice dans un récit qui glorifie un dépravé. Nous nous rendons compte que nous aussi, comme les deux fils, avons besoin de conversion, c’est-à-dire, d’entrer dans la mentalité et dans le cœur de ce Père que Jésus nous révèle. Nous devons reconnaître avoir paralysé et étouffé son infinie miséricorde dans des catégories purement humaines, en excluant qu’il puisse exister un pardon sans repentir préalable. Et nous ne nous sommes pas aperçus que le message de Jésus renverse nos catégories.

Oui, l’infinie bonté trinitaire enveloppe la créature comme dans une flamme et la porte à la découverte de la bonté du Père et de la nécessité de l’aimer à nouveau. Le sacrement du pardon n’est pas un tribunal redoutable, mais le baiser inconditionnel d’un Père qui voit dans la pire de ses créatures un enfant bien-aimé. Non pas la peur du châtiment, mais la tendresse d’une miséricorde infinie, bien au-delà de notre imagination, conduira au repentir et à la conversion.

La Parabole du ripailleur cynique[26]

Il s’agit d’une preuve supplémentaire mais rarement perçue comme telle de la miséricorde sans limites du Père. Le cynique protagoniste n’est préoccupé que de bien manger et de s’habiller encore mieux, au point qu’il ne s’aperçoit même pas de la détresse de Lazare. Il finit « aux enfers dans les tourments », affligé par la flamme avec laquelle le Père enveloppe chaque créature. Et ce « feu dévorant »[27] convertit le pécheur. Plutôt que souhaiter à ses frères de finir dans les mêmes tourments, il veut les aider à se sauver, ce que seul un converti peut formuler avec sincérité.

Dans toute l’histoire de la théologie, des hypothèses selon lesquelles les démons aussi seraient appelés à la conversion ont été formulées. D’Origène à Grégoire de Nysse, de Giovanni Papini à Jacques Maritain, on a pensé à une miséricorde divine tellement puissante que même la damnation des esprits rebelles pourrait être annulée. Ceux-ci, étant libres, ne seraient pas soumis à contrainte, mais attirés par la miséricorde dans le tourbillon d’un amour qui pardonne. On peut penser que rien ni personne résistera à ce feu dévorant qui aboutit dans une étreinte de réconciliation éternelle.

La thèse d’Origène effraya l’Eglise précisément parce que l’on pensait que seule une sanction éternelle aurait judicieusement tenu les fidèles à l’écart du péché. A noter que le terme éternel[28] pourrait être remplacé par temporel, dans le sens que chaque peine avec le temps irait vers son extinction, compte tenu de l’état précaire de chaque créature et des limites de sa responsabilité. Dans une optique éclairée par la miséricorde infinie il nous paraît clair que finalement la cité sainte n’aura pas d’antagoniste blasphèmateur et détestable. Celui-ci sera absorbé dans la seconde et définitive mort[29]. Ainsi, la création voulue par Dieu se réalisera pleinement selon ses fascinants desseins.

Conclusion

Si nous ne pouvons que balbutier sur la miséricorde infinie, ce n’est certainement pas pour déboucher sur des conclusions laxistes, mais plutôt sur des incitations fortement provocatrices: « Réveille-toi, toi qui dors, relève-toi d’entre les morts, et le Christ t’éclairera. »[30] Si nous saisissons, au moins partiellement, la présence d’un amour infini qui nous crée et nous poursuit pour nous conduire à la communion éternelle avec lui, ceci doit nous faire prendre conscience que la révélation du Fils de Dieu fait homme nous a immergés dans une atmosphère céleste. Aujourd’hui même, nous sommes devenus concitoyens de Dieu, dignes des anges et des saints[31] tendus vers le Père de tous, « qui agit par tous et demeure en tous »[32].

Si ces réflexions sur l’ineffable miséricorde de la Trinité nous ont secoués, si elles ont ébranlé quelque mesquine certitude et conduit à des horizons infinis, alors leur but a été atteint. Elles voulaient nous convaincre que le message de Jésus, notre Seigneur, est bouleversant et nous pousse à croire qu’à la fin de cette première étape de notre histoire, Dieu sera « tout en tous »[33].

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Sandro Vitalini. Le professeur émérite Sandro Vitalini occupa une chaire de théologie dogmatique à la Faculté de Théologie de l’Université de Fribourg. Retraité, il vit au Tessin, sa terre natale, et poursuit ses publications.

Traduit et adapté par Flaviano Rigamont et Guy Musy,o.p.


[1] « La religion chrétienne dans sa totalité relève de la miséricorde »; Saint Thomas, Summa theologiae, II-II, 30, 4, ad 2
[2] cfr Jn 1,9
[3] 1 Tm 2,5; Ga 3,2a
[4] Jn 1,14
[5] Jn 1,18 et Jn 14,10
[6] Lc 6, 12
[7] Rm 8,15
[8] Mc 4,2 et Mt 13,3
[9] Jn 1,18
[10] Lc 10, 25-37
[11] Lc 15, 11-32
[12] Lc 10, 29
[13] Lc 10, 30
[14] Jn 4, 9
[15] Lc 10, 32
[16] Mt 14, 14; Mc 6, 30; Lc 7, 13
[17] Mt 18, 27
[18] Mt 18, 39
[19] Mt 5, 48
[20] Ph 2, 5
[21] Ga 2, 20
[22] Mt 5; Lc 6, 20 – 49
[23] Ac 26, 24
[24] 1 Co 1, 18 – 30
[25] Lc 15, 32
[26] Lc 16, 19 – 33
[27] Rm 12, 20
[28] Mt 25, 46
[29] Ap 20, 14
[30] Ep 5, 14
[31] Ep 2, 15
[32] Ep 4, 6
[33] 1 Co 15, 28

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À l’occasion de l’entrée dans le troisième millénaire, j’avais donné une conférence sur la famille. Je me contentais d’en évoquer les enjeux pour les dix ou vingt années à venir. Or nous y sommes déjà ou presque. La question n’a guère changé, mais les angles se sont affinés, voire durcis.

Sociologisme ambiant

Une des difficultés centrales est sans doute un certain sociologisme ambiant. J’entends par sociologisme la tendance à vouloir dériver les normes sociales et éthiques de la simple évolution des mœurs ou, autrement dit, de déduire le progrès moral du progrès social, compris comme linéaire et inéluctable[1].

Un des problèmes à résoudre est ici celui de la pluralité conflictuelle des représentations morales à l’œuvre dans les sociétés démocratiques. L’exemple du débat – manqué ou en tout cas incomplet – sur le mariage pour tous en France a montré que le processus de décision parlementaire et gouvernemental ne se confond pas avec la situation réelle de la société française. Cela vaut, me semble-t-il, aussi bien pour l’ambigüité des langages (pourquoi parler de mariage plutôt que d’union civile et de partenariat à propos des couples de gays ou de lesbiennes? quelle est la décision anthropologique qui décide de déduire que l’égalité des droits est équivalente à l’identité des désignations sémantiques, alors que les réalités humaines sont, de fait, différentes? qu’est-ce qui permet de justifier le saut entre le droit et la symbolique?)

