Guido Vergauwen – Revue Sources https://www.revue-sources.org Tue, 09 May 2017 12:26:15 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.3.1 Dominicaines d’Estavayer: filles de la miséricorde https://www.revue-sources.org/dominicaines-destavayer-filles-de-misericorde/ https://www.revue-sources.org/dominicaines-destavayer-filles-de-misericorde/#respond Tue, 09 May 2017 12:26:15 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=2231 Le 25 mars 2017, les moniales dominicaines célébraient sept siècles de présence à Estavayer-le-Lac. Le frère Guido Vergauwen, prieur provincial des Dominicains suisses, tint à cette occasion l’allocution qui suit.

[print-me] La prieure, Sœur Monique, m’a donné trois à quatre minutes pour dire quelques mots au nom des frères de la province Suisse des Dominicains, qui fête d’ailleurs aujourd’hui sa fête patronale. Quelques minutes pour des félicitations fraternelles et pour nous joindre à cette action de grâce de 700 ans de présence dominicaine à Estavayer-le-Lac. Sur le territoire de la province suisse existent aussi des monastères de Dominicaines à Schwyz, Weesen, Cazis et Wil. Nous sommes vraiment privilégies.

Epoque troublée

Il y a 700 ans, 1316/1317, c’est le début du pontificat du pape Jean XXII, qui est le premier pape à résider de manière permanente en Avignon. Jacques Duèze est français, juriste et marchand de Cahors. Il sera durant tout son pontificat l’ennemi du Saint Empire Romain et du roi Louis de Bavière. Très riche, il s’oppose à l’idéal de la pauvreté radicale chez les Franciscains et condamne comme hérétique l’affirmation que le Christ et les apôtres aient vécus sans posséder de biens. Plus tard, il condamnera une série de thèses de notre frère Maître Eckhart.

« Mes soeurs, vous êtes le noyau priant de la Sainte Prédication »

1937. En Europe les temps sont mauvais, des inondations détruisent les moissons et causent une famine généralisée. Mais les Dominicaines viennent à Estavayer-le-Lac et elles y sont toujours, grâce à Dieu, ayant survécu aux papes d’Avignon, au Saint Empire Romain et, sans doute aussi, à tant de famines matérielles et spirituelles qui ont fait souffrir le monde qui les entoure. Les moniales ont partagé les hauts et les bas de l’histoire en accompagnant à chaque époque leurs contemporains par la force de leur prière et la joie que leur donne leur consécration religieuse. Merci, mes sœurs, d’être là, ici et maintenant!

Le visge vivant de Dominique

Dans le récit des origines de l’Ordre de Maître Jourdain de Saxe, nous apprenons que saint Dominique avait «une très ferme égalité d’âme, sauf quand quelque misère en le troublant l’excitait à la compassion et à la miséricorde. Et parce que la joie du cœur rend joyeux le visage, l’équilibre serein de son être intérieur s’exprimait au dehors par les manifestations de sa bonté et la gaieté de son visage … Par cette joie, il acquérait facilement l’amour de tout le monde». Et dans son récit des miracles de saint Dominique, Sœur Cécile écrit que Dominique «restait toujours souriant et joyeux, à moins qu’il ne fût ému de compassion par quelque affliction du prochain».

Mes sœurs, vous êtes pour nous – avec cette joie et votre bonté, votre accueil et votre prière – le visage vivant de Dominique. C’est votre prédication. Vous vivez si pleinement cet idéal de l’Ordre: contempler et transmettre ce que l’on a contemplé de la vérité, de la bonté, de la beauté de Dieu. Dans l’Ordre et son histoire, vous êtes nos sœurs ainées, le noyau priant de la Sainte Prédication, que vous réalisez pour le salut des âmes. Nos Constitutions rappellent en effet, que notre Ordre fut spécifiquement fondé dès l’origine «pour la prédication et le salut des âmes».

