philosophie – Revue Sources https://www.revue-sources.org Thu, 15 Mar 2018 09:25:21 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.3.1 Edith Stein https://www.revue-sources.org/edith-stein/ https://www.revue-sources.org/edith-stein/#respond Thu, 15 Mar 2018 00:45:54 +0000 https://revue-sources.cath.ch/?p=2546

Flurin Spescha, suisse de culture romanche, a passé une grande partie de sa vie professionnelle à enseigner la philosophie dans un collège de Genève.

A l’heure de la retraite, conseillé par un éditeur genevois, il entreprend des recherches approfondies sur le parcours philosophique et religieux d’Edith Stein, morte au camp d’extermination d’Auschwitz le 9 août 1942. Traducteur en français de l’une et l’autre des œuvres de la philosophe juive allemande, devenue carmélite, Flurin Spescha vient de faire paraître aux Editions du Carmel (Toulouse 2017) un dernier ouvrage consacré à Edith Stein: «Au service d’une pensée. Edith Stein traductrice».

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Peuple et Bien commun https://www.revue-sources.org/peuple-bien-commun/ https://www.revue-sources.org/peuple-bien-commun/#respond Mon, 24 Jul 2017 07:00:13 +0000 https://revue-sources.cath.ch/?p=2339 [print-me]C’est entre autres à Jules Michelet et Victor Hugo que nous devons l’idée romantique du «peuple», réhabilité comme l’authentique acteur de l’histoire. Un concept qu’allait reprendre Marx. Peuple des pavés en 1830, de la Révolution manquée en 1848, et de toutes les révolutions de nos cent dernières années. De 1917 au djihad actuel. peuple déifié. Vox populi, vox Dei: Vraiment?

Quid de tant de peuples sanguinaires, coupeurs de tête et sicaires de la culture, aveuglés par émotions et fanatisme? Comment donner légitimement la parole aux peuples écrasés sans pour autant flatter les populismes de bas étage qui manipulent et utilisent ceux qu’ils réduisent au rôle de vulgaire populace, dans le seul but de sauvegarder les intérêts les plus vils et les plus égocentriques?

Une troisième voie

La question est réapparue avec force dans les années 30 du siècle dernier, quand s’affrontaient le communisme stalinien, voix officielle d’un peuple, en fait réduit au mutisme, et les totalitarismes nazis et fascistes, ténors de grands mythes patriotiques.

C’est à chercher une troisième voie que s’est attelé le personnalisme, de Berdiaeff à Mounier et Ricoeur, porté en particulier par la revue Esprit. Un courant, plus qu’un système, ce qui était plutôt rassurant en des temps ou les idéologies faisaient florès.

Valoriser le peuple: s’atteler à créer une société où chacun est appelé à donner le meilleur de soi

Son intuition? Prendre en compte toutes les dimensions de l’humain. Le JE d’abord: totalement légitime, à condition de lui permettre de se déployer dans toutes sa réalité, tant physique qu’affective et intellectuelle. Pour rappeler que la personne prime la fonction, que la conscience représente la dernière instance face à la loi. Mais une personne ouverte, en appel de l’autre, qui la dévoile et lui donne sa densité, de ce TU cher à Levinas: visage contre visage, cœur à cœur, confiance des parents, interpellation de l’éducateur, sourire de l’aimé.

Un TU lui-même curieux du vaste monde divers et déconcertant du IL, celui des codes, de l’ordre nécessaire mais pas final, tout en récusant le ON kafkaien qui broie les âmes et conduit en absurdie.

Pour devenir un NOUS en marche, tissé de voix plurielles, qui cherchent ensemble leur voie sans prétendre à une posture exclusive. Un NOUS porté par quoi? Précisément par un vouloir-vivre initial qui se nourrit de la relation amicale ou amoureuse et inclut la diversité sociétale. Visée d’un bien commun, aussi large que possible, sans pour autant sacrifier les droits des individus.

Exercice d’équilibriste, me rétorquerez-vous? Oui, certainement, comme tout ce qui est riche de sens.

Une bonne nouvelle

N’est-ce pas précisément cela, la Bonne Nouvelle? Le Christ Lui-même ne passe-t-il pas constamment d’un registre à l’autre? Il se retire maintes fois dans le désert ou sur une montagne pour reprendre corps, sens et souffle. Il privilégie les tête-à-tête, avec ses disciples, avec des inconnus rencontrés au bord de la route et pas toujours très fréquentables, du collecteur d’impôts honni à la Samaritaine de vie douteuse sur la margelle d’un puits ou la syro-phénicienne aux franges de la Palestine. Il risque des bains de foules au milieu de gens de tous bords et de toutes croyances. Mais surtout, il fidélise longuement ce noyau de NOUS qui aura encore besoin de l’Esprit de la Pentecôte pour enfin comprendre – si peu – la folie de Dieu pour son peuple.

Une folie qui s’abreuve aux sources vives trinitaires. Contrairement à un roi soleil superbe, méprisant la plèbe, le Père envoie Son Fils bien-aimé vers son peuple. Et à son tour le Fils délègue l’Esprit pour transformer ce peuple de pierre en peuple de frères. Le Christ ne joue jamais au démagogue, ne prétend pas apporter une vérité établie ou s’imposer comme un gourou. Mais il surprend et déconcerte en renvoyant constamment à l’autre: «Toi, que dis-tu? et à un Autre: «Celui qui m’a envoyé…»

Loin d’être donnée abruptement la vérité se construit: constamment, patiemment, âprement. Elle sera d’autant plus authentique qu’elle prendra de la hauteur – le contraire de la morgue hautaine! – pour évaluer l’ensemble des défis sans prendre des décisions partisanes. A l’instar du Christ, elle refusera de se laisser piéger par les tentations de l’avoir, du pouvoir et du savoir: corps mal aimés d’être trop adulés, volonté dévoyée, connaissances déconnectées de la vie.

Valoriser, mais non flatter

Valoriser le peuple ne signifie pas flatter ses bas instincts, son rêve autoritariste ou son fantasme de totale maîtrise. Mais s’atteler – ensemble, en NOUS – à créer une société où chacun est appelé à donner le meilleur de soi, de son JE. Où la créativité débouche sur plus de joie de vivre, parce que les potentialités de chacun sont valorisées.

Un peu partout sur la planète, des indignés de tout âge aspirent à reprendre leur destin en main pour le transformer en destinée, à refuser la servilité pour se mettre au service les uns des autres. Dans nos pays occidentaux, encore bien nantis même si la paupérisation gagne hélas du terrain, nous sommes largement outillés pour refuser des évolutions mortifères, qui trompent le bon peuple en lui vendant de la «malbouffe», de la culture de pacotille et de la mauvaise croissance.

Alors, où que nous soyons, encourageons ceux qui ont une assez haute idée du peuple de préférer évoquer plutôt qu’asséner, provoquer plutôt que flatter, convoquer plutôt que révoquer. Accompagnons tous ceux qui, du plus quotidien au plus général, se laissent suffisamment animer par le souffle de la vie pour rester vigilants face aux fantasmes qui tuent les consciences, la qualité des relations humaines, le tissu social et, scandale suprême, l’espérance.[print-me]


Monique Bondolfi-Masraff, membre de l’équipe rédactionnelle de Sources et professeure de philosophie. D’origine arménienne elle préside à Erevan depuis près de vingt ans  la Fondation humanitaire et de développement KASA.

