Madeleine Delbrêl – Revue Sources https://www.revue-sources.org Wed, 21 Dec 2016 10:22:10 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.3.1 Madeleine Delbrêl et les prêtres-ouvriers https://www.revue-sources.org/madeleine-delbrel-pretres-ouvriers/ https://www.revue-sources.org/madeleine-delbrel-pretres-ouvriers/#respond Mon, 26 Sep 2016 10:20:28 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=1551 [print-me]

Il est important de situer Madeleine dans le contexte de l’Eglise universelle, en regardant de plus près les prises de position de cette dernière par rapport au problème de l’athéisme. Au cours de l’histoire, le Magistère a réagi contre trois formes d’athéisme: le laïcisme (avec Léon XIII et Pie X), le communisme (avec Pie XI et Pie XII) et le sécularisme (avec Paul VI). 

La période pendant laquelle Madeleine a vécu est marquée par les prises de position de l’Église vis-à-vis du communisme. Pie XI, dans son encyclique «Divini Redemptoris», avait déclaré en 1937 que «le communisme est intrinsèquement pervers et que l’on ne peut admettre sur aucun terrain la collaboration avec lui de la part de quiconque veut sauver la civilisation chrétienne» (n° 58). Dans le même sens, Pie XII parlera «d’une ligne de séparation obligatoire pour tous les catholiques, entre la foi catholique et le communisme athée». On pourrait dire que la paroisse d’Ivry-Centre allait bien dans le sens des directives romaines!

La position de Madeleine

Madeleine, de son côté, a toujours su garder, face aux positions de l’Église, un esprit de liberté, car elle n’a pas refusé de travailler à côté de la municipalité communiste (bien qu’elle aie quitté son travail en 1946!), et d’obéissance. C’est en 1949, à la suite du décret du Saint-Office qui condamne la collaboration avec les communistes et qui cause plusieurs tensions dans l’Église de France qu’elle rédige, avec son sens de l’humour son célèbre poème intitulé: «le bal de l’obéissance».

« Seigneur faites-nous vivre notre vie comme un bal, comme une danse, entre les bras de votre grâce dans la musique universelle de l’amour » Madeleine Delbrêl

Madeleine a été très présente lors de la fondation de la Mission de France. Elle a eu beaucoup de contacts avec le Père Augros et celui-ci comptait beaucoup sur elle. Avec le temps, Madeleine a une perception différente de la mission et par conséquence affiche une certaine distance face à la Mission de France et au séminaire de Lisieux. Je me souviens d’avoir lu que le Père Augros aurait voulu associer Madeleine et ses équipes à la formation des futurs séminaristes de la Mission de France. Madeleine refusa. Elle ne voulait pas avoir le monopole de la formation des séminaristes et elle suggéra que d’autres groupes (Action Catholique et Jeunesse Ouvrière Chrétienne) y participent.

Madeleine craignait une excessive spécialisation de la mission. C’est la disponibilité à l’action de Dieu, la souplesse au souffle de son Esprit qui sont pour Madeleine le plus important.. Elle ne veut pas que la foi et la mission de l’Église se cristallisent dans des formes trop précises. C’est ce qu’elle va reprocher à la mission de France, c’est-à-dire d’avoir oublié que l’Episcopat français lui a confié la tâche d’apporter à l’Église de France un nouvel élan missionnaire et non pas de se spécialiser dans une évangélisation en milieux ouvrier. Celle-ci pourrait être la vocation, le charisme de certaines personnes (comme c’était le cas pour l’Abbé Godin et la Mission de Paris ou Jacques Loew, dans l’expérience qu’il a vécue à Marseille). Madeleine a beaucoup apprécié le cheminement du Père Loew qui d’abord s’est fait docker avec les dockers, puis a été les rejoindre dans leur lieu de vie. Madeleine va citer en exemple son expérience dans une lettre, jamais envoyée, qu’elle voulait écrire au Pape. C’est avec ces précisions que nous pouvons maintenant lire un extrait du bal de l’obéissance.

Le bal de l’obéissance

«Pour être un bon danseur, avec vous comme ailleurs, il ne faut pas savoir où cela mène, il faut suivre, être allègre, être léger et surtout ne pas être raide… il ne faut pas vouloir à tout prix avancer, mais accepter de tourner, d’aller de côté. Il faut savoir s’arrêter et glisser au lieu de marcher. Et cela ne serait que des pas imbéciles si la musique n’en faisait une harmonie. Mais nous, nous oublions la musique de votre esprit, et nous faisons de notre vie un exercice de gymnastique; nous oublions que dans vos bras elle se danse, que votre Sainte Volonté elle, est d’une inconcevable fantaisie et qu’il n’est de monotonie et d’ennui que pour les vieilles âmes qui font tapisserie dans le bal joyeux de votre amour. […] Seigneur enseignez-nous la place que dans ce roman éternel amorcé entre vous et nous tient le bal singulier de notre obéissance. […] Apprenez-nous à revêtir chaque jour notre condition humaine comme une robe de bal qui nous fera aimer de vous tous ces détails comme d’indispensables bijoux. […] Faites-nous vivre notre vie […] comme un bal, comme une danse, entre les bras de votre grâce dans la musique universelle de l’amour».

