Suisse – Revue Sources https://www.revue-sources.org Thu, 30 Nov 2017 10:38:38 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.3.1 Nicolas de Flue: maître spirituel https://www.revue-sources.org/nicolas-de-flue-maitre-spirituel/ https://www.revue-sources.org/nicolas-de-flue-maitre-spirituel/#respond Wed, 29 Nov 2017 22:10:19 +0000 https://revue-sources.cath.ch/?p=2465 [print-me]Après trois articles déjà parus dans Sources consacrés à situer l’ermite du Ranft dans son contexte géographique, historique et même œcuménique, il est temps de nous arrêter sur son message spirituel contenu essentiellement dans la prière qu’on lui attribue, dans sa toile de méditation et dans les visions dont parlent des témoins. Nous le faisons avec un chercheur passionné qui est aussi un amoureux de Nicolas. Il a bien voulu se prêter à cet interview

Depuis plusieurs années vous vous adonnez à de passionnantes et pointilleuses recherches concernant Nicolas de Flüe. Vous annoncez des publications sur ce thème[1]. Pourriez-vous nous dire pourquoi et comment vous êtes-vous mis sur cette ligne de recherche? 

Depuis longtemps je me rends au Ranft, particulièrement dans l’entre saison. J’aime ce lieu de calme, de paix profonde où rayonne cette présence de saint Nicolas de Flüe. Il y a trois ans j’ai réalisé un diaporama de méditation à partir du tissu de méditation de Nicolas de Flüe. Et, à Noël, en guise de cadeau, mon grand frère m’a offert le livre allemand du 600e. En commençant à le feuilleter et à le lire, je me suis dit que je devais retourner aux sources, que j’ai d’abord repérées sur internet puis dans les livres de Durrer et Amschwand. Je me suis mis à écrire un ouvrage avec le titre «Frère Nicolas de Flüe un mystique pour aujourd’hui. Je me suis vite rendu compte qu’il fallait diviser cet ouvrage en plusieurs publications. J’ai commencé par ce que je connaissais le mieux, à savoir le tissu de méditation, puis les douze visions qui m’étaient presque totalement inconnues. Ensuite, comme une synthèse, la vie spirituelle et intérieure de Nicolas, une mystique pour aujourd’hui. Je peux témoigner que cette étude attentive m’apporte un éclairage profond et lumineux sur mon propre chemin spirituel.

C’est d’abord la “spiritualité” de Nicolas qui vous intéresse et qui nous intéresse aussi. Davantage que ses interventions politiques ou patriotiques. Pouvez-vous décrire le milieu “spirituel” dans lequel il a vécu, qui a influencé ses visions, sa prière et surtout son choix et son genre de vie ? Est-ce la “devotio moderna”? Les mystiques rhénans? Le modèle du “pèlerin”, de l’”ermite”?

Pour dégager la spiritualité de «frère Nicolas» (c’est ainsi qu’il se nomme après avoir quitté femme et enfants à l’âge de 50 ans), il faut se plonger dans le milieu de son temps. Le contexte spirituel du temps de frère Nicolas est celui des mystiques rhénans. Chacun à sa manière cherche à savoir comment Dieu est présent au cœur de l’homme. L’inhabitation de Dieu, thème traditionnel chez les Pères de l’Eglise, a été approfondi, précisée et répandue par ces mystiques intellectuels. De Hildegarde de Bingen (1098-1179), à maître Eckhart (1260-1328), en passant par ses disciples Henri Suso (1295 – 1366) et Jean Tauler (v. 1300-1361). Chacune et chacun a pu influencer frère Nicolas, non pas forcément directement, mais à travers ses pères spirituels et accompagnateurs. En particulier, son ami curé de Stans, Heimo Amgrund, ainsi que le curé de Kerns Oswald Isner ou, plus tard, son chapelain Peter Bachtaler. Le même et unique Esprit inspire aussi notre ermite.

 

Hildegarde, à travers ses visions intellectuelles, présente l’homme comme le microcosme de Dieu, reprenant un thème déjà plus ancien. Elle représente la Trinité à travers trois cercles (le cercle comme symbole de totalité et de plénitude). Maître Eckhart développe le fond du fond de l’homme («Abgrund») qui rejoint le fond de Dieu et montre cette présence trinitaire dans la «fine pointe de l’âme». Henri Suso, dans ses instructions à sa fille spirituelle Elsbet Stagel, décrit un chemin intérieur aboutissant à la Trinité, représentée également par trois cercles. Ce chemin est illustré dans différents manuscrits. Enfin, Jean Tauler, dans ses nombreux sermons, développe le thème de la fontaine de vie.

Les trois voies traditionnelles de la spiritualité, reprise par la devotio moderna (14e s.), sont présentes entre autre dans la prière de Nicolas:

Voie purgative: Mon Seigneur et mon Dieu enlève de moi tout ce qui m’empêche de venir à toi! Voie illuminative: Mon Seigneur et mon Dieu donne-moi tout ce qui me pousse vers toi! Voie unitive: Mon Seigneur et mon Dieu prends-moi (arrache-moi à moi-même) et donne-moi tout entier en («eigen») toi!

Nicolas a quitté sa femme Dorothée et ses dix enfants après deux ans de combat intérieur (aujourd’hui nous l’ appellerions dépression), à l’âge de 50 ans, le jour de la fête de saint Gall (16 octobre 1467), avec le plein consentement de Dorothée, de Hans et Walther, ses aînés pour partir comme pèlerin en direction de Bâle. Il en est revenu peu de temps plus tard ermite et s’est finalement installé au Ranft.

Il ne connaissait pas encore avec précision et certitude ce que Dieu attendait de lui, sa vocation. A Liesthal, trois éléments vont le conduire à découvrir que Dieu l’attend chez lui, non pour un pèlerinage extérieur mais intérieur. D’abord, une couleur rouge, comme un feu au-dessus de la ville, le stoppe net. Puis un paysan à qui il parle de ses projets lui fait remarquer avec justesse que les Confédérés ne sont pas appréciés à l’étranger. Mercenaires, ils ne faisaient pas de quartiers, poursuivaient le combat jusqu’au bout, n’hésitant pas à tuer leurs ennemis. Nicolas pouvait bien mieux réaliser son projet chez lui, sur sa terre natale. Enfin durant la nuit, un rayon de lumière vint comme déchirer son ventre et le faire souffrir. Dès ce jour, il ne mangera et ne boira plus rien d’autre que l’eucharistie mensuelle.

Plus précisément: parlez-nous de son “tableau de méditation”: sa description, son origine, son authenticité, sa signification?

Le tissu de méditation (87,5 x 80,5 cm; à l’origine: 89 x 82 cm) est une peinture à tempera sur du lin. Il est certainement un cadeau que Nicolas a reçu autour de 1480. Il n’est pas le résultat d’une vision de la Trinité que Nicolas aurait eue. Probablement Nicolas n’a donné aucune indication pour le peindre, mais au contraire il s’est laissé enseigner par ce tableau et se l’est approprié pour en faire «son livre». Le témoignage d’un pèlerin anonyme l’atteste dans le «Pilger Traktat». Seuls deux manuscrits contemporains parlent de ce tissu: le Pilger Traktat qui connut trois éditions (l’une non datée à Augsburg et deux à Nurembergen 1488 et 1489), juste après la mort de Nicolas (1487) et la biographie rédigée en latin par Henri de Gundelfingen (1485 – 1489), qui aurait visité l’ermite en 1480-81.

Un échange de lettres, peu fiables, de Charles de Bouelles (chanoine de Noyon) avec son ami Horius qui, vingt ans après la mort de Nicolas rendit visite à son fils Hans, décrit le tissu de manière erronée avec au centre un visage coiffé d’une tiare (pape), et les rayons sont remplacés par des épées sans manches. C’est encore Charles de Bouelles qui parle d’une vision trinitaire de Nicolas – attestée par aucun autre témoin – qui sera reprise lors de sa béatification. Il faudra attendre le début du 20e s. pour que les historiens attentifs aux sources (témoignages et biographies) démontrent qu’il n’y eut jamais de vision de la Trinité.

Dans le Traité du Pèlerin puis dans la biographie de Gundelfingen, on parle d’une roue, l’esquisse dessinée par Henri de Gundelfingen. Les xylographies du Traité ont toutes un cercle central et six rayons, mais l’interprétation varie. Certains ont pensé que l’esquisse de la roue précédait les six médaillons et les quatre évangélistes, mais déjà dans le Traité, des xylographies reproduisent l’ensemble de l’image.

Comment interprétez-vous l’image reproduite sur ce tissu? Ce que vous appelez le «livre» de Nicolas?

Je tente de le fare en suivant les quatre sens que la tradition patristique attribue à l’Ecriture:

Le sens littéral:
Ce que l’on voit, ce que l’image représente: six médaillons: annonciation – nativité – création – arrestation et baiser de Judas – crucifixion – eucharistie célébrée pour un défunt et, au centre, un visage humain en gloire (le Christ).

Le sens allégorique:
En référence à Jésus-Christ, le chemin du pèlerin, du disciple, qui abandonne ses béquilles (au bas de chaque médaillon il y a un objet symbolique), tous ses appuis humains. Avec la nativité il prend le bâton et la besace du pèlerin, puis s’abandonne à la Providence qui lui donne à manger et à boire. Il se libère extérieurement et intérieurement et dépose le tout à travers son vêtement. Il entre dans la contemplation du Christ eucharistiqiue, miroir qui lui permet de relire toute sa vie comme l’histoire du salut en Jésus-Christ.

Le sens tropologique (moral):
Comment agir: six clés pour entrer dans le royaume (cf Traité du Pèlerin), les six œuvres de miséricordes: visiter les malades (béquilles), accueillir l’étranger, en particulier les pèlerins (bâton et besace), donner à manger et à boire, visiter les prisonniers (arrestation), vêtir ceux qui sont nus et enfin honorer les morts. Alors, le visage central est celui de Dieu au jour du jugement dernier.

Le sens anagogique:
En référence à l’ensemble de l’histoire du salut. Trois petits rayons au centre et trois grands à l’extrémité: par l’oreille, nous découvrons et écoutons le Père créateur; par l’œil, nous contemplons le Fils rédempteur et par la bouche, nous expérimentons l’Esprit-Saint sanctificateur. La Trinité se révèle dans ces trois grands mystères: Dieu se fait tout petit pour que chacun puisse l’accueillir: dans sa nativité, son arrestation, il supporte tout, dans l’humilité et l’abandon et se rend lui-même présent dans l’humble hostie devenue son corps.

Et si vous nous parleiez des visions de Nicolas?

Pour ce qui est des visions, Nicolas en a eu douze qui vont l’aider sur son chemin spirituel intérieur. Comme une actualisation et une dynamisation de la Parole de Dieu, ces visions s’adressent d’abord et essentiellement à Nicolas; elles ne feront l’objet d’études qu’à partir du 20e s. En particulier, un manuscrit de Caspar Ambuel du 15e siècle, découvert dans les années trente dans un manuscrit contenant des textes de Pères de l’Eglise provenant de la bibliothèque du couvent des capucins de Lucerne. Carl Gustave Jung a commenté quelques visions de Nicolas, précieuses pour le développement de sa psychanalyse. Il en a fait un livre avec la collaboration de Marie-Louise Von Franz.

Nous connaissons ces douze visions tout d’abord à travers quatre témoins dont le registre de Sachseln (1488) a recueilli le témoignage. Puis, grâce à la biographie latine de Henri Wölflin (après 1501), engagé par le gouvernement de Nidwald, pour dix d’entre elles. Enfin, d’autres biographes: Sebastian Rhaetus (1521), Hans Salat (1531), Ulrich Witwyler (1571) et surtout, déjà mentionné pour les trois grandes visions, Caspar Ambuel qui donne une description plus détaillée de la vision du pèlerin et de la fontaine, et rapporte la vision de la reconnaissance de Dieu.

Ces différents témoins et biographes ne se contredisent pas; les récits sont étonnement concordants et chacun, dans sa spécificité, n’apporte que des compléments et des détails.

On peut distinguer les visions dans le sein maternel (étoile, pierre, saint-chrême) et le souvenir précis de son baptême, les visions de sa jeunesse (en particulier la tour qu’il voit à lâge de 16 ans), les visions reçues avant de quitter sa famille (le nuage qui parle, le lys et le cheval, les trois visiteurs), la vision de Liesthal déjà évoquée, la vision des quatre faisceaux de lumière ou des quatre cierges qui lui montrent le lieu de son ermitage au Ranft, et les trois grandes visions du pèlerin, celle de la fontaine, de la reconnaissance de Dieu et la vision finale, au Ranft, du visage de Dieu.

Chacune de ces visions exigerait de développer le contexte biblique, symbolique, les correspondances chez les mystiques rhénans, le contexte artistique et l’analyse jungienne. Ce qui n’est pas possible de faire ici. Mais il est passionnant de remarquer combien l’étude détaillée de ces visions nous les rend accessibles et significatives pour tout homme en recherche de Dieu et de sa vocation. Je ne peux qu’encourager chacun, non seulement à les découvrir, mais surtout à leur donner tout le relief et la profondeur de sens qu’elles méritent. 

Et la prière, dite de Nicolas, ou qui lui est attribuée: son authenticité, sa formulation précise, sa traduction – française – son sens, les mystiques qui auraient pu l’ inspirer? Eckhart serait-il de ce nombre?

Nicolas ne savait ni lire, ni écrire, mais il a dicté quelques manuscrits authentiques: sa prière, une lettre de remerciement au gouvernement bernois pour leur don, où il dit: «La paix se trouve toujours en Dieu, car Dieu est la paix, et la paix ne peut être troublée. La discorde, au contraire, trouble toujours. Veillez donc à chercher avant tout la paix» et une autre lettre aux autorités de la ville de Constance pour régler un conflit. Il authentifie ses écrits par son sceau.

La prière de Nicolas est vraiment de lui et résume parfaitement sa vie. Dans l’original, la troisième phrase actuelle, le but, est en premier. Nicolas contemple d’abord le but à atteindre: être tout entier en Dieu, puis il exprime la manière de l’atteindre: en demandant d’enlever ce qui l’empêche de venir à Dieu et de lui donner ce qui le pousse vers Lui. Cette prière, par sa simplicité et sa clarté, est d’une profondeur inégalée. Elle trouve parfaitement sa place dans le Nouveau Catéchisme de l’Eglise Catholique (n°226[2]), à côté de la prière de Thérèse d’Avila. La traduction malheureusement n’est pas très satisfaisante.

En voici la formule :

Mein Herr und mein Gott, nimm alles von mir, was mich hindert zu Dir.
Mon Seigneur et mon Dieu, enlève[3] de moi (prends à moi), tout ce qui m’éloigne[4] de toi (empêche).

Mein Herr und mein Gott, gib alles mir, was mich fördert zu Dir.
Mon Seigneur et mon Dieu, donne-moi, tout ce qui me pousse[5] vers toi.

Mein Herr und mein Gott, nimm mich mir, und gib mich ganz zu eigen Dir.
Mon Seigneur et mon Dieu prends-moi à moi-même[6] (arrache moi à moi-même) et donne-moi tout entier en[7] toi

Cette prière reprend l’expression de Thomas l’apôtre, lorsque le Christ ressuscité l’invite à toucher les plaies de ses mains et de son côté: « Mon Seigner et mon Dieu» s’écrie-t-il dans un acte foi. Dieu n’est plus extérieur à Nicolas (comme chez Thomas) mais il a une relation personnelle et intime exprimée par le possessif «mon».

«Nimm» revient deux fois, mais dans deux sens différents: d’abord au sens d’enlever, puis dans la troisième demande dans le sens de prendre. «Gib» revient également deux fois, également dans deux sens différents: d’abord celui de donner quelque-chose, ensuite celui d’entrer dans l’intimité de Dieu.

Trois demandes, trois voies, qui expriment le chemin de Nicolas. A travers les visions il découvre progressivement sa vocation d’ermite appelé à vivre dans la communion et l’intimité avec Dieu; puis à travers une vie d’ascèse faite de jeûne et de prière, Dieu enlève tous les obstacles à cette vocation, en particulier durant le combat intérieur des deux années qui précédèrent son départ pour le Ranft. Dieu lui donna les lumières nécessaires pour qu’il soit toujours plus attiré par Lui. En particulier, la lumière provenant des trois grandes visions.

Comment ” imaginer” l’emploi du temps de Nicolas dans son ermitage? Sa relation avec sa famille? Que penser de son jeûne prolongé?

Dans la vie de Nicolas on peut distinguer trois périodes: son enfance et sa jeunesse, jusqu’au mariage avec Dorthea Wyss à 30 ans; sa vie en couple et en famille, et, enfin, sa vie d’ermite au Ranft.

