soins – Revue Sources https://www.revue-sources.org Wed, 04 Jan 2017 13:33:17 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.3.1 Sida et miséricorde https://www.revue-sources.org/sida-et-misericorde/ https://www.revue-sources.org/sida-et-misericorde/#respond Wed, 30 Mar 2016 11:14:13 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=1218 [print-me]

Etre avec le malade sur son chemin, aller à son rythme et dans sa direction. Rester là, assis sur une chaise où un coin de matelas et offrir un temps de silence dans une attention parfaite. Autrement dit, accompagner c’est « être avec », ne rien faire et même parfois ne rien dire. Là se loge toute la difficulté; Tant il est difficile de comprendre qu »être » n’est pas «faire», mais écouter de tous ses sens, de tout son esprit, de tout son coeur. Ainsi, devient-on proche du malade, prêt à anticiper sa demande, deviner son attente, l’aider à s’exprimer. Le malade doit se sentir entouré – la solitude est la pire des maladies -, respecté, considéré, aimé.

Gilles

Je me souviens de Gilles contaminé par le virus du sida, le corps couvert de pustules purulentes. Lors de notre première rencontre il m’a dit : «Quelqu’un va-t-il m’aimer encore?». Je lui répondis que j’étais là pour l’aider et l’aimer tel qu’il était… Durant quatre ans nous avons cheminé ainsi et Gilles est parti dans la paix et la sérénité. Au moment du passage de la mort à la Vie, son visage et son corps sont redevenus très beaux. Les pustules avaient disparu. J’appelle cela le miracle de l’amour. Une forme de compassion. Demeurer auprès du souffrant, attentif à ce qu’il vit profondément, le rejoindre dans son silence. Et même, permettre à ses regrets de s’exprimer sans que vous ne les sollicitiez ou les freiniez.

Les malades sont nos maîtres et, à leur chevet, nous apprenons la patience, la puissance de l’amour et la force de la prière.

On ne peut être souffrant à la place du malade, mais nous marchons à ses côtés. Les malades sont nos maîtres et, à leur chevet, nous apprenons la patience, la puissance de l’amour et la force de la prière. Ce sont des sentiments de compassion. L’Eglise, à la suite du Christ, rejoint ainsi toute personne dans sa souffrance, sans la juger. La compassion est donc un sentiment très fort qui a habité le coeur de Jésus et qui nous habite aussi. L’apôtre ne dit-il pas : « Ayez entre-vous les mêmes sentiments qui sont dans le Christ-Jésus » (Ph. 2, 5)?

Rachid

En présence du malade, nous sommes souvent démunis. Que faire, sinon nous laisser habiter par la compassion? La compassion peut conduire à l’extrême de l’amour. Comme celle de Jésus: «ma vie nul ne la prend, mais c’est moi qui la donne».

Nous avons aussi accompagné Rachid, jeune musulman que sa communauté avait rejeté parce qu’homosexuel et malade du sida. Notre équipe toulousaine (Sida, Espérance, Lumière et Foi) l’a visité, soutenu, entouré durant trois ans et quelques semaines. Avant de mourir, Rachid nous a livré ce message que je conserve dans la mémoire du coeur : «Frère Jacques, nous marchons vers la même Lumière». «Celui qui se met au service des pauvres, se met au service de Dieu», disait Gandhi. Le plus grand des maux de notre siècle est le manque d’amour. «Heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde » (Mt 5, 7);

Responsabilité sociale

En fait, la miséricorde et la compassion nous convoquent chacun, bien plus qu’on ne l’imagine, à une responsabilité sociale et à une réflexion profonde sur le devenir de l’humain dans nos sociétés. L’accompagnement d’une personne malade ou exclue, touchée ainsi au plus profond de son être physique mais aussi psychique et spirituel, mobilise autant l’élan du cœur que l’engagement de notre intelligence à chercher des réponses…Rejoindre l’autre dans ses fragilités, sa vulnérabilité et sa différence, n’est-ce pas déjà essayer de porter avec lui mais aussi de témoigner aux yeux du monde, de sa dignité d’être humain et faire reconnaître ainsi l’image et la trace de l’invisible Présence du mystère de Dieu…?