Nous traiterons dans la suite de cet article la question des couples homosexuels, car elle constitue un bon test des changements qui sont en train de s’opérer dans la compréhension de la famille. De notre point de vue, il ne s’agit pas de suivre de manière linéaire et non critique les évolutions en cours, mais de tenter de garder de vue une certaine cohérence globale entre les notions de famille, de couple et de filiation. Notre perspective relève davantage, de ce fait, d’une réflexion sur les dimensions sociales et institutionnelles du lien amoureux, sexuel et parental que d’une défense monomaniaque des droits individuels.

Les débats de ces derniers mois, touchant aux couples homosexuels, ont généralement confondu trois types de problèmes qui, de mon point de vue, devraient être distingués avec soin.

Les églises protestantes doivent-elles bénir les couples ayant contracté un partenariat civil?

Nous présupposons l’idée civile de partenariat, tel qu’il existe notamment dans la loi suisse, mieux conçue et ciblée que le pacs français, lequel est trop largement prévu pour d’autres situations que celles des couples de gays ou de lesbiennes.

Pour ma part, j’ai toujours estimé nécessaire et prudent de distinguer la question du partenariat civil pour les couples de même sexe de celle de leur bénédiction par l’église. Il n’existe pas en effet, à mes yeux, de lien direct entre les deux problématiques. Pour le dire autrement, la justification de la bénédiction ne réside pas simplement dans le parallèle qu’on peut être tenté d’établir avec d’autres institutions civiles, comme le mariage hétérosexuel. La bénédiction nuptiale accordée aux couples de sexes différents ne repose pas simplement sur la reconnaissance, par l’église, d’un rite social juridiquement établi, mais se réclame aussi d’une certaine interprétation biblique et théologique de la signification du mariage comme tel. On voit bien que, dans le parallèle établi avec le « mariage » d’un couple de même sexe les conditions d’une telle interprétation ne sont pas données. La bénédiction nuptiale classique, celle du mariage hétérosexuel, est cohérente du point de vue biblique et théologique. Dans le cas du « mariage gay », la construction d’une telle cohérence est pour le moins très problématique et je dirais même plus hautement acrobatique et improbable.

Il n’y a donc pas d’obligation logique et théologique quelconque à déduire de la reconnaissance du partenariat civil de couples de même sexe l’obligation de leur accorder un rite de bénédiction.

La question la plus difficile aujourd’hui, on a tendance à l’oublier, est celle de la signification théologique du mariage, notamment en protestantisme[2]. Nous ne disposons pas, de ce côté-ci, d’une théologie du mariage comme sacrement. Mais l’héritage augustinien ne nous est pas à ce point devenu étranger que nous ne puissions pas y recourir au moins partiellement. Rappelons que, chez Augustin, le mariage repose sur ce qu’on peut désigner comme un trépied: la fides, la proles et le sacramentum. Autrement dit la relation de confiance entre les époux, la perspective de la filiation et la dimension proprement théologale, le rapport du couple à Dieu et sa signification devant Dieu. Le débat actuel sur la bénédiction des couples homosexuels dans les églises protestantes a révélé la fragilité extrême de la théologie du mariage (hétérosexuel). Sans en faire un sacrement, il importe, de mon point de vue, d’en revaloriser la portée. C’est seulement quand cette question sera clarifiée qu’on pourra expliquer pourquoi l’accueil des couples de même sexe, s’il peut en effet répondre à une question éthique de respect et de justice, ne doit pas virer cependant en une confusion indue entre le mariage hétérosexuel et l’union civile de couples de même sexe vivant en partenariat. Il y a donc bien un lien à établir entre la question de la bénédiction et celle du statut civil respectif du mariage et du partenariat.

La société civile doit-elle instituer un mariage pour tous ou convient-il de distinguer le mariage et le partenariat civil?

On voit clairement la grande différence entre le débat interne au protestantisme suisse et la discussion française au sujet du « mariage pour tous ». Le gouvernement socialiste français puis le parlement à majorité socialiste, suivant les engagements de campagne de François Hollande, ont adopté le mariage pour tous, sur un plan purement civil, en modifiant l’état juridique antérieur constitué par le pacs. Comme nous l’avons dit un peu plus haut, le pacs lui-même souffrait, en comparaison de la législation helvétique, d’un défaut rédhibitoire, puisqu’il était valable aussi bien pour les couples hétérosexuels que pour les couples de même sexe. Il avait introduit pour ainsi dire deux catégories de disposition, le pacs et le mariage, entre lesquels les hétérosexuels pouvaient choisir, mais non pas bien sûr les homosexuels. La nouvelle législation française adoptée en février 2013 met ainsi à plat les deux institutions et supprime de ce fait, si je vois bien, le pacs, en faveur de la notion supposée plus large et plus juste de « mariage pour tous ».

On n’est pas parent tout seul, symboliquement parlant. On est père, ou on est mère.

Du point de vue de l’égalité des droits, on se trouve ici entre deux thèses opposées. La tendance dominante semble donner à penser que l’égalité des droits individuels porte à reconnaître à toute personne homosexuelle le même droit au mariage que celui dont jouissent déjà les hétérosexuels. Mais cette thèse repose à mon sens sur une pétition de principe, puisque le mariage est déjà défini a priori comme indifférent du point de vue de l’orientation sexuelle de celles et ceux qui le contractent. C’est pourquoi il faut soutenir une autre thèse: l’égalité des droits doit être compatible avec la situation respective des personnes. Ainsi, il n’y a aucune contradiction – ni juridique, ni éthique – à dire que les personnes de sexe différent peuvent se marier tandis que les personnes de même sexe peuvent s’unir par le biais d’un partenariat enregistré. L’égalité des droits n’est nullement affectée par une telle clarification des instances différentes à même de répondre aux demandes légitimes des uns et des autres.

L’égalité des droits entraîne-t-elle l’accès des homosexuels aux mêmes types de parentalité? (la question de la filiation et de l’homoparentalité)

Comme la France, la Suisse s’interroge sur les questions liées à l’homoparentalité. Mais alors que la France a décidé, en théorie, de régler les questions l’une après l’autre, la Suisse a mis la charrue avant les bœufs, en discutant l’adoption pour les couples de même sexe à l’intérieur des dispositions prévues au sujet du partenariat qui les lie. La question a été tranchée de manière positive par le Conseil national, mais doit encore être reprise par le Conseil des états[3]. Le débat a cependant montré la nécessité de limiter un tel accès des homosexuels aux seuls enfants du partenaire. On part ainsi d’une situation de fait, celle de l’existence d’enfants (nés d’une relation hétérosexuelle) au sein du couple de même sexe. Il ne s’agit pas, autrement dit, de céder à l’idée d’une homoparentalité propre au couple de même sexe comme tel. La différence est cruciale, comme nous allons tenter de l’expliciter par la suite.

