prison – Revue Sources https://www.revue-sources.org Wed, 04 Jan 2017 13:21:09 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.3.1 Dieu à genoux devant l’homme https://www.revue-sources.org/dieu-a-genoux-devant-lhomme-transmettre-la-foi-dans-un-lieu-de-souffrance/ https://www.revue-sources.org/dieu-a-genoux-devant-lhomme-transmettre-la-foi-dans-un-lieu-de-souffrance/#respond Tue, 01 Jan 2013 11:03:01 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=387 [print-me]

En 1996, j’ai prononcé mes premiers vœux moins d’un mois après l’assassinat de Pierre Claverie. Je me souviens à cette époque avoir été marquée par un texte que nous avions reçu pour Pâques, quelques mois avant, où il écrivait, parlant du sens de sa présence en Algérie:

Où serait l’Église de Jésus-Christ, elle-même Corps du Christ, si elle n’était pas là d’abord, présente dans les lieux de souffrance, dans les lieux de déréliction, d’abandon ? Je crois qu’elle meurt de n’être pas assez proche de la croix de son Seigneur. Si paradoxal que cela puisse paraître, et saint Paul le montre bien, la force, la vitalité, l’espérance chrétienne, la fécondité de l’Eglise viennent de là. Pas d’ailleurs, ni autrement. Tout, tout le reste n’est que poudre aux yeux, illusion mondaine. Elle se trompe l’Église, et elle trompe le monde, lorsqu’elle se situe comme une puissance parmi d’autres, comme une organisation humanitaire ou comme un mouvement évangélique à grand spectacle. Elle peut briller, elle ne brûle pas du feu de l’amour de Dieu «fort comme la mort» comme le dit le Cantique des Cantiques. «Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime.»

Elles étaient à genoux devant l’homme cloué là, qui avait choisi d’être du côté des coupables, sans les accuser, pour partager leur sort jusqu’au bout, et définitivement.

Depuis 1997, dans la prison où j’exerce la médecine, et dans ma vie religieuse, cette réflexion de Pierre Claverie n’a cessé de montrer sa pertinence et sa force. Je me souviens d’un jour, où exceptionnellement, j’avais participé à l’eucharistie avec les détenues, parce que des amis animaient la célébration, et que j’étais de garde ce jour-là. C’était l’épiphanie. Dans la salle de spectacle transformée en chapelle, il y avait une crèche devant l’autel et une grande croix de bois, sur le mur. Plus de 180 femmes étaient présentes, sur un total de 250 détenues (ce qui en fait la paroisse la plus pratiquante de France). Parmi elles, certaines de mes patientes, pas vraiment chrétiennes, délinquantes notoires et éminemment sympathiques. Au moment de la communion, toutes s’avançaient, et celles qui n’étaient pas baptisées ou ne communiaient pas avançaient aussi les bras croisés sur la poitrine. Tout à coup, je me suis rendue compte que près de dix d’entre elles, peut-être celles dont la vie était la plus cassée, étaient tombées à genoux devant la croix. La crèche, elles étaient passées devant presque sans la voir. Mais la croix, et ce type cloué dessus, elles avaient intuitivement compris que c’était leur histoire. Elles étaient à genoux devant l’homme cloué là, qui avait choisi d’être du côté des coupables, sans les accuser, pour partager leur sort jusqu’au bout, et définitivement. Où serait l’Eglise du Christ si elle n’était pas là d’abord?

La proposition de la foi n’est pas à comprendre en termes de transmission de valeurs. Ce que nous avons à proposer, c’est une rencontre, celle du Christ : Dieu à genoux devant l’homme à l’heure du jeudi saint et du lavement des pieds. Dieu crucifié entre deux bandits, à l’heure du vendredi. Dieu mort, visitant les morts, pour qu’aucun d’eux ne soit abandonné au royaume de la mort. Dieu, présent aujourd’hui si nous aussi sommes à genoux devant l’homme, si nous aussi acceptons de résister à l’accusation quitte à être rangés du côté des coupables, si nous nous laissons aimer de cet amour, «fort comme la mort», qui ne meurt pas avec la mort, mais en sort vainqueur.

La prison m’a fait lire l’évangile avec des yeux neufs, et entendre ce qui y est écrit: «Dieu n’a pas envoyé le Fils dans le monde pour qu’il juge le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui» (Jean 3,17) ou encore «Je n’ai perdu aucun de ceux que tu m’as donné» (Jean 17,12). Aucun. C’est-à-dire personne. «Hormis le fils de perdition» poursuit le texte. Mais qui est-il, ce fils de perdition, sinon le diviseur («diable» en grec), l’accusateur («satan» en hébreu), et non Judas ? Mais voilà, il faut avoir beaucoup perdu pour entendre la voix de celui qui vient tout sauver et pour reconnaître l’immense amour de celui, qui à l’heure de sa mort, prend encore la défense de ceux qui viennent de le trahir. «Ils ont gardé ta parole» (Jean 17,6), dit Jésus à son Père alors que Judas vient de le vendre, et Pierre de le renier.

