Eglise – Revue Sources https://www.revue-sources.org Sun, 12 Jun 2022 15:33:28 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.3.1 « François a fait preuve de bienveillance pastorale envers la Fraternité Saint Pierre » https://www.revue-sources.org/francois-a-fait-preuve-de-bienveillance-pastorale-envers-la-fraternite-saint-pierre/ https://www.revue-sources.org/francois-a-fait-preuve-de-bienveillance-pastorale-envers-la-fraternite-saint-pierre/#respond Fri, 25 Feb 2022 15:10:22 +0000 https://www.revue-sources.org/?p=2865 En juillet 2021, le pape François avait donné l’impression de vouloir réduire strictement la célébration de la messe d’avant Vatican II. Il y a quelques jours, il a accordé à la Fraternité Saint-Pierre une large possibilité de célébrer selon l’ancien missel. Le frère Henry Donneaud, dominicain de la Province de Toulouse et professeur de théologie fondamentale à l’Institut Catholique de Toulouse revient sur ces évènements.

 Peut-on dire que l’attitude de François envers la Fraternité Saint-Pierre constitue un revirement dans sa manière de considérer les courants traditionnalistes ?

De manière générale, il est vrai qu’on est habitué aux surprises avec le Pape François ! Mais, plus profondément, je crois qu’il faut lire cette décision comme significative de la manière de se positionner de ce pape. Si vous me permettez un parallèle qui surprendra peut-être, je dirais que François agit dans le domaine de la liturgie un peu comme dans celui de la morale familiale. Il y a d’une part la question des principes (sur lesquels il se montre strict) et d’autre part la mise en œuvre de ces principes (dans laquelle une certaine souplesse est envisageable). 

Dans le domaine liturgique, quels sont les « principes » pour François ?

Les principes ont été clairement développés dans Traditionis Custodes, publiée le 16 juillet 2021. Le pape a indiqué dans ce document qu’il n’y a qu’une seule forme du rite romain. Cette forme est la célébration selon le missel de Paul VI. Si des exceptions peuvent exister, elles doivent être très restreintes et soumises à l’autorité des évêques diocésains. 

Les décisions concernant la Fraternité Saint-Pierre sont donc à lire comme la mise en œuvre de ces principes ?

Tout à fait. Le pape reconnaît que des catholiques puissent être attachés à la célébration de la messe tridentine. Il accède à leur demande, car, je crois, il a été sensible au geste humble de la Fraternité Saint-Pierre. Ses représentants ont indiqué au pape que, depuis la création de la Fraternité, le Saint-Siège lui avait permis l’usage des livres liturgiques antérieurs à Vatican II. Surtout, la Fraternité Saint-Pierre affirme ne pas critiquer et donc contester la messe de Paul VI. C’est là une différence capitale qui tranche avec les propos tenus par certains traditionnalistes, affirmant que la messe de Paul VI est une messe « au rabais » ou « qui n’honore pas la dimension du sacrifice ». La Fraternité Saint-Pierre s’étant distanciée de ces déclarations inacceptables, le pape n’a pas voulu exiger trop des personnes attachées à la liturgie tridentine en les obligeant à changer du jour au lendemain leurs pratiques. Il a donc fait preuve d’une bienveillance pastorale à l’égard de la Fraternité.

Ne peut-on pas avoir le sentiment que chaque pape (d’abord Paul VI, puis Benoît XVI et maintenant François) va dans un sens différent pendant son pontificat à propos de la liturgie ?

