monastère – Revue Sources https://www.revue-sources.org Wed, 29 Aug 2018 12:38:55 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.3.1 Le doute: une expérience positive https://www.revue-sources.org/le-doute-une-experience-positive/ https://www.revue-sources.org/le-doute-une-experience-positive/#comments Wed, 29 Aug 2018 12:38:55 +0000 https://revue-sources.cath.ch/?p=2722 L’expérience du doute dans ma vie de croyant a été paradoxalement toujours assez positive. C’est pourquoi j’ai osé faire l’éloge du doute devant le Conseil d’État de Fribourg en l’année de la foi 2012. Le texte, Plaidoyer pour un doute, a déjà été publié dans cette revue en 2013.

Une force qui dérange et m’ouvre à la rencontre. Le doute est une aide précieuse pour ma conscience, une force dérangeante mais vivifiante pour toute ma vie intérieure. Je parle du doute qui, me révélant mes incertitudes, m’oblige à aller voir ce qu’il en est. En effet l’intelligence ne peut se reposer sans certitude. Penser, chercher le vrai, c’est chasser mes incertitudes en allant vérifier ce que je mets encore en doute.

Bien sûr cela suppose de combattre ma mauvaise foi qui cache, sous l’ombre du doute, mes conclusions hâtives: celles émises sans certitude. Prenons un exemple. Si je ne suis pas certain d’avoir fermé le gaz en partant, ai-je le droit, dans le doute, d’évacuer simplement cette question? La mauvaise foi abuse du doute au lieu d’éliminer l’incertitude. Elle l’empêche de faire son travail: mettre au jour mon besoin de certitude qui me pousse à vérifier, à aller voir pour expérimenter, pour rencontrer. La rencontre avec un témoin crédible permettra en effet à mon cœur de se reposer malgré l’inévidence du fait. Je téléphone donc à mon voisin. Lui-même a plutôt intérêt à ce que la manette du gaz soit bien positionnée! La confiance en lui me permettra comme de voir par ses yeux. Le doute pousse donc mon intelligence à ne se reposer que dans le vrai. Sans lui elle s’assoupit dans le vide. Remarquez que le doute m’aura permis en plus de faire l’expérience d’une relation. Être en paix ne se peut sans les autres, c’est vivre et penser en lien avec les autres.

Quant à la foi en Dieu, le doute réveille mon besoin d’une présence. Idées ou discours sur Dieu n’offrant vite plus aucun repos, le doute réclame que je me débarrasse de tout ce que j’ai accumulé intérieurement entre Dieu et moi. Vaste chantier qui exige le silence, cet ami indispensable de la vérité et de la paix, ami devenu si rare. Lui seul permet de laisser monter lentement en moi la voix immense et douce de Dieu. Avec elle, je peux aussi entendre celle de cette foule de témoins qui nous entourent (cf. Heb 12, 1). Car ils sont nombreux les témoins de la Source incompréhensiblement généreuse, innombrables même mais humbles et discrets comme Celui dont ils témoignent. En revanche celui qui évite le silence pour ne pas affronter ses doutes se sent cruellement seul et aucune de ses multiples connexions ne pourra lui apporter la consolation que son cœur attend.

Un devoir du soupçon et la crédibilité de l’Église?

Il existe un lien profond entre la foi en Dieu et la confiance dans la communauté des témoins. C’est pourquoi, partant de mon expérience de père abbé, j’ajouterai un petit complément à cette réflexion au sujet de ce doute particulier que l’on nomme le soupçon. Saint Benoît, dans le chapitre 64 de sa Règle, l’institution de l’abbé – un des joyaux de la sagesse chrétienne –, indique comment l’abbé doit se comporter et précise (v.16): Qu’il ne soit ni turbulent, ni inquiet; qu’il ne soit ni excessif, ni opiniâtre; qu’il ne soit ni jaloux, ni trop soupçonneux; sinon, il n’aura jamais de repos.