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Jacques Ambec

Jacques Ambec

Jacques Ambec est un frère dominicain coopérateur de la Province de Toulouse. Il réside au couvent de Toulouse comme «Portier» et collabore à la pastorale de la santé avec le groupe Santé Saint-Luc, l’équipe du Service Evangélique des Malades et la structure associative SELF (Sida, Espérance, Lumière et Foi). Il est l’auteur de plusieurs ouvrages au travers desquels il partage son expérience d’accompagnants et de religieux confronté à la souffrance, à la maladie et à l’exclusion…

Biographie:

Marie-Christine Nouaux, Jacques Ambec, «Jacques, le combat de la vie», 1996, Ed. St Paul
Jacques Ambec, «L’Evangile de la compassion», 2001, Ed. St Paul
Jacques Ambec, «Témoins de la compassion», 2003, Ed. St Paul
Jacques Ambec, «Saint Martin de Porrès. Au service de la compassion», 2005, Ed. Pierre TEQUI
Jacques Ambec, «Vivre l’Evangile avec Saint Martin de Porrès», 2009, Ed. Pierre TEQUI
Jacques Ambec, «Vivre le mystère du Christ en méditant le Rosaire», 2009, Ed. Pierre TEQUI

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La fonction soignante: composante du bien commun https://www.revue-sources.org/la-fonction-soignante-composante-du-bien-commun/ https://www.revue-sources.org/la-fonction-soignante-composante-du-bien-commun/#respond Tue, 01 Oct 2013 10:02:06 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=341 [print-me]

Jacques Maritain décrivait le bien commun comme « la bonne vie humaine de la multitude »[1]. Cette définition évite le piège d’un bien commun conçu comme une accumulation d’éléments matériels ou organisationnels qui seraient acquis par une communauté. Le bien commun c’est la vie même de la communauté. Il ne s’agit pas d’un état que cette communauté atteindrait, mais de quelque chose de continu, de sa vie qui se déploie encore et encore. Nous rejoignons là une définition que donnait St Augustin de la paix céleste: « jouir de Dieu et les uns des autres en Dieu »[2]. Un repos en Dieu, mais un repos actif, pourrions-nous dire, une jouissance, dit l’évêque d’Hippone, jouissance de Dieu, c’est-à-dire vie pleine avec lui, intégrés dans la dynamique de sa Vie, mais aussi avec et pour les autres pourrait-on dire avec Paul Ricœur.

Notre réflexion peut être alimentée par ces quelques considérations. Si le bien commun est à considérer comme la plénitude de vie d’une communauté, va alors en faire partie tout ce qui contribue à permettre le déploiement de cette vie. C’est là que nous rejoignons des considérations possibles sur la santé. En effet, si la vie de la communauté est plus que l’addition des vies individuelles, elle ne peut cependant pas faire l’économie de celles-ci. A l’horizon eschatologique décrit par le prophète Isaïe: « Il n’y aura plus de nourrisson emporté en quelques jours, ni de vieillard qui n’accomplisse pas ses jours » (65,20). La vie bonne de la multitude implique que chacun de ses membres vive pleinement. Et pour cela il est nécessaire que toute communauté qui veut bien vivre se préoccupe de la vie de chacun de ceux qui la composent. C’est ce que nous appellerons la fonction soignante de la communauté et qui fait nécessairement partie de la vie commune et qui contribue à ce que celle-ci puisse être dite « bonne ».

La santé: capacité de vivre comme personne

On a souvent défini la santé comme une absence de maladies. La présence de maladies chroniques, quasi ubiquitaires quand on avance en âge, rend cette définition trop restrictive, mais celle-ci est également questionnée par les exemples de personnes capables de surmonter une maladie ou un handicap et de mener malgré cela une vie pleine, de telle manière qu’on aurait de la peine à leur refuser le terme de santé.

En 1948, l’OMS a inversé la définition en disant que la santé n’est pas une absence de quelque chose, mais la présence de ce qu’elle a défini comme un « état de complet bien-être physique, mental et social« . A l’époque, on a salué ce mouvement de positivation de la notion (qui permet de passer conceptuellement de la lutte contre la maladie à la promotion de la santé) ainsi que le fait d’y inclure la dimension sociale et même quelques années plus tard, la dimension spirituelle. Cependant le but de l’existence est de vivre de la manière la plus pleine et non pas de se complaire dans un état statique[3]. La santé va alors être ce qui permet de déployer au mieux la dynamique d’une existence en vivant pleinement dans son corps et son psychisme, mais aussi en étant capable de s’inscrire dans des relations interpersonnelles et dans une ouverture et une disponibilité à l’au-delà de soi qui est le propre de la vie spirituelle.