La femme pauvre

La rencontre avec l’athéisme a appris à Madeleine que le croyant peut facilement se trouver dans une certaine confusion entre la «femme pauvre» qui est la foi, et sa «robe», c’est-à-dire ce qui est moyen, expression, dans un temps et un lieu particuliers, de cette même foi:

«La foi est la vraie ‘femme pauvre’. Chaque nation, chaque civilisation, chaque temps lui donnent de quoi se vêtir; sa robe est usée quand vient un changement temporel. Il lui faut en recevoir une nouvelle sous peine d’être obligée de rester cachée dans une cave. Mais le vêtement est un vêtement, il n’est pas elle; le changer ne la change pas; si sous un vieux vêtement on retranchait quelque chose à ce qu’elle est, si on l’amputait surtout de cette aptitude qu’elle a d’être, jusqu’à ce que cesse le temps, contemporaine de chaque temps et, dans la robe qu’il lui donne, de lui être proche comme une sœur, elle ne serait plus elle-même».

A travers cet exemple, Madeleine nous conduit à certaines attitudes qu’elle a rencontrées dans la communauté chrétienne d’Ivry. Toutefois, même pour le chrétien qui ne s’accroche pas aux traditions à travers lesquelles la foi cherche à s’exprimer, le risque de ne pas vivre entièrement l’Evangile demeure dans ce qu’elle appelle la tendance d’alliance.

Tendance d’alliance et tendance de salut

Madeleine fait la distinction entre tendance d’alliance et tendance de salut. Avec l’expression «tendance d’alliance», elle désigne l’attitude du chrétien qui vit une sorte d’émerveillement face à l’engagement des communistes, un chrétien qui va vers eux non pas pour leur annoncer ce qu’ils n’ont pas (celle-ci ce serait la bonne attitude, celle que Madeleine appelle «tendance de salut»!), c’est-à-dire une vie avec le Christ, mais pour partager ce qu’ils ont déjà, un engagement aux côtés des plus pauvres. Vivre en contact du marxisme implique le risque de s’orienter vers «une lecture de l’Evangile constante mais spécialisée soit à des orientations dont on n’a pas songé les divergences profondes, soit à des chapitres qui, isolés du reste de l’Evangile, peuvent être entièrement faussés».

Madeleine a expérimenté personnellement le risque de saisir et d’absolutiser seulement quelques aspects de la vie du Christ et en particulier ceux qui soulignent son humanité, son parti pris pour les pauvres. Elle s’était spécialisée sur quelques pages de l’Evangile, «celles où le Christ stigmatise mauvais riches et pharisiens; appelle au secours vers les pauvres; celles où le Christ m’apparaissait comme le leader révolutionnaire des petits et des opprimés».

Vu du côté de l’espérance chrétienne, la tendance d’alliance manifeste une erreur de fond, car le salut est confondu avec le bonheur, le Royaume avec la cité, et le chrétien risque de voir dans l’engagement des communistes des «pierres d’attente» du christianisme, alors que leur idéologie cache en réalité «des miettes devenues folles ou seulement raisonnables». Même la charité chrétienne est en quelque sorte faussée, car le deuxième commandement, l’amour pour le prochain, risque de devenir, en réalité, l’unique commandement.

C’est avec ces précisions que nous pouvons lire maintenant l’extrait d’une lettre que Madeleine a écrite à un prêtre de la Mission de France qui est tenté d’abandonner la prêtrise. C’est un texte d’une rare beauté et densité dans lequel nous avons un concentré de la pensée, de la sensibilité et de la profondeur théologique de Madeleine.

Le Christ et l’Eglise

«J’ai peur que, comme une femme qui ne saurait pas que c’est en douleur qu’on accouche, et qui ne comprendrait rien à son propre déchirement, et qui paralyserait en elle à la fois ce qui déchire et ce qui enfante, vous gardiez en vous la mission… Il me semble que c’est toujours comme ça que l’Eglise est née tout le temps, à la fois une et nombreuse. Ce sont toujours les mêmes contractions qui ont toujours broyé les saints. Ils étaient appelés à la fécondité; quand ils ont accepté que ce qui en eux était adulte, sorte d’eux appauvri et rapetissé à travers les secousses, cruelles et sanglantes, mais organiques de l’obéissance, le Christ-Eglise a continué à naître dans le monde. D’autres qui étaient appelés à cette même fécondité n’ont pas su reconnaître les lois de la vie, ils les ont confondues avec les douleurs d’un corps malade, le Christ n’a pas pu passer à travers eux pour aller plus loin».

