Spiritualité – Revue Sources https://www.revue-sources.org Thu, 15 Mar 2018 09:31:58 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.3.1 Le Rosaire et les Dominicains https://www.revue-sources.org/le-rosaire-et-les-dominicains/ https://www.revue-sources.org/le-rosaire-et-les-dominicains/#respond Mon, 24 Jul 2017 06:20:21 +0000 https://revue-sources.cath.ch/?p=2358 [print-me]Le retable que nous présentons dans ce numéro peut se découvrir à Gruyères dans la vénérable église paroissiale St-Théodule, au coeur de la cité comtale. Le peintre s’est inspiré du décor naturel de cette région emblématique pour y fixer ses modèles dominicains.

Il existe un lien étroit entre la diffusion de la prière du Rosaire et l’apostolat des fils et des filles de saint Dominique. L’iconographie associe de multiples manières la prière du Rosaire à saint Dominique et sainte Catherine de Sienne. De nombreux retables les relient aux mystères du Rosaire. La longue histoire de cette dévotion nous permet de relativiser certaines affirmations sur l’origine du Rosaire et situe la place des Dominicains davantage sur l’accent missionnaire donné à cette prière.

La préhistoire du Rosaire

Avant le Rosaire existait la dévotion à la prière de l’Ave Maria qui s’ajoutait aux prières du Pater noster et au Credo. Il faut toutefois préciser que cette prière ne comportait que la première partie de la prière; c’est seulement en 1568 dans la nouvelle édition du Bréviaire que le Pape saint Pie V joignit officiellement la deuxième partie (Santa Maria Mater Dei…) à la prière que l’on a régulièrement enseignée au 11ème et 12ème siècle.

Il faut souligner que cette prière répétitive permettait aux religieux non prêtres (cisterciens ou chartreux, par exemple) de s’associer aux moines de chœur qui chantaient les 150 psaumes de David. 150 Ave pour 150 psaumes. Il est ainsi question du «Psautier de Notre Dame»

Il faut attendre le 15ème siècle pour aboutir à une systématisation du Rosaire. A Trèves en Allemagne, le chartreux Dominique de Prusse ajoute à chaque Ave Maria une «clausule» qui relie chaque Ave à un passage de l’évangile. A la frontière du Luxembourg, de l’Allemagne et de la France, à quelques centaines de mètres d’un village bien connu de nos jours, Schengen, on garde le souvenir d’un prieuré chartreux appelé Marienfloss où Dominique de Prusse aurait séjourné pour composer ces «clausules». Les esprits bien intentionnés pourraient y voir un lien entre la femme «couronnée d’étoiles» et … le drapeau européen!

Alain de la Roche

Il faut attendre le Dominicain Alain de la Roche(+1475) pour associer le Rosaire et saint Dominique. Il est difficile de voir en cette affirmation autre chose qu’une affirmation de type apocryphe pour donner une autorité à la prédication du Rosaire par les Dominicains. Aucun des biographes anciens de saint Dominique ne fait allusion à la dévotion du Rosaire: ni le Libellus de Jourdain de Saxe, ni les récits de Pierre Ferrand ou d’Humbert de Romans.

Le bienheureux Fra Angelico, mort à Rome le 18 février 1455, a consacré de nombreuses œuvres à la vie du Christ et à celle de saint Dominique. Le retable du Louvre et le tryptique de Cortone ne montrent pas la Vierge remettant un chapelet. Le couvent San Marco de Florence représente souvent saint Dominique en prière, mais jamais avec un chapelet. A Florence au milieu du 15ème siècle on ne croyait donc pas que saint Dominique ait reçu de la Vierge la dévotion du Rosaire ou en ait répandu l’usage.

Dans la tradition dominicaine on signale le premier tryptique du Rosaire situé à l’entrée de l’église saint André à Cologne (1515). A côté de ce précieux souvenir est située la tombe de saint Albert le Grand.

Les Confréries du Rosaire

Bien vite dans chaque église des retables représentant les mystères du Rosaire furent déposés au dessus d’un autel particulier. Les membres des «Confréries du Rosaire» y récitaient quotidiennement la prière du Rosaire. La plupart des familles spirituelles et religieuses leur apportaient leur soutien. Les Dominicains n’étaient donc pas les uniques propagateurs de cette pratique. Les Pères Montfortains, par exemple, dans la tradition de Louis-Marie Grignon de Montfort y étaient très attachés de même que les curés de paroisse. Il faut souligner aussi l’appui de nombreux évêques qui, de nos jours, encouragent cette prière, surtout dans les églises où la célébration eucharistique n’est pas régulièrement assurée.

Pauline Jaricot et le bienheureux Bartolo Longo

Dans l’histoire du Rosaire il faut citer le cas de Pauline Jaricot (1799-1866) qui eut l’idée de la «Propagation de la Foi» pour soutenir l’extraordinaire dynamisme missionnaire du 19ème siècle. Elle fut aussi à l’origine de la diffusion du «Rosaire Vivant» qui associait en France plus de deux millions de membres à sa mort.

Un peu plus tard en Italie, un laïque du tiers-ordre de saint Dominique, le bienheureux Bartolo Longo (1841-1926), participe activement à la reconstruction de l’église Notre-Dame de Pompéi qui devient un lieu de pèlerinages. Il reprend l’idée du «Rosaire Vivant» en le proposant aux enfants pauvres de Pompéi, tout comme Pauline Jaricot avait proposé cette pratique aux jeunes ouvriers des soieries de Lyon.

Dans l’un et l’autre cas, il s’agit d’offrir une pratique chrétienne à des enfants et à des pauvres qui semblaient si éloignés de Dieu. Comment ne pas évoquer le cri de saint Dominique dans la nuit: «Que vont devenir les pécheurs

Le père Joseph Eyquem

Dans un contexte bien différent, quelques années plus tard, en 1954, du côté de Marseille, deux Dominicains engagés auprès des ouvriers et des dockers en particulier vont être atteints par la condamnation des prêtres ouvriers par le pape Pie XII. Le fr. Jacques Loew ((+1999) sera plus tard à l’origine de l’Ecole de la Foi à Fribourg. Le fr. Joseph Eyquem (+1990) sera avec une laïque issue du mouvement de l’Action Catholique, Colette Couvreur, à l’origine de la reprise du Rosaire Vivant dans une perspective missionnaire. En 1965, cette intuition prendra le nom d’un nouveau mouvement d’Eglise: «Les Equipes du Rosaire».

Il y a actuellement plus de 100.000 membres des Equipes du Rosaire. Ils se situent majoritairement en France, mais de nombreuses équipes ont été crées à partir de là. Les équipes de l’Ile de la Réunion ont ainsi essaimé dans tout l’Océan Indien, aux Seychelles, à l’Ile Maurice, à Madagascar… mais aussi en Australie. Les Antilles françaises, depuis de nombreuses années, ont vu naître de nombreuses équipes. L’Afrique avec la coopération des frères dominicains accueille elle aussi des équipes.

Emouvants témoignages

Il faut enfin souligner le lien étroit de l’idéal dominicain entre la contemplation et la prédication que cherchent les frères dominicains et qui se retrouve dans la prédication du Rosaire. Il ne s’agit pas seulement d’honorer une piété vénérable, mais il s’agit tout autant d’utiliser cette nourriture spirituelle pour le service de la mission. Tous y sont appelés… des plus pauvres aux plus grands.

Beaucoup de témoignages font écho à cette double ambition. Je retiens le témoignage du frère dominicain Dominik Jaroslav Duka (devenu cardinal archevêque de Prague). Sous le communisme il avait partagé la cellule d’un certain …Vaclav Havel! Sa seule prière possible était le Rosaire.

J’aime aussi évoquer la situation d’une autre prison celle de Tananarive à Madagascar. Il y avait en 1990 deux équipes du Rosaire: une formée de prisonniers et une autre de gardiens de la même prison.

La famille dominicaine peut être fière de participer à cet humble témoignage missionnaire.[print-me]


Le frère dominicain Claude Bonaïti, du couvent de Genève, est animateur des «Equipes du Rosaire» de Suisse romande.

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Marion Muller-Collard, L’intranquillité https://www.revue-sources.org/marion-muller-collard-lintranquillite/ https://www.revue-sources.org/marion-muller-collard-lintranquillite/#respond Tue, 09 May 2017 11:38:07 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=2224

Marion Muller-Collard, L’intranquillité, Bayard, Paris, 2016, 394 p.
Une recension de Monique Bondolfi

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Les spiritualités alternatives: nouveau nom de l’œcuménisme? https://www.revue-sources.org/spiritualites-alternatives-nouveau-nom-de-loecumenisme/ https://www.revue-sources.org/spiritualites-alternatives-nouveau-nom-de-loecumenisme/#comments Tue, 07 Feb 2017 15:03:52 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=2117 [print-me]Durant des décennies, des hommes et des femmes ont cherché un chemin d’œcuménisme au milieu des formes traditionnelles de nos Eglises: comment concilier l’accent mis sur l’exégèse et la réflexion du côté protestant avec l’insistance placée sur la liturgie et les sacrements du côté catholique?

Ensemble avec la Parole

Et puis, il y a déjà plus de vingt ans, on a vu apparaître un intérêt commun pour des formes de lecture priée de la Bible, dépassant les sensibilités confessionnelles habituelles: la lectio divina d’abord – en Suisse romande sous le nom d’«école de la Parole» -, puis les semaines de retraites spirituelles selon les Exercices ignaciens. Ces deux méthodes permettent de vivre une expérience: celle d’une proximité avec Dieu, de manière immédiate et sans autre intermédiaire que la Parole elle-même. On y développe une dynamique du cœur à cœur avec Dieu: Il me rencontre, Il me parle et je peux Lui répondre. Et quand on est sur le chemin d’une relation personnelle avec Dieu, on remarque vite qu’on est tous semblables et que les différences de nos appartenances confessionnelles n’ont plus d’importance.