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Explorer l’intime https://www.revue-sources.org/explorer-lintime/ https://www.revue-sources.org/explorer-lintime/#respond Tue, 13 Dec 2016 13:27:29 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=1700 François Gachoud, Explorer l’intime. Au coeur de nos jardins secrets. Collection philo/sagesse. Editions La Source Vive, Gollion 2016, 203 pages


Il en faut, de l’audace, ou du cran, si vous préférez, pour aborder ce sujet, à notre époque et dans notre société où tout est mis, comme l’a chanté Léo Ferré, «à l’étal des carrefours», les corps, les lettres d’amour, les confidences, les journaux intimes. Et qui plus est, pour l’aborder non pas entre quatre murs, dans un cercle fermé, amical, mais dans un livre destiné à être publié. François Gachoud a relevé ce défi, faisant confiance aux lectrices et lecteurs, qu’ils soient nouveaux ou qu’ils fassent partie de ceux et celles qui, étudiants, ont suivi, en terres fribourgeoises, ses cours de philosophie, ou qui, lecteurs, connaissent déjà l’un ou l’autre de ses livres. Pour ce faire, l’auteur a bien des atouts dans son jeu et il sait en user avec adresse.

Le premier de ces atouts est la forme qu’il a donné à son ouvrage: c’est un dialogue, réel ou fictif, on ne le saura pas. Un homme plus tout à fait jeune – on apprend qu’il est à la retraite – nommé Emmanuel, reçoit un matin de printemps un appel téléphonique venant de Grèce. Au bout du fil, une jeune femme, archéologue, portant le nom de Philocalia, «amie de la beauté», une ancienne étudiante, qui invite le retraité à venir passer quelque temps dans la région du Cap Sounion. «Nous pourrions parler philosophie…». Tout s’enchaîne, rendez-vous est pris, le voyage s’organise, et le dialogue ne tardera pas à se mettre en route. Il trouvera sa forme écrite, c’est notre livre, comprenant vingt-trois chapitres, rythmés par les dates des entretiens allant du 6 juillet au 11 août de l’année 2014. En annexe, deux échanges téléphoniques provoqués par les attentats terroristes de la mi-novembre à Paris.

Le dialogue, un atout? Pour deux raisons. Tout d’abord parce qu’il permet de réaliser la conception que les deux protagonistes se font de la philosophie. «Le choix du dialogue n’implique rien d’autre que l’essai d’une pensée qui se cherche.» Ainsi s’exprime Philocalia. Et plus amplement Emmanuel: «J’ai pris de plus en plus conscience que la pratique de la philosophie devrait moins nous conduire à la traditionnelle élaboration des concepts pour bâtir de savants systèmes de pensée qu’à l’édification d’un art de vivre.» Une telle visée ne peut s’élaborer qu’à travers des expériences personnelles, et, dans le dialogue, de telles expériences peuvent s’échanger, se confronter, s’enrichir. On est, du coup, au seuil de ce qui fait l’objet des entretiens: «… explorer le champ de notre subjectivité…», «ce qui nous conduit inévitablement dans les plis, les méandres multiples et complexes de notre intériorité». Ici, les obstacles ne sont pas éludés. «L’intime, c’est certainement ce qu’il y a de plus retiré, de plus caché, de plus secret en nous. (…) L’intime nous échappe aussi à nous-même dans la mesure où il constitue ce fond sans fond difficilement accessible à notre propre connaissance.» Dans le début, puis tout à la fin des entretiens, on verra aussi que ce secret peut subir la violence, par le viol, la torture, l’extermination, la terreur.

L’intime étant ce qu’il y a en chacun de nous de plus personnel, d’unique, on est obligé a priori de renoncer, pour en parler, à toute «universalisation par concepts».

Il ne peut être question ici de retracer dans toutes ses étapes le parcours décrit dans ce livre. Nous tenons d’abord à signaler ce qui fait l’essentiel de la démarche. L’intime étant ce qu’il y a en chacun de nous de plus personnel, d’unique, on est obligé a priori de renoncer, pour en parler, à toute «universalisation par concepts». Reste l’option, suggérée par Philocalia et reprise aussitôt par Emmanuel, de la phénoménologie: la saisie de la réalité telle qu’elle s’offre à nous, telle que nous la captons par notre expérience personnelle. Les mots clé sont alors: la VIE, vécue et appréhendée par nous comme «fondement de notre sphère subjective». La référence essentielle est ici la forme particulière donnée à la phénoménologie par le philosophe français Michel Henry. Tout le dialogue s’en nourrira, du début à la fin. Le mot «auto-affection», emprunté à Michel Henry, reviendra à de nombreuses reprises. Mais d’autres penseurs vont entrer dans la ronde, faisant surgir peu à peu une foule d’ aspects nouveaux de la vie intime. Aristote avec l’amour de soi, Jean-Jacques Rousseau et ses «intuitions étonnantes», Emmanuel Lévinas, que l’on rencontre à deux reprises. Puis, moins attendus, Schopenhauer et Nietzsche. Tout à fait nouveau pour nous, personnellement, François Jullien, auteur lui-mêne d’un livre De l’intime. Avec lui entre en jeu l’idée de partage, ouvrant l’accès à l’amitié (Montaigne, La Boétie), puis à la question Dieu peut-il être intime?, avec trois moments faisant surgir des textes clé de l’Ancien Testament, ensuite la parabole du fils prodigue, puis les psaumes. Saint Augustin avec ses mots célèbres «plus intérieur à moi que mon intime». Autre belle rencontre, pour laquelle nous sommes reconnaissant à l’auteur, celle de Jean-François Lyotard et son livre Confession d’Augustin, qualifié ici de «méditation poétique». Plus tard viendront encore, autour des signes révélateurs de l’intime, Sartre à cause du «regard», et encore Lévinas, avec la «caresse» et la «pudeur», liée au «féminin». Cette énumération de noms – difficilement évitable, ici – pourrait donner le change, faire naître l’impression d’un étalage d’érudition, mettre en péril le dialogue comme «pensée qui se cherche». Il n’en est rien. François Gachoud sait en faire bon usage. Tous ces auteurs entrent pour ainsi dire dans le dialogue des deux protagonistes, ils le nourrissent, le font progresser, lui donnent de la profondeur.

Il va de soi, vue la nature du sujet abordé, que bien des choses demeurent en marge, voire en dehors du propos tenu, que sur bien des points nous serions tentés d’annoncer notre désaccord ou tout au moins quelques réserves. Mais ce n’est pas ici le bon moment. Le livre est très bien écrit, il ouvre de multiples perspectives, donne à réfléchir et mérite d’être lu et discuté.