Ce «pas trop soupçonneux» me donne souvent à penser. Benoît n’aurait-il pas dû dire que l’abbé ne doit pas être soupçonneux du tout? Quelle part faire aux soupçons dans une vie communautaire cloîtrée, dans une équipe de travail ou dans une famille? Ne faudrait-il pas bannir à jamais la méfiance et les suspicions pour privilégier la confiance mutuelle, une bonne ambiance de collaboration ou pour nourrir l’harmonie familiale? Qui aimerait avoir un chef ou un père soupçonneux, ne serait-ce qu’un peu?

En réalité Benoît n’est pas naïf. Il sait bien que l’homme est capable du pire. Nombreux sont les chapitres de la Règle qui décrivent la possible catastrophe dans telle ou telle situation. Certains pourraient en être horrifiés. D’autres en sont réconfortés. Les conseils de Benoît accompagnent les communautés quelle que soit la tempête qu’elles traversent. Et rares sont les pères abbés qui ne peuvent encore se rassurer en constatant que leur communauté n’est pas pire que celle du grand patriarche d’occident.

Effectivement nous sommes capables du pire puisque Dieu nous a fait capables du meilleur, c’est-à-dire libres. Saint Benoît demande à l’abbé d’accompagner chaque frère sur le long chemin de sa liberté. Et sur ce chemin, même le meilleur tombera. Le si intègre roi David, emporté par sa passion pour Bethsabée, est devenu en un instant un roi corrompu bien pire que Saül, allant jusqu’à abuser de l’intégrité d’Ourias pour le faire périr au combat (cf. 2 Sm 11). Et faut-il nommer ces grands noms du renouveau spirituel postconciliaire qui ont guidé des générations entières? Presque déjà canonisés de leur vivant, ils se sont révélés tragiquement défaillants, pour en rester à un euphémisme. Même le meilleur tombera; le saint étant celui qui se relève le plus vite.

Ce ne sont donc pas des loups que le Seigneur envoie au milieu des brebis. Pourtant saint Benoît semble prévoir comme un risque normal le fait que la brebis se change un jour en loup. Cependant, tempère-t-il, ne soyez pas non plus trop soupçonneux! Certes, mais comment blâmer ces baptisés scandalisés dans leur foi – ou pire encore – par des pasteurs devenus abuseurs? Force est de comprendre leur doute. Et nous, combien de fois avons-nous évacué un doute sur l’intégrité d’une personne que tous vénéraient? Combien de victimes se sont vues refuser une écoute pour qu’aucun doute ne vienne abîmer nos belles icônes déjà nimbées d’encens?

Que faire alors? Vivre dans le soupçon? Non. Au contraire: laisser le doute m’emmener sur le chemin du vrai qui est toujours celui de la rencontre. Si un frère éveille mon soupçon, je ne peux m’endormir sans lui avoir parlé, sans l’avoir rencontré. Vivre en communauté c’est-à-dire vivre en communion, c’est nourrir et servir la confiance mutuelle. C’est donc ne pas supporter longtemps ces doutes qui m’empêchent de laisser mon cœur se reposer dans la bienveillance de mon frère. La rencontre ne révèlera souvent qu’un simple et si fréquent problème de communication, mais parfois aussi, c’est bien une brebis en errance qu’elle permettra de découvrir.

Et pourquoi ne pas le dire aussi puisque saint Benoît le prévoit d’emblée (cf. RB 64, 3-6)? En tant que père abbé, j’espère que l’on ne me laissera pas trop longtemps errer, si – à Dieu ne plaise – ne sachant me relever vite de mes chutes je devenais «complice de mes vices». Ce lien entre la foi en Dieu et la confiance dans la communauté des témoins est grave. Notre Règle souligne que nous en sommes tous responsables sans quoi l’Église perd son statut de communauté de croyants. Si un soupçon apparaît alors il ne s’agit ni de le faire taire ni de le faire bavarder mais d’aller vérifier ce qu’il en est puisque rien ne peut reposer sur ce qui n’est qu’un doute, ni notre cœur, ni nos actions, ni nos discours. Une brebis qui commence à errer peut devenir si sauvage que sa transformation en loup est probable. Pourra-t-on l’accuser, elle seule, si tant de signes n’ont pas pu réveiller nos doutes sur le drame qui se jouait? Le père abbé comme n’importe quel pasteur – c’est-à-dire n’importe quel chrétien – doit savoir que de son doute dépend peut-être le relèvement de son frère, et de ce relèvement dépend aussi la foi de ceux qui ont besoin de la crédibilité de l’Église. Autrement dit notre crédulité a déjà trop abîmé la crédibilité du témoignage chrétien et donc suscité le doute chez nos contemporains.

