Lausanne – Revue Sources https://www.revue-sources.org Wed, 04 Jan 2017 12:32:03 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.3.1 Flâner https://www.revue-sources.org/flaner/ https://www.revue-sources.org/flaner/#respond Wed, 15 Jun 2016 01:47:15 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=1390 Pierre Corajoud. Flâneries lausannoises. 18 balades à travers des chemins à (re) découvrir, 152 p.


Encore une autre façon de marcher pour Pierre Corajoud, jeune lausannois qui flâne à travers sa ville, sans autre but  que celui de s’arrêter hors du tourbillon des choses à faire, dans un décor familier, heureux et  surpris de découvrir ce qu’il n’avait jamais aperçu jusque là.

«L’évasion est souvent là où on ne l’attend pas. Avec un brin de curiosité, des choses prétendues banales peuvent devenir extraordinaires».

 

]]>
https://www.revue-sources.org/flaner/feed/ 0
(Re)faire la ville et processus citoyen https://www.revue-sources.org/refaire-la-ville-et-processus-citoyen/ https://www.revue-sources.org/refaire-la-ville-et-processus-citoyen/#respond Wed, 01 Jul 2015 15:23:45 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=264 [print-me]

«SmartCity», la ville intelligente, c’est le projet d’une ville moderne, innovante, capable d’améliorer la qualité de vie de ses habitantes et habitants.

Afin de stimuler le développement de savoirs autour de ce thème, la Haute école spécialisée de Suisse occidentale (HES-SO) lançait en 2011 un appel à projets au sein de ses instituts et hautes écoles. Un des projets retenus, sous l’acronyme «Atequas», visait à porter un regard interdisciplinaire (urbanisme, architecture, sociologie, science politique) sur l’émergence et la transformation de quartiers dits «soutenables», c’est-à-dire dont la conception et / ou le (ré)aménagement répondent aux exigences environnementales et de qualité de vie tout en s’effectuant avec la participation de ses habitantes et habitants; pour le dire avec une formule, des «éco-quartiers participatifs». Chantal Guex, une des chercheuses impliquées dans le projet Atequas, tire quelques enseignements des observations réalisées par l’équipe de recherche sur le projet de réaménagement urbain du quartier du Vallon à Lausanne (Suisse), qui s’inscrit dans cette approche.

Le projet de réaménagement urbain du quartier du Vallon est exemplaire des possibilités et des limites de la démocratie participative. Exemple concret de l’expression de nouvelles formes démocratiques mettant l’accent sur la délibération et la participation des citoyens dans les projets pour (re)faire la ville, il illustre aussi les décalages et les contradictions qui existent entre les grandes régulations collectives à l’échelle d’une ville comme Lausanne, d’une part, et l’implication de citoyens à l’échelle d’un quartier dans la conception de leur environnement, d’autre part.


Le quartier du Vallon, à Lausanne: 


Approcher le territoire…

Lorsque un projet d’intervention urbaine est envisagé, les opérateurs qu’ils soient étatiques (administration, services concernés) ou professionnels (architectes, urbanistes) récoltent des données de nature essentiellement matérielle et physique sur le quartier: bâti existant, voies de circulation (accès, routes…)… Le quartier est saisi comme une réalité qui se révèle dans sa matérialité et qui s’actualise essentiellement dans le moment présent. Lorsque le passé est pris en compte, c’est avant tout « l’histoire des bâtiments », dans une vision essentiellement patrimoniale, qui est au cœur des analyses. Le plus souvent, l’histoire sociale et politique du quartier reste un angle mort.

Or, dans une perspective de démocratie participative, la «mémoire» sociale du quartier ne peut être négligée. Il s’agit notamment de repérer les débats et décisions politiques prises dans le passé, les processus de mobilisation que ces décisions ont suscités, ou encore de considérer les flux de populations et leurs modes de vie qui ont laissé leur empreinte, façonnant un «esprit des lieux», une identité collective propre au quartier.

Dans une perspective de démocratie participative, la «mémoire» sociale du quartier ne peut être négligée.