Le jeune paysan
Déjà dans sa jeunesse, témoignent ses amis d’enfance Erni Rohrer et Erni Anderhalden, Nicolas aimait se retirer derrière une grange ou dans un pré perdu pour prier et à cette époque déjà il jeûnait le vendredi. Sa vie était celle de tout fils de paysan de l’époque, faite de travail mais sans école. La formation se faisait au contact des parents et des amis. Comme tout jeune de son temps, Nicolas a dû participer à quelques expéditions armées accomplissant ainsi ce que l’on ne nommait pas encore le service militaire. Des témoins racontent sa retenue etr sa modération. Ainsi, intervint-il un joue pour emêcher ses compagnons d’armes de piller un couvent.

L’éleveur
Comme époux et père de dix enfants, Nicolas devait être bien occupé par les travaux des champs. C’est dans ce cadre champêtre qu’il bénéficia de plusieurs visions (le nuage, le lys et le cheval,…),

Nicolas participa aussi à l’évolution d’une économie agraire de subsistance vers une économie de rendement. Le lait se transforme en fromage qui se commercialise, tandis que le bétail se vend sur les marchés du Sud, comme celui de Domodossola. Ce serait dans cette ville que le futur ermite aurait acheté les vitres en cul de bouteille qui remplacèrernt les peaux de vaches tendues qui faisaient office de fenêtres de la maison familiale qu’il avait bâtie avant son mariage. Ses fils témoignent aussi que le soir leur père se couchait avec toute la famille, mais se relevait pour prier le plus souvent toute la nuit auprès du poële. A cette période, il jeûnait quatre jours par semaine, se nourrissant de pommes séchée et de pain.

L’ermite
Au Ranft, la vie de Nicolas sera bien plus dépouillée, n’ayant plus besoin de se nourrir et de boire (c’est l’une des trois grandes grâces). Il se retirait souvent dans la forêt, loin de la foule, lorsqu’elle deviendra nombreuse. Mais il reste disponible pour recevoir les pèlerins l’après-midi. Il dormait à même le sol, la tête appuyée sur une pierre, chauffé l’hiver par un calorifère se trouvant à l’étage inférieur. Il était vêtu d’une bure brune que lui avait tissée son épouse en signe d’acquiescement à son choix de vie. Il passait son temps en méditation et en prière, utilisamt à cet effet son «bätti», une couronne de quarante ou cinquante perles de bois (comme un chapelet) qu’il faisait courir sur ses doigts en récitant et méditant le Notre-Père et l’Ave. Selon des témoins, il pouvait se contenter de méditer durant une journée entière les seules paroles de «Notre Père». Durant sa période dépressive, avant de quitter sa famille, son confesseur, Heini Amgrund, lui avait appris à méditer la passion du Christ en la répartissant sur les sept heures canoniales. Il a certainement poursuivi cet exercice spirituel au Ranft, méditait aussi face «son livre», le célèbre tissu qu’il déroulait dans son ermitage ou sa chapelle.

Le jeûne de Nicolas
Son jeûne permanent est une grâce et un miracle qui commence avec la vision de Liesthal. Nicolas pratique alors un jeûne total de onze jours avant de demander l’avis de son confesseur. Celui-ci l’ausculta longuement et l’autorisa à pousuivre son jeûne aussi longtemps qu’il n’en mourut point. Ce jeûne eucharistique est attesté d’une part par les autorités civiles. Le gouvernement de Nidwald fit surveiller le Ranft par des soldats pour vérifier si Nicolas ne recevait pas secrètement quelque nourriture. Par ailleurs, les autorités ecclésiastiques ne demurèrent pas indifférentes. L’évêque de Constance, natif de Thurgovie, Hermann von Breitenlandenberg, de qui dépendaient à cette époque la paroisse de Sachseln et ses environs, délègue au Ranft son évêque auxiliaire Thomas Wäldner le 27 avril 1469, avec mission de soumettre Nicolas à une épreuve de son choix. L’évêque demanda à Nicolas quelle était la plus grande vertu chrétienne. Nicolas lui répondit que c’était l’obéissance. L’évêque lui ordonna alors, au nom de la sainte obéissance, de manger trois morceaux de pain et de boire le vin de la saint Jean (un breuvage béni le jour de la fête de saint Jean l’évangéliste qui protégeait du poison et du diable). Après que Nicolas eut péniblement et avec d’atroces douleurs avalé la moitié du premier morceau de pain, il supplia d’être délivré de cette épreuve. Selon certains témoins, ce fut Adrien de Bubenberg qui avait asisté à la scène qui intercéda auprès de l’évêque en faveur de son ami Nicolas. Le prélat suspendit l’épreuve et confirma l’authenticité du jeûne permanent de l’ermite. Dans la foulée, il consacra la chapelle de l’ermitage dédiée à la Vierge Marie, à sainte Marie-Madeleine, à l’Exaltation de la croix et aux Dix-Mille Martyrs, selon le désir de Nicolas. Ce jeûne permanent attira curieux et pèlerins bien plus que les visions de l’ermite, totalement inconnues du public.

Nicolas: un spirituel pour notre temps ? Affinités ou répulsions?

Nicolas nous permet de redécouverte la dimension spirituelle de tout homme. Il nous aide à retrouver le centre de notre être d’homme et de femme dans le cœur de Dieu et de trouver Dieu lui-même au cœur de notre cœur. Par sa simplicité et surtout par sa vie quotidienne, Nicolas fait découvrir que Dieu n’est pas ailleurs, caché dans un discours gnostique ou ésotérique, ou enfermé dans une église. Nicolas propose une spiritualité toute simple: Dieu est là présent dans notre travail si nous l’accomplissons avec joie et passion; Il est présent dans nos familles lorsque nous savons déceler et contempler dans le visage de l’épouse, de l’époux ou des enfants le reflet du visage de Dieu. Le visage n’est pas fait pour être dévisagé ou envisagé, mais pour être contemplé. Personne ne peut voir son propre visage; il est fait pour être regardé par Dieu et par Dieu seul. Dieu est donc présent partout dans notre vie si nous savons, comme Nicolas, déchiffrer peu à peu le sens des événements et l’accueillir comme la réalisation du plan d’amour divin. Surtout, Nicolas nous aide à découvrir que tout chrétien est invité à devenir un mystique, un amoureux de Dieu, désireux d’être en communion avec Lui.

Au-delà des images toutes faites du mari qui abandonne sa femme et ses enfants, au-delà de l’ermite ascétique inabordable, se trouve un mystique authentique.[print-me]


Bernard Schubiger, curé de la ville de Morat, dans le diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg, est un chercheur passionné de la spiritualité de Nicolas de Flüe. Sources l’a rencontré et se porte responsable de la forme de ce reportage. Cet interview constitue le quatrième volet du retable que notre revue a consacré à l’ermite du Ranft en cette année qui commémore le sixième centenaire de sa naissance.

Voir aussi: www.frangelico.ch


[1] Le tissu de méditation de Nicolas de Flue, un résumé de la foi chrétienne, à paraître aux éditions du Parvis; les visions de Nicolas de Flue, un chemin spirituel pour tout homme.

[2] http://www.vatican.va/archive/FRA0013/_P17.HTM

[3] nimm mir alles: prend à moi = enlève de moi.

[4] hindert zu dir: ce qui m’handicape vers toi = éloigne de toi.

[5] fördert: m’encourage = me pousse vers toi.

[6] nimm mich mir: prends-moi à moi-même ou arrache moi à moi-même.

[7] ganz eigen zu Dir: eigen = exprime l’unité intime = prends toi entier en toi.

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Le populisme est-il démocratique? https://www.revue-sources.org/le-populisme-est-il-democratique/ https://www.revue-sources.org/le-populisme-est-il-democratique/#comments Mon, 24 Jul 2017 07:40:17 +0000 https://revue-sources.cath.ch/?p=2322 [print-me]«Démocratie» vient du grec et veut dire «pouvoir du peuple». Dans les mots «démocratie» et «populisme», nous entendons le terme «peuple» décliné à partir du grec et du latin. Le populisme, lui aussi, revendique le «pouvoir du peuple». La démocratie et le populisme devraient donc être synonymes, du moins si l’on en croit l’étymologie. Or tel n’est pas vraiment le cas, le populisme étant plutôt une caricature, voire une perversion, de la démocratie, comme l’écrit Marcel Gauchet: «Le populisme est une forme de démocratie corrompue, qui tente de faire croire, de façon illusoire, à l’unité du bon peuple débarrassé de ses parasites et défendu par un bon pouvoir.» [1]

Le populisme fleurit sur les terres en jachère d’une démocratie à bout de souffle. Le besoin de sécurité et le désir d’un pouvoir protecteur semblent aujourd’hui primer sur l’aspiration à la liberté face aux menaces du terrorisme et aux craintes souvent fantasmatiques d’une immigration massive qui supplanterait notre culture. En France, pays des libertés, une enquête Ipsos pour Le Monde publiée le 7 novembre 2016 montre qu’un Français sur cinq serait prêt à choisir un régime autoritaire plutôt que le modèle démocratique actuel. Et lors des dernières élections législatives, l’abstention est devenue majoritaire.

Qui est encore prêt dans notre vieil Occident à mourir pour la liberté? Beaucoup préfèrent se replier en toute sécurité dans une bulle en se réfugiant derrière un écran où ils deviennent les proies de cupides marchands qui les manipulent. Ils ressemblent aux prisonniers enchaînés au fond de la caverne de Platon en train de contempler un jeu d’ombres programmé par d’habiles marionnettistes.[2] La question de l’achat de telle ou telle marque ou du dernier produit technologique obnubile les esprits au point de leur faire oublier l’enjeu de la liberté qui brille dans l’air pur, hors de la grotte. Bref, on peut parler de «dépérissement démocratique» (Dominique Reynier) ou de «démocratie à l’état gazeux» (Gilles Finchelstein), fruit amer d’un profond désenchantement.

Avant d’être Pierre, Jacques ou Jean, une personne unique et libre, je suis allemand, français ou polonais

Nos démocraties libérales se sont de plus en plus livrées aux loups néolibéraux, adorateurs du Veau d’or. Qui commande? L’Etat ou la finance internationale et les multinationales? Le populisme prospère sur un sentiment de dépossession et d’impuissance. Il ne pourra être combattu efficacement que si l’on redonne un sens concret à l’idée de «démocratie libérale et représentative». Nous analyserons ici les quatre piliers du populisme: l’absolutisation du peuple, une identité d’exclusion, la disparition des contre-pouvoirs et la dérive émotionnelle.

Le génie des peuples?

Pour les populistes, le peuple forme une seule entité. Ils exaltent «l’esprit de la nation» ou le «génie du peuple», le célèbre Volksgeist des Allemands. Ce texte de Fichte datant du début du 19e siècle montre bien cette conception: «Pour les ancêtres germains, la liberté consistait à rester Allemands. (…) C’est à eux, à leur langue et à leur manière de penser que nous sommes redevables de tout notre passé national et tant qu’il restera dans nos veines une dernière goutte de leur sang, c’est à eux que nous devrons tout ce que nous serons à l’avenir.»[3] On connaît l’exploitation funeste d’une telle vision par les nazis. Il ne faut cependant pas confondre le populisme avec le nazisme qui en est une dérive extrême et criminelle.

Les peuples ont-ils une âme? Peut-être, mais elle n’est pas monolithique et, surtout, elle n’annule pas l’âme d’une personne. Or dans les doctrines populistes, l’individu tend à se définir par rapport au «tout national» dont il fait partie. Avant d’être Pierre, Jacques ou Jean, une personne unique et libre, je suis allemand, français ou polonais. L’autre est aussi décrit à partir d’un tout ethnique ou religieux, souvent pour mieux le stigmatiser comme arabe, juif ou musulman. Cette subordination de la personne à un tout dans lequel sa spécificité s’efface est dénoncée avec virulence par le philosophe Emmanuel Levinas dans son essai magistral Totalité et Infini où il cherche à comprendre les racines de «l’horreur nazie».

Dans un univers où domine la Totalité, comme c’est le cas chez les populistes, la personne n’existe que par rapport à un ensemble: x’ (l’individu) ne prend sa signification qu’à partir de X (le tout) de telle sorte qu’il existe d’autres entités singulières (x’’, x’’’…) qui se définissent aussi par rapport à X. Exemple : Pierre est français mais Marie, René et Marc sont aussi français. Comme si l’unicité (le caractère unique) de mon moi n’était que le “prime” du x. Comme si ma spécificité de personne – par quoi je diffère de toutes les autres – ne m’était donnée qu’en prime sur un fond commun préétabli. L’individu n’a aucun sens par lui-même Il n’a une signification que par rapport à un tout qui le précède et l’englobe (X): le particulier (la personne) n’existe donc pas en tant que tel. Il s’ensuit que les visages disparaissent: «L’être qui pense semble d’abord s’offrir à un regard qui le conçoit comme intégré dans un tout, écrit Levinas. En réalité il ne s’y intègre qu’une fois mort. La vie lui laisse un quant à soi, un congé, un ajournement qui est précisément l’intériorité.»[4] On comprend donc que « le monde de la Totalité» fasse le lit du totalitarisme, de gauche comme de droite.

Une culture fermée sur elle-même est une contradiction dans les termes.

Cette approche totalitaire dénoncée par Levinas se situe aux antipodes de la vision juive et chrétienne de la personne qui est aussi le fondement de celle des Lumières (Rousseau, Voltaire, Kant…) d’où provient notre démocratie. Avant d’être membre d’une nation ou d’un peuple, l’être humain est une personne unique créée «à l’image et à la ressemblance de Dieu» (Gn. 1, 26). Le génie propre de la personne, issu en droite ligne du Très-Haut, prime sur le génie d’un peuple qui n’existerait d’ailleurs pas sans celui des individus qui le composent et s’associent pour bâtir une civilisation. L’Eglise a toujours souligné cette prééminence de la personne qui a une valeur en elle-même, comme le redit le pape François: «Le bien commun présuppose le respect de la personne humaine, comme telle, avec des droits fondamentaux et inaliénables ordonnés à son développement intégral.» [5] Pour Emmanuel Kant, la personne humaine doit «toujours être considérée comme une fin en soi et jamais simplement comme un moyen». [6] Quant à Emmanuel Mounier, il résume sa philosophie personnaliste par cette belle formule: «La personne est un absolu à l’égard de toute réalité matérielle.»[7]

La démocratie est basée sur cet absolu de la personne et sur le respect de sa liberté. Nous avons donc face à face deux conceptions politiques antagonistes: le populisme et la démocratie libérale. Le premier défend une approche organiciste de la société comparée à un grand corps dont nous serions les cellules, soumises à l’influx du pouvoir central. Comme le dit le politologue Jean-Yves Camus, «la Nation n’est plus basée sur un contrat mais sur un ordre naturel, une communauté d’héritage et de destin à laquelle on ne peut échapper».[8] Les démocraties libérales se fondent au contraire sur la notion de contrat entre des personnes autonomes, comme on le voit chez Rousseau ou chez Kant. Elles sont des associations d’êtres indépendants.

En quoi consiste ce contrat social? Il s’agit d’abandonner ma «liberté folle» qui a tendance à piétiner celle de l’autre mais aussi à être menacée par plus fort que moi pour la retrouver dans les limites d’une «coexistence des libertés» sauvegardée par l’Etat. Le rôle de ce dernier est donc de garantir un maximum de liberté pour tous, ma liberté s’arrêtant là où commence celle d’autrui. Nous voici donc à l’opposé du néolibéralisme où le puissant écrase le faible et où l’Etat est sommé d’en faire le moins possible. À l’opposé aussi du populisme où un homme fort, petit père du peuple, veut imposer à tous telle ou telle idéologie du bonheur au nom d’une volonté populaire gravée dans le marbre de la tradition qu’il prétend incarner.

L’idéal et le modèle d’une démocratie authentique se trouve très bien décrit dans la splendide vision du Règne des fins chez Kant. C’est une communauté de personnes qui, en tant que «fins en soi», s’associent librement sous un régime de lois nées de la pure raison basée sur l’autonomie de leur volonté délivrée de la servitude des pulsions. Un idéal loin d’être réalisé mais qui n’en demeure pas moins le paradigme de toute démocratie comme le précise Jean-Luc Nancy: «La démocratie, c’est l’Idée de l’homme se considérant comme intégralement autonome.» [9]

Une identité d’exclusion

Le populisme joue à la tortue et se replie sous sa carapace mais aussi au hérisson qui se met en boule en hérissant ses piquants contre les dangers externes. Ces menaces sont clairement pointées du doigt: la globalisation et l’immigration qui en découle. Elles mettent en péril à la fois notre niveau de confort (risque de dumping salarial) et notre façon de vivre en affaiblissant nos traditions. La question identitaire tend d’ailleurs aujourd’hui à tout dominer, y compris l’aspect économique, suite notamment aux attentats terroristes.

Face à cela, les populistes veulent réaffirmer l’identité nationale ou religieuse pour défendre nos valeurs contre ce qu’ils perçoivent comme une invasion mortifère menant à une perte totale de nos repères et même à «un grand remplacement» de notre culture par l’islam, grâce à la démographie galopante des populations immigrées. D’où l’appel à un retour à nos racines, à une «vraie Suisse» ou «vraie France» qui serait de race blanche et chrétienne. On met alors en avant la supériorité de la civilisation européenne venue de Jérusalem et d’Athènes, berceau de la démocratie.