« Le commun souci les uns des autres » (1Co 12,25)

Cette capacité de vivre, définissant la santé, est fragile. Elle est constamment soumise aux aléas d’une vie dans le monde matériel avec ses imperfections, ses accidents ou ses blessures. Il ne nous est pas possible d’avancer dans l’existence sans l’appui constant d’autrui, autrement dit sans des personnes qui prennent soin de nous. Prendre soin c’est bien comme on le conçoit habituellement, mettre des compétences professionnelles au service de la lutte contre la maladie qui empêche l’autre « d’accomplir ses jours ». Mais, d’une manière plus large, prendre soin c’est se soucier de la santé d’autrui, se soucier de sa capacité de déployer sa vie dans toutes les dimensions mentionnées plus haut. C’est le maintenir sur son chemin de vie.

Le prendre soin n’est pas un agir que des membres sains fourniraient à des membres malades de la communauté, mais un souci commun échangé les uns pour les autres

Or le souci pour l’autre se dit fondamentalement dans le cadre d’une avancée en commun, d’une histoire que nous écrivons ensemble. L’actualisation de la vie d’une personne ne peut se faire sans ceux qui marchent avec elle et réciproquement, l’actualisation de la vie de ces derniers, ne peut se faire sans la vie pleine de la personne avec qui elles cheminent. Dit d’une autre manière, le prendre soin n’est pas un agir que des membres sains fourniraient à des membres malades de la communauté, mais un souci commun échangé les uns pour les autres, un peu à l’image d’un groupe de randonneurs où, pour la réussite de la marche, la réussite de chacun est nécessaire. Nous rejoignons là une fonction importante que St Paul attribue au corps communautaire, celle du « commun souci les uns des autres » (1Co 12,25).

La fonction soignante

Cette référence paulinienne nous indique que, dans le prendre soin, nous n’avons pas affaire à une attitude optionnelle, occasionnellement observable quand certains membres de la communauté sont en difficultés, mais à une attitude structurante de toute communauté. Toute communauté vit du souci que ses membres ont pour la vie des autres. Le prendre soin est donc constitutif du rapport que les membres de la communauté entretiennent les uns avec les autres. Dans le même passage St Paul souligne cette structure et la rapporte à la volonté divine qui, dit-il, a « disposé » le corps communautaire de telle manière que se manifeste ce « commun souci les uns des autres » (1 Co 12,24-25).

C’est alors dans ce sens d’une tâche commune dont tous sont responsables et qui ne peut pas être déléguée en totalité que je parlerais de la présence d’une fonction soignante de la communauté. Cette fonction soignante fait partie nécessairement de la vie bonne du corps social, donc du bien commun. A partir de cette définition, on voit que la question n’est pas de savoir qui dans la société ou quelle communauté particulière (familles, professionnels, Etat …) va avoir la responsabilité du prendre soin, mais comment chacun des membres du corps social et chacune des communautés intermédiaires qui le composent vont exprimer cette fonction soignante tenant compte de leurs spécificités propres. Ce dernier point est important. La même fonction soignante va s’exprimer différemment dans la famille, dans l’Eglise, dans la communauté locale ou dans l’Etat parce que, dans chacune de ces communautés elle se déploiera dans les dimensions constitutives de leur bien propre.

[1] J. MARITAIN, La personne et le bien commun, coll. Oeuvres complètes, n° IX (167-237), Fribourg, Editions Universitaires Fribourg, 1990, p. 201.

[2] Cité de Dieu, 19,13

[3] Il faut rappeler qu’Aristote considérait le bonheur comme un acte et non pas comme un état.

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Thierry Collaud

Thierry Collaud

Thierry Collaud, médecin et théologien, est professeur de théologie morale à l’Université de Fribourg.

 

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La médecine, un lieu paradoxal https://www.revue-sources.org/la-medecine-un-lieu-paradoxal/ https://www.revue-sources.org/la-medecine-un-lieu-paradoxal/#respond Wed, 04 Jul 2012 09:59:30 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=124 [print-me]

Cet article est une recomposition[1] d’une introduction de Marie-Jo Thiel à un ouvrage collectif qu’elle a dirigé et publié aux Presses Universitaires de Strasbourg[2].

