Genève – Revue Sources https://www.revue-sources.org Fri, 01 Jun 2018 08:56:55 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.3.1 Calvin. Un monologue https://www.revue-sources.org/calvin-un-monologue/ https://www.revue-sources.org/calvin-un-monologue/#respond Fri, 01 Jun 2018 04:18:30 +0000 https://revue-sources.cath.ch/?p=2616 Dominique Ziegler: Calvin. Un monologue, Labor et Fides, Genève 2017, 52 p.

J’aurais préféré prendre part à une représentation théâtrale de ce «Monologue» plutôt que d’en lire la version papier. Faute de grives, il a donc fallu que je mange du merle. Viande exquise, en l’occurrence.

L’auteur est fils de qui vous savez, sans être pour autant un «fils à papa». Qualification pas très bien reçue dans le milieu gauchiste genevois. Mais pourquoi donc ce Ziegler junior s’est-il intéressé à Jean Calvin? Mystère à élucider.

Sa pièce se présente comme une récit à la fois impitoyable et touchant du parcours de vie du réformateur de Genève. Nous surprenons Calvin à monologuer face à la dépouille mortelle de ce petit Jacques que lui avait donné son épouse Idelette. Une relation sous forme de confession, sans doute conforme à la vérité des faits, mais revisitée par l’auteur.

Résultat: sarcasmes et ironie, entrecoupés de louanges et même d’affection. Une énigme difficile à démêler. Cette pièce sera applaudie par un public unanime, mais qui rassemble deux groupes de spectateurs bien typés: les adulateurs du réformateur et ceux qui le vouent aux gémonies. En filigrane, une critique des mœurs de la Genève contemporaine. Elle ne surprendra pas les lecteurs de Jean Ziegler. Mais est-ce suffisant pour s’exclamer: «Tel père, tel fils»?

G.Musy

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Saint François de Sales. Aventurier et diplomate https://www.revue-sources.org/saint-francois-de-sales-aventurier-et-diplomate/ https://www.revue-sources.org/saint-francois-de-sales-aventurier-et-diplomate/#respond Fri, 01 Jun 2018 04:06:44 +0000 https://revue-sources.cath.ch/?p=2595 Michel Tournade: Saint François de Sales. Aventurier et diplomate, Salavator, Paris, 2017, 331 p.

L’ouvrage de 331 pages a paru en 2017 chez Salvator, sans doute à l’occasion du 450 ème anniversaire de la naissance au château de Thorens de Monsieur de Genève (1567-1622).

L’auteur est un religieux, membre de la famille salésienne, curé d’une paroisse d’Annecy et enseignant dans un lycée savoyard. Manifestement, il aime écrire et adore sa région et ses montagnes. Le romanesque mis à part, ce livre répond au questionnement sur l’environnement et le milieu familial du jeune François, sur sa formation et ses jeunes années de prêtre et d’évêque.

C’est précisément sur ses années «missionnaires» en Chablais que porte notre intérêt. Comment François s’était-il pris pour ramener au catholicisme la population de ce territoire conquis par les Bernois alliés des calvinistes genevois, puis rétrocédé au duc catholique de Savoie? Quelle fut la méthode missionnaire du Prévôt des chanoines d’Annecy.

L’œcuménisme de François, me semble-t-il, est d’abord celui de l’auteur.

Je ne crois pas me tromper en affirmant que le roman a été tout entier construit pour nous donner une image œcuménique de celui qui deviendra évêque de Genève, sans n’avoir jamais pénétré dans sa cathédrale. On connaissait déjà son refuge dans la citadelle des Allinges au cours des années difficiles, ses libelles qui avaient mission de faire réfléchir plutôt qu’alimenter polémiques et controverses ou allumer des bûchers.

A-t-il à trois reprises rencontré secrètement Théodore de Bèze et même invité le successeur de Calvin à se convertir au catholicisme en lui proposant l’argent du pape pour faciliter ce geste? Difficile de démêler l’histoire du romanesque. François s’est-il rangé finalement à la politique de son prince catholique désireux d’imposant par la force la conversion de ses sujets calvinistes? L’auteur ne s’engage pas dans ce débat délicat qu’il semble même ignorer.

L’œcuménisme de François, me semble-t-il, est d’abord celui de l’auteur. Le genre romanesque autorise en effet les anachronismes. Monsieur de Genève ne voit donc aucun inconvénient aux «mariages mixtes»; il irait jusqu’à approuver des célébrations (eucharistiques?) où s’interfèrent un prêtre et un pasteur. Il ne supporte pas l’intégrisme, qu’il soit le fait d’agents de l’inquisition romaine ou de pasteurs fanatisés. Son but: vivre dans un monde aimable, aimé de Dieu et des hommes, et pénétré de beauté. Seule la beauté sauvera le monde. Cet adage issu d’un roman de Dostoievski, plusieurs fois répété dans ce roman, serait-il une clef pour comprendre l’intention de l’auteur? Proche des jeunes, ce prêtre veut leur faire connaître un christianisme fréquentable. L’image recomposée de Monsieur de Genève convient à sa démonstration.

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François de Sales: Missionnaire en Chablais https://www.revue-sources.org/francois-de-sales-missionnaire-en-chablais/ https://www.revue-sources.org/francois-de-sales-missionnaire-en-chablais/#respond Thu, 15 Mar 2018 00:39:34 +0000 https://revue-sources.cath.ch/?p=2549 François de Sales, évêque de Genève, est né le 21 août 1567 au château de Thorens dans l’ancien duché de Savoie. Nous commémorons donc au cours des deux année 2017 et 2018 le quatre cent cinquantième anniversaire  de sa naissance. 

La revue « Sources » mentionne cet événement en reprenant, avec l’accord de son auteur, les trois premiers chapitres d’un article très documenté du Père Daniel Moulinet, membre de la « Société des Prêtres de Saint François de Sales », professeur à l’Université catholique de Lyon. Cet article a paru au cours de l’année 2016-2017 dans « Le Lien salésien », revue de la   «  Société des Filles de Saint François de Sales ».

Nous avons sélectionné les passages de l’article qui évoquent les premières années de François de Sales et surtout sa pastorale « missionnaire » dans le Chablais genevois, territoire conquis par les Bernois protestants, restitué à la Savoie et redevenu catholique. Une étape de la vie de François pas du tout anodin en ce temps de commémoration de la réforme luthérienne, si proche de nos frontières.


François est né le 21 août 1567, au château de Sales, près de Thorens, dans le Genevois déchiré depuis trente ans par l’hérésie protestante. Sa famille, de vieille noblesse, est restée catholique. Alors que son père avait pris le nom de Boisy, d’une terre reçue en dot par son épouse, il rend à ce fils – son premier né – le nom de Sales et le destine à reprendre sa terre.

La première éducation de l’enfant est confiée au chapelain du château, l’abbé Jean Déage. En 1574, il est envoyé à l’école de La Roche avec ses cousins germains, puis, deux ans plus tard, au collège d’Annecy, créé vingt-cinq ans auparavant et tenu par le clergé séculier. Lorsqu’il a dix ans, il communie pour la première fois et reçoit le sacrement de confirmation. Un an plus tard, il demande à être tonsuré, ce qui, pour lui, représente un premier pas vers la donation à Dieu, mais, pour son père, l’acte nécessaire pour recevoir des revenus ecclésiastiques.

En septembre 1582, son père l’envoie à Paris, au collège de Navarre. Mais François obtient d’aller au collège de Clermont (aujourd’hui lycée Louis-le-Grand)[1], aux études plus rigoureuses pour les classes de rhétorique et de philosophie (1584). Tout en recevant l’éducation d’un gentilhomme, il demande à M. Déage, qui l’a accompagné à Paris, de suivre des cours de théologie. Aussi va-t-il écouter, en Sorbonne, les cours d’un bénédictin de Cluny, Gilbert Génébrard, qui lui donne le goût de l’Écriture Sainte.