La conversion du doute

J’insiste par conséquent pour souligner la finesse de saint Benoît conseillant de n’être pas trop soupçonneux. D’ailleurs, il ne prétend pas qu’il faille laisser le champ libre à notre regard accusateur. Adam a réussi à soupçonner même son Créateur sous l’influence du serpent. S’il n’avait pas laissé planer le doute pour conclure sans certitude, il aurait eu le courage d’aller à la rencontre de Dieu pour le questionner sur cette prétendue jalousie et sur ces menaces de mort. Mais il a eu peur, c’est-à-dire qu’il a laissé l’accusation structurer toute son existence. Il s’agit maintenant de nous méfier d’abord de ces peurs et de ces inquiétudes qui nous habitent. C’est pourquoi nos soupçons doivent se porter en tout premier lieu sur nos propres pensées. En allant à leur rencontre, nous découvrirons facilement qu’elles ne sont la plupart du temps que des conclusions abusives. Il faut donc, en somme, soupçonner nos propres soupçons et douter de nos doutes!

Enfants d’Adam, nous avons à transformer la structure intérieure de nos pensées. On nomme cela la conversion. Elle est ce renouvellement de notre jugement (Rm 12, 2), ce retournement intime vers la Source infinie de bonté qui nous porte. Nous capturons toute pensée pour l’amener à obéir au Christ, dit encore saint Paul (2 Co 10, 5). Aucune question, aucune peur, aucune inquiétude, aucune conclusion ne doit plus errer seule sans s’être replongée en cette présence. Alors, aussi paradoxal que cela puisse paraître, une foule de doutes peut continuer de nous habiter. Qu’importe en effet mille incertitudes si la puissance de l’amour continue de battre en nos veines? Cette unique certitude donne tant de paix (cf. Ph 4,7) que tout le reste peut demeurer sans conclusion, ni hâtive ni donc abusive. Cela nous laisse devant moult questions ouvertes, certes, mais c’est ainsi que la vraie foi chasse progressivement les couches successives de notre mauvaise foi.

Cette certitude que Dieu nous aime malgré tout, saint Paul explique qu’il la puise dans un double témoignage qui n’est qu’une seule et même expérience: celle de l’amour du Christ (cf. Rm 8, 35-39), le témoin fidèle du Père et celle de l’attestation intérieure de l’Esprit Paraclet qui nous pousse à invoquer Dieu en lui disant «Abba-Père» (cf. Rm 8, 15-16). Autrement dit, il nous est donné de pénétrer le mystère même de la Trinité. La perspective change alors car en participant à sa vie intime, c’est dans le questionnement même de Dieu que nous pouvons entrer. Car Dieu a des questions: «Adam où es-tu?» (cf. Gn 3,9). Il interroge Adam pour ne pas laisser le doute planer plus longtemps. Bien vite Dieu cherche donc la rencontre car il sait bien, lui, que si Adam a été capable du pire, c’est parce qu’il est aussi capable du meilleur. De cela Dieu n’en a aucun doute.


Le frère Marc de Pothuau est Père Abbé du monastère cistercien d’Hauterive, près de Fribourg en Suisse.

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Les vitraux de la Fille-Dieu de Romont https://www.revue-sources.org/les-vitraux-de-la-fille-dieu-de-romont/ https://www.revue-sources.org/les-vitraux-de-la-fille-dieu-de-romont/#respond Fri, 01 Jun 2018 04:24:57 +0000 https://revue-sources.cath.ch/?p=2625 Le génie des vitraux de la Fille-Dieu à Romont est d’avoir pointé la mission profonde de la vie monastique. Voilà 20 ans que Soeur Salomé les contemple tous les jours. « Je ne me suis jamais lassée », avoue-t-elle.