Plutôt que d’entrer dans le détail des débats législatifs actuels, prenons de la hauteur, en méditant sur les enjeux éthiques et symboliques de la filiation[4]. Le point le plus difficile réside dans la question de savoir qui sont les parents de l’enfant. Parle-t-on de parents individuels, pris chacun pour soi, isolément, ou parle-t-on d’un couple parental?[5] De mon point de vue, la parentalité doit être abordée d’abord sous l’angle du couple parental et non pas en dissociant d’emblée les deux parents comme détenteurs de droits isolés. Nous nous tenons ici sur le plan fondamental et symbolique, et non pas, bien sûr, sur celui des réalités sociologiques quotidiennes, où la lutte respective de chacun des deux parents (notamment en cas de séparation ou de divorce) doit être reconnue à sa juste place. Mais on n’est pas parent tout seul, symboliquement parlant. On est père, ou on est mère. Il est important non seulement pour l’enfant, mais pour le couple lui-même et pour la société, de respecter cette dualité ou cette dyade fondamentale. Ce n’est donc pas un père tout seul, ou une mère toute seule, qui adopte ou qui accède à la procréation médicale assistée, mais un couple formé d’un père et d’une mère. Dans les cas d’homoparentalité, on ne doit discuter qu’à titre exceptionnel si l’un des deux membres du couple peut adopter l’enfant d’un autre. Mais cela ne devrait, justement, être envisageable qu’au cas où l’autre parent biologique ferait totalement défaut. Mais en aucun cas, il ne devrait être admis que les deux membres du couple de gays ou de lesbiennes deviennent ensemble les deux parents d’un enfant. C’est sur ce point que règne la plus profonde ambiguïté et que l’on s’aperçoit à quel point peut s’avérer pervers et nocif le télescopage de la fausse bonne idée d’un « mariage pour tous » et de l’homoparentalité érigée en idéologie des droits individuels.

La famille, en conclusion, n’est plus seulement une entité définie par ses données biologiques; elle est, plus que jamais, un lieu d’existence et de reconnaissance de type hautement symbolique. Mais cela ne diminue en rien la portée de la différence des sexes, du masculin et du féminin, au cœur de la filiation et de la construction de la parenté.

[1] Voir mes remarques à ce sujet dans La gauche, la droite et l’éthique. Jalons protestants et œcuméniques face aux défis actuels de la laïcité, Paris, Cerf, 2012.

[2] Voir Denis Müller et Céline Ehrwein, « Éthique du mariage et des autres formes de coexistence humaine », in I. Graesslé, P. Bühler, Ch. D. Müller (éds.), Qui a peur des homosexuelles? Évaluation et discussion des prises de positions des Églises protestantes de Suisse, Genève, Labor et Fides, 2001, p. 84-101.

[3] http://www.romandie.com/news/n/_Les_deputes_suisses_permettent_aux_homosexuels_d_adopter_l_enfant_de_leur_partenaire72131220121235.asp (consulté le 17 février 2013).

[4] Je me suis exprimé à ce sujet dans l’article « La filiation et la promesse. D’une éthique de l’égalité dans la différence à une reprise théologique de la différenciation ». Revue d’éthique et de théologie morale, RETM 225. juin 2003, p.111-129 et, tout récemment, dans la presse romande: « ‘Mariage pour tous’: bonne nouvelle ou Kindersurprise? », Le Matin, jeudi 29 novembre 2012, p. 21; « Évitons la confusion entre adoption et parentalité », Le Temps, vendredi 7 décembre 2012, p. 13.

[5] Il a été frappant de voir apparaître en France, à un certain moment du débat sur le mariage pour tous, que le législateur pourrait renoncer aux notions de père et de mère et les remplacer par celles de parent 1 et de parent 2. Heureusement, cette absurdité administrative a été finalement retirée. Mais elle était révélatrice d’un état d’esprit et en particulier d’une conception très individualiste des droits. Pour la discussion intraprotestante de ces questions, cf. « Disputatio: 95 thèses pour l’accueil des minorités sexuelles dans les Églises au nom de l’Évangile« ; Richard Bennahmias, « Les ordres de la création doivent être soumis à la relativisation de l’histoire », et Denis Müller « Pour un juste équilibre entre les théologies de la création et de l’alliance », Réforme, janvier 2013, p. 14-15.

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Denis Muller

Denis Muller

Denis Müller est professeur ordinaire d’éthique et de théologie à l’Université de Genève. De confession réformée, cet auteur s’est fait largement connaître par ses publications, jusqu’à devenir une autorité reconnue en matière d’éthique. Il est co-directeur du “Dictionnaire Encyclopédique D’Ethique Chrétienne”, paru aux Editions du Cerf en 2013.

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Gilles Emery: Maître en Théologie https://www.revue-sources.org/gilles-emery-maitre-en-theologie/ https://www.revue-sources.org/gilles-emery-maitre-en-theologie/#respond Mon, 01 Oct 2012 14:17:28 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=727 [print-me]

A la demande des frères dominicains de la Province de Suisse, le Maître de l’Ordre des Frères Prêcheurs, Bruno Cadoré, a conféré le titre de “Maître en Théologie” au frère Gilles Emery. Notre revue l’a rencontré.

Une constante dans vos recherches et publications: l’approche du mystère trinitaire à la lumière des théologiens médiévaux, de Thomas d’Aquin en particulier. D’où tenez-vous cet intérêt? Quelle place, quelle importance donnez-vous à cette réflexion dans votre vie personnelle et dans celle de l’Eglise d’aujourd’hui?

Pendant mes années de collège, deux “questions” suscitaient particulièrement mon intérêt: comme chrétiens, nous croyons en un Dieu qui est Trinité, et en Jésus qui est Dieu et homme. Durant mes études de théologie, c’est le mystère de Dieu qui m’a le plus fasciné: Dieu dans ses rapports avec nous, et Dieu « en lui-même », dans son propre mystère. J’ai d’abord exploré cela chez des théologiens contemporains, et plus tard j’en suis venu comme à reculons au moyen âge et à l’antiquité.

Peut-être les étudiants sont-ils aujourd’hui moins « contestataires » qu’à l’époque de mes propres études à Fribourg.

D’où cet intérêt me vient-il? Simplement de cette question: si être chrétien, c’est vivre avec le Dieu révélé en Jésus, qui est ce Dieu? J’ai été frappé par un livre qui portait le titre « Dieu: la Bonne Nouvelle » (Cerf, 1999). La Bonne nouvelle, c’est Dieu! Non pas un Dieu lointain ni un Dieu de marbre, mais un Dieu en qui l’unité est vivante et personnelle, un Dieu qui nous fait participer à sa vie.

Entre nous: quand je publie un article ou un petit livre, mes amis sourient souvent: « Encore sur la Trinité! ». Eh oui, encore sur la Trinité. La foi en la Trinité (qui inclut la foi au Christ Jésus) est le centre de notre vie et de notre identité de chrétiens. Je suis convaincu qu’il faut remettre ce centre… au centre. Au centre de notre vie, de notre prière et de notre annonce de la foi.

Il n’est peut-être pas indifférent de vous demander comment vous reliez notre foi trinitaire au monothéisme. Nous vivons dans un contexte interreligieux où s’affirme l’islam. Mais le judaïsme n’est pas en retrait.