Le rôle du pape est de veiller à l’unité de l’Église. Très tôt dans l’histoire, le propre de la liturgie romaine a été son caractère unifié et unificateur : on célèbre comme célèbre l’évêque de Rome. Depuis S. Pie V, il n’y a jamais eu deux formes du rite romain. Il s’agit là d’une nouveauté qui est apparue après le Concile Vatican II car certains ont refusé la réforme liturgique. Dans cette perspective, si Benoît XVI avait reconnu une forme « ordinaire » et une forme « extraordinaire » du rite romain c’était dans un souci d’unité, mais avec une condition importante : la nécessité pour tous de reconnaître la validité et la sainteté de la messe de Paul VI. De fait, cette condition n’a, dans certains cas, pas été respectée. Le risque était donc de voir apparaître deux Églises parallèles. C’est pour préserver l’unité de l’Église que le pape François est intervenu. On ne peut, en effet, être catholique et refuser la mise en œuvre de Vatican II qu’est la réforme de la liturgie voulue par ce Concile. La sensibilité personnelle en matière liturgique ne peut primer sur l’obéissance à l’autorité du magistère. 

Comment voyez-vous le développement de cette question à l’avenir ?

Le temps est une autre dimension sur laquelle le pape François insiste beaucoup dans l’ensemble de ses écrits. Il faut des décennies pour recevoir un Concile. On l’a vu, par exemple avec les Conciles de d’Éphèse (en 430) et de Chalcédoine (en 451). Il convient donc de continuer à travailler pour que la liturgie de Vatican II soit reçue partout. Après ce Concile, les camps se sont un peu figés. Mais des évolutions pourraient être possibles. Par exemple, dans les célébrations où le missel tridentin est encore utilisé, on pourrait introduire des éléments permettant la participation active des fidèles promue par Vatican II. La liturgie est étymologiquement un « acte du peuple » ; lire les lectures en français, demander aux fidèles de réciter le « Notre Père » pourraient être des pistes à approfondir dans ces célébrations. Ou encore, on a vu récemment telle communauté traditionaliste recourir à la concélébration… Ensuite, il faut reconnaître que des abus ont eu lieu, ici ou là, dans la mise en œuvre de la réforme liturgique de Vatican II. Cela peut expliquer pourquoi certains, des jeunes en particulier, peuvent, aujourd’hui encore, se tourner vers la liturgie tridentine. Cependant, les pratiques actuelles montrent qu’il est possible, avec le missel de Paul VI, de vivre des célébrations priantes qui mettent en valeur cette dimension importante (mais pas exclusive) de la liturgie qu’est le sacré. La nouvelle traduction du missel romain constitue une étape supplémentaire sur ce chemin, ce qui est très encourageant !

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Eglise qui es-tu? https://www.revue-sources.org/eglise-qui-es-tu/ https://www.revue-sources.org/eglise-qui-es-tu/#respond Fri, 01 Jun 2018 05:00:23 +0000 https://revue-sources.cath.ch/?p=2667 J’ai été ordonné prêtre le 22 juillet 1962, trois mois à peine avant l’ouverture de Vatican II. Respectueux de la coutume, je choisis une image souvenir accompagnée d’une devise biblique. Mon choix s’inspirait d’un verset johannique: «Consacre-les dans la vérité» (Jean 17,19). Je me fiais bien sûr à la traduction alors en usage qui faisait de moi un «consacré» au service de la vérité. Prêtre dans l’Ordre des Prêcheurs, quelle belle devise! Elle correspondait si bien au geste de l’évêque «consécrateur» qui, s’étant levé face aux ordinants prostrés devant lui, interrompait la prière des litanies pour supplier seul et à voix haute: «Ut hos electos consecrare digneris, te rogamus audi nos!»[1]. L’ordination sacerdotale faisait de moi un personnage «sacré», membre d’un rang particulier de ce qu’on n’avait pas encore coutume d’appeler «peuple de Dieu».

Un demi siècle plus tard, une traduction liturgique nouvelle de Jean 17,19, se voulant plus proche de l’original grec, remplace le verbe «consacrer» par celui de«sanctifier». Une expression qui enveloppe tous les disciples de Jésus – et pas seulement les prêtres – et les invite à vivre saintement au milieu d’un monde à qui il arrive d’être pervers.

Faut-il attendre un concile Vatican III pour définir clairement le sens du mot «Eglise»?