Angoisse du salut et délivrance

Certainement confronté à des tentations lui venant de la fréquentation des milieux mondains, il assiste en même temps à des débats théologiques sur la question de la prédestination. Là, s’y professe, sous le nom de saint Augustin et saint Thomas, l’idée que la prédestination au salut et à la damnation est le fait de Dieu seul, indépendamment des œuvres du fidèle. François se persuade que, quoi qu’il fasse, il sera au nombre des réprouvés ; il deviendrait donc inutile de persévérer en la vertu. Ses amis décrivent ainsi son tourment :

Tous les jours, il défaillait, et, à force de pleurer, semblait en agonie ; versant des larmes jour et nuit et redoublant ses tristes sanglots, il fatiguait l’air de ses lamentations, en frappait le ciel à coups redoublés et essayait de toucher le cœur de Dieu, soit pour être délivré de toute tentation, soit pour que, réconforté par Lui, il résistât courageusement dans la foi et qu’enfin l’espérance immuable qu’il avait placée en sa miséricorde ne fût pas vaine. […] On l’entendait gémir et crier vers le Seigneur, et répéter d’ardentes oraisons jaculatoires extraites des divers psaumes du Roi-Prophète. […] Par [là], il calmait les angoisses de son cœur désolé, et, pour ainsi dire, perçait le cœur de Dieu par toutes ces flèches d’amour et de douleur, et émouvait les entrailles de sa miséricorde. […] Un mois presque et demi se passa dans ces langueurs, Dieu le permettant ainsi, afin que son Serviteur apparût très fidèle au milieu de la tentation et que, la tempête grandissant de plus en plus, sa plus qu’admirable confiance fût éprouvée comme l’or dans la fournaise[2].

Au paroxysme de la détresse, il entre dans l’église Saint-Étienne-des-Grès, au coin de la rue Saint-Jacques et de l’actuelle rue Cujas, s’agenouille devant une statue de la Vierge, récite un Souvenez-vous et prononce un acte d’abandon :

Quoi qu’il arrive, Seigneur, vous qui tenez tout dans votre main, et dont toutes les voies sont justice et vérité ; quoi que vous ayez arrêté à mon égard au sujet de cet éternel secret de prédestination et de réprobation ; vous dont les jugements sont un profond abîme, vous qui êtes toujours Juge et Père miséricordieux, je vous aimerai, Seigneur, au moins en cette vie, s’il ne m’est pas donné de vous aimer dans la vie éternelle ; au moins je vous aimerai ici, ô mon Dieu, et j’espérerai toujours en votre miséricorde, et toujours je répéterai votre louange, malgré tout ce que l’ange de Satan ne cesse de m’inspirer là-contre. Ô Seigneur Jésus, vous serez toujours mon espérance et mon salut dans la terre des vivants. Si, parce que je le mérite nécessairement, je dois être maudit parmi les maudits qui ne verront pas votre très doux visage, accordez-moi au moins de n’être pas de ceux qui maudiront votre saint nom[3].

Ce difficile passage ouvre sur la délivrance : « Il lui sembla, dira Jeanne de Chantal, que son mal était tombé à ses pieds comme des écailles de lèpre. » Il comprend qu’il peut aimer Dieu sur terre sans qu’il lui soit besoin d’espérer le ciel.

Séjour à Padoue et en Italie

Mais, à Paris, l’émeute oppose les partisans d’Henri de Guise au roi Henri III. Son père envoie François à Padoue poursuivre des études en droit (1588-1591). Après avoir failli succomber à une épidémie (fin 1590), il rédige, sous l’impulsion de son directeur spirituel, le jésuite humaniste Antoine Possevin, un règlement pour sa vie, dont il observera l’esprit, sinon la lettre, jusqu’au dernier jour. Il lit saint Augustin et saint Bonaventure et découvre le petit livre de Laurent Scupoli, Le Combat spirituel (1589), qui lui révèle que la perfection consiste à se désapproprier de sa volonté et de s’en remettre à celle de Dieu. Il obtient le doctorat en droit (3-5 septembre 1591).

Après un pèlerinage à Lorette et Rome, il rentre en Savoie au printemps 1592. Les idées mondaines de son père à son endroit se précisent : octroi de la seigneurie de Villaroget, sollicitation d’une charge d’avocat auprès du sénat de Savoie, projet de mariage avec Françoise Suchet de Mirebel. Mais François fait confidence à sa mère de sa décision d’être d’Église. Une transition est trouvée par son cousin germain, le chanoine Louis de Sales qui, en cachette, sollicite pour lui à Rome la charge de prévôt des chanoines de Saint-Pierre de Genève (mai 1593). L’heure est venue de tout révéler à son père, qui accepte ce choix, malgré sa peine.

Ordination sacerdotale

L’évêque, Mgr Claude de Granier, lui confère en quelques mois les différents ordres sacrés depuis le sous-diaconat (11 juin 1593), jusqu’à la prêtrise (18 décembre 1593). François abandonne à son frère Gallois son droit d’aînesse et le titre de Villaroget. Il pratique assidûment la récitation du bréviaire. Il relit aussi un manuscrit qu’il avait apporté d’Italie sur les vertus d’un saint encore vivant : Philippe Néri, fondateur de l’Oratoire du divin Amour.

À la veille de son ordination, il dit à son ami Antoine Favre, sénateur de Savoie, sa crainte mêlée de joie : « Ne vous persuadez pas que les saints mystères m’inspirent un effroi tel qu’il ne laisse en moi place à une espérance et une allégresse bien supérieures à ce que pourraient me valoir mes propres mérites. Je me réjouis spécialement et j’exulte de pouvoir correspondre au moins par cet office le plus sublime de tous, je veux dire par des sacrifices et par le sacrifice de la plus auguste des victimes[4]»

Prêtre missionnaire (1593-1602)

Peu après Noël 1593, François de Sales est installé comme prévôt des chanoines de Saint-Pierre de Genève. Dès le 1er septembre 1593, avant même son ordination sacerdotale, il avait fondé, avec la plupart des chanoines, la confrérie des pénitents de la Sainte-Croix. Le préambule des statuts indique bien la visée des membres :

Si nous nous retournons vers Dieu lui-même, auteur de toute piété, avec componction de cœur, gémissement et humilité, prières, jeûnes, fréquente confession des péchés, participation à l’eucharistie, et autres œuvres de dévotion et de charité vraiment dignes de chrétiens, lui qui, même dans sa vengeance, est miséricordieux, […] il nous arrachera à toutes les vexations des hérétiques, aux incursions et déprédations de la soldatesque, à la famine qui nous oppresse, aux maladies qui nous accablent, aux guerres qui nous enserrent et aux autres périls qui sont à nos portes. Après avoir détruit les ennemis de sa divinité, de l’humaine nature et des hommes, il fera revivre là la sainte religion catholique et nous, soussignés, il nous ramènera et nous réinstallera dans nos sièges d’autrefois et dans notre propre église, d’où […] nous avons été bannis en cette ville d’Annecy, depuis plus de cinquante ans, où nous résidons comme étrangers et pèlerins dans une église d’emprunt[5].

Il refuse la dignité sénatoriale offerte par le duc de Savoie Charles-Emmanuel, « voulant servir un maître unique ». Il pratique assidûment le ministère de la confession. Rapidement, il élargit le champ de son apostolat en acceptant de se donner pour la mission du Chablais (25 000 habitants, 52 paroisses) afin de le ramener à la foi catholique (septembre 1594). Cette région, dont les églises qui n’ont pas été transformées en temples sont en ruines, conquise par les Bernois en 1536, avait été rendue au duc de Savoie, Charles-Emmanuel, en 1593. À Thonon, il ne reste qu’une quinzaine de catholiques sur 3000 habitants.

Avec son cousin, le chanoine Louis de Sales, François affronte les dangers. Tous les soirs, il doit se replier dans la forteresse des Allinges tenue par la troupe catholique du baron d’Hermance. Au commencement, le succès n’est pas au rendez-vous car les protestants refusent d’écouter les prédications qu’il donne dans l’église Saint-Hippolyte. Il prêche sur deux points contestés : l’origine divine de l’Église catholique et l’eucharistie.

Cependant, il ne se décourage pas. Il écrit à A. Favre : « Ils ne veulent pas nous écouter parce qu’ils ne veulent pas écouter Dieu. […] Ils voudraient assurément nous faire perdre l’espérance de mener nos affaires à bonne fin, et partant, nous contraindre à nous retirer. Mais il n’en sera pas ainsi ; car aussi longtemps qu’il nous sera permis par les rêves et par la volonté du prince tant ecclésiastique que séculier, nous sommes absolument résolus de travailler sans relâche à cette œuvre, de ne pas laisser une pierre à remuer, de supplier, de reprendre avec toute la patience et la science que Dieu nous donnera.[6]»

Il arpente la région de Thonon, à pied, son bréviaire, sa Bible ou son chapelet à la main, passant d’un hameau à l’autre, visitant les catholiques dispersés et certains foyers protestants qu’on lui indique. Parfois, quand il revient trop tard, la forteresse est fermée et il faut passer la nuit dehors. Un soir, pris dans les bourrasques de neige, au village de Noyer, il se heurte aux portes fermées et ne doit son salut qu’au four banal, encore tiède de la fournée du jour, où il passe la nuit.