« Est-ce que l’œcuménisme trouverait un nouveau souffle en-dehors même des institutions ou aux marges de celles-ci? »

Ces démarches sont d’ailleurs suivies tant par des catholiques que par des protestants réformés, et on y voit même de plus en plus des salutistes ou d’autres protestants de sensibilité évangélique. On peut donc se poser la question: Est-ce que la spiritualité serait le nouveau nom de l’œcuménisme en qui se retrouvent confondus les chrétiens appartenant aux diverses confessions?

On peut même aller plus loin: est-ce que l’œcuménisme trouverait un nouveau souffle en-dehors même des institutions ou aux marges de celles-ci? Je veux parler des nouvelles formes de spiritualité alternatives en lien avec la foi chrétienne. Quelques mots d’explication:

Spiritualités alternatives

Je ne suis pas le seul à constater que pour beaucoup de croyants les formes ecclésiales traditionnelles ont perdu de leur pertinence. Elles ne répondent plus à leurs besoins et ne sont plus suffisantes pour opérer un réel renouvellement de l’être. Elles ne nourrissent plus suffisamment leur cheminement, leurs questionnements et leur désir d’engagement. Beaucoup s’éloignent donc des institutions mais s’intéressent par contre à de nouvelles formes pour vivre leur spiritualité mettant en avant l’expérience personnelle: méditation (de pleine conscience), créativité, art, expression corporelle, pratiques thérapeutiques, éco-spiritualité, etc. que l’on peut qualifier de « formes de spiritualités alternatives » – et certains cherchent à les articuler à leur foi chrétienne.

Plutôt que de se laisser dépasser, il serait essentiel, à mon avis, que les Eglises investissent ensemble beaucoup plus de forces dans des propositions qui peuvent rejoindre ces personnes en recherche, ceci dans une logique « d’économie mixte » – c’est à dire sans pour autant déprécier les formes traditionnelles qui gardent toute leur valeur pour un certain public. Pour l’instant, les autorités de nos Eglises peinent encore à entendre et à comprendre cette évolution et à vraiment la prendre en considération. Pour les paroisses et les régions, c’est encore un « continent inconnu »… ou alors cela vient les bousculer dans leur identité et crée parfois des conflits.

Un atelier de spiritualité chrétienne

Même si nous le faisons encore beaucoup à partir d’intuitions et d’initiatives individuelles, nous sommes pourtant de plus en plus nombreux à tenter de proposer d’autres formes, d’autres activités plus en phase avec les attentes des « nouveaux chercheurs spirituels »: depuis quelques temps, j’anime chaque mardi un «atelier de spiritualité chrétienne» rassemblant pendant deux ans 25 personnes en recherche d’approfondissement de leur foi par l’assise en silence, la créativité et la lectio divina. Depuis six mois, un espace de spiritualité chrétienne, appelé la «maison bleu ciel» s’est ouvert au Grand-Lancy. D’autres proposent des journées d’éco spiritualité ou offrent la possibilité de vivre une spiritualité à travers la musique, le jardinage ou la créativité.

Réinventr l’avenir des Eglises

Depuis longtemps, les Eglises cherchent de nouveaux mots, de nouvelles formes de liturgie pour mieux rejoindre nos contemporains. Or, au lieu de les inventer soi-même, pourquoi ne pas reprendre les formes des spiritualités alternatives? Elles correspondent souvent à une redécouverte de formes plus anciennes de spiritualité chrétienne: la méditation silencieuse était pratiquée avec une grande expertise par les Pères du désert. Le corps avait beaucoup plus de place dans les formes liturgiques anciennes. Pour moi, il y a là une réponse rêvée de renouvellement de nos institutions, peut-être même une de celles que nous attendions depuis longtemps. Je crois que c’est peut-être là que va se réinventer l’avenir du Christianisme en Occident, un avenir où les différences confessionnelles n’auront simplement plus de sens.[print-me]


Nils Phildius est pasteur et formateur d’adultes de l’Eglise protestante de Genève. Il anime dans cette ville un «atelier de spiritualité chrétienne».

 

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Madeleine Delbrêl, témoin d’une Eglise ouverte https://www.revue-sources.org/madeleine-delbrel-temoin-dune-eglise-ouverte/ https://www.revue-sources.org/madeleine-delbrel-temoin-dune-eglise-ouverte/#respond Wed, 15 Jun 2016 00:57:29 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=1376 [print-me]

Madeleine Delbrêl, promise à une béatification prochaine, est un témoin qui a profondément marqué l’Eglise du siècle dernier. Elle se considérait  comme une «missionnaire sans bateau», envoyée au milieu des usines et des cités marxistes. Témoin d’une Eglise ouverte, sortie de son ghetto, présente sur les rives de la misère et de l’incroyance.

Une femme aussi, proche de frères Dominicains, à l’instar de  Jean, Maydieu, et de Jacques Loew qui afficha une trajectoire de vie et un  programme missionnaire assez semblables aux siens.

Entre père et mère

Madeleine Delbrêl naît en 1904 à Mussidan, en Dordogne. Elle était la fille unique d’une famille issue de milieux sociaux différents et à l’entente difficile. Sa mère est issue d’une petite bourgeoisie et les grands-parents maternels tenaient à Mussidan une fabrique de cierges, de cire et de bougies qui fournissait le marché de Lourdes. Son père Jules venait d’une famille qui avait perdu son statut social et qui essayait de récupérer le terrain perdu. Une famille marquée aussi par une fragilité psychologique, le grand-père ayant été interné dans un asile psychiatrique.

Madeleine vit une enfance itinérante à cause du métier de son père, ouvrier, puis cadre aux chemins de fer (Bordeaux, Montluçon, Paris). C’est aussi un autodidacte qui cultive une très grande passion pour la littérature; passion contagieuse pour la petite Madeleine qui, à trois ans, sait déjà lire et écrire.

Madeleine est une fille aimée; même si le couple finira par se séparer, elle gardera avec soin des liens avec ses deux parents. Les rares lettres de Madeleine à sa mère nous montrent une relation très profonde. Peu avant de mourir, elle dira que sa famille était «faite de tout». «Cela fut une chance, j’ai vécu aussi hors des cloisonnements sociaux».[1] La relation avec son père fut plus compliquée du fait de la maladie de ce dernier. A Mussidan, puis à Paris, Jules Delbrêl fréquente les cercles littéraires du docteur Armaingaud.

Dieu est mort. Vive la mort!

En 1919, Madeleine est à Paris où elle fréquente la Sorbonne et les milieux littéraires et agnostiques qui gravitent autour de son père. Elle prend des cours de dessin et de philosophie. A l’âge de seize ans, douée d’une intelligence très vive, musicienne, écrivaine, elle se déclare strictement athée et sa première communion fervente n’est plus qu’un souvenir lointain. Elle exprime sa protestation contre l’absurdité de l’existence et d’un monde où la mort semble avoir le dernier mot, dans un texte qui est d’une lucidité foudroyante:

«On a dit ‘Dieu est mort’. Puisque c’est vrai, il faut avoir l’honnêteté de ne plus vivre comme s’il vivait. On a réglé la question pour lui: il reste à la régler pour nous… Le malheur grand, indiscutable, raisonnable c’est la mort. C’est devant elle qu’il faut devenir réaliste, positif, pratique. Dieu a laissé partout des hypothèques d’éternité, de puissance, d’âme. Et qui a hérité?… C’est la mort… Il durait: il n’y a plus qu’elle qui dure. Il pouvait tout: elle vient à bout de tout et de tous. Il était Esprit – je ne sais pas trop ce que c’est – mais elle, elle est partout, invisible, efficace; elle donne un petit coup et toc, l’amour s’arrête d’aimer, la pensée de penser, un bébé de rire… il n’y a plus rien»[2].

Quel contraste entre ses pensées morbides et son envie de vivre

L’athéisme de Madeleine est celui d’une intellectuelle qui n’est pas prête à s’engager dans les luttes du monde et qui se moque de tous: des révolutionnaires, des scientifiques, des pacifistes et même des amoureux! Toutefois elle aime trop la vie et le défi qu’elle lui lance – confié à une amie – est celui de vouloir rester toujours jeune!2  Quel contraste entre ses pensées morbides et son envie de vivre: elle veut s’amuser et elle aime à la folie la danse!

«Je décidai de prier»

Deux ans plus tard, elle rencontre un jeune chrétien, Jean Maydieu, avec qui elle noue une amitié profonde. Le projet d’une vie ensemble semble apparaître à l’horizon, quand son ami décide d’entrer dans l’ordre des Dominicains. Cet événement, qui bouleverse Madeleine, l’oblige, en même temps, à revoir la question de l’existence de Dieu. Plus tard, elle décrira ainsi cette étape de sa vie:

«Un fait s’était produit: la rencontre de plusieurs chrétiens ni plus vieux, ni plus bêtes, … qui vivaient la même vie que moi, discutaient autant que moi, dansaient autant que moi… mes camarades étaient fort à l’aise dans tout mon réel; mais ils amenaient ce que je devais bien appeler ‘leur réel’ et quel réel! Ils parlaient de tout, mais aussi de Dieu qui paraissait leur être indispensable comme l’air… le Christ, ils auraient pu avancer une chaise pour lui, il n’aurait pas semblé plus vivant… je ne pouvais plus honnêtement laisser non pas leur Dieu, mais Dieu dans l’absurde… je choisis ce qui me paraissait le mieux traduire mon changement de perspective: je décidai de prier… en priant j’ai cru que Dieu me trouvait et qu’il est la vérité vivante, et qu’on peut l’aimer comme on aime une personne».[3]

«J’ai voulu ressembler à une opale rare que le dédain enchâsse entre ses griffes fières»

Si Madeleine exprime dans ces derniers mots l’initiative de Dieu, il est aussi vrai que Dieu s’est imposé à elle à travers une réalité, un ‘fait’, la présence des croyants qu’elle a côtoyés. Déjà dans cette première expérience, le chrétien est pour Madeleine le «sacrement» de la présence de Dieu au cœur du monde. Dans un autre texte elle dira qu’elle a été «éblouie par Dieu»[4], élément qui reviendra plus tard dans sa vie lorsqu’elle l’utilisera pour indiquer la fascination du marxisme.

