François – Revue Sources https://www.revue-sources.org Tue, 09 May 2017 16:39:56 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.3.1 Synode sur les jeunes et les vocations: une réflexion inutile? https://www.revue-sources.org/synode-jeunes-vocations-reflexion-inutile/ https://www.revue-sources.org/synode-jeunes-vocations-reflexion-inutile/#comments Tue, 09 May 2017 16:39:21 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=2288 Après les familles, les jeunes. A travers son prochain synode, l’Eglise catholique a décidé de « s’interroger sur la façon d’accompagner les jeunes à reconnaître et à accueillir l’appel à l’amour et à la vie en plénitude ». Mais l’heure occidentale est à la déchristianisation, rappelle Jörg Stolz. Le professeur de sociologie des religions de l’Université de Lausanne ne se fait pas d’illusion sur l’effet d’un tel synode, tant le processus de déchristianisation est profond. « Raison de plus pour amorcer une telle réflexion », rétorque l’abbé François-Xavier Amherdt, professeur de théologie pastorale à Fribourg, qui entend « laisser à Dieu le soin de guider l’histoire ». [print-me]

Dans son petit bureau lausannois avec vue sur le Léman, Jörg Stolz est plongé dans la lecture du document préparatoire pour la XVème Assemblée générale ordinaire des évêques d’octobre 2018. Thème de la réflexion: « Les jeunes, la foi et le discernement vocationnel ». Derrière ses lunettes de sociologue, il dissèque avec une attention particulière le premier chapitre: « Les jeunes dans le monde d’aujourd’hui ». Une approche sociologique – ce sont les mots du document – « utile pour aborder le thème du discernement des vocations ». La sociologie a ceci de particulier, lit-on, de « faire voir la profondeur et de donner une base concrète au parcours éthique et spirituel ». Indispensable, donc.

« Apprendre à vivre sans Dieu »

Dans le document préparatoire, la précision du vocabulaire est moins chirurgicale que les mots utilisés par Jörg Stolz et son équipe lors leur grande enquête Religion et spiritualité à l’ère de l’égo (Labor et Fides, 2015). Mais les réalités se recoupent. Le document préparatoire parle « d’un contexte de fluidité et d’incertitude jamais atteint auparavant », « de croissance de l’incertitude », « de sociétés (…) toujours plus multiculturelles et multireligieuses ». Avec ce constat, amer: « l’appartenance confessionnelle et la pratique religieuse deviennent toujours plus les traits d’une minorité où les jeunes ne se situent pas ‘contre’, mais sont en train d’apprendre à vivre ‘sans’ le Dieu présenté par l’Evangile et ‘sans’ l’Eglise ».

Jorg Stolz, Le professeur de sociologie des religions de l’Université de Lausanne (Photo: Pierre Pistoletti)

Jörg Stloz souscrit. « En sociologie, pour comprendre le rapport à la religiosité, nous distinguons les ‘effets d’âge’ des ‘effets de génération’. Empiriquement, les différences de religiosité que l’on constate entre les générations ne sont pas des effets d’âge ». En d’autres termes, lorsqu’ils auront des cheveux blancs, les jeunes d’aujourd’hui ne seront pas plus religieux. « Les choses que l’on a intégrées jeune vont nous accompagner tout au long de notre vie, poursuit le sociologue. Les plus âgés sont plus religieux parce qu’ils ont été socialisés dans des sociétés plus religieuses. Lorsque que cette génération croyante ne sera plus là, toute la société sera moins religieuse ».

Les causes de la rupture sont multiples. Parmi les « moments charnières », Jörg Stolz évoque les années 60, « où de grands changements se sont produits ». Des changements qui se sont progressivement développés, certes, mais qui ont connu un paroxysme dans leur manifestation à cette époque-là. « La croissance économique était importante, explique le professeur. Il était facile de travailler et de gagner de l’argent. Les anciennes valeurs n’étaient plus adaptées », poursuit-il. Une époque pleine de promesses, même dans les Eglises. « Il y avait beaucoup d’enthousiasme dans les milieux religieux. Pensez au Concile. Une nouvelle théologie allait renouveler la foi ». Force est de constater que, cinquante ans plus tard, l’époque marquait plutôt le début d’un affaissement religieux.