Cette nouvelle version n’est pas anodine. Elle révèle à sa manière un changement de perspective dans notre façon de voir l’Eglise. Ou bien une verticalité composée de strates hiérarchisées bien définies: pape – évêques et prêtres consacrés, face à des laïcs qui ne le sont pas et de rang subalterne. Ou alors une multiplicité de ministères à l’intérieur du même «peuple de Dieu», tous nécessaires à sa croissance, sans qu’aucun ne soit considéré supérieur aux autres.

Les articles de notre dossier présentent les origines et les raisons de cette alternative, fondée sur l’Ecriture, l’histoire de l’Eglise et la réflexion théologique. Il ne semble pas que le dernier concile ait voulu clairement dirimer ce débat. Un flou (artistique?) subsiste qui donne lieu à bien des turbulences dans la vie concrète de nos diocèses et de nos paroisses. Notre pays n’y échappe pas. Faut-il attendre un concile Vatican III pour définir clairement le sens du mot «Eglise»? Pour l’instant, nous voguons sur des eaux mouvantes, conformément au rythme de l’Esprit qui souffle où il veut et comme il veut. Notre dossier n’a donc pas l’autorité ni l’ambition de prendre parti dans ce débat, mais – et c’est déjà beaucoup – d’en présenter les termes et les enjeux. Bonne lecture!


Guy Musy, rédacteur responsable de la Revue Sources

[1] «Pour que tu daignes consacrer ces élus, nous t’en supplions, écoute-nous!»

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Femmes dans l’Eglise: où en sommes-nous? https://www.revue-sources.org/femmes-dans-leglise-ou-en-sommes-nous/ https://www.revue-sources.org/femmes-dans-leglise-ou-en-sommes-nous/#respond Fri, 01 Jun 2018 04:30:42 +0000 https://revue-sources.cath.ch/?p=2641 Céline Béraud est sociologue, maître de conférences à l’université de Caen. Elle a publié de nombreux ouvrages sociologiques sur le catholicisme contemporain, en particulier «Le métier de prêtre» (Editions de l’Atelier, 2006), «Prêtres, diacres, laïcs, révolutions silencieuses dans le catholicisme français» (PUF, «Le Lien social»,(2007) et «Métamorphoses catholiques» (avec Philippe Portier, Editions de la MSH, 2017).  Le frère dominicain Jacques-Benoît, membre de l’équipe de rédaction de SOURCES l’a rencontrée.

Vous avez publié en 2007 un ouvrage intitulé «Prêtres, diacres, laïcs, révolution silencieuse dans le catholicisme français». Pourquoi ce titre et où en est cette «révolution silencieuse»?

Ma recherche a commencé à la fin des années 1990. J’ai qualifié l’évolution à laquelle nous avons assisté dans ces années de «révolution silencieuse dans le catholicisme français». En effet, la baisse considérable du nombre de prêtres qu’on observait alors n’avait pas entraîné une incapacité pour l’Eglise de répondre aux demandes qui continuaient à lui être adressées: demandes de mise en forme rituelle des grands moments de l’existence, demandes d’accompagnement dans les aumôneries des établissements publics notamment. Des rôles autrefois dévolus aux prêtres étaient pris en charge par des laïcs et en particulier par des femmes laïques. Il s’agissait bien d’une «révolution», mais ce qui me surprenait est qu’on n’en parlait pas et surtout que peu d’efforts étaient faits pour traduire ces changements dans les pratiques de l’institution et dans ses normes.

Il y a une sorte de retrait de la part des laïcs, et des femmes en particulier, qui n’attendent plus aucune évolution.