Flurin M. Spescha

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L’actualité d’Edith Stein https://www.revue-sources.org/lactualite-dedith-stein/ https://www.revue-sources.org/lactualite-dedith-stein/#respond Wed, 30 Mar 2016 09:59:04 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=1207 [print-me]

Lorsqu’on se demande ce qu’Edith Stein – dans et pour l’Eglise sainte Thérèse Bénédicte de la Croix – représente aujourd’hui, on est pris entre deux mouvements. D’abord celui de se dire que tout a tellement changé dans notre monde qu’elle n’est une voix et un exemple que pour un petit monde. Puis celui de distinguer entre ce qui, chez elle relève d’une vertu, d’une force de résistance, et ce qui, pour tout homme ou femme en souci de sa religion, a valeur de proposition, sinon d’exemple.

Tout a changé

Souvenons-nous des conditions dana lesquelles Edith Stein, jeune intellectuelle assoiffée de «strenge Wissenschaft», de philosophie comme science rigoureuse, put aborder ses études; d’abord à Breslau puis à Göttingen, mais se voyant refuser toute habilitation et ayant pour seul horizon professinnel un enseignement au Lycée. Aujourd’hui, l’université est largement ouverte aux femmes, étudiantes ou professeurs; seules comptent les compétences.

La phénoménologie n’est plus une ascèse qui ouvre sur une science universelle. Toutes les disciplines scientifiques sont soumises aux impératifs de la formalisation la plus rigoureuse et centrées sur les progrès des moyens de découverte. L’esprit est fait objet; les sciences cognitives ignorent nécessairement ces avancées de la «conscience» phénoménologiques de l’Einsicht à l’Einfühlung, de l’intuition à l’empathie.

L’œuvre et la vie d’Edith Stein sont des motifs et des modèles de résistance.

Le langage «fonctionne» mais n’est plus une tradition du sens – des choses, de la vie, de l’Etre.

La philosophie pratique est ramenée aux disciplines vagues d’un art de vivre, et joue un rôle tout juste comparable à ce que fut celui du stoïcisme – ou de son contraire, l’hédonisme – dans la société romaine tardive. La religion n’est plus un domaine à conquérir en l’explorant, mais une forteresse éboulée à définitivement raser.

La résistance

C’est dans cette situation que la pensée, l’œuvre et la vie d’Edith Stein sont des motifs et des modèles de résistance.

Lorsqu’elle emprunte à sainte Thérèse d’Avila la fameuse image du château de l’âme, elle reprend une métaphore duelle: d’une part il s’agit de l’espace de la plus haute intimité, et d’autre part d’une forteresse, c’est-à-dire d’une place forte, d’un centre de résistance.

Résiter à la facilité

Edith Stein choisit toujours la difficulté et tire du silence intérieur la force d’affronter, de s’engager dans l’incertain ou l’inconnu. Dans l’inconnu de la phénoménalité des choses selon Husserl; dans l’inconnu du réalisme ontologique de Thomas d’Aquin; dans l’inconnu des profondeurs de l’âme, puis de la foi chrétienne. De la découverte des affinités entre le moi augustinien, cartésien, et husserlien jusqu’au moment où l’analogie de l’Ego vient supplanter l’anallogie de l’être: voilà qui correspond au courage de s’aventurer, même à l’intérieur de l’Eglise, dans des allées peu fréquentées.

Résister au mal et aux modes

Proposer une pédagogie fondée sur une anthropollogie chrétienne, c’est-à-dire donner à l’éducation une assise à la fois spirituelle et philosophique, était un acte de résistance immédiate au moment où la pédagogie devenait l’affaire d’un Etat totalitaire, mais qui vaut aujourd’hui d’avertissement, dès lors que la pédagogie est soumise aux mille pressions de réformateurs désorientés et d’une société sans repères ni perspectives cohérentes.

Résister à la mollesse

Là encore, c’est l’éducatrice qui se profile en cherchant pour les jeunes filles et les femmes des modèles de fermeté dans la tempérance et de courage dans la simplicité. La vertu est alors une forme donnée à l’âme; un effort sur soi qui ne crispe pas mais tend une corde prête à vibrer.

Résister à la peur

Se refuser à ce que la peur a d’envahissant; ne pas se laisser terroriser par la peur. Telle fut la véritable force d’Edith Stein devant la police nazie et sur le chemin de la déportation. Mais il faut imaginer la préparation intérieure que cela impliquait, quelle force intérieure cela supposait. Une force qui est de la responsabilité de chacun.

Une profonde judaïté

Qui peut se sentir interpellé par Edith Stein en dehors de ce cadre rigoureusement éthique et personnel? Par Edith Stein, juive convertie au Christ par ses amis protestants, puis conduite à l’Eglise par l’Esprit saint? Quiconque est amené à se demander si se convertir à une autre religion signifie nécessairement s’arracher à tout ce que représente la religion que l’on quitte. Outre le fait que le judaïsme précède immédiatement l’Evangile du Christ, et que le judaïsme est loin d’être fait d’une seule pièce, il faut entrer dans la familiarité de la moniale d’Echt pour voir combien de trésors la chrétienne retient de son judaïsme d’origine et en retrouve le sens théologal. Le choix du Carmel n’est pas étranger à cette appartenance profonde.

La première souffrance qu’Edith Stein endura au nom de Jésus fut sans doute la peine profonde qu’elle faisait à sa mère, juive inébranlable, en devenant chrétienne. Elle ne faisait que préfigurer les peines qu’elle aura à endurer en tant que juive, et qu’elle acceptera comme sa Croix et son Golgotha. Cette judéité profonde d’Edith Stein, et tout ce qui s’y relie, montre que le christianisme peut absorber en les épurant des «croyances», des «relations», des «traditions» chargées de dispositions du cœur prêtes à découvrir dans le prolongement de leur ferveur les mystères du Dieu d’Amour.

Une place dans le dialogue interreligieux

Si Edith Stein a sa place dans le dialogue œcuménique, elle dont la marraine de baptême, Hedwig Conrad-Martius, était luthérienne, elle l’a aussi dans le grand dialogue interreligieux. Bien évidemment en qualité de juive. Mais la place de l’islam y est aujourd’hui marquée, comme celle d’un choix décisif entre la chute dans la Terreur qu’Editd Stein subit sous la forme des camps de concentration, et la soumission à la volonté d’Allah – le nom arabe de notre Dieu – à laquelle elle conforme toute sa vie, le sachant ou non, mais qu’elle assume tragiquement sous la forme d’un chemin de mépris et d’abjection

Résistance à la mondanité du monde, solidarité avec les intelligences méthodiquement ordonnées à la Vérité, empathie avec les esprits tournés vers l’Etre éternel: tels me semblent les traits décisifs qui maraquent à jamais le vrai visage d’Edith Stein.

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Philibert Secrétan professeur émérite de philosophie de l’université de Fribourg s’est fait connaître par plusieurs ouvrages consacrés à la vie et aux écrits d’Edith Stein.

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L’édition des œuvres d’Édith Stein https://www.revue-sources.org/ledition-oeuvres-dedith-stein/ https://www.revue-sources.org/ledition-oeuvres-dedith-stein/#respond Wed, 30 Mar 2016 09:40:40 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=1201 [print-me]

Il y a déjà un certain temps, le rédacteur de SOURCES nous pria d’informer les lecteurs de la revue sur l’état de l’édition des œuvres d’Édith Stein. Nous avons très volontiers satisfait à sa demande. Les mois ayant passé, nous reprenons notre texte, afin de le mettre à jour.