Les dispositifs de gouvernance, organisés au Vallon, ont en partie pris en compte ce savoir historique du quartier. La personne en charge du processus participatif du service de l’urbanisme savait que le Vallon avait la réputation d’un quartier avec une « population difficile » qui s’était déjà mobilisée contre des projets de rénovation dans le passé. Cette histoire politique du quartier, s’il en restait des traces dans les imaginaires des fonctionnaires et certainement aussi dans les tiroirs de l’administration, a été très peu explicitée durant le processus. En revanche, les expériences passées ont engendré une grande méfiance envers l’administration. Un gros travail a dès lors dû être fourni pour rassurer les membres du groupe de soutien et leur promettre que la dynamique actuelle serait différente de celle du passé, ainsi que pour désamorcer les craintes de la population, échaudée par les promesses non tenues des autorités.

dans sa dimension sociale

Dans une perspective de développement durable, les démarches de requalification urbaine ne peuvent faire l’économie d’une prise en compte des caractéristiques sociales des habitants, de leurs représentations et usages, de leur évolution dans le temps.

Dans le projet de réaménagement du Vallon, le groupe de soutien a ainsi élaboré un questionnaire portant à la fois sur les représentations, les usages des espaces publics et la mobilité des habitants du quartier, leurs besoins en termes de logement, de qualité des espaces publics, de trafic, de transport… Cette enquête à caractère exploratoire, et menée avec très peu de ressources, a néanmoins permis d’initier des débats s’appuyant sur la réalité et les préoccupations effectives des habitants.

Intégrer les savoirs profanes dans les processus de gouvernance

Les projets de requalification territoriale font intervenir une diversité d’acteurs: politiques, fonctionnaires, architectes, urbanistes et, selon les cas, usagers et habitants du quartier. Si chaque type d’acteur mobilise un savoir particulier aux différents moments du projet, une perspective de développement durable implique de décloisonner ces savoirs et de les faire dialoguer. De la simple séance d’information, où les autorités publiques transmettent intentions et décisions, en passant par les médiations organisées entre usagers et professionnels (explication des travaux en présence des architectes, visite guidée du quartier, animations diverses pour sensibiliser et mobiliser les habitants autour du projet de requalification…), jusqu’aux jurys d’experts réunissant savoirs profanes, professionnels et politique…, les formes de diffusion et d’intégration des savoirs sont multiples et variables selon la valeur et l’importance donnée à chaque type d’expertise et selon les différents moments du projet de requalification.

Le processus participatif mis en place au Vallon est exemplaire de cette volonté d’intégrer le savoir des usagers à travers différentes modalités et à différents moments du processus.

Les usagers, les habitants d’un quartier connaissent le quartier à travers les usages qu’ils en font. Cette expertise est précieuse à plus d’un titre. Elle permet d’élaborer des programmes d’intervention qui répondent aux usages et besoins sociaux; son intégration dans le projet renforce sa légitimité et son acceptabilité, évitant en partie les oppositions et les remises en question qui lui sont adressées. Pour les professionnels, les savoirs des usagers permettent de construire un projet en y intégrant des éléments très concrets, issus des expériences singulières des individus et de leurs usages effectifs de l’environnement. Reste que la traduction de savoirs et de besoins, souvent particuliers et spécifiques, en langage architectural et urbanistique reste une contrainte de taille que les professionnels ne réussissent pas toujours à relever.

Le processus participatif mis en place au Vallon est exemplaire de cette volonté d’intégrer le savoir des usagers à travers différentes modalités et à différents moments du processus: de l’enquête aux balades où les habitants ont pu s’exprimer sur leur quartier, jusqu’aux groupes de réflexion et séances de présentation et de critique collective des projets, les habitants ont été conviés à prendre la parole. Néanmoins, si certaines informations ont été clairement intégrées au programme du mandat d’étude adressé aux architectes et urbanistes, il n’est pas certain que ceux-ci aient réussi à l’exprimer dans leur projet. C’est le bureau d’architectes implanté dans le quartier qui a finalement su le mieux prendre en compte les connaissances sur les conditions d’usage de l’espace, comme si le fait d’en faire soi-même l’expérience en tant qu’usager en facilitait la traduction architecturale.