Avec vingt ans de recul sur cette enquête, je constate tout d’abord que ce qui était l’exception en ce qui concerne les prêtres est devenu la règle aujourd’hui. Les prêtres âgés sont presque systématiquement prolongés au-delà de leurs 75 ans; beaucoup de prêtres étrangers sont appelés et des prêtres très jeunes sont mis en responsabilité. Le nombre d’ordinations continuent à baisser: nettement inférieur à une centaine de diocésains par an depuis le début des années 2010 qui ont marqué un décrochage. Les diacres, sur lesquels on comptait encore au début de mon enquête, ont maintenant, eux aussi, vieilli et les ordinations de diacres permanents se sont tassées. Du côté des laïcs, enfin, on voit que cette «révolution silencieuse» n’a toujours pas eu de conséquences institutionnelles importantes. Certes, des évêques ont fait des progrès dans la gestion de ces «ressources humaines» que sont les laïcs; on parle un peu plus de ces réalités à la suite de travaux sociologiques ou canoniques. Mais, dans l’ensemble, des réflexions très timides ou peu abouties ont été menées par l’institution. J’ai travaillé récemment sur les aumôniers de prison et sur les aumôneries d’hôpital. Sur ces terrains, des bricolages locaux ont lieu, des voies sont inventées quant au rôle à attribuer aux laïcs en responsabilité. Mais les normes de l’institution n’évoluent pas par rapport à la réalité du terrain.

Vous soulignez que c’est particulièrement le cas en ce qui concerne la place des femmes ?

Oui. Comme je l’ai dit, la plupart des laïcs qui participent à cette «révolution silencieuse» sont des femmes. Mais les femmes continuent à être marquées par une «non-visibilité» dans l’Eglise. On peut citer plusieurs exemples. Prenez l’attitude du pape François. Il a eu de très beaux discours et a procédé à quelques nominations de femmes. Mais en ce qui concerne les normes, rien n’a changé. A deux reprises, on peut estimer qu’il a vite balayé des propositions qui cherchaient à donner une reconnaissance institutionnelle à la visibilité plus importante aux femmes. La première concernait la possibilité de nommer des femmes-cardinales; la seconde était liée à leur accès au diaconat (qui reste malgré tout en discussion). On peut aussi citer le témoignage de Lucetta Scaraffia qui a participé au synode sur la famille. Alors qu’elle n’est pas connue pour ses propos excessivement contestataires, elle a témoigné du fait qu’elle a été mise sur la touche pendant les réunions du synode qui portaient pourtant sur un thème pour lequel l’Eglise reconnaît l’importance du rôle des femmes! On le voit enfin dans les paroisses où, pour le service de la messe, on attribue souvent aux petites filles des rôles caractérisés par leur distance par rapport à l’autel.

De telles attitudes sont fréquentes dans les institutions (religieuses ou non) marquées par une forte féminisation. Le discours et les pratiques se concentrent autour de la crainte que les femmes «prennent la place» des hommes. Face à cette peur, un discours «masculiniste» se développe. Celui-ci n’est pas spécifique à l’Eglise mais il est typique de groupes de plus en plus féminisés. Malgré tout, dans le cas de l’Église, ce discours est renforcé, par la politisation des questions de genre. Je crois que les positions de l’Eglise sur les questions de sexualité et de place des femmes doivent être lues en lien avec les débats qui traversent la société. Mais, réciproquement, les tensions internes à l’Eglise sur ces sujets permettent de comprendre ses prises de position – et ses crispations – en externe quand elle aborde ces questions.

Ces évolutions touchent-elles de manière équivalente tous les pays d’Europe?

J’avais eu l’occasion de travailler sur ces questions avec des sociologues qui connaissaient la situation du Portugal, de l’Italie, de l’Espagne, de la France et de la Belgique. Ces deux derniers pays ont été concernés plus précocement que les autres par la place grandissante des laïcs dans l’Eglise. Aujourd’hui, on voit que l’Espagne est confrontée à une diminution significative et massive du nombre de prêtres. L’Italie lui emboîte le pas, mais le maillage très capillaire du territoire par l’Eglise rend le phénomène encore peu visible. Le Portugal a, quant à lui, un des clergés les plus jeunes d’Europe. L’Allemagne et la Suisse connaissent une situation encore différente du fait de la salarisation d’une partie des laïcs et du haut niveau de diplômes dont ils peuvent se prévaloir. Un autre cas significatif me semble être celui du Québec. Longtemps, les laïcs avaient été très investis dans des réflexions sur la place qu’ils sont appelés à occuper dans l’Eglise. Aujourd’hui, ces réflexions semblent en partie inhibées. On peut constater que ce mouvement a pratiquement disparu. Il y a une sorte de retrait de la part des laïcs (et des femmes en particulier) qui n’attendent plus aucune évolution et n’imaginent plus aucun changement.