L’Eglise et ses concurrents

Un déclin qui s’explique en partie par l’émergence de nouvelles « concurrences », selon Jörg Stolz. « Tant que la vie restait un pur mystère, Dieu s’occupait de tout. Avec Darwin, on commence à comprendre quelque chose de son développement. L’évolution de la médecine atténue le besoin de recourir au divin, tout comme le développement des assurances sociales et de l’Etat providence. D’un point de vue sociologique, les Eglises créent des communautés, donnent du sens, aident en cas de problème. Or, si beaucoup de ces fonctions sont déjà remplies de manière qualitative par la société, les gens ne trouvent plus votre ‘produit’ si intéressant ».

« Les Eglises sont comme des châteaux de cartes qui s’écroulent. » Jorg Stolz

L’utilité de l’Eglise en prend un coup, c’est indéniable. Mais l’Eglise n’est-elle qu’un « produit » utile qui a pour vocation de remplir des fonctions sociales? « Non, soutient François-Xavier Amherdt. Elle répond avant tout à une soif spirituelle. Et cette soif ne va pas disparaître. Elle est même aiguisée par un refus du technologique ou de la croissance économique à tout prix ». Un signe des temps. « On n’a jamais autant parlé de jeûne », sourit-il.

Sécularisation inébranlable? 

Certes, mais de là à adhérer au Christ, il y a encore un pas à faire. Pis encore. Pour Jörg Stolz, la société occidentale tend à s’éloigner toujours davantage du christianisme. « Il y a une majorité de ‘distanciés’ dans nos sociétés. Des gens qui ont hérité d’une certaine croyance chrétienne, qui posent un regard bienveillant sur les Eglises, mais qui n’y sont plus impliqués », explique-t-il. C’est une génération de transition vers ce que le sociologue appelle les ‘séculiers’. Eux, n’auront plus aucun lien avec l’Eglise. « En ce qui concerne la sécularisation de l’Occident, les chiffres sont difficiles à contredire. Les Eglises sont comme des châteaux de cartes qui s’écroulent. D’un point de vue mondial, certes, le nombre d’athées diminue. Les décennies à venir verront même une croissance du religieux, en particulier de l’islam. C’est un effet démographique lié aux pays moins industrialisés et encore très religieux ». Mais cela ne semble pas faire l’ombre d’un doute, pour Jörg Stolz: « Si ces pays se modernisent, ils vont également se séculariser ».

Rien n’enrayerait donc le mouvement. Pas même une catastrophe? « Je ne suis pas sûr. L’Europe du XXe siècle a connu deux immenses traumatismes. Elle n’est pas devenue plus religieuse pour autant. Un facteur de changement pourrait venir de la migration, si le nombre de nouveaux venus était suffisant pour imposer leur religiosité. Ou peut-être qu’un nouveau Karl Barth ou un nouveau Karl Rahner pourraient changer quelque chose. Mais je n’en suis pas sûr. Les changements sont tellement profonds, ça ne me semble pas vraiment possible ».

L’ère de l’égo

« Nous sommes dans l’ère de l’égo, poursuit le sociologue. Les années 60 ont vu l’émergence de l’individu amené à prendre des décisions par lui-même. Certains collègues réfutent ce point de vue en avançant le fait que, malgré tout, les modes ou les normes n’ont pas disparu. Pour ma part, je maintiens ma position. L’individu est au centre et non plus la famille ou la classe. On peut tout choisir, même sa sexualité. Beaucoup de données le montrent. Mais aussi l’évolution des valeurs. Elles suivent les structures sociales. Une récente étude sur l’évolution des annonces de recherches de partenaire est emblématique à ce propos. Avant les années 60, les femmes étaient « discrètes », « modestes », « ponctuelles », voire « obéissantes ». Elles sont devenues « libres », « indépendantes », ou encore « créatives ».

« Il y a à rendre audible l’épaisseur anthropologique de la proposition évangélique ». François-Xavier Amherdt

Et cette individualisation s’étend au religieux, avec deux caractéristiques majeures. « Tout le monde se dit libre de choisir sa foi ou sa non-foi. C’était frappant dans notre étude. La grande majorité des personnes interrogées – même les évangéliques convaincus ou les catholiques intégristes – insistait sur leur adhésion personnelle. ‘C’est ma foi et c’est moi qui l’ai choisie' ». Résultat, l’autorité spirituelle est mise à mal. « En même temps, on assiste à un changement de vocabulaire. La « spiritualité » a remplacé la « religion ». Il est plus ouvert, plus créatif, donc plus proche des valeurs actuelles. Il est aussi très flou, on peut donc y mettre beaucoup de choses à la fois. On va s’intéresser à la fois au bouddhisme zen et aux exercices spirituels de saint Ignace, sans que cela ne pose problème ».