Ces vitraux sont l’oeuvre de l’artiste londonien Brian Clarke. Ils ont été posés à la fin de la deuxième restauration de l’église abbatiale, en 1996. La réalisation des vitraux fut la dernière et une des plus importantes interventions sur ce bâtiment. Un ensemble de 14 vitraux fut créé pour les 14 fenêtres de l’église et posé quelques jours avant l’inauguration de l’église, en août 1996. La complémentarité des vitraux de Clarke avec le reste de la restauration est exemplaire. Dans un édifice presque monochrome, déclinant toutes les nuances de beige-ocre, les vitraux colorés de Clarke rassemblent vigoureusement les autres éléments en un tout vivant.

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Informatique et clôture monastique https://www.revue-sources.org/informatique-et-cloture-monastique/ https://www.revue-sources.org/informatique-et-cloture-monastique/#respond Wed, 01 Jan 2014 14:58:58 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=239 [print-me]

Sans être un tsunami qui serait en train de tout emporter sur son passage, la «vague informatique» a pénétré le monde monastique à une telle allure et de manière si universelle qu’il n’est guère vraisemblable qu’elle ait trouvé déjà partout et d’un seul coup sa juste place.

Quelle qu’ait été l’exigence des origines quant à la clôture, peu de monastères ont échappé à la contagion. C’est un fait qu’on ne peut contester. Les mails vont bon train de l’une à l’autre des communautés, et au-delà, qu’il s’agisse des pauvres Clarisses, de quelque Carmel solitaire, des filles de St Benoît ou de St Dominique. Quel monastère n’a son adresse e-mail, voire son site?

La télévision au monastère

La dernière instruction pontificale sur la clôture des moniales, «Verbi sponsa» qui ouvrait la porte à Internet dès 1999 paraît déjà surannée à beaucoup. Le Pape François a d’ailleurs lui-même annoncé une réactualisation de cette instruction qui disait au N° 20: «L’usage éventuel d’autres (Radio et T.V du § précédent) moyens modernes de communication, tels le télécopieur, le téléphone portable, Internet, pour motif d’information et de travail, peut être admis dans les monastères, avec un discernement prudent, pour l’utilité commune, selon les dispositions du chapitre conventuel».

L’instruction était prudente, c’est le moins qu’on puisse dire! Où en sommes-nous maintenant, et de façon plus précise, où en sommes-nous à Taulignan, chaque monastère ayant sa propre sensibilité et orientation, avec une visée commune nous n’en pouvons douter, celle de rester fidèles à sa vocation de prière, inséparable d’une certaine séparation du monde.

La télévision n’a jamais eu droit de cité dans la communauté, mais nous avons téléviseur et magnétoscope qui nous permettent depuis longtemps, grâce aux vidéos et DVD, de choisir et de suivre, avec un retard sans conséquence sur l’actualité, ce qui nous paraît le plus intéressant. Pas trop d’envahissement par l’image ni d’accrochage aux bulletins d’informations, c’est l’option qui nous a paru servir davantage la communion en profondeur plutôt qu’une communication incessante. Nous en sommes toujours restées à ce choix des débuts et c’est donc dans ce sens que la communauté s’est naturellement orientée pour Internet.

Rendre justice aux ordinateurs

Avant de voir tous les dangers de l’impact de l’informatique sur la vie contemplative, ne faut-il pas d’abord rendre justice à ces bons serviteurs que sont nos ordinateurs, et distinguer l’ordinateur en soi, instrument de travail aux possibilités multiples, de l’ordinateur mis au service d’Internet, en tant qu’outil indispensable pour naviguer sur la toile. Pour le premier usage, où serait le problème par rapport à la clôture? (Leur multiplication peut poser question pour la pauvreté peut-être, mais pour la clôture?…) C’est un acquis technique irréversible. Ne serait-il pas ridicule de le bouder sous prétexte d’être fidèle à Cassien et aux Pères du désert?