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Démocrates et populistes https://www.revue-sources.org/democrates-et-populistes/ https://www.revue-sources.org/democrates-et-populistes/#respond Mon, 24 Jul 2017 08:00:39 +0000 https://revue-sources.cath.ch/?p=2313 [print-me]Ce sont les sans culottes de 1789 qui nous ont hissés sur le chariot de la démocratie, après qu’ils eurent fait un sort à leur «monarque». Depuis lors, nous nous laissons, non pas voguer, mais bringuebaler sur ce landau vétuste. Vaille que vaille, il faut bien le reconnaître. Gouvernement du peuple, par et pour le peuple, proclament les admirateurs irréductibles ; Imposture et Comédie, vocifèrent ceux qui connaissent les astuces et les ficelles des manipulateurs, connus ou anonymes, qui font dire au peuple – belle abstraction! – ce qu’ils veulent qu’il dise et comment ils désirent qu’il le dire. Nous serions bien empruntés toutefois de mettre au rancart ce vieil équipage, après plus de deux siècles de bons et moins bons services. Alors que les contrefaçons actuelles le caricaturent et le discréditent. Que ce soit en Afrique ou la démocratie prend la forme de dictatures héréditaires ou dans les nations émergentes où le mépris des droits humains s’enrobe d’une logorrhée aux accents des Lumières.

Le diable se serait-il affublé d’un froc d’ermite pour devenir fréquentable?

Et voilà le populisme, dont tout le monde parle aujourd’hui! Cure de jouvence pour les vieux démocrates? Ou alors, nouvelle imposture? Le diable se serait-il affublé d’un froc d’ermite pour devenir fréquentable? Plusieurs articles de ce dossier sont dus à la plume d’experts particulièrement compétents. Ils nous aident à faire le tri entre le bon grain et l’ivraie. L’envergure politique et philosophique de ces intervenants non seulement nous honore, mais garantit le sérieux de leurs propos.

Notre regard porte sur la société civile, évidemment. Aurions-nous pu faire la même analyse sur cette société qu’on appelle Eglise? Elle s’est toujours refusée d’appliquer à son mode de gouvernement les diverses formes qu’emprunte le pouvoir civil. Donc, ni démocratie, ni populisme, ni monarchie, ni dictature… Reste que le pouvoir ecclésiastique est exercé par des humains. Ils ont pu être influencés par des modèles laïcs. Nous avons connu des papes autocrates, condamnant les libertés individuelles; d’autres ont fait preuve d’ouverture à la collégialité. D’autres encore ont combattu la dictature athée, tout en demeurant conciliants face à d’autres régimes totalitaires. Quant aux papes populistes… No comment!

Une seule exception – mineure – à cette réserve éditoriale: la législation dominicaine. Elle fait l’objet d’une note particulière de ce dossier. Le cas est assez original pour qu’il en soit ici question. Et comment ne pas y faire allusion dans une revue qui se veut «dominicaine»?[print-me]


Frère Guy Musy, dominicain, rédacteur responsable de la revue «Sources».

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Église hors les murs https://www.revue-sources.org/eglise-hors-les-murs/ https://www.revue-sources.org/eglise-hors-les-murs/#respond Wed, 01 Jan 2014 15:12:31 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=957 [print-me]

Au fait, que faut-il entendre par « Eglise », label que l’on croyait protégé jusqu’à l’arrêt d’un tribunal britannique qui en reconnaît l’usage aux scientologues du Royaume-Uni? Qu’appelle-t-on aussi « mariage » quand ce terme recouvre les unions homosexuelles? J’ai l’impression que les institutions qui ont bravé les orages du temps se dissolvent maintenant.