Editions en allemand

En allemand, il y a eu tout d’abord à partir du milieu des années 50 une première édition se voulant aussi complète que possible, sous le titre général de Edith Steins Werke (ESW). Ce fut l’œuvre de Lucy Gelber, collaboratrice aux Archives Husserl et conservatrice de l’Archivum Carmelitanum Edith Stein, et du frère carme Romaeaus Leuven, de la province de Hollande. Ces deux personnes firent œuvre de sauvetage et de mise en ordre des manuscrits, puis de publication. L’édition parvint au total à 18 volumes. A la suite de différentes réorganisations des Archives, la décision fut prise, à la fin du siècle dernier, de mettre en route une nouvelle édition, l’Edith Stein Gesamtausgabe (ESGA), aux éditions Herder. Un ensemble très imposant était prévu dès le début. Aujourd’hui, cette entreprise est parvenue à son terme. Le 27ème et dernier tome a paru en novembre 2015. Il s’agit du volume contenant des textes de phénoménologie et ontologie de la période allant de 1917 à 1937. Sept tomes contiennent des traductions de divers auteurs (Alexandre Koyré, John H. Newman, saint Thomas d’Aquin, Denys l’Aréopagite). Cette édition servira désormais de base pour tout travail de recherche et pour toutes les traductions vers d’autres langues.

S’il faut saluer cet immense travail d’édition, dont l’initiative revient à l’Institut international Edith Stein de Würzburg, il convient également de signaler les problèmes de diverses sortes qu’il a engendrés. Au plan pratique et économique, cette double édition, distante de peu d’années, pour certains volumes, a entraîné des coûts considérables pour celles et ceux qui veulent se procurer l’ensemble de l’œuvre. Au plan de la lecture et de la rédaction d’études et d’ouvrages, la recherche et la mise en place des références aux sources deviennent très compliquées. Une assez grande partie des ouvrages de langue française sur Edith Stein – pour ne parler que de ceux-ci – ont été rédigés sur la base des ESW. Le lecteur d’aujourd’hui, ne possédant pas forcément ces anciens volumes, aura de la peine à trouver le texte original auquel les différents auteurs se réfèrent, d’autant plus que les textes ne sont pas publiés dans le même ordre. Des difficultés se présentent également au sujet des traductions. Bien des textes d’Edith Stein ont été traduits à partir de l’édition ESW. Or, celle-ci n’était pas ausssi fiable que la nouvelle édition, fondée sur un travail éditorial beaucoup plus précis. Les éditeurs seront obligés, dans certains cas, de faire reprendre les traductions et d’en faire des rééditions.

Editions en français

Ceci nous amène à parler de l’édition de l’œuvre steinienne en langue française telle qu’elle se présente en ce début de l’année 2016. Nos lecteurs savent qu’il y a une bonne vingtaine d’années, la maison d’édition Ad Solem, dont le siège se trouvait alors à Genève, fit de la publication en français de l’œuvre d’Edith Stein un de ses grands projets. Toute une série de textes et bien des ouvrages consacrés à divers aspects de cette œuvre virent le jour. Bien des ouvrages de et sur Edith Stein ont également paru aux Editions du Cerf. Maintenant, le programme d’une édition unifiée et complète, sous le titre Œuvres steiniennes, est assumé en commun par trois maisons d’édition: Ad Solem – Editions du Cerf – Editions du Carmel. Voici, en quelques traits, où en est aujourd’hui cette entreprise éditoriale.

Nommons, pour commencer, le volume déjà bien connu qui porte le titre Vie d’une famille juive 1891-1942, réédition de l’ouvrage paru une première fois déjà chez Ad Solem à Genève. C’est le premier volume publié en commun par les trois éditeurs. Il est d’une lecture aisée et permet de découvrir bien des événements ayant marqué la vie d’Edith Stein. Il constitue aussi un arrière-fond très utile pour la lecture des deux volumes de la Correspondance dont voici les indications essentielles.

Correspondance I (1917-1933). Introduction, traduction et annotations de Cécile Rastoin. Œuvres steiniennes. Paris, 2009, 767 pages, et Correspondance II (1933-1942). Introduction, traduction et annotations de Cécile Rastoin. Œuvres steiniennes. Paris 2012, 792 pages. – Dans l’édition allemande, la correspondance est repartie sur trois volumes (ESGA 2-4). Le troisième est réservé à la correspondance entre Edith Stein et son ami Roman Ingarden, philosophe polonais, amis d’Edith Stein dès le temps des études à Göttingen. Dans l’édition française, les lettres de ce volume ont été intégrées dans l’ensemble de la correspondance, d’où l’édition en deux volumes. Du point de vue de la cohérence chronologique, l’avantage est évident. Pour le lecteur, il y a toutefois un inconvénient: les deux volumes sont d’une dimension considérable, chacun comptant près de 800 pages. A signaler que les lettres sont accompagnées d’un très grand nombre de notes qui fournissent des informations extrêmement éclairantes.

Le plan et le rythme de la publication des œuvres proprement dites d’Edith Stein ne sont pas annoncés par les éditeurs. On ne peut donc pas savoir, combien d’années durera cette publication. Jusqu’à ce jour (printemps 2016), cinq volumes ont paru, à notre connaissance.

Cinq volumes parus

Le premier ouvrage publié est La femme: cours et conférences. Introduction, traduction, annotations et annexes par Marie-Dominique Richard. Paris, 2008, 509 pages.

Ce volume réunit tout d’abord une série de conférences qu’Edith Stein à consacrées à des questions touchant la nature de la femme, son rôle comme éducatrice, sa place dans la société, civile et politique, et dans l’Eglise. On sait que ces questions ont beaucoup préoccupé Edith Stein déjà au temps de ses études. Lorsqu’elle fut appelée, après sa conversion, à intervenir lors de réunions, de colloques, de journées d’études, devenant peu à peu une voix très recherchée dans toute l’Allemagne, elle fit une large place à la thématique féminine. Nommée enseignante à l’Institut allemand de sciences pédagogiques à Münster, elle fut chargée, pour son premier semestre, printemps/été 1932, de développer la thématique de la formation spécifique des jeunes filles. Ce cours – qui paraît ici pour la première fois en français – s’adressait à des enseignants/enseignantes, soit déjà formé(e)s et en activité, soit en préparation. A cette époque, les études se faisaient séparément, jeunes gens d’un côté, jeunes filles de l’autre. Il était donc de grande importance d’établir ce qui constituait la spécificité de la formation des jeunes filles. Edith Stein fait ici entrer en jeu tout ce que sa propre activité d’enseignante, à Spire, et ses conférences lui avaient permis d’engranger en fait de réflexion et d’échange avec des publics très divers. On trouve également dans ce volume des compte-rendus de discussions, parfois fort animées.