Affronté à plusieurs tentatives d’assassinat, il refuse les soldats mis à sa disposition et, malgré le grand respect qu’il voue à son père, il lui désobéit lorsque celui-ci lui intime l’ordre de quitter le Chablais (mars 1595). Peu auparavant, pour finir de toucher les protestants qui refusent de l’écouter, il a entamé la composition de tracts distribués à domicile. Il les rassemblera pour former les Controverses. Il décide de passer le Carême à Thonon. Les premières conversions, le baron d’Avully, et l’avocat Pierre Poncet, produisent un effet considérable. En quinze mois, il opère 200 retours. Il tient à rassurer les futurs convertis sur le traitement qui leur sera assuré après leur entrée dans l’Église catholique :

Quelques personnes vertueuses, touchées de la miséricorde de Dieu, sont retournées à lui avec un humble repentir, et, quittant les ténèbres de l’hérésie calviniste, sont venues à la vraie lumière du Christ Jésus, notre vrai Soleil, puis par notre entremise, […] elles ont été admises au baiser de paix de la sainte Église catholique, apostolique et romaine. […] Mais nous avons appris avec un profond étonnement qu’un grand nombre sont retenues dans l’erreur par la fausse crainte et la vaine frayeur de ne pas être en assurance pour leur vie et leurs personnes parmi les catholiques. […] Nous donnons l’assurance [à chacun] que, revenant au vrai bercail du Christ, il sera reçu et traité avec bonté, et qu’avec une loyauté parfaite, il sera […] affranchi et libéré de toute peine infligée pour cause d’hérésie […] par n’importe quel juge ecclésiastique et séculier[7].

Visite secrète à Genève

En 1597, à la demande du pape Clément VIII, habillé en costume laïque, il cherche à rencontrer Théodore de Bèze. Leurs deux entretiens sont courtois mais le fondateur de l’Académie de Genève ne change pas de position.

En septembre 1597, François fait célébrer les Quarante-heures d’Annemasse, solennel hommage à la Présence réelle, ce qui ne laisse pas indifférent certains protestants. Un an plus tard, la même célébration à Thonon marque le succès de la mission du Chablais. Le duc de Savoie croit pouvoir aller au bout de la conquête en agissant par la force, en menaçant d’exil les calvinistes qui persévéreraient dans leurs convictions.

En janvier 1599, Mgr de Granier l’envoie auprès du pape Clément VIII pour expliquer au pape que la paix de Vervins interdit au duc d’espérer reconquérir Genève et susciter de sa part une protestation auprès du roi Henri IV. Le pape le nomme coadjuteur de Genève (22 mars 1599) sous le titre d’évêque de Nicopolis.

Diplomate et prédicateur à Paris

Mais voici une autre mission. Un conflit oppose le duc de Savoie au roi de France. Le premier aurait voulu garder le marquisat de Saluces dont il s’était emparé sous Henri III, mais Henri IV l’annexe (octobre 1600). La paix est signée à Lyon en janvier 1601 : le duc garde Saluces mais donne à la France le pays de Gex qui, du point de vue religieux, dépendait du diocèse de Genève. L’évêque voulant faire rendre aux catholiques de ce territoire les biens qui leur ont été confisqués par les calvinistes.

Là, il fréquente le salon de Mme Barbe Acarie qui, devenue veuve, entrera au Carmel sous le nom de Marie de l’Incarnation. Il y rencontre notamment Pierre de Bérulle. Il prêche le Carême au Louvre et dans diverses églises parisiennes. Il mène une négociation difficile qui lui vaut l’estime du roi Henri IV, lequel lui offre – sans succès – un évêché au royaume de France. De passage à Lyon, sur le chemin du retour, François apprend le décès de Mgr de Granier, dont il prend immédiatement la succession.

Premières années d’épiscopat

François de Sales, évêque de Genève, en résidence à Annecy, est installé le 14 décembre 1602 sur son trône épiscopal. François n’a de cesse de pouvoir réinstaller à Genève le siège du diocèse qui a été, par le fait, transféré à Annecy. Mais c’est le moment où le Duc vient d’échouer dans sa tentative de reprendre la ville (“l’Escalade”, 11-12 décembre). Cependant, l’évêque souhaite avant tout appliquer dans le diocèse la réforme du Concile de Trente.

Il inaugure la catéchèse en utilisant le livre de Robert Bellarmin, paru cinq ans plus tôt et tout juste traduit en français. Il la fait annoncer, chaque dimanche, dans les rues d’Annecy, par deux adolescents vêtus d’une dalmatique bleue avec le nom de Jésus peint devant et derrière : « À la doctrine chrétienne ! On vous y enseignera les chemins du paradis ! » Des personnes de bonne volonté aident les petits illettrés à préparer leur leçon. C’est l’évêque lui-même qui enseigne le catéchisme. Il émaille la leçon d’anecdotes de la vie quotidienne. En outre, il institue une grande fête du catéchisme le dimanche après l’Épiphanie.

Réformateur de son clergé

Il doit mettre la paix entre le chapitre de Saint-Pierre de Genève, réfugié à Annecy, et celui de cette même ville, sous le vocable de Notre-Dame de Liesse. Il veut améliorer la qualité du clergé. Il découvre le faible niveau de formation des prêtres et donne, lui-même, des cours de théologie. Leur demandant de prendre goût à l’étude, il les avertit avec force : « L’ignorance est pire que la malice ». Il leur fournit un Mémorial aux confesseurs qu’il rédige et inaugure des conférences mensuelles auxquelles peuvent assister les laïcs.

A l’écoute de tous

L’évêque ne refuse jamais une invitation à prêcher, depuis la chaire de la cathédrale jusqu’à celle des plus petites de ses églises. Abandonnant les discours ampoulés de certains de ses confrères, il s’exprime simplement, de manière claire et chaleureuse, parlant au cœur et à l’intelligence de ses fidèles. Dans l’Épître sur la prédication qu’il adresse au jeune archevêque de Bourges, André Frémyot, il invite à puiser les thèmes dans l’Écriture, les écrits des Pères de l’Église, la Vie des saints, plutôt que de se fonder sur certaines « histoires ridicules » qu’on trouve à leur propos. « La fin du prédicateur est que les pécheurs morts en l’iniquité vivent à la justice, et que les justes qui ont la vie spirituelle […] se perfectionnent de plus en plus. » Pour cela, on doit simplement « prêcher la parole de Dieu », rien de moins, rien de plus.

La confession est de première importance pour lui. Dans la déposition qu’elle donne à son procès, Jeanne de Chantal déclare :

Il se donnait tout entier à cet exercice sans mesure ni limite que la nécessité de ceux qui recouraient à lui ; il quittait tout pour cela, excepté qu’il fût occupé à quelque affaire plus importante pour la gloire de Dieu, parce qu’il savait qu’en ce sacrement se faisait le grand profit des âmes. Tous les dimanches et fêtes, quantité de personnes qui y venaient, seigneurs, dames, bourgeois, soldats, chambrières, paysans, mendiants, personnes malades, galeuses, puantes et remplies de grandes abjections, il les recevait tous sans différence ni acception de personne, avec égal amour et douceur, car jamais il ne refusait aucune créature pour chétive qu’elle fût ; au contraire, je crois qu’il la recevait avec plus de charité intérieure, et la caressait plus tendrement que les riches et bien faits, et disait que c’était où s’exerçait la vraie charité. Les enfants mêmes n’étaient pas éconduits par le bienheureux ; ainsi il les recevait si amiablement qu’ils prenaient plaisir à y retourner.

Il donnait à ses pénitents tout le temps et loisir pour se bien déclarer, jamais il ne les pressait. […] Il a pleuré avec quelques-uns leurs péchés et traitait si amiablement ses pénitents qu’ils se fondaient devant lui[8].

À l’égard de son accompagnement spirituel, elle ajoute :

Il avait une vue si pénétrante que, quand on lui parlait ou lui écrivait de sa conscience, il discernait avec une délicatesse et une clarté non pareilles les inclinations, les mouvements et tous les ressorts des âmes et parlait avec des termes si précis, si exprès et si intelligibles qu’il faisait comprendre, avec très grande facilité, les choses les plus délicates et les plus relevées de la vie spirituelle.