Madeleine confiera à un ami des équipes que, après sa conversion, elle s’était rendue à l’archevêché pour offrir deux opales auxquelles elle tenait beaucoup. Peu avant elle avait écrit un poème à ce sujet: «J’ai voulu ressembler à une opale rare que le dédain enchâsse entre ses griffes fières».[5] Un geste symbolique fort: présence de cette dimension ecclésiale dès le début de sa conversion.

Passer de l’écriture à la charité

Après sa conversion, dont elle parle très peu en la décrivant comme un éblouissement, Madeleine envisage d’entrer au Carmel, mais la maladie de son père, devenu presque aveugle, et les problèmes familiaux qui en découlent, lui font changer de perspective. C’est un vrai discernement qu’elle vit et qui aboutit au choix de «rester dans le monde pour Dieu». Ce n’est pas seulement son père qui a des problèmes de santé, mais Madeleine elle-même a une santé fragile qui l’obligera à s’arrêter à plusieurs reprises sa vie durant.

Au cours de cette période Madeleine continue d’écrire: en 1927 sera publié son premier recueil de poèmes «La Route» qui recevra le prix Sully-Prudhom. Mais c’est dans un dernier recueil de vingt poèmes qu’elle décide de quitter l’écriture ou mieux de passer de l’art de l’écriture à l’art de la charité. Il y a là un des plus beau poème de Madeleine pas encore entièrement publié:

Donne ô Beauté la charité à tout mon être, et sois au sommet de moi-même Que toutes les forces de ma vie, chaque soir, reviennent vers toi. Dans les jours où je vois le monde comme un hôpital sans soleil… quand j’avancerai dans les salles cherchant en vain dans ces yeux pleins de sang, de vin et d’or, un seul reflet de ta lumière, ô Beauté… Donne-moi ta charité pour que je baise l’empreinte de tes doigts indélébiles sur les âmes, sur la mienne comme sur la leur».[6]

(Photo: canalblog.com)

(Photo: canalblog.com)

Scout de France

Elle s’engage alors comme cheftaine dans le mouvement des «Scouts de France». Avec l’aide de l’Abbé Jacques Lorenzo, aumônier du groupe, elle découvre sa vocation à petits pas: inscrire les conseils évangéliques dans une vie laïque au cœur du monde. L’Abbé Jacques Lorenzo aura une place importante dans le cheminement spirituel de Madeleine: il sera son confesseur durant 30 ans. Un homme réservé, anciennement religieux chez «Les fils de la charité» et puis prêtre diocésain et membre de la Mission de France. Un homme qui avait le charisme de rendre vivante la Parole de l’Evangile.

En 1931, Madeleine entreprend des études pour devenir infirmière et assistante sociale. Avec quelques amies du groupe scout, déjà engagées dans un projet de service aux plus pauvres dans la paroisse St-Dominique, naît l’idée de former une petite fraternité, une «cellule d’Eglise» comme elle aime la définir, au service de l’annonce de l’Evangile. «Il faudra d’abord nous maintenir  »bien mortes » et puis laisser son Esprit modeler en nous le Christ de maintenant. Le Jésus d’aujourd’hui»[7] dira-t-elle à l’Abbé Lorenzo en 1932.

«La charité de Jésus» à Ivry

En 1933, Madeleine et deux autres compagnes arrivent à Ivry pour animer un centre d’action sociale qui dépend d’une nouvelle paroisse. C’est le début de «La Charité de Jésus» à Ivry, lnom choisi pour cette petite cellule d’Eglise. Elles ignorent tout de ce milieu, y compris l’existence de deux mondes ennemis, chacun portant sa propre étiquette: catholique ou communiste:

«… le drapeau rouge flottait sur la Mairie et j’ignorais ce qu’il signifiait véritablement. Je venais rejoindre non le ‘prolétariat’; non le ‘marxisme’: je ne le connaissais pas davantage. On m’avait dit qu’à Ivry des hommes étaient incroyants et pauvres. Je connaissais, pour l’avoir éprouvée, la misère de l’athéisme; l’Evangile m’avait révélé la pauvreté. Si ma rencontre avec le marxisme a été durable, elle n’a pas été choisie»[8]. C’est grâce aux contacts de travail et à la vie de quartier que Madeleine et ses compagnes vont découvrir qui étaient les communistes et ce qu’était le communisme: «Ce que nous cherchions, ce que je voulais, c’était la liberté de vivre, coude à coude, avec les hommes et les femmes de toute la terre, avec mes voisins de temps, les années de nos mêmes calendriers et les heures de nos mêmes horloges».[9]

«Les paroisses ont dans notre monde actuel les bras coupés au coude: les non-paroissiales sont, à mon point de vue, les ‘avant-bras’ de ces membres amputés»

 Ce désir de partager la vie des hommes et des femmes de leur temps les amène à quitter les limites du  »Centre Social » trop étroitement lié au cadre ecclésial et qui risquait de les couper du monde athée. Elles louent une maison juste à côté de la Mairie. Grâce à ses fonctions d’assistante sociale, Madeleine profite de toutes les occasions de rencontre avec la municipalité communiste et, en 1939, elle sera chargée, par le maire d’Ivry, d’assurer la direction du service social de la région.

Nous retrouvons ici une dynamique qui est très présente dans la vie de Madeleine: celle de l’ouverture aux autres, aux circonstances de la vie, qu’elle reçoit comme des ‘appels’, des sollicitations de la part de Dieu. Incroyante, elle a su s’ouvrir et se laisser interpeller par les chrétiens qu’elle côtoyait, elle n’hésite pas, une fois devenue croyante, à se laisser interroger par la rencontre avec les communistes et par l’athéisme qu’ils professent.

Frontière d’Eglise

Ce désir de proximité témoigne d’une caractéristique de la vocation de Madeleine: être une «frontière d’Eglise», une présence là où la paroisse ne peut pas arriver: «Les paroisses ont dans notre monde actuel les bras coupés au coude: les non-paroissiales sont, à mon point de vue, les ‘avant-bras’ de ces membres amputés».[10]

Madeleine Delbrêl continuera de collaborer avec le service social de la Mairie d’Ivry jusqu’en 1946, année où elle prendra la décision de quitter son travail pour s’occuper plus directement du groupe qu’elle anime. L’expérience de Madeleine et sa spiritualité s’enracinent dans une période historique où l’Eglise peine à entrer en dialogue avec le monde profane. A Ivry, Madeleine fait l’expérience d’une communauté paroissiale repliée sur elle-même, dans une sorte de ghetto paroissial. Elle sentait le manque d’élan missionnaire pour annoncer l’Evangile au-delà des «murailles» de la communauté chrétienne. Cette dernière devenait alors comme «un petit troupeau, heureux de sa foi, mais indéchiffrable à ce qui n’est pas lui».[11]

Photo: www.eglise.catholique.fr

(Photo: www.eglise.catholique.fr)

L’expérience apostolique de Madeleine Delbrêl rejoint un dynamisme missionnaire qui a marqué toute l’Eglise de France et qu’elle a soutenu et encouragé avec toute son expérience et sa lucidité. Ainsi elle sera présente à la naissance de la Mission de France en 1941, elle soutiendra le père Jacques Loew,  le Dominicain qui fut fondateur de la Mission Ouvrière St. Pierre et St. Paul; elle suivra de près toutes les tensions entre l’Eglise et les prêtres-ouvriers. C’est dans cette période que Madeleine vit en elle-même la tension entre l’obéissance à l’Eglise et les exigences de la mission. Ce souci de ne pas diviser le Christ-Eglise fait naître en elle la décision de se rendre à Rome en pèlerinage (et elle y retournera neuf fois!). Ce voyage à Rome lui permet de nouer des relations importantes, en particulier avec Mgr Veuillot, futur archevêque de Paris, qui sera une aide précieuse pour la petite fraternité que Madeleine anime.

Une vie chrétienne «normale».

Cette attention à l’unité est aussi le souci de Madeleine vis-à-vis de son groupe qui est en train de vivre une période difficile. La fragilité des équipes qui vivaient hors de tout cadre ecclésial déterminé commence à devenir source d’inquiétude à l’intérieur du groupe au point d’envisager le rattachement à un mouvement d’Eglise officiel.

Madeleine entreprend ainsi les démarches pour un éventuel rattachement à un institut séculier, qui d’ailleurs ne se fera pas, car, comme le leur disait Mgr Veuillot, «votre vocation n’est pas là, elle tire son originalité et sa valeur spirituelle de la pratique effective et publique des conseils évangéliques dans le cadre – canoniquement libre – d’une vie chrétienne normale. C’est dans la vie chrétienne normale que vous voulez, aux yeux des hommes, témoigner de l’emprise de Dieu dans une vie humaine».[12] La vocation de Madeleine et de son groupe est désormais enracinée.

Si, quelques temps après sa conversion, elle avait décrit sa rencontre avec le Christ en utilisant l’image des pèlerins d’Emmaüs («Un passant a réglé sa marche sur la mienne; sa voix me rappelait une voix ancienne. Il a franchi mon seuil, s’est assis à ma table, et je l’ai reconnu quand il rompit le pain»)[13], c’est à nouveau dans la rue qu’elle se sent appelée à vivre, en communauté et pour le monde, une sorte de «sacrement» de la présence de Jésus, dans un élan missionnaire aux frontières de l’Eglise, qu’elle décrit comme un aller-retour entre Dieu et les hommes. Dans un vrai cri du cœur adressé, en 1956, à Mgr Veuillot, elle dit ceci à propos de la vocation de ses équipes:

«J’aurais voulu que, chrétiennes catholiques, vivant au clair leur but et ce qui les y conduit, elles soient des religieuses sans titre de noblesse, des amants du Seigneur, même sans livret de famille, mais pas des laïques mariées à la Cité, à quelque titre que ce soit.