Information, consultation, co-décision: les «niveaux» de la «démocratie participative»

Dans certains cas, la participation se limite à une information des citoyens qui se veut claire et régulière sur les projets d’aménagement. Dans d’autres cas, elle prend la forme de dispositifs complexes de délibération; mais ces derniers ne sont souvent que consultatifs, les décisions finales appartenant non pas aux habitants mobilisés, mais aux autorités politiques et administratives, sans que cette distinction entre «être consulté» et «pouvoir décider» soit toujours clairement explicitée au début du processus. Les attentes et les besoins que fait naître le processus participatif risquent dès lors d’être déçues, délégitimant du coup l’ensemble du dispositif.

Dans le cas du Vallon, une séance d’information a d’emblée clarifié les objectifs poursuivis: élaborer avec les habitants le programme pour un mandat d’études soumis aux professionnels, consultation donc, mais pas décision. Si cette clarté au début du processus participatif a eu l’avantage de ne pas soulever des attentes collectives trop fortes, la suite des évènements, une fois le programme lancé, a néanmoins déçu les acteurs engagés : attente de plusieurs mois sans nouvelle de l’administration; séance d’information programmée à la dernière minute; changement abrupte de la responsable du projet Vallon au sein du service de l’urbanisme… L’engagement citoyen ne doit donc pas seulement être stimulé au début du processus, mais faire l’objet d’attention et de soutien durant toute la durée du projet d’aménagement.

Pour un processus participatif souple, adapté et créatif

Aux yeux des élites politico-administratives ainsi que des professionnels, donner la parole aux usagers et habitants du territoire s’apparente souvent à un exercice risqué, le citoyen ordinaire pouvant s’immiscer dans des questions techniques ou politiques qu’il ne maîtrise pas. Cette crainte de perdre le contrôle a conduit à une grande formalisation des procédures participatives. Celle-ci est d’autant plus forte quand la mise en oeuvre est déléguée à des mandataires externes disposant d’un savoir-faire qu’ils appliquent uniformément à chaque projet, sans vraiment tenir compte des particularités locales et surtout des forces de proposition des acteurs du quartier.

L’engagement citoyen ne doit donc pas seulement être stimulé au début du processus, mais faire l’objet d’attention et de soutien durant toute la durée du projet d’aménagement.

A l’inverse de l’application mécanique d’un tel «kit» de procédures prêtes à l’emploi, le dispositif participatif du projet du Vallon s’est construit progressivement à partir des propositions apportées par le groupe de suivi et les habitants.

Par exemple, celui-ci a organisé une grande fête de quartier, mobilisant les savoir-faire des habitants (stand de cuisine, animation musicale, jeux pour les enfants…). Il a aussi pris prétexte de la fête pour proposer des balades urbaines dans le quartier, amenant enfants, parents et particuliers à découvrir l’histoire et les lieux intéressants du quartier. Ces journées festives furent aussi l’occasion de récolter, sous diverses formes, les attentes et besoins en termes d’aménagement. Cette action a permis de responsabiliser et fédérer la population autour de questions et d’enjeux étroitement liés à leur espace de vie, encourageant ainsi une appropriation sociale du quartier.

Le groupe de suivi a également joué le rôle de relais entre le service de l’urbanisme et la population du Vallon, en rassurant les habitants sur les intentions de la municipalité et faisant remonter les doléances et les préoccupations jusqu’à cette dernière.

In fine, si les processus participatifs doivent à l’évidence se déployer dans un cadre clair en termes d’objectifs, il ne faut pas négliger l’importance tant de la dimension temporelle du processus que des ressources effectives qui pourront être affectées à ce dernier. Comme ces deux éléments sont susceptibles de varier au cours du temps, il est important que le dispositif participatif intègre dès sa conception des marges d’action (d’initiative, de créativité, …) qui permettent la mobilisation effective de la population et de ses différentes composantes et que celles-ci aient la capacité de lancer des actions innovantes autour du projet d’aménagement.

