évangélisation – Revue Sources https://www.revue-sources.org Wed, 04 Jan 2017 13:40:37 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.3.1 « Prêcher c’est transmettre l’enthousiasme d’une rencontre » https://www.revue-sources.org/precher-cest-transmettre-lenthousiasme-dune-rencontre/ https://www.revue-sources.org/precher-cest-transmettre-lenthousiasme-dune-rencontre/#comments Wed, 30 Mar 2016 10:16:28 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=1214 [print-me]

Quelle est l’actualité de la prédication dans la vie d’un jeune dominicain? Reconnaissons que ce terme a pris quelques rides dans notre langage usuel. Est-il pour autant dépassé? Pour frère Pierre de Marolles, étudiant à la Faculté de Théologie de Fribourg, pas le moindre doute: prêcher est une dimension fondamentale de son engagement religieux.

Reste que la prédication est une réalité complexe. Frère Pierre en a bien conscience. Ce qu’il perçoit et la communication de son enthousiasme s’achoppe à de multiples obstacles. Le Dominicain du couvent fribourgeois de St-Hyacinthe nous partage le fruit de sa réflexion, très lucide sur les enjeux de ce ministère particulier.

Frère Pierre, c’est quoi la prédication?

Prêcher, c’est transmettre Dieu. Communiquer ce qu’il te dit et ce qu’il veut dire à l’autre. Et c’est souvent semblable. Tu peux tabler sur le fait que si une parole est importante pour toi, elle a des chances de l’être pour l’autre.

Pendant un certain temps, j’ai cru qu’il fallait transmettre des notions. Mais les évangiles nous indiquent qu’il s’agit plutôt de l’enthousiasme d’une rencontre. Les notions viendront après. Quand saint Paul dit aux Corinthiens: « Nous vous le supplions, laissez-vous réconcilier avec Dieu », il ne transmet pas un concept. Il met sur un plateau la possibilité d’une relation avec Dieu. Prêcher ce n’est donc rien d’autre que d’affirmer: « J’ai rencontré quelqu’un qui veut vous rencontrer aussi », tout en sachant qu’on ne maîtrisera jamais l’expérience spirituelle de l’autre.

Quelles sont les conditions d’une bonne prédication, selon vous?

En premier lieu, la prière. Pour transmettre la parole de Dieu, il faut être en relation avec lui. On peut parfois s’assécher dans une vie de prédicateur. On transmet de belles idées, on émoustille un peu les gens, mais au fond tout cela peut cacher une indigence spirituelle terrible.

Prêcher suppose également un ménage intérieur: se désencombrer de concepts inutiles pour savoir ce qu’il faut dire et comment il faut le dire. Sans cette attention, tout ne sera que mots échangés et la parole ne transformera rien, ni chez moi, ni chez celui à qui je m’adresse.

Une vie en mouvement met en mouvement à son tour.

Je crois que la prédication nécessite une certaine exigence la capacité à ne pas se satisfaire du peu. Ce n’est pas parce que j’avais deux ou trois bonnes idées que j’ai fait mon job. Il faut rechercher une parole efficace. Les gens sentent tout de suite une parole verbeuse, mêmes les grands-mères, qui vous ne le diront certainement pas.

Quels sont les lieux où vous exercez ce ministère de prédication?

Auprès des élèves du catéchisme, dans les retraites que je prêche, ainsi qu’à l’Université.

N’avez-vous pas un peu l’impression de prêcher à des convaincus?

Parfois c’est vrai. Quand je constate l’effort que déploient nos frères français pour rejoindre les gens qui n’ont jamais entendu parler de Dieu, avec Retraite dans la ville notamment, je me dis que je n’en fais pas assez.

Mais je me retrouve face à une interrogation. Les convaincus sont-ils suffisamment convaincants? Quand on regarde nos communautés ecclésiales, les problèmes et les dissensions ne manquent pas. Alors, que va-t-on dire aux autres: « Venez à la messe pour assister à nos disputes »? Il faudrait que l’on commence à travailler sur nous-mêmes.