Je suis de plus en plus réservé sur la valeur d’expressions telles que « les trois monothéismes » ou « les monothéismes méditerranéens » ou « les monothéismes » tout court, comme s’il s’agissait simplement de trois variantes d’une identique réalité.

Le terme même de « monothéisme » ne date que du dix-septième siècle, dans le contexte de la philosophie de la religion: il est utile et légitime mais il n’est pas sans ambiguïté. Car, comme Rémi Brague l’a bien montré, ce n’est pas tout que d’affirmer l’existence d’un seul Dieu (monothéisme). Il faut aussi voir que Dieu est « un » en lui-même, et surtout comment ce Dieu est un. Sans oublier cette question fondamentale: quelles relations ce Dieu « un » entretient-il avec le monde et avec les hommes?

Pour les juifs comme pour les chrétiens, c’est par et dans son action historique que Dieu a révélé « qui il est ». Le cas de l’Islam est différent. Pour les chrétiens, Dieu a montré « qui il est » et « comment il est un » en envoyant son Fils à Noël et son Esprit-Saint à la Pentecôte. Non seulement Dieu a un Fils et un Esprit, mais Dieu est Père, Fils et Esprit-Saint. Nous pouvons établir des comparaisons avec d’autres religions, et nous devons réfléchir dans un contexte pluri-religieux (les religions proprement dites et aussi ce qu’on peut appeler le contexte « religieux séculier»), mais pour y parvenir nous devons d’abord prendre en compte ce que chaque religion, et le christianisme en particulier, a de propre. C’est la base si l’on veut avancer dans la réflexion. Cela aide non seulement à mieux comprendre les autres religions, mais cela nous aide aussi à prendre conscience de notre propre foi!

Depuis plus de vingt ans vous enseignez la théologie dans une Faculté qui forme les prêtres et les théologiens et théologiennes de demain. Quel regard portez-vous sur cet auditoire? Quelle évolution notez-vous depuis vingt ans? L’enseignement de la théologie catholique à l’Université de Fribourg est-il entré dans la même zone de «turbulence » que celle déplorée par certains théologiens réformés romands?

J’enseigne la théologie depuis 1995, et depuis 1997 comme professeur. L’auditoire (laïcs, séminaristes, religieux et prêtres) est aujourd’hui moins nombreux qu’à mes débuts mais tout aussi varié: il me passionne toujours autant.

L’évolution? Peut-être les étudiants sont-ils aujourd’hui moins « contestataires » qu’à l’époque de mes propres études à Fribourg. Peut-être aussi sont-ils davantage en recherche des fondements essentiels de la foi chrétienne, avec un accent «existentiel» marqué. La génération actuelle est très consciente qu’aujourd’hui, être croyant, vivre et confesser sa foi, ne va vraiment plus du tout de soi. Non seulement les jeunes de cette génération n’ont plus idée d’une religion portée par la société ambiante, mais ils ont souvent appris à vivre avec de proches amis et des membres de leurs familles qui ne professent aucune croyance religieuse.

Je suis convaincu qu’il n’y a pas de véritable progrès sans la reprise du meilleur de la tradition

Pour ma part, je n’observe pas à Fribourg la zone de « turbulence » que vous évoquez. Mais je constate bien le défi: d’une part, proposer une théologie « confessante », c’est-à-dire une théologie qui confesse la foi et qui aide à la vivre ; d’autre part, une théologie qui « tient la route » face à la raison humaine et qui permet de vivre de manière ouverte dans le dialogue avec une culture où la religion devient insignifiante. Cela exige un réel effort d’intelligence. Et avant de donner des réponses, il est surtout nécessaire de saisir les questions qui se posent! C’est là que la pensée de saint Thomas d’Aquin est spécialement valable et stimulante: elle conjugue un sens très vif de la foi, une confiance profonde dans l’intelligence, et une rigoureuse attention prêtée à la nature et à la culture humaine.

Vous avez été appelé à faire partie de la Commission théologique Internationale. A votre avis, quel débat auquel vous avez pris part et quel document publié par cette Commission revêtent le plus d’intérêt et d’importance?

Je fais partie de cette Commission depuis 2004. Le document le plus important me semble être « À la recherche d’une éthique universelle: nouveaux regards sur la loi naturelle » (2009). C’est un document de grande valeur: je le trouve éclairant et très bien fait.

Mais ce sont les discussions sur « L’espérance du salut pour les enfants qui meurent sans baptême » (2007) qui m’ont peut-être le plus intéressé. Car, outre les enjeux pastoraux très directs, souvent dramatiques pour bien des parents, la réflexion théologique sur ce sujet réunit tous les principaux éléments de la foi: la volonté que Dieu a de sauver tous les hommes, l’œuvre du Christ et le don de l’Esprit-Saint, la grâce, la nature et le péché originel, la réalité historique du salut, la nécessité des sacrements, la collaboration humaine à l’agir salvifique de Dieu Trinité, la médiation de l’Eglise, la famille, la prière, la valeur de la vie humaine et son ouverture à Dieu. J’ai rarement été confronté à l’examen approfondi d’une question théologique aussi complexe.

Vous êtes né l’année même où s’ouvrait le concile Vatican II. Votre regard sur ce demi-siècle « ecclésial », ses ombres et ses lumières?

Je suis né entre la convocation et l’ouverture du concile Vatican II. Je n’ai pas connu l’ »avant-concile ». J’ai lu de nombreux « bilans » de ces 50 dernières années mais je suis réservé sur la possibilité de dresser un bilan global. En effet, l’assimilation du ressourcement et du progrès accomplis par Vatican II a connu des formes et des rythmes très variés dont l’évaluation demanderait une vue très vaste et davantage de recul. Au lieu de répéter tant de choses que l’on a déjà dites ou écrites sur les décennies passées, je propose plutôt de regarder en avant. Gaudium et spes a observé que notre humanité vit « un âge nouveau de son histoire, caractérisé par des changements profonds et rapides qui s’étendent peu à peu à l’ensemble du globe ». Et c’est encore mille fois plus vrai aujourd’hui qu’en 1962-1965!

Sans faire un inventaire des lieux, je suis convaincu qu’il n’y a pas de véritable progrès sans la reprise du meilleur de la tradition, une reprise qui se fait « par l’intérieur »: c’est seulement à cette condition que l’on avance, par approfondissement. On me permettra une anecdote. Récemment, lors d’un cours d’introduction à des débutants, un jeune homme m’a posé la question: « Mais quelle est cette encyclique “Vatican II” dont vous parlez depuis le début de ce cours? ». J’ai déposé mes notes puis, après une grande respiration, j’ai essayé de rappeler comment l’Eglise, au cours des temps, et en particulier par ses conciles, a répondu à sa vocation d’avancer dans l’explicitation de la foi face aux défis du moment, d’avancer dans l’annonce de la foi et dans la vie de la foi: et c’est un chemin qui se poursuit.

Votre promotion à la maîtrise en théologie est l’occasion pour notre Ordre de reconnaître vos mérites, vos travaux et vos recherches. En retour, quels conseils donneriez-vous à vos frères, aux plus jeunes en particulier?

