Jésus – Revue Sources https://www.revue-sources.org Wed, 04 Jan 2017 13:41:01 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.3.1 Surpris par ceux du dehors https://www.revue-sources.org/surpris-par-ceux-du-dehors/ https://www.revue-sources.org/surpris-par-ceux-du-dehors/#respond Wed, 01 Jan 2014 13:39:01 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=198 [print-me]

On observe une tension dans l’évangile entre le dedans et le dehors. Spontanément on penserait que les disciples et les proches de Jésus sont ceux du dedans, alors que les foules, les pécheurs et les adversaires sont ceux du dehors. Mais à qui veut bien lire attentivement les Ecritures, la situation se révèle beaucoup plus complexe.

Jésus ne franchit que rarement les frontières d’Israël, mais il le fait, et surtout il ne cesse de mettre en lumière les ressources spirituelles et la foi de ceux du dehors, appelant ainsi à la conversion ceux du dedans! Nous allons rappeler ici quelques textes des évangiles qui rendent compte de cet étrange renversement.

L’Evangile chez les païens

Jésus affirme à la fois sa mission prioritaire auprès des brebis d’Israël et la nécessité de prêcher l’Evangile à toutes les nations. En fait, cette ouverture aux païens relèvera de la mission de Paul, des apôtres et de l’Eglise, mais Jésus l’amorce déjà lors de son ministère public. S’il offre du pain aux foules, à l’intérieur des frontières d’Israël (Mc 6,30-44) il le fait aussi pour les païens, dans une seconde multiplication des pains en territoire étranger, dans la Décapole (Mc 8). C’est aussi dans le territoire de Tyr (le Liban actuel) qu’il va guérir la fille d’une syro-phénicienne. Jésus résista à sa demande, lui signifiant son envoi aux fils d’Israël: « il ne sied pas de prendre le pain des enfants et de le jeter aux petits chiens« . Mais cette païenne n’eut pas peur d’insister: « Oui, Seigneur! Et les petits chiens, sous la table, mangent les miettes des enfants! » (Mc 7,24-29), parole qui lui vaudra la guérison de sa fille.

Cette femme n’est pas seule à être attirée par Jésus; les foules viennent à lui, pas seulement de la Judée et de Jérusalem, mais encore « de l’Idumée, de la Transjordane, des environs de Tyr et de Sidon » (Mc 3,7-8). C’est aussi sur l’autre rive du lac, au pays des Geraséniens, que Jésus guérit un homme possédé non seulement par un démon mais par une légion d’esprits mauvais (Mc 5,1-20). C’est encore en territoire païen, à Césarée de Philippe, que Jésus provoque ses disciples: « au dire des gens, qu’est le Fils de l’Homme? » (Mt 16,13ss). Les voilà obligés de se situer par rapport aux opinions qui circulent et c’est Pierre qui, au nom des Douze, va confesser Jésus comme Messie et Fils du Dieu vivant.

L’Evangile aux frontières

Même lorsqu’il ne les franchit pas, le ministère de Jésus se déroule aux frontières. Matthieu aime à le souligner quand Jésus quitte Nazareth pour s’établir à Capharnaüm: « ayant appris que Jean avait été livré, [Jésus] se retira en Galilée et, laissant Nazara, vint s’établir à Capharnaüm, au bord de la mer, sur les confins de Zabulon et de Nephtali, pour que s’accomplît l’oracle d’Isaïe le prophète: Terre de Zabulon et terre de Nephtali, Route de la mer, Pays de Transjordane, Galilée des nations! Le peuple qui demeurait dans les ténèbres a vu une grande lumière; sur ceux qui demeuraient dans la région sombre de la mort, une lumière s’est levée. » (Mt 4,12-17).

Ceux du « dedans » seraient-ils finalement aussi largement des gens du « dehors »?

Le village de Capharnaüm est donc établi à une frontière: de l’autre côté du lac, c’est le territoire païen de l’Iturée et de la Trachonitide, territoire de Philippe (Lc 3,1). On comprend alors qu’à Capharnaüm il y ait eu un bureau de douane, desservi par un certain Matthieu que Jésus va appeler à le suivre (Mt 9,9).

La Bonne Nouvelle destinée d’abord aux fils d’Israël a donc un air d’universalité.

Cette ouverture lui vient de loin: la promesse faite à Abraham concernait les nations (Gn 12). Et même si la Loi de Moïse sembla restreindre l’attention et le choix à Israël, Paul ne s’y est pas trompé: l’universel se devait de triompher. « Or voici ma pensée: un testament déjà établi par Dieu en bonne et due forme, la Loi venue après quatre cent trente ans ne va pas l’infirmer, et ainsi rendre vaine la promesse. Car si on hérite en vertu de la Loi, ce n’est plus en vertu de la promesse: or c’est par une promesse que Dieu accorda sa faveur à Abraham. » (Ga 3,17-18).

Cette universalité éclate dès l’évangile de l’enfance. En Luc, le salut apporté par Jésus est salué par le vieillard Syméon comme étant aussi bien « lumière pour éclairer les nations » que « gloire de ton peuple Israël » (Lc 2,32). Et en Matthieu, au chapitre 2, les mages sont les ambassadeurs des nations auprès du Messie. Ils anticipent la mission confiée aux disciples: « Allez donc, de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit, et leur apprenant à observer tout ce que je vous ai prescrit. Et voici que je suis avec vous pour toujours jusqu’à la fin du monde. » (Mt 28,19-20).