Je crois qu’il ne faut pas trop vite déprécier une prédication faite aux « convaincus ». C’est d’autant plus important que toute la communauté est appelée à la prédication.

Et les « non convaincus », comment les rejoindre ?

Prenez l’exemple de grands-parents qui souhaitent transmettre leur foi à leurs petits-enfants. Un cours de catéchisme ex-cathedra n’y fera rien – et ce d’autant plus si papa et maman y sont opposés. Mais si ces mêmes grands-parents se laissent travailler par la Parole de Dieu, s’ils prient, s’ils cherchent à approfondir leur foi, les petits-enfants s’en apercevront et ils seront peut-être un jour curieux de savoir ce qui habite leur cœur.

Je crois qu’une vie en mouvement met en mouvement à son tour. L’immobilisme, en revanche, paralyse. Si nous sommes pris au trip, même si nous n’avons pas les meilleurs mots pour le dire, quelque chose va se transmettre.

La prédication est-elle unilatérale?

Je ne crois pas. Elle doit aussi transformer le prêcheur. Elle implique une attention à l’autre, à sa manière de voir les choses. Chercher à convaincre revient à ne pas quitter son point de vue.

Un regard sur l’histoire nous montrera assez vite que les grands saints ont toujours su se laisser toucher par l’autre. Charles de Foucault a fait un dictionnaire touareg dans le désert. Mère Teresa accompagnait les mourants. A quoi ça « sert », puisqu’ils vont mourir? Ils ne deviendront pas évangélisateurs à leur tour. Si on envisage ces réalités avec une logique de rentabilité humaine, on peut conclure que de tels engagements ne servent à rien. Et pourtant, ce sont eux qui ont réussi. Ce sont eux les modèles. Que nous disent-ils? Que la transmission de la foi est avant tout l’affaire d’un cœur « inquiet » de l’humain, un cœur qui à la vue de ses frères et de ses sœurs se demande : « Où courent-ils? Qu’est-ce qui les fait vivre? A quoi s’intéressent-ils? ». Rien de ce qui est humain ne devrait être étranger au prédicateur.

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Pierre PistolettiInterview menée par Pierre Pistoletti, membre de notre équipe rédactionnelle.

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Bonne année… de la foi! – Edito https://www.revue-sources.org/bonne-annee-de-foi/ https://www.revue-sources.org/bonne-annee-de-foi/#respond Tue, 01 Jan 2013 00:32:52 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=1097 [print-me]

Propos de table au soir de la clôture du synode des évêques qui s’est tenu à Rome au mois d’octobre dernier: « Alors? un scoop? Quelle est la proposition phare qui ressort de ce synode?« , interroge l’ami d’un participant. La réponse ne tarde pas: « Le Christ!« . Voilà donc notre programme d’année, programme pastoral de haute teneur, nécessitant une connexion à haut débit!

Rien de nouveau à l’ouest!, direz-vous… C’est vrai. « Le Christ est le même hier et aujourd’hui et pour l’éternité » nous rappelle l’auteur de la lettre aux Hébreux (13,8). Et pourtant, c’est bien le même Christ qui par son Esprit fait toutes choses nouvelles. C’est le même Christ qui depuis deux mille ans met ses disciples en mouvement pour annoncer à temps et à contretemps la Bonne Nouvelle d’une vie plus forte que la mort. Alors, pourquoi une telle année de la foi? Certainement pour nous permettre de redécouvrir cette nouveauté du Christ, à l’œuvre dans nos vies. Pour recevoir à nouveaux frais ce don de Dieu qu’est la foi. Pour enraciner plus fortement notre agir dans ce dialogue intime avec Dieu. Pour recontacter avec la joie de témoigner des merveilles de cet amour gratuit… Bref, pour retrouver le goût du Christ et le goût d’être chrétien, ensemble.

Aujourd’hui, plus encore qu’hier, le Christ n’est pas seulement à annoncer, il se donne d’abord à rencontrer dans les autres, les plus pauvres, les prisonniers, les pèlerins, dans sa parole, partagée.