La cité, elles vivent en elle, Filles de Dieu et de la Cité, mais elles doivent toujours aller ‘hors les murs’… J’aurais voulu que ces murs, sans cesse traversés, elles les retraversent dans un aller-retour continuel, entre les hommes et entre Dieu.

Que pour rester dans la Cité et en passer les murs, elles puissent vivre tout de la vie des hommes, excepté ce que l’Evangile défend».[14]

Dans ce texte ressort combien le monde de l’incroyance a modelé la pensée de Madeleine et a contribué a lui faire saisir la vocation de ses équipes: vivre dans le monde (la cité), cette appartenance à Dieu et à l’Eglise (la Cité), dans un élan qui les poussera à aller de plus en plus,  »hors les murs ». Toutefois, l’expérience de son groupe n’est pas une exception dans le contexte de l’Église de France. D’autres groupes et d’autres expériences, certains à Ivry même, semblent vivre de ce même élan missionnaire. Toutefois quelques éléments paraissent distinguer «La Charité» d’autres groupements de femmes laïques:

– Le maintien du lien avec la paroisse, même s’il est parfois conflictuel

– L’engagement social, vécu à travers le travail

– Une vocation, à la fois contemplative et active, avec des apports thérésiens et foucauldiens, vocation qui manifeste une sauvage volonté d’autonomie.[15] Les équipes n’ont jamais été une réalité numériquement importante. En tout, les membres des équipes ont été environ seize.

«Ville marxiste, terre de mission»

Que dire des derniers dix ans de la vie de Madeleine? 1955 fut une année difficile pour elle: mort de Jean Maydieu, puis de sa mère (en juin) et, quelques mois plus tard, de son père. Madeleine est en très mauvais état de santé, tout en travaillant à fond pour la publication de son livre «Ville marxiste, terre de mission», qui réunit les réflexions mûries pendant plus de vingt ans de présence à Ivry. A la suite de cette publication, Madeleine sera de plus en plus sollicitée pour participer à des conférences, des retraites afin de partager son expérience dans un milieu athée. En 1962 elle rédige aussi une documentation en vue du Concile, car l’un de ses plus grand désirs, c’est que l’Eglise officielle puisse ouvrir une brèche de dialogue avec le monde marxiste. Madeleine meurt le 13 octobre 1964, le jour où, pour la première fois, un laïc prend la parole durant l’assemblée conciliaire.

«Servante de Dieu»

Dans notre époque si fière de ses réussites et de ses techniques, on dirait que Dieu se plaît à féconder la vie de gens tout simples, dont l’existence, apparemment banale, n’a rien qui puisse justifier humainement un tel rayonnement. Dans le sillage de la «petite» Thérèse, Madeleine Delbrêl aurait pu se perdre dans la foule des anonymes, en ayant vécu enfouie, non pas dans un couvent, mais dans un quartier populaire de la banlieue parisienne. Tel n’as pas été son cas, car le 20 août 1993, l’évêque de Créteil, François Frétellière, a officiellement introduit la cause de canonisation de Madeleine Delbrêl. En 1996, le procès est reconnu valide par Rome et Madeleine Delbrêl est déclarée «Servante de Dieu».

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Federica Cogo est aumônière à la prison genevoise de Champ Dollon.


www.madeleine-delbrel.net

[1] Cf. La question des prêtres-ouvriers, Œuvres Complètes, Tome X, Nouvelle Cité, Bruyère-le-Châtel, 2012, p. 212.

[2] Cf. Nous autres, gens des rues (cité NA), Ed, du Seuil, Paris, 1966, p. 57.

[3] Cf. Ville Marxiste, terre de mission (cité VM), Cerf, Paris, 1970, 2ème édition, p. 249-252.

[4] Cf. La question des prêtres-ouvriers, op. cit., p. 217.

[5] FRANCOIS Gilles, PITAUD Bernard, Madeleine Delbrel, Poète, assistante sociale et mystique, Nouvelle Cité, Bruyère-le-Châtel, 2014, p. 55.

[6] Cf. FRANCOIS Gilles, PITAUD Bernard, Madeleine Delbrel, Poète, assistante sociale et mystique, op. cit., p. 73.

[7] Cf. Eblouie par Dieu, Correspondance, volume 1: 1910-1941, Nouvelle Cité, Bruyère-le-Châtel, 2004, p. 190.

[8] Cf. VM, p. 56.

[9] Idem, p. 10.

[10] Cf. BOISMARMIN (de) Christine, Madeleine Delbrêl, Rue des villes, chemins de Dieu, Nouvelle Cité, Paris, 1985, p. 58.

[11] Id, p. 45.

[12] Cf. BOISMARMIN (de) Christine, Madeleine Delbrêl, Rue des villes, chemins de Dieu, op. cit., p. 145.

[13] Id., p. 27.

[14] Cf. BOISMARMIN (de) Christine, Madeleine Delbrêl, Rue des villes, chemins de Dieu, op. cit., p. 144.

[15] Cf. Etienne Fouilloux, dans «Le Supplément» n° 173 (1990), p. 106.

[16] Cf. Mgr JACQUELINE B. L’Eglise devant le défi de l’athéisme contemporain, DDB, Paris, 1982, p. 149ss.

[17] Id., p. 150.

[18] Cf. La question des prêtres-ouvriers, op. cit., p. 85-90.

[19] Cf. NA, p. 90.

[20] Cf. VM, p. 140.

[21] Cf. VM, p. 211.

[22] Cf. NA, p. 311.

[23] Id., p. 199.

[24] Cf. BOISMARMIN (de) Christine, Madeleine Delbrêl, Rue des villes, chemins de Dieu, op. cit., p. 127.

]]> https://www.revue-sources.org/madeleine-delbrel-temoin-dune-eglise-ouverte/feed/ 0 L’actualité d’Edith Stein https://www.revue-sources.org/lactualite-dedith-stein/ https://www.revue-sources.org/lactualite-dedith-stein/#respond Wed, 30 Mar 2016 09:59:04 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=1207 [print-me]

Lorsqu’on se demande ce qu’Edith Stein – dans et pour l’Eglise sainte Thérèse Bénédicte de la Croix – représente aujourd’hui, on est pris entre deux mouvements. D’abord celui de se dire que tout a tellement changé dans notre monde qu’elle n’est une voix et un exemple que pour un petit monde. Puis celui de distinguer entre ce qui, chez elle relève d’une vertu, d’une force de résistance, et ce qui, pour tout homme ou femme en souci de sa religion, a valeur de proposition, sinon d’exemple.

Tout a changé

Souvenons-nous des conditions dana lesquelles Edith Stein, jeune intellectuelle assoiffée de «strenge Wissenschaft», de philosophie comme science rigoureuse, put aborder ses études; d’abord à Breslau puis à Göttingen, mais se voyant refuser toute habilitation et ayant pour seul horizon professinnel un enseignement au Lycée. Aujourd’hui, l’université est largement ouverte aux femmes, étudiantes ou professeurs; seules comptent les compétences.

La phénoménologie n’est plus une ascèse qui ouvre sur une science universelle. Toutes les disciplines scientifiques sont soumises aux impératifs de la formalisation la plus rigoureuse et centrées sur les progrès des moyens de découverte. L’esprit est fait objet; les sciences cognitives ignorent nécessairement ces avancées de la «conscience» phénoménologiques de l’Einsicht à l’Einfühlung, de l’intuition à l’empathie.

L’œuvre et la vie d’Edith Stein sont des motifs et des modèles de résistance.

Le langage «fonctionne» mais n’est plus une tradition du sens – des choses, de la vie, de l’Etre.

La philosophie pratique est ramenée aux disciplines vagues d’un art de vivre, et joue un rôle tout juste comparable à ce que fut celui du stoïcisme – ou de son contraire, l’hédonisme – dans la société romaine tardive. La religion n’est plus un domaine à conquérir en l’explorant, mais une forteresse éboulée à définitivement raser.

La résistance

C’est dans cette situation que la pensée, l’œuvre et la vie d’Edith Stein sont des motifs et des modèles de résistance.

Lorsqu’elle emprunte à sainte Thérèse d’Avila la fameuse image du château de l’âme, elle reprend une métaphore duelle: d’une part il s’agit de l’espace de la plus haute intimité, et d’autre part d’une forteresse, c’est-à-dire d’une place forte, d’un centre de résistance.

Résiter à la facilité

Edith Stein choisit toujours la difficulté et tire du silence intérieur la force d’affronter, de s’engager dans l’incertain ou l’inconnu. Dans l’inconnu de la phénoménalité des choses selon Husserl; dans l’inconnu du réalisme ontologique de Thomas d’Aquin; dans l’inconnu des profondeurs de l’âme, puis de la foi chrétienne. De la découverte des affinités entre le moi augustinien, cartésien, et husserlien jusqu’au moment où l’analogie de l’Ego vient supplanter l’anallogie de l’être: voilà qui correspond au courage de s’aventurer, même à l’intérieur de l’Eglise, dans des allées peu fréquentées.

Résister au mal et aux modes

Proposer une pédagogie fondée sur une anthropollogie chrétienne, c’est-à-dire donner à l’éducation une assise à la fois spirituelle et philosophique, était un acte de résistance immédiate au moment où la pédagogie devenait l’affaire d’un Etat totalitaire, mais qui vaut aujourd’hui d’avertissement, dès lors que la pédagogie est soumise aux mille pressions de réformateurs désorientés et d’une société sans repères ni perspectives cohérentes.