Pour asseoir leur pouvoir, les populistes cherchent donc à discréditer les contre-pouvoirs, notamment la justice et les médias

Le problème ici n’est évidemment pas l’enracinement dans des valeurs chrétiennes ou humanistes qu’il convient en effet de redécouvrir. Le danger, c’est de réaffirmer ces valeurs contre d’autres, en préconisant un choc des cultures et des identités, voire une guerre des civilisations pour promouvoir une tradition qui serait seule valable et aurait seule droit de cité. Cette attitude du hérisson n’est-elle pas une perversion du christianisme et de l’humanisme des Lumières? Il faut l’affirmer avec force: une culture fermée sur elle-même est une contradiction dans les termes. La culture ne se réduit pas à une monoculture et l’enracinement n’exclut en aucun cas l’ouverture comme nous le montre l’image de l’arbre: plus ses racines sont profondes, plus il s’ouvre largement vers les quatre horizons et vers le ciel. L’ouverture est donc proportionnelle à l’enracinement. Une culture qui se replie sur elle-même est condamnée à dépérir, comme un arbre qui se rabougrit.

Plus grave: une identité qui se ferme et se pose contre les autres peut devenir meurtrière, pour reprendre le titre d’un célèbre livre d’Amin Maalouf, mon condisciple du Collège de Jamhour au Liban: «Il suffirait à chaque personne de se poser quelques questions pour se découvrir complexe, unique, irremplaçable. Si j’insiste à ce point, c’est à cause de cette habitude tellement répandue et fort pernicieuse d’après laquelle, pour affirmer son identité, on devrait simplement dire «je suis arabe», «je suis français», «je suis noir», «je suis musulman» ou «je suis juif.» [10] J’ai moi-même assisté à la montée des «identités meurtrières» au Liban qui a débouché sur une guerre terrible. S’enfermer dans une appartenance devient une source de violence. On le voit même dans les rixes entre supporters de clubs sportifs. Bref, avant d’être suisse, français ou fan de telle équipe, je suis une personne unique, un composé unique de nombreuses identités mais aussi un être humain doué de raison, citoyen du monde relié à tous mes frères et sœurs en humanité.

Le populisme cherche à nous ligoter dans une seule appartenance. En ce sens aussi, il se situe à l’opposé du christianisme qui rejette toute identité fermée et tout nationalisme exacerbé, comme l’écrit magnifiquement saint Paul: «Il n’y a plus ni Juif ni Grec, ni esclave ni homme libre car vous êtes tous un en Jésus-Christ.» (Gal. 3, 28).

Un homme, un peuple: la disparition des contre-pouvoirs

Toute démocratie digne de ce nom implique des contre-pouvoirs. Au 19e siècle déjà, Tocqueville mettait en garde contre ce qu’il appelait une «tyrannie de la majorité» dérivant directement d’une opinion publique manipulée. Sous un régime vraiment démocratique, le pouvoir ne doit pas être concentré dans les mains d’un seul homme ou d’une seule instance, même s’ils prétendent être l’émanation du «peuple authentique». D’où l’idée élaborée par Locke (1632-1704) puis par Montesquieu (1689-1755) de la séparation des pouvoirs pour lutter contre les abus. On distingue ainsi le pouvoir législatif qui fait les lois, le pouvoir exécutif qui gouverne et le pouvoir judiciaire exercé par les juges. On y ajoutera aujourd’hui le pouvoir médiatique basé sur la liberté de la presse et qui est censé apporter un regard critique sur le fonctionnement de l’Etat.

Or le populisme entend restaurer l’unité du «vrai» peuple autour d’un «vrai» chef qui l’incarne et qui se présente comme le protecteur de la nation. «Privilégier le lien direct entre le peuple et le dirigeant est la définition même du populisme» écrit Jean-Yves Camus.[11] Plutôt que de faire appel à des assemblées législatives et à des juges, on préférera le recours aux référendums dans le but de plébisciter le pouvoir en marginalisant tous les corps intermédiaires. Le leader charismatique veut le monopole de la représentation populaire. Louis Napoléon Bonaparte, en 1844, résume très bien ce projet: «On ne peut gouverner qu’avec les masses; il faut donc les organiser pour qu’elles puissent formuler leurs volontés et les discipliner pour qu’elles puissent être dirigées et éclairées sur leurs propres intérêts.»[12] Des intérêts que seul le grand chef comprend réellement, contrairement à tous les parasites qui hantent les parlements! Ne sommes-nous pas ici en train de nous éloigner de l’Etat de droit?

Pour asseoir leur pouvoir, les populistes cherchent donc à discréditer les contre-pouvoirs, notamment la justice et les médias, dans le dessein de les affaiblir. Le principe de la séparation des pouvoirs est menacé. Le cas de Donald Trump est exemplaire: tout au long de sa campagne et encore maintenant comme Président, il ne cesse de stigmatiser les médias, les juges et même les législateurs. Tous plus ou moins pourris! Mais heureusement qu’aux USA les contre-pouvoirs existent et résistent. Par exemple, de simples juges ont réussi à mettre en échec les premiers décrets sur l’immigration de Monsieur Trump.

Notons que ces dérives populistes contaminent actuellement la plupart des partis. Ainsi, en France, les affaires Fillon et Ferrand, tous deux accusés d’avoir abusé de leur position politique pour s’enrichir, dévoilent au grand jour une tentative de court-circuiter le système judiciaire pour s’en remettre au suffrage du brave peuple. «Les médias et les juges veulent notre perte, entend-on. Ce sont les électeurs qui trancheront.» Mais le peuple a-t-il toujours raison et surtout est-il compétent en ces matières judiciaires? À ce petit jeu populiste, Fillon a perdu puisqu’il ne fut pas élu tandis que Ferrand, réélu dans sa circonscription en surfant sur la vague du nouvel Emmanuel, a lui remporté la mise. N’est-ce pas une forme d’injustice?

Nous sommes à nouveau ici face à deux conceptions démocratiques, dont la deuxième n’est qu’une caricaturede la première: la démocratie libérale ou parlementaire et le populisme qui revendique une démocratie directe comme dans l’Antiquité mais qui devient une démagogie autoritaire. Autrefois en effet, par exemple à Athènes, un peuple peu nombreux et qui n’était pas plongé dans les tâches multiples de notre époque, avait le temps de se réunir sur la place publique pour choisir ses lois puis élire directement son gouvernement. C’est sur cette image mythique et idyllique que s’appuient certains populistes. Mais aujourd’hui, des millions de citoyens sur-occupés n’ont plus le loisir de prendre soin directement des affaires publiques.

D’où la nécessité d’une délégation du pouvoir populaire à des instances représentatives tels les parlements. Les théoriciens du libéralisme l’avaient bien compris dès le 19e siècle, comme le précise le philosophe Florent Guénard: «Les penseurs libéraux substituent au modèle antique de la démocratie directe celui du gouvernement représentatif: les citoyens, concentrés sur leurs activités propres, consentent à déléguer leur pouvoir à des représentants élus.»[13] En l’absence de ce principe de délégation, on aura tendance à considérer le peuple comme une seule masse à «éclairer» puis à plébisciter, souvent à coups de slogans simplistes.

La dérive émotionnelle: bouc émissaire et théories du complot

Le populisme fait davantage appel aux émotions qu’à la raison et à ses concepts universels. Pour les populistes, l’être humain se définit avant tout comme une somme de pulsions qu’il s’agit d’exploiter au mieux en vue du pouvoir. Les citoyens sont appelés à voter avec leurs tripes. Comme un seul homme. Cette dernière expression est significative car l’individu se fond dans une même masse en fusion sous la domination d’une émotion comme la colère contre l’étranger ou l’enthousiasme pour le chef. Il se dépersonnalise en cessant de réfléchir pour adhérer sans réserve à des mots d’ordre.

Comment les populistes s’y prennent-ils pour souder leurs troupes? Ils désignent un bouc émissaire à la vindicte populaire et sollicitent nos plus bas instincts comme la jalousie, l’égoïsme ou la haine pour les tourner contre lui. Ce bouc émissaire a le visage de l’immigré, du musulman assimilé à l’islamiste ou alors il est le financier international sans visage qui saigne le peuple. La personne humaine, nous l’avons vu, se réduit au rôle d’un mouton au sein d’un troupeau dans lequel il y a aussi quelques moutons noirs dénoncés par le berger attisant le ressentiment des autres brebis contre eux. Caricatural? Certes mais il n’en demeure pas moins que cette image du mouton noir à expulser figurait sur une célèbre affiche de l’UDC (Union démocratique du centre), principal parti de Suisse.

D’autres parlent de complot fomenté par les médias, les «gens de Bruxelles», les musulmans ou les juifs. Même François Fillon a parlé d’un «cabinet noir» en train de s’acharner contre lui et ses fidèles. Le populiste fait de lui et de ses ouailles des victimes pour mieux les rassembler autour de lui en suscitant un sentiment de révolte. Ajoutons que ce complot se trame toujours contre le «pays réel», par exemple la France profonde ancrée dans une tradition séculaire.

Pour conclure, le populisme est le nom latin de la démagogie plutôt que de la démocratie. L’appel à un peuple idéalisé, la culture du chef et surtout la sollicitation des émotions les plus basses nous éloignent à grands pas de la démocratie. Le populisme? Une perversion de la démocratie et de la notion de personne humaine.[print-me]


Jacques de Coulon a étudié la philosophie et les sciences des religions à l’Université de Fribourg, notamment auprès d’Emmanuel Levinas. Ancien recteur du Collège Saint-Michel à Fribourg , professeur de philosophie et de sciences religieuses, il a écrit une quinzaine d’ouvrages traduits dans plusieurs langues sur la spiritualité, la philosophie, l’éducation ou la poésie, dont La philosophie pour vivre heureux (Jouvence), Les méditations du bonheur, Soyez poète de votre vie ou Imagine-toi dans la caverne de Platon (Payot & Rivages). Chroniqueur à La Liberté, il donne des conférences et des séminaires, tant en Suisse qu’à l’étranger.


[1] In: L’Obs hors série numéro 95, Démocratie et populisme, printemps 2017, p. 9.
[2] Voir notre ouvrage Imagine-toi dans la caverne de Platon, Paris, Payot, 2015.
[3] Fichte: Discours à la nation allemande, 8ediscours, 1807-1808.
[4] Emmanuel Levinas, Totalité et Infini, Martinus Nijhoff, La Haye, 1972, p. 26.
[5] Pape François, Laudato Si, 156
[6] Emmanuel Kant, Fondements de la métaphysique des mœurs, trad. V. Delbos, Paris, Delagrave, 1979, p. 150.
[7] Emmanuel Mounier, L’engagement de la foi, Paris, Seuil, Livre de Vie, 1968, p. 34.
[8] In: L’Obs hors série numéro 95, Démocratie et populisme, printemps 2017, p.19.
[9] Ibidem, p. 55.
[10] Amin Maalouf, Les identités meurtrières, Paris, le Livre de Poche, 2001, p. 28.
[11] In: L’Obs hors série numéro 95, Démocratie et populisme, printemps 2017, p.19.
[12] Ibidem, p. 54.
[13] Ibidem, p. 46.

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L’église des Prêcheurs de Berne https://www.revue-sources.org/leglise-precheurs-de-berne/ https://www.revue-sources.org/leglise-precheurs-de-berne/#respond Mon, 26 Sep 2016 09:40:25 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=1522 [print-me]

L’archéologue du Canton de Berne, Hans Grüttner, dans la préface de la publication relative aux travaux effectués, dans les années 1988-1991, pour restaurer la façade et l’intérieur de l’église ainsi que dans la zone attenante où se trouvait l’ancien bâtiment conventuel, écrivait ce qui suit: «L’église Française, ancienne église du couvent des Frères Prêcheurs ou Dominicains, est, avec la Collégiale, l’un des édifices religieux les plus importants de Berne. Et de par la bonne conservation de sa construction, dont fait également partie le jubé qui fut orné, vers la fin du 15ème siècle, d’une peinture d’une qualité exceptionnelle, cet édifice occupe une place importante dans l’histoire de l’architecture des églises des ordres mendiants dans la région comprenant le sud-ouest de l’Allemagne et le nord-est de la Suisse».

La vie dominicaine à Berne

L’état actuel des recherches permet de penser que l’église des Prêcheurs de Berne a été édifiée entre les années 1280 et 1310, sans exclure que la construction ait pu se prolonger plus longtemps. En 1318 au plus tard, l’église devait être terminée, car de cette époque date une attribution de cette église au couvent dominicain de Berne, avec obligation de célébrer une messe lors de certaines fêtes. Mais l’Ordre s’était probablement déjà établi à Berne aux alentours de 1269, avant le début de la construction de l’église, dans le quartier nord de la «innere Neuenstadt» (ville neuve intérieure). L’Ordre mendiant des Prêcheurs devait tout d’abord se procurer les ressources nécessaires à la construction de l’église et du couvent.

« Malgré un destin mouvementé, l’église française d’auourd’hui a, en grande partie, conservé son état architectural des années 1300 ».

Jusqu’à la Réforme, l’église était dédiée aux apôtres Pierre et Paul, auxquels le maître autel (altare maius) était consacré. Ce patronage avait été requis par les autorités de la Ville de Berne dans l’Acte de donation de 1269, qui précisait également que l’autel à placer dans la travée centrale du jubé devait être dédié à la Vierge Marie. Le chapitre provincial des Dominicains s’est réuni quatre fois à Berne. A diverses reprises, d’éminents visiteurs de la ville ont logé chez les Dominicains, comme peut-être l’Empereur Henri VII en 1309 et 1311, mais sûrement le Roi Sigismond en 1414 et le Pape Martin V en 1418.

Durant tout le Moyen Age, l’activité des Frères en matière de pastorale et de prédication est très importante dans la ville et la campagne. Le dernier essor du couvent s’est traduit par d’importantes commandes de peintures: en 1450 le «Jugement Dernier» sur l’arc triomphal – côté nef, en 1495 la peinture du jubé tout entier, en 1498 le réfectoire du couvent fut réaménagé en vue de la tenue du Chapitre général de l’Ordre. D’autres commandes de peintures ont été faites à Niklaus Manuel Deustch (*probablement en 1484 à Berne; Ť 1530 à Berne) vers 1515 pour un autel de Sainte-Anne, en 1516 pour un nouveau maître autel et, la même année, pour une Danse Macabre, effacée en 1660, sur le mur d’enceinte sud du couvent.

A la suite de divers scandales, comme l’affaire des fausses visions dans le procès Jetzer (1507-1509) le couvent perdit peu à peu sa réputation et son influence. Avec la Réforme, le couvent de Berne fut finalement supprimé en 1527. Depuis 1623 l’église sert de paroisse à la communauté francophone réformée de Berne, d’où son nom actuel d‘église française. En 1685, l’église et l’ancien couvent servirent de refuge à de nombreux Huguenots. Les bâtiments conventuels ont été détruits à la fin des années 1890 pour faire place à la construction du théâtre, terminée en 1903.

Le profil intellectuel de l’Ordre

La mission de tout Dominicain doit être: la prédication par l’étude! Ou, pour reprendre l’image idéale avec Saint Thomas d’Aquin: docentura pro praedicatura. C’est ainsi qu’en 1352, le peintre Domaso da Modena a représenté, dans la salle capitulaire de l’ancien couvent dominicain de Trévise (Italie du Nord), 40 Dominicains sur une frise s’étendant sur les quatre murs.

Salle capitulaire de Trévise avec frises peintes

Salle capitulaire de Trévise avec frises peintes

La particularité de cette œuvre n’est pas l’alignement des personnages, mais leur représentation: chaque Dominicain est enfermé dans un pupitre avec des livres et de quoi écrire, illustrant ainsi la spiritualité de l’Ordre, à savoir créer un Ordo praedicatorum de l’Eglise entière.

Ce n’est pas la pauvreté, mais le savoir qui a marqué l’Ordre, qui s’est implanté dans les villes, tant pour l’enseignement dans le milieu scolaire et universitaire que pour la pastorale. La lente transformation des écoles cathédrales et des écoles conventuelles en universités à la fin du 12ème et au début du 13ème siècle a eu pour effet de créer une nouvelle relation entre le couvent et l’école: l’ancienne triade monastique legere – meditare – orare est devenue la triple démarche scolaire legere – disputare – praedicare.

La vita contemplativa conventuelle traditionnelle fut subordonnée à la vita activa, dans laquelle la prédication parmi les hommes devint le but et l’expression d’une nouvelle relation entre l’amour de Dieu et l’amour du prochain, motivée par le «salut des âmes». Pour ce faire, des dispenses des observances monastiques de l’Ordre au profit de l’étude étaient même possibles, car, dans la conception de l’Ordre par les Dominicains, elles faisaient désormais partie intégrante de la vita religiosa.

