Pologne – Revue Sources https://www.revue-sources.org Tue, 09 May 2017 16:05:02 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.3.1 Les jeunes vus par François https://www.revue-sources.org/jeunes-vus-francois/ https://www.revue-sources.org/jeunes-vus-francois/#respond Tue, 09 May 2017 16:05:02 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=2284 Depuis le début de son pontificat, le pape François a eu l’occasion de rencontrer des jeunes et de leur adresser un message à plusieurs reprises. Les Journées Mondiales de la Jeunesse à Rio en 2013 puis à Cracovie en 2016, mais aussi les JMJ intermédiaires, journées au cours desquelles il leur a adressé un message particulier sur les Béatitudes, les rencontres avec les jeunes de divers pays, l’annonce du synode de 2018 qui leur sera consacré… Ses discours ont tous ce style très direct qui caractérise bien le pape mais qui se voit amplifié lorsqu’il s’adresse aux jeunes, engageant régulièrement un dialogue avec eux. [print-me]

Ces adresses aux jeunes sont traversées par des thématiques récurrentes que le pape défend fermement et que nous nous efforcerons de relever ici. Mais au travers de ces exhortations, il appelle avant tout les jeunes chrétiens à être des acteurs décisifs du monde dans lequel ils vivent, les moteurs d’une transformation évangélique de la société.

Des jeunes à écouter et encourager

François commence par écouter les jeunes avec attention: «J’aime parler avec les jeunes. Et j’aime écouter les jeunes. Ils me mettent toujours en difficulté, parce qu’ils me disent des choses auxquelles je n’ai pas pensé ou auxquelles je n’ai pensé qu’à moitié» (Conférence de presse du vol retour de Cracovie). Oui, les jeunes viennent bousculer leurs aînés, ils viennent les secouer, les réveiller même parfois et c’est vital, c’est cela que François veut signifier. Ces choses auxquelles il n’a pas pensé ou pensé qu’à moitié, il ne cesse d’encourager les jeunes à les dire haut et fort.

« C’est sûr qu’ils feront des stupidités. Mais n’ayons pas peur! »

L’idée du prochain synode se trouve là: se mettre à l’écoute de tout ce que les jeunes ont à dire. «L’Église même désire se mettre à l’écoute de votre voix, de votre sensibilité, de votre foi; voire de vos doutes et de vos critiques. Faites entendre votre cri.» Et c’est même tous les jeunes qui sont appelés à faire entendre leur voix, qu’ils soient croyants ou non: «Le synode est un synode pour tous les jeunes! Les jeunes en sont les protagonistes. “Mais, même les jeunes qui se sont éloignés de l’Église?” Oui! “Même les jeunes – je ne sais pas s’il y en a… peut-être y en aura-t-il – qui se sentent athées!” «Oui! c’est le synode des jeunes, et nous voulons nous écouter. Chaque jeune a quelque chose à dire aux autres, a quelque chose à dire aux adultes, a quelque chose à dire aux prêtres, aux sœurs, aux évêques et au pape. Tous nous avons besoin de vous écouter!» (Veillée avec les jeunes, 8 avril 2017).

François en est persuadé, les jeunes ont beaucoup à apporter au monde: «Aujourd’hui, nous les adultes, nous avons besoin de vous, pour nous enseigner à cohabiter dans la diversité, le dialogue, en partageant la multi-culturalité non pas comme une menace mais comme une opportunité. […] Ayez le courage de nous enseigner qu’il est plus facile de construire des ponts que d’élever des murs!» (Veillée Cracovie). Pour cela, il est essentiel de les laisser parler, de les encourager, puis de les pousser à agir, comme il le disait aux pasteurs et futurs pasteurs, évêques, prêtres, religieux et séminaristes, à Cracovie: «Poussons les jeunes pour qu’ils sortent! C’est sûr qu’ils feront des stupidités. N’ayons pas peur! Les apôtres les ont faites avant nous. Poussons-les à sortir. Pensons avec décision à la pastorale en partant de la périphérie, en partant de ceux qui sont les plus loin, de ceux qui d’habitude ne fréquentent pas la paroisse. Ils sont les invités VIP. Allez les chercher aux carrefours des routes.» (Messe avec les évêques, les prêtres, les religieux et les séminaristes, Rio).