Résister à la mollesse

Là encore, c’est l’éducatrice qui se profile en cherchant pour les jeunes filles et les femmes des modèles de fermeté dans la tempérance et de courage dans la simplicité. La vertu est alors une forme donnée à l’âme; un effort sur soi qui ne crispe pas mais tend une corde prête à vibrer.

Résister à la peur

Se refuser à ce que la peur a d’envahissant; ne pas se laisser terroriser par la peur. Telle fut la véritable force d’Edith Stein devant la police nazie et sur le chemin de la déportation. Mais il faut imaginer la préparation intérieure que cela impliquait, quelle force intérieure cela supposait. Une force qui est de la responsabilité de chacun.

Une profonde judaïté

Qui peut se sentir interpellé par Edith Stein en dehors de ce cadre rigoureusement éthique et personnel? Par Edith Stein, juive convertie au Christ par ses amis protestants, puis conduite à l’Eglise par l’Esprit saint? Quiconque est amené à se demander si se convertir à une autre religion signifie nécessairement s’arracher à tout ce que représente la religion que l’on quitte. Outre le fait que le judaïsme précède immédiatement l’Evangile du Christ, et que le judaïsme est loin d’être fait d’une seule pièce, il faut entrer dans la familiarité de la moniale d’Echt pour voir combien de trésors la chrétienne retient de son judaïsme d’origine et en retrouve le sens théologal. Le choix du Carmel n’est pas étranger à cette appartenance profonde.

La première souffrance qu’Edith Stein endura au nom de Jésus fut sans doute la peine profonde qu’elle faisait à sa mère, juive inébranlable, en devenant chrétienne. Elle ne faisait que préfigurer les peines qu’elle aura à endurer en tant que juive, et qu’elle acceptera comme sa Croix et son Golgotha. Cette judéité profonde d’Edith Stein, et tout ce qui s’y relie, montre que le christianisme peut absorber en les épurant des «croyances», des «relations», des «traditions» chargées de dispositions du cœur prêtes à découvrir dans le prolongement de leur ferveur les mystères du Dieu d’Amour.

Une place dans le dialogue interreligieux

Si Edith Stein a sa place dans le dialogue œcuménique, elle dont la marraine de baptême, Hedwig Conrad-Martius, était luthérienne, elle l’a aussi dans le grand dialogue interreligieux. Bien évidemment en qualité de juive. Mais la place de l’islam y est aujourd’hui marquée, comme celle d’un choix décisif entre la chute dans la Terreur qu’Editd Stein subit sous la forme des camps de concentration, et la soumission à la volonté d’Allah – le nom arabe de notre Dieu – à laquelle elle conforme toute sa vie, le sachant ou non, mais qu’elle assume tragiquement sous la forme d’un chemin de mépris et d’abjection

Résistance à la mondanité du monde, solidarité avec les intelligences méthodiquement ordonnées à la Vérité, empathie avec les esprits tournés vers l’Etre éternel: tels me semblent les traits décisifs qui maraquent à jamais le vrai visage d’Edith Stein.

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Philibert Secrétan professeur émérite de philosophie de l’université de Fribourg s’est fait connaître par plusieurs ouvrages consacrés à la vie et aux écrits d’Edith Stein.

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L’édition des œuvres d’Édith Stein https://www.revue-sources.org/ledition-oeuvres-dedith-stein/ https://www.revue-sources.org/ledition-oeuvres-dedith-stein/#respond Wed, 30 Mar 2016 09:40:40 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=1201 [print-me]

Il y a déjà un certain temps, le rédacteur de SOURCES nous pria d’informer les lecteurs de la revue sur l’état de l’édition des œuvres d’Édith Stein. Nous avons très volontiers satisfait à sa demande. Les mois ayant passé, nous reprenons notre texte, afin de le mettre à jour.

Editions en allemand

En allemand, il y a eu tout d’abord à partir du milieu des années 50 une première édition se voulant aussi complète que possible, sous le titre général de Edith Steins Werke (ESW). Ce fut l’œuvre de Lucy Gelber, collaboratrice aux Archives Husserl et conservatrice de l’Archivum Carmelitanum Edith Stein, et du frère carme Romaeaus Leuven, de la province de Hollande. Ces deux personnes firent œuvre de sauvetage et de mise en ordre des manuscrits, puis de publication. L’édition parvint au total à 18 volumes. A la suite de différentes réorganisations des Archives, la décision fut prise, à la fin du siècle dernier, de mettre en route une nouvelle édition, l’Edith Stein Gesamtausgabe (ESGA), aux éditions Herder. Un ensemble très imposant était prévu dès le début. Aujourd’hui, cette entreprise est parvenue à son terme. Le 27ème et dernier tome a paru en novembre 2015. Il s’agit du volume contenant des textes de phénoménologie et ontologie de la période allant de 1917 à 1937. Sept tomes contiennent des traductions de divers auteurs (Alexandre Koyré, John H. Newman, saint Thomas d’Aquin, Denys l’Aréopagite). Cette édition servira désormais de base pour tout travail de recherche et pour toutes les traductions vers d’autres langues.

S’il faut saluer cet immense travail d’édition, dont l’initiative revient à l’Institut international Edith Stein de Würzburg, il convient également de signaler les problèmes de diverses sortes qu’il a engendrés. Au plan pratique et économique, cette double édition, distante de peu d’années, pour certains volumes, a entraîné des coûts considérables pour celles et ceux qui veulent se procurer l’ensemble de l’œuvre. Au plan de la lecture et de la rédaction d’études et d’ouvrages, la recherche et la mise en place des références aux sources deviennent très compliquées. Une assez grande partie des ouvrages de langue française sur Edith Stein – pour ne parler que de ceux-ci – ont été rédigés sur la base des ESW. Le lecteur d’aujourd’hui, ne possédant pas forcément ces anciens volumes, aura de la peine à trouver le texte original auquel les différents auteurs se réfèrent, d’autant plus que les textes ne sont pas publiés dans le même ordre. Des difficultés se présentent également au sujet des traductions. Bien des textes d’Edith Stein ont été traduits à partir de l’édition ESW. Or, celle-ci n’était pas ausssi fiable que la nouvelle édition, fondée sur un travail éditorial beaucoup plus précis. Les éditeurs seront obligés, dans certains cas, de faire reprendre les traductions et d’en faire des rééditions.

Editions en français

Ceci nous amène à parler de l’édition de l’œuvre steinienne en langue française telle qu’elle se présente en ce début de l’année 2016. Nos lecteurs savent qu’il y a une bonne vingtaine d’années, la maison d’édition Ad Solem, dont le siège se trouvait alors à Genève, fit de la publication en français de l’œuvre d’Edith Stein un de ses grands projets. Toute une série de textes et bien des ouvrages consacrés à divers aspects de cette œuvre virent le jour. Bien des ouvrages de et sur Edith Stein ont également paru aux Editions du Cerf. Maintenant, le programme d’une édition unifiée et complète, sous le titre Œuvres steiniennes, est assumé en commun par trois maisons d’édition: Ad Solem – Editions du Cerf – Editions du Carmel. Voici, en quelques traits, où en est aujourd’hui cette entreprise éditoriale.

Nommons, pour commencer, le volume déjà bien connu qui porte le titre Vie d’une famille juive 1891-1942, réédition de l’ouvrage paru une première fois déjà chez Ad Solem à Genève. C’est le premier volume publié en commun par les trois éditeurs. Il est d’une lecture aisée et permet de découvrir bien des événements ayant marqué la vie d’Edith Stein. Il constitue aussi un arrière-fond très utile pour la lecture des deux volumes de la Correspondance dont voici les indications essentielles.

Correspondance I (1917-1933). Introduction, traduction et annotations de Cécile Rastoin. Œuvres steiniennes. Paris, 2009, 767 pages, et Correspondance II (1933-1942). Introduction, traduction et annotations de Cécile Rastoin. Œuvres steiniennes. Paris 2012, 792 pages. – Dans l’édition allemande, la correspondance est repartie sur trois volumes (ESGA 2-4). Le troisième est réservé à la correspondance entre Edith Stein et son ami Roman Ingarden, philosophe polonais, amis d’Edith Stein dès le temps des études à Göttingen. Dans l’édition française, les lettres de ce volume ont été intégrées dans l’ensemble de la correspondance, d’où l’édition en deux volumes. Du point de vue de la cohérence chronologique, l’avantage est évident. Pour le lecteur, il y a toutefois un inconvénient: les deux volumes sont d’une dimension considérable, chacun comptant près de 800 pages. A signaler que les lettres sont accompagnées d’un très grand nombre de notes qui fournissent des informations extrêmement éclairantes.

Le plan et le rythme de la publication des œuvres proprement dites d’Edith Stein ne sont pas annoncés par les éditeurs. On ne peut donc pas savoir, combien d’années durera cette publication. Jusqu’à ce jour (printemps 2016), cinq volumes ont paru, à notre connaissance.

Cinq volumes parus

Le premier ouvrage publié est La femme: cours et conférences. Introduction, traduction, annotations et annexes par Marie-Dominique Richard. Paris, 2008, 509 pages.