Visites pastorales

En 1605, il entame les visites pastorales de son diocèse qu’il achève en quatre ans. Le passage de l’évêque est comme une petite mission pour les fidèles. Un jour de septembre 1609, par un coup d’audace, il ose traverser la ville de Genève, à visage découvert, ce qu’il raconte tout simplement à Antoine Favre dans un mot qui traduit sa confiance en Dieu : « Vous aurez su comme je traversai Genève sous la conduite de mon bon ange, et cela seulement pour ne pas paraître poltron et pour vérifier que qui marche simplement marche avec confiance[9]. » C’est l’époque où il réinstalle le culte catholique dans le pays de Gex désormais rattaché à la France : « Ce jourd’hui de saint Mathieu, j’ai dit la première messe à Cessy depuis soixante-treize ans[10]. »

En 1607, avec son ami Antoine Favre, sénateur de Savoie, il crée l’Académie florimontaine dont la célébrité sera européenne, et où se donnent des cours de théologie, philosophie, mathématiques, droit et cosmographie. Il lui assigne comme finalité « l’exercice de toutes les vertus, la souveraine gloire de Dieu, le service des princes et l’utilité publique. »

C’est l’année suivante qu’il publie l’Introduction à la vie dévote, qu’il remaniera à diverses reprises jusqu’à l’édition définitive de 1619. Outre que la “dévotion” est désormais ouverte à tous, elle n’est pas opposée au service des autres, des malades et des indigents qui l’entretiennent.

Les pièces conservées permettent de se faire une faible idée de l’administration de l’évêque. Il lui faut bénir une chapelle récemment érigée ou un autel, régler un différend entre curé et paroissiens ou bien entre deux prêtres. Il faut faire cesser des abus, mais aussi présider à une procession ou à une fête de dévotion. Envers un pécheur qui se jette à ses pieds, il se montre plus miséricordieux que son procureur fiscal. Il montre aussi beaucoup de sollicitude pour les ordres religieux et réforme avec patience les maisons, là où c’est nécessaire.

Le collège de Thônon

À Thonon, il fonde une maison qui serait, selon lui, lieu de résidence d’un groupe de prêtres au service de la paroisse, un collège, un séminaire et un refuge pour les nouveaux convertis, avec une école d’apprentissage pour leur permettre de gagner leur vie. La maison connaît des débuts difficiles. Elle est entre les mains d’un capucin, le P. Chérubin, qui voit trop grand. Après quelques premiers succès, la maison est pratiquement tombée à la mort du P. Chérubin (1610). François, qui ne peut la suivre que de loin, confie aux Barnabites la direction du collège (1616) qui vit très pauvrement. Elle ne progressera qu’à partir du deuxième tiers du XVIIe siècle ; des différentes fondations, seul le collège survivra, mais aura un grand rayonnement dans le Chablais.


[1] Cet établissement avait été fondé en 1563 par Guillaume Duprat, évêque de Clermont, et confié aux jésuites.

[2] Cité dans : Œuvres de saint François de Sales, évêque et prince de Genève, éd. complète, tome XXII, Annecy, Monastère de la Visitation, 1925, préface, p. XVI-XVII.

[3] Œuvres de saint François de Sales, évêque et prince de Genève, éd. complète, tome XXII, Annecy, Monastère de la Visitation, 1925, p. 19-20.

[4] FRANÇOIS DE SALES, Lettres intimes, Éditions du Jubilé, 2007, p. 26-27.

[5] Œuvres de saint François de Sales, tome XXIV, Annecy, monastère de la Visitation, 1929, p. 342-343.

[6] Lettres intimes, p. 31.

[7] Acte du 21 octobre 1597, dans Œuvres, tome 22, p. 169-170.

[8] Cité dans J. GAUME, Manuel des confesseurs, 6e éd., Paris, Gaume, 1845, p. 20.

[9] Lettres intimes, p. 47-48.

[10] Ibid.

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Klaus Keller: l’économie au service de la paix https://www.revue-sources.org/klaus-keller-leconomie-internationale-service-de-paix/ https://www.revue-sources.org/klaus-keller-leconomie-internationale-service-de-paix/#respond Tue, 09 May 2017 14:54:45 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=2270 Klaus Keller étudie l’économie internationale à Genève. En parallèle, il s’engage chaque mercredi auprès de l’Association Le Bateau pour partager son temps avec des personnes démunies. C’est dans la prière quotidienne qu’il puise la force de ses grands idéaux. Portrait d’un jeune engagé. 


Un reportage de Pierre Pistoletti, journaliste et membre de la Revue Sources.

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Genève: la perspective œcuménique de l’AOT https://www.revue-sources.org/geneve-perspective-oecumenique-de-laot/ https://www.revue-sources.org/geneve-perspective-oecumenique-de-laot/#comments Tue, 07 Feb 2017 14:46:41 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=2107 [print-me]L’Atelier œcuménique de théologie a été fondé en 1972 par des théologiens protestants et catholiques, dans le souffle qu’a apporté Vatican II. Leur projet fut de rendre la théologie au peuple de Dieu, ensemble, dans un projet œcuménique. Ainsi fut créé l’AOT, qui offre à des croyants de toutes les confessions une formation théologique de base sur deux ans, à raison de deux heures par semaine.

En septembre 2017 va s’ouvrir la 23ème volée de formation, sur le thème «En quête de sens, d’identité… de Dieu?».

«A» comme Atelier

La force de l’AOT, c’est d’être en perpétuel chantier: d’où l’importance de ce mot «Atelier». En effet, lors de rencontres bimensuelles, les enseignants partagent leurs réflexions théologiques et leurs idées; ils réfléchissent ensemble et élaborent leurs programmes (différents pour chaque volée) ainsi que leurs cours.

« l’AOT est un lieu privilégié où des chrétiens de diverses confessions peuvent penser ensemble »

Les participants font eux aussi «Atelier» lorsque leurs représentations de Dieu, de la Bible, de la théologie et des Eglises sont questionnées et bouleversées. En effet, durant leur parcours de formation, l’AOT leur propose une alternance entre grands groupes et petits groupes qui permet à chacun de creuser des thématiques et de participer activement au chantier.

«T» comme Théologie

L’Atelier des fondateurs connut des dialogues épiques et des confrontations, l’ecclésiologie des uns venant se cogner à celle des autres. Les controverses étaient fréquentes produisant quelques étincelles mémorables, mais le projet était d’arriver au dialogue et de faire de la théologie ensemble.

Or, qu’est-ce que faire de la théologie? N’est-ce pas élaborer une parole sur Dieu, sur l’être humain et sur son lien à Dieu?

Toute théologie étant contextuelle, l’AOT permet à chacune et à chacun de questionner sa foi – ou son manque de foi – et son lien au Dieu de la Bible. Il offre un lieu de partage et de questionnement. Il donne des outils pour chercher à comprendre ce que peut bien vouloir dire la Bible à l’être humain. Il permet d’acquérir des connaissances théologiques de base pour comprendre comment et pourquoi les concepts théologiques ont évolué au cours de l’Histoire de l’humanité.

«O» comme Œcuménisme

Dès le début de l’aventure, l’AOT a surfé sur la vague des expériences acquises par la formation et le fonctionnement du Conseil œcuménique des Eglises et celle des ouvertures du Concile Vatican II, pour développer une réflexion de fond sur l’œcuménisme et sur l’identité de chaque confession.

Il s’agit pour les participants de quitter des préjugés sur l’«autre», mais aussi de questionner ses propres racines. Tout cela se vit dans un grand respect pour la diversité des traditions de chacun.

Quant aux enseignants, fonctionnant toujours en binômes de confession différente, ils cherchent ensemble, dans un dialogue constructif, même s’il est parfois musclé. Ensemble, ils approfondissent les points de friction pour comprendre et chercher à faire comprendre pourquoi le christianisme est si divers depuis les origines, et pourquoi l’unité n’est pas encore une réalité…Ils ne travaillent plus aujourd’hui dans la confrontation des débuts, mais dans une recherche commune de compréhension, en cherchant notamment à analyser les facteurs qui ont amené les divisions. Où en est l’AOT actuellement dans son projet œcuménique?

Où en est l’œcuménisme aujourd’hui?