Une soif inextinguible

Il y a une soif spirituelle et le pape François appelle les jeunes à se former, mais cette soif s’incarne aussi dans la recherche d’un monde plus juste. Face aux injustices, il exhorte la jeunesse à ne pas baisser les bras, à ne pas capituler devant la mission qui est la sienne. Il fustige ainsi d’abord à Rio les jeunes qui regardent la vie depuis le «balcon» puis à Cracovie, ceux qui sont empêtrés dans leur confort et devenus des jeunes «divan», ce sont les termes phares des veillées des deux JMJ internationales.

«Ne laissez pas les autres être protagonistes du changement! Vous, vous êtes ceux qui ont l’avenir! Vous… Par vous l’avenir entre dans le monde. Je vous demande aussi d’être protagonistes de ce changement. Continuez à vaincre l’apathie, en donnant une réponse chrétienne aux inquiétudes sociales et politiques, présentes dans diverses parties du monde. Je vous demande d’être constructeurs du monde, de vous mettre au travail pour un monde meilleur. Chers jeunes, s’il vous plaît, ne regardez pas la vie “du balcon”, mettez-vous en elle. Jésus n’est pas resté au balcon, il s’est immergé; ne regardez pas la vie du balcon, immergez-vous en elle comme l’a fait Jésus» (Veillée de prière, Rio).

Cette soif spirituelle s’incarne aussi dans la recherche d’un monde plus juste.

«Dans la vie, il y a une paralysie […] dangereuse et souvent difficile à identifier et qu’il nous coûte beaucoup de reconnaître. J’aime l’appeler la paralysie qui naît lorsque l’on confond le bonheur avec un divan. Oui, croire que pour être heureux, nous avons besoin d’un bon divan. Un divan qui nous aide à nous sentir à l’aise, tranquilles, bien en sécurité. […] Un divan contre toute espèce de douleur et de crainte» (Veillée de prière, Cracovie).

Et il confie cette phrase de Pier Giorgio Frassati, comme un remède à cette léthargie: «Nous ne devons pas vivoter, mais vivre». (Pour la XXIXe JMJ 2014).

Un appel radical

Pour ne pas tomber dans cette tentation de capituler, l’idéal proposé est grand. Les jeunes sont appelés à se mettre radicalement en route pour servir leurs frères. «Aujourd’hui, l’humanité a besoin d’hommes et de femmes, et de manière particulière de jeunes comme vous, qui ne veulent pas vivre leur vie à moitié, des jeunes prêts à consacrer leur vie au service gratuit des frères les plus pauvres et les plus faibles, à l’imitation du Christ qui s’est donné tout entier pour notre salut. Face au mal, à la souffrance, au péché, l’unique réponse possible pour le disciple de Jésus est le don de soi, y compris de sa vie, l’imitation du Christ; c’est l’attitude du service. Si quelqu’un, qui se dit chrétien, ne vit pas pour servir, sa vie ne vaut pas la peine d’être vécue».

L’appel est exigeant. Il ne s’agit pas moins que du don de sa vie pour le service. Voilà ce que François propose aux cœurs assoiffés des jeunes générations.

Faire du Christ un ami cher

Ce don total, c’est à l’école du Christ que chacun peut l’apprendre. Le Dieu des chrétiens est un Dieu personnel qui s’est fait homme et que l’on peut rencontrer dans la prière et les sacrements. C’est une relation intime avec lui que le croyant peut nouer fidèlement. Ici, François insiste sur la possibilité et même la nécessité pour les jeunes chrétiens de faire de Jésus un ami, un ami cher. À de nombreuses reprises il insiste sur ce point essentiel qui rend la foi véritablement vivante, cette question qui vient toucher le plus profond des cœurs: «Savez-vous parler avec Jésus, le Père, avec l’Esprit Saint, comme on parle avec un ami? Et pas n’importe quel ami, mais votre meilleur et plus fidèle ami?» (xxxe JMJ, 2015).

«C’est bien en lui que la soif d’idéal pourra être assouvie, il n’y a qu’en lui que «se trouve le plein accomplissement de vos rêves de bonté et de bonheur. Lui seul peut satisfaire vos attentes, tant de fois déçues par les fausses promesses du monde» (xxxe JMJ, 2015).