Force et faiblesse de la médecine contemporaine

La médecine moderne a fait de grands progrès. Selon les disciplines, les avancées sont parfois spectaculaires. Les transplantations d’organes, la réanimation, le traitement des personnes séropositives, l’assistance médicale à la procréation, la chirurgie cardio-vasculaire ou digestive… proposent des remèdes incontestables et dont il faut se réjouir. Le médecin contemporain dispose d’une panoplie de grande efficacité, mais peut-il pour autant « guérir » les patients souvent impatients qui se confient à ses soins? Traiter des sujets malades n’est pas nécessairement les guérir et encore moins les rétablir, comme si l’on pouvait revenir à une innocence homéostatique[3] originaire. Pour être soigné efficacement, le malade doit pouvoir croire et consentir aux stratégies qu’il se formule, en lien avec les propositions médicales. Or les représentations mentales du médecin ne concordent pas nécessairement avec celles du malade en quête de guérison ou de mieux-être. Et les moyens mis en œuvre par la médecine ne sont pas tout-puissants.

Celui qui traverse l’épreuve d’une maladie ou d’une souffrance aura toujours tendance à imaginer le médecin comme un guérisseur disposant d’une alchimie sans faille. Il consent d’autant moins aux limites de sa pratique qu’il espère l’impossible, tout en craignant d’en être écarté. Cercle vicieux paradoxal: jamais comme aujourd’hui le savoir et la technique médicale n’ont ouvert autant de portes de soins ; mais jamais aussi comme aujourd’hui les humains n’ont manifesté un tel désarroi face à l’adversité. La médecine redouble d’efforts pour vaincre le mal-être, elle aboutit à d’incontestables résultas ; mais elle oublie encore trop souvent que la souffrance est le fait d’une existence en quête de sens et que certains de ses « remèdes » – particulièrement ceux qui visent à maîtriser le non-maîtrisable – peuvent violemment heurter ceux qu’elle tente de convaincre.

Choc des représentations, des valeurs, des normes, des systèmes de justification, des références éthiques. Pensons, par exemple, à la réduction embryonnaire ou à l’interruption médicale de grossesse (en raison d’une malformation fœtale). Ces pratiques peuvent offenser gravement l’idée qu’une femme se fait de son enfant. Mais, en refusant la proposition médicale, une mère peut scandaliser tout aussi farouchement le corps médical. On suscite ainsi des malaises, d’autant plus profonds que ces griefs ne sont pratiquement pas verbalisés, ils empruntent des canaux affectifs et passionnels pour toucher non seulement l’équipe soignante, mais également, peu à peu, la société dans son ensemble.

L’évolution en « clair-obscur » de la médecine

L’évolution de la médecine a permis d’accroître la durée de vie, mais a-t-elle réellement contribué à sa qualité? La souffrance, le handicap ne sont-ils devenus paradoxalement encore plus intolérables (G.Frey)[4]? Constamment, les technologies télescopent le temps, attisant la vie là où la mort est déjà à l’œuvre, « arrêtant » le temps par l’annonce de diagnostics qui sidèrent ceux qui les reçoivent, voire retirant certains de l’avenir en mettant à jour une prédisposition génétique grave (C.Perrotin)[5]. La congélation embryonnaire permet de « programmer » un projet d’enfant, mais introduit aussi des « décalages » ou des « ruptures » dans le temps, dans l’histoire des sujets et la succession des générations (A.Clavert)[6]. La nouvelle gestion de la temporalité en début et fin de vie pose aussi de nombreux casse-tête aux juristes! (J.Bouton).

Cette évolution ambiguë, en clair-obscur, des pratiques médicales interroge l’éthique dans son lien structurel avec la question du sens, et, partant, avec les représentations mentales et les croyances du sujet dans ses cercles d’appartenance.

L’évolution de la médecine a permis d’accroître la durée de vie, mais a-t-elle réellement contribué à sa qualité?

La bonne décision clinique n’est donc pas seulement le fruit de l’application des grandes règles de la pratique proprement médicale. Elle est aussi consentement à l’intuition des affects régulés par la raison. L’option la meilleure est celle dont on a discerné le sens. Autrement dit, selon les acceptions de ce mot en français, l’option la meilleure est celle dont on a vérifié la signification et la direction objectivée dans ses conséquences (proches et lointaines, personnelles et sociales), ainsi que la capacité du patient à se comprendre dans son unité psycho-sensorielle et émotionnelle[7]. La décision s’enracine ainsi dans une certitude suffisamment large pour passer à l’acte, mais aussi suffisamment « obscure » pour lui interdire toute prétention. Elle pousse finalement le médecin à agir sans qu’il ne possède la clé ultime qui motive son intervention. Elle requiert de ce fait une attention permanente à cette « nocturnité » constitutive, en particulier à la question des représentations et croyances, à la possibilité d’émergence du sens que chacun doit donner à son existence.