Au début du mouvement oecuménique, des idéalistes visionnaires ont pensé pouvoir régler très vite les différents existants entre les Eglises. Avec beaucoup d’espoir ils ont été des pionniers, espérant voir se réaliser rapidement une unité visible. Ces premiers ouvriers de l’œcuménisme se sont mis en route pour que les différentes Eglises non seulement se côtoient, mais se parlent. Aujourd’hui ils sont déçus, car ils mesurent la réalité à leurs attentes: l’unité visible n’est pas réalisée…

Jean-Paul II et Benoît XVI ont introduit une lecture moins ouverte et courageuse des textes de Vatican II. Le protestantisme a connu des luttes intestines entre une lecture traditionnelle et une lecture plus libérale de sa doctrine et de sa pratique. Les Eglises orthodoxes ont oscillé entre une ouverture vers le monde chrétien et une crispation sur leur propre ecclésiologie. Tout cela a mis des limites au développement oecuménique et créé des mouvements de replis identitaires dans toutes les Eglises. Actuellement l’œcuménisme n’est qu’une option face à des mouvements conservateurs.

Pourtant, de nombreuses expériences œcuméniques à différents niveaux font sens pour les chrétiens. L’œcuménisme est un donné au-delà des discussions théologiques et des écueils.

La Commission Foi et Constitution du COE et le groupe des Dombes, par exemple, ont élaboré des documents prophétiques, comme le BEM (Baptême-Eucharistie-Ministère), documents qui ont été très loin dans les propositions théologiques concrètes. Dans le monde protestant, ces documents ont permis des accords entre certaines traditions. Des dialogues bilatéraux ont permis d’obtenir des résultats incroyables…Il suffit de penser à l’accord sur la justification entre catholiques et luthériens.

Mais, malgré ces succès, le dialogue semble aujourd’hui bloqué. L’Histoire reste encore et toujours un obstacle, et les héros des uns demeurent les hérétiques des autres…

Quel œcuménisme à l’AOT?

Dans ce contexte, l’AOT est un lieu privilégié où des chrétiens de diverses confessions peuvent penser ensemble, élaborer ensemble, dans une vivifiante vitalité du quotidien.

L’AOT est un microcosme dans le paysage chrétien et œcuménique actuel. Il a suivi le chemin de l’œcuménisme global et mondial qui n’est plus à la recherche d’une unité uniforme, mais d’une unité dans la diversité. Ainsi la recherche d’une diversité réconciliée permet de s’émerveiller de la richesse des autres. En ce temps où aucune Eglise n’est capable de reconnaître l’ecclésiologie de l’autre, l’AOT est un lieu où la reconnaissance du charisme de l’autre devient possible, dans une réflexion sur ce que ce charisme dit de l’ecclésiologie de l’autre.

L’AOT est un laboratoire de sens où, tant les enseignants que les participants, font l’expérience de l’autre, posent des questions pertinentes et impertinentes, mais où personne ne cherche à donner une solution œcuménique finale.

C’est une école qui bouleverse. Et parfois ce bouleversement rend compliqué le retour des participants dans certaines paroisses qui ne répondent plus à leurs attentes, suite aux découvertes qu’ils ont faites durant leur parcours. Beaucoup s’engagent alors dans des lieux ecclésiaux divers et y témoignent de la richesse de leur expérience.

Aujourd’hui, l’AOT continue à défricher des chemins et à accompagner des personnes en recherche, à tisser des liens entre les chrétiens, à permettre un dialogue toujours plus riche et respectueux, à vivre une réelle expérience œcuménique.

Et le projet œcuménique de l’AOT?

Parler de Dieu…parler sur Dieu… parler à Dieu… ensemble
Parler de ses représentations de Dieu… ensemble
Parler de sa rencontre avec des textes qui parlent de Dieu…ensemble
Parler de son expérience de Dieu, du Dieu de Jésus-Christ… ensemble
Ecouter ensemble… un Dieu qui parle à l’être humain… ensemble
Ecouter ensemble…des théologiens qui parlent de Dieu… ensemble
Ecouter l’autre partager son expérience de Dieu… ensemble
Dialoguer ensemble, se questionner ensemble, célébrer ensemble[print-me]


Les inscriptions pour la 23ème volée sont ouvertes.
Plus d’information sur le site internet www.aotge.ch.


Anne Deshusses-Raemy et Georgette Gribi sont les deux co-directrices, catholique et protestante, de l’Atelier Oecuménique de Théologie (AOT) de Genève.

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Œcuménisme: un chemin genevois https://www.revue-sources.org/oecumenisme-chemin-genevois/ https://www.revue-sources.org/oecumenisme-chemin-genevois/#respond Tue, 07 Feb 2017 14:32:22 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=2102 [print-me]Quel chemin prendre ensemble pour aller vers l’unité? J’ai le sentiment que l’on ne peut répondre à cette question que de manière locale. Or Genève est un «laboratoire» particulier. Pour toutes sortes de raisons, des populations du monde entier y sont présentes. Dans ce creuset de cultures, beaucoup de chrétiens. Si trois Eglises sont reconnues officielles, aujourd’hui les communautés présentes à Genève sont beaucoup plus nombreuses et avec des vitalités différentes.

La joie des retrouvailles

Il n’est pas si loin le temps où, à Genève, on s’ignorait et parfois même on se combattait. Chacun, convaincu d’être dans le vrai, ne s’intéressait guère à ceux qui se trouvaient dans l’erreur. Puis, vint le temps de la découverte réciproque. Des initiatives étaient prises ensemble. Pour se connaître d’abord.

« Y a-t-il aujourd’hui au sein des Eglises un «travail théologique» qui ose affronter des thèmes de fond et pas seulement des questions pastorales ou morales? »

Je me souviens des «pique-niques œcuméniques»: sortie, détente et un temps de prière commune. Puis vint la nécessité d’organiser ensemble des présences d’aumôneries, suivies de l’initiative audacieuse d’un centre de catéchèse œcuménique. Dans les paroisses ce fut le souci commun de venir en aide aux personnes en difficulté ou d’être présent dans des milieux de moins en moins intéressés par une vie de foi. Ce furent des années d’enthousiasme, une respiration nouvelle. Pour les catholiques, dans l’élan du Concile Vatican II, un engagement à une présence commune dans la société. Numériquement majoritaires, mais culturellement minoritaires, nous sentions qu’ensemble nous tirions à la même corde. Des rencontres fraternelles et chaleureuses nous donnaient l’impression d’avoir dépassé des siècles de tensions inutiles. On en vint à penser que plus rien ne nous divisait.

 Le temps du questionnement

Cet enthousiasme est retombé. Certes, quantité d’initiatives continuent d’exister, mais l’enthousiasme n’est plus là. Beaucoup d’activités communes se poursuivent naturellement, mais des signes de fatigue se font sentir. Des groupes ont peine à se renouveler et donc à survivre. Y a-t-il encore des moments et des lieux privilégiés où les chrétiens de cette ville aiment se retrouver? Dans certains quartiers, les lieux de cultes se côtoient sans que les fidèles ne se rencontrent. En prenant un peu de distance, ne doit-on pas se réjouir malgré tout du chemin parcouru et de voir naître de nouvelles initiatives communes au service de nos quartiers et de la cité? Peut-on imaginer de nos jours un service d’accueil de réfugiés qui ne serait pas interconfessionnel?

Des chrétiens de partout

L’élément nouveau est la présence et l’organisation progressive de diverses Eglises et communautés chrétiennes nouvelles venues dans le paysage genevois. La présence chrétienne à Genève est donc infiniment plus diversifiée aujourd’hui qu’elle ne l’était il y a cinquante ans. Les Eglises chrétiennes historiques doivent cohabiter avec les nombreuses communautés évangéliques. Les langues pratiquées pour la prière et la prédication sont, elles aussi, nombreuses. La question culturelle se pose de manière nouvelle. Avec un souci d’intégration, mais aussi avec le désir de ne pas perdre des racines importantes pour vivre et exprimer sa foi.

Le temps de l’approfondissement

Le risque identitaire existe toujours dans l’expression de la foi. Mais des rencontres fraternelles et chaleureuses entre chrétiens de diverses entités sont aussi concrètement vécues dans le contexte genevois. Le RECG (Rassemblement des Eglises et Communautés Chrétiennes de Genève) réunit 27 communautés chrétiennes dans un climat de confiance et avec un grand désir de cheminer ensemble. Mais si ce qui unit est plus grand que ce qui divise, il n’en demeure pas moins que certaines clarifications sont indispensables. Un mois avant sa mort, Paul VI se réjouissait d’avoir vu le «dialogue de communion se développer», mais il se réjouissait encore plus de «pouvoir commencer le vrai dialogue théologique»[1].