Avec l’ouvrage suivant, nous remontons tout au début de la carrière d’Edith Stein. En voici le titre: Le problème de l’empathie. Traduction de Michel Dupuis, revue par Jean-François Lavigne. Paris 2012, 223 pages. Il s’agit de la partie essentielle de la thèse de philosophie qu’Edith Stein présenta, sous la direction de son «maître», Edmund Husserl, à l’université de Fribourg en Brisgau en 1916. En allemand, le titre dit Zum Problem der Einfühlung. Le mot «empathie», très à la mode actuellement, rend, me semble-t-il, fort bien le terme allemand choisi par Edith Stein. La genèse de cette thèse de doctorat est longuement évoquée par Edith Stein elle-même dans la partie autobiographique de La vie d’une famille juive. Le rôle joué par l’assistant de Husserl, Adolf Reinach, est notamment mis en lumière. Les examens eurent lieu début août 1916, donc en pleine guerre. – La thèse comprenait sept chapitres, dont seuls trois (chapitres II, III,IV) furent publiés en 1916 aux fins de sa promotion. Les chapitres I (L’histoire du problème de l’empathie), V (La phénoménologie de l’empathie et son impact sur la communauté sociale), VI (L’empathie dans la sphère éthique), VII (L’empathie dans la sphère esthétique), n’ont pas été publiés et ont malheureusement disparu. Pour Edith Stein, ce travail constitua une sorte de défi, la preuve qu’elle était devenue capable de produire quelque chose de personnel en philosophie. Dans cet écrit, obéissant évidemment aux exigences d’un travail académique, Edith Stein en vient toutefois à toucher à des problématiques qui seront par la suite au cœur de ses recherches, notamment celles de la personne, de l’intersubjectivité, du lien entre âme et corps, d’une théorie des valeurs.

Le lien n’est pas difficile à établir entre ce livre des débuts et le volume suivant: De la personne humaine. I – Cours d’anthropologie philosophique (Münster 1932-1933). Traduit de l’allemand et annoté par Flurin M. Spescha, avec la collaboration d’Anne-Sophie Gache et Grégory Solari. Paris 2012, 278 pages. Le titre est suffisamment explicite pour qu’il ne soit pas besoin d’en faire un long commentaire. Alors que la thématique du premier cours, à Münster, lui fut pour ainsi dire imposée, celle du deuxième semestre, automne/hiver 1932/33 répondit davantage à ce qu’Edith Stein cherchait à pouvoir faire passer dans le cadre de l’Institut de Münster: présenter à des auditeurs philosophiquement peu formés les fondements de tout travail pédagogique. Dans une première étape, elle aborda cette thématique au plan philosophique. Le volume dont il est ici question contient le cours que les éditeurs ont qualifié d’anthropologie philosophique. Le volume allemand porte un titre un peu différent: Der Aufbau der menschlichen Person, ce qui pourrait se traduire par genèse et structure de la personne humaine. Edith Stein traite son sujet avec grande liberté, mettant à profit une méthode phénoménologique qui lui était familière, mais parcourant également des chemins que la fréquentation de saint Thomas lui avait ouverts. A la fin, elle fait déjà les premiers pas vers l’anthropologie théologique, sujet qu’elle envisageait de développer au semestre suivant, printemps/été 1933.

Un recueil particulièrement important est celui qui porte le titre Source cachée. Œuvres spirituelles. On en avait déjà vue une première édition, en 1998, chez Ad Solem, et on trouve maintenant le même ouvrage édité par les trois éditeurs dans le cadre des Œuvres steiniennes, publié une année plus tard, 1999. La traduction des textes est due à Jacqueline et Cécile Rastoin, l’introduction est signée Didier-Marie Golay, carme. Une partie de cette Introduction a pour titre Itinéraire d’une vie. Ce volume contient un grand nombre de textes: La prière de l’Eglise, Quatre vies de femmes façonnées par l’Esprit Saint, des textes placés sous le titre Suivre le Christ, qui parlent essentiellement de la spiritualité du Carmel, enfin des Dialogues et des Poèmes. Un livre à méditer.

Le cinquième volume paru est de grande ampleur et tient une place particulière dans l’ensemble de l’œuvre steinienne: Science de la Croix précédé de Voies de la connaissance de Dieu. Traduction critique de Cécile Rastoin. Introduction de Cécile Rastoin et Christof Betschart. Paris 2014, LIII-493. Comment en parler? L’ouvrage au titre énigmatique – science de la Croix – est le dernier ouvrage écrit par Edith Stein, dans les mois qui ont précédé son arrestation et sa mort. Elle l’a rédigé à la demande de ses supérieures en vue de la célébration du quatre-centième anniversaire de la naissance de saint Jean de la Croix (1942). Ce devint pour Soeur Bénédicte l’occasion d’enfin écrire quelque chose d’important sur un personnage – auteur, mystique, saint, «Père» des carmes – qui n’a cessé de l’accompagner et de l’inspirer au cours de nombreuses années. Son but n’est pas d’écrire une vie de Jean de la Croix ni de présenter sa pensée ou sa doctrine, c’est «une tentative pour saisir Jean de la Croix dans l’unité de son être, telle qu’elle se manifeste dans sa vie et dans son œuvre» (p. 97). Il faut une lecture patiente pour suivre le cheminement que l’auteure se fraie à travers les principales œuvres – et surtout les chants mystiques de Jean de la Croix – et pour découvrir ce qu’elle cherche à dire – en se confrontant à Jean de la Croix – sur la thématique qui a depuis toujours été au centre de ses préoccupations de philosophe: «… ce que l’auteur (Edith Stein!) croit, dans l’effort de toute sa vie, avoir saisi des lois de l’être et de la vie spirituels» (ibid.). On trouve donc dans cet écrit en quelque sorte deux recherches, inséparables l’une de l’autre. Ce fut pour Sœur Bénédicte aussi bien un hommage à Jean de la Croix qu’une reprise, dans une nouvelle lumière, de ses recherches infatigables sur la personne, sur la place de l’âme «dans le royaume de l’esprit et des esprits» (pp.268-309). Dans le volume sous revue, ce grand ouvrage est précédé d’un texte déjà fort bien connu, mais retraduit et soigneusement introduit: Voies de la connaissance de Dieu, consacré à «la théologie symbolique» de Denys l’Aréopagite. La rédaction de ce texte date de l’année 1941 et devait répondre à la demande venant d’un phénoménologue américain, Marvin Farmer, rédacteur d’une revue paraissant à Buffalo, qui voulait de sa part une contribution. Mais plus fondamentalement, l’étude des écrits de l’Aréopagite faisait depuis pas mal de temps déjà partie de ses occupations philosophiques et théologiques. Scruter la théologie «symbolique» de cet auteur a pu servir d’une voie d’accès à l’œuvre de saint Jean de la Croix. L’idée de joindre en un même volume les deux écrits peut donc paraître tout à fait justifiée. – La place des introductions, des préfaces et des annotations est considérable et permet de connaître l’état le plus récent des recherches menées autour de ces deux textes.

Les Cahiers

On nous permettra de signaler pour terminer que parallèlement à l’édition des œuvres mêmes d’Edith Stein, les trois maisons d’édition font également paraître des Cahiers d’études steiniennes. En voici les titres parus jusqu’à ce jour (2016):

de Rus, Éric, L’Art d’éduquer selon Edith Stein. Anthropologie, éducation, vie spirituelle. Préface par Marguerite Léna, 2008;

de Gennes, Marie-J., (sous la direction de), Une femme pour l’Europe: Edith Stein (1891-1942). Paris 2009, 407 pages. (Ce sont les Actes du colloque international de Toulouse, qui eut lieu le 4/5 mars 2005.);

de Rus, Éric, La personne humaine en question. Pour une anthropologie de l’intériorité. Paris 2011, 129 pages. (Le même auteur vient de publier aux Editions Salvator un nouveau livre sur l’art d’éduquer sous le titre La vision éducative d’Edith Stein. Approche d’un geste anthropologique intégral. Paris 2014.)