Spiritualité de l’Ordre et architecture

Le profil intellectuel de l’Ordre des Prêcheurs a dû jouer, dès le début, un rôle dans la conception architecturale des églises conventuelles et des couvents. Outre les dispenses, la promotion de l’étude impliquait l’octroi d’une cellule d’étude. Celle-ci, qui combine les espaces consacrés à l’étude et au repos, constitue, au sein des habitudes de vie monastiques, une innovation apportée par l’Ordre des Prêcheurs. Cet «isolement» n’était pas dû à une tendance à la vie en ermite, mais visait à encourager la stimulation du travail des frères étudiants. Le dortoir commun est resté la règle pour les seuls frères convers.

Ce style de vie selon la règle devait toujours rester également une vie communautaire. Cette dernière trouvait son application dans les divers espaces communautaires, comme par exemple le réfectoire commun, où les repas étaient pris et la lecture faite à table, et naturellement l’église conventuelle, lieu de la prière communautaire. Outre la bibliothèque conventuelle à disposition des frères, une «bibliothèque portable» dans la cellule existait dès le début.

Un édifice paraparoissial

L’historien de l’Ordre Isnard Wilhelm Frank OP (1930-2010) qualifie les couvents dominicains de «centre culturels paraparoissiaux». Cette fonction paraparoissiale trouve également son expression dans l’église conventuelle bernoise, que l’on pouvait définir, à ses origines, comme un édifice cultuel multifonctions. L’église était intérieurement divisée en deux, selon sa fonction: le choeur, avec les fenêtres gothiques et les voûtes de pierre, servait au culte conventuel (espace clérical – ecclesia interior), et la nef aux trois vaisseaux, avec un charpente de bois visible, était destinée au nombreuses missions pastorales (espace des laïcs – ecclesia exterior).

Vue reconstituée de l'interieur de l'église des Prêcheurs vers l'est

Vue reconstituée de l’intérieur de l’église des Prêcheurs vers l’est

Les Dominicains suivaient ainsi en quelque sorte la division cistercienne entre l’église des moines et celle des convers, avec cependant une différence importante: les frères convers faisaient aussi partie de l’église des moines, et l’église des convers devint la future «église du peuple» accessible et réservée aux laïcs, dans laquelle les Prêcheurs offraient leurs services cultuels et religieux ou effectuaient ceux que les laïcs demandaient.

L’église conventuelle de Berne

Dans le choeur, espace de l’église dominicaine de Berne consacrée au couvent, les frères se rassemblaient pour la messe et les offices communautaires. Ils se tenaient assis ou debout dans les deux rangées de stalles de chaque côté du choeur (après 1302).Elles s’y trouvent encore aujourd’hui. Vers l’est, l’espace était fermé par le maître autel. L’accès au choeur était refusé aux laïcs. Le «service sacré» des frères de Berne dans le choeur ne servait pas seulement à l’édification personnelle et collective de la communauté, il présentait aussi un intérêt pour la communauté urbaine. Car les églises et les couvents en faisaient partie; ils étaient garants et expression du sacré dans la commune urbaine.

Pour la pastorale des laïcs, les Dominicains disposaient de l’espace des laïcs qui probablement a été totalement peint vers la fin de l’époque gothique et est orné aujourd’hui d’arabesques Renaissance des années 1570. La relation pastorale des Frères Prêcheurs bernois avec les laïcs était directe et concrète. Les trois vaisseaux et les multiples travées reflètent dans l’église conventuelle la multifonctionnalité de la pastorale des ordres mendiants par la diversité des services spirituels offerts, ainsi que l’illustrent les quelques exemples suivants.

Etat actuel de l'intérieur (vers l'est)

Etat actuel de l’intérieur (vers l’est)

Conformément à la tradition allemande, à Berne, les autels, dans les espaces en forme de chapelle, étaient surtout placés devant le jubé avançant dans la première travée de la nef avec ses clefs de voûte richement sculptées et ses peintures murales réalisées par le «maître des oeillets» en 1495: l’Annonciation faite à Marie, les bustes des prophètes Isaïe et Jérémie, la Racine de Jessé et, en pendant, un arbre généalogique de l’Ordre des Dominicains, les symboles des évangélistes, les Pères de l’Église latine, deux représentations de Dominique, fondateur de l’Ordre canonisé en 1234, et bien d’autres.

Le jubé

Parmi les églises des ordres mendiants en Suisse, le jubé de Berne est probablement le seul qui soit toujours à sa place d’origine, et même l’un des rares dans le pays.

Le jubé est une tribune de pierre voûtée surplombant la nef du côté est, fermée à l’arrière par un mur et ouverte vers la nef par une arcade, divisée en plusieurs travées formant les chapelles abritant les autels latéraux.

Façade du jubé, ogive de gauche, le savant Dominique enseigne à l'ambon sur la croyance mariale.

Façade du jubé, ogive de gauche, le savant Dominique enseigne à l’ambon sur la croyance mariale.

droite

Façace du jubé, panneau côté droit de la clé de voûte, avec le fondateur de l’Ordre Dominique prédicateur du peuple. Au nom du Christ il ramène à la vie un enfant mort gisant au sol. A droite, le buste du Prophète Isaïe.

Le jubé bernois n’est pas seulement une cloison destinée à souligner l’écart entre la sphère sacrée du choeur et le caractère prétendument profane de l’espace laïc, simple lieu de rassemblement pour la prédication. Le jubé, au contraire, est lui-même une expression du sacré qui rejoint celle du choeur. On peut voir le jubé comme l’ «iconostase du sacré»: piété d’autel avec de nombreuses messes et lieu de vénération personnelle et communautaire des saints et des reliques. De plus, ces autels servaient à entendre les nombreuses confessions des laïcs, à imposer les pénitences et donner l’absolution.

En conclusion

Malgré un destin mouvementé, l’église française d’auourd’hui a, en grande partie, conservé son état architectural des années 1300. Ses caractéristiques principales – le long choeur, une nef de basilique au plafond plat – la rattachent aux églises contemporaines des Ordres mendiants dans la région du Rhin supérieur. La séparation architecturale du choeur et de la nef a également été maintenue lors de la dernière restauration, car elle fait partie intégrante de l’église de l’Ordre mendiant à l’origine. Une importance toute particulière revient au jubé datant de la fondation, avec sa peinture de 1495 presque totalement conservée et ses travées en forme de chapelles, qui donnent à l’espace un aspect de la fin du gothique .

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Le frère dominicain Uwe Vielhaber du couvent St Hyacinthe de Fribourg, restaurateur et conservateur diplômé, est aussi engagé dans la pastorale de la ville de Berne.


La Province dominicaine de Suisse, dans le cadre du Jubilé 2016 «800 ans de l’Ordre des Prêcheurs», et la Paroisse française réformée de Berne, en coopération avec de nombreux partenaires, ont prévu un vaste programme festif pour célébrer 700 ans d’histoire de cette église bernoise et 800 ans de celle de l’Ordre des Prêcheurs. «Tatort Französische Kirche; C’est arrivé à l’église française…», du 27 août au 18 septembre 2016.

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Aux origines de la présence dominicaine à Fribourg https://www.revue-sources.org/aux-origines-de-la-presence-dominicaine-a-fribourg/ https://www.revue-sources.org/aux-origines-de-la-presence-dominicaine-a-fribourg/#respond Fri, 01 Jan 2016 09:16:25 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=423 [print-me]

Dans son allocution à l’évêque de Lausanne et Genève, lors de l’inauguration officielle des cours universitaires 1892/1893, le Père Joachim Berthier OP (1848-1924), à ce moment Vice-recteur de la jeune Université, rappelle «un vieux souvenir»:

«En plein XIIIe siècle, vers 1230, Jourdain de Saxe, le second Maître Général des Prêcheurs, celui-là même qu’on appelait ‘la Sirène des Universités’, faisait le voyage de Lausanne. Il venait y visiter un ami intime. Cet ami à lui, c’était l’Evêque. Valde se mutuo longis temporibus diligebant, dit le vieux texte [1. Traduction: «Depuis longtemps ils étaient amicalement très liés».], le Vitae Fratrum [2. Joachim Berthier renvoie ici à la chronique médiévale de Gérard de Frachet OP qui, vers 1260, a rassemblé un recueil d’événements sur la vie des premiers frères et les développements de l’Ordre.], auquel j’emprunte ce récit, et qui raconte à ce propos une délicieuse histoire d’après le témoignage du sacriste de Lausanne. Je n’ai pas cherché le nom de l’Evêque. Mais ce que je sais bien, c’est que les Evêques de Lausanne se sont réfugiés à Fribourg, et que les Dominicains ont fait quelque chose d’analogue. Au moment où la jeune Université de Lausanne s’élève sur les fondements de l’ancien couvent des Dominicains, ces derniers se retrouvent à Fribourg.» [3. Textes de l’inauguration officielle des cours universitaires pour l’année 1892/93, Fribourg 1893.]

Aux origines, une équipe internationale

C’était en effet trois dominicains, le même Joachim Berthier, ensemble avec l’allemand Albert Maria Weiss (18441925) et l’américain Joseph Kennedy (1862-1930) qui arrivèrent le jeudi saint 3 avril 1890 à Fribourg pour y fonder la Faculté de Théologie.[4. Sur cette arrivée à Fribourg on peut lire des détails dans: Joachim Joseph Berthier: Notes relatives aux débuts de la faculté de théologie à Fribourg. Mémoire dominicaine, n° 27, Paris 2011.] Ils vont enseigner d’abord en Faculté de Philosophie – la Faculté de Théologie ne fut érigée formellement qu’en automne de l’année 1890.

Weiss est spécialiste en économie politique.[5. Ses compétences étaient bienvenues dans la nouvelle université. Il ne faut pas oublier que le fondateur de l’Université, le Conseiller d’Etat Georges Python, avait suggéré, dans une lettre du 1.1.1890 au Pape Léon XIII, la création d’une faculté d’économie politique, où on enseignerait la doctrine sociale de l’Eglise.] Plus tard, il enseignera l’apologétique jusqu’en 1919. Berthier, spécialiste de Dante, explique dans ses premiers cours l’Inferno de la ‘Divina Comedia’ pour être ensuite professeur en différentes branches de la théologie. Berthier fut très vite impliqué dans la vie culturelle et artistique de la ville.[6. Voir: Notes relatives aux débuts de la faculté de théologie à Fribourg, 134-136.] Kennedy enseigne l’introduction à la philosophie et la logique. Ce trio dominicain sera vite renforcé par la présence du dogmaticien, Thomas Coconnier OP (1846-1908). Avec Berthier et l’historien de l’Eglise, Pierre-Marie Mandonnet OP (1858-1936), qui rejoint la Faculté de Théologie en 1891/92, le père Coconnier fonde La Revue thomiste.

«Il me semble même, que ce ne peut être qu’un très grand avantage pour la Suisse catholique, si les R. R. Pères Dominicains sont appelés aux chaires de la faculté théologique».

A la toute première équipe d’enseignants s’ajoute très vite un groupe de Dominicains aussi bien francophones que germanophones. Certains ne seront à Fribourg que pour quelques semestres. Ce sont Leo Michel OP (1857-1919) pour la philosophie et Ange Boisdron OP (1845-1924) qui enseignera la morale pratique et la théologie fondamentale; Ambrosius Gietl OP (1851-1918) et Thomas Esser OP (1850-1926) pour le droit canonique; Réginald Frankenstein OP (1858-1914) pour l’histoire de l’Eglise; Symphorien Hyvernat OP (1855-1926) pour la théologie morale. L’exégèse est bien dotée avec les enseignants Albert Fritsch OP (1840-1920) et Vincent Zapletal OP (1867-1938) qui, lui, restera 36 ans et marquera toute une époque. Le premier programme des cours mentionne aussi des cours de Marie-Joseph Lagrange OP (Introduction à l’écriture sainte et exégèse du livre de la Genèse). Mais ce dernier ne viendra finalement pas à Fribourg, étant retenu par la fondation de l’Ecole Biblique et Archéologique française à Jérusalem.

Encouragements épiscopaux

Dans Histoire de l’Université de Fribourg Suisse 1889-1989, publié à l’occasion du centenaire de l’Université, Dominique Barthélemy OP souligne le rôle qu’a joué Mgr Augustin Egger, évêque de Saint-Gall, dans l’appel fait aux Dominicains en vue de la création d’une Faculté de Théologie,«vraiment catholique et internationale», que le gouvernement fribourgeois voulait ajouter aux deux facultés, le Droit et la Philosophie, déjà existantes.

Dans une lettre du 3 décembre 1889 au Secrétaire d’Etat du Pape Léon XIII, le Cardinal Mariano Rampolla, Egger écrit, sans oublier de dire que les moyens financiers sont modestes et qu’ils «ne suffiraient guère que pour des Religieux», que l’on pense «à l’Ordre de saint Dominique et on espère, qu’on pourrait obtenir plusieurs savants professeurs de cet Ordre.» Et l’évêque saint-gallois ajoute: «Les temps et les circonstances où nous vivons exigent que ces professeurs Dominicains, tout en enseignant la vraie doctrine de Saint-Thomas d’après la volonté et l’exemple admirable du Saint-Père, ne perdent pas trop de temps en agitant des questions stériles de l’Ecole et ne défendent pas trop exclusivement et apodictement certaines théories disputées (comme par exemple le Thomisme en opposition au Molinisme)».[7. Etudes et Documents sur l’histoire de l’Université de Fribourg/Suisse, édités par D. Barthélemy OP, Fribourg 1991, Volume Documents, 106.]

Mermillod, qui, lors de la fondation de l’Université aurait préféré le modèle français d’un Institut Catholique, exprime ses réserves contre une trop massive présence dominicaine.

Presque en même temps l’évêque de Bâle, Mgr Leonard Haas, écrit à Rampolla: «Il me semble même, que ce ne peut être qu’un très grand avantage pour la Suisse catholique, si les R. R. Pères Dominicains sont appelés aux chaires de la faculté théologique». L’évêque est sûr que la qualité scientifique de l’enseignement des dominicains sera supérieure à celle des professeurs des séminaires diocésains et qu’une faculté avec la présence d’un Ordre religieux contribuera à établir dans le corps enseignant une unité de doctrine et évitera des dissensions. «Des maîtres pris dans l’Ordre de St. Dominique seront aussi les meilleurs promoteurs de l’étude approfondie des Œuvres de St. Thomas, si recommandée par notre St Père le Pape et tout concourrait à donner une impulsion nouvelle à l’étude de la théologie en Suisse».[8. Ibid. 107.] Dans un article sur les dominicains à l’Université de Fribourg publié dans Helvetia Sacra, le père Guy Bedouelle OP soulève ce dernier aspect.

«Le choix de l’ordre dominicain comme partenaire répondait bien aux intentions des fondateurs, en raison de son caractère international et aussi de l’importance qu’y revêtait traditionnellement l’enseignement de saint Thomas d’Aquin, recommandé en 1879 par l’encyclique de Léon XIII, Aeterni Patris. Cette préoccupation était également chère à l’Union de Fribourg, ce groupe d’intellectuels catholiques qui se retrouvaient chaque année pour des réunions consacrées aux problèmes économiques et sociaux, où Python et Decurtins étaient actifs.»[9. Guy Bedouelle OP, Les Dominicains à l’Université de Fribourg (depuis 1889), dans: Helvetia Sacra, Basel 1999, Section IV, Vol 5, Partie 1, 155.]

Python, Decurtins et Mermillod

Concernant la démarche de faire venir des Dominicains à Fribourg il faut mentionner le rôle proactif de ces deux fondateurs de l’Université, qui dans leurs contacts la mi-août 1889 à Paris avec le savant historien Henri Denifle OP et leurs interventions auprès du Saint Siège et du Maître de l’Ordre des Frères Prêcheurs, José Maria Larroca, ont en quelque sorte court circuité l’évêque du lieu, Mgr. Gaspard Mermillod (1824-1892 – Cardinal depuis 1890). Celui-ci, n’étant pas favorable à ce qu’on confie toutes les chaires aux Dominicains, essaie de corriger le tir de Decurtins et de Python en écrivant le 19 décembre 1889 à Rampolla, que les évêques suisses, «un épiscopat uni, agissant d’un commun accord», soutiennent la création d’une faculté de théologie à Fribourg. Mais Mermillod, qui, lors de la fondation de l’Université aurait préféré le modèle français d’un Institut Catholique, exprime ses réserves contre une trop massive présence dominicaine.

Il est d’ailleurs irrité par la démarche fort autonome des politiciens: «Nous serons heureux d’avoir quelques Dominicains comme professeurs; mais il nous semble, qu’au point de vue des intérêts religieux nationaux de la Suisse, et de notre situation démocratique, il est important qu’il y ait des prêtres séculiers comme professeurs, afin que nous ayons des hommes distingués dans notre pays qui élèvent le niveau du clergé séculier.»[10. Etudes et Documents sur l’histoire de l’Université de Fribourg/Suisse, édités par D. Barthélemy OP, Fribourg 1991, Volume Documents, 110.]