Où se fait-il ce dialogue théologique? Au niveau des autorités des Eglises, selon leur compétence, au niveau des théologiens et des spécialistes, mais encore au niveau de ceux qui se sont engagés à la suite du Christ dans une vie de prière, de service et de prédication, chacun selon sa vocation. Enfin, ce dialogue est celui du peuple de Dieu qui s’enrichit des différences, tout en restant fidèle à des traditions dans lesquelles il voit l’action de l’Esprit. Pourtant, la question reste posée: y a-t-il aujourd’hui au sein des Eglises un «travail théologique» qui ose affronter des thèmes de fond et pas seulement des questions pastorales ou morales? Des thèmes comme celui de l’Eglise ou de l’«Eucharistie» ou de la «Cène» ou – pour éviter les problèmes – du «Repas du Seigneur» (I Cor 11,20) sont-ils envisageables dans nos rencontres? A Genève, des initiatives comme celle de l’Atelier Œcuménique de Théologie (AOT) relèvent ce défi. Elles rejoignent quantité d’autres démarches qui, proches de nous, donnent le ton de manière prophétique et persévérante, comme celle de Taizé ou de Bose, pour ne citer que les plus connues.

Il est probable qu’il nous faille changer de mentalité face au chemin qui se dessine devant nous. Il ne s’agit pas tant de chercher l’unité des chrétiens que l’unité chrétienne, celle que Jésus demande au Père pour que nous soyons «un», «comme toi, Père, tu es en moi, et moi en toi». L’unité n’est pas l’uniformité, mais un mystère de communion. A ce niveau, rien n’est négociable, mais tout peut être partagé.[print-me]


Marc Passera est né et a grandi à Genève, ville où il exerce la charge de curé de la paroisse de Chêne-Thônex.

[1] MAHIEU, Frère Patrick, Paul VI et les orthodoxes, Cerf, Paris, 2012, p. 234

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Droits Humains: les Dominicains ont de qui tenir https://www.revue-sources.org/droits-humains-dominicains-ont-de-tenir/ https://www.revue-sources.org/droits-humains-dominicains-ont-de-tenir/#respond Tue, 07 Feb 2017 13:19:58 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=2069 [print-me]En août 2016, un colloque réunissait à Salamanque[1] quelques deux cents membres de la Famille dominicaine venus dans cette ville raviver l’engagement de l’Ordre au service de la Justice et de la Paix. Un engagement qui pendant huit siècles a marqué l’histoire de la famille de saint Dominique. Long périple que le pape François a comparé plaisamment à un «carnaval mondain» au sein duquel la prédication dominicaine était appelée à résonner.

Le site de Salamanque était judicieusement choisi. L’université de cette ville a hébergé une Ecole célèbre qui prit le nom de cette cité. Elle fut illustrée par un Dominicain non moins célèbre, Francisco de Vitoria (1483-1546), penseur et fondateur du «jus gentium», prémisse du droit international qui arbitre encore aujourd’hui les relations entre les peuples et les Etats.

L’ONU et Francisco de Vitoria à Genève

Il convenait de commémorer une seconde fois cet événement sur les lieux mêmes où ces questions se débattent de nos jours, à savoir au Palais des Nations de Genève qui reçoit trois fois l’an «Le Conseil des Droits de l’Homme». Plus précisément encore, dans une de ses plus belles salles, celle consacrée à Francisco de Vitoria, décorée des fresques marouflées du peintre espagnol José Maria Sert.

Les fresques de sa salle demeurèrent comme un défi muet

La rencontre de Genève eut lieu au soir du 24 janvier 2017, sous l’égide du frère Mike Deeb, promoteur de Justice et Paix au sein de son Ordre et son délégué permanent auprès des Nations Unies. Près de 150 personnes, proches des Dominicains ou membres des missions diplomatiques présentes à Genève, prirent place sur les gradins de cet amphithéâtre historique. A la tribune, une brochette d’orateurs délégués des gouvernements espagnol et péruvien ou de l’Université de Salamanque entourait le Maître de l’Ordre, le frère Bruno Cadoré. On entendit aussi une communication de Mme Nicole Awais[2].

Les Dominicains à l’ONU

C’est à Rome, à la fin des années 80, que se concocta l’idée d’une présence dominicaine dans les parages de ce qui était alors «La Commission des Droits de l’Homme». Deux amis en furent les artisans: un franciscain  canadien John  Quigley et le dominicain Jean-Jacques Pérennès, aujourd’hui Directeur de l’Ecole Biblique et Archéologique de Jérusalem. Mais, pour les Dominicains, la cheville ouvrière de ce projet fut le frère canadien Philippe LeBlanc. Il travailla de concert avec les Franciscains et partagea à Genève le même bureau (FIOP), d’abord à la Cité Universitaire, puis à la rue de Vermont. Le frère LeBlanc prit part chaque année aux réunions de la Commission et de la Sous-Commission créées par l’ONU pour la promotion et la protection des droits de l’homme. A cet effet, il créa en 1998 une organisation non gouvernementale (ONG) appelée «Dominicains pour Justice et Paix». Une nouvelle étape fut franchie en 2002 quand cette ONG obtint un statut consultatif spécial de la part du Conseil Economique et Social des Nations Unies (ECOSOC).

Parvenu au terme de son mandat, le frère Philippe LeBlanc fut remplacé à ce poste par le frère Olivier Poquillon auquel a succédé le frère Mike Deeb actuellement en charge. La mission de ces délégués permanent de l’Ordre auprès des Nations Unies est bien précise: répercuter dans l’Ordre les débats qui se déroulent dans cette aula internationale et dans ce même hémicycle se faire les porte-paroles des victimes lésées dans leurs droits humains, selon les informations qui leur sont transmises par les membres de la famille dominicaine présente dans les cinq continents[3].

«Ne sommes-nous pas des humains?»

Alors que ses compatriotes prenaient pied dans les Indes Occidentales, parvenait à Salamanque aux oreille du théologien dominicain Francisco de Vitoria l’écho du cri de son frère Montesinos, en mission à Hispaniola. Un cri proféré au sujet des Indiens de cette île réduits en esclavage, après avoir été dépouillés de leurs terres: «Ne sont-ils pas des hommes?». La réponse du théologien ne se fit pas attendre. Se réclamant du droit naturel, de sources bibliques et de la meilleure tradition thomiste, Vitoria mit en cause le principe de la colonisation, affirmant le droit des peuples à disposer en pleine souveraineté de leurs terres ancestrales, contestant de ce fait les prétentions papales et impériales de s’en approprier et de les distribuer selon leur gré. Vitoria plaide aussi pour la concertation entre les Etats en vue de régler en commun les questions qui concernent la liberté de commerce, la circulation des personnes et les limites à apporter au droit de la guerre. Questions audacieuses et étonnamment modernes, «disputées» dans un cadre académique et dont les conclusions sont parvenues jusqu’à nous. Le Maître de l’Ordre suggérait dans son intervention de reprendre à notre compte le cri de Montesinos, répercuté dans une version universelle par Vitoria: «Ne sommes-nous pas tous des humains?». 

Les yeux et la tête tournés vers les fresques de Sert personnifiant les maux de l’humanité vaincus par la paix, la justice, le progrès, la solidarité, je demeurai perplexe, me souvenant de la date de l’inauguration solennelle de la salle Vitoria dans ce Palais: 2 octobre 1936. La guerre civile faisait déjà rage en Espagne et la SDN (Société des Nations) qui avait commandé ces peintures murales était moribonde, incapable d’éviter le terrible conflit mondial qui se profilait. Vitoria ne fut pas entendu et les fresques de sa salle demeurèrent comme un défi muet proposé aux sociétés de tous les temps. La nôtre saura-t-elle le relever?[print-me]


Frère Guy Musy, dominicain, rédacteur responsable de la revue «Sources».

[1] Les Actes de ce colloque viennent d’être publiés: Dominicans and Human Rights. Past, Present, Future.Edited by Mike Deeb OP, Celestina Veloso Freitas OP, ATF Theology, Adelaide. 2017, 247 p.

[2] Notre revue reproduira cette intervention dans une prochaine livraison.

[3] Phippe LeBlanc: Les Dominicains à l’ONU, Revue du XXIème siècle, Bruxelles, mars 2002.

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Mendiants de Dieu https://www.revue-sources.org/mendiants-de-dieu/ https://www.revue-sources.org/mendiants-de-dieu/#comments Tue, 07 Feb 2017 13:11:53 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=2065 Ce petit ouvrage présente les lettres du cardinal Journet adressées, de 1968 à 1975, à un jeune homme qui venait d’arriver à Genève pour travailler au Bureau international du travail, puis devenir professeur de sociologie à l’Université.