À contre-courant

Là où l’infini habite leur cœur, les jeunes doivent être encouragés à persévérer et à ne pas se conformer à l’idée du monde mais plutôt à bâtir eux-mêmes un monde plus juste, loin des canons de la réussite et du succès qui est en même temps indissociablement un appel au bonheur: «Ayez le courage d’aller à contre-courant. Ayez le courage d’être heureux» (Rencontre avec les volontaires, Rio). Pour cela, il met en garde contre les «liturgies mondaines» et le «maquillage de l’âme» (Messe Cracovie): «Ne vous laissez pas anesthésier l’âme, mais visez l’objectif du bel amour, qui demande aussi le renoncement, et un “non” fort au dopping du succès à tout prix et à la drogue de penser seulement à soi» (Messe Cracovie).

«À vous les jeunes, je confie d’une façon particulière la tâche de remettre la solidarité au centre de la culture humaine. Face aux anciennes et aux nouvelles formes de pauvreté – le chômage, l’émigration, les dépendances en tout genre –, nous avons le devoir d’être attentifs et vigilants, et de vaincre l’indifférence». Dans leur foi, les jeunes peuvent puiser le courage nécessaire pour faire cette terre nouvelle car «la foi est révolutionnaire et moi je demande à chacun de vous aujourd’hui: es-tu prêt, es-tu prête à entrer dans cette onde révolutionnaire de la foi? C’est en y entrant seulement que ta vie aura un sens et sera ainsi féconde!» (Fête d’accueil des jeunes, Rio)

Le pape encourage les jeunes avec empressement à se tourner vers leurs grands-parents ou les personnes âgées

Mais en parallèle de cette exigence lancée aux jeunes, François rappelle régulièrement que leurs aînés doivent aussi leur octroyer une place dans la société qui puisse leur donner la possibilité de mener une vie digne. Le chômage est l’un des principaux soucis pour de nombreux jeunes et le pape rappelle avec force la place qui doit leur être donnée et l’opportunité de faire valoir leurs talents.

Point central de ses discours aux jeunes et donc pilier de la vision de la société qu’il leur propose: dans quasiment chacun de ses messages adressés aux jeunes, le pape les encourage avec empressement à se tourner vers leurs grands-parents ou les personnes âgées qui sont notre mémoire vive: «Nous avons besoin de ce pont, du dialogue entre les grands-parents et les jeunes.» «Écoute les anciens. Fais qu’ils rêvent et que tu prennes toi ces rêves pour aller de l’avant, pour prophétiser et rendre concrète cette prophétie.» Que l’un et l’autre extrême de la société ne soient pas abandonnés par la marche frénétique du monde mais qu’ils prennent justement soin les uns des autres.

Allez. Sans peur. Pour servir.

Lors de la messe de clôture des JMJ de Rio, le pape François a laissé trois injonctions aux jeunes du monde entier, et je crois qu’elles constituent le cœur du message qu’il leur adresse au fil des ans: «Allez, sans peur, pour servir». Les jeunes sont appelés à être des missionnaires de par le monde, des missionnaires aux périphéries de leurs paroisses, des missionnaires vers d’autres jeunes, ils sont appelés à aller à la rencontre, des autres générations, des jeunes de toutes les nations, comme l’illustrent si bien les JMJ. Alors que la tentation du repli sur soi résonne à travers le monde, ils sont appelés à ne pas avoir peur. La peur paralyse, elle empêche, elle réduit, impossible d’être des disciples joyeux du Christ si l’on est emprisonné par la peur. Et enfin: pour servir. Le message de l’Evangile est on ne peut plus actuel, la vie du chrétien véritable est une vie de service et de don de soi, une vie bien différente de ce que les canons de réussite de nos sociétés peuvent présenter. Mais c’est bien dans ce service à contre-courant de l’esprit du temps que les jeunes sont appelés à ancrer solidement leur vie. Et vraiment, quand on lit tous ces textes du pape, on ressent l’urgent besoin d’aller sans peur pour servir car il semblerait bien qu’un monde plus juste soit possible…

Aux centaines de milliers de jeunes rassemblés à Cracovie, François disait: «Le monde nous regarde!» Oui, le monde nous regarde, le monde a besoin de jeunes chrétiens qui témoignent joyeusement, car la joie est témoignage elle aussi, du Christ de manière incarnée et «révolutionnaire»!


Propos recueillis par Marie Larivé, éditrice. 