En conclusion

La médecine demeure un lieu paradoxal. Elle se veut objective et se fonde sur des plaintes subjectives. Elle se veut rationnelle, mais peut-on inscrire du rationnel en cet endroit si peu rationnel? Elle s’appuie sur l’efficacité de la maîtrise technologique pour s’adresser à la « démaîtrise » occasionnée par la pathologie. Elle contrôle le temps qui finalement lui échappe. Elle répond à une requête infinie de bien-être, requérant des moyens croissants dans une société aux biens limités. Elle se dévoile ainsi comme étant une vitrine de la société dans ses richesses, sa puissance technologique, ses ambiguïtés et sa vulnérabilité. Elle se révèle grand écran, étalant le tragique qui guette toute existence humaine et la noblesse de la quête humaine de sens. La raison peut en discuter, mais la requête ne doit jamais être abandonnée. La médecine comme lieu d’expérimentation du sens de la vie et de la mort tire la société dans son sillage. Réciproquement, la société, soucieuse du bien commun, mandate la médecine de gérer raisonnablement l’expérience de la souffrance, mais avec le risque d’aller trop loin et de s’écarter des sentiers du raisonnable.

N’avons-nous pas aujourd’hui intérêt à arrêter notre réflexion sur trois grands aspects de cette évolution: les changements autour de la communication entre le médecin et le malade, la manière dont la médecine modifie le rapport au temps et aux représentations et enfin sur les pouvoirs en jeu dans ces rapports de force. Il y a là un une nécessité d’engagement lucide et responsable, audacieuse et prudentiel de la société dans son ensemble!

[1] Cette reconfiguration du texte d’origine a été faite par le fr. Michel Fontaine, o.p, avec l’accord de l’auteur.

[2] Marie-Jo Thiel (sous la dir.), Où va la médecine? Sens des représentations et pratiques médicales, PUS, Strasbourg, 2003.

[3] L’homoeostase correspond à l’équilibre du milieu intérieur d’un individu.

[4] Médecin praticien hospitalier, Service de réanimation chirurgicale de Hautepierre, Hôpitaux universitaires de Strasbourg, G.Frey est l’auteur de l’un des articles « Le prix à payer – Souffrance et handicap » de l’ouvrage mentionné.

[5] Philosophe au Centre interdisciplinaire d’éthique de l’Institut catholique de Lyon, C.Perrotin est l’auteur de l’un des articles « Le temps à l’ombre de la maladie et de la mort » de l’ouvrage mentionné.

[6] Maître de conférence, Faculté de droit, de sciences politique et de gestion de l’Université de Strasbourg, A. Clavert est l’auteur de l’un des articles « Le temps et la procréation » de l’ouvrage mentionné.

[7] L’on songe, bien sûr, à la place et au rôle des « organes des sens ». Il ne s’agit cependant pas simplement de « sensations » mais bien aussi d’émotions, c’est-à-dire de sentiments nommés, parlés, occasionnés « par », « pour », « en vue de »… Sur les rapports entre émotion et raison, voir Paul Lauritzen, « Emotions and Religious Ethics », The Journal of Religious Ethics, vol.16/2, Fall 1988.

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Marie-Jo Thiel est théologienne, médecin, professeur d’éthique et de théologie morale à la Faculté de théologie catholique de l’Université de Strasbourg. Elle est directrice du Centre européen d’enseignement et de recherche en éthique (CEERE). Depuis 2011 la Commission européenne l’a nommée membre du Groupe européen d’éthique des sciences et des nouvelles technologies.