Qui dit Christ, dit rencontre. Il a balisé le chemin. Jésus n’a été que rencontre. Il est allé à la rencontre de ses contemporains, mais il s’est aussi laissé rejoindre sur le chemin, interpeller. La vie de l’Eglise ressemble à celle de Jésus. Elle continue d’aller à la rencontre de tous, d’inventer de nouveaux chemins, de dresser la table de la rencontre et de créer des espaces de dialogue et de partage.

Aujourd’hui, plus encore qu’hier, le Christ n’est pas seulement à annoncer, il se donne d’abord à rencontrer dans les autres, les plus pauvres, les prisonniers, les pèlerins, dans sa parole, partagée. Encore faut-il le reconnaître! Pour cela, il faut un cœur et des yeux. Notre cœur n’était-il pas tout brûlant? Combien de fois avons-nous connu cette ivresse sereine, cette joie profonde, cette trace indélébile d’une présence cachée au creux de l’instant qui suit une rencontre. Quelques mots partagés, un sourire, un repas entre amis, un service rendu? Un excès d’amour et de communion qui porte la marque de cette promesse d’évangile: « Moi je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin des temps » (Mt 28,20)?

La proposition de la foi, la nouvelle évangélisation ne sont rien d’autre que l’exhortation à risquer ce partage dans lequel se donne à reconnaître le Christ. Lui qui le premier a donné sa vie pour ses amis. Alors, « n’ayez pas peur!« .

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Les Dominicaines et l‘évangélisation https://www.revue-sources.org/les-dominicaines-et-levangelisation/ https://www.revue-sources.org/les-dominicaines-et-levangelisation/#respond Sun, 01 Apr 2012 11:05:06 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=149 [print-me]

Nous publions dans sa quasi intégralité la lettre envoyée le 13 janvier 2012 par le frère Bruno à l’ensemble de son Ordre. Ce document s’inscrit dans la préparation du Jubilé de l’Ordre qui sera célébré en 2016. Il a pour thème: les dominicaines et la prédication.

Des femmes irakiennes évangélisent

« Va dire à mes frères! » Cette phrase si simple du Christ a d’abord éveillé en moi le souvenir de l’émotion ressentie, il y a quelques années, dans l’église d’un village d’Irak. L’aube venait de se lever, et nous nous préparions à célébrer l’entrée au noviciat et la profession de jeunes frères. Dans l’attente de ce moment, se trouvaient là déjà dans l’église une foule de femmes, et parmi elles des mères et des sœurs, des amies, des sœurs apostoliques et des laïques dominicaines. Toutes ensemble, elles emplissaient l’église du dense silence de leur prière, alors que tout autour le pays souffrait du chaos, de la violence et des menaces. Dans le silence en la présence du Père, ces femmes priaient avec une telle intensité que, au cœur du chaos qui ravageait le pays et le déchirait par toutes sortes de divisions, elles portaient cette assurance que rien ne peut faire taire le message de la vie.(…) Ces femmes d’Irak manifestaient l’horizon de la mission d’évangélisation: inscrire au cœur de l’histoire humaine la joie et l’espérance en la vie donnée du Christ pour que le monde vive, et apprendre à en être les témoins.

Femmes vouées à l’évangélisation

Dans la famille dominicaine, les femmes – moniales, sœurs apostoliques, laïques dominicaines, membres des Instituts séculiers – apportent une contribution essentielle à la mission d’évangélisation de l’Ordre. Plutôt que de parler de prédication, je choisis la définition de notre mission donnée au temps de la fondation de l’Ordre: totalement voués à l’évangélisation de la Parole de Dieu. Nous sommes de la famille des « prêcheurs », hommes et femmes, d’abord parce que nous engageons notre vie dans cette aventure de l’évangélisation qui, en quelque sorte, chacun selon son état de vie et son ministère, définit « la vie » que nous désirons mener avant de décrire des « actions ».

Les catégories du monde n’ont pas leur place quand il s’agit d’être disciples.