]]>
https://www.revue-sources.org/jeunes-vus-francois/feed/ 0
Etre dominicain en Pologne https://www.revue-sources.org/etre-dominicain-pologne/ https://www.revue-sources.org/etre-dominicain-pologne/#respond Sat, 04 Apr 2015 09:09:15 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=108 [print-me]

Merci de vous présenter à nos lecteurs et leur faire connaître les raisons de votre séjour à Fribourg.

Je suis entré dans l’Ordre dominicain en 2003, à l’âge de 19 ans, dès la fin de mes études secondaires. J’étais très jeune à cette époque. Peut-être pourrait-on penser que j’étais trop jeune pour prendre une telle décision. C’est vrai. Je conseillerais aujourd’hui à chaque candidat à la vie dominicaine d’entreprendre des études supérieures et d’avoir une certaine expérience professionnelle. Mais c’est aussi Dieu qui choisit le temps approprié à chacun pour l’appeler à la vie religieuse. Malgré mon âge, je pense que j’étais assez mûr pour cette démarche. Ma décision fut précédée d’un discernement sérieux.

Après mon entrée dans l’Ordre, j’ai fait un an de noviciat à Poznan. Puis, j’ai étudié deux années et demie la philosophie à Varsovie et trois ans et demi la théologie à Cracovie. Entre mes études de philosophie et de théologie, j’ai tiré profit d’un stage à Dublin, en Irlande, pour apprendre l’anglais, tout en faisant une expérience de vie dominicaine dans une autre Province que la mienne.

J’ai été ordonné prêtre en 2011 et passai ensuite deux ans au couvent de Poznan. Ce fut une période très exigeante pour moi, mais aussi très belle. Je partageais mon temps entre une aumônerie d’étudiants et un travail dans une maison d’édition appartenant à notre Province dominicaine. Encore aujourd’hui, je garde des contacts avec ces étudiants dont la foi et l’engagement religieux me fortifient. J’entretiens aussi des relations avec la maison d’édition. Chaque mois je lui fais parvenir des critiques de livres.

Depuis septembre 2013 je réside au couvent St-Hyacinthe de Fribourg où je poursuis mes études à la Faculté de Théologie. J’ai terminé la licence canonique en 2014 et commence cette année un doctorat en ecclésiologie.

Parlez-nous de l’implantation des Dominicains en Pologne…

La création de la Province de Pologne coïncide avec les origines de notre Ordre, soit dans les années 20 du XIIIe siècle. Cette histoire est liée à la personne de saint Hyacinthe, connu comme le premier Dominicain polonais et père-fondateur de notre Province. Il fut envoyé en Italie par son oncle, l’évêque de Cracovie, et rencontra saint Dominique qui lui donna l’habit de l’Ordre.

Le rayonnement de saint Hyacinthe fut tel que beaucoup de jeunes gens voulurent partager sa façon de vivre.

Après son noviciat, Hyacinthe rentra en Pologne et fonda le couvent de Cracovie en 1222. Le bienheureux Czeslaw qui était son compagnon dans cette aventure prit l’habit dominicain avec lui et fonda pour sa part le couvent de Wroclaw en 1226. Le rayonnement de saint Hyacinthe fut tel que beaucoup de jeunes gens voulurent partager sa façon de vivre. La vie dominicaine se répandit très vite. Déjà, dans les années 1250 la Province de Pologne comptait 32 couvents et maisons. Ce qui est intéressant est le fait que le couvent de Cracovie est un de trois couvents de l’Ordre où des frères vivent encore aujourd’hui, sans aucune interruption depuis la fondation.

Et de nos jours, qu’en est-il ?

Je trouve que la situation de ma Province est relativement bonne. Depuis environ trente-cinq ans, Dieu nous donne chaque année plusieurs vocations. Combien sommes-nous aujourd’hui ? Je viens de jeter un coup d’oeil sur nos statistiques et je remarque que nous comptons de nos jours 450 frères, fils de notre Province, dont quelques 60 frères étudiants et 19 novices. Nous avons 16 couvents et 4 maisons en Pologne et 2 maisons hors du pays, à Munich et à Witebsk en Bielorussie. Actuellement, près de 100 frères vivent hors des frontières polonaises pour des raisons de ministère ou d’étude.

Depuis environ trente-cinq ans, Dieu nous donne chaque année plusieurs vocations.