L’individualisme: une chance?

L’individualisme, un défi pour l’Eglise catholique à la veille de son nouveau synode? « Pas seulement », selon François-Xavier Amherdt, à condition d’un renversement nécessaire. « Il s’agit de ne pas envisager l’individualisme simplement comme la source d’un relativisme et d’un délitement social, mais d’y voir la possibilité d’une démarche autonome et libre pour une adhésion plus profonde à la Bonne Nouvelle, assure-t-il. D’ailleurs la pédagogie du Christ est individualiste. Il est universel parce qu’il s’adapte à la manière de faire de chacun. D’où l’importance, dans nos activités pastorales, de l’inculturation ».

François-Xavier Amherdt, professeur de théologie pastorale à l’Université de Fribourg (Photo: Pierre Pistoletti)

Dans ce contexte, l’abbé prêche l’accompagnement: « il s’agit moins de montrer la route à suivre que de marcher avec. Notre rôle est d’éclairer les consciences pour que chacun discerne son propre chemin. Etymologiquement, autorité vient de ‘faire grandir’. Elle consiste donc à ne pas vouloir enfermer l’autre dans un moule, mais à servir sa liberté ».

Dans quel but? « Rencontrer le Christ, rétorque du tac-au-tac François-Xavier Amherdt. Et permettre aux gens d’être heureux ». Certes, mais l’adéquation Christ égale bonheur ne va pas sans poser certaines difficultés à l’ère de l’égo. « Je suis mille fois d’accord, concède-t-il. La clé, c’est une conversion quant aux modalités de langage. Il y a à rendre audible l’épaisseur anthropologique de la proposition évangélique ». Le but: « Montrer les pistes que l’Evangile propose pour un quotidien heureux, dans l’Esprit ».

Le paradoxe de l’universel

Les formules ne cachent-elles pas une forme de paradoxe? Comment tenir un véritable individualisme et, dans le même temps, annoncer un bonheur qui, pour tous, s’identifie au Christ? La pastorale vise-t-elle à faire que l’humanité entière reconnaisse le Christ comme l’ultime réponse à sa soif de bonheur? « Pas nécessairement. C’est dans la capacité de cheminer ensemble que nous pouvons tous évoluer. Rien d’unilatéral. Des gens restés à distance du Christ vont nous permettre de mieux suivre le Christ. Voyez le documentaire Demain: c’est une sorte de concrétisation de l’encyclique Laudato Si et l’occasion, pour un chrétien, de redécouvrir la force d’une petite communauté qui ne se referme pas sur elle-même ». Mais alors, est-on tenté de rétorquer, il leur manque bien quelque chose à ces braves gens? François-Xavier Amherdt réfléchit. « Fondamentalement, Matthieu 25 est la réponse. ‘J’avais faim et tu m’as donné à manger’. Et je ne savais pas que je nourrissais le Christ. L’acte de justice, l’acte d’engagement garde toute sa valeur, bien qu’il ne soit pas explicitement au nom du Christ ».

Qu’est-ce que l’annonce de la foi chrétienne peut dès lors apporter? « Le verbe ‘apporter’ est ambigu. Nous pouvons simplement témoigner de ce que nous vivons. Le Christ est mon modèle et il remplit ma vie. Nous plantons quelque chose et nous ne savons pas ce qui en germera ». Et François-Xavier Amherdt de souligner l’importance de la durée. Une sorte de période d’incubation de plusieurs années, en somme, après laquelle les catéchètes d’hier souhaitent une nourriture plus consistante à l’occasion d’un deuil ou d’un mariage, par exemple.