[print-me]


Chantal Guex est professeure à la Haute Ecole Supérieure de Suisse occidentale (HES-SO) – Haute école de travail social Fribourg.

]]>
https://www.revue-sources.org/refaire-la-ville-et-processus-citoyen/feed/ 0
Un engagement peut en nourrir un autre! https://www.revue-sources.org/un-engagement-peut-en-nourrir-un-autre/ https://www.revue-sources.org/un-engagement-peut-en-nourrir-un-autre/#respond Thu, 01 Jan 2015 14:24:58 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=225 [print-me]

Je suis à quelques semaines de ma retraite civile et le hasard d’un dossier de « Sources » sur l’engagement m’invite à m’arrêter quelques instants pour décoder une aventure professionnelle vécue au cœur de ma vocation religieuse.

Dominicain à 49 ans!

Tout d’abord quelques éléments pour contextualiser mon propos. J’entre dans la vie religieuse dominicaine à 49 ans, abandonnant une activité professionnelle dans le monde de la santé. Je démissionne donc. Après une année de noviciat, mon ancien employeur [1. L’Institut et Haute Ecole de la santé La Source (Lausanne)] qui était venu assister à ma prise d’habit me demande si je ne veux pas reprendre mon activité professionnelle avec un pourcentage adapté et compatible avec des études de théologie que je devais entreprendre à l’université de Fribourg.

La question était audacieuse et la réponse ne dépendait plus de moi. Le Provincial [2. Nom que l’on donne pour désigner le supérieur d’une province dominicaine.] fut favorable et en perçut probablement les bénéfices à moyen et long terme.

Je m’attendais à « devoir tout quitter » et me voilà à nouveau « réengagé » dans une activité civile.

Je venais de m’engager dans la vie religieuse pour trois ans avant mes vœux définitifs. Je m’attendais à « devoir tout quitter » et me voilà à nouveau « réengagé » dans une activité civile, celle que j’avais laissée un an plus tôt. L’enjeu était important et risqué car il mettait en articulation plusieurs dimensions: l’apprentissage de la vie religieuse avec une formation exigeante, la responsabilité d’un réengagement professionnel et l’équilibre d’une posture nouvelle en rapport à un passé connu de mes collègues de travail.

Cet équilibre a bien fonctionné jusqu’à la fin de mes études tout en reconnaissant quelques tensions. La décision fut donc prise à mon ordination sacerdotale de maintenir cette activité professionnelle intégrée à mon apostolat général, sans être néanmoins un temps plein. Ce point était déterminant pour assurer l’équilibre entre mes deux « vies ». Il fallait par ailleurs répondre à des besoins précis de la communauté de Genève dans laquelle j’allais être assigné.

Pastorale d’enfouissement

Je réalise aujourd’hui que l’articulation vie religieuse et vie professionnelle doit s’inscrire dès l’origine dans l’essence même d’une vie engagée totalement au service de l’Evangile et de l’Eglise. La dimension professionnelle devient alors un lieu catalyseur, une facette de cet engagement fondamental. Ce qui n’est pas toujours facile à faire comprendre à ses « pairs ». Ne serait-ce déjà qu’à cause d’un environnement si différent.

Par ailleurs, cet apostolat peut apparaître sans protection et présenter toutes les aspérités d’une existence séculière: carrière, évaluation, compétition, production, rentabilité. Des questions peuvent se poser et rendre l’équilibre fragile, mais elles peuvent aussi nourrir et creuser une vocation.

En fait, j’engageais bien plus que moi-même.