Les vocations furent nombreuses au début des années 80. Leur nombre est resté plus ou moins stable alors que les autres Ordres religieux et les grands séminaires ont connu un net fléchissement au cours de la même période. Donc, pas de baisse significative de vocations chez les Dominicains polonais. Une Province jeune. Peu de frères ont dépassé la soixantaine.

Quels sont les facteurs favorables ou défavorables à la progression de l’effectif dominicain en Pologne ?

Tout d’abord, avant de procéder à une analyse sociologique de nos effectifs, je voudrais dire que chaque vocation est un don de Dieu. Je dirai même que la stabilité de leur nombre est une bénédiction. Chaque vocation doit susciter notre gratitude. Dieu nous fait confiance en nous donnant autant de frères. Nous devons mériter cette confiance et donc ne pas perdre ce qu’Il nous donne.

Quels sont les facteurs favorables ou défavorables à cette situation? Il est évident qu’il n’y a pas qu’un seul facteur, mais plutôt une complexité. Le plus important est le mode de vie des frères. C’est lui qui attire les jeunes. Quand je dis « mode de vie », je pense à la vie communautaire qui s’exprime par une liturgie soigneusement célébrée, par de nombreux projets apostoliques et intellectuels, non pas individuels et isolés mais communs. J’ajoute l’enthousiasme et tout simplement la joie de vivre ensemble.

Nos couvents sont comme des lieux vibrants.

Tout cela fait que nos couvents sont comme des lieux vibrants. Beaucoup de jeunes gens entrent chez nous après avoir fait partie de nos aumôneries d’étudiants ou après avoir partagé l’apostolat des frères. Il y a aussi ceux qui ont rencontré les Dominicains grâce à nos medias. Ils se sont rendus compte que ce que disaient les frères n’étaient pas tout à fait stupide !

Je trouve que les jeunes gens qui pensent à marcher sur le chemin de la vie consacrée cherchent d’abord des communautés vivantes où ils pourraient partager la foi et la joie de l’Evangile. Des communautés qui sont le soutien de la prédication. Je souligne fortement le rôle des communautés solides, parce que ceux qui frappent à la porte de notre Ordre portent fréquemment des poids très lourds : le poids des familles décomposées, le poids des dépendances et des addictions, la difficulté d’être chrétien dans une société de plus en plus déchristianisée. Une communauté religieuse saine peut les fortifier pour qu’ils deviennent de courageux prêcheurs de l’Evangile.

Quels projets apostoliques, quelle mission a la Province dominicaine polonaise aujourd’hui ?

Avant d’énumérer des projets spécifiques, je voudrais d’abord dire que chaque communauté exerce le ministère de prédication, des confessions et des rencontres personnelles. Pour se faire une idée de cet engagement, il suffit de rappeler que près de dix mille personnes fréquentent les diverses messes dominicales du couvent de Cracovie.

Dans les autres villes le nombre de participants n’est pas aussi important, mais nos églises sont quasi pleines le dimanche. Alors qu’on observe une baisse générale de la fréquentation des messes dominicales en Pologne. Tous les couvents des grandes villes disposent de frères aumôniers d’étudiants ou de collégiens. S’y rassemblent aussi divers groupes de prières ou des fiancés qui préparent leur mariage.

« Nous avons besoin de renforcer les institutions intellectuelles de la Province »

Quant aux projets plus spécifiques, il faut d’abord mentionner le Studium dominicain affilié à l’Université Pontificale de Cracovie où nos frères étudient. Plusieurs frères donnent des cours au Studium, mais on invite aussi des professeurs d’autres universités. La Province gère une maison d’édition qui publie près de quarante nouveaux titres par an et un mensuel consacré à la vie chrétienne. Son tirage avoisine les six à sept mille exemplaires.

Il faut mentionner aussi des institutions de réflexion intellectuelle: l’Institut St-Thomas d’Aquin, l’Institut Historique et l’Institut Liturgique, de même que les Centres d’aide et d’information sur les sectes et nouveaux mouvements religieux. La Province anime encore deux sanctuaires mariaux, gère huit paroisses et un couvent de prédication itinérante.

Un engagement très varié. Et pas de points faibles ?