Soyons attentifs à l’expression que Madeleine utilise: le Christ-Eglise. Je crois que sans cela nous ne pouvons pas comprendre la posture de Madeleine. Rappelons-nous aussi ce geste de Madeleine peu après sa conversion d’apporter deux bijoux à l’évêché, rappelons-nous ses multiples pèlerinages à Rome; il est évident que pour Madeleine il est inconcevable de séparer le Christ et l’Église: son sens de l’obéissance s’inscrit, à mon avis, dans cette conviction de fond.

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Federica Cogo, théologienne et aumônière de prison à Genève


Dates clés

1° juillet 1949: décret du Saint-Office qui interdit la collaboration des catholiques avec les communistes.

10 février 1951: Mgr Feltin, archevêque de Paris informe les prêtres ouvriers des réserves de Rome par rapport à l’expérience des prêtres ouvriers.

20 juin 1951: acceptation que les prêtres ouvriers puissent continuer leur expérience avec l’accord de leur évêque, mais interdiction d’en envoyer des nouveaux.

27 juillet 1953: interdiction des stages de travail pour les séminaristes.

29 août 1953: retrait progressif des religieux au travail (28 décembre 1953 pour les jésuites et 26 janvier 1954 pour les dominicains)

7 septembre 1953: fermeture du séminaire de la mission de France (décision confirmée par Rome le 18 janvier 1954).

19 janvier 1954: limitation du temps de travail des prêtres-ouvriers à 3h de travail par jour, interdiction de participer à une activité syndicale et de former une équipe nationale. Rattachement obligatoire à une communauté sacerdotale.


Cf. Mgr JACQUELINE B. L’Eglise devant le défi de l’athéisme contemporain, DDB, Paris, 1982, p. 149ss.

Id., p. 150.

Cf. La question des prêtres-ouvriers, op. cit., p. 85-90.

Cf. NA, p. 90.

Cf. VM, p. 140.

Cf. VM, p. 211.

Cf. NA, p. 311.

Id., p. 199.

Cf. BOISMARMIN (de) Christine, Madeleine Delbrêl, Rue des villes, chemins de Dieu, op. cit., p. 127.

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Madeleine Delbrêl, témoin d’une Eglise ouverte https://www.revue-sources.org/madeleine-delbrel-temoin-dune-eglise-ouverte/ https://www.revue-sources.org/madeleine-delbrel-temoin-dune-eglise-ouverte/#respond Wed, 15 Jun 2016 00:57:29 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=1376 [print-me]

Madeleine Delbrêl, promise à une béatification prochaine, est un témoin qui a profondément marqué l’Eglise du siècle dernier. Elle se considérait  comme une «missionnaire sans bateau», envoyée au milieu des usines et des cités marxistes. Témoin d’une Eglise ouverte, sortie de son ghetto, présente sur les rives de la misère et de l’incroyance.

Une femme aussi, proche de frères Dominicains, à l’instar de  Jean, Maydieu, et de Jacques Loew qui afficha une trajectoire de vie et un  programme missionnaire assez semblables aux siens.

Entre père et mère

Madeleine Delbrêl naît en 1904 à Mussidan, en Dordogne. Elle était la fille unique d’une famille issue de milieux sociaux différents et à l’entente difficile. Sa mère est issue d’une petite bourgeoisie et les grands-parents maternels tenaient à Mussidan une fabrique de cierges, de cire et de bougies qui fournissait le marché de Lourdes. Son père Jules venait d’une famille qui avait perdu son statut social et qui essayait de récupérer le terrain perdu. Une famille marquée aussi par une fragilité psychologique, le grand-père ayant été interné dans un asile psychiatrique.

Madeleine vit une enfance itinérante à cause du métier de son père, ouvrier, puis cadre aux chemins de fer (Bordeaux, Montluçon, Paris). C’est aussi un autodidacte qui cultive une très grande passion pour la littérature; passion contagieuse pour la petite Madeleine qui, à trois ans, sait déjà lire et écrire.

Madeleine est une fille aimée; même si le couple finira par se séparer, elle gardera avec soin des liens avec ses deux parents. Les rares lettres de Madeleine à sa mère nous montrent une relation très profonde. Peu avant de mourir, elle dira que sa famille était «faite de tout». «Cela fut une chance, j’ai vécu aussi hors des cloisonnements sociaux».[1] La relation avec son père fut plus compliquée du fait de la maladie de ce dernier. A Mussidan, puis à Paris, Jules Delbrêl fréquente les cercles littéraires du docteur Armaingaud.