Le premier ordinateur est entré en clôture à Taulignan en 1995.

Le premier ordinateur est entré en clôture à Taulignan en 1995, avec l’accueil d’une postulante formée à l’informatique et qui l’avait dans ses bagages. Nous n’étions donc pas en pointe, mais la brèche fut ouverte alors, et des petits frères n’ont pas tardé à suivre ce premier-né. L’économat en a été le premier bénéficiaire, avec les avantages évidents: gain de temps considérable, et bien des casse-tête évités dans ce monde aride des chiffres et de la gestion. On n’envisagerait plus de s’en passer et l’on ne voit pas comment ni pourquoi on le ferait!

Pourtant, quel qu’en soit l’usage (étude par ex.), aucune Sœur n’a un ordinateur, personnel ou d’emploi, en cellule, la cellule ayant toujours été pour une moniale un lieu privilégié d’intimité avec le Seigneur. Pour le moment, prieure, sous-prieure, économat et accueil ont un ordinateur dans leur bureau. Les autres sont «au commun», en des lieux ouverts à toutes. Les sœurs qui les utilisent (4 pratiquement) s’arrangent fraternellement entre elles selon les besoins.

Internet ferait-il problème?

Les vraies questions se posent, non avec l’informatique en elle-même, mais avec son ouverture sur Internet. Les quatre responsables ci-dessus y ont accès directement. Pour les autres, un seul ordinateur est branché. Pas de problème jusqu’ici pour le partage… et pas trop non plus pour les risques à courir. Seule une réserve paraît s’imposer, réserve qui n’empêche nullement de reconnaître ce qui est bon! Pour le silence par exemple, la communication par mails est bien moins perturbante extérieurement que les sonneries de téléphone, et permet souvent de se limiter de façon claire au seul nécessaire, alors qu’il n’est pas toujours facile d’endiguer le flot de paroles de certains interlocuteurs… ou les nôtres.

Pour la formation des plus jeunes, il nous paraît bon également qu’il y ait au départ une certaine rupture avec l’habitude d’Internet.

Que dire des achats possibles sans sortir de clôture, grâce à la précieuse carte bleue! Ou de la possibilité de cours à domicile grâce au télé-enseignement diffusé par Internet. Ou encore de l’intérêt du site pour se faire connaître sans bruit… Inutile enfin d’insister sur le gain de temps et la facilité de communication amenés par le courrier électronique. C’est tellement évident!

Reste à savoir si ce plus est au profit d’un travail plus paisible ou de la prière, ou s’il engendre un surcroît d’activités et d’encombrement intérieur. Nous ne sommes pas plus que d’autres à l’abri du stress de la vie moderne et l’escalade de la vitesse nous guette comme tout le monde. Rien n’est prouvé en ce domaine… La facilité des informations continuellement offertes peut aussi séduire l’une ou l’autre par moments, et les nombreuses sollicitations du petit écran être source de curiosités, innocentes en apparence, mais finalement bien dispersantes. Une ascèse s’impose forcément. A chacune de voir!

Traverser une zone de silence

Car il n’y a pas que des «affaires» à gérer par Internet (économat, fournisseurs, contacts pour l’accueil, courrier etc..), il y a aussi les relations personnelles de chacune avec sa famille et ses amis. Elles obéissaient autrefois à des limites parfois assez strictes. Que tout se soit un peu humanisé n’est pas un mal, mais où s’arrêter?

La Prieure d’un monastère en fondation au Canada et qui semble allier harmonieusement modernité et tradition, nous disait récemment que, pour la réponse à donner à bien des mails plus personnels, il lui semblait que «la parole d’une moniale devait traverser une zone de silence». Oui, savoir attendre sans céder à l’impulsion de répondre tout de suite (sauf urgence évidente) en multipliant les échanges si faciles sur le net. C’est bien dans cette ligne que nous essayons de marcher. Et pour la formation des plus jeunes, il nous paraît bon également qu’il y ait au départ une certaine rupture avec l’habitude d’Internet et que l’usage en soit limité, sans étroitesse et dans un climat de confiance.