« Dieu a la peau dure »

L’efficacité – ou plutôt la fécondité – de la démarche pastorale interpelle face à la vague de déchristianisation qui modifie profondément les sociétés occidentales. La question s’étend au prochain synode. En définitive, peut-on espérer de cette réflexion un changement de paradigme social? « Je ne suis pas Cassandre », répond François-Xavier Amherdt, en faisant un petit pas de côté pour élargir la réflexion. « Il y a une urgence eschatologique à faire de l’aujourd’hui le moment favorable pour témoigner de notre foi. Qu’est-ce que sera le monde dans 20 ou 30 ans? Je ne sais pas. Le contexte géopolitique est tendu, tout est insaisissable. Je me garderai bien de prédire comment le monde et l’Eglise vont évoluer. A vues humaines, il y a toutes les raisons de penser que les Eglises classiques sont en train de s’écrouler en Occident. Mais je crois que la question de Dieu a la peau dure. Pour moi, ce qui m’incombe, c’est de faire entendre la petite voix de l’Eglise dans le concert du monde sans me faire de fausses illusions. Mais en laissant à Dieu le soin de guider l’histoire ».

Un acte de foi qui rejoint l’espoir dont la jeunesse est porteuse aux yeux de l’Eglise. Citant le message du Concile aux jeunes (8 décembre 1965), le document préparatoire mentionne « ce qui fait la force et le charme des jeunes »: (…) la faculté de se renouveler et de repartir pour de nouvelles conquêtes ». Une capacité qui n’a sans doute jamais été aussi nécessaire.


Membre du comité de rédaction de la Revue Sources, Pierre Pistoletti est journaliste et théologien.

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Les jeunes vus par François https://www.revue-sources.org/jeunes-vus-francois/ https://www.revue-sources.org/jeunes-vus-francois/#respond Tue, 09 May 2017 16:05:02 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=2284 Depuis le début de son pontificat, le pape François a eu l’occasion de rencontrer des jeunes et de leur adresser un message à plusieurs reprises. Les Journées Mondiales de la Jeunesse à Rio en 2013 puis à Cracovie en 2016, mais aussi les JMJ intermédiaires, journées au cours desquelles il leur a adressé un message particulier sur les Béatitudes, les rencontres avec les jeunes de divers pays, l’annonce du synode de 2018 qui leur sera consacré… Ses discours ont tous ce style très direct qui caractérise bien le pape mais qui se voit amplifié lorsqu’il s’adresse aux jeunes, engageant régulièrement un dialogue avec eux. [print-me]

Ces adresses aux jeunes sont traversées par des thématiques récurrentes que le pape défend fermement et que nous nous efforcerons de relever ici. Mais au travers de ces exhortations, il appelle avant tout les jeunes chrétiens à être des acteurs décisifs du monde dans lequel ils vivent, les moteurs d’une transformation évangélique de la société.

Des jeunes à écouter et encourager

François commence par écouter les jeunes avec attention: «J’aime parler avec les jeunes. Et j’aime écouter les jeunes. Ils me mettent toujours en difficulté, parce qu’ils me disent des choses auxquelles je n’ai pas pensé ou auxquelles je n’ai pensé qu’à moitié» (Conférence de presse du vol retour de Cracovie). Oui, les jeunes viennent bousculer leurs aînés, ils viennent les secouer, les réveiller même parfois et c’est vital, c’est cela que François veut signifier. Ces choses auxquelles il n’a pas pensé ou pensé qu’à moitié, il ne cesse d’encourager les jeunes à les dire haut et fort.

« C’est sûr qu’ils feront des stupidités. Mais n’ayons pas peur! »

L’idée du prochain synode se trouve là: se mettre à l’écoute de tout ce que les jeunes ont à dire. «L’Église même désire se mettre à l’écoute de votre voix, de votre sensibilité, de votre foi; voire de vos doutes et de vos critiques. Faites entendre votre cri.» Et c’est même tous les jeunes qui sont appelés à faire entendre leur voix, qu’ils soient croyants ou non: «Le synode est un synode pour tous les jeunes! Les jeunes en sont les protagonistes. “Mais, même les jeunes qui se sont éloignés de l’Église?” Oui! “Même les jeunes – je ne sais pas s’il y en a… peut-être y en aura-t-il – qui se sentent athées!” «Oui! c’est le synode des jeunes, et nous voulons nous écouter. Chaque jeune a quelque chose à dire aux autres, a quelque chose à dire aux adultes, a quelque chose à dire aux prêtres, aux sœurs, aux évêques et au pape. Tous nous avons besoin de vous écouter!» (Veillée avec les jeunes, 8 avril 2017).