Dieu est mort. Vive la mort!

En 1919, Madeleine est à Paris où elle fréquente la Sorbonne et les milieux littéraires et agnostiques qui gravitent autour de son père. Elle prend des cours de dessin et de philosophie. A l’âge de seize ans, douée d’une intelligence très vive, musicienne, écrivaine, elle se déclare strictement athée et sa première communion fervente n’est plus qu’un souvenir lointain. Elle exprime sa protestation contre l’absurdité de l’existence et d’un monde où la mort semble avoir le dernier mot, dans un texte qui est d’une lucidité foudroyante:

«On a dit ‘Dieu est mort’. Puisque c’est vrai, il faut avoir l’honnêteté de ne plus vivre comme s’il vivait. On a réglé la question pour lui: il reste à la régler pour nous… Le malheur grand, indiscutable, raisonnable c’est la mort. C’est devant elle qu’il faut devenir réaliste, positif, pratique. Dieu a laissé partout des hypothèques d’éternité, de puissance, d’âme. Et qui a hérité?… C’est la mort… Il durait: il n’y a plus qu’elle qui dure. Il pouvait tout: elle vient à bout de tout et de tous. Il était Esprit – je ne sais pas trop ce que c’est – mais elle, elle est partout, invisible, efficace; elle donne un petit coup et toc, l’amour s’arrête d’aimer, la pensée de penser, un bébé de rire… il n’y a plus rien»[2].

Quel contraste entre ses pensées morbides et son envie de vivre

L’athéisme de Madeleine est celui d’une intellectuelle qui n’est pas prête à s’engager dans les luttes du monde et qui se moque de tous: des révolutionnaires, des scientifiques, des pacifistes et même des amoureux! Toutefois elle aime trop la vie et le défi qu’elle lui lance – confié à une amie – est celui de vouloir rester toujours jeune!2  Quel contraste entre ses pensées morbides et son envie de vivre: elle veut s’amuser et elle aime à la folie la danse!

«Je décidai de prier»

Deux ans plus tard, elle rencontre un jeune chrétien, Jean Maydieu, avec qui elle noue une amitié profonde. Le projet d’une vie ensemble semble apparaître à l’horizon, quand son ami décide d’entrer dans l’ordre des Dominicains. Cet événement, qui bouleverse Madeleine, l’oblige, en même temps, à revoir la question de l’existence de Dieu. Plus tard, elle décrira ainsi cette étape de sa vie:

«Un fait s’était produit: la rencontre de plusieurs chrétiens ni plus vieux, ni plus bêtes, … qui vivaient la même vie que moi, discutaient autant que moi, dansaient autant que moi… mes camarades étaient fort à l’aise dans tout mon réel; mais ils amenaient ce que je devais bien appeler ‘leur réel’ et quel réel! Ils parlaient de tout, mais aussi de Dieu qui paraissait leur être indispensable comme l’air… le Christ, ils auraient pu avancer une chaise pour lui, il n’aurait pas semblé plus vivant… je ne pouvais plus honnêtement laisser non pas leur Dieu, mais Dieu dans l’absurde… je choisis ce qui me paraissait le mieux traduire mon changement de perspective: je décidai de prier… en priant j’ai cru que Dieu me trouvait et qu’il est la vérité vivante, et qu’on peut l’aimer comme on aime une personne».[3]

«J’ai voulu ressembler à une opale rare que le dédain enchâsse entre ses griffes fières»

Si Madeleine exprime dans ces derniers mots l’initiative de Dieu, il est aussi vrai que Dieu s’est imposé à elle à travers une réalité, un ‘fait’, la présence des croyants qu’elle a côtoyés. Déjà dans cette première expérience, le chrétien est pour Madeleine le «sacrement» de la présence de Dieu au cœur du monde. Dans un autre texte elle dira qu’elle a été «éblouie par Dieu»[4], élément qui reviendra plus tard dans sa vie lorsqu’elle l’utilisera pour indiquer la fascination du marxisme.

Madeleine confiera à un ami des équipes que, après sa conversion, elle s’était rendue à l’archevêché pour offrir deux opales auxquelles elle tenait beaucoup. Peu avant elle avait écrit un poème à ce sujet: «J’ai voulu ressembler à une opale rare que le dédain enchâsse entre ses griffes fières».[5] Un geste symbolique fort: présence de cette dimension ecclésiale dès le début de sa conversion.