Pour être crédible, l’Église de Jésus-Christ doit retrouver la croix de son Seigneur. Ne jamais accuser quiconque, mais partager la vie de ceux dont la pauvreté matérielle, affective, spirituelle, existentielle, pourrait les faire vaciller, et plus que tout reconnaître cette pauvreté en elle-même. Car elle existe jusque dans nos couvents; et la richesse de nos maisons peut étouffer ce qui pourtant était une chance, à l’origine de notre choix de vie: nous ne pouvions pas faire autrement que de chercher le seul qui pouvait rassembler nos vies éparses, et brinquebalantes. Cette brûlure, si nous ne l’étouffons pas, peut nous permettre d’être présents aux déchirures de ce monde, et de porter l’évangile de Jésus-Christ dans les lieux de souffrance, dans les lieux de déréliction, d’abandon.

La difficulté contemporaine pour transmettre la foi en Europe occidentale est peut-être finalement une chance: si nous devenons pauvres et fragiles, peut-être saurons-nous trouver des mots qui ne brillent pas, mais qui brûlent du feu de l’amour de Dieu?

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Sœur Anne Lécu, dominicaine de La Présentation, est médecin. Elle pratique son art dans une prison de femmes d’Ile de France.

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Quand Dieu s’invite en prison https://www.revue-sources.org/quand-dieu-sinvite-en-prison-2/ https://www.revue-sources.org/quand-dieu-sinvite-en-prison-2/#respond Tue, 01 Jan 2013 10:55:22 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=375 [print-me]

Notre Dieu, qui ne manque pas de créativité, nous donne rendez-vous dans des carrefours inattendus et insoupçonnés. La prison n’est pas exclusivement un lieu territorial, mais surtout un lieu «existentiel», marqué par l’expérience de la perte de sa liberté, de la douloureuse séparation des liens familiaux, de la confrontation avec soi-même.

Peut-elle devenir aussi le lieu de la proposition de la foi? En tant qu’aumôniers, nous essayons d’adapter nos pas au rythme de ceux et celles que nous accompagnons, de devenir «guetteurs» de l’œuvre de l’Esprit. Au fond, Dieu «se propose» Lui-même et ne cesse d’attirer à Lui tous ceux et celles qui le cherchent dans la sincérité du cœur.

Merci à nos deux frères dans la foi qui ont accepté d’oser une parole et de témoigner, avec leurs propres mots, de leur parcours spirituel. Que ces paroles puissent aussi redonner courage et espérance à toutes les personnes détenues qui, devant l’âpreté de l’expérience de l’incarcération, n’arrivent pas à «se redresser et à relever la tête». Oui, la grâce de Dieu peut transformer ce «temps perdu en temps fécond»!

Foi de nuit

En mars 2008, ma vie a basculé. J’entre en prison en abandonnant ma femme enceinte, à une semaine d’accoucher de notre enfant. Le ciel venait ainsi de tomber sur ma tête. Dès lors, la douleur, faite de culpabilité, de remords et d’enfermement s’est emparée de moi. J’étais complètement assommé et vidé de mon être. Les nuits m’étaient longues et surtout blanches. Mais de ces nuits torturantes, commençaient par s’échapper des réflexions mûres et approfondies sur ce que je suis, ce que je devrais être et ce qui devrait être ma priorité. Très vite, mes préoccupations allaient sur DIEU.

Je ne cherchais pas forcément un sauveur pour me sortir des antres du naufrage, je n’étais même pas dans la dynamique de recherche d’un salut. Mais j’étais épris de toutes sortes de questionnements sur Dieu et sur la spiritualité en général. La nuit, que je redoutais pour son âpreté, ne me pesait plus. J’y prenais même goût. Elle me permettait d’avancer dans ma réflexion. J’en étais arrivé à un stade où il fallait échanger avec une personne avertie sur ces sujets qui me passionnaient et qui transformaient mon incarcération en une sorte de quête.

Je fis appel aux aumôniers. De nos rencontres hebdomadaires, et de mes lectures de textes bibliques et philosophiques, s’est peaufinée et s’est forgée mon orientation spirituelle. Celle-ci sera renforcée au fil du temps. En somme, Dieu manifesta sa miséricorde à mon égard en me donnant cet irrésistible et imparable cheminement vers Lui. De ce cheminement, j’étais le seul à m’en dévier dans ma fratrie. En effet, par une conjonction d’événements, je n’ai pas été baptisé à ma naissance comme mes autres frères. Le trop plein de rationnel en moi ne m’aidait pas non plus à trouver les chemins sinueux mais combien salvateurs de la foi. Je végétais dans une sorte de néant spirituel. Au plan de l’Esprit et du partage de la Vérité, je n’existais pas. Mon incarcération est venue consacrer en moi cette Vérité dans l’Esprit.