J’ai toujours fait le choix de me situer dans mon activité [3. Celle d’enseignant et de chercheur dans le domaine des sciences infirmières, de la bioéthique et de la philosophie des sciences (HES-SO et Université).] uniquement comme professionnel, en indiquant cependant à l’occasion de mes interventions ou rencontres mon identité de prêtre dominicain. C’est dans cette configuration parfois surprenante que se vit une pastorale indirecte ou « d’enfouissement » faite pour une bonne part d’éléments que la vie professionnelle très souvent évacue ou minimise: une certaine écoute et attention à l’autre, la disponibilité pour aborder des questions essentielles, un regard d’espérance, la confiance dans une vie plus forte que la mort…

Dans ce parcours, il y eut aussi des moments de visibilité religieuse, tels la demande d’un baptême pour l’enfant d’une collègue, les funérailles d’une autre collègue qui m’avait demandé de l’accompagner dans ses derniers moments, une célébration pour une étudiante tragiquement décédée…

Travailler dans une institution laïque, fortement marquée par un passé « religieux » [4. L’Ecole La Source, première école « laïque » au monde de soins infirmiers, fondée en 1859, appelée néanmoins Ecole normale évangélique de gardes-malades est depuis 2002 la Haute Ecole de la santé La Source.], sans en être l’aumônier, vivant un sacerdoce qui ne « se dit pas », voilà une belle alchimie qui m’a aidé, entre autres, à comprendre l’importance des mots et du langage qu’il faut souvent interpréter.

Et pourtant pas schizophrène!

Au moment où je quitte mon statut civil, je prends conscience de la densité de ce qui a été engagé. Je ne m’en suis pas toujours rendu compte. Me vient à l’esprit l’expression « mis en gage ». Car dans le mot engagement, il y a une notion de contrat, de promesse, de respect mutuel, de garantie, de caution. J’ai l’impression que ce que je mettais « en gage » du fait de mon identité de prêtre était quelque chose de ma personne dans son unité profonde.

En fait, j’engageais bien plus que moi-même. Cette conviction m’a toujours accompagné sans pour autant me peser. Très souvent mes collègues de travail m’ont demandé comment je conciliais certaines questions bioéthiques ou philosophiques qui faisaient partie de mon programme d’enseignement avec mon choix religieux. Ces questions me renvoient aujourd’hui à celle de l’unité de cet engagement. Je ne me suis jamais senti schizophrène fonctionnant dans des catégories d’existences séparées, affirmer d’un côté ce que je devais nier de l’autre.

Un chemin à parcourir bien plus qu’un but déjà atteint.

Je réalise aujourd’hui qu’un équilibre enrichissant peut s’établir en de telles situations du moment que l’on est enraciné dans une liberté profonde et ouverte trouvée dans l’Evangile. Si j’essaie de mettre des mots et un cadre théologique à cette expérience de vie qui a duré près de dix-huit ans, je les emprunterai à Xavier Thévenot [5. Salésien de don Bosco, il a été un des grands théologiens moralistes contemporains, décédé en 2004.]. Comme lui, je suis de plus en plus convaincu que: « …tout ce qui se commande au nom du Dieu de Jésus-Christ doit pouvoir se justifier du point de vue de la vérité de l’homme, et tout ce qui est prescrit par la raison droite doit pouvoir montrer sa cohérence avec la vérité de la foi chrétienne« [6. Xavier Thévenot, Compter sur Dieu. Etudes de théologie morale, Ed. Cerf. Paris, p.15].

S’engager dans une activité professionnelle tout en ayant engagé pleinement et totalement sa vie par des vœux religieux révèle à celui qui en fait l’expérience le caractère exigeant mais profondément évangélique de ce choix. Un chemin à parcourir bien plus qu’un but déjà atteint.

[print-me]


Michel FontaineLe frère Michel Fontaine, prieur de la communauté dominicaine de Genève, a quitté ses activités professionnelles à Lausanne et Strasbourg. Formé en soins infirmiers, en sciences sociales et en éthique, son apostolat principal demeure la formation et l’accompagnement en lien avec la pastorale de la santé à Genève et l’Université de Fribourg. Il est aussi membre de l’équipe rédactionnelle de « Sources ».