Passer de l’écriture à la charité

Après sa conversion, dont elle parle très peu en la décrivant comme un éblouissement, Madeleine envisage d’entrer au Carmel, mais la maladie de son père, devenu presque aveugle, et les problèmes familiaux qui en découlent, lui font changer de perspective. C’est un vrai discernement qu’elle vit et qui aboutit au choix de «rester dans le monde pour Dieu». Ce n’est pas seulement son père qui a des problèmes de santé, mais Madeleine elle-même a une santé fragile qui l’obligera à s’arrêter à plusieurs reprises sa vie durant.

Au cours de cette période Madeleine continue d’écrire: en 1927 sera publié son premier recueil de poèmes «La Route» qui recevra le prix Sully-Prudhom. Mais c’est dans un dernier recueil de vingt poèmes qu’elle décide de quitter l’écriture ou mieux de passer de l’art de l’écriture à l’art de la charité. Il y a là un des plus beau poème de Madeleine pas encore entièrement publié:

Donne ô Beauté la charité à tout mon être, et sois au sommet de moi-même Que toutes les forces de ma vie, chaque soir, reviennent vers toi. Dans les jours où je vois le monde comme un hôpital sans soleil… quand j’avancerai dans les salles cherchant en vain dans ces yeux pleins de sang, de vin et d’or, un seul reflet de ta lumière, ô Beauté… Donne-moi ta charité pour que je baise l’empreinte de tes doigts indélébiles sur les âmes, sur la mienne comme sur la leur».[6]

(Photo: canalblog.com)

(Photo: canalblog.com)

Scout de France

Elle s’engage alors comme cheftaine dans le mouvement des «Scouts de France». Avec l’aide de l’Abbé Jacques Lorenzo, aumônier du groupe, elle découvre sa vocation à petits pas: inscrire les conseils évangéliques dans une vie laïque au cœur du monde. L’Abbé Jacques Lorenzo aura une place importante dans le cheminement spirituel de Madeleine: il sera son confesseur durant 30 ans. Un homme réservé, anciennement religieux chez «Les fils de la charité» et puis prêtre diocésain et membre de la Mission de France. Un homme qui avait le charisme de rendre vivante la Parole de l’Evangile.

En 1931, Madeleine entreprend des études pour devenir infirmière et assistante sociale. Avec quelques amies du groupe scout, déjà engagées dans un projet de service aux plus pauvres dans la paroisse St-Dominique, naît l’idée de former une petite fraternité, une «cellule d’Eglise» comme elle aime la définir, au service de l’annonce de l’Evangile. «Il faudra d’abord nous maintenir  »bien mortes » et puis laisser son Esprit modeler en nous le Christ de maintenant. Le Jésus d’aujourd’hui»[7] dira-t-elle à l’Abbé Lorenzo en 1932.

«La charité de Jésus» à Ivry

En 1933, Madeleine et deux autres compagnes arrivent à Ivry pour animer un centre d’action sociale qui dépend d’une nouvelle paroisse. C’est le début de «La Charité de Jésus» à Ivry, lnom choisi pour cette petite cellule d’Eglise. Elles ignorent tout de ce milieu, y compris l’existence de deux mondes ennemis, chacun portant sa propre étiquette: catholique ou communiste:

«… le drapeau rouge flottait sur la Mairie et j’ignorais ce qu’il signifiait véritablement. Je venais rejoindre non le ‘prolétariat’; non le ‘marxisme’: je ne le connaissais pas davantage. On m’avait dit qu’à Ivry des hommes étaient incroyants et pauvres. Je connaissais, pour l’avoir éprouvée, la misère de l’athéisme; l’Evangile m’avait révélé la pauvreté. Si ma rencontre avec le marxisme a été durable, elle n’a pas été choisie»[8]. C’est grâce aux contacts de travail et à la vie de quartier que Madeleine et ses compagnes vont découvrir qui étaient les communistes et ce qu’était le communisme: «Ce que nous cherchions, ce que je voulais, c’était la liberté de vivre, coude à coude, avec les hommes et les femmes de toute la terre, avec mes voisins de temps, les années de nos mêmes calendriers et les heures de nos mêmes horloges».[9]

«Les paroisses ont dans notre monde actuel les bras coupés au coude: les non-paroissiales sont, à mon point de vue, les ‘avant-bras’ de ces membres amputés»

 Ce désir de partager la vie des hommes et des femmes de leur temps les amène à quitter les limites du  »Centre Social » trop étroitement lié au cadre ecclésial et qui risquait de les couper du monde athée. Elles louent une maison juste à côté de la Mairie. Grâce à ses fonctions d’assistante sociale, Madeleine profite de toutes les occasions de rencontre avec la municipalité communiste et, en 1939, elle sera chargée, par le maire d’Ivry, d’assurer la direction du service social de la région.