Ma foi, que je conçois comme une audace, a pris toute sa dimension et sa force entre quatre murs, loin du charivari ambiant. J’étais face à moi-même, j’étais face à la Vérité. C’est-à-dire: «Je l’ai cherché, et il n’a pas détourné de moi sa face. Et maintenant, je le louerai dans la Grande Assemblée» (Ps 21, 1 Tm 6,16). Aujourd’hui mon esprit se trouve dans un état de gratitude et de félicité car le saint Mystère qui dépasse toute intelligence se révèle à moi. On m’a souvent dit que je suis né de la nuit, les ténèbres de la geôle et dans les dédales des barbelés. Je me retrouve sous la douce emprise du Seigneur et j’avance inlassablement sur mon chemin.

Maintenant, je me demande comment ai-je pu traverser toutes ces années sans cette foi, dépourvu de cette force apaisante et rassurante? Comment ai-je pu évoluer en dehors du champ de cette Lumière inhérente au Père des lumières (Jc 1,17)? Lumière qui m’a renouvelé et crée de nouveau à travers le Baptême. Comme quoi, des ténèbres (prison) peut jaillir la lumière. J’en suis une preuve. Jésus nous tend la main, où que nous sommes, quoi qu’on ait fait. Je suis honoré d’être dans cette Lumière, car: «Nul ne peut venir à moi si le Père qui m’a envoyé ne l’attire» (Jn 6,44) a dit le Christ. Si tout petit que je suis, si pécheur que je suis, le Seigneur m’attire à lui, alors sa Miséricorde et son Amour sont sans exclusive.

Cette tribune pour témoigner de cette Foi inébranlable au Christ Vivant est aussi une occasion pour moi de remercier très sincèrement l’évêque, qui a officié ma cérémonie de baptême, mon parrain et ma marraine et tout le personnel de la prison pour leur inestimable accompagnement sur ce chemin de l’Amour et de la Vérité dans le Christ.

Dominique*

Spirituellement libre

Dans mon pays d’origine, la religion nous est inculquée depuis que nous sommes tout petits, et comme tous les enfants j’ai appris comment prier le Notre Père et d’autres prières. Au fur et à mesure que le temps passait mon désir de mieux connaître augmentait. Quand je racontais à ma maman ce qui m’arrivait, elle me disait de prier car Dieu m’écouterait et me parlerait. C’est ainsi que j’ai fait, mais je n’ai reçu aucune réponse à mes prières; c’est à partir de ce moment que commença la plus grande recherche de ma vie.

Pendant longtemps j’ai été dans plusieurs lieux, j’ai parlé à plusieurs personnes afin qu’elles puissent m’aider à écouter Dieu, mais aucun lieu ni personne n’a pu m’aider.

Le temps a passé et il est arrivé un moment, dans ma vie, où tout a commencé à s’écrouler. Tout allait très mal pour moi; j’ai perdu mon travail, la proximité avec ma famille, ma vie de couple, une partie de ma joie et enfin ma liberté. Pendant longtemps, ici en prison, j’ai été préoccupé pour ma famille: j’étais son principal appui et je n’ai pas pu communiquer avec elle pendant six mois.

Depuis mon arrivée en prison, chaque jour je priais pour ma famille, je demandais conseil et un peu de sérénité et un jour j’ai reçu ce que j’avais tant cherché: une réponse.

Tout le monde dit qu’ici c’est un mauvais lieu et passe son temps en rêvant de sa famille ou en se demandant combien de temps va-t-il rester prisonnier. Je ne veux pas dire que pour moi ce n’était pas ainsi, mais je le vis d’une manière différente, sans trop m’occuper de quand je sortirais d’ici et en sachant que ma famille va bien.

Quand j’ai été incarcéré je pensais avoir tout perdu alors qu’en vérité, j’ai gagné beaucoup plus que ce que j’ai perdu.

Aujourd’hui, grâce à Dieu, je me sens spirituellement libre; bien que je sois dans une prison j’ai en moi une paix et une sérénité incroyables; j’ai retrouvé la joie que j’avais et elle est même plus grande qu’autrefois; j’ai des contacts avec ma famille qui reste pour moi un grand appui. Le temps que j’ai passé ici n’a pas été du temps perdu, mais, au contraire, je l’ai transformé en temps fécond.

Felipe*

* Prénoms fictifs

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Federica Cogo fait partie de l’aumônerie œcuménique d’un établissement pénitentiaire de Suisse romande.

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