 

]]>
https://www.revue-sources.org/un-engagement-peut-en-nourrir-un-autre/feed/ 0
Gilbert Vincent, prêtre en état de poésie https://www.revue-sources.org/gilbert-vincent-pretre-en-etat-de-poesie/ https://www.revue-sources.org/gilbert-vincent-pretre-en-etat-de-poesie/#respond Tue, 01 Jul 2014 09:42:30 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=328 [print-me]

Gilbert Vincent, prêtre retraité du diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg, alerte octogénaire, a beaucoup d’amis dans le milieu des artistes et des poètes, avec lesquels il partage tout naturellement une quête de sens et de vie. Monique Bondolfi, membre de notre équipe rédactionnelle, l’a rencontré.

Gilbert Vincent a passé une enfance heureuse dans la campagne vaudoise, à Savigny, sur les hauts de Lausanne, auprès de ses grands-parents maternels, au contact de la nature et dans la simplicité.

Vers 14 ans il tombe sur les Illuminations de Rimbaud. Bien qu’ébloui, il ne comprend pas encore que le poète veut changer le monde. Qu’importe, puisque la poésie a désormais pris place au premier rang de ses nécessités vitales. Lecture suivante: les Ecrits de Gustave Roud. Profonde émotion, visites à Carrouge, entretiens confiants avec le poète et sa sœur Madeleine. Finalement, Roud suggère au jeune homme d’aller « voir chez les catholiques ».

Tout en exerçant son métier à l’imprimerie, il consulte tel ou tel curé… Sans résultat! La vie continue et voilà qu’au gré d’un cours de répétition, il rencontre un camarade de service militaire, Jean Jobin, séminariste sur le point de devenir prêtre. Celui-ci lui donne enfin l’image d’un catholicisme vivable.

A 25 ans, il s’en va étudier la philosophie à Lyon. Quatre années de bonheur, suivies de cinq autres plutôt blêmes, consacrées à la théologie, à Fribourg, où on lui reprochait de « penser par lui-même… »

Prêtre depuis l’été 1967 il a sans cesse vécu simultanément dans les quatre paroisses vaudoises où on l’a envoyé en compagnie de ses proches: écrivains, peintres et amis des arts.

Quels sont ceux qui vous nourrissent en particulier?

Les poètes d’ici et d’Europe qui expriment une expérience humaine majeure, y compris ceux qui ne correspondent pas entièrement à ma sensibilité comme, entre autres, Ramuz et Claudel.

Mais si vous voulez, vous trouverez une part de ce qui m’est nécessaire dans deux livres inoubliables: L’Âme romantique et le rêve d’Albert Béguin et De Baudelaire au surréalisme de Marcel Raymond. Ce sont les traductions de Gustave Roud et de Philippe Jaccottet qui m’ont permis d’entrer dans l’univers spirituel allemand – Hölderlin, Novalis, Trakl, Rilke, notamment. Et c’est encore à Roud que je dois d’avoir aimé très jeune la poésie mystique: François d’Assise et Hildegarde de Bingen au XIIe siècle, Jean de la Croix au XVIe siècle.

Le croyant, comme le poète, ne parle pas d’abord de ce qu’il sait, mais de ce qu’il expérimente.

Beaucoup plus tard, vers 1980, allait apparaître, après d’autres, Gérard Manley Hopkins, poète anglais du XIXe siècle, en qui la Nature bataillait pour donner naissance au Dieu caché. Enfin, Maurice Zundel. Fut-il poète? Au XXe siècle il a en tout cas vécu en « état de poésie » comme disait Haldas et, dans le sillage de François d’Assise, il fut le chantre incomparable de la Pauvreté.

A quelques-uns qui me « nourriront », jusqu’au bout, tant de leur œuvre que de leur amitié (mon amitié pour Crisinel a commencé après sa mort), les circonstances ont voulu que je consacre quelques pages. Dans l’ordre, je crois: Roud, Crisinel, Zundel, Lossier et Gaberel. D’autres poètes me sont également chers. Je n’ai rien écrit à leur sujet. Rien sur Georges Haldas (qui m’a souvent évoqué dans ses livres). Sans doute parce qu’au fil de nos rencontres, fréquentes, pendant des décennies, à Genève et au Mont, nous avons pu nous confier ce qui nous tenait à cœur. Rien non plus sur Philippe Jaccottet, peut-être parce que son exigence indéfectible à discerner contre la mort, malgré l’incertitude, l’illimité dans le plus infime me touche trop et m’intimide.