Ce volume réunit tout d’abord une série de conférences qu’Edith Stein à consacrées à des questions touchant la nature de la femme, son rôle comme éducatrice, sa place dans la société, civile et politique, et dans l’Eglise. On sait que ces questions ont beaucoup préoccupé Edith Stein déjà au temps de ses études. Lorsqu’elle fut appelée, après sa conversion, à intervenir lors de réunions, de colloques, de journées d’études, devenant peu à peu une voix très recherchée dans toute l’Allemagne, elle fit une large place à la thématique féminine. Nommée enseignante à l’Institut allemand de sciences pédagogiques à Münster, elle fut chargée, pour son premier semestre, printemps/été 1932, de développer la thématique de la formation spécifique des jeunes filles. Ce cours – qui paraît ici pour la première fois en français – s’adressait à des enseignants/enseignantes, soit déjà formé(e)s et en activité, soit en préparation. A cette époque, les études se faisaient séparément, jeunes gens d’un côté, jeunes filles de l’autre. Il était donc de grande importance d’établir ce qui constituait la spécificité de la formation des jeunes filles. Edith Stein fait ici entrer en jeu tout ce que sa propre activité d’enseignante, à Spire, et ses conférences lui avaient permis d’engranger en fait de réflexion et d’échange avec des publics très divers. On trouve également dans ce volume des compte-rendus de discussions, parfois fort animées.

Avec l’ouvrage suivant, nous remontons tout au début de la carrière d’Edith Stein. En voici le titre: Le problème de l’empathie. Traduction de Michel Dupuis, revue par Jean-François Lavigne. Paris 2012, 223 pages. Il s’agit de la partie essentielle de la thèse de philosophie qu’Edith Stein présenta, sous la direction de son «maître», Edmund Husserl, à l’université de Fribourg en Brisgau en 1916. En allemand, le titre dit Zum Problem der Einfühlung. Le mot «empathie», très à la mode actuellement, rend, me semble-t-il, fort bien le terme allemand choisi par Edith Stein. La genèse de cette thèse de doctorat est longuement évoquée par Edith Stein elle-même dans la partie autobiographique de La vie d’une famille juive. Le rôle joué par l’assistant de Husserl, Adolf Reinach, est notamment mis en lumière. Les examens eurent lieu début août 1916, donc en pleine guerre. – La thèse comprenait sept chapitres, dont seuls trois (chapitres II, III,IV) furent publiés en 1916 aux fins de sa promotion. Les chapitres I (L’histoire du problème de l’empathie), V (La phénoménologie de l’empathie et son impact sur la communauté sociale), VI (L’empathie dans la sphère éthique), VII (L’empathie dans la sphère esthétique), n’ont pas été publiés et ont malheureusement disparu. Pour Edith Stein, ce travail constitua une sorte de défi, la preuve qu’elle était devenue capable de produire quelque chose de personnel en philosophie. Dans cet écrit, obéissant évidemment aux exigences d’un travail académique, Edith Stein en vient toutefois à toucher à des problématiques qui seront par la suite au cœur de ses recherches, notamment celles de la personne, de l’intersubjectivité, du lien entre âme et corps, d’une théorie des valeurs.

Le lien n’est pas difficile à établir entre ce livre des débuts et le volume suivant: De la personne humaine. I – Cours d’anthropologie philosophique (Münster 1932-1933). Traduit de l’allemand et annoté par Flurin M. Spescha, avec la collaboration d’Anne-Sophie Gache et Grégory Solari. Paris 2012, 278 pages. Le titre est suffisamment explicite pour qu’il ne soit pas besoin d’en faire un long commentaire. Alors que la thématique du premier cours, à Münster, lui fut pour ainsi dire imposée, celle du deuxième semestre, automne/hiver 1932/33 répondit davantage à ce qu’Edith Stein cherchait à pouvoir faire passer dans le cadre de l’Institut de Münster: présenter à des auditeurs philosophiquement peu formés les fondements de tout travail pédagogique. Dans une première étape, elle aborda cette thématique au plan philosophique. Le volume dont il est ici question contient le cours que les éditeurs ont qualifié d’anthropologie philosophique. Le volume allemand porte un titre un peu différent: Der Aufbau der menschlichen Person, ce qui pourrait se traduire par genèse et structure de la personne humaine. Edith Stein traite son sujet avec grande liberté, mettant à profit une méthode phénoménologique qui lui était familière, mais parcourant également des chemins que la fréquentation de saint Thomas lui avait ouverts. A la fin, elle fait déjà les premiers pas vers l’anthropologie théologique, sujet qu’elle envisageait de développer au semestre suivant, printemps/été 1933.

Un recueil particulièrement important est celui qui porte le titre Source cachée. Œuvres spirituelles. On en avait déjà vue une première édition, en 1998, chez Ad Solem, et on trouve maintenant le même ouvrage édité par les trois éditeurs dans le cadre des Œuvres steiniennes, publié une année plus tard, 1999. La traduction des textes est due à Jacqueline et Cécile Rastoin, l’introduction est signée Didier-Marie Golay, carme. Une partie de cette Introduction a pour titre Itinéraire d’une vie. Ce volume contient un grand nombre de textes: La prière de l’Eglise, Quatre vies de femmes façonnées par l’Esprit Saint, des textes placés sous le titre Suivre le Christ, qui parlent essentiellement de la spiritualité du Carmel, enfin des Dialogues et des Poèmes. Un livre à méditer.

Le cinquième volume paru est de grande ampleur et tient une place particulière dans l’ensemble de l’œuvre steinienne: Science de la Croix précédé de Voies de la connaissance de Dieu. Traduction critique de Cécile Rastoin. Introduction de Cécile Rastoin et Christof Betschart. Paris 2014, LIII-493. Comment en parler? L’ouvrage au titre énigmatique – science de la Croix – est le dernier ouvrage écrit par Edith Stein, dans les mois qui ont précédé son arrestation et sa mort. Elle l’a rédigé à la demande de ses supérieures en vue de la célébration du quatre-centième anniversaire de la naissance de saint Jean de la Croix (1942). Ce devint pour Soeur Bénédicte l’occasion d’enfin écrire quelque chose d’important sur un personnage – auteur, mystique, saint, «Père» des carmes – qui n’a cessé de l’accompagner et de l’inspirer au cours de nombreuses années. Son but n’est pas d’écrire une vie de Jean de la Croix ni de présenter sa pensée ou sa doctrine, c’est «une tentative pour saisir Jean de la Croix dans l’unité de son être, telle qu’elle se manifeste dans sa vie et dans son œuvre» (p. 97). Il faut une lecture patiente pour suivre le cheminement que l’auteure se fraie à travers les principales œuvres – et surtout les chants mystiques de Jean de la Croix – et pour découvrir ce qu’elle cherche à dire – en se confrontant à Jean de la Croix – sur la thématique qui a depuis toujours été au centre de ses préoccupations de philosophe: «… ce que l’auteur (Edith Stein!) croit, dans l’effort de toute sa vie, avoir saisi des lois de l’être et de la vie spirituels» (ibid.). On trouve donc dans cet écrit en quelque sorte deux recherches, inséparables l’une de l’autre. Ce fut pour Sœur Bénédicte aussi bien un hommage à Jean de la Croix qu’une reprise, dans une nouvelle lumière, de ses recherches infatigables sur la personne, sur la place de l’âme «dans le royaume de l’esprit et des esprits» (pp.268-309). Dans le volume sous revue, ce grand ouvrage est précédé d’un texte déjà fort bien connu, mais retraduit et soigneusement introduit: Voies de la connaissance de Dieu, consacré à «la théologie symbolique» de Denys l’Aréopagite. La rédaction de ce texte date de l’année 1941 et devait répondre à la demande venant d’un phénoménologue américain, Marvin Farmer, rédacteur d’une revue paraissant à Buffalo, qui voulait de sa part une contribution. Mais plus fondamentalement, l’étude des écrits de l’Aréopagite faisait depuis pas mal de temps déjà partie de ses occupations philosophiques et théologiques. Scruter la théologie «symbolique» de cet auteur a pu servir d’une voie d’accès à l’œuvre de saint Jean de la Croix. L’idée de joindre en un même volume les deux écrits peut donc paraître tout à fait justifiée. – La place des introductions, des préfaces et des annotations est considérable et permet de connaître l’état le plus récent des recherches menées autour de ces deux textes.

Les Cahiers

On nous permettra de signaler pour terminer que parallèlement à l’édition des œuvres mêmes d’Edith Stein, les trois maisons d’édition font également paraître des Cahiers d’études steiniennes. En voici les titres parus jusqu’à ce jour (2016):

de Rus, Éric, L’Art d’éduquer selon Edith Stein. Anthropologie, éducation, vie spirituelle. Préface par Marguerite Léna, 2008;

de Gennes, Marie-J., (sous la direction de), Une femme pour l’Europe: Edith Stein (1891-1942). Paris 2009, 407 pages. (Ce sont les Actes du colloque international de Toulouse, qui eut lieu le 4/5 mars 2005.);

de Rus, Éric, La personne humaine en question. Pour une anthropologie de l’intériorité. Paris 2011, 129 pages. (Le même auteur vient de publier aux Editions Salvator un nouveau livre sur l’art d’éduquer sous le titre La vision éducative d’Edith Stein. Approche d’un geste anthropologique intégral. Paris 2014.)

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Flurin Spescha fut professeur de philosophie à Genève. Traducteur des œuvres d’Edith Stein.

 

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Poésie et vie spirituelle https://www.revue-sources.org/poesie-et-vie-spirituelle/ https://www.revue-sources.org/poesie-et-vie-spirituelle/#respond Tue, 01 Jul 2014 09:34:56 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=324 [print-me]

Dans une œuvre aussi importante et diversifiée, entièrement consacrée à la poésie et à la parole juste, que celle que Jaccottet a construite patiemment, de sa jeunesse à son grand âge, j’ai choisi deux thèmes: la poésie comme une forme de résistance et la présence en arrière-fond du protestantisme et sa recherche d’une dimension spirituelle.

«Ecrire, c’est tenir tête»

Philippe Jaccottet a vingt ans en 1945 et exprime dans Requiem (1947) l’horreur que lui ont inspirée les massacres du Vercors. A la guerre intra-européenne, déjà atroce et funeste, s’ajoutent le recours à la bombe atomique et la découverte progressive de la réalité des camps. Tout s’écroule, non seulement la pierre et le bâti, mais s’effondrent aussi Dieu, la civilisation, la chrétienté, la culture; les mots eux-mêmes n’ont pas été épargnés puisque, triomphants, ils ont servi aux dérives, aux mensonges et aux tromperies les plus cyniques.