 

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De la nanomédecine à la nanoéthique https://www.revue-sources.org/de-la-nanomedecine-a-la-nanoethique/ https://www.revue-sources.org/de-la-nanomedecine-a-la-nanoethique/#respond Wed, 04 Jul 2012 09:44:27 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=118 [print-me]

La nanomédecine, c’est simplement l’usage des nanosciences et nanotechnologies dans la médecine. Ce qui caractérise ces trois disciplines, c’est leur préfixe, nano-. Il a ceci de spécial qu’il ne désigne pas un domaine d’étude particulier, mais une grandeur ou une échelle, le nanomètre. Un nanomètre, c’est 1 milliardième de mètre ou 10-9 m et un nanoobjet est un assemblage d’atomes constituant un objet dont au moins l’une des dimensions est de taille nanométrique, c’est-à-dire qui mesure entre 1 et 100 nm. En bref, un objet nanométrique est un assemblage de quelques centaines à quelques milliers d’atomes.

Si un tel objet constitue un domaine particulier d’étude, c’est qu’il possède des propriétés particulières. Ainsi, un nanotube de carbone est environ 200 fois plus résistant que l’acier, tout en pesant six fois moins. La raison pour laquelle les nanoobjets acquièrent des propriétés inédites par rapport aux objets plus gros faits de la même matière est que plus un objet est petit, plus sa surface est importante par rapport à sa masse et que, à l’échelle nanométrique, des effets quantiques se manifestent.

Nanoobjets et médecine

En quoi de tels objets intéressent-ils la médecine? En ce qu’ils sont susceptibles d’y avoir de nombreuses applications. En effet, plusieurs recherches impliquant de tels objets sont actuellement menées concernant les diagnostics, la surveillance médicale (biopuces), l’administration de médicaments ou l’ingénierie tissulaire. Par exemple, des médicaments peuvent être acheminés directement à l’endroit où ils doivent agir par des nanoconteneurs qui, grâce à des protéines situées à leur surface, identifient les cellules où les substances actives doivent être délivrées. À la frontière entre les nanosciences et les neurosciences, je mentionnerai encore les implants cérébraux, tels que des électrodes implantés dans le cerveau utilisés notamment pour contrôler les symptômes de la maladie de Parkinson, ou des prothèses neurales permettant aux sourds d’entendre, ainsi que tous les interfaces cerveau-ordinateur.

Soigner, c’est restaurer la normalité, mais qu’est-ce que la normalité?

La nanomédecine apparaît donc comme un des multiples rejetons du projet de soigner l’être humain, de lui permettre de recouvrer la santé (restitution ad integrum), projet dont la valeur morale est hautement positive et qu’il ne viendrait à l’idée de personne de contester. Pourtant, certains auteurs ont manifesté des soucis, au point qu’une revue portant le nom de Nanoethics a été récemment fondée. Quels sont-ils?

Soucis éthiques

Selon la Royal Society, qui a consacré un long rapport à ce sujet[1], on peut identifier deux groupes de questions éthiques liées aux nanotechnologies, concernant respectivement la sûreté (safety) et la justice sociale. La justice sociale recouvre pour l’essentiel les impacts économiques, le fossé technologique (nanodivide), les implications pour les libertés civiles et l’amélioration de l’être humain.

La question de la sûreté n’est éthique que de manière indirecte. Par là je veux dire que c’est un sujet qui requiert avant tout l’expertise technique qui est celle du scientifique ou de l’ingénieur. Un philosophe ou un éthicien n’ont rien à dire sur la question de savoir si tel nanoobjet est toxique ou non pour l’être humain, les autres animaux ou l’environnement. Par contre, ils ont à rappeler que l’évaluation de la dangerosité d’une substance est requise par le principe éthique disant qu’il est immoral d’introduire un objet dangereux pour l’être humain, l’animal ou l’environnement, sans une bonne raison. En médecine, cette bonne raison consiste en une évaluation risques / bénéfices favorable, et dans l’obtention du consentement libre et éclairé des personnes concernées.

En ce qui concerne les soucis moraux liés à la justice sociale, les impacts économiques et le fossé technologique sont des soucis génériques liés au développement de toutes les technologies de pointe: l’introduction d’une nouvelle technologie crée des gagnants et des perdants, pose la question des droits de propriété (brevets) et soulève celle de la possibilité pour les pays pauvres de développer et d’utiliser ces nouveaux moyens et donc de ne pas voir s’aggraver le fossé technologique, à défaut de le combler.

Les implications pour les libertés civiles viennent essentiellement du fait que l’utilisation de nanoobjets va permettre une surveillance et une collecte de données plus efficaces concernant les divers aspects de notre vie et de notre santé, qui ne pourront qu’intéresser vivement les assureurs et les planificateurs en santé publique. Le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) français parle du patient ou du sujet code barre .