Lorsque je rencontre un étudiant ou une étudiante qui vient me voir pour discuter le sujet de son projet de recherche (travail de master, de licence ou de doctorat), je donne parfois cette recommandation. (1) Choisissez un sujet qui vous passionne et qui soit assez profond pour soutenir sans érosion une étude prolongée, des jours et peut-être des nuits sur une longue période: allez aux grands mystères de la foi et de la vie chrétienne.

(2) Prenez un sujet capable de nourrir votre participation à la liturgie, votre prière et votre désir de communiquer la foi en prêtant attention aux questions d’autrui, pour entrer dans un rapport fécond avec ceux que vous rencontrerez.

(3) Portez votre attention sur les grands auteurs et les grands témoins du christianisme, les «maîtres» de la foi et de la vie chrétiennes, ceux qui nous enracinent dans l’attachement au Christ et qui affinent en nous le « sens » et le «goût» de Dieu.


Né en 1962, le frère Gilles est entré dans l’Ordre de saint Dominique à l’âge de 23 ans. Au terme de ses études théologiques de base à la Faculté de Théologie de Fribourg, il exerça pendant deux ans (1990-1992) un ministère de vicaire à la paroisse Saint Paul de Genève, desservie alors par les Dominicains. Il retourna au Couvent St. Hyacinthe de Fribourg – où il réside encore – pour entreprendre un doctorat en théologie, couronné par la publication de sa thèse:”La Trinité créatrice”. Une étude fouillée de 590 pages, consacrée à l’examen des relations entre Trinité et Création dans le Commentaire des Sentences de Thomas d’Aquin et de ses précurseurs Albert le Grand et Bonaventure.

Dès 1995, le frère Gilles Emery enseigne la théologie dogmatique à la Faculté de Théologie de l’Université de Fribourg. Deux ans plus tard, il deviendra professeur ordinaire, tout en poursuivant ses recherches. Le résultat sera la publication en 2004 d’un ouvrage intitulé: “La théologie trinitaire de saint Thomas d’Aquin”. Ses nombreuses publications, la qualité de son enseignement, la rigueur de sa recherche lui vaudront d’être appelé à participer à la Commission Théologique Internationale, à l’Académie européenne des sciences et des arts et au comité de rédaction de la Revue Thomiste.

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Engagée pour la justice https://www.revue-sources.org/engagee-pour-la-justice/ https://www.revue-sources.org/engagee-pour-la-justice/#respond Sun, 01 Apr 2012 15:31:35 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=72 [print-me]

Marie-Laure Denès

Nous retranscrivons l’entretien de Sœur Marie-Laure avec un groupe de jeunes religieux et religieuses français (CORREF), tenu le 28 janvier 2012.

Sœur Marie-Laure Denès, dominicaine française de la Congrégation Romaine de Saint Dominique (CRSD), actuellement prieure d’une communauté de sa congrégation à Poitiers, étudiante en « Sciences Po », fut membre du Secrétariat d’études politiques de l’archevêché de Paris et, à ce titre, fit partie de l’aumônerie des Parlementaires français. Elle assuma ensuite la charge de Secrétaire Générale de « Justice et Paix- France », service de la Conférence des Evêques français, puis le Secrétariat Général de « Justice et Paix-Europe » de la Commission des Conférences Episcopales Européennes.

Quel est l’appel que j’ai entendu et qui m’a conduit à être ce que je suis aujourd’hui?

D’aussi loin que je me souvienne, cet appel est double.

La question de l’injustice d’abord. J’y ai été très tôt sensibilisée, sans doute parce que j’avais un terreau familial qui était attentif à cette question au nom de sa foi, mais aussi par des expériences: racisme à l’école primaire, projet mené avec le CCFD, images télévisées fortes (enfants du Biafra). Pourquoi eux et pas moi? Serait-ce parce qu’ils sont nés ailleurs et que de ce fait leur vie serait vouée à la misère?

Aujourd’hui encore, cette question est au cœur de mes combats. Elle ne me laisse pas de répit; elle me taraude, comme une écharde dans la chair; elle m’empêche de m’assoupir, d’être complètement tranquille; elle me pousse à l’engagement…

Puis, la question de l’incroyance. J’appartiens à une génération où le chrétien est minoritaire dans son milieu de vie. Cela ne m’a jamais fait problème ou donné des complexes. Alors que la question de la mort fut très présente dans ma vie, de façon quotidienne depuis l’âge de dix ans, la foi a été pour moi la seule issue qui pouvait donner sens et me sortir de l’absurde. Je me demandais alors comment s’en sortaient ceux qui ne croyaient pas. Comment faisaient-ils pour vivre sans perspective? Il y avait là aussi une forme d’injustice pour ces personnes à qui on n’avait jamais parlé de Jésus. Chez Dominique, j’ai découvert tardivement ce double appel qui résonnait en lui.

Quels sont les enjeux actuels de la forme de vie religieuse à laquelle j’appartiens?

Précisément, c’est de trouver une forme signifiante.

Dans un ethos chrétien, qui a été une réalité jusqu’il y a une vingtaine d’années, tout le monde identifiait la vie religieuse. On ne savait pas trop ce que c’était, mai le mot « religieuse » ou « bonne sœur » renvoyait à des représentations plus ou moins exactes. Dans chaque village, ou au moins dans chaque canton, il y avait une communauté. Quand j’entrai en religion, il y a 18 ans, c’était encore le cas. Depuis une dizaine d’années, pour beaucoup de nos contemporains, le mot même de religieuse ne renvoie à rien. Cela peut-être une chance de ne pas correspondre à une image d’Epinal. Mais à condition de ne pas se crisper sur des formes, des rites qui ne parlent plus ou seulement à un groupe d’initiés. A condition aussi de ne pas se cramponner à ce qu’on a connu, de renoncer au mythe de l’âge d’or. A trop regarder en arrière on se transforme en statues de sel. A condition enfin de ne pas se réfugier derrière de fausses sécurités, de vouloir être visible par-dessus tout. Le problème n’est pas la visibilité, mais la lisibilité. Je peux être visible sans être lisible.

L’enjeu est d’accepter de ne pas savoir où l’on va, de rester ouvert à l’inattendu de l’Esprit, d’écouter ce que l’Esprit dit aux Eglises en ce XXIème siècle, de demeurer des itinérants prêts à rejoindre les chemins de nos contemporains. Parce que l’Evangile est pour aujourd’hui. A cet effet, il nous faut scruter les signes des temps. C’est le sens de la célébration des 50 ans de Vatican II: « Mû par la foi par laquelle il se croit conduit par l’Esprit du Seigneur qui remplit l’univers, le peuple de Dieu s’efforce de discerner dans les événements, les exigences et les requêtes de notre temps, auxquels il participe avec les autres hommes, quels sont les signes véritables de la présence et du dessein de Dieu » (GS n11). Nous serons aidés à réinventer la vie religieuse, à parler différemment de nos vœux et à les vivre différemment. Ne plus insister sur leurs limites, mais sur leur force de déploiement. Ne soyons pas nostalgiques, soyons attentifs à la vie qui naît. Peut-être ce que nous aurons à vivre n’aura rien à voir avec ce que nous vivons actuellement. Et alors? Le seul enjeu qui vaille, c’est que l’Evangile soit annoncé, quelle qu’en soit la forme.