François en est persuadé, les jeunes ont beaucoup à apporter au monde: «Aujourd’hui, nous les adultes, nous avons besoin de vous, pour nous enseigner à cohabiter dans la diversité, le dialogue, en partageant la multi-culturalité non pas comme une menace mais comme une opportunité. […] Ayez le courage de nous enseigner qu’il est plus facile de construire des ponts que d’élever des murs!» (Veillée Cracovie). Pour cela, il est essentiel de les laisser parler, de les encourager, puis de les pousser à agir, comme il le disait aux pasteurs et futurs pasteurs, évêques, prêtres, religieux et séminaristes, à Cracovie: «Poussons les jeunes pour qu’ils sortent! C’est sûr qu’ils feront des stupidités. N’ayons pas peur! Les apôtres les ont faites avant nous. Poussons-les à sortir. Pensons avec décision à la pastorale en partant de la périphérie, en partant de ceux qui sont les plus loin, de ceux qui d’habitude ne fréquentent pas la paroisse. Ils sont les invités VIP. Allez les chercher aux carrefours des routes.» (Messe avec les évêques, les prêtres, les religieux et les séminaristes, Rio).

Une soif inextinguible

Il y a une soif spirituelle et le pape François appelle les jeunes à se former, mais cette soif s’incarne aussi dans la recherche d’un monde plus juste. Face aux injustices, il exhorte la jeunesse à ne pas baisser les bras, à ne pas capituler devant la mission qui est la sienne. Il fustige ainsi d’abord à Rio les jeunes qui regardent la vie depuis le «balcon» puis à Cracovie, ceux qui sont empêtrés dans leur confort et devenus des jeunes «divan», ce sont les termes phares des veillées des deux JMJ internationales.

«Ne laissez pas les autres être protagonistes du changement! Vous, vous êtes ceux qui ont l’avenir! Vous… Par vous l’avenir entre dans le monde. Je vous demande aussi d’être protagonistes de ce changement. Continuez à vaincre l’apathie, en donnant une réponse chrétienne aux inquiétudes sociales et politiques, présentes dans diverses parties du monde. Je vous demande d’être constructeurs du monde, de vous mettre au travail pour un monde meilleur. Chers jeunes, s’il vous plaît, ne regardez pas la vie “du balcon”, mettez-vous en elle. Jésus n’est pas resté au balcon, il s’est immergé; ne regardez pas la vie du balcon, immergez-vous en elle comme l’a fait Jésus» (Veillée de prière, Rio).

Cette soif spirituelle s’incarne aussi dans la recherche d’un monde plus juste.

«Dans la vie, il y a une paralysie […] dangereuse et souvent difficile à identifier et qu’il nous coûte beaucoup de reconnaître. J’aime l’appeler la paralysie qui naît lorsque l’on confond le bonheur avec un divan. Oui, croire que pour être heureux, nous avons besoin d’un bon divan. Un divan qui nous aide à nous sentir à l’aise, tranquilles, bien en sécurité. […] Un divan contre toute espèce de douleur et de crainte» (Veillée de prière, Cracovie).

Et il confie cette phrase de Pier Giorgio Frassati, comme un remède à cette léthargie: «Nous ne devons pas vivoter, mais vivre». (Pour la XXIXe JMJ 2014).

Un appel radical

Pour ne pas tomber dans cette tentation de capituler, l’idéal proposé est grand. Les jeunes sont appelés à se mettre radicalement en route pour servir leurs frères. «Aujourd’hui, l’humanité a besoin d’hommes et de femmes, et de manière particulière de jeunes comme vous, qui ne veulent pas vivre leur vie à moitié, des jeunes prêts à consacrer leur vie au service gratuit des frères les plus pauvres et les plus faibles, à l’imitation du Christ qui s’est donné tout entier pour notre salut. Face au mal, à la souffrance, au péché, l’unique réponse possible pour le disciple de Jésus est le don de soi, y compris de sa vie, l’imitation du Christ; c’est l’attitude du service. Si quelqu’un, qui se dit chrétien, ne vit pas pour servir, sa vie ne vaut pas la peine d’être vécue».

L’appel est exigeant. Il ne s’agit pas moins que du don de sa vie pour le service. Voilà ce que François propose aux cœurs assoiffés des jeunes générations.