Les téléphones portables ne posent guère de problèmes chez nous jusqu’à présent. Il y en a deux dans la maison, et nous n’en désirons pas davantage. Au moment de gros travaux récents la Sœur responsable du chantier en a eu un par vraie nécessité. Elle l’a gardé et il n’est pas inutile. L’autre est au commun, en cas de besoin: une sortie par exemple où il faudrait pouvoir se joindre sans difficulté. C’est tout!

Conclusion. Sans vouloir insinuer qu’informatique et clôture forment un couple idéal, il semble bien qu’il n’y ait pas encore péril en la demeure. Le bilan nous paraît positif pour une meilleure relation avec la société de notre temps, du moment que l’on veille fidèlement au silence intérieur qui nous permet de garder le cap sur l’essentiel de notre vie.

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Soeur Marie-Pascale

Sœur Marie Pascale est une moniale dominicaine du monastère La Clarté Notre-Dame, à Taulignan, en Drôme provençale.

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Plaidoyer pour un doute https://www.revue-sources.org/plaidoyer-pour-un-doute/ https://www.revue-sources.org/plaidoyer-pour-un-doute/#respond Tue, 01 Jan 2013 11:07:19 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=395 Vous convaincre de douter, est-ce bien convenable en cette «année de la foi» à laquelle le Pape Benoît XVI nous convie? C’est d’un doute bien particulier qu’il s’agit. Celui qu’Hauterive devrait semer dans le cœur de ceux qui passent par ici. Si le silence avait quelque chose à dire? Si le silence était en réalité un amour qui se déclare? Un doute, c’est peu. Mais un doute sur le silence… un doute silencieux!

Une puissance explosive

Méfiez-vous cependant, le doute, aussi infime soit-il, est la puissance la plus explosive de notre intelligence. Depuis Descartes on se méprend facilement sur le doute. On croit que penser juste c’est chasser ses doutes. Mais la vraie manière de penser, c’est chasser l’incertitude par le doute et non pas chasser les doutes qui justement révèlent mes incertitudes. En parfait cartésien, chacun doit chasser de la sphère de ses certitudes les pensées sur lesquelles plane l’ombre du doute.

Comment justifier en revanche le fait de déclarer une affaire classée, c’est-à-dire déclassée précisément, dès qu’un doute y apparaît? Le doute est comme le chien de chasse qui jappe et qui frétille devant le taillis où se cache le gibier. Il m’informe qu’une vérité attend de se montrer. Quel genre de chasseur serais-je, si je décidais de tirer sur mon chien au lieu de me concentrer sur le bondissement inopiné du lièvre. Autrement dit, quand un doute apparaît, mon intelligence se doit d’aller voir pour affronter la réalité. Elle a à vérifier chacun de ses doutes et non à évacuer les questions qu’il soulève. Tirer sur le chien, chasser ses doutes avant d’aller voir ce qu’il en est, est clairement de la mauvaise foi. Dans le domaine des responsabilités pratiques, refuser de vérifier les éléments douteux qui mettraient en danger l’ensemble d’une réalisation est un manquement grave à son devoir.

Ne pas vérifier ses doutes, voilà donc la mauvaise foi.

Le doute au secours de la foi

En cette année donc, le Pape demande aux chrétiens d’approfondir leur foi, la vraie foi, la foi pure et orthodoxe. Serait-ce alors l’année du fondamentalisme, d’une croyance qui écrase la raison? Non, l’année de la foi est par le fait même celle de la raison. Car approfondir sa foi, c’est poser les questions de sorte que je me réapproprie les formules du credo et c’est aussi oser affronter ma mauvaise foi.

Il est fort délicat pourtant de combattre en même temps la mauvaise foi des bons croyants et la foi erronée des gens de bonne foi. En effet, s’attaquer à l’une, c’est se faire récupérer par l’autre. Nul n’est ni entièrement de mauvaise foi ni entièrement de bonne foi (ce serait trop simple), pas plus que parfaitement orthodoxe ou parfaitement hétérodoxe. Chacun tend à se justifier par la position de l’autre, et personne n’avance dans sa propre conversion. L’unique moyen d’affronter notre foi mauvaise ou déviante est donc d’en appeler à la puissance explosive et libératrice du doute. Le doute combat sur tous les fronts.