Philippe Jaccottet propose, par sa parole poétique, une œuvre de résistance au monde tel qu’il s’est organisé sous ses yeux.

Jaccottet cependant garde son cap qui est d’écrire, misant tout sur la poésie, seule à ses yeux capable de rendre à la voix humaine sa dignité et sa responsabilité; d’où la nécessité de réapprendre à lire, de repartir de zéro, de mettre en doute toutes les constructions de l’esprit, y compris les constructions verbales, de soupeser les mots nouveaux comme les anciens, de se méfier de tous les effets dits poétiques, des élans et des envolées, de retrouver le parler vrai, la voix juste, proche de la prose et de la conversation, retenue, contenue.

Il propose, par sa parole poétique, une œuvre de résistance au monde tel qu’il s’est organisé sous ses yeux: opposer la beauté cachée du monde aux violences contemporaines, au matérialisme effréné, aux intégrismes surgis de toutes parts. Aujourd’hui, dans son grand âge, il persévère dans cette lutte contre la déshumanisation de l’homme et de la nature et voue toute son énergie à rassembler les forces de l’aube, de la lumière et du chant dans ses vers comme dans ses proses, lucides et clairs.

Jaccottet dit sa révolte contre l’église protestante, sèche et moralisante, sans grand souci de la beauté.

Il prend pour guide cette parole de Gustave Roud entendue en 1941, date porteuse s’il en est, qu’il reprendra dans son discours du Grand Prix Schiller en 2010 et intitulé Le Combat inégal :

«Qui n’a pas entendu (mais vous l’avez tous entendu, n’est-ce pas?) ce petit oiseau sur le bord de l’aube annoncer, ô dérision, le réveil d’un monde aussi pur que son chant…»

Dans «Dieu perdu dans l’herbe», il définit un art poétique lié à la nécessité :

«[…] c’est l’incertitude qu’il nous faut dire, la vie dans les ruines, sans pleurer sur des puissances détruites, sans nous échiner à les restaurer. Nous sommes d’un temps où ce qui compte, peut-être, c’est une fleur apparue entre des dalles disjointes, ou même moins encore. […] Quelques phrases seulement, aussi tranquilles et fermes qu’un regard où la peur n’entre pas. […] Un équilibre presque insensé, tel est le plus beau défi à l’imminence du Pire» (Eléments d’un songe, Pléiade, p. 327).

Deux images lui permettent de définir la poésie comme un acte; l’une, celle de la balance, formule l’exigence d’un équilibre singulier, toujours à recomposer, qui repose sur le seul goût et dont la portée est aussi bien éthique qu’esthétique:

«J’ai toujours eu dans l’esprit sans bien m’en rendre compte, une sorte de balance. Sur un plateau, il y avait la douleur, la mort, sur l’autre la beauté de la vie. Le premier portait toujours un poids beaucoup plus lourd, le second, presque rien que d’impondérable» (A travers un verger, Pléiade, p. 558).

Jamais les plateaux opposés de la balance ne se rapprocheront, jamais ils ne se confondront. La tâche du poète comme celle du lecteur est de veiller à maintenir l’équilibre précaire de la balance. Le veilleur qui guette le passage vers le jour et les premiers oiseaux saisit l’ébauche d’une espérance.

L’autre image, très proche de la première, est celle du «combat inégal», titre d’un poème de L’Ignorant (1957 ; Pléiade, p. 162) dont le distique final, mis entre parenthèse pour lui donner plus de relief et de hauteur, est :

« (Autant se protéger du tonnerre avec deux roseaux,
quand l’ordre des étoiles se délabre sur les eaux.)»

Jaccottet la reprend, en 2010, comme déjà dit, et refait son parcours ; il découvre qu’alors il y avait encore une commune mesure entre les adversaires, tels David et Goliath, tandis qu’aujourd’hui le gouffre est béant, le sol se dérobe sous les pieds ; Jaccottet alors s’adresse au jury, au public et à ses lecteurs :

« […] vous ne couronnez pas ici un vainqueur, venu proclamer, comme il le voudrait bien la toute-puissance de la poésie. […] Rilke avait déjà déclaré il y a bien longtemps qu’il n’était plus question pour nous autres de vaincre, seulement de “surmonter“: parole encore plus vraie maintenant, “quand l’ordre des étoiles se délabre sur les eaux“, dans nos maisons menacées, nos jardins dévastés.»

Mais il ajoute, «fantôme couronné»: « […] disons néanmoins qu’à ce presque fantôme restent peut-être quelque part une ou deux réserves de paroles qu’il rêverait lumineuses » (Pléiade, p. 1342-1346 ; ici la dernière page). Telle est, dans sa pure modestie et sa tournure paradoxale, la place fragile de l’espérance, long mot trop riche de sons pour dire la lueur, la trace, «le fil de rosée» qui donne le goût de vivre, d’exister.

Le protestantisme en arrière-fond

Pour nombre d’entre nous, la lecture des écrivains russes, Dostoïevski, Tolstoï, Tchékhov, à quelque âge que ce soit, est une suite d’expériences marquantes qui se poursuivent avec les auteurs modernes et contemporains, tels Soljenitsyne, Vassili Grossmann, Chalamov ou, particulièrement pour Jaccottet, Mandelstam.

Agnostique, mais d’éducation protestante, il raconte et commente les siennes dans un petit essai intitulé A partir du mot Russie (2002); là figurent les pages les plus explicites sur sa position spirituelle, sur sa manière d’interroger le mystère religieux, comme celui de la Résurrection, par exemple. Il dit sa révolte contre l’église protestante, sèche et moralisante, sans grand souci de la beauté, ayant laissé perdre le sens du sacr ; il lui oppose, à la lumière des textes romanesques, l’orthodoxie, telle qu’il la saisit dans les livres et telle qu’Olivier Clément l’a donnée a comprendre dès le début des années soixante (et que Jaccottet ne nomme pas) et telle que la communauté de Taizé l’a inscrite dans ces mêmes années par l’introduction d’une icône, chaude et lumineuse, dans sa petite église romane (qu’il ne mentionne pas non plus). Il est sensible à la parole des mystiques, et à la «prière du cœur» telle qu’elle s’est exprimée dans le recueil des pèlerins russes, parce qu’eux vivent sur l’intuition, non sur la déduction.

Jean-Marc Sourdillon, l’un des collaborateurs de la Pléiade, dans un entretien donné au Journal de l’Eglise protestante vaudoise, Bonnes Nouvelles (dans le supplément en ligne, mars 2014) explique très bien la dimension spirituelle de l’œuvre de Jaccottet.

La fascination des yeux ouverts, décidés à voir plus loin que le visible.

«Cette œuvre, dit-il, a une dimension spirituelle, dans la mesure où Philippe Jaccottet scrute attentivement, presque anxieusement “ce qu’il lui est permis d’espérer“, à l’intérieur de son travail poétique.» «L’expérience poétique naît, chez lui, poursuit-il, d’une forme de contemplation, le plus souvent à l’occasion d’une promenade dans la nature, près de sa maison, ou parfois aussi d’une relation suivie avec une œuvre d’art. Elle consiste à accueillir et à interroger des événements mi-sensibles mi-spirituels surgis d’une rencontre avec le monde extérieur mais avec un retentissement particulier dans la vie intérieure. Quelque chose se passe de l’ordre du sensible, d’à la fois fragile et très aigu. Une impression à la vue d’un fragment de paysage, à l’écoute d’un oiseau, d’un cours d’eau, d’une musique et qui se prolonge sous la forme d’une émotion, qui, elle, est d’ordre spirituel et qui donne une orientation à la vie intérieure dans la mesure où elle abrite la possibilité du sens, de l’invisible. La poésie ne va pas plus loin. Elle constate, elle recueille, elle cherche à dire une énigme et en la disant elle l’éclaire, mais elle ne l’explique pas, […]

Dans A travers un verger, Jaccottet reformule à sa manière sa position de poète ou de porte-parole des émotions vives qu’il cherche à traduire en mots et en rythmes, par crainte de les réduire à la banalité :

«Dire: nous ne sommes que des instruments, imparfaits, dont le plus haut usage est de faire circuler de la lumière – contre l’obscurité qui semble fatalement l’emporter […]» (Pléiade, p. 563).

Nombre de poèmes ou de proses descriptives, reprises en versets, allant du plus visible à l’invisible, au mystère, au sens caché, selon une recherche de clarté, lente, tâtonnante, parfois bégayante, suivent les détours ou les particularités qui lient le proche et le lointain, le haut et le bas, le grand et le petit, se fiant au rythme du pas ou à la fascination des yeux ouverts, décidés à voir plus loin que le visible. Ainsi est le texte intitulé «Fantaisie de mai», dans Beauregard, dont je cite ici la méditation finale:

«Les prés chantonnent à ras de terre contre la mort; ils disent l’air, l’espace, ils murmurent que l’air vit, que la terre continue à respirer.

Je n’ai jamais su prier, je suis incapable d’aucune prière.

Là, entre le jour et la nuit, quand le porteur du jour s’est éloigné derrière les montagnes, il me semble que les prés pourraient être une prière à voix très basse, une sorte de litanie distraite et rassurante comme le bruit d’un ruisseau, soumise aux faibles impulsions de l’air.

[…] ces prairies existent, dispersées. Il ne faut même pas les chercher. On les longe à la fin d’une journée, de n’importe quelle journée, quand la lumière se fait moins distincte, le pas plus lent, et c’est comme s’il y avait une ombre à côté de vous revenu et d’infiniment loin, alors qu’on ne l’espérait plus, et qui, si on se retournait pour la voir, ne s’effacerait peut-être même pas» (Pléiade, p. 709).