La poésie, expression d’une expérience?

Selon Gérard de Nerval, la vie du poète doit être celle de tous, ce qui le met en demeure d’avoir à délivrer une parole universelle, à partir de ce qu’il vit dans la nature et dans sa relation au monde des hommes.

Tous vibrent aux formes, aux couleurs, aux frémissements d’une nature recueillie dans leurs corps; tous s’enchantent de la beauté des âmes, quand elles sont belles; tous revivent à la noblesse des comportements, quand ils apportent la paix. Mais tous sont confrontés à leur mort, celle de leurs proches, aux charniers de l’Histoire, à l’usure des civilisations et à la vulgarité de leur époque. Ecartelés entre la vie et la mort, il leur faut trouver une façon d’exister. Laquelle?

Chacun élabore sa réponse dans la peine, compte tenu de son expérience propre. A titre d’exemple en voici trois. Hölderlin assignait à la poésie la tâche surhumaine de préparer le retour des dieux enfuis, y compris celui de Jésus. Il le fit au prix de sa raison. Leopardi, traversé par la révélation du Néant, au temps de son adolescence, savait que tout était perdu. Mais soutenu par les beautés éphémères du monde, il célébrait la dignité humaine, en attendant la destruction. Roud, « admis vivant à l’éternel » lors d’une expérience unique et fasciné par le chant franciscain de « notre sœur la mort corporelle » aspirait à la proximité de ses morts: sa mère, des amis, sa sœur. Des mois après le décès de celle-ci, il éprouva sa présence « libérée et joyeuse comme l’infirme miraculée par la mort. » Dans l’Egypte ancienne, on envisageait la mort comme un retour à la maison.

La poésie, une échappée vers Dieu?

La poésie, une échappée vers l’illimité. Chez les poètes que j’aime, la poésie s’enracine dans leur capacité de voir, au moins l’instant de la vision, dans les réalités temporelles et spatiales, une autre réalité: indépendante du temps qui finit et de l’espace qui définit. A les entendre, cette vision de l’âme des êtres et des choses tient à une émotion initiale, source du poème qui viendra ou qui ne viendra pas. Cette émotion – d’ordre spirituel, me semble-t-il – le poète peut la désirer, mais pas la provoquer, parce qu’elle est toujours donnée. Sur ce point essentiel deux poètes aussi dissemblables qu’Haldas et Jaccottet se rejoignent dans un parfait accord.

Pour illustrer le phénomène de la vision poétique, voici l’exemple de Zundel. Il est au repos dans la chapelle des Médicis. Soudainement la beauté objective des allégories de Michel-Ange s’anime en une ronde majestueuse qui emmène notre homme, désormais oublieux de ses propres limites. Il est dans la beauté et la beauté est en lui. C’est tout. Il faut aux poètes les mots les plus justes pour nous offrir le dedans du monde.

Dans la mesure où la vie d’un poète est devenue celle de tous, il offre à tous son univers.

Le croyant, comme le poète, ne parle pas d’abord de ce qu’il sait, mais de ce qu’il expérimente. « Je ne sais rien de Dieu, j’essaie de le vivre. » Ou encore: « Je ne conçois rien, je témoigne… » écrira Zundel.

(L’abbé Vincent a bien connu l’abbé Zundel, poète et mystique, une figure qui en intimidait plus d’un, mais avec lequel il avait une relation plus simple que beaucoup, car nous dit-il, « je le faisais rire… ». Il a récemment évoqué sa relation avec l’abbé Zundel, dans le cadre des conférences du Centre Catholique à Lausanne, ce qui a donné lieu à une petite plaquette.[1. Cf Maurice Zundel, le rayonnement d’un mystique, à paraître en automne 2014 aux éditions Ouverture, au Mont sur Lausanne.])

Dieu caché, Dieu présent?