Il y a entre les frères et les sœurs une sorte de conspiration lumineuse et joyeuse. Nous voulons et nous pouvons respirer ensemble la même fragrance, l’odeur merveilleuse qui émanait du tombeau de Dominique lors de la translation de ses reliques le 24 mai 1233. Cette odeur est le symbole du même envoi, de la même mission qui nous est confiée, de 1317 à 2017 et bien au-delà. Quelle est cette mission?

La Maison de la Miséricorde

Je la vois exprimée dans la Légende Dorée, un récit que le dominicain Jacques de Voragine écrivit pour la fête de saint Dominique, quelques dizaines d’années seulement avant la fondation de ce monastère:

«Il est rapporté que des savants théologiens de Bologne se disputaient sur le verset du psaume 84, 11: Miséricorde et Vérité se rencontrent, Justice et Paix s’embrassent. Or un étudiant, adonné aux vanités du monde, eut une vision. Il vit qu’il était dans un grand champ, où une tempête effroyable descendait sur lui. Il voulut alors se réfugier et arriva à une maison. Il la trouva fermée; et, comme il frappait à la porte pour être reçu, une voix féminine lui répondit: «Je suis la Justice, j’habite ici et ceci est ma maison; puisque tu n’es pas juste, tu ne peux pas habiter ici.» L’étudiant, consterné par ces paroles, s’en alla frapper à la porte d’une autre maison et demandait à être reçu. Mais une voix lui répondit: «Je suis la Vérité; j’habite ici, c’est ma maison. Mais je ne puis te recevoir, parce que la vérité ne peut pas rendre libre celui qui ne l’aime pas.» Enfin, il vit une troisième maison, où il aurait pu se réfugier contre la tempête. Mais une voix lui répondit: «Ceci est la maison de la Paix. Mais il n’y a pas de paix pour les impies. Mais seulement pour les hommes de bonne volonté qui aiment la paix. Mais comme j’ai des pensées de paix et non de malheur, je veux vous donner un avenir et une espérance, un conseil utile: Près d’ici habite ma sœur, qui est toujours prête à secourir les malheureux. Va la trouver et fais ce qu’elle te dira. Et, de cette quatrième maison, une voix répondit: «Je suis la Miséricorde, qui habite ici. Si tu veux être sauvé de la tempête, va à la maison des Frères Prêcheurs à Bologne. Tu y trouveras l’étable de la pénitence, la crèche de l’abstinence, le pâturage de la sainte doctrine, l’âne de la simplicité, le bœuf du discernement, la lumineuse Marie, Joseph qui est prêt à servir et l’enfant Jésus qui te sauvera. Ayant eu cette vision, l’étudiant s’éveilla, courut à la maison des Frères et revêtit l’habit de l’Ordre.»

La mission d’un monastère de Dominicaines est d’être un lieu où la vérité, la justice et la paix habitent ensemble avec la miséricorde. Saint Thomas appelle la miséricorde la summa christianae religionis, la vertu dont l’action résume toute la religion chrétienne. Dominicaines et Dominicains, nous sommes les filles et les fils de la miséricorde de Dominique, de sa miséricorde envers les pécheurs, envers ceux et celles qui cherchent la vérité. Nous sommes fils et filles de sa prédication pour ceux et celles qui ont besoin d’orientation, qui doivent être éveillés du sommeil de l’rindifférence ou du manque de foi. Nous sommes fils et filles de sa parole pour ceux et celles qui attendent un mot d’encouragement et l’assurance du pardon.

Merci, mes sœurs, pour votre fidélité à cette vocation. Aidez-nous, frères et membres de la famille dominicaine, habitants de cette ville qui vous accueille depuis 700 ans, à être ou à devenir au milieu de ce monndse des hommes et des femmes d’une miséricorde au multiples visages.[print-me]


Le frère dominicain Guido Vergauwen, provincial des Dominicains suisses, fut recteur de l’Université de Fribourg et professeur de théologie fondamentale dans cette même institution.


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Une foi à la hauteur du monde https://www.revue-sources.org/une-foi-a-la-hauteur-du-monde/ https://www.revue-sources.org/une-foi-a-la-hauteur-du-monde/#respond Fri, 01 Jan 2016 08:43:22 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=415 [print-me]

Élu Prieur de la Province dominicaine suisse le 6 janvier 2015, le frère Guido Vergauwen parle de ses origines, de sa formation ainsi que des étapes de sa vie dominicaine. Il donne un aperçu des devoirs d’un provincial dans le contexte actuel et celui de demain.