Des points faibles ? Je pourrai au moins en mentionner deux. D’abord, le manque de culture d’étude. Nous avons besoin de renforcer les institutions intellectuelles de la Province et de redécouvrir la dimension intellectuelle comme pôle essentiel de la vie de chaque frère. Nous sommes maintenant en état de rattraper les arriérés du passé, surtout ceux des années du communisme. A cette époque, les frères étaient surtout cloisonnés dans le travail paroissial, sans beaucoup de contact avec le monde, y compris le monde intellectuel. Les nouvelles générations de frères n’ont pas hérité de leurs aînés cet engouement pour l’étude qui, à mon avis, est essentiel à notre vocation dominicaine.

Un autre point faible est le manque de générosité et d’ouverture pour sortir de nos habitudes sédentaires, partir à l’étranger, ou emprunter dans notre pays de nouveaux chemins de rayonnement évangélique. Les frères sont assurément bien occupés avec leurs charges actuelles. Je pense néanmoins qu’ils s’y habituent trop et sont trop facilement contents de ce qu’ils font depuis toujours. Nous risquons de perdre l’esprit de mission.

A mon avis, la richesse des vocations devrait nous interroger sur ce que l’Esprit dit à l’Eglise. Quels sont les exigences et les besoins de l’Eglise et du monde d’aujourd’hui ? Quelle est la mission des dominicains dans notre monde, là où nous vivons ? Il faut maintenir vive la conscience missionnaire, au sens large de ce terme. A ce sujet, il vaut la peine de se demander si le travail réalisé par six frères ne pourrait pas être fait par quatre, de manière à envoyer les deux frères restants relever ailleurs de nouveaux défis.

Des frères dominicains polonais travaillent-ils en Ukraine ou en Russie ?

A partir de l’année 2016, c’est-à-dire après la mise en place des changements institutionnels dans notre Ordre, la présence des Dominicains polonais en Russie et en Ukraine sera plus formelle que maintenant. Il existe actuellement un Vicariat Général de Russie et d’Ukraine, comprenant deux couvents (Saint-Petersbourg et Kiew) et quatre maisons (Fastiv, Chortkiv, Yalta et Lviv) où travaillent une quinzaine de frères polonais et une dizaine de frères ukrainiens. Le Vicariat Général sera transformé en Vicariat Provincial de la Province de Pologne, avec un couvent (Saint-Petersbourg) hors des frontières de la Province.

Sans connaître avec exactitude le travail des frères dans cette région, je sais que leurs activités sont à la fois variées et appropriées à leurs lieux d’implantation. Il faut prendre en compte les grandes différences culturelles, linguistiques et de mentalité entre ces villes si éloignées les unes des autres. Mille deux cents kilomètres séparent Kiew de Saint-Petersbourg et autant de kilomètres entre Lviv et Yalta !

A Saint-Petersbourg, les frères administrent une paroisse de langue russe qui se trouve au centre-ville.

A Saint-Petersbourg, les frères administrent une paroisse de langue russe qui se trouve au centre-ville. (La fameuse église Ste-Catherine, sur la Perspective Nevski). Chaque dimanche, ils célèbrent aussi les messes en anglais, français, espagnol et polonais à l’intention de la communauté internationale. A Kiew, les frères dirigent l’Institut des Sciences Religieuses (Institut St-Thomas d’Aquin) où ils offrent des études de Master de quatre ans et des cours de durée plus courte. Ils tiennent aussi une maison d’édition qui publie cinq à dix titres par an en russe et en ukrainien et un bimensuel tiré à 8000 exemplaires. Par contre, la spécificité du travail des frères de Fastiv est absolument différente. Cette ville très pauvre située à environ quatre-vingt kilomètres de Kiew est touchée par diverses pathologies familiales. Les frères accueillent dans un Foyer de jour des enfants démunis.

L’ensemble de ce Vicariat est évidement situé en territoire orthodoxe. Les catholiques y sont minoritaires. Les frères sont attentifs au dialogue oecuménique ou, plus simplement, à la nécessité d’établir des contacts avec les prêtres orthodoxes.

Quel avenir pour l’Ordre dominicain en Pologne ?

Je ne suis pas visionnaire au point de projeter l’avenir de ma Province. Je peux tout au plus partager quelques rêves. Non pas des rêves illusoires, mais fondés sur la réalité.