Les fondateurs de l’Université chérissaient l’idée d’une contemporanéité critique dans un contexte catholique.

Mais Decurtins reste convaincu de l’importance de l’engagement des Dominicains. Il insiste dans des lettres en italien à Rampolla et au Pape Léon XIII sur le fait que la présence des dominicains correspond parfaitement au caractère international de l’Université. La qualité de l’enseignement des Dominicains, qui se situe dans la ligne du renouveau thomiste, est conforme à la politique intellectuelle du Pape. Il est donc évident que la faculté de théologie soit confiée aux Dominicains, «affidata ai Reverendi Padri Domincani».

Il souligne en plus que le gouvernement fédéral ne s’opposerait pas à la venue des Dominicains comme professeurs. Au contraire, «si vede adempito un vantaggio di tutta la Svizzera, poiché i giovani teologi che andavano finora a perfezionarsi nei loro studi all’estero, potranno farlo nella patria svizzera».[11. Traduction: on y voit en effet un avantage pour toute la Suisse, car les jeunes théologiens qui jusqu’à maintenant allaient perfectionner leurs études à l’étranger pourront le faire dans leur patrie suisse.]

Il est intéressant de noter que Decurtins, dans sa lettre au Pape du 21 décembre 1889, dit explicitement que les dominicains devraient aussi enseigner la philosophie, pour que les étudiants des autres facultés – il cite l’histoire, la philologie, le droit et la médecine – puissent suivre ces cours «come fondamento delle scienze nominate». Il s’agit de «rendere alla gioventù un vero ed unico concetto filosofico del mondo»[12. bid. 115. Traduction: Donner à la jeunesse un vrai et unique concept philosophique du monde.], et ceci contre les tendances panthéistes et matérialistes du temps.

L’argument est fort important. La faculté n’est pas simplement une institution cléricale ni une école d’études philosophiques et théologiques propre à l’Ordre, elle est au service du projet universitaire. Les fondateurs de l’Université chérissaient l’idée d’une contemporanéité critique dans un contexte catholique et, dans ce sens, universel. L’orientation catholique mais laïque de l’Université exprime d’un côté la distance par rapport aux prétentions cléricales tant dans le milieu fribourgeois que romain dont Mermillod était en quelque sorte le porte-parole. D’autre part cette orientation préconisait l’ouverture à toutes les disciplines capables de contribuer au bien-être de la société et ceci en correspondance avec la doctrine sociale de l’Eglise, que le Pape Léon XIII exprimera plus tard, le 15 mai 1891, dans son encyclique Rerum Novarum. La catholicité n’était pas une fin confessionnelle en soi, mais plutôt un moyen pour percevoir le monde et les questions du temps. C’était aussi une réaction face au constat de la confessionnalité des autres universités dans les cantons à majorité protestante. Le 24 décembre 1889 une convention fut signée entre le Maître de l’Ordre Larroca et le Gouvernement du Canton de Fribourg.

125 années de présence dominicaine à l’Université

La suite de l’histoire de la présence dominicaine à Fribourg sera écrite à travers de multiples tractations sur les statuts de la Faculté et le maintien de la place spécifique des Dominicains. Cette histoire est bien décrite dans les publications des pères Dominique Barthélemy, Marie-Humbert Vicaire et Dirk Van Damme dans le volume deux l’Histoire de l’Université de Fribourg Suisse 1889-1989. Mais c’est avant tout l’histoire d’un corps international de professeurs qui, par la qualité de leur enseignement et de leur recherche, ont, de manière substantielle, contribué à l’excellence de l’Université de Fribourg et de sa faculté de Théologie. La plupart d’entre eux ont marqué l’histoire de leur discipline.

Au risque d’en oublier, je ne mentionne que ceux de la toute première génération à la frontière du XIXe et du XXe siècle. Dans les sciences bibliques Vincent Zapletal et Bernard Allo; dans la dogmatique Thomas Coconnier et Norbert del Prado; dans la morale Joachim Berthier et Dominik Prümmer; dans l’histoire de l’Eglise Pierre Mandonnet; dans la théologie fondamentale Albert-Maria Weiss; dans la philosophie Gallus Maria Manser et Leo Michel. Plusieurs d’entre eux et des générations suivantes sont enterrés dans la crypte de l’Albertinum. La longue liste de leurs noms est inscrite sur la pierre tombale.

Ces noms témoignent, sans exception, des 125 ans de la présence dominicaine dans ce Fribourg que le père Berthier, en arrivant de Rome, trouvait une ville «noire et morne»[13. Joachim Joseph Berthier: Notes relative aux débuts de la faculté de théologie à Fribourg, dans: Mémoire Dominicaine n° 27, Paris 2011, 116.], ce Fribourg où la présence dominicaine à l’Université et à la Faculté de Théologie sera devenue quelques années plus tard si évidente que l’Ordre entier pouvait célébrer en 1916 à Fribourg son chapitre général sous la présidence du Bienheureux Hyacinthe Cormier. Ce fut aussi l’occasion de faire mémoire du septième centenaire de la confirmation de l’Ordre.

Puisse le huitième centenaire de cette confirmation encourager l’Ordre à maintenir et renforcer sa présence à Fribourg. Une présence théologique intégrée pleinement à cette Université, comme l’ont voulu et cherché tant les fondateurs de cette institution que les générations de Dominicains qui ont contribué au rayonnement international et scientifique de Fribourg.

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Le frère Guido Vergauwen

Le frère Guido Vergauwen

Le frère Guido Vergauwen est né en 1944 et a grandi à SintNiklaas (Belgique). En 1962, il entre dans la Province dominicaine flamande. Il étudie à Leuven, Fribourg et Tübingen. De 1993 à 2001, il fut assistant du Maître de l’Ordre pour la vie intellectuelle. Recteur de l’Université de Fribourg de 2007 à mars 2015, le 6 janvier 2015 le Chapitre de la Province dominicaine suisse l’a élu nouveau Provincial.


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Heinrich Stirnimann (1920-2005) https://www.revue-sources.org/heinrich-stirnimann-1920-2005-unruhig-ist-unser-herz/ https://www.revue-sources.org/heinrich-stirnimann-1920-2005-unruhig-ist-unser-herz/#respond Fri, 01 Jan 2016 08:46:45 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=418 [print-me]

Le frère Johannes Brantschen, professeur émérite à la Faculté de théologie de l’Université de Fribourg, évoque celui qui fut à la fois son Père-Maître et son mentor. Il le fait à travers de nombreuses touches personnelles.

Une fois n’est pas coutume! Sources fait paraître un article en allemand. Pour faire droit dans ce numéro spécial à la diversité culturelle des Dominicains suisses. Il reste que la figure du Père Henri Stirnimann aura profondément marqué ses frères dominicains et bien au-delà de leur petit cercle.

Pater Heinrich war ein weltoffener Mensch. Er war mit allen Sinnen und mit neugierigem Geist der Welt und ihrer Schönheit zugewandt (insbesondere der zeitgenössischen Architektur und Literatur),– gleichzeitig war er ein Liebhaber und Kenner der christlichen Mystik und wohl selber auch ein (verkannter) Mystiker. Er war ein Pionier der Ökumene, und gleichzeitig jeder Schwärmerei und allem Fanatismus von Grund auf abgeneigt. Er war ein Mann, der die Begegnung, das Gespräch und die Freundschaft suchte. Pater Heinrich war zeitlebens auf vielen Wegen unterwegs: er war Studentenmagister in St. Hyazinth, Prior in Freiburg und Luzern, Spiritual bei den Dominikanerinnen in Ilanz (1988-2000); er begleitete als theologischer Berater den Bischof François Charrière zur ersten Sitzung des 2. Vatikanischen Konzils; er war von 1966-1982 Herausgeber der «Freiburger Zeitschrift für Philosophie und Theologie», und vor allem war er Professor für Fundamentaltheologie an der theologischen Fakultät der Universität Freiburg (1952-1982); last but not least war er Rector magnificus der Universität (1968-1971) und noch vieles mehr. Da es unmöglich ist, hier und jetzt Pater Heinrich auf all seinen Wegen und Pfaden nachzuspüren, begnüge ich mich – ohne logische Ordnung – mit einigen (anekdotischen) Erinnerungen, die bei mir auftauchen, wenn ich an Pater Heinrich denke.

Der Studentenmagister oder ora et sport

Pater Heinrich war für uns im Studentat nicht nur der traditionell klassische Magister studentium, der uns in unzähligen gut vorbereiteten Unterweisungen in die Tradition und die Geheimnisse des OP-Ordens einführte, sondern er war – und das war neu – auch unser Sportmagister, weil er wusste: «Leben ist Bewegung!» Pater Heinrich hat uns erlaubt, auf der Freiburger Kunsteisbahn (in der Altstadt) Schlittschuh zu laufen (sein Vorgänger hat uns dieses Vergnügen verboten mit der Bemerkung: «Auf der Eisbahn hat es zu viele leichtgeschürzte Damen und Mädchen»). Auch hat unser Magister für uns Skier organisiert und einmal pro Woche die neue Turnhalle neben St. Hyazinth gemietet, wo wir uns mit Basketball austoben konnten. Im Garten von St. Hyazinth mussten wir allerdings – mit Rücksicht auf die alten Patres – im Habit Volleyball spielen. Der herzensgute, wenn auch etwas bärbeissige Bruder Mancius (vulgo

«Schneider des Papstes»), sœben aus Rom zurückgekehrt, hatte keine Freude an unserem Spiel im Habit, weil es danach immer viel zu flicken gab und meinte. «Früher hiess es ‘ora et labora’, seit Pater Heinrich hier ist, heisst es ‘ora et sport’».

Unvergesslich bleiben mir auch die Sommerferien in Zeneggen und später in Staldenried (VS). In Zeneggen kam ich, und wohl auch einige andere Mitbrüder, zu ihrem ersten Orientierungslauf. Der Oberpfadfinder (so unser Spitzname für Pater Heinrich) hatte aus dem Zeughaus der Schweizer Armee Kompasse besorgt und uns um 6 Uhr in der Frühe auf den Lauf geschickt, den er in der Nacht ausgesteckt hatte. Höhepunkt der Ferien war jeweils eine hochalpine Bergtour. Ich erinnere mich besonders an die Tour auf den Dom (4545 Meter über Meer – höchster Gipfel auf Schweizergebiet). Als Bergführer fungierte mein Bruder Stefan.

In späteren Jahren war Pater Heinrich regelmässig mit meiner Familie und mir in Randa in den Ferien. Pater Heinrich – in seinem kragenlosen Sensler Bauernhemd – hat mich, meine Mutter und die unvergessliche Tante und Gotta Klara samt meinen Nichten und Neffen in seinem (frisierten?) Deux-Chevaux in die entlegensten Schluchten und Dörfer des Wallis chauffiert. Am Abend, glücklich und müde, warteten wir auf das Kommando von Tante Klara: «Die Entrecôtes sind fertig. Alle zu Tisch! Heinrich und die Kinder auf die Bank

hinter dem Tisch!» Dieser Ton hat Pater Heinrich gefallen, es war so ganz anders als bei ihm zu Hause in der grossbürgerlichen Familie à la Thomas Mann. Selten erlebte ich Pater Heinrich so glücklich und entspannt, wie während dieser Ferientage im Wallis. Er suchte die Freundschaft der kleinen Leute, und diese hat er im Wallis gefunden.

Die Kapelle von St. Hyazinth

Herkunft aber bleibt Zukunft (M. Heidegger). Pater Heinrich hat seine akademische Laufbahn an der ETH Zürich als Architekturstudent begonnen, bevor er Dominikaner geworden ist. Diese Liebe zur Architektur konnte er als Prior beim Bau der neuen St.-Hyazinth-Kapelle ausleben, indem er dem Architekten Schenker (Bruder von Pater Adrian), dem Glasmaler Kim OP und seinem Freund, dem Bildhauer Stocker, als kompetenten Souffleur ständig zur Seite gestanden ist. Pater Heinrich hat sogar das Relief am Kapelleneingang – ein in Calacatta-Marmor gemeisseltes stilisiertes Kreuz selber entworfen. So hat denn Pater Heinrich die Kapelle in St. Hyazinth immer auch als sein Kind betrachtet.

Die Universität: Theologie, Ökumene, Rektorat

1952 wurde Pater Heinrich, erst jährig, zum Professor für Fundamentaltheologie und Apologetik an der theologischen Fakultät der Universität ernannt. Dreissig Jahre lang führte er als guter Latinist (die Vorlesungen waren damals in Theologie und Philosophie in lateinischer Sprache) die Studenten «modo geometrico» in die Geheimnisse der Fundamentaltheologie ein. Die Vorlesungen von Pater Heinrich waren an Klarheit nicht zu übertreffen. Als dann das Zweite Vaticanum (19621965) die ökumenische Frage aufgriff, liess sich Pater Heinrich nicht zweimal bitten. Er gründete 1964 das erste ökumenische Institut der Schweiz. Dabei ging es ihm nicht nur darum, in theologischen Kreisen die konfessionelle Differenz auszuloten und abzubauen, sondern er war bemüht, auch und gerade die Kirchenleitungen in diesen Dialog mit hineinzunehmen. So hat Pater Heinrich 12 Jahre lang als Kopräsident der Evangelisch-Römisch-Katholischen Gesprächskommission der Schweiz klug und geduldig für kleine Schritte auf dem weiten Weg zur Einheit gekämpft. Er war sich nicht zu gut, durch Vorträge und Diskussionen in unzähligen Gemeinden den einfachen Leuten den ökumenischen Gedanken nahe zu bringen. Für diese ökumenische Arbeit hat ihm die Evangelische Fakultät der Universität Bern (1978) den Doctor honoris causa verliehen.

Ein Höhepunkt der Universitätsjahre war zweifelsohne das magistrale Rektorat von Pater Heinrich in den schwierigen Jahren 1968-1971. Die Studentenrevolte der 68er Jahre hat via Kalifornien, Paris und Berlin schliesslich auch das verschlafene Freiburg erreicht. In Freiburg waren vor allem die Anarchisten am Werk. Als diese Gruppe einen Festakt in der feierlichen Aula magna gesprengt, die schwarze Fahne entrollt und ein Pamphlet vorgelesen hat, ist Pater Heinrich mutig auf die Bühne gestürmt, hat den Anarchisten nach wildem Kampf das Mikrophon entrissen und zur Vernunft und zum Dialog gerufen. Der Staatsrat – skandalisiert wegen der Entweihung der heiligen Aula magna – verlangte vom Rektor, die Anführer von der Universität zu verjagen. Pater Heinrich aber hat sich zum Anwalt der Studenten gemacht und in unzähligen Nachtstunden die Anarchisten zum Dialog zu bewegen versucht. Pater Heinrich mochte die Studenten, und die Studenten, mochten ihn. Schliesslich hat auch der Erziehungsdirektor die Arbeit des Rektors anerkannt und ihm als Geschenk für sein magistrales Rektorat eine Sekretärin für das «Ökumenische Institut» und die «Freiburger Zeitschrift» gegeben.

Von der Scholastik zur Spiritualität und Mystik

Der Abschied von der Universität nach 30 Jahren war für Pater Heinrich auch eine Befreiung, denn er war im starren Korsett der neuscholastischen Universitätstheologie nie ganz zu Hause. Als Prior von Luzern, und von 1988-2000 als Spiritual der Ilanzer Dominikanerinnen, fand er Zeit und Musse, sich der Mystik und Spiritualität zuzuwenden. Sein Schreibstil wandelte sich. Statt streng wissenschaftlicher Studien, wandte er sich dem nicht weniger anspruchsvollen Essay zu, das ihm erlaubte, meditierend und spielerisch wichtige Themen zu behandeln. So entstanden die zwei originellen und weitverbreiteten Werke über Niklaus von Flüe («Der Gottesgelehrte Niklaus von Flüe», Freiburg 1981) und über Maria («Marjam, Marienrede an einer Wende», Freiburg 1989). Später kam die Reihe

«Sigma» hinzu, mit mehr als 20 kleinen und kleinsten Bändchen, die nicht öffentlich zu kaufen waren, die Pater Heinrich aber seinen vielen Freunden und Freundinnen mit einer sehr persönlichen Widmung schenkte. In diesen kleinen Schriften gelang es Pater Heinrich, in immer konzentrierterer, aphoristisch knappen Verdichtung, wesentliche Grundfragen christlichen Glaubens zur Sprache zu bringen und in einmaligen Miniaturen seinen Freunden ein bleibendes Denkmal zu errichten. Die Freunde F. Gehr und L. Stocker, aber auch der von Pater Heinrich hochverehrte Meister Eckhart, und natürlich sein geliebter Appenzeller Sennenhund Anatol, werden so in je einem Bändchen geehrt. Das erste Bändchen, «Holzbock», bietet eine noch heute aktuelle Kirchenkritik und hätte wohl im letzten Jahrhundert auf dem Index der verbotenen Bücher seinen Platz gefunden.