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L’église Saint-Paul de Grange-Canal: foi en Dieu et foi en l’art https://www.revue-sources.org/leglise-saint-paul-de-grange-canal-foi-dieu-foi-lart/ https://www.revue-sources.org/leglise-saint-paul-de-grange-canal-foi-dieu-foi-lart/#respond Tue, 13 Dec 2016 15:03:19 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=1744 [print-me]

Vouloir déchiffrer le programme artistique, et plus particulièrement iconographique, de l’église Saint-Paul, c’est s’atteler à une tâche titanesque, et il faudrait bien plus que ces quelques lignes pour en faire un inventaire exhaustif. Je me bornerai donc ici à livrer au lecteur quelques considérations personnelles qui n’engagent que moi, mais qui auront pour but de susciter l’intérêt et l’envie de voir, de visiter, de ressentir et, pourquoi pas, de comprendre les éléments fondamentaux qui ont fait de Saint-Paul le premier édifice religieux du 20e siècle à avoir été classé monument historique par les autorités genevoises en 1988, précisément en reconnaissance de l’exceptionnelle richesse artistique exprimée dans ses murs.



Entrer dans la Saint-Paul artistique, c’est prendre acte du Credo d’un homme: l’abbé Francis Jacquet, curé-fondateur de la paroisse. Car cette église constitue véritablement la double profession de foi de ce prêtre trop tôt disparu: foi en Dieu, et foi en l’art, en tant que vecteur privilégié de la transmission de la foi chrétienne. Et je dis bien «chrétienne», car s’il s’agit d’un lieu de culte catholique-romain, il est remarquable qu’à l’époque de sa construction, au sortir du Kulturkampf, l’abbé Jacquet ait fait appel à des artistes réformés aussi bien qu’à des catholiques. Mais entrons à présent…

La monumentale toile absidiale

Auparavant, on se trouve sur le parvis. Devant soi, en haut des marches, la porte surmontée par un tympan inspiré de celui de la cathédrale de Chartres. On y reconnaît le Christ en gloire, entouré des quatre représentations constituant le Tétramorphe, symbolisant les quatre évangélistes. Eh bien, cette symbolique, disposée en deux dimensions sur la façade, se retrouve représentée façon quasiment identique par tout le bâtiment, en trois dimensions cette fois.

L’église St-Paul invite le visiteur à un voyage qui n’a qu’un but: le Christ!

Et l’on peut y ajouter une quatrième dimension, mystique celle-là. En effet, lorsqu’on pénètre à l’intérieur de l’église, le regard est instantanément capté par la toile absidiale monumentale, peinte par Maurice Denis. Tout en haut, le Christ en gloire, et l’apôtre Paul à ses pieds.

Mais alors, quid des évangélistes représentées sur le tympan? Ils sont bien présents, et ils servent même de pierres d’angle à l’enceinte sacrée que constitue le vaisseau central. Georges de Traz les a représentés aux quatre coins de la nef, dans les bas-côtés. Et en face de chacun d’eux, son attribut: l’aigle, le taureau, le lion et l’ange. Le plan est donc passé du vertical à l’horizontal. Plus que cela, la symbolique tout entière de l’édifice fait que, de spectateur devant le tympan, le croyant devient véritablement partie prenante de cette allégorie christique en se trouvant dans la nef: son regard est attiré par le Christ en haut de l’abside, comme par ailleurs le regard de tous les saints représentés sur les vitraux de l’église.

Un manifeste du renouveau de l’art sacré

Les quatre évangélistes, on les retrouve à chacun des angles de la nef, et les colonnes complètent l’enceinte, représentant chacune l’un des quatre grands prophètes du Premier Testament sur la droite (Isaïe, Jérémie, Ezéchiel et Daniel) et l’un des quatre Pères de l’Eglise latine à gauche (Augustin, Ambroise, Jérôme, Grégoire). De ce fait, le peuple rassemblé dans la nef se trouve entouré et comme protégé par un «enclos spirituel». Donc, chaque fois que le peuple de Dieu célèbre en ces lieux, c’est toute l’Église, celle du Ciel unie à celle de la terre, qui rend un culte à son Seigneur.

Le Curé-fondateur et les artistes ont fait de St-Paul un manifeste du renouveau dans l’art religieux au 20e siècle, notamment grâce au concours de Maurice Denis, chef de file et théoricien du groupe des Nabis, et à qui fut confié le patronage artistique de l’édifice. On a beaucoup écrit sur cette monumentale toile marouflée dans l’abside, c’est pourquoi je préfère dévier quelque-peu pour donner l’envie au lecteur de se plonger dans toute la symbolique qui a présidé au programme scénographique des vitraux.

Tout d’abord, il faut progresser dans l’église à la manière du pèlerin qui, au fur et à mesure qu’il avance, remonte le temps jusqu’au Christ. À gauche, les saintes, et à droite les saints. Et, partant du Christ, le premier est tout naturellement saint Jean, que Maurice Denis représente ici bénissant l’abbé Jacquet par imposition des mains avec au second plan l’église St-Paul. Et c’est précisément ce vitrail qui donne une clé de lecture du programme iconographique – sans toutefois prétendre qu’elle serait l’unique clé de lecture acceptable.

Vers le Christ

En effet, si l’on prend soin de voir quels saints et saintes sont représentés sur les vitraux de la galerie supérieure, on assiste à l’évocation de l’Église de Jean, de Polycarpe et Irénée. Les vitraux supérieurs sont un résumé hagiographique de l’Église qui s’est répandue de Lyon jusqu’en pays lémanique. Toutes les grandes figures de l’histoire de l’Eglise s’y trouvent réunies. Citons notamment Blandine, Marguerite et Loyse de Savoie, Jeanne de Chantal, Marguerite-Marie Alacoque, Irénée, Pothin, Avit, Bernard de Menthon, Amédée de Savoie, François de Sales et Jean-Marie Vianney. Ces deux derniers ayant par ailleurs les faveurs du curé fondateur, puisque représentés plusieurs fois: deux vitraux pour le saint évêque de Genève, deux vitraux et un bas-relief pour le curé d’Ars.

L’église St-Paul invite le visiteur à un voyage qui n’a qu’un but: le Christ! Ce but est accessible, tous les saints représentés l’ont démontré par leur vie et leur mort, qu’ils eussent été témoins ou acteurs de l’Eglise universelle, comme celles et ceux qui sont représentés sur la galerie inférieure (Marie et Joseph, les deux François, Cécile de Rome, Jeanne d’Arc), comme de l’Eglise des «fils de saint Jean» pour la galerie supérieure. Ces saintes et saints de chez nous et d’ailleurs ont vécu leur vie de témoins du Christ en se dressant sur de solides fondations: les prophètes, les Évangiles, les Actes des apôtres, les Pères de l’Église de Rome. Georges de Traz illustre ces fondations à la manière d’un bédéiste dans les bas-côtés.

Et pour qui éprouverait quelque ennui à ouïr certaine homélie, le choix est fourni de s’évader par le regard, en un pays familier, jamais très loin des paroles qui pourraient nous lasser. Pour ma part, nulle lassitude à admirer la beauté et la symbolique de ce lieu qui, décidément, nous rapproche, un peu, du Divin.

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Frederic Monnin

Frédéric Monnin est maître de Chapelle à la paroisse Saint-Paul de Grange-Canal.

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Dominique Louis (1921–2004) https://www.revue-sources.org/dominique-louis-1921-2004-a-dominicain-ordinaire-trajectoire-extraordinaire/ https://www.revue-sources.org/dominique-louis-1921-2004-a-dominicain-ordinaire-trajectoire-extraordinaire/#respond Fri, 01 Jan 2016 08:47:01 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=420 [print-me]

Le frère Guy Musy brosse à grands traits le portrait d’un Dominicain romand, aujourd’hui décédé. Parmi tant d’autres frères qui auraient mérité d’être évoqués dans ce dossier, il a choisi de présenter Dominique Louis (1921–2004). Ni une oraison funèbre, ni une page hagiographique. Mais un devoir de mémoire. Nous avons de qui tenir.

Né à Genève au début des années vingt du siècle dernier, Michel Louis tient le troisième rang dans une fratrie de six enfants confiés à une mère esseulée. Collégien dans une bonne institution catholique, il rencontre un prédicateur dominicain et contracte le virus des Prêcheurs. Il entre au noviciat après avoir fêté ses vingt ans. Et Michel devint Dominique! Voilà l’ordinaire. De ce temps-là du moins, qui doit paraître bien étrange aux jeunes Dominicains d’aujourd’hui.