L’unique moyen d’affronter notre foi mauvaise ou déviante est donc d’en appeler à la puissance explosive et libératrice du doute.

Dans son roman, «L’Idiot», Dostoïevski explique que les athées ne croient pas, non qu’ils aient résolu le problème de Dieu, mais uniquement parce qu’ils refusent d’envisager la question de Dieu. Le droit de douter est pour eux le devoir de ne plus questionner. Que la foi en Dieu soit difficile et comporte des doutes, je veux bien le croire. Mais n’existe-t-il pas aussi un doute quant à la non existence de Dieu? Autrement dit, qui peut être certain que Dieu n’existe pas? S’il y a doute à ce sujet, alors il doit y avoir vérification.

Or ce doute a des conséquences profondes. S’il n’est pas certain que Dieu n’existe pas, pourquoi suis-je certain d’être le propriétaire de ma vie? Pourquoi me comporter comme si j’étais le centre de mon existence? Qui peut m’assurer qu’il n’y a pas un amour qui m’habite, qui se déclare dans mon silence, mais que je néglige sans cesse? On veut éviter les fautes professionnelles et dans ce but on est prêt à relire ses dossiers pendant des soirées entières. Mais ce problème-là, quand donc va-t-on l’affronter? Cela ne concerne pas seulement l’athée qui a abattu son beau pointer à l’arrêt devant le buisson ardent. Cela concerne aussi le bon croyant qui n’évite rien autant qu’un silence où risque d’exploser la mesquinerie de sa mauvaise foi.

Un doute silencieux

Hauterive devrait être un doute face aux certitudes, religieuses ou non. Un doute silencieux, mais blessant les fondamentalismes d’où qu’ils proviennent. Un doute qui écoute. Un doute qui incite l’intelligence à venir voir. Nous n’avons pas à répondre à la place des autres. Nous n’avons même pas à les y inviter bruyamment. Notre unique apostolat consiste à accueillir celui qui ressent le besoin de savoir ce qu’il en est. Ce qu’il en est du silence et de l’amour. Le vrai silence s’invite de lui-même chez chacun. Une souffrance aiguë, la fragilité d’un amour, le sentiment soudain que la vie est précieuse et délicate. Le silence réclame lui-même un espace. Mais il le réclame comme se déclare un amour: timidement, sans élever la voix.

Qui sommes-nous, donc? Je ne sais que dire. Un doute nous a surpris, chacun un jour, silencieusement. Il nous a fallu alors vérifier combien profond est l’Amour qui se déclare dans le silence. Et maintenant il nous faut Lui répondre, sans mentir. Cela nous fait voyager, sans quitter notre cloître, à travers le cœur anxieux des humains qui tous se demandent secrètement: suis-je aimé? suis-je aimant?

Voilà, je doute que mon plaidoyer vous ait convaincus. Mais je n’oserai le vérifier, puisque je ne voulais pas vous convaincre, mais vous faire douter. Dieu me demande de chanter dans les stalles ou de prier en cellule, mais pas de jouer les ténors du barreau. C’est pourquoi je sais que vous me croirez si je vous assure une nouvelle fois de notre gratitude et de notre prière pour la mission qui est la vôtre. Nul ne doute ici de son importance.


L’Abbaye cistercienne d’Hauterive, près de Fribourg, a coutume de recevoir chaque année les membres du gouvernement de l’Etat de Fribourg, accompagnés de quelques notables du canton. En octobre 2012, l’Abbé du monastère, Dom Marc de Pothuau, leur a tenu ce discours

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A Bose, on ne communique que ce que l’on vit https://www.revue-sources.org/a-bose-on-ne-communique-que-ce-que-lon-vit/ https://www.revue-sources.org/a-bose-on-ne-communique-que-ce-que-lon-vit/#respond Tue, 01 Jan 2013 11:04:22 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=389 [print-me]

La Communauté de Bose (Italie du Nord) est une communauté monastique de frères et de sœurs qui, jour après jour, cherchent à vivre les exigences de l’Évangile dans leur beauté et leur radicalité, à travers le célibat et la vie commune.