Die letzten drei Jahre waren für Pater Heinrich schwierig. Eine geheimnisvolle Krankheit liess den bis anhin mutigen, kontaktfreudigen und angstfreien Mann ängstlich, schweigsam und apathisch werden. Die treue Schwester Berta im Kloster Ilanz, die Pater Heinrich bis zum Schluss begleitet und gepflegt hat und gelegentlich aus Liebe streng mit ihm sein musste, sagte mir am Tag des Begräbnisses: «Pater Heinrich hat mir während seiner Krankheit mehr gegeben, als ich ihm geben konnte!» Welch ein Kompliment für Pater Heinrich, aber auch für Schwester Berta. Pater Heinrich ruht auf dem Klosterfriedhof der Ilanzer Dominikanerinnen.

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Une foi à la hauteur du monde https://www.revue-sources.org/une-foi-a-la-hauteur-du-monde/ https://www.revue-sources.org/une-foi-a-la-hauteur-du-monde/#respond Fri, 01 Jan 2016 08:43:22 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=415 [print-me]

Élu Prieur de la Province dominicaine suisse le 6 janvier 2015, le frère Guido Vergauwen parle de ses origines, de sa formation ainsi que des étapes de sa vie dominicaine. Il donne un aperçu des devoirs d’un provincial dans le contexte actuel et celui de demain.

Quand on souhaite connaître une personne, on s’enquiert d’abord de ses racines. On tente de percevoir l’origine de son histoire. Frère Guido, où se trouvent vos racines?

En fait, je dois avouer que mes racines se trouvent dans l’Ordre des Prêcheurs, car j’y suis entré très tôt, tout de suite après le collège. Ce que je suis devenu comme religieux, intellectuel et même homme, je le dois essentiellement à l’Ordre. Naturellement, je peux dire aussi que mes racines se trouvent en Belgique, en Flandre. Mes parents et ma famille y habitaient. Là, j’allais à l’école; là, j’ai grandi. Mais je me suis «éveillé» dans l’Ordre.

Quelle pratique religieuse dans votre environnement familial? Comment se déroulait la vie de chaque jour? Viviez-vous dans un microcosme, comme on pourrait l’imaginer?

A cette époque – préconciliaire – , lorsque j’étais écolier en Flandre, il était naturel d’aller tous les jours à la messe et de se confesser une fois par semaine. C’était l’usage du collège catholique que je fréquentais. Un monde où la pratique religieuse allait de soi. J’avais perdu mon père très tôt; j’ai grandi avec ma mère, mes tantes, oncles, neveux et nièces, grands-parents… Des personnes qui ne manifestaient pas ostensiblement leur foi, mais fréquentaient la messe chaque dimanche. Evidemment!

Dans votre enfance, vous aviez certainement souhaité devenir conducteur de locomotive ou pilote d’avion… A quel moment vous êtes-vous rendu compte que vous étiez appelé à la vie religieuse?

Puisque j’ai grandi dans un environnement marqué par l’empreinte de l’Eglise, on conçoit aisément que mon choix professionnel pouvait entrevoir la possibilité de devenir religieux. Déterminant fut probablement le temps passé au collège où nous avions des retraites annuelles. Un Père dominicain avait prêché la retraite de mon avant-dernière année du collège. Lors d’une conversation privée avec lui, le Père Gerolf van Daele m’a rendu attentif à l’Ordre dominicain. A la fin de l’année, j’ai saisi l’occasion de participer aux journées des vocations organisées par l’Ordre. Le Père van Daele m’apprit que les Prêcheurs vivaient en quelque sorte une vie religieuse «composée», non pas exclusivement contemplative comme celle des Bénédictins, que je connaissais. Les Dominicains formaient un Ordre apostolique basé sur divers piliers: étude, liturgie, vie communautaire et annonce de la Parole. Cela m’intéressait.

« Tout naturellement, dès la fin de mes études secondaires, j’entrai dans l’Ordre ».

J’ai gardé le contact avec le Père van Daele jusqu’à la dernière année du collège. Tout naturellement, dès la fin de mes études secondaires, j’entrai dans l’Ordre. En 1962, l’année de l’ouverture du Concile, je commençai mon noviciat. Avec les novices, j’avais suivi l’ouverture solennelle du Concile, retransmise à la télévision de la salle de récréation des Pères. Car, bien entendu, les novices n’avaient pas de télévision. J’avais rencontré personnellement Jean XXIII, le Pape du Concile, lors d’un voyage à Rome l’année de mon baccalauréat. Une période très excitante. Le but du Saint Père, dont le programme était «Aggiornamento», n’était rien moins qu’ouvrir l’Église au monde. La chrétienté devait se situer dans le temps présent afin d’être à même de préparer l’avenir. En ce temps-là, nous lisions avec enthousiasme les publications des Pères dominicains Yves Congar, Marie-Dominique Chenu, Edward Schillebeeckx et d’autres encore qui ont marqué le temps du Concile et celui qui a suivi.

Y a-t-il eu un modèle de prêtre ou de religieux dont vous dites: je l’ai admiré, c’est à lui que je dois d’être devenu religieux et prêtre?

Le Père dominicain Gerolf van Daele dont je viens de parler fut certainement important pour moi. Avant lui, il y eut aussi d’autres personnalités qui m’ont marqué, comme le prêtre poète flamand Cyril Coupé, mieux connu sous son nom d’auteur Anton van Wilderode.

« En ce temps-là, nous lisions avec enthousiasme les publications des Pères dominicains Yves Congar ».

Je mentionne aussi un enseignant de ma dernière classe de collège, Lucien Lootens. L’un et l’autre m’ont marqué de façon inoubliable au cours de mes dernières années de collège. Ils nous rendaient accessible la littérature grecque et latine, ils nous ont aussi rendus sensibles à la culture flamande et nous encourageaient à apprendre d’autres langues. Il faut rappeler qu’au cours des années 50 et 60 du siècle dernier la culture flamande connaissait une période de renaissance. Ce qui ne fut pas sans conséquence pour la Province dominicaine Sainte Rose de Flandre. Mes professeurs de Leuven, Dominikus De Petter et Henrikus Walgrave, ont joué un rôle important dans le choix de mes orientations en philosophie et en théologie fondamentale. Remarquables furent aussi les professeurs dominicains de la Faculté de Théologie de Fribourg.

Frère Guido, après votre ordination sacerdotale qu’êtes-vous devenu? Où avez-vous été assigné? 

Après un stage d’étude à Tübingen et la présentation de ma thèse de doctorat, j’ai quitté Fribourg pour un temps prolongé. De 1975 à 1985 je fus directeur d’études à la Paulusakademie de Zurich.

En même temps, j’acceptai des enseignements en théologie fondamentale et en œcuménisme à Fribourg, donnant suite à l’invitation du Recteur de l’Université, le Père Heinrich Stirnimann, dont je suis devenu le successeur en 1985. Ma période zurichoise fut importante pour moi. Elle m’a rendu sensible aux problèmes sociaux et religieux de la Suisse. Je me suis occupé de questions soulevées par la pastorale des divorcés ainsi que du dialogue judéo-chrétien.

En parallèle, dépannant des paroisses, j’ai pris en charge de nombreux services sacerdotaux. J’ai proposé régulièrement des cours de formation continue pour les prêtres du décanat de Zurich. Je fus chargé de cours au Seminar für Seelsorgehilfe. Ce séminaire, fondé après le Concile par le théologien Johannes Fleiner, avait pour but de former des laïcs en pastorale et d’approfondir leur qualification. Fleiner était aussi le fondateur des cours de catéchèse pour adultes (Glaubenskurs) et de théologie pour laïcs (Theologiekurs für Laien). Il était un très bon théologien et un pasteur clairvoyant. De plus, il avait été conseiller des évêques suisses lors du Concile.

Comment se sont présentées les étapes suivantes? 

En 1985, j’ai pris la succession du Père Heinrich Stirnimann. En 1993, le Maître de l’Ordre Timothy Radcliffe me demanda d’être son assistant pour la vie intellectuelle. Je diminuai alors mon activité d’enseignement à l’Université de Fribourg afin de remplir la mission dont j’étais chargé à Rome et dans le monde. J’appris alors à connaître les dimensions universelles de l’Ordre, en particulier les maisons et couvents d’études ainsi que les universités dominicaines. Au rythme des nombreux voyages, au cours d’innombrables rencontres et en participant à trois Chapitres généraux, à Caleruega, Bologne et Providence (USA).

« Timothy Radcliffe me demanda d’être son assistant pour la vie intellectuelle ».

Cette période achevée, je retournai à l’Université de Fribourg où j’ai été élu Doyen de la Faculté de théologie. Je devins aussi Vice-recteur, de 2003 à 2007, plus spécialement chargé de l’enseignement, des bibliothèques et des relations internationales. En 2007, je fus élu Recteur de l’Université de Fribourg, fonction que j’exercerai jusqu’en mars 2015. Une fois de plus, ce fut un défi extraordinaire pour moi. J’avais déjà vécu mes années professorales et ma présence à Rome auprès du Maître de l’Ordre comme une période d’apprentissage incroyablement captivante. Il en fut de même des années passées au Rectorat.

Je ne me suis donc jamais éloigné de mon temps de formation et de pérégrination. Je fus constamment appelé à parfaire mon apprentissage. Recteur de l’Université, j’avais de nouveaux territoires à découvrir, surtout dans les domaines touchant à la médecine, à l’économie, à la jurisprudence. J’avais aussi pour mission de promouvoir ces secteurs d’enseignement et de recherche. Autant de défis permanents qu’il fallait relever pour satisfaire les demandes variées des professeurs et celles des étudiants. J’ai eu la joie de constater que les diverses facultés de la communauté universitaire avaient accepté un recteur théologien. Bon signe pour la faculté à laquelle j’appartenais! Elle devait et pouvait se considérer comme partie intégrante de l’Université.

Au terme de votre rectorat il vous était possible de poursuivre vos activités professorales en Suisse, en Belgique ou ailleurs encore. Mais le Chapitre de la Province dominicaine suisse vous a élu Prieur provincial. Que signifie pour vous ce nouvel appel?

Tout d’abord, ce fut une surprise pour moi. Je n’avais pas imaginé être élu à un tel poste. D’autre part, c’était un défi joyeux que de mettre à nouveau mon expérience au service de l’Ordre, rappel du temps où je travaillais de façon soutenue comme assistant du Maître de l’Ordre. Une nouvelle tâche que je devais apprendre. Je ne l’assumais donc pas avec des opinions préconçues. Je reste ouvert, attentif aux surprises qu’elle me réserve.

Naturellement, ce provincialat me donne le loisir de poursuivre certains intérêts que je cultivais déjà comme professeur, par exemple l’œcuménisme ou le Centre «Islam et Société». Recteur, j’avais trop peu de temps à leur consacrer. De même, je pense m’occuper à nouveau de la Freiburger Zeitschrift für Philosophie und Theologie et poursuivre mes recherches sur le théologien dominicain Thomas de Vio, dit Cajetan, dont je souhaiterais traduire les prédications.

L’Eglise catholique comprend un nombre imposant d’ordres, de congrégations et de mouvements religieux. Où situer l’Ordre des Dominicains dans cette constellation?

 J’ai appris à considérer l’Ordre dans ses dimensions qui vont bien au-delà d’une Province locale. En ce temps où les vocations se font rares, particulièrement en Europe occidentale, il est important que la Province dominicaine suisse apprenne à tenir compte de la dynamique de l’Ordre en sa totalité.

« L’Ordre est jeune de 800 ans, parce que sa mission est toujours actuelle ».

En ce sens, le «Jubilé des 800 ans de l’Ordre Dominicain» est l’occasion pour notre Province de devenir plus visible. Nous le serons en collaborant avec le Maître de l’Ordre et l’ensemble de sa curie. Il nous appartient de participer à cette commémoration de toutes nos forces. Nous n’avons pas le droit de rester à l’écart des festivités du Jubilé. L’Ordre est jeune (!) de 800 ans, parce que sa mission est toujours actuelle. Il continue à proclamer la Parole sous diverses formes et avec des moyens multiples. L’étude et la prédication demeurent une mission permanente que l’Eglise a explicitement confiée aux Prêcheurs. Nous pouvons la remplir dans le cadre d’une communauté, sans qu’il ne soit nécessaire de jouer les cavaliers seuls. Le Jubilé de 2016 est un appel à redécouvrir cette dynamique et à la faire fructifier. Annoncer la Parole est un mandat impératif qui n’a rien perdu de son actualité.

La Province suisse des Dominicains a vu chuter ces dernières années l’effectif de ses frères. Ce constat vous fait-il souci?

L’âge avancé des frères n’est pas un problème en soi. La société dans son ensemble devient toujours plus âgée. Mais que les frères aînés en dépit de leur âge puissent demeure prédicateurs, confesseurs, auteurs ou simplement soutenir par leur prière les activités des autres.

Je situerais le problème à un autre niveau: la discontinuité ou la rupture intergénérationnelle. Ce souci-là me préoccupe. Autrefois, il y avait une continuité naturelle dans la transmission de la foi et de la connaissance religieuse. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Afin de combler ce manque, des structures doivent être créées pour des hommes à la recherche d’un deuxième chemin de vie à l’intérieur de notre Ordre. La vie dominicaine comporte traditionnellement une certaine culture orale issue du vécu de chacun. Elle est essentielle pour la transmission de notre spiritualité, de notre liturgie, de notre vie intellectuelle, de nos manières de vivre en communauté. Lorsqu’une génération fait défaut, un déficit se crée. En Suisse tout particulièrement, nous devons nous préoccuper de la relève.

De quoi doit-on tenir compte dans la formation de cette relève?

La formation comprend différents éléments. Il est important pour moi de ne pas sous-estimer la dimension intellectuelle, de familiariser ceux qui frappent à notre porte à la grande tradition intellectuelle de l’Ordre. Elle permet d’acquérir à travers le travail personnel un ensemble d’instruments qui permettent d’analyser, de rendre accessibles les problèmes du temps présent et de préparer des réponses adéquates.

Il n’est pas vrai que le monde ait changé au point que la vie religieuse aurait perdu son sens. Il s’agit de transmettre notre propre tradition dominicaine. La formation doit avant tout faire des jeunes des chrétiens adultes. Il ne s’agit pas de les mettre sous tutelle, mais de faire en sorte qu’ils trouvent leur chemin personnel et deviennent des chrétiens qui savent rendre compte de leur foi dans le monde actuel. En aucun cas on ne fera d’eux des êtres dépendants, mais des chrétiens adultes, munis d’une foi située à la hauteur du  monde.

« Entre nous, j’aimerais aussi utiliser plus souvent ma bicyclette, une vieille passion… »

Mais encore, quel appui donner à ces jeunes, indépendamment de toute carrière spécifique et professionnelle?

Si nous leur disons «venez chez nous», les candidats (ainsi que les candidates des communautés féminines) devraient dans l’Ordre pouvoir se développer intellectuellement, et ceci m’importe particulièrement devenir des adultes chrétiens en prenant profondément racine dans la Parole et la vie de l’Eglise. Ils doivent être prêts à relever à partir de leur foi les défis que le monde leur pose. Johann Baptiste Metz appelle cela la «mystique des yeux ouverts». Metz était, bien entendu, professeur de théologie fondamentale…

Frère Guido, vous n’avez jamais esquivé les charges à responsabilité. Sans regarder derrière vous, où trouvez-vous les motifs de vous réjouir aujourd’hui? 

Je me réjouis surtout d’avoir davantage d’espace, de temps et de force pour me consacrer à la théologie et plus directement pour répondre aux sollicitations de mes frères. Je ressens cette opportunité comme une nouvelle chance. C’est un cadeau de pouvoir vivre une fois encore intensément ma vocation dominicaine dans une période nouvelle de ma vie. Entre nous, j’aimerais aussi utiliser plus souvent ma bicyclette, une vieille passion…

Que signifie concrètement votre activité de Prieur de la Province suisse des Dominicains?

 Provincial, j’apporterai naturellement mon concours à la Conférence des Unions des religieux/religieuses et des Instituts séculiers de Suisse (KOVOSS / CORISS). Je me réjouis aussi de participer au prochain Chapitre Général de l’Ordre en 2016 à Bologne.

Dans ma fonction de Prieur provincial j’ai surtout le devoir, en étroite collaboration avec le Conseil provincial, de mettre en œuvre les Actes et les décisions du Chapitre provincial de janvier 2015. La fonction d’un Prieur provincial est directive sans doute, mais elle doit se situer toujours dans la ligne des Constitutions de l’Ordre et en consonance avec les directives et perspectives formulées par le Chapitre provincial.

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Interview réalisé pour notre revue Sources par le frère Uwe Augustinus Vielhaber, du couvent St-Hyacinthe de Fribourg. Traduit de l’allemand par Evelyn von Steffens et Guy Musy.