Nous retrouvons ici une dynamique qui est très présente dans la vie de Madeleine: celle de l’ouverture aux autres, aux circonstances de la vie, qu’elle reçoit comme des ‘appels’, des sollicitations de la part de Dieu. Incroyante, elle a su s’ouvrir et se laisser interpeller par les chrétiens qu’elle côtoyait, elle n’hésite pas, une fois devenue croyante, à se laisser interroger par la rencontre avec les communistes et par l’athéisme qu’ils professent.

Frontière d’Eglise

Ce désir de proximité témoigne d’une caractéristique de la vocation de Madeleine: être une «frontière d’Eglise», une présence là où la paroisse ne peut pas arriver: «Les paroisses ont dans notre monde actuel les bras coupés au coude: les non-paroissiales sont, à mon point de vue, les ‘avant-bras’ de ces membres amputés».[10]

Madeleine Delbrêl continuera de collaborer avec le service social de la Mairie d’Ivry jusqu’en 1946, année où elle prendra la décision de quitter son travail pour s’occuper plus directement du groupe qu’elle anime. L’expérience de Madeleine et sa spiritualité s’enracinent dans une période historique où l’Eglise peine à entrer en dialogue avec le monde profane. A Ivry, Madeleine fait l’expérience d’une communauté paroissiale repliée sur elle-même, dans une sorte de ghetto paroissial. Elle sentait le manque d’élan missionnaire pour annoncer l’Evangile au-delà des «murailles» de la communauté chrétienne. Cette dernière devenait alors comme «un petit troupeau, heureux de sa foi, mais indéchiffrable à ce qui n’est pas lui».[11]

Photo: www.eglise.catholique.fr

(Photo: www.eglise.catholique.fr)

L’expérience apostolique de Madeleine Delbrêl rejoint un dynamisme missionnaire qui a marqué toute l’Eglise de France et qu’elle a soutenu et encouragé avec toute son expérience et sa lucidité. Ainsi elle sera présente à la naissance de la Mission de France en 1941, elle soutiendra le père Jacques Loew,  le Dominicain qui fut fondateur de la Mission Ouvrière St. Pierre et St. Paul; elle suivra de près toutes les tensions entre l’Eglise et les prêtres-ouvriers. C’est dans cette période que Madeleine vit en elle-même la tension entre l’obéissance à l’Eglise et les exigences de la mission. Ce souci de ne pas diviser le Christ-Eglise fait naître en elle la décision de se rendre à Rome en pèlerinage (et elle y retournera neuf fois!). Ce voyage à Rome lui permet de nouer des relations importantes, en particulier avec Mgr Veuillot, futur archevêque de Paris, qui sera une aide précieuse pour la petite fraternité que Madeleine anime.

Une vie chrétienne «normale».

Cette attention à l’unité est aussi le souci de Madeleine vis-à-vis de son groupe qui est en train de vivre une période difficile. La fragilité des équipes qui vivaient hors de tout cadre ecclésial déterminé commence à devenir source d’inquiétude à l’intérieur du groupe au point d’envisager le rattachement à un mouvement d’Eglise officiel.

Madeleine entreprend ainsi les démarches pour un éventuel rattachement à un institut séculier, qui d’ailleurs ne se fera pas, car, comme le leur disait Mgr Veuillot, «votre vocation n’est pas là, elle tire son originalité et sa valeur spirituelle de la pratique effective et publique des conseils évangéliques dans le cadre – canoniquement libre – d’une vie chrétienne normale. C’est dans la vie chrétienne normale que vous voulez, aux yeux des hommes, témoigner de l’emprise de Dieu dans une vie humaine».[12] La vocation de Madeleine et de son groupe est désormais enracinée.

Si, quelques temps après sa conversion, elle avait décrit sa rencontre avec le Christ en utilisant l’image des pèlerins d’Emmaüs («Un passant a réglé sa marche sur la mienne; sa voix me rappelait une voix ancienne. Il a franchi mon seuil, s’est assis à ma table, et je l’ai reconnu quand il rompit le pain»)[13], c’est à nouveau dans la rue qu’elle se sent appelée à vivre, en communauté et pour le monde, une sorte de «sacrement» de la présence de Jésus, dans un élan missionnaire aux frontières de l’Eglise, qu’elle décrit comme un aller-retour entre Dieu et les hommes. Dans un vrai cri du cœur adressé, en 1956, à Mgr Veuillot, elle dit ceci à propos de la vocation de ses équipes:

«J’aurais voulu que, chrétiennes catholiques, vivant au clair leur but et ce qui les y conduit, elles soient des religieuses sans titre de noblesse, des amants du Seigneur, même sans livret de famille, mais pas des laïques mariées à la Cité, à quelque titre que ce soit.