Faire du Christ un ami cher

Ce don total, c’est à l’école du Christ que chacun peut l’apprendre. Le Dieu des chrétiens est un Dieu personnel qui s’est fait homme et que l’on peut rencontrer dans la prière et les sacrements. C’est une relation intime avec lui que le croyant peut nouer fidèlement. Ici, François insiste sur la possibilité et même la nécessité pour les jeunes chrétiens de faire de Jésus un ami, un ami cher. À de nombreuses reprises il insiste sur ce point essentiel qui rend la foi véritablement vivante, cette question qui vient toucher le plus profond des cœurs: «Savez-vous parler avec Jésus, le Père, avec l’Esprit Saint, comme on parle avec un ami? Et pas n’importe quel ami, mais votre meilleur et plus fidèle ami?» (xxxe JMJ, 2015).

«C’est bien en lui que la soif d’idéal pourra être assouvie, il n’y a qu’en lui que «se trouve le plein accomplissement de vos rêves de bonté et de bonheur. Lui seul peut satisfaire vos attentes, tant de fois déçues par les fausses promesses du monde» (xxxe JMJ, 2015).

À contre-courant

Là où l’infini habite leur cœur, les jeunes doivent être encouragés à persévérer et à ne pas se conformer à l’idée du monde mais plutôt à bâtir eux-mêmes un monde plus juste, loin des canons de la réussite et du succès qui est en même temps indissociablement un appel au bonheur: «Ayez le courage d’aller à contre-courant. Ayez le courage d’être heureux» (Rencontre avec les volontaires, Rio). Pour cela, il met en garde contre les «liturgies mondaines» et le «maquillage de l’âme» (Messe Cracovie): «Ne vous laissez pas anesthésier l’âme, mais visez l’objectif du bel amour, qui demande aussi le renoncement, et un “non” fort au dopping du succès à tout prix et à la drogue de penser seulement à soi» (Messe Cracovie).

«À vous les jeunes, je confie d’une façon particulière la tâche de remettre la solidarité au centre de la culture humaine. Face aux anciennes et aux nouvelles formes de pauvreté – le chômage, l’émigration, les dépendances en tout genre –, nous avons le devoir d’être attentifs et vigilants, et de vaincre l’indifférence». Dans leur foi, les jeunes peuvent puiser le courage nécessaire pour faire cette terre nouvelle car «la foi est révolutionnaire et moi je demande à chacun de vous aujourd’hui: es-tu prêt, es-tu prête à entrer dans cette onde révolutionnaire de la foi? C’est en y entrant seulement que ta vie aura un sens et sera ainsi féconde!» (Fête d’accueil des jeunes, Rio)

Le pape encourage les jeunes avec empressement à se tourner vers leurs grands-parents ou les personnes âgées

Mais en parallèle de cette exigence lancée aux jeunes, François rappelle régulièrement que leurs aînés doivent aussi leur octroyer une place dans la société qui puisse leur donner la possibilité de mener une vie digne. Le chômage est l’un des principaux soucis pour de nombreux jeunes et le pape rappelle avec force la place qui doit leur être donnée et l’opportunité de faire valoir leurs talents.

Point central de ses discours aux jeunes et donc pilier de la vision de la société qu’il leur propose: dans quasiment chacun de ses messages adressés aux jeunes, le pape les encourage avec empressement à se tourner vers leurs grands-parents ou les personnes âgées qui sont notre mémoire vive: «Nous avons besoin de ce pont, du dialogue entre les grands-parents et les jeunes.» «Écoute les anciens. Fais qu’ils rêvent et que tu prennes toi ces rêves pour aller de l’avant, pour prophétiser et rendre concrète cette prophétie.» Que l’un et l’autre extrême de la société ne soient pas abandonnés par la marche frénétique du monde mais qu’ils prennent justement soin les uns des autres.

Allez. Sans peur. Pour servir.

Lors de la messe de clôture des JMJ de Rio, le pape François a laissé trois injonctions aux jeunes du monde entier, et je crois qu’elles constituent le cœur du message qu’il leur adresse au fil des ans: «Allez, sans peur, pour servir». Les jeunes sont appelés à être des missionnaires de par le monde, des missionnaires aux périphéries de leurs paroisses, des missionnaires vers d’autres jeunes, ils sont appelés à aller à la rencontre, des autres générations, des jeunes de toutes les nations, comme l’illustrent si bien les JMJ. Alors que la tentation du repli sur soi résonne à travers le monde, ils sont appelés à ne pas avoir peur. La peur paralyse, elle empêche, elle réduit, impossible d’être des disciples joyeux du Christ si l’on est emprisonné par la peur. Et enfin: pour servir. Le message de l’Evangile est on ne peut plus actuel, la vie du chrétien véritable est une vie de service et de don de soi, une vie bien différente de ce que les canons de réussite de nos sociétés peuvent présenter. Mais c’est bien dans ce service à contre-courant de l’esprit du temps que les jeunes sont appelés à ancrer solidement leur vie. Et vraiment, quand on lit tous ces textes du pape, on ressent l’urgent besoin d’aller sans peur pour servir car il semblerait bien qu’un monde plus juste soit possible…