L’homme «pratique»

Moins ordinaire fut le noviciat sous les bombes à Chieri, dans le Piémont, suivi d’années d’études à l’Angélique au sortir de la guerre, dans une Rome affamée. Dominique vieillissant prenait plaisir à évoquer ses années de disette autour de notre plantureuse table conventuelle.

Puis, le voici à Fribourg, assigné à St-Hyacinthe, le «couvent des vertueux», ainsi désigné par les dames de qualité de la petite cité, voulant distinguer ce lieu d’un autre établissement dominicain de la place, sans doute plus prestigieux à leurs yeux.

On disait qu’il mettait en émoi les demoiselles venues prier le soir à Complies.

J’entrais au noviciat quand je fis la découverte de Dominique. Je n’oublierai jamais la scène. Les bras nus, son froc relevé jusqu’aux hanches, il sortait en sueur d’une buanderie chauffée comme une étuve, tel Vulcain au sortir de sa forge. C’était sa participation à la bonne tenue de ses frères qui auraient été déshonorés de déambuler sur les trottoirs du boulevard voisin avec un scapulaire qui n’eut pas été immaculé. Tout au cours de sa vie, Dominique, qui aimait se dire «pratique», affectionna de rendre ce genre de services, avec une petite pointe de superbe à l’endroit de ses frères intellos dont il vantait par ailleurs les promotions et les publications.

Mais que faisait donc dans ce couvent de vertueux ce jeune beau, au regard ténébreux? On disait qu’il mettait en émoi les demoiselles venues prier le soir à Complies. Puis qu’on ne proposait à ce «pratique» aucune carrière doctorale, il entra tout de même à l’université en empruntant les allées, les clubs, les stamm et parfois la chapelle. Une mission d’aumônier d’étudiants lui convenait à merveille. De préférence auprès des Bellettriens qui affichaient leur non-conformisme dans ce milieu clérical à l’excès. Notre Genevois y retrouvait son monde, un peu gouailleur, râleur, mais – c’est certain – attachant et même bon enfant.

Un jour, l’Afrique…

Sans qu’il ne s’y attende, un coup de tonnerre dans un ciel serein rompit le rythme de sa vie. Son provincial l’accoste dans un couloir – c’était sa manière d’exercer son autorité – et lui communique sa décision. Dominique devenait le responsable d’une petite équipe de missionnaires en partance pour le Congo, encore belge ces années-là. Bonsoir Fribourg, bonjour Bukavu! Ou plutôt, bienvenue à Kadutu, un bidonville proche de ce qui était alors la perle du Kivu.

Avec trois ou quatre frères, notre missionnaire improvisé plante sa tente dans une zone «indigène», comme on disait alors, bouleversant les réflexes et habitudes des vieilles et longues barbes missionnaires qui l’avaient précédé et à qui il ne serait jamais venu à l’esprit de s’installer dans un tel décor. Dominique vécut à Kadutu les prémisses douloureuses de ce qu’on allait appeler l’indépendance, puis les désordres sanglants qui suivirent, les dictateurs ubuesques, les mercenaires à peau blanche et, pour finir, l’impérieuse nécessité de se replier au Rwanda, abandonnant tout espoir de planter l’Ordre dans ce coin de terre chéri par les colons comme un morceau de paradis.

Dominique, élu provincial, doit regagner son pays.

De cette expérience, des monceaux de lettres, de photos, d’articles dorment dans des cartons poussiéreux, témoins muets d’une aventure exceptionnelle. En dépit des troubles ou à cause d’eux, l’homme «pratique» eut l’occasion de dépenser son énergie inventive. Disons aussi qu’il fut secondé par un tempérament jovial, avenant et optimiste qui lui concilia d’emblée ces Congolais qu’il voulait aimer autant que convertir.

Ce séjour africain aurait pu se conclure par un morne et banal rapatriement diplomatique et fermer ainsi une parenthèse ouverte imprudemment. C’était mal connaître Dominique qui offrit sur le champ ses services aux Dominicains canadiens qui œuvraient à la fondation de la nouvelle université nationale du Rwanda, à Butare, bourgade rwandaise proche du Kivu. Il s’y engagea comme s’il avait initié lui-même ce chantier. Rwandais avec les Rwandais, de même qu’il avait été Congolais avec les Congolais. Une nouvelle aventure africaine à laquelle il ne posa pas plus de limites qu’il n’en avait fixées à son précédent séjour au Kivu.

Provincial des années difficiles

1969, nouveau coup de gond, frappé cette fois-ci par ses frères suisses réunis démocratiquement en chapitre. Dominique, élu provincial, doit regagner son pays. Il assumera cette tâche pendant dix ans, fort de la confiance de ses frères. Ce fut pourtant une période difficile qui vit l’exode de plusieurs et réduisit à néant des projets ambitieux conçus au cours des années où les vaches étaient encore grasses. Avec beaucoup de doigté et de bonté, Dominique facilita la route des partants, tout en rassurant ceux qui avaient choisi de persévérer. Ce provincialat lui valut en haut lieu un certificat de bonne conduite, puisque le Maître de l’Ordre l’appela à Rome pour l’assister dans le gouvernement des provinces francophones.

Ce provincialat lui valut en haut lieu un certificat de bonne conduite.

Alors que d’autres auraient estimé cette nomination comme le couronnement de leur carrière dominicaine ou un tremplin pour conquérir un jour le pouvoir suprême, Dominique resta en deçà de ces ambitions. Je ne pense pas en effet que son étape romaine fut pour lui très gratifiante. Dominique était un homme de terrain et non d’administration. Je ne pense pas qu’il possédât toute la finesse voulue pour distinguer les nuances de toutes les crèmes à la glace canadiennes, pas plus que les subtiles sensibilités affichées par un Dominicain de Lyon, de Paris ou de Toulouse. Tout au plus, il fut ravi de servir d’économe de notre couvent patriarcal de Ste-Sabine. Fonction qui lui permit une fois de plus de mettre en valeur ses aptitudes «pratiques» et son entregent quand il accueillait les visiteurs de ce patrimoine dominicain.

Retraite féconde et douloureuse

Dominique ne s’attarde pas à Rome. Devenu par la force de l’âge «retraité fédéral», son provincial l’assigne au couvent de sa ville natale. Il l’avait quittée pour entrer au noviciat. Et le voilà nommé curé «intérimaire» de la paroisse St-Paul de Genève, en attendant le jour où elle serait remise au clergé séculier. Pour assurer cette sortie de jeu, on lui adjoignit un vicaire encore plus âgé, le frère Jean de la Croix Kaelin. Si on espérait un départ et une transition en douceur, il ne fallait pas compter sur cette paire de retraités. Au contraire, la paroisse reprit feu et vie et on parla de moins en moins de retrait dominicain. Le jeune (?) curé se lança dans une vaste opération de restauration de l’église et des locaux attenants. Il ne lâcha prise qu’en 1991, sous la pression et l’emprise d’un mal inopiné. Il avait alors atteint ses soixante-dix ans!

Et le voilà nommé curé «intérimaire» de la paroisse St-Paul de Genève.

Treize années le séparaient de sa mort. Treize années qui ne furent qu’un long chemin de croix. C’était pitié de voir ce chêne perdre peu à peu de sa vigueur, mais aussi de sa bonne humeur. Au terme de multiples séjours à l’hôpital, il accepta résigné de prendre le pénible chemin de non retour vers un établissement médico-social. Non loin de son couvent, mais séparé de ses frères, vers qui, littéralement, il se traînait chaque dimanche pour partager leur repas. Au surlendemain d’une de ces visites, en novembre 2004, Dominique rendit son âme à Dieu. Son prieur ramena au couvent sa Bible, la croix qui dominait son lit et un ou deux polars. C’était là tous les biens qu’il nous léguait.

Attention au réel

Pourquoi évoquer le frère Dominique Louis? Non pas, on le sait déjà, pour prononcer une nouvelle fois son oraison funèbre. Ni pour ajouter une pièce à son procès de béatification. Comme chacun de nous, ce frère souffrait des défauts de ses qualités. Son itinéraire dominicain toutefois est typique de ce que l’Ordre et l’Eglise attendent de nous, même après huit cents ans. Quelles que soient les trajectoires précises, souvent imprévues, que nous empruntons, elles doivent répondre aux appels évangéliques du moment. Ceux-ci doivent prévaloir sur toutes nos ambitions carriéristes ou personnelles. Une attention, une fidélité et une obéissance au réel, finalement. Comme l’avait admirablement initié il y a huit siècles un autre Dominique, celui dont un aubergiste cathare occitan, rencontré au hasard d’un voyage, avait bouleversé le cours de sa vie.

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