La cité, elles vivent en elle, Filles de Dieu et de la Cité, mais elles doivent toujours aller ‘hors les murs’… J’aurais voulu que ces murs, sans cesse traversés, elles les retraversent dans un aller-retour continuel, entre les hommes et entre Dieu.

Que pour rester dans la Cité et en passer les murs, elles puissent vivre tout de la vie des hommes, excepté ce que l’Evangile défend».[14]

Dans ce texte ressort combien le monde de l’incroyance a modelé la pensée de Madeleine et a contribué a lui faire saisir la vocation de ses équipes: vivre dans le monde (la cité), cette appartenance à Dieu et à l’Eglise (la Cité), dans un élan qui les poussera à aller de plus en plus,  »hors les murs ». Toutefois, l’expérience de son groupe n’est pas une exception dans le contexte de l’Église de France. D’autres groupes et d’autres expériences, certains à Ivry même, semblent vivre de ce même élan missionnaire. Toutefois quelques éléments paraissent distinguer «La Charité» d’autres groupements de femmes laïques:

– Le maintien du lien avec la paroisse, même s’il est parfois conflictuel

– L’engagement social, vécu à travers le travail

– Une vocation, à la fois contemplative et active, avec des apports thérésiens et foucauldiens, vocation qui manifeste une sauvage volonté d’autonomie.[15] Les équipes n’ont jamais été une réalité numériquement importante. En tout, les membres des équipes ont été environ seize.

«Ville marxiste, terre de mission»

Que dire des derniers dix ans de la vie de Madeleine? 1955 fut une année difficile pour elle: mort de Jean Maydieu, puis de sa mère (en juin) et, quelques mois plus tard, de son père. Madeleine est en très mauvais état de santé, tout en travaillant à fond pour la publication de son livre «Ville marxiste, terre de mission», qui réunit les réflexions mûries pendant plus de vingt ans de présence à Ivry. A la suite de cette publication, Madeleine sera de plus en plus sollicitée pour participer à des conférences, des retraites afin de partager son expérience dans un milieu athée. En 1962 elle rédige aussi une documentation en vue du Concile, car l’un de ses plus grand désirs, c’est que l’Eglise officielle puisse ouvrir une brèche de dialogue avec le monde marxiste. Madeleine meurt le 13 octobre 1964, le jour où, pour la première fois, un laïc prend la parole durant l’assemblée conciliaire.

«Servante de Dieu»

Dans notre époque si fière de ses réussites et de ses techniques, on dirait que Dieu se plaît à féconder la vie de gens tout simples, dont l’existence, apparemment banale, n’a rien qui puisse justifier humainement un tel rayonnement. Dans le sillage de la «petite» Thérèse, Madeleine Delbrêl aurait pu se perdre dans la foule des anonymes, en ayant vécu enfouie, non pas dans un couvent, mais dans un quartier populaire de la banlieue parisienne. Tel n’as pas été son cas, car le 20 août 1993, l’évêque de Créteil, François Frétellière, a officiellement introduit la cause de canonisation de Madeleine Delbrêl. En 1996, le procès est reconnu valide par Rome et Madeleine Delbrêl est déclarée «Servante de Dieu».

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Federica Cogo est aumônière à la prison genevoise de Champ Dollon.


www.madeleine-delbrel.net

[1] Cf. La question des prêtres-ouvriers, Œuvres Complètes, Tome X, Nouvelle Cité, Bruyère-le-Châtel, 2012, p. 212.

[2] Cf. Nous autres, gens des rues (cité NA), Ed, du Seuil, Paris, 1966, p. 57.

[3] Cf. Ville Marxiste, terre de mission (cité VM), Cerf, Paris, 1970, 2ème édition, p. 249-252.

[4] Cf. La question des prêtres-ouvriers, op. cit., p. 217.

[5] FRANCOIS Gilles, PITAUD Bernard, Madeleine Delbrel, Poète, assistante sociale et mystique, Nouvelle Cité, Bruyère-le-Châtel, 2014, p. 55.

[6] Cf. FRANCOIS Gilles, PITAUD Bernard, Madeleine Delbrel, Poète, assistante sociale et mystique, op. cit., p. 73.

[7] Cf. Eblouie par Dieu, Correspondance, volume 1: 1910-1941, Nouvelle Cité, Bruyère-le-Châtel, 2004, p. 190.

[8] Cf. VM, p. 56.

[9] Idem, p. 10.

[10] Cf. BOISMARMIN (de) Christine, Madeleine Delbrêl, Rue des villes, chemins de Dieu, Nouvelle Cité, Paris, 1985, p. 58.

[11] Id, p. 45.

[12] Cf. BOISMARMIN (de) Christine, Madeleine Delbrêl, Rue des villes, chemins de Dieu, op. cit., p. 145.