Quand on souhaite connaître une personne, on s’enquiert d’abord de ses racines. On tente de percevoir l’origine de son histoire. Frère Guido, où se trouvent vos racines?

En fait, je dois avouer que mes racines se trouvent dans l’Ordre des Prêcheurs, car j’y suis entré très tôt, tout de suite après le collège. Ce que je suis devenu comme religieux, intellectuel et même homme, je le dois essentiellement à l’Ordre. Naturellement, je peux dire aussi que mes racines se trouvent en Belgique, en Flandre. Mes parents et ma famille y habitaient. Là, j’allais à l’école; là, j’ai grandi. Mais je me suis «éveillé» dans l’Ordre.

Quelle pratique religieuse dans votre environnement familial? Comment se déroulait la vie de chaque jour? Viviez-vous dans un microcosme, comme on pourrait l’imaginer?

A cette époque – préconciliaire – , lorsque j’étais écolier en Flandre, il était naturel d’aller tous les jours à la messe et de se confesser une fois par semaine. C’était l’usage du collège catholique que je fréquentais. Un monde où la pratique religieuse allait de soi. J’avais perdu mon père très tôt; j’ai grandi avec ma mère, mes tantes, oncles, neveux et nièces, grands-parents… Des personnes qui ne manifestaient pas ostensiblement leur foi, mais fréquentaient la messe chaque dimanche. Evidemment!

Dans votre enfance, vous aviez certainement souhaité devenir conducteur de locomotive ou pilote d’avion… A quel moment vous êtes-vous rendu compte que vous étiez appelé à la vie religieuse?

Puisque j’ai grandi dans un environnement marqué par l’empreinte de l’Eglise, on conçoit aisément que mon choix professionnel pouvait entrevoir la possibilité de devenir religieux. Déterminant fut probablement le temps passé au collège où nous avions des retraites annuelles. Un Père dominicain avait prêché la retraite de mon avant-dernière année du collège. Lors d’une conversation privée avec lui, le Père Gerolf van Daele m’a rendu attentif à l’Ordre dominicain. A la fin de l’année, j’ai saisi l’occasion de participer aux journées des vocations organisées par l’Ordre. Le Père van Daele m’apprit que les Prêcheurs vivaient en quelque sorte une vie religieuse «composée», non pas exclusivement contemplative comme celle des Bénédictins, que je connaissais. Les Dominicains formaient un Ordre apostolique basé sur divers piliers: étude, liturgie, vie communautaire et annonce de la Parole. Cela m’intéressait.

« Tout naturellement, dès la fin de mes études secondaires, j’entrai dans l’Ordre ».

J’ai gardé le contact avec le Père van Daele jusqu’à la dernière année du collège. Tout naturellement, dès la fin de mes études secondaires, j’entrai dans l’Ordre. En 1962, l’année de l’ouverture du Concile, je commençai mon noviciat. Avec les novices, j’avais suivi l’ouverture solennelle du Concile, retransmise à la télévision de la salle de récréation des Pères. Car, bien entendu, les novices n’avaient pas de télévision. J’avais rencontré personnellement Jean XXIII, le Pape du Concile, lors d’un voyage à Rome l’année de mon baccalauréat. Une période très excitante. Le but du Saint Père, dont le programme était «Aggiornamento», n’était rien moins qu’ouvrir l’Église au monde. La chrétienté devait se situer dans le temps présent afin d’être à même de préparer l’avenir. En ce temps-là, nous lisions avec enthousiasme les publications des Pères dominicains Yves Congar, Marie-Dominique Chenu, Edward Schillebeeckx et d’autres encore qui ont marqué le temps du Concile et celui qui a suivi.

Y a-t-il eu un modèle de prêtre ou de religieux dont vous dites: je l’ai admiré, c’est à lui que je dois d’être devenu religieux et prêtre?