Je souhaite que les Dominicains en Pologne aient plus d’impact dans la réflexion théologique. On a absolument besoin dans notre pays d’une culture théologique au plus haut niveau. Les Dominicains sont particulièrement prédestinés à travailler sur ce champ. Nos divers Instituts théologiques ont besoin d’être renforcés pour atteindre un plus large rayonnement.

Je souhaite que les gens qui choisissent nos églises y soient attirés par la qualité des homélies et de nos liturgies.

Mon second rêve concerne le travail dans le monde universitaire. Plusieurs frères sont aumôniers d’étudiants et leur travail est vraiment nécessaire. Mais il faut cependant que leur présence apostolique ne se limite pas aux étudiants, mais embrasse l’ensemble du monde universitaire, et tout particulièrement les professeurs.

Le troisième rêve est typiquement dominicain. Je souhaite que les gens qui choisissent nos églises y soient attirés par la qualité des homélies et de nos liturgies. Des prédications brèves mais soigneusement préparées et des célébrations qui ne soient pas que des actes techniques, mais ouvrent la porte au mystère.

Que regard portez-vous sur l’Europe de l’Ouest et sur son Eglise en particulier ?

Question complexe. D’une part, je crains que mon regard sur l’Eglise d’Europe de l’Ouest ne soit que superficiel. Chaque Eglise locale porte sa spécificité et son histoire. En particulier, les Eglises de Suisse ou d’Irlande que j’ai un peu contactées. Quoi de plus différent !

D’autre part, l’Eglise de Pologne dans laquelle j’ai grandi est aussi une Eglise d’Europe, exposée aux mêmes courants que les autres Eglises de ce continent. Peut-être avec une autre intensité et une autre extension. Mais ce sont les mêmes courants. J’ai trente ans aujourd’hui ; j’en avais cinq lors de la chute du communisme. En fait, les gens de ma génération, et moi-même parmi eux, ne se souviennent pas et ne connaissent pas le temps du communisme. Nous grandissions au moment où les courants qui soufflaient de l’Ouest, bons ou mauvais, atteignirent notre pays de plein fouet.

J’espère que le renouvellement de l’Eglise en Europe va venir de là où la foi est vécue comme un engagement personnel pour la vie et non pas comme quelque chose d’accidentel.

Nous vivons donc sur un continent qui, dans sa grande partie, est devenu post-chrétien. Nous devons nous confronter et répondre à une somme de préjugés qui se rapporte aux chrétiens, mais surtout aux catholiques. Des préjugés venant de partout, aussi bien du monde intellectuel que des couches populaires. Franchement, et c’est assez triste, je ne décèle pas un avenir lumineux pour une Eglise réduite à la tradition, à la culture, aux purs actes de culte ou aux opinions intellectuelles. Par contre, j’espère que le renouvellement de l’Eglise en Europe va venir de là où la foi est vécue comme un engagement personnel pour la vie et non pas comme quelque chose d’accidentel.

Pour que la foi soit forte, trois facteurs sont indispensables: la prière personnelle, l’expérience de la communauté des croyants et la formation intellectuelle. Je veux dire par là que ce ne sont pas les facteurs sociologiques extérieurs qui sont les plus importants et qui causent la crise de l’Eglise. Je ne suis pas fataliste. Je ne tremble pas quand je pense à l’avenir de l’Eglise en Europe.

La Pologne a-t-elle une mission particulière à faire valoir au sein de l’Eglise universelle ?

J’ai une simple réponse à donner à cette question. Il n’existe pas de pays qui plus qu’un autre a un grand rôle à jouer dans l’Eglise. Chaque Eglise locale, comme chaque chrétien, est appelée à donner un témoignage crédible.

Quand je regarde l’Eglise en Pologne je me dis que la Pologne a la « chance » (mais je souligne : il ne s’agit qu’une chance, non d’une mission) de construire une société économiquement développée dans laquelle la foi aura une place importante. Tout simplement, la chance de montrer que le développement économique n’entraîne pas en soi l’abandon de la foi.

[print-me]


Le frère dominicain Lukasz, né à Gdansk en 1984, est doctorant en théologie à l’Université de Fribourg et réside au couvent St-Hyacinthe de cette même ville. Il nous fait découvrir son pays, son Eglise et les Dominicains polonais.

]]>
https://www.revue-sources.org/etre-dominicain-pologne/feed/ 0