Nous sommes invités à une expérience de résurrection. Pour nous, la résurrection est la vie, malgré la mort inévitable. C’est la vie qui traverse la mort, qui l’accepte comme un passage fécond, ouvert sur une vie nouvelle dont, soyons honnêtes, nous ne savons pas grand-chose. Acceptons-nous de prendre la mer pour cette traversée?

Quelles sont les situations du monde qui questionnent ma foi et mon engagement?

J’ai choisi quatre points.

Injustice et pensée sociale

Comment se fait-il que si peu de chrétiens – dont beaucoup ont des responsabilités politiques, économiques… – ne voient pas (ou même les nient) les implications sociétales de l’Evangile? Quand vous entendez dans des milieux bien catholiques: « de quoi se mêle l’Eglise quand elle parle politique? », ou: « ce n’est pas le rôle de l’Eglise de parler d’économie », je me dis qu’il y a là matière à réflexion sur la façon dont nous annonçons l’Evangile et en vivons nous-mêmes. Y compris dans notre vie religieuse. Connaissons-nous et faisons-nous connaître la pensée sociale de l’Eglise? Où sont les pauvres dans nos églises, dans nos aumôneries? La foi ne serait-elle qu’une histoire entre Dieu et moi? Un culte, une pratique? Un supplément d’âme? Un mode culturel? Où s’incarne-t-elle dans ce qui tisse nos jours?

La réconciliation

Pour avoir pas mal circulé ces dernières années en Europe, j’ai été frappée de la profondeur des haines qui traversent notre continent, sans parler des autres. Les chrétiens sont partie prenante de ces conflits où les confessions agissent souvent comme marqueurs. J’ai vu des commissions Justice et Paix se déchirer, parce que le sentiment nationaliste l’emportait là où nous aurions dû être acteurs et facteurs de liens. Nous prêchons l’espérance d’une humanité réconciliée en Christ, mais comment y participons-nous? C’est une question pour notre foi en général et pour notre vie communautaire en particulier. Est-ce que nous sommes des laboratoires du vivre ensemble? Cette question-là me semble prioritaire. Si nous ne prenons pas à bras le corps ce ministère de la réconciliation, qui le fera à notre place?

Langages

Les bouleversements de notre monde actuel (techniques, culturels…) sont impressionnants et rapides. Comment rejoindre nos contemporains quand nos mots ne parlent plus, quand nos symboles ne signifient plus rien ou sont devenus trop polysémiques et brouillés? Il nous faut travailler sur nos langages pour qu’ils soient audibles, compréhensibles. Il nous faut nous inculturer à ces mondes différents, pas seulement au-delà des frontières, mais ici, dans les mondes de jeunes.

L’Eglise

Il n’y a pas que les situations du monde qui interrogent ma foi et mon engagement. Il y a aussi la situation de mon Eglise. Chaque fois qu’elle exclue ou qu’elle juge, chaque fois que l’intérêt de la « boutique » prévaut sur la vérité et la miséricorde, chaque fois qu’elle diabolise ou oublie l’option préférentielle pour les pauvres, je suis questionnée, à titre personnel comme membre de ce corps et comme témoin de la foi.

Comment j’ai rencontré le Christ?

Dans le champ politique

Cela peut surprendre et pourtant. C’est le lieu où l’on peut travailler au bien commun, lutter pour la justice, la sollicitude à l’égard de l’autre. Je rappellerai cette phrase de Pie XI: « Le domaine de la politique… est le champ de la plus vaste charité, la charité politique« , 1927. J’ai rencontré dans le monde politique, même si ils ne l’exprimaient pas de cette façon, des personnes qui participaient à la construction du Royaume de Dieu.

Lorsque la vie est plus forte que la mort

J’ai rencontré le Christ dans tous ces visages connus ou seulement croisés d’hommes et de femmes qui vivent des situations au-delà de ce qui est concevable, qui, alors que tout ne semble que mort autour d’eux, trouvent la force de se relever pour repartir: les détenus de Fleury Mérogis avec qui nous célébrions tous les mois, les victimes de la traite rencontrées en Ukraine, les victimes de torture…J’ai rencontré le Christ dans les visages de tous mes collègues qui se battaient pour que d’autres puissent mieux vivre, que les droits de l’homme soient respectés, et cela au péril de leur vie, en RDC, au Pakistan, sur toutes les lignes de fractures.

Ceux que j’appelle les saints du quotidien

J’ai rencontré le Christ dans tous ceux qui brisent les murs qui séparent et tissent des liens, contre vents et marées comme le faisait Jésus sur la terre de Palestine. Ils n’auront peut-être jamais leur nom dans les journaux, mais ils se font passeurs, tissent la fraternité au quotidien, par un sourire, un service, un regard dans leur travail, leur voisinage, les rencontres impromptues, leurs engagements associatifs. Autant de gestes capables de remettre debout, de dire à l’autre qu’il a du prix. Ils se font présence d’Evangile là où on aurait tendance à l’oublier.

Comment j’essaie d’être témoin du Christ là où je suis?

Je ne me pose pas la question ainsi. Je ne me demande pas si je suis témoin ou non. Je n’essaie pas d’être témoin. Ce n’est pas moi qui peut le dire, c’est celui qui est en face. Moi, j’essaie, modestement, avec mes limites, de partager ce qui me fait vivre.

En vivant la phrase de Lacordaire: « j’ai tant aimé ce siècle« . J’ai la conviction que Dieu aime le monde, aujourd’hui comme hier et veut le bonheur de ses enfants. Le regard que je porte sur le monde auquel j’appartiens est un regard de bienveillance. Sans naïveté, ni complaisance. En disant ce qui ne va pas, comme ce qui va, comme je le fais avec ceux que j’aime.

En entrant en relation à hauteur d’homme, dans le quotidien. Dans ce monde pressé, j’aime perdre du temps (au regard de l’efficacité) avec des gens connus ou inconnus; j’aime entrer en dialogue non pour les convaincre mais pour les rejoindre sur leurs chemins et ensemble refaire la route d’Emmaüs. Mon programme est à la fois « L’Eglise se fait conversation » (Ecclesiam Suam) et « L’homme est la route de l’Eglise » (Redemptor Hominis).

En essayant, cahin-caha, de vivre en cohérence, malgré mes incohérences et, quand l’occasion m’est donnée, d’expliciter mes choix.

Bien sûr, en m’engageant pour la justice et la paix! Parce que ce combat-là est constitutif de l’évangélisation comme le disait avec force le synode de 1971 et comme l’a rappelé avec bonheur Caritas in Veritate pour ceux qui en doutent encore. Ce combat là est pour moi essentiel. Il est actualisation du ministère de l’espérance.