Le Père dominicain Gerolf van Daele dont je viens de parler fut certainement important pour moi. Avant lui, il y eut aussi d’autres personnalités qui m’ont marqué, comme le prêtre poète flamand Cyril Coupé, mieux connu sous son nom d’auteur Anton van Wilderode.

« En ce temps-là, nous lisions avec enthousiasme les publications des Pères dominicains Yves Congar ».

Je mentionne aussi un enseignant de ma dernière classe de collège, Lucien Lootens. L’un et l’autre m’ont marqué de façon inoubliable au cours de mes dernières années de collège. Ils nous rendaient accessible la littérature grecque et latine, ils nous ont aussi rendus sensibles à la culture flamande et nous encourageaient à apprendre d’autres langues. Il faut rappeler qu’au cours des années 50 et 60 du siècle dernier la culture flamande connaissait une période de renaissance. Ce qui ne fut pas sans conséquence pour la Province dominicaine Sainte Rose de Flandre. Mes professeurs de Leuven, Dominikus De Petter et Henrikus Walgrave, ont joué un rôle important dans le choix de mes orientations en philosophie et en théologie fondamentale. Remarquables furent aussi les professeurs dominicains de la Faculté de Théologie de Fribourg.

Frère Guido, après votre ordination sacerdotale qu’êtes-vous devenu? Où avez-vous été assigné? 

Après un stage d’étude à Tübingen et la présentation de ma thèse de doctorat, j’ai quitté Fribourg pour un temps prolongé. De 1975 à 1985 je fus directeur d’études à la Paulusakademie de Zurich.

En même temps, j’acceptai des enseignements en théologie fondamentale et en œcuménisme à Fribourg, donnant suite à l’invitation du Recteur de l’Université, le Père Heinrich Stirnimann, dont je suis devenu le successeur en 1985. Ma période zurichoise fut importante pour moi. Elle m’a rendu sensible aux problèmes sociaux et religieux de la Suisse. Je me suis occupé de questions soulevées par la pastorale des divorcés ainsi que du dialogue judéo-chrétien.

En parallèle, dépannant des paroisses, j’ai pris en charge de nombreux services sacerdotaux. J’ai proposé régulièrement des cours de formation continue pour les prêtres du décanat de Zurich. Je fus chargé de cours au Seminar für Seelsorgehilfe. Ce séminaire, fondé après le Concile par le théologien Johannes Fleiner, avait pour but de former des laïcs en pastorale et d’approfondir leur qualification. Fleiner était aussi le fondateur des cours de catéchèse pour adultes (Glaubenskurs) et de théologie pour laïcs (Theologiekurs für Laien). Il était un très bon théologien et un pasteur clairvoyant. De plus, il avait été conseiller des évêques suisses lors du Concile.

Comment se sont présentées les étapes suivantes? 

En 1985, j’ai pris la succession du Père Heinrich Stirnimann. En 1993, le Maître de l’Ordre Timothy Radcliffe me demanda d’être son assistant pour la vie intellectuelle. Je diminuai alors mon activité d’enseignement à l’Université de Fribourg afin de remplir la mission dont j’étais chargé à Rome et dans le monde. J’appris alors à connaître les dimensions universelles de l’Ordre, en particulier les maisons et couvents d’études ainsi que les universités dominicaines. Au rythme des nombreux voyages, au cours d’innombrables rencontres et en participant à trois Chapitres généraux, à Caleruega, Bologne et Providence (USA).

« Timothy Radcliffe me demanda d’être son assistant pour la vie intellectuelle ».

Cette période achevée, je retournai à l’Université de Fribourg où j’ai été élu Doyen de la Faculté de théologie. Je devins aussi Vice-recteur, de 2003 à 2007, plus spécialement chargé de l’enseignement, des bibliothèques et des relations internationales. En 2007, je fus élu Recteur de l’Université de Fribourg, fonction que j’exercerai jusqu’en mars 2015. Une fois de plus, ce fut un défi extraordinaire pour moi. J’avais déjà vécu mes années professorales et ma présence à Rome auprès du Maître de l’Ordre comme une période d’apprentissage incroyablement captivante. Il en fut de même des années passées au Rectorat.