Une précision encore: nous vivons aujourd’hui ce qu’il est convenu d’appeler la mondialisation. Les frontières disparaissent, au plan politique mais aussi au plan pratique: le rideau de fer est tombé avec le mur de Berlin, il est possible de se rendre en Chine ou au Chili, au Canada ou en Afrique du Sud, pas vraiment en Corée du Nord… mais cela apparaît comme une exception. Pour un jeune d’aujourd’hui, un village d’Amérique latine ou d’Afrique est presque aussi proche qu’une bourgade de sa province.

Il n’en allait pas de même au temps de Jésus. Pas seulement parce que les moyens de locomotion n’étaient pas ceux dont nous bénéficions aujourd’hui, mais aussi et surtout pour une raison religieuse et sociologique. Israël avait une vive conscience d’avoir été tiré des nations, d’être le peuple élu, et à ce titre il n’avait pas à se mélanger avec les nations païennes. Le fait que Jésus se soucie si peu de ces frontières invisibles mais bien réelles, n’a pu que dresser contre lui l’indignation de bien des croyants, et parfois parmi les meilleurs. « Que celui qui a des oreilles, qu’il entende!« .

Des lointains si proches

Mais dire cela n’est pas suffisant. Il arrive plus d’une fois que Jésus invite ceux « du dedans », ses coreligionnaires juifs, à se laisser interpeller, surprendre même, par ceux « du dehors ». Jésus semble même trouver auprès d’eux un accueil plus généreux. Rappelons la scène inaugurale de son ministère dans la synagogue de Nazareth (Lc 4). Jésus est invité à commenter le passage du prophète Isaïe: « L’Esprit du Seigneur est sur moi parce qu’il m’a consacré par l’onction, pour porter la bonne nouvelle aux pauvres. Il m’a envoyé annoncer aux captifs la délivrance et aux aveugles le retour à la vue, renvoyer en liberté les opprimés, proclamer une année de grâce du Seigneur. » Et Jésus de leur dire: « aujourd’hui s’accomplit à vos oreilles ce passage de l’Ecriture« .

Si, dans un premier moment, les habitants de Nazareth admirent ces paroles pleines de grâce, très vite leur attitude se fait hostile. Comment cet homme dont on connaît la famille peut-il se prévaloir d’une pareille mission? Jésus vient au-devant de leur réticence en leur citant un dicton connu: « médecin, guéris-toi toi-même » qu’ils allaient lui opposer en réclamant pour Nazareth les miracles faits à Capharnaüm. Mais Jésus se fait incisif: « En vérité, je vous le dis, aucun prophète n’est bien reçu dans sa patrie. » Et comme si ça ne suffisait pas, il va prendre deux exemples tirés de l’Ecriture: Israël ne manquait pas de veuves au temps d’Elie, pourtant c’est à une veuve de Sarepta qu’Elie fut envoyé, et elle l’accueillit. Et les lépreux ne manquaient pas non plus en Israël, pourtant c’est Naaman, le Syrien, qui fut purifié.

La réaction est immédiate, de colère et d’indignation: comment le Nazaréen peut-il mettre dans une lumière si favorable une femme du Liban et un homme de Syrie? Remarquons que lu aujourd’hui en Israël, ce même passage est tout près de susciter la même réaction, du moins chez certains! Dans le récit parallèle, Matthieu précise: « Et il ne fit pas là beaucoup de miracles, à cause de leur manque de foi. » (Mt 13,58).

Comme si cela ne suffisait pas, Jésus apostropha un jour les villes du bord du lac, c’est-à-dire les villes et villages qui avaient eu souvent l’occasion de le rencontrer, d’entendre ses enseignements, voire d’assister à l’un ou l’autre de ses miracles. « Malheur à toi, Chorazeïn! Malheur à toi, Bethsaïde! Car si les miracles qui ont eu lieu chez vous avaient eu lieu à Tyr et à Sidon, il y a longtemps que, sous le sac et dans la cendre, elles se seraient repenties. Aussi bien, je vous le dis, pour Tyr et Sidon, au Jour du Jugement, il aura moins de rigueur que pour vous. Et toi, Capharnaüm, crois-tu que tu seras élevée jusqu’au ciel? Jusqu’à l’Hadès tu descendras. Car si les miracles qui ont eu lieu chez toi avaient eu lieu à Sodome, elle subsisterait encore aujourd’hui. Aussi bien, je vous le dis, pour le pays de Sodome il y aura moins de rigueur, au Jour du Jugement, que pour toi. » (Mt 11,21-24).

Ceux du « dedans » seraient-ils finalement aussi largement des gens du « dehors »? Et ceux du « dehors », seraient-ils finalement plus proches qu’on ne le penserait de cette Bonne Nouvelle qui leur est aussi destinée?

Un autre jour, Jésus ne donna comme signe à ceux qui en réclamaient un de sa part, que le signe de Jonas, à la prédication duquel les habitants de Ninive se convertirent. Ce sont donc des Babyloniens qui sont donnés en exemple (on dirait aujourd’hui des Irakiens), et Jésus y ajoute la reine du Midi venue honorer Salomon, c’est-à-dire la reine de Royaume de Saba, aujourd’hui l’Ethiopie. Or il y a ici plus que Jonas, et plus que Salomon, et pourtant que de réticences de la part de ceux qui sont tout proches de lui à reconnaître le Fils de l’Homme (cf. Lc 11,29-32).