 

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Le paysage dominicain suisse https://www.revue-sources.org/le-paysage-dominicain-suisse/ https://www.revue-sources.org/le-paysage-dominicain-suisse/#respond Fri, 01 Jan 2016 08:03:41 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=409 [print-me]

Vu sa menue taille géographique et son importance historique toute relative, le paysage dominicain couvrant l’actuelle Confédération helvétique se révèle étonnamment riche et varié, et cela dès la fondation de l’Ordre des Prêcheurs par saint Dominique en 1215/1216.

Implantations médiévales

Situé au cœur de l’Europe, le plateau suisse qui s’étend entre le Lac Léman et le Lac de Constance a rapidement vu naître des couvents de frères rattachés à l’une ou l’autre des Provinces voisines : Zurich en 1229/1230, Bâle en 1233, Lausanne en 1234, Genève en 1263, Berne en 1269, Coire entre 1277 et 1280, Zofingen en 1286, auxquels viendront se joindre deux couvents plus tardifs, Coppet en 1499 et Ascona au XVIe siècle. Faut-il rappeler ici l’importance des couvents voisins de Constance et de Strasbourg, véritables foyers de la mystique rhénane dont l’histoire retiendra à jamais trois noms : Maître Eckhart, Henri Suso et Jean Tauler. Saint Nicolas de Flüe, patron de la Suisse, en fut lui-même influencé.

L’implantation des monastères de moniales n’a pas tardé à suivre. De son histoire riche et complexe, retenons les noms de ceux qui existent encore de nous jours : St-Gall/Wil (1228/1607), Weesen (1256), Constance (1257), Estavayer-le-Lac (avant 1303/1316), Schwytz (avant 1303) et Cazis (refondation en 1647).

En ce qui concerne les couvents de Töss, Oetenbach et Sankt Katharinenthal, aujourd’hui disparus, ils ont connu au XIVe siècle une vie spirituelle intense grâce à des échanges fructueux avec des frères dominicains. En témoigne la correspondance d’Elsbeth Stagel, du monastère de Töss, avec Henri Suso. Quant au rayonnement des couvents de frères, des recherches récentes sont venues attribuer la première Bible complète en version allemande, non pas à Luther, mais à Marquart Biberli, un frère du couvent de Zurich, au début du XIVe siècle (Sources 2015/3).

Quelque trois siècles après leur fondation, la Réforme viendra mettre fin à l’ensemble des couvents de frères, y compris à ceux qui s’étaient ralliés à la réforme interne (Bâle, Berne…), tout comme à un certain nombre de monastères. Tandis que les bâtiments conventuels ont partout disparu, les églises des Prêcheurs subsistent dans toute leur splendeur à Berne (église réformée française), à Bâle (église catholique chrétienne) et à Zurich (paroisse réformée zu Predigern). Cette dernière a noué depuis deux décennies des liens prometteurs avec les Dominicains et les Dominicaines de Zurich, notamment dans le domaine de l’accueil et de l’animation liturgique et spirituelle. En l’an 2000, la Predigerkirche a offert l’hospitalité pour l’ordination sacerdotale d’un frère dominicain. Une première depuis la Réforme!

Le temps de la restauration

Il aura fallu attendre presque 400 ans avant de voir des Frères Prêcheurs revenir en Suisse. Les premiers, venant de France et d’Allemagne, vont répondre à l’appel des fondateurs de l’Université de Fribourg qui confiaient à l’Ordre dominicain l’enseignement de la théologie et de la philosophie dans une nouvelle faculté, à mettre sur pied de toutes pièces. La maison de l’Albertinum ouvre ses portes en 1890, discrètement, car la Constitution suisse interdisait à l’époque la fondation de nouveaux couvents. Quant à celui de St-Hyacinthe, également en ville de Fribourg, ses origines remontent aux débuts du XXe siècle, avec l’arrivée de frères français chassés de leur pays à la suite des lois antireligieuses de 1905. La maison ne deviendra couvent qu’en 1943, en attendant la fondation d’une Province suisse qui sera formalisée en 1953.

« L’essor, au XXe siècle, de la vie dominicaine féminine rendra à l’Ordre des Prêcheurs en Suisse une surprenante visibilité ».

L’ancien couvent de Genève fut rétabli en 1951, d’abord à Annemasse (France) avant d’être transféré à Genève en 1953. Suivra la fondation d’une maison à Lucerne en 1941. Le couvent de Zurich fut refondé en 1959. Deux autres fondations, éphémères celles-ci, eurent lieu à Bâle et à Lausanne.

Les sœurs ne sont pas en reste

Quant à la vie dominicaine féminine, elle connaîtra au XIXe et au XXe siècle une véritable floraison, à l’image de tant d’autres communautés religieuses, grâce notamment à l’implantation de la Congrégation romaine de Saint-Dominique à Pensier et à Lucerne et grâce à l’arrivée des Dominicaines de Béthanie à Châbles et à Sankt Niklausen. La branche la plus nombreuse toutefois deviendra la Congrégation des Dominicaines d’Ilanz qui vient de fêter les 150 ans de sa fondation et les 125 ans de son affiliation à l’Ordre dominicain. Pas moins de 881 noms de religieuses figurent dans le registre de cette congrégation, dont 151 sont encore en vie. Ce nombre aura permis un rayonnement dominicain puissant dans les Grisons, en Suisse alémanique, en Allemagne, en Autriche et bien au delà en Chine/Taiwan et au Brésil.

Il convient de faire ici mémoire, plus particulièrement, de soeur Cherubine Willimann, moniale de Schwytz qui, en 1868, partit avec deux consœurs en Allemagne où elle fonda la solide Congrégation des Dominicaines d’Arenberg qui tient, de nos jours encore, une maison d’accueil à Rickenbach, la patrie de leur fondatrice.

L’essor, au XXe siècle, de la vie dominicaine féminine rendra à l’Ordre des Prêcheurs en Suisse une surprenante visibilité. Les liens voulus par saint Dominique entre couvents de frères et couvents de sœurs vont s’intensifiant, grâce entre autre à de nombreux frères qui en deviendront les aumôniers.

Les champs d’apostolat de ces Congrégations dominicaines étaient classiques, conformément à l’époque et à l’Eglise de ce temps, tournées vers l’enseignement et les soins des malades. Ce n’est que relativement tard que les sœurs dominicaines en Suisse se sont ouvertes à l’étude de la théologie et aux services de type pastoral.

Les Dominicaines de Bethanien à Sankt Niklausen méritent ici une mention spéciale. Leur tout nouveau couvent érigé en 1972 sur les hauteurs de Sachseln, à proximité de l’ermitage de saint Nicolas de Flüe, fut une des toutes premières maisons modernes d’accueil en Suisse. Son hôtellerie généreuse avec sa chapelle priante fut des années durant une référence pour le monde catholique de Suisse alémanique et même au-delà. Tout récemment, la maison de Bethanien a été confiée par les sœurs dominicaines à la Communauté du Chemin Neuf, tout comme, vingt ans plus tôt, la maison de Pensier avait été confiée à la Communauté du Verbe de Vie. Loin de disparaître, la vie évangélique se pérennise à travers le charisme de communautés nouvelles. A noter ici, en termes de vocations, la belle vitalité du couvent des Dominicaines de Cazis, quoique situé un peu à l’écart dans le canton des Grisons.

Rosaire et liturgie

Le paysage dominicain suisse, autre fait étonnant, ne s’est jamais exprimé qu’à travers ses couvents, ses frères et ses moniales, ses sœurs et ses fraternités laïques. Dans un pays excessivement marqué par le baroque religieux, l’Ordre de saint Dominique s’est aussi fait connaître à travers la prière du chapelet et les retables du Rosaire, leur expression iconographique.

On ne compte plus les très nombreux autels du Rosaire qui ornent les églises de campagne un peu partout dans les régions catholiques. La Vierge Marie, reine du Rosaire, remet un chapelet ou une chaîne de «roses» à saint Dominique, le fondateur des Prêcheurs. Les tableaux du Rosaire associent en règle générale à Dominique la plus célèbre des Dominicaines, sainte Catherine de Sienne. Certes, la dévotion du Rosaire était déjà en usage depuis le XIIe siècle chez les Chartreux, mais c’est sous l’influence des Dominicains qu’elle s’est largement développée, grâce aux confréries du Rosaire notamment.

En termes de spiritualité, le paysage dominicain suisse a été marqué ces dernières décennies par l’introduction de la «Liturgie chorale du Peuple de Dieu» composée par le dominicain André Gouzes à l’Abbaye de Sylvanès.

Jusqu’à nos jours, l’Ordre des Prêcheurs promeut la dévotion du Rosaire, notamment lors du traditionnel pèlerinage du Rosaire à Lourdes. Inauguré en 1903 par les Dominicains français, il draine annuellement près de 15’000 pèlerins et malades dans ce site marial. Un apostolat de la prière et de la transmission de la foi dans lequel s’investit aussi le couvent de Genève et sa dynamique fraternité laïque.

En termes de spiritualité, le paysage dominicain suisse a été marqué ces dernières décennies, et ceci est moins connu, par l’introduction de la «Liturgie chorale du Peuple de Dieu» composée par le dominicain André Gouzes à l’Abbaye de Sylvanès. Inattendue de la part de cet Ordre qui pourtant s’inscrit dans la tradition de l’office choral, la liturgie dite «tolosane» a puissamment renouvelé les offices des communautés dominicaines, en version allemande jusqu’ à Zurich et en Allemagne. Elle deviendra décisive pour l’entrée dans l’Ordre d’une jeune génération de Dominicains, notamment en France.

Quel avenir en suisse pour la famille dominicaine?

Pour ce qui est de l’avenir de la présence dominicaine en Suisse, les communautés de moniales méritent une considération à part. Certes, elles n’ont pas l’assurance de la pérennité, pas plus que les communautés de frères. Cependant, le fait d’avoir traversé sans interruption les siècles, nous reliant à travers elles aux origines de l’Ordre, parfois au bord de la fermeture ou de la suppression, ayant connu de belles embellies de ferveur spirituelle, prises aux pièges de la médiocrité et de l’insignifiance… nous fait croire et espérer en cette longue haleine dont les moniales ont le secret.

Contrairement aux sœurs, les frères de ce pays n’ont guère fondé ou mis sur pied des œuvres rattachées à la Province et appelées à durer et à être transmises. Les apostolats ont pris les marques et les visages des frères qui les portaient. Ministères individuels liés à de belles figures qui ont donné d’heureuses et fertiles réalisations, le plus souvent au service de l’Eglise locale. Les compétences professionnelles requises et acquises font que les Prêcheurs ne sont plus interchangeables.

Certains se souviendront encore des équipes de frères sillonnant à partir de leur couvent de Lucerne les paroisses alémaniques pour y prêcher les Missions populaires. L’enseignement de la philosophie dans les collèges d’Etat fut un autre domaine de prédilection des Dominicains suisses, tout comme l’animation des aumôneries auprès des trois universités romandes, Fribourg, Lausanne et Genève. De nos jours, les Prêcheurs sont en charge de la paroisse de St-Paul à Genève et de la Mission catholique de langue française à Zurich.

Saurions-nous taire ici la désaffection, ces dernières décennies, de nombreux frères qui ont réduit sensiblement le champ d’action de la Province, jusqu’à mettre en péril son avenir? Ces frères nous manquent! Mais, la page de la refondation dominicaine en Suisse est encore à écrire, tout comme la vie, les visions, les projets, le travail des frères et de leurs couvents de part et d’autre de la Sarine.

Vers une reconfiguration… sans frontières

Ce qui est certain est que la présence dominicaine sur le territoire suisse n’est pas forcément sur le point de disparaître, mais de se reconfigurer. La volonté de la petite Province suisse est de redoubler d’effort pour maintenir, si possible, les implantations de Zurich, Fribourg et Genève, villes attrayantes pour tout apostolat dominicain. Cela suppose un ajustement à l’Europe dominicaine. En fait, celle-ci est déjà une réalité. Une bonne moitié des frères dominicains, vivant et œuvrant sur le territoire suisse, est d’origine étrangère. Un Dominicain est un religieux sans frontières! De même, la Province suisse a, de tout temps et malgré sa fragilité, envoyé des frères prêcher «ailleurs», au Guatemala mais surtout au Rwanda/Burundi, où de nombreux frères ont exercé un ministère passionnant et contribué à l’implantation des Prêcheurs en Afrique.

Quant à la dynamique ville de Fribourg avec ses deux couvents bien garnis en frères étudiants, l’Albertinum et StHyacinthe, elle se profile depuis plus d’un siècle comme pôle d’enseignement universitaire et d’études théologiques, au service aussi bien de l’Ordre dominicain que de l’Eglise en Suisse. Dans cette reconfiguration de l’Europe dominicaine, plusieurs Provinces, dont celle de France, ont décidé récemment que leurs jeunes frères feront une partie de leurs études académiques à Fribourg! Cela se remarque et se ressent, tant dans les deux couvents qu’à l’université.

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Le frère dominicain suisse Clau Lombriser est Père-Maître des frères étudiants dominicains résidant au couvent St-Hyacinthe de Fribourg. Il est aussi membre de l’équipe rédactionnelle de la revue Sources.

 

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Pauvreté en Suisse https://www.revue-sources.org/pauvrete-en-suisse/ https://www.revue-sources.org/pauvrete-en-suisse/#respond Wed, 01 Oct 2014 10:31:16 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=357 [print-me]

Sources a rencontré Dominique Froidevaux, sociologue et directeur de Caritas-Genève. et le remercie de l’éclairage qu’il apporte sur le sort de près d’un million de résidents sur le territoire suisse, frappés de précarité sociale et économique.

Que faut-il entendre par «précarité sociale»?

La notion de précarité renvoie à l’idée de situation inconfortable ou instable. Lorsque l’on parle de précarité sociale, on vise à faire comprendre la situation de personnes qui vivent:

– dans un inconfort ou des difficultés matérielles croissantes susceptibles de mettre en danger leur participation à la vie sociale,

– une situation où l’avenir est marqué par l’imprévisible et l’aléatoire et qui risque de les faire basculer dans la pauvreté, souvent accompagnée d’un processus de disqualification sociale.

On parle aussi d’extrême précarité pour caractériser les situations dans lesquelles les privations matérielles et l’insécurité sont élevées. Exemples: la situation des personnes sans statut légal qui, outre une précarité matérielle, subissent une précarité statutaire qui est source de grande insécurité. Ou encore la situation des personnes sans-abris, qui cumulent en général de multiples problématiques, toutes différentes les unes des autres, et se trouvent par conséquent en situation d’extrême vulnérabilité.

Quels sont les critères qui, en Suisse, définissent la pauvreté?

Il existe plusieurs approches pour définir la pauvreté. On peut en citer au moins trois.

Une première approche se limite à une prise en compte des ressources disponibles: on part du principe qu’un ménage en situation de pauvreté n’a pas accès à certaines ressources indispensables pour vivre dans une société donnée.

Une approche plus approfondie prend aussi en considération les conditions de vie: les ressources et les revenus, bien sûr, mais aussi la nature de l’emploi, le niveau de formation, les conditions de logement et de santé, le statut de séjour ou encore les chances de participer à la vie sociale, culturelle et politique.

L’approche par les «capabilités» a été proposée par le socio-économiste et Prix Nobel indien Amartya Sen. Une capabilité est «l’ensemble des fonctionnements potentiels que l’individu peut réaliser et qui représente sa liberté de fonctionner». L’intérêt de la réflexion proposée par Sen tient au fait qu’il invite à analyser cette «liberté de fonctionner» en regard des opportunités concrètes qui sont rendues possible par le contexte économique et social dans lequel peut évoluer un individu. Il insiste donc sur la responsabilité collective en termes de promotion de la justice sociale et de la capacité d’une organisation socio-économique à ouvrir des portes pour l’épanouissement de tout un chacun[1].

Le travail social s’inscrit en général dans une approche complexe, fondée sur la nécessité éthique de lutter contre toute forme de disqualification sociale, économique ou culturelle en visant l’émancipation des personnes, par un accompagnement approprié respectant leur libre choix. Dans les évaluations statistiques visant à mesurer l’ampleur et l’évolution de la pauvreté, on doit cependant se limiter à une approche fondée sur la seule prise en compte des ressources disponibles.

A partir de quel seuil peut-on parler en Suisse de pauvreté?

Certains mouvements voudraient limiter ce seuil au minimum de survie physique. C’est, dans les faits, ce qui est appliqué pour les migrants de passage, au titre de l’aide d’urgence à laquelle «quiconque en situation de détresse» à droit en Suisse au sens de l’article 12 de notre Constitution fédérale.