Je ne me suis donc jamais éloigné de mon temps de formation et de pérégrination. Je fus constamment appelé à parfaire mon apprentissage. Recteur de l’Université, j’avais de nouveaux territoires à découvrir, surtout dans les domaines touchant à la médecine, à l’économie, à la jurisprudence. J’avais aussi pour mission de promouvoir ces secteurs d’enseignement et de recherche. Autant de défis permanents qu’il fallait relever pour satisfaire les demandes variées des professeurs et celles des étudiants. J’ai eu la joie de constater que les diverses facultés de la communauté universitaire avaient accepté un recteur théologien. Bon signe pour la faculté à laquelle j’appartenais! Elle devait et pouvait se considérer comme partie intégrante de l’Université.

Au terme de votre rectorat il vous était possible de poursuivre vos activités professorales en Suisse, en Belgique ou ailleurs encore. Mais le Chapitre de la Province dominicaine suisse vous a élu Prieur provincial. Que signifie pour vous ce nouvel appel?

Tout d’abord, ce fut une surprise pour moi. Je n’avais pas imaginé être élu à un tel poste. D’autre part, c’était un défi joyeux que de mettre à nouveau mon expérience au service de l’Ordre, rappel du temps où je travaillais de façon soutenue comme assistant du Maître de l’Ordre. Une nouvelle tâche que je devais apprendre. Je ne l’assumais donc pas avec des opinions préconçues. Je reste ouvert, attentif aux surprises qu’elle me réserve.

Naturellement, ce provincialat me donne le loisir de poursuivre certains intérêts que je cultivais déjà comme professeur, par exemple l’œcuménisme ou le Centre «Islam et Société». Recteur, j’avais trop peu de temps à leur consacrer. De même, je pense m’occuper à nouveau de la Freiburger Zeitschrift für Philosophie und Theologie et poursuivre mes recherches sur le théologien dominicain Thomas de Vio, dit Cajetan, dont je souhaiterais traduire les prédications.

L’Eglise catholique comprend un nombre imposant d’ordres, de congrégations et de mouvements religieux. Où situer l’Ordre des Dominicains dans cette constellation?

 J’ai appris à considérer l’Ordre dans ses dimensions qui vont bien au-delà d’une Province locale. En ce temps où les vocations se font rares, particulièrement en Europe occidentale, il est important que la Province dominicaine suisse apprenne à tenir compte de la dynamique de l’Ordre en sa totalité.

« L’Ordre est jeune de 800 ans, parce que sa mission est toujours actuelle ».

En ce sens, le «Jubilé des 800 ans de l’Ordre Dominicain» est l’occasion pour notre Province de devenir plus visible. Nous le serons en collaborant avec le Maître de l’Ordre et l’ensemble de sa curie. Il nous appartient de participer à cette commémoration de toutes nos forces. Nous n’avons pas le droit de rester à l’écart des festivités du Jubilé. L’Ordre est jeune (!) de 800 ans, parce que sa mission est toujours actuelle. Il continue à proclamer la Parole sous diverses formes et avec des moyens multiples. L’étude et la prédication demeurent une mission permanente que l’Eglise a explicitement confiée aux Prêcheurs. Nous pouvons la remplir dans le cadre d’une communauté, sans qu’il ne soit nécessaire de jouer les cavaliers seuls. Le Jubilé de 2016 est un appel à redécouvrir cette dynamique et à la faire fructifier. Annoncer la Parole est un mandat impératif qui n’a rien perdu de son actualité.

La Province suisse des Dominicains a vu chuter ces dernières années l’effectif de ses frères. Ce constat vous fait-il souci?

L’âge avancé des frères n’est pas un problème en soi. La société dans son ensemble devient toujours plus âgée. Mais que les frères aînés en dépit de leur âge puissent demeure prédicateurs, confesseurs, auteurs ou simplement soutenir par leur prière les activités des autres.