Avec cette discrète allusion biblique à la femme de Lot, qui met en circulation tout un monde, on voit comment poésie et vie spirituelle dialoguent chez Philippe Jaccottet, non pour trouver une issue mais pour partager les richesses qui sans cesse passent d’un univers à l’autre, du dehors au dedans, puis s’en reviennent par un autre chemin, comme il est dit dans la bible.

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Doris Jakubec

Doris Jakubec

Doris Jakubec fut directrice du Centre de recherches sur les lettres romandes de 1981 à 2003. Elle a largement contribué au rayonnement de la littérature romande, et ce bien au-delà de nos frontières, en particulier aux USA, au Canada, en Europe de l’Est et jusqu’en Chine. Après avoir dirigé la publication de l’œuvre complète de Ramuz en Pléiade elle vient de collaborer à celle de Philippe Jaccottet dans la même collection.

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… il y eut un soir! https://www.revue-sources.org/il-y-eut-un-soir/ https://www.revue-sources.org/il-y-eut-un-soir/#respond Mon, 01 Jul 2013 08:28:52 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=298 [print-me]

Sol non occidat super iracundiam vestram. Y a-t-il expression plus incisive pour illustrer le temps et sa vanité que les célèbres cadrans solaires?

«Sol non occidat super iracundiam vestram». «Que le soleil ne se couche pas sur votre colère!»

«Sol non occidat super iracundiam vestram». «Que le soleil ne se couche pas sur votre colère!»

S’il est exact que leur fonction horaire était secondaire par rapport à la fonction sociale et esthétique, le touriste-voyageur se soustraira difficilement à la fascination de leurs adages intempestifs, tenus d’ordinaire en latin. Celui, par exemple, déniché sur une maison seigneuriale de Viège (Valais) qui vous procure des frissons en affirmant que chaque heure qui passe vous blesse, et que la dernière vous tue – «omnes vulnerant – ultima necat». Ou alors cet autre cadran solaire, plus récent, découvert à Saint-Véran (Hautes Alpes) et qui, assorti d’un coq, «marque les premières heures de ton éternité». Arrêtons-nous cependant à celui que la revue reproduit ci-contre et qui fait la fierté d’une belle demeure dans le canton de Zoug: «Sol non occidat super iracundiam vestram». «Que le soleil ne se couche pas sur votre colère!»

Finir la journée en beauté

L’adage est tirée de l’Epître aux Ephésiens, chapitre 4, verset 26. Il se prête à merveille pour évoquer le crépuscule, la nuit tombante, une fin de journée… et la signification que celles-ci prennent dans la vie de l’humain, et pas uniquement de l’enfant. «Au matin qu’il y eut» suivra inéluctablement «le soir qu’il y a». Rien de surprenant donc si la fin d’une journée, tout comme son début, se retrouve investie d’une profonde symbolique spirituelle. Il s’agit de finir la journée en beauté, libre et libéré de la colère et du ressentiment. Certains auteurs spirituels n’hésitent pas à parler d’une culture nocturne proprement chrétienne.

«Que le soleil ne se couche pas sur votre colère». Cette exhortation est développée par l’Epître aux Ephésiens dans un long chapitre à caractère éthique, sans structure claire et nette. Comme le fait remarquer la Bible Bayard, ces consignes visent à donner des orientations générales valables au quotidien. Le chapitre en question souligne le fait que la conduite de vie d’un chrétien se démarquera de celle des «païens». Un croyant bouclera sa journée autrement qu’un incroyant. Sa foi en Christ l’invite à donner au coucher du soleil une signification nouvelle.

Le soleil couchant nous presse, surtout, à faire la vérité en profondeur, dans un dernier face-à-face avec celui qui se révèle à nous comme «Christ et Seigneur».

Au moment même d’observer le soleil qui s’éteint à l’horizon, le croyant voit se lever sur la nuit naissante et en lui un autre astre, le Christ lumière. Il devient alors impossible d’entrer dans l’obscurité abyssale de la nuit sans avoir purifié au préalable le jour en déclin de la colère et des ressentiments qu’il aurait vu surgir. Les enfants le pressentent mieux que les adultes: avant de s’endormir, ils tiennent à dissiper les contentieux que la journée écoulée a suscités au foyer.

Colère de l’homme et colère de Dieu

Mais comment se libérer des tourbillons de la colère causés par les aléas d’une moche journée qui touche à sa fin? Il est peu probable que la lettre aux Ephésiens veuille nous entraîner dans des considérations d’ordre physiologique, psychologique, philosophique, moral… Et à l’époque, la colère n’était pas encore devenue un des sept péchés capitaux!

La colère est tout d’abord cet état d’âme qui nous prive de sommeil. Tourmentée par mille ressentiments, l’âme ne saurait se reposer en paix. Pour l’Epitre aux Ephésiens, le ressentiment est diabolique, littéralement, car quiconque succombera aux poussées de la colère «donne emprise au diable». Le démon, ce trouble-fête, brouille les relations humaines. Ceux ou celles qui sont à l’origine de ma colère, méritent-ils encore ma confiance? mon affection? mon amour? Le tentateur m’incite à les laisser tomber.

En chrétiens, nous avons une totale liberté pour parler de la colère, la reconnaître et même l’admettre. C’est que Dieu lui-même l’a éprouvée, et c’est là un fait bien troublant! «Dans sa colère il a juré, jamais ils n’entreront dans mon repos» (Psaume 94). Causée par des hommes aux cœurs égarés et endurcis, la colère tente le Seigneur, diaboliquement, de les «abandonner et leur cacher sa face» (Deutéronome31,17). Colère doublée d’amertume et accompagnée du regret «de les avoir faits» (Genèse 6,7).

Mais, ce même Yahvé est aussi un Dieu «lent à la colère et plein d’amour» (Psaume 144). Son affection pour le peuple infidèle, scellée par alliance, ne saurait le lâcher. L’histoire du Peuple élu est à lire du début à la fin comme le récit incessamment repris d’une confiance retrouvée et d’un amour à renouveler – «avant le coucher du soleil»! C’est-à-dire avant de voir les relations humaines et la vie tout court sombrer dans une nuit opaque, sans aurore et sans lendemain. Tandis que l’homme croyant, dégagé de sa colère et aux ressentiments apaisés, s’endort en paix, le gardien d’Israël, lui, ne sommeille pas. «Celui qui te garde, ne peut dormir» (Psaume 121).

L’heure de vérité

«Sol non occidat super iracundiam vestram». Auteur de mensonges mignons et autres plus graves qui nous font douter de la confiance et de l’amour, le diable est aussi à l’origine du grand mirage qui consiste à «nier que Jésus est le Christ» (1 Jean 2,22). L’heure du sommeil se révélera, une fois encore, comme l’heure de la vérité. Instant propice pour régler les contentieux mineurs de la journée, le soleil couchant nous presse, surtout, à faire la vérité en profondeur, dans un dernier face-à-face avec celui qui se révèle à nous comme «Christ et Seigneur».

Tel soir sera suivi de tel matin.

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Clau Lombriser

Clau Lombriser

Le frère dominicain Clau Lombriser, membre de l’équipe rédactionnelle de la revue «Sources», est responsable, au nom de la Conférence des évêques suisses, des prêtres «Fidei Donum» en service dans un diocèse étranger.

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Temps pleins https://www.revue-sources.org/temps-pleins/ https://www.revue-sources.org/temps-pleins/#respond Mon, 01 Jul 2013 00:01:25 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=1026 [print-me]

On ne cesse de fantasmer sur le « temps », expression équivoque à souhait dans notre langue. Le temps qui court ou qui s’envole n’est pas celui qu’il fait aujourd’hui ou fera demain. La météo ne se prédit pas au chronomètre. Il y a des temps forts et donc aussi des temps faibles, des temps pleins et des temps vides. Les uns et les autres ne se mesurent pas en secondes, mais en intensité. Flambées furtives, les plus importants inaugurent de nouvelles ères. Ainsi, les chrétiens conviennent-ils que la naissance de Jésus – à la « plénitude des temps » – est le moment le plus fort de leur l’histoire, même si l’événement parut anodin aux contemporains de l’enfant de Bethléem.

Rien ne sert de compter nos années si on ne se soucie pas de leur donner du poids.

Ceci dit, le temps n’est que la mesure du mouvement. On ne parle de durée quantifiée qu’en présence d’êtres mobiles. Même les glaciers bougent. Leurs progressions ou retraits peuvent donc faire l’objet d’une datation. L’univers tout entier est en mouvement. Ses déplacements permettent aux astro-physiciens de déterminer les étapes de son expansion. Seule, l’éternité de Dieu, immobile et immuable, échappe au temps. Nous venons au monde et nous nous envolons. Naissance et mort, croissance et déclin imprègnent nos existences fugaces et celles de nos civilisations.

Ne confondons pas cependant l’être contingent et temporaire avec la mesure qui le jauge. Il est assez plaisant de constater comment les humains fêtent ou cachent leurs anniversaires. Une périodicité qui les émeut davantage que le statut réel de leur santé. Ils adorent ou redoutent la mesure de leurs années, mais négligent ce qu’elle doit mesurer. Rien n’est plus relatif et dérisoire que le compte chiffré de nos vies. Pendant des siècles, les humains ont fixé leur date de naissance en fonction des souverains régnant à leur époque. Et même des famines qui frappaient leur territoire. Quant à nous, nous nous réglons prosaïquement sur l’Observatoire chronométrique de Neuchâtel! D’autres, plus réalistes, affirment qu’ils ont l’âge de leurs artères ou la jeunesse de leur cœur. Une jauge qui, pour être moins précise, est plus proche de la réalité. Rien ne sert de compter nos années si on ne se soucie pas de leur donner du poids.

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