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Flurin Spescha fut professeur de philosophie à Genève. Traducteur des œuvres d’Edith Stein.

 

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L’individu moderne et le bien commun https://www.revue-sources.org/lindividu-moderne-et-le-bien-commun/ https://www.revue-sources.org/lindividu-moderne-et-le-bien-commun/#respond Tue, 01 Oct 2013 10:13:50 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=348 [print-me]

Le langage n’est jamais neutre. Pourquoi notre époque préfère parler de « l’intérêt général » plutôt que du « bien commun » alors qu’on semble vouloir désigner la même chose par ces deux expressions?

Bien commun et intérêt général

On pourrait, sans grand inconvénient, utiliser la notion « d’intérêt commun » ou celle de « bien général », car ces deux adjectifs permutables renvoient à une sorte de transcendance du social par rapport à l’individu. Ce qui est commun ou général, par définition, n’est point particulier. Car, même pour les sociétés qui ne sont plus holistiques (où l’individu est assigné à une place déterminée par la totalité dans laquelle il s’insère), mais individualistes (où le tout est au service de l’épanouissement individuel), une tension irréductible demeure entre ce qui est bon pour tous et ce qui est bon pour quelques-uns. Ainsi, il est rare qu’une expropriation liée à un projet collectif nécessaire à tous (nouvelle voie routière ou ferroviaire, barrage, aménagement urbain, etc.) ne heurte pas de plein fouet les situations particulières, ne déstructure pas les modes de vie de plusieurs individus. Sauf pour les doctrinaires de l’ultralibéralisme, la somme des intérêts particuliers ou des biens individuels ne s’identifie pas avec la construction d’une société qui se veut harmonieuse, s’élevant au-dessus des volontés de chacun, et cela parce qu’est reconnue une instance supérieure permettant précisément la coexistence apaisée des individus.

Jean-Jacques Rousseau, avec son concept de volonté générale, formellement distincte de l’addition des volontés particulières, atteste la nécessité de cette distinction dans le champ de la philosophie politique.

C’est naturellement la différence de perception entre les notions d’ « intérêt » et celle de « bien » qui est instructive. Sur le terrain de la philosophie politique et dans le discours du personnel politique, « l’intérêt » général est le plus souvent invoqué, non le « bien » commun. À cela, deux raisons.

Bien commun ou biens marchands?

Parler de « bien », c’est inévitablement se référer à la sphère morale et celle-ci, souvent renvoyée à la vie privée des individus, à leurs préférences singulières, non seulement semble avoir perdu sa prétention à l’universalité, mais est soupçonnée d’orchestrer un retour à la société holistique qui interdirait à l’individu d’occuper une autre place que celle qu’une hiérarchie sociale prétendument anhistorique lui désignerait. C’est aussi en ce sens que l’on parle d’ « ordre moral ». Plus gravement, l’idée du bien commun serait le masque d’une idéologie tellement totalisante qu’elle en deviendrait totalitaire, ce qui s’est hélas! vérifié parfois dans l’histoire.

C’est en raison de ce soupçon que l’anthropologie de l’utilitarisme (selon lequel l’utile est le principe de toutes les valeurs) a imprégné nos manières de penser et, en particulier, l’économisme et le consumérisme ambiants. L’utilité renvoie aux intérêts. Le Bien a été remplacé par le bien-être, le bien commun par les biens marchands. Et c’est seulement dans la mesure où le marché, c’est-à-dire le libre jeu des intérêts privés, peut nuire à la préservation de l’intérêt général que ce dernier sera défendu plus ou moins efficacement par l’instance politique. Mais, dans ce contexte, nul ne remet en cause que l’infrastructure économique soit la base essentielle de la société, comme le voulaient aussi bien les théoriciens d’un marxisme pétrifié que les hérauts d’un capitalisme débridé.

Force et faiblesse de l’individualisme contemporain

Prenons acte de l’irréversibilité du mouvement de l’histoire: l’individu ne peut plus être identifié au rôle et au statut que le groupe lui attribuerait. Dans nos sociétés, du moins dans leur version occidentale en voie de mondialisation, les individus sont logiquement premiers par rapport au tout social dans lequel ils choisissent librement et contractuellement de s’inscrire et la construction des droits de l’homme est l’héritière directe de ce renversement de paradigme puisque ces droits expriment désormais la possibilité de recours contre les abus des pouvoirs. Renversement auquel le christianisme n’est pas étranger. En effet, sa fonction historique d’unification sociale dans l’empire romain et l’univers médiéval ne doit pas occulter que la sécularisation de la notion chrétienne d’âme a engendré le « moi » des modernes, l’espace du sujet singulier, la référence à cette réalité ultime qu’est l’individu.

L’individu moderne est plus angoissé qu’il ne veut bien l’avouer devant la nécessité permanente de s’inventer un destin.

Sans nullement revenir aux sociétés antérieures, il nous faut bien admettre que la trajectoire de l’individualisme contemporain n’est certainement pas achevée et qu’elle attend d’être réorientée, d’une part parce que l’individu moderne est plus angoissé qu’il ne veut bien l’avouer devant la nécessité permanente de s’inventer un destin et, d’autre part, parce que la société qui résulte de la recherche incessante des jouissances privées, pour parler comme Benjamin Constant, engendre des effets sociaux dont l’action en retour sur l’individu lui-même est imprévisible. Or, des questions demeurent en suspens et elles peuvent recevoir des réponses différentes: situation féconde et stimulante pour l’intelligence et le débat politique. Signalons ici simplement trois pistes.

Questions en suspens

D’abord, cessons de récuser en bloc l’individualisme. Le sens péjoratif que le mot véhiculait exclusivement il y a encore quelques décennies n’est pas le seul possible. « Mon individu » n’est pas uniquement « la forteresse d’égoïsme que j’érige tout autour pour en assurer la sécurité » qu’il faudrait opposer à la personne qui, elle, « risque par amour au lieu de se retrancher » (Mounier en 1935). L’individu aujourd’hui, c’est aussi celui qui assume sa responsabilité sans s’abriter derrière l’évidence d’un statut conféré de l’extérieur, revendique ses droits contre les pouvoirs oppressants, demeure apte à entrer en relation avec autrui dans des modalités nouvelles qu’autorisent les moyens de communication modernes, est souvent désireux de participer à l’édifice politico-social en affirmant sa citoyenneté.