Je situerais le problème à un autre niveau: la discontinuité ou la rupture intergénérationnelle. Ce souci-là me préoccupe. Autrefois, il y avait une continuité naturelle dans la transmission de la foi et de la connaissance religieuse. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Afin de combler ce manque, des structures doivent être créées pour des hommes à la recherche d’un deuxième chemin de vie à l’intérieur de notre Ordre. La vie dominicaine comporte traditionnellement une certaine culture orale issue du vécu de chacun. Elle est essentielle pour la transmission de notre spiritualité, de notre liturgie, de notre vie intellectuelle, de nos manières de vivre en communauté. Lorsqu’une génération fait défaut, un déficit se crée. En Suisse tout particulièrement, nous devons nous préoccuper de la relève.

De quoi doit-on tenir compte dans la formation de cette relève?

La formation comprend différents éléments. Il est important pour moi de ne pas sous-estimer la dimension intellectuelle, de familiariser ceux qui frappent à notre porte à la grande tradition intellectuelle de l’Ordre. Elle permet d’acquérir à travers le travail personnel un ensemble d’instruments qui permettent d’analyser, de rendre accessibles les problèmes du temps présent et de préparer des réponses adéquates.

Il n’est pas vrai que le monde ait changé au point que la vie religieuse aurait perdu son sens. Il s’agit de transmettre notre propre tradition dominicaine. La formation doit avant tout faire des jeunes des chrétiens adultes. Il ne s’agit pas de les mettre sous tutelle, mais de faire en sorte qu’ils trouvent leur chemin personnel et deviennent des chrétiens qui savent rendre compte de leur foi dans le monde actuel. En aucun cas on ne fera d’eux des êtres dépendants, mais des chrétiens adultes, munis d’une foi située à la hauteur du  monde.

« Entre nous, j’aimerais aussi utiliser plus souvent ma bicyclette, une vieille passion… »

Mais encore, quel appui donner à ces jeunes, indépendamment de toute carrière spécifique et professionnelle?

Si nous leur disons «venez chez nous», les candidats (ainsi que les candidates des communautés féminines) devraient dans l’Ordre pouvoir se développer intellectuellement, et ceci m’importe particulièrement devenir des adultes chrétiens en prenant profondément racine dans la Parole et la vie de l’Eglise. Ils doivent être prêts à relever à partir de leur foi les défis que le monde leur pose. Johann Baptiste Metz appelle cela la «mystique des yeux ouverts». Metz était, bien entendu, professeur de théologie fondamentale…

Frère Guido, vous n’avez jamais esquivé les charges à responsabilité. Sans regarder derrière vous, où trouvez-vous les motifs de vous réjouir aujourd’hui? 

Je me réjouis surtout d’avoir davantage d’espace, de temps et de force pour me consacrer à la théologie et plus directement pour répondre aux sollicitations de mes frères. Je ressens cette opportunité comme une nouvelle chance. C’est un cadeau de pouvoir vivre une fois encore intensément ma vocation dominicaine dans une période nouvelle de ma vie. Entre nous, j’aimerais aussi utiliser plus souvent ma bicyclette, une vieille passion…

Que signifie concrètement votre activité de Prieur de la Province suisse des Dominicains?

 Provincial, j’apporterai naturellement mon concours à la Conférence des Unions des religieux/religieuses et des Instituts séculiers de Suisse (KOVOSS / CORISS). Je me réjouis aussi de participer au prochain Chapitre Général de l’Ordre en 2016 à Bologne.

Dans ma fonction de Prieur provincial j’ai surtout le devoir, en étroite collaboration avec le Conseil provincial, de mettre en œuvre les Actes et les décisions du Chapitre provincial de janvier 2015. La fonction d’un Prieur provincial est directive sans doute, mais elle doit se situer toujours dans la ligne des Constitutions de l’Ordre et en consonance avec les directives et perspectives formulées par le Chapitre provincial.

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Interview réalisé pour notre revue Sources par le frère Uwe Augustinus Vielhaber, du couvent St-Hyacinthe de Fribourg. Traduit de l’allemand par Evelyn von Steffens et Guy Musy.

 

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