Il arrive aux proches de Jésus et aux croyants de rester comme extérieurs au message de Jésus.

Des païens modèles

Mais Jésus donne aussi en exemple aux fils d’Israël des gens qui leur sont géographiquement proches et pourtant si lointains: c’est le cas des Samaritains. On sait que les Juifs témoignaient peu d’estime à ces gens de l’ancien Royaume du Nord, dont on soupçonnait la foi de n’être pas authentique, coupés qu’ils étaient également du temple de Jérusalem.

Dans une page sévère de l’évangile de Jean vis-à-vis des Pharisiens se targuant d’être fils d’Abraham, Jésus rétorque douloureusement: « Si je dis la vérité, pourquoi ne me croyez-vous pas? Qui est de Dieu entend les paroles de Dieu; si vous n’entendez pas, c’est que vous n’êtes pas de Dieu. » Les Juifs lui répondirent: « N’avons-nous pas raison de dire que tu es un Samaritain et que tu as un démon? » (Jn 748). On voit que passer pour un Samaritain n’était pas vraiment un compliment. Or voici que Jésus donne précisément des Samaritains en exemple. Il le fait dans la parabole célèbre du bon Samaritain, venu au secours de l’homme blessé gisant au bord du chemin alors que prêtre et lévite l’avaient évité pour ne pas contracter d’impureté légale en soignant un homme ensanglanté (Lc 10,29-37). Il le fait encore dans l’épisode des dix lépreux purifiés. Un seul revient vers Jésus en glorifiant Dieu, or c’était un Samaritain: « il ne s’est trouvé, pour revenir rendre gloire à Dieu, que cet étranger! » remarque Jésus. Et il lui dit: « Relève-toi, va; ta foi t’a sauvé. » (Lc 17,18-19).

Les premiers sont sans doute allés se montrer aux prêtres, comme Jésus l’avait demandé, mais ce dixième n’avait pas ni temple ni prêtres en Samarie vers qui aller faire constater sa guérison. C’est donc vers Jésus qu’il vient et se prosterne pour rendre grâce à Dieu. C’est donc un étranger qui reconnaît l’Envoyé de Dieu, sanctuaire de sa présence au milieu de son peuple, mieux que les croyants patentés du dedans.

Il faut bien sûr mentionner également le centurion de Capharnaüm, un païen du village de Jésus qui non seulement supplie Jésus de guérir son serviteur mais va jusqu’à lui faire dire: « Seigneur, ne te dérange pas davantage, car je ne mérite pas que tu entres sous mon toit; aussi bien ne me suis-je pas jugé digne de venir te trouver. Mais dis un mot et que mon enfant soit guéri. Car moi, qui n’ai rang que de subalterne, j’ai sous moi des soldats, et je dis à l’un: Va! et il va, et à un autre: Viens! et il vient, et à mon esclave: Fais ceci! et il le fait. » En entendant ces paroles, Jésus l’admira et, se retournant, il dit à la foule qui le suivait: « Je vous le dis: pas même en Israël je n’ai trouvé une telle foi. » (Lc 7,6-10). Chaque fois que nous nous avançons pour communier, nous reprenons ces paroles… d’un païen!

Un étonnant renversement

Je termine par une petite scène étonnante du début de l’évangile de Marc. La famille de Jésus est inquiète devant l’opposition qui se dresse contre lui. « Sa mère et ses frères arrivent et, se tenant dehors, ils le firent appeler. Il y avait une foule assise autour de lui et on lui dit: « Voilà que ta mère et tes frères et tes sœurs sont là dehors qui te cherchent. » Il leur répond: « Qui est ma mère? Et mes frères? » Et, promenant son regard sur ceux qui étaient assis en rond autour de lui, il dit: « Voici ma mère et mes frères. Quiconque fait la volonté de Dieu, celui-là m’est un frère et une sœur et une mère. » (Mc 3,31-35). La foule, habituellement à distance ou au dehors, se trouve étonnamment « dedans », assise autour de Jésus, alors que ses proches qu’on attendrait dedans se retrouvent « dehors », voulant récupérer Jésus.

Ce paradoxe a paru trop brusque aux autres évangélistes. Matthieu atténue la démarche de la parenté (Mt 12,46-50): ils cherchent seulement « à lui parler ». Luc gomme davantage encore ce paradoxe (8,19-21): si la famille reste au dehors, c’est seulement parce que la foule les empêche d’entrer: on voit là le signe d’une première marque de respect envers notamment la mère de Jésus qu’on ne peut imaginer « dehors ». On me permettra de souligner pourtant la portée du récit de Marc: il arrive aux proches de Jésus et aux croyants de rester comme extérieurs au message de Jésus, alors que ceux du lointain sont saisis dès qu’ils s’en approchent. Le propos n’a rien perdu de son actualité!

[print-me]


Jean-Michel Poffet

Jean-Michel Poffet

Ancien directeur de l’Ecole biblique et Archéologique de Jérusalem, le frère dominicain suisse Jean-Michel Poffet est aussi membre de l’équipe rédactionnelle de la revue Sources.