Ensuite, la notion de « bien commun » que quelques théoriciens laïques du XIXème siècle ne répugnaient pas à utiliser et que l’on rencontre encore, certes parcimonieusement, dans les discours de politiciens contemporains, mérite assurément d’être revitalisée. Car la notion d’ »intérêt général » qu’on lui préfère souvent reste trop imprégnée par les seules valeurs de l’utile; et la déconnexion moderne entre l’économique, le politique et la morale est largement illusoire. Une nouvelle morale qui ne dit pas son nom s’est substituée à l’ancienne et elle correspond exactement à cette volonté de déconnexion. On peut l’appeler « libérale-libertaire » et Paul Valadier a même parlé d’un « nouvel ordre moral libertaire ». Pour le dire rudement, elle est encore morale, la visée qui impose à la société de servir l’individu dans ses intérêts, ses penchants et ses désirs. Curieuse conception qui, d’une part exige une séparation radicale de l’individu et de la société et, dans le même mouvement, revendique une société à son service. Il conviendrait d’accepter de porter le débat à ce niveau qui oppose des visions morales entre elles au lieu de prétendre qu’il y aurait, d’un côté, une vision moralement engagée et, d’un autre, une perspective moralement neutre. Cela se repère dans la société qui résulte du « fantasme de l’homme auto-construit », selon l’heureux sous-titre d’un livre intitulé significativement Une folle solitude (Olivier Rey, Seuil, 2006).

Enfin, lorsque les philosophes de l’Antiquité, en particulier Aristote et ses continuateurs du Moyen Âge, expliquent que l’état naturel de l’individu est d’être en relation avec autrui et le corps social, ils ne craignent pas de parler de bien commun et il est instructif de méditer un philosophe contemporain, François Flahault (Où est passé le bien commun? Mille et une nuits, 2011) quand il rappelle l’importance de ces « biens communs fondamentaux », comme les échanges non marchands, la confiance ou la qualité de vie, qui échappent aux critères économiques de l’utilitarisme. Le contractualisme et le libéralisme économique ne sont donc pas notre seul horizon.

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Jacques Ricot

Jacques Ricot

Jacques Ricot, agrégé et docteur en philosophie, est chargé de cours de bioéthique à l’Université de Nantes.

 

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La «mesure du temps» selon Bède le Vénérable https://www.revue-sources.org/la-mesure-du-temps-selon-bede-le-venerable/ https://www.revue-sources.org/la-mesure-du-temps-selon-bede-le-venerable/#respond Mon, 01 Jul 2013 08:33:12 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=302 [print-me]

Après avoir écrit différents ouvrages d’exégèse, d’histoire, d’enseignement de l’orthographe ou de la poésie, le prolifique Bède le Vénérable achève en 725 un ouvrage intitulé: De temporum ratione. Ce faisant, il écrit cette fois-ci un livre dont le but principal est d’expliquer à ses élèves comment calculer la date de Pâques, pour que ceux-ci puissent répondre à tous ceux qui propagent de fausses idées sur ce sujet majeur pour tout chrétien.

Des questions fondamentales

A côté du comput romain, celui qui est encore utilisé de nos jours, subsistaient à cette époque le comput victorien, particulièrement peu précis, et le comput celte, au départ lié à l’hérésie du pélagianisme mais qui a largement survécu à cette dernière dans les îles britanniques. Pour parvenir à ses fins, Bède développe de manière encyclopédique toutes les méthodes alors connues de mesurer le temps et de dater un événement. Dès lors, même s’il est à la base un ouvrage d’enseignement, le De temporum ratione eut une importance telle qu’il traversa la Manche … et tout le Moyen Âge.

En effet, en arrière-fond de l’objectif didactique, Bède nous livre sa conception philosophique et religieuse sur le temps. Dès la lecture des premières lignes, on se rend compte que son message nous parle encore très clairement aujourd’hui. Ainsi, lorsqu’il définit son plan de travail par la formule «de temporum statu, cursu ac fine» (l’état, le cours et la fin des temps), il nous interpelle déjà sur trois questions fondamentales, toujours d’actualité, concernant le temps: la stabilité que nous y introduisons, le cours qu’il suit inexorablement et ce vers quoi il tend. En d’autres termes: quels sont les marqueurs permanents du temps, comment il s’est écoulé et dans quelles conditions il finira?

La stabilité tout d’abord. Elle est marquée par le cycle des fêtes religieuses, qui doivent revenir selon un plan bien défini. Cette régularité est nécessaire pour que nous ayons déjà un petit goût d’éternité: c’est l’intemporel qui est introduit dans le temporel. Mais on ne peut pas fixer ces fêtes de façon aléatoire: elles doivent correspondre au cycle solaire ou au cycle lunaire, ou encore mieux aux deux cycles réunis. C’est la seule solution pour respecter la Genèse I, 14: «Dieu dit: Qu’il y ait des luminaires au firmament du ciel pour séparer le jour et la nuit; qu’ils servent de signes tant pour les fêtes que pour les jours et les années».

Dater Pâques et Noël

C’est surtout la symbolique liée à ces cycles qui peut et doit donner un parfum d’éternité au temporel, car elle fait revivre les événements, elle ne les rappelle pas seulement. Ainsi la fête de Noël est-elle fixée au solstice d’hiver, respectant le calendrier solaire, car c’est au plus profond de la nuit que doit apparaître la lumière véritable. Et c’est en raison d’une triple symbolique que Pâques doit respecter trois cycles: le solaire, avec l’équinoxe vernal, le lunaire, avec la pleine lune, et l’hebdomadaire, avec le dimanche. S’il ne s’agissait que de se souvenir de la mort et de la résurrection du Christ, il suffirait de fixer un jour dans l’année, correspondant plus ou moins à la pâque juive. On pourrait prendre par exemple l’équinoxe vernal, qui symbolise la perfection divine. Mais la date doit représenter vraiment la résurrection et donc la naissance de l’Eglise. En effet, la lune, qui n’est pas lumineuse d’elle-même mais qui a besoin de la lumière du soleil, représente l’Eglise qui ne brille que par la lumière du Christ. On doit donc fêter Pâques à une date proche de la pleine lune, mais ultérieure à l’équinoxe vernale, car l’Eglise ne peut atteindre sa plénitude avant d’avoir eu le secours de la grâce et donc de la perfection divine. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si l’hérésie pélagienne, niant la nécessité de la grâce, utilisait un comput tel que Pâques pouvait être fêté avant l’équinoxe vernal. Enfin, le dimanche, jour de la semaine correspondant à la résurrection du Christ, doit être retenu comme seul jour possible pour revivre l’événement. On arrive donc à la règle: premier dimanche, suivant la première pleine lune succédant à l’équinoxe vernal. Ainsi pour peu que l’équinoxe vernal tombe un samedi de pleine lune, Pâques sera fêté le 22 mars.

Cela dit, pour que l’éternité entre vraiment dans le temporel, il faut que les cycles soient respectés. Mais là apparaît tout de suite une ambiguïté: doit-on respecter la symbolique des astres ou l’ordre des jours? Pour Noël, il y a eu clairement unanimité: la fête a été maintenue le 25 décembre, quand bien même cette date ne correspond plus au solstice. Ce fait était déjà connu de Bède, qui en était un peu gêné. Il est vrai que l’on peut encore juger que l’obscurité est suffisante le 25 décembre. Pour ce qui est de Pâques, l’Eglise catholique a préféré retenir la symbolique des astres, tandis que la plupart des Eglises orientales ont préféré conserver l’ordre des jours défini par le concile de Nicée, et donc le calendrier julien. Les deux attitudes sont fondées de manière légitime en fonction du même objectif: introduire le status dans le cursus du temps, le stable dans le fuyant. Reste que Bède craignait que la symbolique de Pâques et toute sa richesse se perdent auprès des croyants si ceux-ci ne connaissent pas les raisons qui permettent d’établir cette date. Qui peut lui donner tort avec le recul?