La question de la normalité

L’amélioration de l’être humain est un sujet qui émerge à partir de multiples points de vue. En un sens, l’être humain cherche à s’améliorer et s’améliore vraiment sur certains points, individuellement et collectivement, depuis la nuit des temps. Pensons à l’invention de l’écriture et des outils, à la création des États ou à l’éducation. De nos jours, la question est surtout débattue dans le contexte de l’usage possible de trois technologies: le génie génétique, les neurosciences et, justement, les nanotechnologies. En ce qui concerne ces dernières, ce sont les interfaces homme-machine et les implants cérébraux auxquels on pense généralement – c’est pourquoi la question est aussi débattue sous le chapeau de la neuroéthique, à savoir des questions éthiques posées par les neurosciences. Comme c’est souvent le cas lorsqu’il est question d’amélioration, les dispositifs utilisés ont d’abord été développés dans le cadre de thérapies et le sont d’ailleurs encore, c’est pourquoi ils ne sont pas sans impact sur la question de la normalité. Améliorer, c’est aller au-delà du normal, alors que soigner, c’est restaurer la normalité; mais en quoi consiste cette normalité?

J’aimerais illustrer ce point avec une controverse qu’a suscitée l’emploi des implants cochléaires. La surdité a longtemps été considérée comme un handicap, et un handicap pour lequel on n’avait pas beaucoup d’options thérapeutiques. Cela a changé depuis quelques années avec l’introduction de ces implants, permettant aux sourds – et notamment aux enfants sourds – d’entendre. La surdité était vaincue! Quelle n’a alors pas été la surprise de rencontrer des couples sourds refuser les implants pour leurs enfants, voire de demander un diagnostic préimplantatoire pour être sûrs d’avoir un enfant sourd, afin qu’il soit forcé d’apprendre le langage des signes, dans le but de lui permettre une meilleure intégration dans la communauté et la culture sourdes. Ainsi, pour ces parents, la surdité n’est pas considérée comme un handicap, mais comme un trait culturel particulier, ayant même valeur que les autres traits culturels. On le voit, à ceux qui considèrent la surdité comme un handicap s’opposent ceux qui la perçoivent comme une différence qui ne fait pas quitter le domaine de la normalité. Pour ces derniers, classer la surdité dans la rubrique des handicaps qui seraient remédiables par des moyens médicaux est une médicalisation injustifiée, née du refus de reconnaître la diversité humaine. Nanotechnologies et neurosciences nous ramènent ainsi à cette vieille question, dont la réponse conditionne le contenu des normes morales que nous sommes prêts à accepter: « Qu’est-ce que l’être humain? ».

[1] The Royal Society, Nanoscience and Nanotechnologies: Opportunities and Uncertainties, 2004, disponible à: http://www.nanotec.org.uk/report/Nano%20report%202004%20fin.pdf.

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Bernard Baertschi est maître d’enseignement et de recherche au Département de philosophie de l’Université de Genève. Il est également membre de l’Institut d’éthique biomédicale de l’Université de Genève.

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La santé: une affaire d’équilibre! https://www.revue-sources.org/sante-affaire-dequilibre/ https://www.revue-sources.org/sante-affaire-dequilibre/#respond Wed, 04 Jul 2012 09:29:50 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=113 [print-me]

On lie habituellement santé et guérison, récupération physique, relatif bon fonctionnement des organes vitaux. Le fait de la comprendre comme un « équilibre » est-il une nouveauté?

Non, le fait de parler de la santé comme d’un équilibre n’est pas nouveau. Nous trouvons déjà dans les écrits hippocratiques, pour ne parler que de ceux-là, une approche totalisante de la santé, qui fait intervenir l’idée d’un continuum santé-maladie tout au long de l’existence humaine. Qui dit continuum, dit tensions entre différents pôles internes et externes. Donc recherche permanente d’équilibre. La santé ne se réduit pas à l’absence de maladie, à un acte de guérison ou à une récupération physique.

Sur ce sujet, deux grands courants existent depuis fort longtemps et peuvent avoir un impact sur notre manière de penser la santé. Le premier défend une vision qui confère à la maladie une existence autonome, indépendamment de l’organisme qui la supporte et qui se trouve attaqué (approche ontologique ou biomédicale). Pensons en particulier au XIXe siècle avec les découvertes expliquant les pathologies infectieuses (Cl.Bernard, Pasteur), confirmant ainsi la médecine dans son statut de science, initié déjà par les réflexions de Descartes. L’autre approche est de penser la santé et la maladie en termes globaux et totalisants, comme nous le rappellent d’ailleurs la médecine hippocratique et l’OMS.