 

]]>
https://www.revue-sources.org/surpris-par-ceux-du-dehors/feed/ 0
Qui est ma mère? Qui sont mes frères? https://www.revue-sources.org/qui-est-ma-mere-qui-sont-mes-freres/ https://www.revue-sources.org/qui-est-ma-mere-qui-sont-mes-freres/#respond Mon, 01 Apr 2013 12:22:14 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=154 [print-me]

Marc 3, 20-35. Il n’est pas rare d’entendre un discours sur la « famille modèle » qui présuppose qu’il est possible de suivre un parcours sans difficultés et sans heurts. Beaucoup d’hommes et de femmes de notre temps se sentent en décalage par rapport à un tel idéal. Est-ce vraiment en ces termes que nous devons parler de la famille?

Famille modèle?

Il me semble que dans la réalité de la vie, comme dans la Bible, les choses sont différentes. La famille apparaît comme un lieu plutôt difficile « d’épreuves et d’avènement ». Il suffit de penser à Abraham et à Sara qui ont cumulé des difficultés de couple, entre femmes, entre frères. Et les choses continuent avec Jacob, Joseph. Même le grand Moïse avait épousé une étrangère, ce qui lui valut la critique de ses frères et sœurs. Ne parlons pas de David dont la famille a connu l’adultère, le viol, le meurtre fratricide. Vous me direz: dans l’Ancien Testament, d’accord, mais depuis que Jésus est venu, il en va tout autrement. A voir?

La famille de Jésus

L’évangile de Marc nous invite à faire connaissance avec la famille de Jésus (Mc 3, 20-35). Cela se passe au début de son ministère. Jésus a déjà chassé des démons, guéri des malades. Il est monté sur la montagne, un lieu ouvert au soleil et au vent, pour en appeler douze et les établir afin qu’ils soient avec lui (Mc 3, 13ss).

Jésus est immédiatement victime d’un succès populaire croissant. Ce qui ne manque pas d’inquiéter deux groupes bien organisés, aux valeurs bien définies: ses proches[1] et le pouvoir religieux représenté par les scribes de Jérusalem. Chaque groupe envoie sa délégation.

Fou?

Jésus se trouve dans une maison. Il y a tant de monde qu’on n’a même pas le temps de manger. Ses proches disent: « Il est hors de sens », il est fou. Serait-ce parce qu’il a oublié de manger? Ou parce qu’il ne se méfie pas des ennuis qu’il va susciter? Les scribes, pour leur part, formulent une accusation bien plus grave: « Il a Beelzéboul en lui! »

« Il est fou ». En grec on a le verbe « existèmi » qui veut dire « il se tient hors de lui-même ». Il est hors des normes habituelles, hors du « ni trop, ni trop peu », si cher à bien des familles.

Pour ses proches, Jésus est « à côté de la plaque ». Ils vont essayer de le « saisir » pour le ramener dans leur petit monde rassurant. Ce verbe « s’emparer » peut être pris en bien ou en mal. La bien-aimée du Cantique cherche à saisir celui qu’elle aime (Ct 3,4), Jésus prend la main de la fille de Jaïre (Lc 8, 54). C’est aussi le verbe de l’arrestation de Jésus (Mt 26, 50).

Fou ou décentré?

L’expérience qui consiste à « être hors de soi » traverse la Bible. On la trouve une première fois pour qualifier le sommeil mystérieux d’Adam (Gn 2, 21). Etre hors de soi peut désigner un trouble devant un événement difficile, comme Saül ou Achaz qui tremblent de peur devant d’autres rois, comme d’autres personnages frappés de folie ou égarés par le vin (Is 28, 7).

Cette « extasis » peut aussi désigner une émotion intense, une sorte de « déplacement » ressenti devant une présence qui dépasse: présence féminine pour Adam ou Booz (Rt 3, 8), présence divine pour Jéthro (Ex 18, 9). Dans le Nouveau Testament cette notion revient à répétition pour dire le bouleversement ressenti devant un miracle, la résurrection (Mc 16, 8) ou l’effusion de l’Esprit (Ac 2, 7.12; 10, 45).

Il s’agit d’une expérience qui consiste à être décentré de soi et de ses repères pour entrer dans une nouvelle aventure vivifiante et inattendue avec Dieu. Dans ce sens-là, Jésus est bien « hors de sens », comme Paul qui dira: « Si nous avons été hors de sens, c’est pour Dieu » (2 Co 5, 13).[2]

Les proches de Jésus ont donc raison de dire qu’il est déplacé. Mais du coup, ne feraient-ils pas mieux de se laisser eux aussi « déplacer » et de s’ « émerveiller ». Cette question ne semble pas être à l’ordre du jour. Jésus butte sur l’incompréhension de ses proches.[3]

Vous avez dit frères et sœurs?