Les membres de la communauté appartiennent à différentes Églises chrétiennes: la majorité sont catholiques, mais plusieurs réformés en font partie et une sœur orthodoxe prend également part à cette vie. Bose, qui est donc à la fois mixte et œcuménique, compte actuellement environ quatre-vingts religieux: quarante-cinq hommes et trente-cinq femmes. À travers leur existence, les moines et les moniales de Bose transmettent assurément quelque chose de leur foi à ceux qui les côtoient, qu’ils soient hôtes réguliers ou visiteurs de passage. Cette transmission, qui n’est pas le but premier de cette vie en communauté mais en est comme un fruit, naît de l’intention des frères et des sœurs de se situer dans la compagnie des hommes et des femmes de leur temps et de se mettre à leur service.

Bose ne se pose ici en aucun cas comme modèle, mais peut simplement donner le témoignage de la foi qui anime ses membres. A Bose, aucun effort spécifique n’est fourni pour proposer concrètement la foi. Mais c’est à travers l’authenticité de ce qu’ils vivent entre eux que les chrétiens – et en particulier ceux qui partagent une vie communautaire – rayonnent éventuellement vers d’autres une étincelle de l’espérance qui les anime. En effet, avant de se transmettre par des mots, la foi passe davantage par le témoignage d’une vie reconnue comme belle et heureuse. C’est parce que notre quotidien manifeste que ce qui nous fait vivre ensemble colore notre existence de beauté et même de bonheur que nous parvenons aussi à transmettre, par notre existence même, quelque chose de crédible concernant la foi qui nous anime. S’agirait-il là d’une manière somme toute égoïste de concevoir la transmission de la foi? C’est bien davantage l’idée selon laquelle on ne peut communiquer à d’autres que ce que l’on vit concrètement dans sa propre personne. Et qui est appelé à se propager de proche en proche.

Une grande attention alors est portée à Bose sur la qualité, la sobriété et l’esthétique des temps de prière et de célébration.

Cela passe bien entendu par une dimension proprement humaine qui rappelle notre enracinement et notre cheminement quotidien avec le Seigneur qui s’est lui-même fait homme pour partager et vivifier notre propre existence humaine. Mais cela se traduit aussi par le partage d’une vie commune qui est sans doute une des aspirations fortes de nos contemporains, si souvent tiraillés entre les appels de l’individualisme et l’ouverture démesurée de la mondialisation. La transmission de la foi passe aussi par la célébration quotidienne de la liturgie, mémoire orante de la relation fondamentale qui nous lie les uns aux autres et, en premier lieu, au Seigneur qui a appelé chacun d’entre nous à cette vie de louange et d’intercession. Pour proposer la foi et offrir l’intuition d’un mystère, la beauté d’une prière commune est parfois plus persuasive que de nombreux discours, aussi savants et brillants soient-ils! Une grande attention alors est portée à Bose sur la qualité, la sobriété et l’esthétique des temps de prière et de célébration.

De manière plus prosaïque, des rencontres touchant la Bible ou diverses thématiques de spiritualité sont aussi régulièrement proposées à ceux qui souhaitent y participer. Mais pour les frères et les sœurs de Bose ce n’est encore qu’une occasion de transmettre à d’autres ce qu’ils vivent eux-mêmes. Communauté monastique, Bose n’a aucun mandat pastoral. Elle ne constitue qu’une petite oasis dans le désert où les pèlerins assoiffés peuvent venir partager un brin de fraîcheur ou une goutte d’eau. Le temps d’une brève halte, avant de reprendre la route.

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Le frère Matthias Wirz, de nationalité suisse, est membre de la Communauté de Bose, fondée par Enzo Bianchi, dans le Nord de l’Italie.

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