Le mot « équilibre » est vague. Peut-on préciser ce terme? Est-ce marcher sur une corde raide entre deux précipices? Quels précipices?

La notion d’équilibre n’est pas aussi vague qu’elle paraît. L’équilibre peut être statique (un pont reliant deux rives) ou dynamique (le funambule qui doit sans cesse corriger les tensions). Lorsque nous disons que la santé est une affaire d’équilibre, nous l’entendons dans un sens dynamique qui situe l’être humain comme un acteur responsable. Les éléments très composites qui constituent la santé sont égaux. Lorsqu’un élément prend trop d’importance, il y a risque de déséquilibre pouvant s’exprimer sous la forme d’un dysfonctionnement. Alors interviennent les ressources propres à chacun.

L’image de la corde raide entre deux précipices est trop réductrice. Elle ne prend pas suffisamment en compte nos ressources internes et externes qui permettent de maintenir cet équilibre dynamique.

Santé en équilibre signifie-t-il bonheur, bien-être physique, moral et spirituel? Si c’était le cas, le chirurgien est impuissant à remettre lui seul son patient en « situation d’équilibre ». Il faut recourir à d’autres agents. Lesquels?

Si l’on admet que le bonheur est une résultante de plusieurs dimensions, nous pouvons garder cette proximité de sens. Par ailleurs, la définition que l’OMS a donné de la santé en 1946 introduit une notion particulièrement subjective mais centrale de « bien-être », tout en reconnaissant une vision globale et totalisante de la santé: »La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité« .

L’exemple du chirurgien introduit à nouveau les deux grands courants que nous évoquions plus haut: soit une approche médico-centrée, uniquement correctrice, réparatrice et thérapeutique visant l’organe malade; soit une approche plus globale, cherchant à relier certaines dimensions de la personne et de son environnement dans la demande de soins. Comment notre chirurgien va-t-il s’y prendre pour remettre son patient en situation d’équilibre? Il devra intégrer l’acte chirurgical dans la globalité de celui qui en fait la demande, en sachant bien toutefois que le « bien-être » ne sera jamais complètement atteint. Nous sommes dans une dynamique et le maintien en santé restera une question d’équilibre…

A la rigueur, selon cette nouvelle définition de la santé, on peut éprouver de la souffrance physique et demeurer « équilibré » malgré tout.

Prenons l’exemple des soins palliatifs qui sont donnés à des personnes pour lesquelles le choix de ne plus engager d’action curative en vue de guérir le mal a été fait avec leur accord. Il s’agit de les aider à vivre le mieux possible jusqu’à la fin de leur existence.

Si l’on arrive à maintenir cet équilibre visant le mieux possible – ce que nous appellerions « confort », une forme de sérénité, un « bien-être » – nous pourrions parler d’un cheminement en santé… vers la mort, les dimensions physique, psychique, sociale et spirituelle étant respectées. Je me permets ici de citer un auteur, Bernard Honoré, philosophe et psychiatre, qui évoque la santé comme « …l’appropriation d’une donation, qui fait l’objet d’une transmission, d’une passation par un don mutuel, qui est un avènement en soi du désir de vivre, de se maintenir en vie ».

Quelle nouvelle thérapie imaginer dans cette perspective?

La réponse va plus loin que la recherche d’une nouvelle thérapie. La santé comprise comme une question d’équilibre renvoie à une certaine vision de l’être humain. Comment nous situons-nous face à nous-mêmes et face aux autres? Georg Gadamer, philosophe contemporain (1900 – 2002) dans son livre « Philosophie de la santé » nous le redit:« La santé est une expérience d’équilibre ». La thérapie ne serait-elle pas alors de prendre au sérieux nos expériences de vie et de les utiliser comme des ressources pour recouvrer la santé? Aux professionnels de les intégrer dans leur anamnèse!

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Michel Fontaine

Michel Fontaine

Le frère dominicain Michel Fontaine enseigne à la Haute Ecole de Santé « La Source » à Lausanne. Il est également professeur invité à la Faculté de Médecine de l’Université de cette même ville. Notre revue, dont il fait partie du conseil de rédaction, l’a interrogé.

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