Un peu plus tard, alors que Jésus vient de répondre aux scribes qui confondent bien et mal, esprit de Satan et Esprit de Dieu (Mc 3, 22-30), sa mère et ses frères tentent une deuxième approche et le font appeler. La question des frères de Jésus a fait couler beaucoup d’encre.[4] Il s’agit d’un dossier considéré comme compliqué depuis longtemps. Faut-il y attacher tant d’importance alors que Jésus est justement en train de remettre en cause les liens de sang? Il nous emmène à un autre niveau; il change de registre: « Voici ma mère et mes frères. Celui qui fait la volonté de Dieu est mon frère, ma sœur, ma mère » (Mc 3, 35). En prononçant cette parole, Jésus regarde la foule assise autour de lui dans la position du disciple qui écoute[5]. Cette parole sonne comme une invitation adressée à tous. Aux yeux de Jésus, il y a de nombreux frères et sœurs possibles, inattendus.

Au cercle de la famille dans lequel certains voudraient bien l’enfermer, Jésus superpose un autre cercle formé de frères et sœurs qui se réfèrent à un même Père des cieux (Mt 12, 50).

Faire ce discernement, remettre en cause les liens naturels de sang, permet d’éviter de s’enliser dans une attitude mortifère qui empêche l’accueil de la nouveauté de l’Esprit.

Un Père qui est notre premier parent

Celui qui accueille le Père des cieux, comme son Père primordial, sera amené à revisiter les notions de famille, de frère, de sœur.

Est-ce que les deux cercles s’excluent? Non, Jésus invite tout un chacun à être fils et filles du Père, à vivre ce déplacement. Marie par exemple est de sa famille à double titre.

L’Eglise est-elle cette nouvelle communauté de frères? Là aussi, un discernement s’impose. Certaines personnes, peuvent, au nom de leur fonction dans l’Eglise, tenter de s’emparer de l’autre et l’empêcher de vivre sa vocation au souffle de l’Esprit. Même en Eglise, il faut lutter contre une autorité abusive et un soi-disant esprit de famille qui enferme.

Jésus invite tout un chacun à être fils et filles du Père, à vivre ce déplacement. Marie est de sa famille à double titre.

Etre mu par un même Esprit

L’ »esprit de famille » n’est pas une sorte de norme imposée à chacun. Alors que les scribes religieux confondent les esprits, Jésus affirme que le véritable « esprit de famille » est l’Esprit Saint qui travaille à unir homme et femme, frères et sœurs.

A 20 ans, j’ai fait une découverte fulgurante de la Bible, un peu comme un coup de foudre. Je me suis sentie attirée par la théologie. J’étais alors étudiante en mathématiques. Quand j’ai parlé de mon projet à mes parents, mon père, dont j’imaginais qu’il allait être déçu, m’a dit que c’était une bonne idée, que le monde a besoin de sens et de Dieu. Ma mère, par contre, m’a dit: « Mon Dieu! Qu’est-ce que je vais dire à mes copines? ».

J’aimerais aussi citer l’exemple de ma belle-mère. A l’occasion du décès tragique d’un de nos grands amis, elle m’a dit: « Il était pour vous plus qu’un frère ». Une maman qui sait qu’un enfant qui n’est pas le sien est « plus qu’un frère » pour ses enfants, voilà une vision très proche de l’évangile.

Le couple épargné?

Jésus remet en question et en chantier les notions de mère, frères et sœurs. Elles sont à revisiter à la lumière de l’Esprit.

Il semble que la notion de couple par contre ne soit pas trop remise en question. Depuis le début, la Bible s’intéresse à la rencontre homme-femme et à leurs relations. Il existe cependant un texte qui m’a toujours égratignée: « Si quelqu’un vient à moi sans haïr son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères, ses sœurs, et même sa propre vie, il ne peut être mon disciple. » (Lc 14, 26)

Comment se fait-il que Luc, d’habitude si bienveillant envers les femmes, doive rajouter « haïr sa femme »? On pourra avec raison dire que « haïr » ce n’est pas « détester », mais plutôt « ne pas se sentir du parti de quelqu’un », « ne pas trouver sa source dans l’autre » qui n’est pas tout pour nous.

Une question qui en suscite une autre

Je m’achoppais donc à ce texte, quand, un jour, je me suis posé une autre question. Pourquoi le Jésus de Luc mentionne-t-il la femme et pas l’homme? Serait-ce parce qu’il ne s’adresserait qu’aux hommes? Plus j’y pensais, plus cela devenait clair pour moi. Oui, Jésus appelle des hommes à le suivre et pas des femmes. Du moins, pas de la même façon. Jésus serait-il macho? Pas sûr. Car les femmes sont bien là; elles l’accompagnent (Lc 8, 1-3) et le suivent jusqu’au bout (Lc 23, 55-56; 24, 1-12). Mais il est vrai que je n’ai pas vraiment trouvé dans les évangiles de texte où Jésus appelle des femmes à le suivre. On dirait qu’elles viennent toutes seules. Elles sont là, poussées par une force invisible. En langage biblique, on appelle cette force l’Esprit.

J’étais en deuxième année de théologie quand le directeur du séminaire m’a suggéré de profiter de la visite de l’évêque au séminaire pour le rencontrer. Quand il m’a vue, il fut étonné et me demanda ce que je faisais là. Il ne m’avait pas appelée. Pourquoi ne lui avais-je rien demandé? Je lui ai parlé de ma confiance en Dieu et de l’Esprit qui m’a mise en route. Quelques années plus tard, il m’a confirmé: « Tu as bien fait de faire confiance ».

En conclusion

Ces deux textes de Marc et de Luc ne sont que des échantillons. La Bible ne connaît pas de « famille idéale » qu’il suffirait d’imiter.