« Va dire à mes frères! » Par cet envoi, le Christ charge Marie et les autres d’inviter l’Eglise à naître de la prédication. Cela évoque pour nous la première intuition de la prédication qui sera fondatrice de l’Ordre. Aux premiers temps de cette nouvelle aventure d’évangélisation menée par Dominique, ce sont en effet aussi des femmes qui viennent le rejoindre, puis des laïcs, comme pour donner d’emblée la figure que doit prendre l’évangélisation: une sorte de « petite Eglise », de communauté rassemblée par la puissance de la Parole entendue, rassemblée pour écouter ensemble cette Parole et la porter au monde. Comme dans la vie de Jésus – ainsi que l’écrit Luc (Lc 8, 1-4) – la communauté se rassemble en même temps qu’elle a l’intuition de devenir une « communauté pour l’évangélisation ». Dès l’origine déjà et aussi étrange que cela puisse paraître à cette époque, des femmes faisaient partie de la communauté qui s’était rassemblée autour de Jésus. Les catégories du monde n’ont pas leur place quand il s’agit d’être disciples. Imaginons cette communauté qui se constitue en suivant Jésus sur le premier chemin de l’évangélisation. Elle se rassemble au-delà des infirmités, péchés, fragilités qui peuvent être guéries uniquement par Jésus. C’est à cause de sa miséricorde éprouvée de tant de manières diverses que la sainte prédication s’établit. Le voyant vivre et enseigner, les disciples ont probablement l’occasion de partager leurs expériences de rencontre personnelle avec Lui. Et les femmes de l’Evangile ont eu alors l’occasion de témoigner des paroles qu’Il leur avait adressées: Parole d’annonce de la résurrection, de reconnaissance de la foi et de promesse du salut, parole de vie et de pardon, de guérison et de confiance. Il leur parlait ainsi, les rejoignant au cœur même de leur être féminin, en cette familiarité avec la vie engendrée, en cette capacité de prendre soin et de protéger la vie fragile, en cette force aussi de confiance en la créativité et la résistance de la vie. Ces femmes seront avec Lui sur les chemins de l’enseignement, comme elles seront encore avec Lui sur le chemin qui le mène au Calvaire; elles sont dans l’attente dans le jardin du tombeau, comme elles seront sur la route, courant annoncer aux apôtres qu’Il est ressuscité. La mission d’évangélisation a besoin de ce témoignage et de cette annonce pour savoir comment faire entendre au monde une Parole qui porte en elle la vie.

Image de la communauté primitive

Depuis sa fondation, lorsque les premières « dominicaines » viennent rejoindre Dominique et que naît la « sainte prédication de Prouilhe », notre propre « communion pour l’évangélisation » qu’est la famille dominicaine a besoin d’être composée d’hommes et de femmes, de religieux et de laïcs, parce qu’elle a besoin d’être à l’image de la première communauté marchant sur les routes avec Jésus, apprenant de Lui comment aimer le monde et lui parler, comment chercher le Père et tout recevoir de Lui. C’est tous ensemble, dans la diversité et la complémentarité, comme dans le respect mutuel des différences et la volonté commune d’une égalité entre tous, que nous avons à mener ce « travail de la fraternité » dont nous devons être des signes dans le monde et dans l’Eglise. Une fraternité qui sait que l’égale reconnaissance de chacun souffre souvent de la mondanéité.