[13] Id., p. 27.

[14] Cf. BOISMARMIN (de) Christine, Madeleine Delbrêl, Rue des villes, chemins de Dieu, op. cit., p. 144.

[15] Cf. Etienne Fouilloux, dans «Le Supplément» n° 173 (1990), p. 106.

[16] Cf. Mgr JACQUELINE B. L’Eglise devant le défi de l’athéisme contemporain, DDB, Paris, 1982, p. 149ss.

[17] Id., p. 150.

[18] Cf. La question des prêtres-ouvriers, op. cit., p. 85-90.

[19] Cf. NA, p. 90.

[20] Cf. VM, p. 140.

[21] Cf. VM, p. 211.

[22] Cf. NA, p. 311.

[23] Id., p. 199.

[24] Cf. BOISMARMIN (de) Christine, Madeleine Delbrêl, Rue des villes, chemins de Dieu, op. cit., p. 127.

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Tome I: Eblouie par Dieu, correspondance, volume I, 1910-1941

Trois versions du texte «Dieu est mort, vive la mort», «Testament spirituel»

Lettres en ordre chronologique destinées à sa mère, ses grands-parents, sa tante, à des écrivains, à Louise Salonne (50 lettres), à des membres ou collaborateurs des scouts, à quelques amies, à l’abbé Lorenzo, à son père. À des curés.

Tome II: S’unir au Christ en plein monde, correspondance, volume 2, 1942-1952

Lettres écrites pendant la guerre, alors qu’elle est encore engagée comme assistante sociale et que le groupe est en expansion. «On la sent de plus en plus préoccupée par la croissance spirituelle des personnes qui l’entourent et par les conditions de la mission à la suite du Christ». Le nombre de correspondants s’agrandit ainsi que le style des lettres se diversifie: réflexions, partage du quotidien, encouragements, conseils spirituels, etc.

Pause dans la publications de la correspondances (ils restent 3 à 5 volumes) pour faire profiter les lecteurs d’autres textes et pour permettre de récolter d’autres lettres qui ne sont pas encore dans les archives.

Tome III: Humour dans l’amour, méditations et fantaisies

La moitié des textes ce sont des inédits. L’autre moitié ce sont les textes les plus connus. Il s’agit de méditations poétiques, des textes écrits pour certaines occasions (célébrer Noël), des poèmes, des remerciements, des vœux. (p. 234)

Tome IV: Le moine et le nagneau. Alcide et ses métamorphoses

Quatre textes de pensées spirituelles: le fameux «Alcide», et trois inédits: le «Carnet du Chemin de Croix», le «Carnet de Noël 1932» et «l’Agenda 1945». Puis il y a un conte «le Nagneau», des fictions, une opérette, un poème.

Tome VProfession assistante sociale, Ecrits professionnels, volume 1

Un nouveau genre littéraire: les écrits professionnels. Il s’agit d’écrits déjà publiés et qui ne sont plus disponibles. Ecrits intéressants, même pour ceux qui ne sont pas des assistants sociaux, pleins d’humanité et de bon sens qui manque tant à notre temps.

Tome VILe Service social entre personne et société, Ecrits professionnels, volume 2

Même genre littéraire, mais cette fois-ci il s’agit d’écrits inédits. Tout comme le tome V, dans cet ouvrage nous trouvons l’apport d’un historien dans le domaine du travail social ainsi que, dans le tome VI, une relecture de l’anthropologie de Madeleine Delbrêl par le P. Bernard Pitaud qui peut nous aider à faire le lien entre les textes professionnels et les textes spirituels de Madeleine.

Tome VIILa sainteté des gens ordinaires, Textes missionnaires, volume 1

Le plus vendu! Il contient plusieurs textes déjà publiés dans les anthologies. C’est le premier volume consacré aux textes missionnaires de Madeleine Delbrêl.

Tome VIIIAthéismes et évangélisation, Textes missionnaires, volume 2

A propos des conditions de l’évangélisation. Textes déjà partiellement publiés.

Tome IXLa Femme, le prêtre et Dieu, Textes missionnaires, volume 3

Au coeur du mystère intime de l’Église. La bonté.

Tome XLa Question des prêtres ouvriers, La leçon d’Ivry, Textes missionnaires, volume 4

Tome XIVille marxiste terre de mission, nouvelle édition du livre de 1957, Textes missionnaires, volume 5

Tome XIIEn dialogue avec les communistes, Textes missionnaires, volume 6,

Conférences données après la publication de Ville marxiste, terre de mission. Pas mal de redondances, mais aussi la description de plusieurs types d’ athéisme !

4 Cf. Etienne Fouilloux, dans «Le Supplément» n° 173 (1990), p. 106.

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Editions Nouvelle Cité

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