La personne qui vit une relation intense avec Dieu ne manque pas de déranger.

Tout est à revoir à la lumière de l’Esprit. Notre façon d’être fils, fille, père, mère, frère, sœur. Notre façon aussi d’appeler les hommes et les femmes à suivre Jésus.

La famille, les relations de couple sont des lieux de révélation, d’avènement, de discernement. Même un vécu difficile, même l’incompréhension des proches peut être une véritable occasion de nous laisser « déplacer » pour nous mettre en présence de Dieu.

Ne nous demandons pas si notre vie est idéale; demandons plutôt au Maître de la vie ce qu’il veut nous apprendre à travers nos chemins d’humanité. Il a dit: « C’est moi le Seigneur ton Dieu, qui t’instruis pour que tu en tires profit, qui te fais cheminer sur le chemin où tu iras » Isaïe 48, 17.

[1] Les « par’autou », littéralement, ceux qui sont auprès de lui, cette expression n’arrive qu’ici dans toute la Bible; elle désigne les gens d’une même famille, du voisinage.

[2] Cf aussi 2 Co 11 qui évoque la folie môria aux yeux des hommes qui est sagesse devant Dieu.

[3] Cf aussi Jn 7, 3-5.

[4] Sont-ils frères de sang, demi-frères, cousins ou même amis? Faut-il traduire le mot grec « adelphos » dans un sens restreint ou faut-il supposer un arrière-fond hébreu beaucoup plus ouvert?

[5] Cf Marie, la sœur de Marthe (Lc 10, 39) ou Paul assis aux pieds de Gamaliel (Ac 22,3).

[print-me]


Monique Dorsaz

Monique Dorsaz

Epouse et mère de quatre enfants, Monique Dorsaz enseigne à l’Institut de Formation aux Ministères (IFM) de Fribourg. Elle est aussi au service de la « pastorale de la famille » dans le canton de Vaud. Bibliste, elle est membre de l’Association Biblique Catholique (ABC).

 

]]>
https://www.revue-sources.org/qui-est-ma-mere-qui-sont-mes-freres/feed/ 0
Difficile catéchèse https://www.revue-sources.org/difficile-catechese-temoignage-de-levangile-de-marc/ https://www.revue-sources.org/difficile-catechese-temoignage-de-levangile-de-marc/#respond Sun, 01 Apr 2012 11:01:27 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=147 [print-me]

La situation du chrétien est paradoxale. Il est un compagnon de l’Epoux, quelque peu enivré par la Bonne Nouvelle (2,19,22), mais il se trouve aussi désorienté par cette Bonne Nouvelle qui entraîne le refus de Jésus et souvent la persécution du disciple. Il est un disciple en chemin, souvent aveuglé, mais patiemment guéri par le Maître et remis sur le chemin.

Jésus déjà peinait à évangéliser

Confronté à toutes sortes de déviations, Paul exhortait son disciple bien-aimé, vers la fin du ler siècle: « O Timothée, garde le dépôt. » (1Tm 6,20). Mais on ne garde pas le dépôt de la foi comme un coffre-fort ou un dépôt de munitions. Paul précise heureusement: « Garde le bon dépôt avec l’aide de l’Esprit Saint qui habite en nous » (2Tm 1,14). La transmission de la foi n’a rien de statique, elle requiert le secours de l’Esprit.

Citons la prière que tout Juif récite deux fois par jour, le Shema Israël: « ECOUTE, Israël! Le SEIGNEUR notre Dieu est le SEIGNEUR UN. Tu aimeras le SEIGNEUR ton Dieu de tout ton cœur, de tout ton être, de toute ta force. Les paroles des commandements que je te donne aujourd’hui seront présentes à ton cœur; tu les répèteras à tes fils; tu les leur diras quand tu resteras chez toi et quand tu marcheras sur la route, quand tu seras couché et quand tu seras debout; tu en feras un signe attaché à ta main, une marque placée entre tes yeux; tu les inscriras sur les montants de porte de ta maison et à l’entrée de ta ville. » (Dt 6,4-9). C’est éclairant: la foi concerne la totalité de l’existence humaine: à la maison et sur la route, debout ou couché, l’espace privé et public! L’effort de sa transmission sera donc coextensif à toute la vie des croyants, au moins comme visée.

La formation du croyant se révèle complexe, mais elle l’est plus encore en contexte de sécularisation, les repères s’effaçant de la vie sociale, le milieu familial même sain étant très vite relayé par d’autres voix. L’individualisme règne et les institutions, dont l’Eglise, doivent désormais prouver leur crédibilité. C’est vrai, mais j’observe que déjà dans l’évangile, Jésus lui-même peine à évangéliser ses disciples. A la fin de sa vie, il va jusqu’à confier: « J’ai encore bien des choses à vous dire mais vous ne pouvez les porter maintenant; lorsque viendra l’Esprit de vérité, il vous fera accéder à la vérité tout entière. » (Jn 16,12-13). L’évangéliste Jean a même fait du quiproquo une constante de la relation des disciples à lui. Ils doivent toujours ouvrir leur esprit et progresser dans la compréhension de l’enseignement de leur Maître, se guérir du malentendu pour accéder à un mieux croire. La difficulté n’est donc pas d’aujourd’hui.