La discrimination persiste

En particulier, il y a encore beaucoup à faire pour que, ici et là, parole de femmes et parole d’hommes se valent, pour que soient refusées toutes les injustices et violences dont souffrent encore tant et tant de femmes dans le monde. Les dominicaines, dans l’aventure de la « sainte prédication » ont certes la charge de rappeler envers et contre tout que le monde ne peut se sentir « en paix » tant que ces iniquités ne sont pas résolues. Il faut apprendre à devenir sœurs et frères, à identifier les injustices, à les combattre, par ce long et beau travail d’écoute et de mutuelle estime. Mais elles ont aussi à signifier que l’évangélisation n’est pas d’abord une question de ministère mais une invitation à une certaine manière de vivre, entièrement vouée à ce que la Parole de Dieu soit une bonne nouvelle pour le monde. Au fond, nous passons souvent du temps à examiner d’abord ce qui nous distingue dans la famille dominicaine. Soyons d’abord attentifs à ce qui nous rassemble et nous unit: la grâce de la Parole de Dieu, sa vérité et sa force, sa vie et sa miséricorde. Les dominicaines et la prédication? C’est d’abord le devoir que nous avons tous de partager avec elles ce qu’elles reçoivent et réalisent de la grâce de « l’évangélisation de la Parole de Dieu », afin que la communauté se construise et se consolide dans une mission commune.

Car, parler des dominicaines –moniales, sœurs, consacrées et laïques – c’est d’abord parler de la part immense qu’elles ont pris, et qu’elles prennent aujourd’hui dans ce travail de l’évangélisation, dans cet engendrement de l’espérance par « l’évangélisation de la Parole de Dieu » dans le monde. Les lieux de prière et de fraternité, de contemplation et d’hospitalité que sont les monastères de l’Ordre sont les premières pierres de la prédication. En ces lieux ce sont les appels et les besoins, les peines et les espoirs du monde entier qui sont repris dans la prière des sœurs et présentés au Père. La contemplation dominicaine est ainsi, de part en part, prédication. Il est bien impossible d’énumérer les innombrables engagements, amitiés et œuvres menés par les sœurs apostoliques de l’Ordre. Ce sont toujours des présences et des actes qui font de la Parole une bonne nouvelle pour leurs contemporains. Avec ce souci spécifique de trouver comment traduire le désir que « s’allume le feu » de la grâce de l’Esprit en ce monde. Souci manifesté au fil des siècles par leurs fondatrices ou fondateurs, dans des contextes où la place et la reconnaissance des femmes n’étaient pas évidentes. Pour les sœurs laïques, dans leurs familles, leurs groupes d’amitié, leurs lieux professionnels, c’est encore cette grande créativité et diversité qui se manifestent pour donner à voir, et à entendre, la Parole comme une bonne nouvelle d’où peut naître l’espérance de la résurrection.

Ce qu’on apporte vaut mieux que ce qu’on fait

Parlant des dominicaines et la prédication, je ne voudrais pas développer le thème de la complémentarité, si évidente, ni non plus celui du ministère ordonné de la prédication. Comme on l’aura compris, la question n’est pas d’abord ce que l’on fait, mais ce que l’on apporte au bien commun de la sainte prédication, et comment tous ensemble nous pouvons nous organiser pour recevoir ce qui est offert. Les dominicaines, je crois – mais c’est à elles qu’il revient de l’exprimer – apportent à la sainte prédication une expérience spécifique de la relation au Christ, une manière particulière d’étudier la Parole, un mode précis d’organisation de leur fraternité, une vulnérabilité à ce qui fait naître et mourir le monde qui leur est propre, une façon de dire Dieu. Elles apportent aussi la grande diversité des interprétations de l’intuition dominicaine telle que leurs fondatrices la leur ont transmise, et tout spécialement une compréhension fulgurante, à un moment donné de l’histoire humaine, de l’actualité de l’intuition de Dominique dans tel ou tel contexte, ou milieu, pour telle ou telle tâche du service de l’humanité. Va dire à mes frères! Tel serait peut-être ce qu’il faudrait que nous enseignent nos sœurs, laïques et religieuses. Tel serait aussi, sans doute, ce que les frères pourraient avoir envie d’apprendre. Apprendre le monde ensemble, et en cette année tout particulièrement les frères par les sœurs et les sœurs entre elles au-delà des divergences, pour laisser s’ouvrir au cœur de la sainte prédication d’aujourd’hui une soif de la Parole de résurrection. Dans une famille, les liens les plus solides et les plus beaux sont souvent ceux qui se tissent par le partage des joies et des peines, par l’offrande mutuelle des amitiés partagées, par le soutien mutuel.