Le cours du temps

Mais il reste que le temps passe, ou plutôt comme le dit Ronsard: «Le temps s’en va, le temps s’en va, Madame. Las le temps! Non, mais nous nous en allons».

Un livre se voulant exhaustif sur le thème du temps ne pouvait pas faire l’économie de traiter le plus complètement possible l’histoire des hommes pour mettre en évidence le cursus temporis. C’est ainsi que Bède nous offre des chroniques partant du premier jour décrit dans la Genèse jusqu’à l’âge auquel il écrit le De temporum ratione. Qu’elles comportent un certain nombre d’erreurs historiques est compréhensible, comme pour toutes les chroniques qui lui sont contemporaines. Plus intéressant est le parallélisme qu’il fait entre l’histoire du monde et sa création décrite dans la Genèse (I,1 à II, 4). En effet, tout en admettant qu’il est plus facile de considérer que ces versets sont à prendre au pied de la lettre, Bède leur préfère clairement une interprétation allégorique, inspirée de saint Augustin et que l’on peut résumer ainsi. Le premier jour, la séparation de la lumière et des ténèbres, va d’Adam à Noé: la création de la lumière correspond à celle du paradis terrestre, alors que sa séparation des ténèbres marque la séparation de l’homme de sa semence. Au soir, Dieu regrette son œuvre et veut détruire la terre. Le deuxième jour va de Noé à Abraham: le firmament au milieu des eaux est l’arche de Noé suspendue entre pluie du ciel et inondation de la terre; elle va assurer la survie de l’humanité, mais au soir la conspiration des hommes avec l’épisode de la tour de Babel crée une nouvelle séparation. Le troisième jour, celui des arbres et des plantes, est la période d’Abraham à David. Tandis que des nations sont enracinées dans le culte des démons, Abraham s’en va portant les semences qui feront les saints, mais au soir les Hébreux demandent un roi qui massacre prêtres et prophètes. Au quatrième jour Dieu crée le soleil et la

Quels sont les marqueurs permanents du temps, comment il s’est écoulé et dans quelles conditions il finira?

lune, les deux sources de lumière que sont David et Salomon, connus dans le monde, mais au soir, le peuple est dans le péché et c’est la déportation de Babylone. Le cinquième jour, les poissons les oiseaux se multiplient: Israël se multiplie en Chaldée, une partie du peuple vole vers les plaisirs célestes, une autre souffre entre les fleuves de Babylone. Au soir, la venue du Sauveur est imminente, mais le peuple juif est tributaire des Romains à cause de ses mauvaises actions. Enfin le sixième jour, Dieu crée l’homme à son image et en tire la femme: avec la venue du Sauveur et de l’Evangile, l’homme est créé à l’image de Dieu; de même que la femme est façonnée à partir de la côte de l’homme, l’Eglise naît du sang et de l’eau coulant du flanc du Christ. Nous vivons encore ce jour, au soir duquel il y aura les persécutions de l’Antéchrist. Quant au 7ème jour, celui du repos des âmes des justes, il n’a pas de soir, il dure éternellement et de fait il a déjà commencé avec la mort d’Abel le juste.

De tout ceci, il est intéressant de retenir qu’une interprétation purement symbolique de la première semaine décrite dans la Genèse est déjà proposée en 725 aux élèves des moines, plutôt qu’une interprétation littérale. Par ailleurs, l’allégorie du 6ème jour mérite qu’on s’y attarde pour que le cursus de l’histoire et de nos vies contribuent à créer l’homme à l’image de Dieu.

La fin des temps

C’est une des originalités de Bède que de consacrer dans son ouvrage une partie importante à la fin des temps. Le mot finis est à interpréter dans ses deux sens: le terme et le but.

Concernant le terme du temps, nous savons un certain nombre de choses de par l’Apocalypse de Jean, mais, Bède est intransigeant à ce sujet: nous ne pouvons pas en connaître la date. A ses yeux, c’est une question cruciale en raison de la conjoncture. En effet, des chronologistes affirmaient que la création du monde avait eu lieu aux environs de l’an 5000 avant Jésus-Christ. Collant cette hypothèse à la semaine de 6 jours et au verset 3,8 de la deuxième Epître de Pierre: «Mais voici un point, très chers, que vous ne devez pas ignorer: c’est que, devant le Seigneur, un jour est comme mille ans et mille ans comme un jour», ceux-ci affirment donc que la fin du monde aura lieu autour de l’an 1000 (et non en l’an 1000 exactement, comme on le lit parfois). Mais, tout en acceptant, et même en développant la métaphore des jours de la semaine de la création, Bède refuse catégoriquement une interprétation qui ferait fi, par exemple, de Matthieu 24, 36: «Quant à la date de ce jour, et à l’heure, personne ne les connaît, ni les anges des cieux, ni le Fils, personne que le Père seul».

Nous pouvons ainsi faire le lien avec la fin des temps conçue comme but de toute temporalité. Le chrétien est certain de la venue du Christ. Il peut se comporter comme un mauvais serviteur, faisant le mal et surpris par le retour du maître. Le bon serviteur, de son côté, dira «Veillons et prions». Mais, Bède, méditant une Lettre de saint Augustin, affirme que même le bon serviteur peut être entraîné dans l’erreur. Il pourrait penser que la venue du Christ n’est pas simplement retardée, mais qu’elle ne se produira jamais. Il peut ainsi perdre la foi. L’enthousiasme pour une venue proche non réalisée peut provoquer un discrédit sur la foi chrétienne chez ceux qui manquent de constance. Voilà qui devrait faire méditer certains «prophètes» d’aujourd’hui qui pèchent par présomption!

Une œuvre qui défie…le temps

Même si Bède n’est pas très connu dans le monde francophone contemporain, il ne faut pas oublier que ses œuvres ont été déterminantes dans bien des débats. Son De temporum ratione fut la référence pour refuser toute croyance en une fin du monde prévue pour l’an mil. De même, cet ouvrage permit de fixer la date de Pâques tout au cours du Moyen Âge, une date fondée sur un nouveau calcul basé sur la position réelle des astres. La théologie et même la philosophie de Bède gardent donc toute leur valeur. C’est le propre de tous les Pères de l’Eglise de nous avoir transmis des œuvres qui défient … le temps.

(Bède, dit le Vénérable est un moine anglo-saxon né vers 672 et mort le 26mai 735. Son œuvre la plus célèbre est l’Histoire ecclésiastique du peuple anglais. Ses traductions des œuvres grecques et latines des premiers pères de l’Église ont joué un rôle important dans le développement du christianisme en Angleterre. En 1899, Bède est proclamé docteur de l’Église.)

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Roland Pillonel

Roland Pillonel

Roland Pillonel, membre de l’équipe rédactionnelle de la revue «Sources», est responsable à l’Université de Fribourg de la formation des enseignants du cycle secondaire.

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