Mais c’est l’évangile de Marc qui est particulièrement apte à nous éclairer, voire à nous consoler, dans la tâche difficile consistant à faire connaître le Christ. Le second évangile ne commence pas par un récit d’enfance, mais ouvre d’emblée son œuvre sur « Commencement de l’évangile de Jésus Christ Fils de Dieu« . Il ne s’agit pas ici du livret (cette acception date seulement du IIe siècle) mais de la Bonne Nouvelle. « Croyez en l’Evangile » proclame Jésus (1,14); il s’agit de perdre sa vie, ou de laisser père et mère, « à cause de l’Evangile » (8,35; 10,29); il faut que l’Evangile soit prêché aux païens puis au monde entier (13,10; 14,9). Ces paroles visent clairement la prédication à venir: pour Jésus, un futur; pour nous: notre présent. Or selon Marc, cet Evangile proclamé a un « commencement ». Par où faut-il donc commencer?

Deux boussoles

Avant même que Jésus ait engagé son ministère, Marc donne aux croyants deux boussoles, afin qu’ils ne s’égarent pas, trouvent la juste orientation pour écouter, puis suivre Jésus. « Comme il est écrit dans le livre du prophète Isaïe…« . Le commencement du kérygme invite le croyant, ici et maintenant, à se mettre à l’écoute de l’Ecriture qui annonce un messager « Voici j’envoie mon messager en avant de toi, pour préparer TON chemin. Une voix crie dans le désert: Préparez le chemin du Seigneur, rendez droits ses sentiers« . La marge de nos bibles indique que c’est une citation mêlée combinant des renvois à Isaïe (40,3) mais aussi à l’Exode (23,20) et au prophète Malachie (3,1). Pour bien saisir ce qui advient dans l’annonce de la Bonne Nouvelle, Marc nous renvoie donc à l’exode où Dieu promet à Moïse l’envoi d’un messager, puis à Malachie – dernier des prophètes – où la voix d’Elie prend le relais de celle de Moïse (3,22-24). Le Messie apparaît ainsi comme un nouveau Moïse, précédé d’un nouvel Elie. Jésus dira clairement que cet Elie attendu était Jean-Baptiste (9,13). Cette promesse concernait les voies de DIEU à préparer, mais voici que TON chemin désigne maintenant Jésus. Affaire à suivre…

On ne peut croire en Jésus sans amour ni liberté.

L’autre boussole est donnée à la scène du baptême avant que Jésus ne commence sa mission: alors que les cieux se déchirent, la voix du Père se fait entendre. Selon Marc, cette voix est perçue par Jésus seul. La scène n’est pas encore publique comme elle le devient dans les autres évangiles, mais le lecteur y assiste et entend: « Tu es mon Fils bien-aimé« . Il y a un seul passage de l’Ancien Testament où les cieux se déchirent: c’est en Isaïe 63,19: « Ah, si tu déchirais les cieux et si tu descendais! » mais qu’il faut resituer dans tout un ensemble (63,7 à 64,11). C’est une puissante méditation sur l’histoire d’Israël qui, blessé par ses fautes, crie vers son Seigneur: « Où est-il celui qui mettait au milieu d’eux son Esprit saint? Celui qui accompagna la droite de Moïse de son bras glorieux… c’est toi Seigneur qui es notre Père, notre Rédempteur… Ah! si tu déchirais les cieux et si tu descendais. » Et voici que les cieux se déchirent, la voix du Père se fait entendre en même temps que l’Esprit Saint atteste sa présence: c’est vraiment une nouvelle entrée en Terre promise et une nouvelle Pâque qui se préparent, au bord du Jourdain. Le lecteur est avisé, guidé par ces deux boussoles. Et maintenant Jésus va commencer son ministère. La position du chrétien est paradoxale: équipé de ces deux boussoles par l’évangéliste, il a pourtant tout à découvrir, à redécouvrir.

Les limites de la parole

D’emblée rien n’est simple. A la synagogue de Capharnaüm (Marc 1,21-28), Jésus enseigne (4 fois Marc insiste sur ce fait d’enseigner et qui plus est: un enseignement donné avec autorité). Pourtant, il n’y a aucun contenu à cet enseignement: seulement un « Silence! » ou plutôt un « ferme-la » (l’expression est vulgaire) adressé à cet homme possédé qui criait: « Je sais qui tu es. Le Saint de Dieu« . Les mots semblent justes, mais les mots seulement. Il n’y a pas là de relation à Jésus. Or qu’est-ce qu’une confession de foi sans relation? Pire: cet homme semble utiliser son savoir pour se protéger de Dieu! Pour sa défense, reconnaissons qu’il est « possédé », on dira: sous influence. Il n’est pas vraiment lui-même, et Jésus ne peut accepter qu’un homme le confesse sans amour et sans liberté. Il enseigne avec autorité, mais non par des paroles revendiquant cette autorité. Sa présence et la rareté d’une parole de libération font sens. D’où ce « ferme-la!« , intimé à cet esprit mauvais afin que l’homme possédé retrouve sa liberté.