L’évangélisation n’est pas d’abord une question de ministère, mais une invitation à une certaine manière de vivre.

quand l’épreuve du monde nous fait douter de savoir comment y trouver notre avenir. Dans une famille, n’est-ce pas bien souvent les femmes qui font le lien, garantes du lien entre les êtres parce qu’elles engendrent à la vie, elles qui inspirent suffisamment confiance pour que l’ensemble des membres aient le désir de naître à nouveau dans la fraternité et dans la filiation? Et pour nous, dans la famille de Dominique, le désir d’apprendre à écouter et à aimer le monde comme des filles et fils du Père et comme des sœurs et frères de l’humanité, le désir d’être, dans ce monde, comme des « sacrements de la fraternité ».

Une famille solidaires de l’avenir

Va dire à mes frères! Il me semble qu’il faut évoquer, parlant des dominicaines dans leur lien avec la prédication, l’expérience difficile que font, aujourd’hui, plusieurs congrégations de sœurs apostoliques et plusieurs monastères de l’Ordre. Après des années de déploiement, voilà que ne s’annonce pas la relève pour l’avenir. C’est rassemblés que nous devons traverser cette épreuve, à la fois en soutenant chacun dans sa spécificité et son autonomie, mais aussi en attestant que la mission de la prédication, portée ensemble, d’une part est redevable de tout ce qui a été semé et, d’autre part, est plus grande que la mission spécifique d’une institution donnée. Je ne peux ignorer comme cela peut être difficile d’affronter concrètement une telle épreuve, de manière réaliste et créative, sans résignation et sans obstination. Il nous faut « passer » du côté de la véritable espérance de la vie, quand quelque chose de la mort se donne à percevoir, lorsque l’on doit fermer des maisons en grand nombre et porter trop de sœurs aimées en terre. Pour faire ce passage nous avons besoin, absolument, de nous tenir solidaires et unis afin de préparer l’avenir de la mission de la sainte prédication à partir des forces présentes. Sans rêver ce qu’elles ne sont pas, sans déterminer ce qu’elles devraient être. Mais en recevant, simplement, la grâce des vocations données et en les ordonnant à la mission commune portée par tous. La consécration et la vie religieuse doivent ouvrir notre espérance aux dimensions du monde, et pour le monde, et nous garder de vivre tétanisés dans le souvenir des gloires passées, ou la paralysie des difficultés présentes. On entend souvent dire que, dans bien des parties du monde, la vie religieuse apostolique – et donc dominicaine aussi – est très vieillissante et ne pourra pas se renouveler comme elle était jadis. Certes. Mais, il y a une grande aventure à vivre dans la vieillesse, qui peut rendre grâce d’avoir été si féconde pour la vie de l’Eglise et de tant et tant de communautés humaines: pouvons-nous, ensemble, apprendre à nous laisser porter par la légèreté de l’action de grâce plutôt que décourager par le poids de l’avenir perdu? Surtout, nous en sommes tous convaincus, la sainte prédication a besoin, absolument besoin, de la contribution de femmes dominicaines y consacrant totalement leur vie: c’est donc réunis, et à partir de ce qui déjà est bien vivant, que nous devons en préparer les figures possibles. Cette nécessité, cette urgence, d’appeler des femmes à rejoindre la mission de l’Ordre sous ses différentes formes possibles, est l’affaire de tous les membres de la famille dominicaine, les hommes autant que les femmes.

Comme au temps de la prédication de Jésus, comme aux temps apostoliques, comme aussi au temps de la fondation de l’Ordre, en un temps où l’Eglise souligne l’urgence de l’évangélisation, la famille de saint Dominique, « famille pour l’évangélisation » a aujourd’hui plus que jamais le devoir de se laisser constituer par la fraternité qui « prêche la Parole ».

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Le frère Bruno Cadoré est « Maître » de l’Ordre des Frères Prêcheurs, reconnu par tous les membres de la famille dominicaine (religieux, religieuses ou laïcs) comme le successeur de saint Dominique.

 

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