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Youcat https://www.revue-sources.org/youcat/ https://www.revue-sources.org/youcat/#respond Sun, 01 Apr 2012 10:50:57 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=75 [print-me]

Le premier Catéchisme de l’Église catholique pour les jeunes de l’histoire (!), intitulé Youcat [1], veut donner des points de repère, proposer la foi de manière claire et susciter le débat.

Comme le dit le Pape dans sa Préface, reprise en dernière page de couverture, Youcat souhaite provoquer la réflexion, seul ou à deux, il désire faire « circuler la Parole » en groupes, via les blogs et les réseaux sociaux, sur les grandes questions existentielles, sociales et spirituelles. Il se présente donc comme un point de départ. Tous les animateurs et les jeunes qui l’ont déjà utilisé le disent: Youcat constitue une bonne synthèse sur un sujet, mais il demande à être complété, soit par un dialogue entre jeunes, soit par le recours au « grand frère », le Catéchisme de l’Église catholique (CEC) ou à d’autres ouvrages. Pour que l’aventure commence…

Le «Y» de la couverture

Il est jaune et blanc. Aux couleurs du Vatican. Lumineux comme le soleil. L’emballage pourrait être plus attractif. Youcat, abréviation de l’anglais Youth Catechism, est le Catéchisme de l’Église catholique pour la jeunesse, glissé dans le sac à dos de tous les participants aux dernières Journées Mondiales de la Jeunesse (JMJ) en août 2011 à Madrid. Le «Y» de Youth, qui trône sur la première page de couverture, veut toucher le destinataire au cœur: «Y» comme You: « Prends le livre, il est pour toi!». Ce «Y» rassemble dans son graphisme, trouvaille intéressante, une multitude de symboles venus d’Orient comme d’Occident: la croix, sous une pluralité de formes, la colombe de l’Esprit Saint, le sigle IHS (Jésus), l’agneau et le cierge pascals, le poisson, le tétragramme YHWH, la Bible, la Vierge Marie, des églises, le chapelet, l’ostensoir, l’encensoir, et même une mitre épiscopale…

Rédigé avec des jeunes

D’où vient l’idée de Youcat? Lors d’une conférence de presse où il présentait l’Abrégé (2005) du CEC, l’archevêque de Vienne, Mgr Christoph Schönborn, fut interpellé par un journaliste lui reprochant la langue d’un tel ouvrage, incompréhensible notamment pour les jeunes. Soutenus par le Cardinal autrichien, un groupe de théologien-ne-s et de prêtres allemands entreprit alors de constituer un outil accessible à la jeune génération. Pour ce faire, ils se sont assuré la collaboration de professeur-e-s de religion, et surtout d’une équipe d’une cinquantaine de jeunes entre quinze et vingt-cinq ans, croyants ou non. Réunis en camps intensifs durant les étés 2006 et 2007, ces jeunes «théologien-ne-s en herbe » ont vigoureusement mis en cause la formulation de l’Abrégé et exprimé leurs interrogations dans tous les domaines de la foi. Le résultat fut ensuite communiqué aux instances romaines, légèrement réélaboré, puis soumis à quelques conférences épiscopales (Autriche, Allemagne, Suisse), et enfin élargi à l’Église universelle. Un catéchisme « de la base» en quelque sorte, pour lequel la communication ne fonctionne pas que « de haut en bas » ! Réjouissant !

La force de proposition de la foi

La crise de la société actuelle et les mutations culturelles qu’elle entraîne ont des répercussions majeures sur la vie de l’Église. La Lettre aux catholiques de France (1996) le soulignait avec force, et Benoît XVI situe dans ce contexte de turbulence la parution de Youcat (cf. Préface, p. 7). Au cœur de ce monde en mouvance, l’Église catholique n’est pas appelée à se recroqueviller frileusement sur elle-même, mais à entrer en dialogue critique avec les courants contradictoires qui agitent notre univers. Elle est invitée à rendre le service éminent de faire entendre la force de proposition de la foi chrétienne et à accompagner ainsi les jeunes dans leur croissance humaine et spirituelle. Youcat poursuit donc l’objectif de fournir à la jeunesse de notre temps les moyens de s’approprier le trésor de l’Évangile et d’en déployer la pertinence pour aujourd’hui.

Une « pédagogie d’initiation »

En visant un tel but, Youcat rejoint la perspective qui a présidé à la naissance des premiers catéchismes à l’aube de la modernité: Melanchthon et Luther, suivis par Pierre Canisius puis par le Concile de Trente, ont essayé de donner aux hommes de l’époque, confrontés à des changements historiques, les mots nécessaires pour rendre compte personnellement de leur foi. De même, placés en situation de diaspora au cœur de la postmodernité, les jeunes en quête de sens et de Dieu peuvent trouver en Youcat les bases rationnelles et spirituelles afin d’articuler leurs convictions. Mais pour entrer dans un tel processus de maturation, ils ne doivent pas rester seuls. Ils ont besoin de « biotopes communautaires » – dans des groupes en Église, en réseau sur Facebook ou Twitter. Le livre exige donc d’être «mis en jeu » selon une « pédagogie de l’initiation»[2], car ce n’est qu’ainsi que les connaissances acquises sur le christianisme pourront s’enraciner dans la prière, la lecture méditée de la Parole, la vie fraternelle et la communion ecclésiale. Comme aux JMJ, où Youcat a fait merveille, hors d’un cadre communautaire tissé de liturgie, de partage et témoignage, l’ouvrage risque de rester sur un rayon de bibliothèque et de ne pas porter vraiment de fruit. Youcat ouvre un chemin de liberté, individuel et communautaire. Sans une animation qui l’entoure, il demeurera lettre morte.

Le défi de la cohérence

Même s’il se présente sous la forme de questions / réponses – mais n’est-ce pas ainsi que les jeunes « fonctionnent»? –, Youcat ne ressemble pas aux catéchismes de nos aïeux: les éléments ne se trouvent pas simplement juxtaposés, il n’est pas nécessaire de faire appel à la mémoire. La foi ne s’y réduit pas à un ensemble d’énoncés à reconnaître, selon les trois « il faut » d’antan: les vérités qu’ »il faut croire », les commandements qu’ »il faut observer » et les sacrements qu’ »il faut recevoir ». L’originalité de Youcat réside dans le fait qu’il tente de relever le défi de la cohérence, celle de la tradition vivante venue des Écritures et déployée dans l’histoire de l’Église. L’ouvrage reprend ainsi la structure du CEC, qui correspond à celle des catéchèses des Pères: une tradition portée par la profession de foi (1ère partie: « Ce que nous croyons« ), vécue dans la liturgie (2ème partie: «La célébration des mystères chrétiens»), mise en acte dans l’existence des croyants (3ème partie: « La vie dans le Christ») et enracinée dans la vie spirituelle et la sainteté pour tous (4ème partie: «La prière chrétienne»). C’est donc l’Église elle-même qui se donne et se propose, qui s’engage et se livre, en offrant le trésor de son patrimoine dans son «intégralité ». En invitant les jeunes à accueillir ce courant de vie séculaire, pour l’inscrire dans la culture contemporaine.