Un peu plus loin, Jésus guérit un lépreux, signe messianique par excellence (cf. Mt 11,5). Cet homme arrache pour ainsi dire sa guérison (sa purification, dit l’évangile) à Jésus, lequel lui commande de n’en rien dire, mais d’aller se montrer au prêtre. Charge à ce dernier de déchiffrer ce signe et peut-être d’advenir ainsi à la foi. Mais au lieu de cela, le lépreux va proclamer partout le miracle, empêchant ainsi Jésus d’entrer dans une ville. Il se doit de résister au succès, y trouvant peu de foi parce que peu d’écoute.

Jésus poursuit en guérissant le paralytique (spirituellement et physiquement) puis l’homme à la main desséchée, mais c’était un jour de sabbat, et voilà que s’élève la terrible accusation: « il blasphème! » (2,7), et on complote déjà pour le perdre (3,6). L’Evangile ne soulève donc pas que de l’enthousiasme, et pourtant il s’agit d’actes de libération, d’espérance face à un sabbat devenu trop formaliste. Jésus inscrit là un vent de liberté. Il fait aussi tomber les barrières, mangeant avec les pécheurs, mais précisément il dérange.

Une adhésion difficile

Mais voilà que les proches de Jésus sont ébranlés par cette étrange irruption du Règne de Dieu qui bouscule bien des attentes. Ils disent « Il a perdu le sens » (3,22), et du dehors (!) le font chercher (3,31), mais Jésus ouvre sa famille à ceux qui sont réunis autour de lui. « Quiconque fait la volonté de Dieu, celui-là m’est un frère, une sœur et une mère. » (3,35). Quant aux scribes, ils font de Jésus un possédé, relevant de Beelzeboul plutôt que de l’Esprit Saint. Ce début d’évangile n’a donc rien d’un fleuve tranquille et d’une paisible catéchèse. L’opposition s’étend jusqu’aux proches de Jésus: il est fou ou possédé!

Une catéchèse sur les flots

Avez-vous remarqué que par trois fois Jésus forme ses disciples dans une barque, et donc, pour un sémite plus habitué aux pâtures et aux déserts qu’à la mer, en plein danger. Une soudaine tempête, comme en connaît le lac de Tibériade, illustre l’ébranlement des disciples repris par Jésus: « Pourquoi avez-vous peur, n’avez-vous pas encore de foi? » (4,40). A Nazareth, le tableau est plus sombre encore: « un prophète n’est méprisé que dans sa patrie, dans sa parenté et dans sa maison » confie Jésus. « Et il s’étonna de leur manque de foi » (6,6).

Une seconde fois, c’est après la multiplication des pains. Les disciples ont pris la mer et au milieu de la nuit, les voilà menacés par un vent contraire. « Ayez confiance, c’est moi, soyez sans crainte. » Au comble de la stupeur, ils n’avaient pas compris le miracle des pains, leur esprit était bouché!!! (6,52). Une troisième fois, alors que les disciples sont inquiets de ne pouvoir subvenir aux besoins de la foule (ils n’avaient qu’un pain avec eux dans la barque), Jésus les interroge: « Vous ne comprenez pas encore? Vous ne saisissez pas? Avez-vous donc l’esprit bouché? » (8,14-21).

Des aveugles en chemin

On comprend alors que pour Marc la foi en Jésus suppose à la fois un nouveau regard et un chemin à parcourir. Les deux réalités se superposent. Après l’insistance sur l’aveuglement des disciples, l’évangéliste situe la guérison de l’aveugle de Bethsaïde (8,22-26) que Jésus guérit par étapes, avec force salive, imposition des mains. Une première fois l’aveugle commence à voir mais les gens lui semblent des arbres en train de marcher. La seconde fois seulement « celui-ci vit clair et fut rétabli, et il voyait tout nettement, de loin. » Scène programmatique, mais lente à se réaliser si l’on en croit la suite. En effet, aussitôt après, c’est en chemin (8,27) que Jésus interroge ses disciples, et Pierre proclame: « Tu es le Christ« . Les mots sont justes, mais Pierre s’interpose pour éviter la croix à Jésus. Il a encore bien du chemin à faire pour être à l’unisson de son Maître. Jésus alors annonce pour la première fois sa passion. C’est en chemin aussi (9,30) qu’il leur annonce pour la seconde fois ses souffrances « Mais ils ne comprenaient pas cette parole, et ils craignaient de l’interroger » (9,32). Pire: « en chemin« , ils discutaient pour savoir qui était le plus grand! D’où, en chemin toujours, la troisième annonce de la Passion par un Jésus « qui marchait devant eux, et ils étaient dans la stupeur et ceux qui suivaient étaient effrayés » (10,32). Ce qui ne les empêchera pas de discuter des places d’honneur quand Jésus sera dans sa gloire. Les disciples sont vraiment des aveugles, même si, physiquement, ils suivent le même chemin que Jésus. D’où la portée de la seconde guérison d’aveugle à l’entrée de Jéricho (10,46-52). Bartimée était un mendiant « à côté du chemin ». Guéri, il suivra Jésus « sur le chemin« , image du vrai disciple.

[print-me]


Le frère dominicain Jean-Michel Poffet, bibliste, fut directeur de l’Ecole Biblique et Archéologique de Jérusalem. Il est aussi membre du comité de rédaction de notre revue « Sources ».

 

]]>
https://www.revue-sources.org/difficile-catechese-temoignage-de-levangile-de-marc/feed/ 0