Au début de son Evangile Jean rapporte l’entretien de Jésus avec une femme de Samarie. Dieu est une intimité pure. A la lecture de ce passage, on s’aperçoit que Dieu a changé d’adresse. Il n’habite plus au temple, Il réside, désormais, au fond de la personne humaine, charge à elle d’en reconnaître la Présence.

En outre, à la fin du même Evangile, on constate que l’identité traditionnelle de Dieu a, elle aussi, radicalement changé d’allure. Au lieu d’un roi des rois, seul sur son trône et revêtu de tous les pouvoirs imaginables, Jésus parle de trois personnes qui vivent en communauté d’amour: le Père, le Fils et l’Esprit, dont l’unité repose sur le don spontané et sans faille de chacune d’Elle aux deux Autres. Du coup, le pouvoir de dominer a disparu, au profit du pouvoir de se donner tout. C’est une belle occasion de réentendre ce que Sénèque avait déjà deviné: « Dieu n’a rien, Dieu est nu. »

En conséquence on sent bien que l’intimité divine, dans l’éternelle pureté de ses relations, ne peut se communiquer qu’à une autre intimité: celle de quiconque, lorsqu’elle se fait accueillante. Sinon, dans les grands fonds, Dieu se destine à attendre en aimant et à souffrir de n’être pas encore aimé.

Je crois discerner une similitude entre les expériences divine et poétique, en ce que toutes deux procèdent d’une nécessaire émotion initiale. Mais tandis que le poète tient la sienne du monde, qu’il transfigure en un poème ouvert sur le mystère de ce qu’il voit, celle du croyant lui vient de son Dieu encore caché, qu’il lui faut reconnaître pour Le laisser transparaître dans sa vie, en une Présence souvent silencieuse et toujours rayonnante.

Les deux expériences ne sont pas contradictoires, puisqu’on les trouve réunies chez beaucoup, par exemple François d’Assise, Jean de la Croix et Gérard Manley Hopkins, notamment.

La poésie, peut-elle être un chemin de foi?

Telle que je l’entends, foi en ce que le monde ne se réduit pas au monde: oui, certainement. Foi en Dieu, tout dépend de l’expérience propre de chaque poète. Je m’explique. Hopkins et Jaccottet sont également bouleversés par la beauté des fleurs. Or, un jour qu’Hopkins croit n’avoir jamais rien vu de plus beau que la jacinthe qu’il regardait, il conclut: « Par elle, je connais la beauté de Notre-Seigneur. »

A regret, Jaccottet ne peut pas adhérer à la conclusion de l’Anglais. Cependant, la beauté est bien là, elle lui parle à lui aussi, en silence, au ras du sol, toute fleurie, à la manière d’une rosée de lumière sur une feuille. Que lui dit-elle? Elle l’invite simplement à s’avancer « dans un espace qui pourrait être de plus en plus ouvert (…), hors des plus sombres labyrinthes. »

C’est ainsi qu’à la suite de Novalis, les poètes recueillent, chacun comme il le peut, les signes du paradis épars sur toute la terre.

Gilbert Vincent, vous êtes à la fois un ami qui écoute et un homme de parole…

Au commencement était la relation, écrivait Gaston Bachelard. Et la relation s’inaugure dans une écoute attentive, puisqu’il s’agit d’entrer sans effraction, si possible, dans l’intimité de ceux et celles qui me parlent de vive voix ou par écrit dans l’intimité des choses aussi et dans celle de Dieu évidemment. Après beaucoup d’écoute, j’ose risquer une parole. S’il me faut prêcher sur un texte, j’y pense toute la semaine et je dis ce qui vient. De même pour une personne défunte, j’écoute longuement la famille, les proches, avant d’en faire mémoire.

La poésie, une parole qui relie?

Dans la mesure où la vie d’un poète est devenue celle de tous, il offre à tous son univers. Y entrent les personnes à qui cet univers parle: condition de la relation. Mais comme la poésie procède de la plus haute exigence spirituelle, en touchant les grands fonds des personnes qui l’accueillent, elle relie à soi, aux autres et au monde.

[print-me]

]]>
https://www.revue-sources.org/gilbert-vincent-pretre-en-etat-de-poesie/feed/ 0