Fournir à la jeunesse de notre temps les moyens de s’approprier le trésor de l’Évangile

Quelques réserves critiques

Les définitions complètent harmonieusement les réponses aux interrogations. Dans l’ensemble les textes sont réussis et peuvent servir de boussole dans cette exploration des contours de la foi.

Qu’on nous permette toutefois quelques petites réserves critiques:

Sans accompagnement, un jeune aura souvent de la peine à dégager l’essentiel du secondaire et à rétablir une saine « hiérarchie des vérités », puisqu’avec le système de l’enfilade des questions / réponses, tout risque d’apparaître sur le même plan.

– À notre avis, le langage utilisé convient mieux à de jeunes adultes qu’à des adolescents. Les formulations demeurent parfois assez complexes et peu accessibles, en tous cas si elles ne sont pas soutenues par les explications d’un animateur. Que comprend un jeune de 16 ans de phrases telles que celle-ci: « Jésus a été livré selon le dessein bien arrêté et la prescience de Dieu (Ac 2,23). Afin que nous, les enfants du péché et de la mort, nous ayons la vie, le Père céleste de celui qui n’avait pas connu le péché, il l’a fait péché pour nous[3] (2 Co 5,21). Mais à la grandeur du sacrifice que Dieu le Père a demandé à son Fils a répondu la grandeur de l’abnégation du Fils» (n.98)? Ou encore: Si l’Église invitait à la communion des non catholiques, «la crédibilité du signe de l’Eucharistie en pâtirait« ?

– La théologie véhiculée par Youcat est assez « classique », avec des ouvertures bienvenues sur les médias, l’économie, l’écologie, le rapport entre science et foi, la dénonciation du trafic humain et de la pédophilie… Toutefois, le rôle de la hiérarchie est nettement souligné. Ainsi, par exemple, est-ce opportun de préciser que le Pape, en vertu de son autorité suprême, «si besoin, doit retirer des enseignements ou relever de leur charge des ministres…», sans mentionner du tout que son rôle premier est de soutenir ses frères comme « serviteur des serviteurs» (n.141)? D’autre part, n’y aurait-il pas eu de formule plus adaptée pour l’eucharistie que de dire: «… le sacrifice historique de Jésus sur la croix est rendu présent de manière cachée et non sanglante pendant la consécration » (n. 208)?

– Évidemment, Youcat ne peut tout dire, des choix ont dû être faits. Cependant, certaines omissions sont étonnantes: il convient d’agir toujours selon sa conscience, du moment où on agit dans les limites du bien commun (ajoute le n. 296, ce que ne fait pas le CEC, n. 1782); le péché offense l’amour de Dieu (n. 315), sans que l’amour du prochain soit mentionné (ce que fait par contre le CEC, n. 1849); le n. 221 ne signale pas l’envoi vers les pauvres que comporte l’eucharistie, contrairement au CEC, n. 1397; à la différence du CEC (n. 1241), le n. 203 n’explicite pas les trois offices du Christ « prêtre, prophète et roi », auquel le saint chrême fait participer les baptisés à leur confirmation; au n. 215, la présidence de la célébration eucharistique, réservée au prêtre, n’englobe pas, à l’exemple du CEC (n.1348) la participation active de tous les fidèles; enfin, point fort regrettable, le sacerdoce commun des fidèles n’est pas rattaché au baptême, mais uniquement défini en contraste avec le sacerdoce ministériel (n. 250).

– Le ton se fait également parfois moralisateur, comme si les jeunes rêvés par Youcat devaient être plutôt du type « bon chic bon genre de bonne famille ». Nous trouvons ainsi le n. 220 particulièrement malheureux. À la question «Comment dois-je me préparer pour recevoir l’eucharistie?», la réponse est ainsi libellée: «Celui qui veut recevoir l’eucharistie doit être catholique. S’il est conscient d’avoir commis un péché grave, il doit d’abord se confesser. Avant de s’approcher de l’autel, il faut se réconcilier avec son prochain. Jusqu’à il y a quelques années, on avait coutume de ne rien manger au moins trois heures avant la messe; on voulait ainsi se préparer à la rencontre avec le Christ dans la communion. Aujourd’hui l’Église recommande au moins une heure de jeûne. Un autre signe de respect est de bien s’habiller. Car, finalement, c’est bien avec le Seigneur de l’univers que nous avons rendez-vous ! » Et la préparation de l’être intérieur? Ne faut-il pas au moins autant « s’habiller le cœur » que bien se vêtir pour s’approcher en toute confiance de Celui qui a fréquenté les prostituées et les pécheurs?

– On peut aussi regretter certaines citations qui, sorties de leur contexte, risquent d’induire de fausses représentations quelque peu « volontaristes » ou « doloristes »: (p.124, 2ème citation, saint Augustin au sujet de l’eucharistie) « Je suis l’aliment des forts, grandis et mange-moi…« ; (p. 68, 1ère citation, de F. Fénelon) « On doit porter sa croix et non la traîner, et on doit la saisir comme un trésor et non comme une charge« .

– Au plan pédagogique, plusieurs questionnements centraux des jeunes ne sont pas repris: à propos de la résurrection du Christ (n. 104-107) et de notre résurrection (n. 152-155), rien n’est dit de son incompatibilité avec la croyance en la réincarnation, qui tente bien de nos contemporains.

Conclusion

« Ce livre est passionnant parce qu’il nous parle de notre propre destin et qu’il concerne par conséquent profondément chacun d’entre nous » (Préface, p. 9). Ce « nous » du Pape associé aux jeunes nous englobe tous, il concerne les catéchistes, les aumôniers et les enseignants de jeunes. Mais il s’étend à tous les adultes: au fond, Youcat peut rejoindre les jeunes de 17 à 77 ans et 107 ans. C’est comme dans une homélie: ce qui parle aux enfants et aux jeunes peut toucher également les plus âgés. Il n’y a donc aucune limite au «Y» de You(th) !

[1] Youcat français, traduction Monique Guisse et Joseph Stricher, révision avec le concours de Mgr Michel Dubost, Paris, Bayard / Fleurus-Mame / Cerf, 2011, 303 pages.

[2] Ainsi que le souhaitent le Texte National pour l’orientation de la catéchèse en France des évêques français (Paris, Bayard / Cerf / Fleurus-Mame, 2006) et la Commission Romande de Catéchèse, « Les défis communs en pastorale catéchétique », Lausanne, mars 2009.

[3] La construction de la phrase elle-même est incorrecte. Des fautes de syntaxe ou d’orthographe sont d’ailleurs à signaler: (p. 8, Préface) « Comment des personnes (…) pouvaient-elles produirent un texte (…) »; (p. 124, 1ère citation de BenoîtXVI) « En changeant le pain en son Corps, et le vin en son Sang, et qu’il les donne, Jésus anticipe sa mort… »; (n.215) « Le célébrant se tient à l’autel in persona Christi capiti » (au lieu de «capitis», mais beaucoup d’ados ne remarqueront vraisemblablement pas cette coquille), etc.

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L'abbé François-Xavier Amherdt

L’abbé François-Xavier Amherdt

L’abbé François-Xavier Amherdt est professeur de théologie pastorale à l’Université de Fribourg

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