Aux centaines de milliers de jeunes rassemblés à Cracovie, François disait: «Le monde nous regarde!» Oui, le monde nous regarde, le monde a besoin de jeunes chrétiens qui témoignent joyeusement, car la joie est témoignage elle aussi, du Christ de manière incarnée et «révolutionnaire»!


Propos recueillis par Marie Larivé, éditrice. 

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Le nom de Dieu est miséricorde https://www.revue-sources.org/nom-de-dieu-misericorde/ https://www.revue-sources.org/nom-de-dieu-misericorde/#respond Wed, 30 Mar 2016 10:07:18 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=1309 Pape François, Le nom de Dieu est miséricorde. Conversation avec Andrea Tornielli, Robert Laffont, Renaissance, Paris, 2016, 170 p.


Parmi les nombreuses publications durant cette Année de la miséricorde, Guy Musy retient un livre, « fascinant »: Le nom de Dieu est miséricorde. Une intereview du pape François sur le thème de la miséricorde menée par la journaliste italienne Andrea Tornielli.

Pape François, Le nom de Dieu est miséricorde. Conversation avec Andrea Tornielli, Robert Laffont, Renaissance, Paris, 2016, 170 p.

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En attendant la fumée blanche https://www.revue-sources.org/en-attendant-la-fumee-blanche/ https://www.revue-sources.org/en-attendant-la-fumee-blanche/#respond Mon, 01 Jul 2013 08:18:47 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=290 Rumeur dans les couloirs. Il semblerait que la fumée soit blanche ce soir sous le ciel romain. Agitations. Remue-ménage. Bruits de chaises devant le poste TV. Effectivement, un panache blanchâtre produit par un mystérieux calorifère envahit notre petit écran. Et nous voilà tout excités, oubliant notre repas, mettant à plus tard des tâches qui méritaient jusque là une impérieuse et urgente priorité. Les yeux rivés sur la loggia encore esseulée, nous nous amusons du babil du pauvre journaliste condamné à meubler le vide de… l’attente. Surtout, nous échangeons nos pronostics sur les chances respectives de nos favoris. Pour être franc, je mise davantage sur les «combinazione» cardinalices que sur la surprise du Saint-Esprit.

Je fus «déçu en bien»

Il me semble, ce conclave-ci, prendre part à la projection d’un film à suspens, plutôt qu’attendre pieusement la révélation d’une joyeuse bonne nouvelle susceptible de bouleverser le cours de ma vie. Rien à voir avec l’anxiété fébrile qui précéda l’«Habemus papam» un certain soir d’avril 2005 et, je le confesse, de la déception qui alors m’envahit. Ce soir du dernier 13 mars, échaudé, j’étais simplement un spectateur curieux et même amusé par l’événement. Comme dans les minutes qui précèdent le journal télévisé de 20 heures, un jour d’élection présidentielle chez nos amis français. Désabusé? Je ne le dirai pas. J’ai appris depuis longtemps que le sort de l’Eglise ne dépend pas d’un seul homme, fut-il évêque de Rome. Même s’il prend l’heureuse initiative de remiser au placard ses mules rouges et autres fanfreluches pontificales.

Au final, je fus «déçu en bien», selon le gai parler des Vaudois. Mon insolente indifférence fut vaincue par l’humilité d’un nouveau François, implorant pour lui notre bénédiction, avant même qu’il ne songe à nous faire part de la sienne. Un signe éloquent qui montre bien qu’un pape n’est rien sans un peuple qui prie avec lui et pour lui. J’ai donc bien fait d’attendre la révélation de son nom. Son geste prophétique m’invite à relire autrement mon code de droit canon.


Le frère dominicain Guy Musy, du couvent de Genève, est rédacteur-responsable de la revue Sources.

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