La Conférence des institutions suisses d’action sociale (CSIAS) définit, elle, des recommandations pour les personnes ayant droit à une assistance de dernier recours en Suisse. Sa définition se fonde sur le fait que, au-delà de la simple survie et du droit à un toit et des soins, il faut prendre en compte le droit à une participation minimale à une intégration socio-culturelle de manière à enrayer une dynamique qui aboutirait à l’exclusion des personnes concernées. Sa définition du minimum vital est la suivante: «En vertu de la Constitution et des lois, l’aide sociale doit assurer une vie digne dans un cadre modeste. Le minimum vital social facilite la participation à la vie de la société puisque le forfait pour l’entretien comprend également des dépenses modestes pour l’entretien de contacts sociaux et que, le cas échéant, il est possible d’octroyer des prestations circonstancielles supplémentaires[2]

Sur cette base, combien de pauvres en Suisse?

Pour des estimations statistiques nationales on prend en général comme référence la valeur médiane des revenus disponibles dans un pays donné. La médiane, cela veut dire le milieu de la distribution des revenus à partir duquel on a, d’un côté, les 50% les plus riches et, de l’autre, les 50%les moins riches. Le seuil de risque de pauvreté est défini par convention, pour assurer des comparaisons internationales, à hauteur de 60% de cette valeur médiane. On parle alors de pauvreté relative ou de seuil de risque de pauvreté. De manière plus stricte, le taux de pauvreté est défini à hauteur de 50% de la valeur médiane, ce qui correspond de manière assez cohérente au niveau du minimum vital qui doit être assuré par les institutions d’aide sociale.

Cela n’est jamais banal d’être jeune et sans avenir.

Si l’on se base sur un seuil de risque de pauvreté évalué à hauteur de 60% de la médiane, en Suisse, un million de personnes, c’est-à-dire 14,3% de la population, était menacée de pauvreté en 2011. Si l’on se base sur un seuil plus strict, à 50% de la médiane, cela représente encore environ 600’000 personnes ou 7,9% de la population. On peut dire que ce dernier chiffre représente le taux de pauvreté en Suisse, selon les chiffres de 2011, car il correspond de manière assez cohérente au niveau du minimum vital recommandé par les institutions d’aide sociale. 60% de la médiane, en 2011, cela représentait 2450.- Frs. pour une personne seule et 5100.- Frs. pour 2 adultes avec deux enfants de moins de 14 ans. 50% de la médiane, en 2011, cela représentait 2000.- Frs. pour une personne seule et 4250.- Frs. pour une famille du même type que précédemment[3].

Certaines enquêtes permettent aussi de mesurer divers indices de privation matérielle. Donnons quelques exemples. Le fait de ne pas être en mesure de faire face à une dépense inattendue touche un peu plus de 20% des Suisses, mais près de 45% des personnes en situation de pauvreté dans notre pays. Plus de 27% des personnes en situation de pauvreté ne peuvent s’offrir une semaine de vacances par année loin de chez soi. Sait-on encore qu’environ 7% des personnes en situation de pauvreté en Suisse déclare ne pas pouvoir prendre un jour sur deux un repas complet?[4]

La proportion des jeunes «pauvres» est-elle élevée et pourquoi?

En Suisse, selon la CSIAS[5], plus de 235’000 personnes touchent des prestations d’aide sociale. Un tiers des bénéficiaires de l’aide sociale sont des enfants et des adolescents entre 0 et 17 ans. A Genève, selon l’Hospice général[6], 1935 jeunes adultes de 18 à 25 ans ont bénéficié de prestations financières. Leur nombre est en augmentation constante depuis les années 2000 et a connu une accélération en 2012. Il faut savoir que ces chiffres ne représentent que la partie visible de la pauvreté, à savoir la pauvreté «prise en charge» et dont les institutions d’aide peuvent donner des statistiques de suivi. Or on estime que 30 à 50% des personnes ayant droit à l’aide sociale n’y font par recours. Cette proportion est certainement élevée chez les jeunes[7].

Les problèmes des jeunes sont liés à différentes formes de disqualification dans leurs parcours de vie: difficultés scolaires qui les font décrocher progressivement de l’école et prétéritent leurs chances d’accéder à une formation professionnelle. Des ruptures avec le milieu familial aggravent encore la situation de certains. Par la force des choses, les jeunes décrocheurs risquent de rompre avec leurs amis d’enfance qui, eux, s’attachent progressivement à construire leur avenir. Ils ont donc de plus en plus de difficultés à se projeter eux-mêmes dans des perspectives de formation professionnelle et voient leurs chances d’assurer leur existence par eux-mêmes s’amenuiser. Certains d’entre eux dérivent alors vers des comportements délictueux ou autodestructeurs. Cela n’est jamais banal d’être jeune et sans avenir.

Des remèdes possibles à cette situation?

En ce qui concerne les enfants et les jeunes en difficulté, Caritas s’engage en Suisse, par un plaidoyer sociopolitique et des projets concrets. Il s’agit de promouvoir des soutiens aussi précoces que possible, dès la petite enfance, pour minimiser les risques de disqualification scolaire des enfants dont les parents disposent de peu de moyens pour les accompagner, en bonne intelligence avec les familles. Il s’agit aussi de promouvoir des actions innovantes pour aider les jeunes décrocheurs ou en grande difficulté à se former et à se construire un avenir professionnel. Le programme Voie 2 de Caritas Genève est construit autour de cette perspective[8]. Caritas s’engage dans toute la Suisse par un plaidoyer en faveur d’une multiplication des opportunités de formation professionnelle et continue, sans discrimination.

Caritas s’engage aussi avec des compétences de pointe dans le conseil et l’accompagnent des ménages précarisés par un endettement qui risque de devenir insupportable. Elle a développé des épiceries sociales pour garantir, à des prix accessibles aux faibles revenus, un accès aux biens de première nécessité, produits alimentaires, produits d’hygiène. Promouvoir une alimentation saine pour tous est également un but de ces épiceries qui offrent des fruits et légumes de qualité à bas prix et développent des programmes permettant d’apprendre à cuisiner sainement sans se ruiner.

Mais l’approche de la lutte contre les situations génératrices de pauvreté est plus globale. Elle vise non seulement à assurer des conditions de vie dignes aux personnes en difficulté et des moyens pour elles de s’en sortir, mais aussi à agir en amont, de manière à réduire les risques de basculer dans la pauvreté. Cette lutte requiert donc une mobilisation globale, impliquant autant les pouvoirs publics que les acteurs associatifs et invitant les entreprises à prendre au sérieux leur responsabilité sociale de manière à créer des conditions de travail dignes et dignement rémunérées et faciliter le ré-emploi des personnes ayant connu des difficultés. Une approche transversale est prônée par Caritas, impliquant les dimensions de la formation, de l’accès au travail, au logement, à la santé, à la vie culturelle et citoyenne. Car c’est à partir du sort réservé au plus faibles d’entre ses membres que s’évalue le bien-être d’une collectivité. C’est, en tous les cas, ce qu’affirme le préambule de notre Constitution fédérale.

[1] Ces définitions sont développées dans le « Nouveau Manuel Caritas sur la pauvreté en Suisse » (Lucerne 2014).

[2] Source CSIAS : http://csias.ch/uploads/media/FAQ_2013-f_01.pdf

[3] Ces données sont fournies par l’Office fédéral de la statistique (OFS) et récapitulées dans le « Nouveau Manuel Caritas sur la pauvreté en Suisse » (Lucerne 2014).

[4] Selon l’enquête internationale SILC 2010 (Survey on income and living conditions) menée en Suisse par l’Office fédéral de la statistique (OFS).

[5] Source CSIAS: http://csias.ch/uploads/media/FAQ_2013-f_01.pdf

[6] Source Hospice général de Genève : http://www.hospicegeneral.ch/fileadmin/files/pdfs/medias/communiques/2013/Communique-HG_Point-jeunes_26.03.13.pdf

[7] Source : « Nouveau Manuel Caritas sur la pauvreté en Suisse » (Lucerne 2014).

[8] http://www.caritasge.ch/p107001195.html

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Dominique Froidevaux, sociologue, est directeur de Caritas-Genève.

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Le portail Cath.ch https://www.revue-sources.org/le-portail-cath-ch-une-arche-dans-les-tourbillons-du-numerique/ https://www.revue-sources.org/le-portail-cath-ch-une-arche-dans-les-tourbillons-du-numerique/#respond Tue, 01 Apr 2014 15:03:16 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=243 [print-me]

Il y a peu d’années, recouvert par des mètres de neige, l’hospice du Simplon, colossale bâtisse, accueillait des étudiants d’un collège de la plaine du Rhône. Un matin, l’un d’eux, australien venu apprendre le français en Suisse, paraît en état de choc, les yeux gonflés de larmes. Il montre sur son téléphone portable la photographie qu’il vient de découvrir sur les réseaux sociaux. Elle représente une maison coupée en deux par des torrents de boue. Il la reconnaît, c’est la maison de ses parents, celle de son enfance.

Nous restons dubitatifs face à la force de l’image livrée crûment, sans explication, là-haut dans le silence recueilli des montagnes. Lui veut appeler, il veut savoir et entendre la voix de ses parents. Dans la journée, les médias traditionnels nous apprennent les terribles inondations qui touchent l’Australie; le téléphone apportera des nouvelles rassurantes. Je resterai grandi par cette importante leçon: les réseaux sociaux ont dessiné le continent numérique; ils y règnent en maîtres.

Le royaume de l’immédiat

Les réseaux sociaux, ceux que l’on rassemble savamment sous la terminologie «web 2.0» pour indiquer l’évolution irrémédiable qu’Internet a vécue en comparaison des temps du gentil «site à papa», ont intronisé un nouveau royaume, celui de l’immédiat. Lisez bien ici l’absence de média, la disparition de cet intermédiaire qui délivre une information sur le monde après l’avoir collectée, critiquée, pondérée et mise en forme. Désormais le monde communique avec le monde sans médiation. Est-ce la fin du journalisme que l’histoire avait patiemment érigé en triomphe et qui semble s’effondrer maintenant?

Si les journalistes se lamentent, d’autres se frottent les mains. Les gens du devant de la scène, ceux qui veulent se tenir sous les feux des projecteurs, les politiciens, les stars peuvent communiquer au public, à un public mondial, à des millions de fans, en contournant l’exigeant filtre médiatique. Mieux encore, les annonceurs développent des campagnes publicitaires à moindre frais, mais diablement efficaces du fait de leur pénétration dans l’intimité des gens. Car, dans le monde des réseaux sociaux, les salutaires barrières de la vie privée tombent l’une après l’autre. Peut-être, n’a-t-on pas encore appris à les construire?

Une arche journalistique dans un monde d’immédiateté.

Dans les années 70-80, le téléphone – fixe! – avait fait la conquête des ménages et était parvenu à atteindre la femme au foyer. Quelle aubaine pour elle, recluse à la maison, qu’une fenêtre ouverte sur un vaste réseau sans frontière. Quelle aubaine aussi pour les annonceurs! Voici venu l’âge d’or du démarchage téléphonique qui défriche un accès providentiel dans une moitié d’humanité prête à consommer. Il n’est pas impossible que les réseaux sociaux ressemblent plus qu’on ne l’imagine au téléphone. Ils ont réussi à accéder à une population repliée sur elle-même, celle des jeunes, en leur proposant d’accéder immédiatement dans l’intimité de la sphère privée. Il n’est pas impossible que ces réseaux sociaux vieillissent avec cette jeunesse, comme le démarchage téléphonique après avoir atteint son apogée se replie inexorablement.

Cath.ch

Comment évangéliser le continent numérique? Sur le modèle de l’évangélisation téléphonique qui n’a pas eu lieu? Je crois que ce continent n’existe pas. Les personnes qui y naviguent disposent toutes d’une adresse réelle. C’est bien sur terre que la rencontre évangélisatrice doit se faire d’abord! Preuve en est les groupes de jeunes dynamiques en Suisse romande qui possèdent des sites et des pages Facebook jamais à jour ou alors trop tardivement et pas systématiquement. Ils s’organisent certes sur facebook, mais se rencontrent In Real Life.

L’Eglise catholique a édifié le plus important, le plus dense, le plus efficace et le plus humain des réseaux sociaux, parce qu’elle l’a déployé dans la vie de chair et d’esprit. Elle utilise le «web 2.0» à titre accessoire pour faciliter et assister son «web catholique» et sa mission d’évangélisation, en se gardant bien d’en faire un but en soi!

Et cath.ch me direz-vous! Eh bien, il peut paraître comme une ruine virtuelle du «web 1.0», un site à papa vieux de trois ans, une communication désuète puisqu’elle ressemble au journal de presse écrite et non pas au carnet de souvenirs du Facebook.

Mais pour moi, cath.ch se présente au contraire comme une arche journalistique dans un monde d’immédiateté, un espace de valeurs reconnues, choisies, partagées, éprouvées, critiquées, chéries et proclamées; un lieu qui participe à l’évangélisation, autant, si ce n’est plus, que les narcissismes mondains qui souvent empoisonnent les réseaux sociaux. Je lui connais un présent heureux et, malgré les tempêtes, je lui promets un avenir radieux.

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Pascal Fessard

Pascal Fessard

Pascal Fessard est journaliste et webéditeur du portail catholique suisse cath.ch. Philosophe de formation, il partage également son regard sur l’actualité ecclésiale à travers son blog «Cuistreries spirituelles».

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Eglise – Etat Enjeu et débat https://www.revue-sources.org/eglise-etat-enjeu-debat/ https://www.revue-sources.org/eglise-etat-enjeu-debat/#respond Wed, 01 Jan 2014 13:34:39 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=195 [print-me]

Le contexte des trois articles qui suivent est une discussion qui prend de l’ampleur et même un caractère polémique en Suisse alémanique. Le problème soulevé existe aussi en Suisse romande. Il se pose cependant en des termes différents. Des tensions entre la pastorale et les finances sont constatables partout du fait du «système dual» de notre Eglise. Réduire ces tensions à un affrontement clercs/laïcs, comme les positions exacerbées le reflètent en Suisse alémanique, manifeste un problème plus profond qui relève de l’ecclésiologie: celui d’une Eglise corps du Christ dont chacun devrait se reconnaître membre à part entière et par conséquent au service d’un même bien, celui de la communion et de la mission.

Notre revue se propose de clarifier ce débat helvétique. Et de le rendre compréhensible à nos voisins qui s’étonnent – avec raison – de la complexité des relations Eglise-Etat sur notre territoire national. Tout d’abord, que signifie ce «système dual» qui semble être la pierre angulaire de ces relations, mais aussi une source de malentendus et de conflits. A telle enseigne que la Conférence des évêques suisse s’est cru obligée de faire paraître en décembre 2012 un «Vade-mecum» pour établir les règles de bon fonctionnement entre l’Eglise catholique et les corporations de droit public ecclésiastique. Nous avons fait appel à un expert averti, dont il n’est pas nécessaire de rappeler les compétences: M. Philippe Gardaz, ancien juge cantonal de l’Etat de Vaud, observateur attentif de la vie ecclésial dans notre pays[1].

Nous avons ensuite donné la parole à un vicaire général d’un diocèse alémanique, Mgr. Martin Grichting. Son plaidoyer en faveur d’une séparation Eglise-Etat en Suisse reflète des difficultés précises rencontrées dans l’exercice de sa charge, très proche de celle de l’évêque. La solution radicale qu’il préconise heurtera sans doute beaucoup de catholiques suisses. Mais nous devons tenir compte de son point de vue qui, au vu de la sécularisation montante, pourrait bien être prophétique.

Enfin, nous avons voulu jeter un regard sur le statut de l’Eglise de France, proposé comme modèle en la matière par le vicaire général de Coire. Il ne sera pas inintéressant de lire dans ce contexte les propos de Philippe Verdin sur la laïcité «à la française».

Nous avons conscience que ce débat implique une approche et un discernement «charismatiques» des ministères et compétences. Leurs contours et leur exercice devraient être réglés dans un esprit de communion. Le rapport de forces cristallisé par ces discussions révèle un affaiblissement de la conscience de ce corps dont le Christ est la Tête, unique autorité à laquelle tous sont soumis. Agents pastoraux (prêtres et laïcs) et financiers participent au même service. Le système dual exige un fonctionnement commun.

Force est de constater qu’il y a un immense travail pour combler la mutuelle méconnaissance des exigences pastorales et de gestion. La raréfaction, déjà palpable et qui va aller en s’accentuant, des ressources tant financières que personnelles nous oblige à dépasser nos divergences, à reformuler nos options essentielles en vue d’une meilleure gestion commune des moyens à disposition. Raison pour laquelle il y a urgence à promouvoir une saine collaboration de toutes les énergies, dans le respect du travail et du ministère (au sens large) de chacun pour le bien des communautés et le soutien de leur témoignage évangélique. Un chemin d’écoute, d’explication voire de tensions qui peut porter du fruit à long terme, si prévaut au cœur de chacun l’esprit évangélique de synodalité et de subsidiarité promu par Vatican II et rappelé par le Pape François.

[1] Parmi ses multiples contributions en la matière, mentionnons cet article de P. Gardaz qui ne manquera pas d’intéresser nos lecteurs genevois : « Les dispositions religieuses de la constitution cantonale genevoise du 14 octobre 2012, », paru dans l’Annuaire suisse du droit ecclésial, Peter Lang, 2012.

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