Ainsi, notre vieille Eglise catholique serait moins une citadelle qu’une « spiritualité » diluée dans un magma indifférencié où se mêlent et s’entremêlent les humanistes de tout poil, les adorateurs de Vishnu, les Mormons polygames, les cœurs purs des crêtes du Jura et tant d’autres humains de plus ou moins bonne volonté. C’est ainsi que beaucoup voudraient qu’apparaisse notre Eglise ou regrettent qu’elle ne le soit pas. Une communauté sans odeur ni couleur, insignifiante pour tout dire.

Nous rêvons d’une Eglise mise à jour (aggiornamento), qui respire l’air du large tout en n’abandonnant pas le roc sur lequel elle est fondée

Que répondre à cela? Tout d’abord un constat. Il y a belle lurette que des milliers, voir des millions de catholiques baptisés ont quitté la place forte sur la pointe des pieds ou en claquant le portail d’entrée. Ils vivent leur croyance ou leur non croyance « hors les murs », détachés de toute pratique religieuse régulière, et se méfient des confessions de foi trop bien définies. D’autres avouent leur « sensibilité chrétienne », mais rejettent tout contact avec une institution qui se réclame de cette mouvance. L’évangile serait-il devenu une valeur folle? Et Dieu une marque non déposée?

Face à ces courants vagues et indéfinis, voici l’archipel des îlots identitaires, entourés de hautes murailles dogmatiques et de principes éthiques verrouillés. Ces murs protègent les assiégés contre les intrus qui voudraient s’infiltrer. Ils interdisent aussi de s’aventurer hors de l’enclos fortifié. Parmi les multiples sectes retranchées dans ces forteresses, vouant aux gémonies ceux qui demeurent au dehors, mentionnons la dernière en date, celle d’Ecône, verjus de la vigne conciliaire. Mais il en est tant d’autres!

Où nous situer dans cette mêlée? Et bien, dans la maison de Pierre que Jean XXIII a aérée. Les persiennes sont largement ouvertes et les baies éclatent de lumière. Du moins, c’est ainsi que nous rêvons d’une Eglise mise à jour (aggiornamento), qui respire l’air du large tout en n’abandonnant pas le roc sur lequel elle est fondée. Nous vivons le paradoxe d’être au milieu du monde sans pour autant lui appartenir. Un défi qui nous oblige à l’ouverture, sans cesser d’être fidèles. Corde raide qui nous expose à deux dangers: soit nous nous enfermons dans de prétendues certitudes et rejetons des hommes et des femmes que Dieu aime, soit nous nous diluons dans une opinion commune anonyme qui nous impose sa loi.

Aurons-nous le courage lucide de garder droite notre marche? Le regard fixé sur Jésus-Christ?

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En Suisse, une Eglise «duale»? https://www.revue-sources.org/en-suisse-une-eglise-duale/ https://www.revue-sources.org/en-suisse-une-eglise-duale/#respond Wed, 01 Jan 2014 13:33:32 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=193 [print-me]

Le président de la Conférence des Evêques de Suisse (CES), Mgr. Büchel, dans une interview à la Neue Zürcher Zeitung (NZZ), le 21 septembre 2013, précise qu’en Suisse l’Eglise catholique jouit d’un système de gouvernement ecclésiastique « dual »: d’une part la « corporation ecclésiastique » et d’autre part ce qu’il appelle l’ « Eglise canonique ». Autrement dit: le pouvoir laïc et le pouvoir épiscopal.

Mgr Büchel convient que des tiraillements sont possibles et bien réels. Mais il ne remet pas en cause ce système qui, selon lui, ne doit pas être supprimé, mais « optimisé ». D’où les questions posées par notre rédaction à M. Philippe Gardaz.

Toute l’Eglise catholique qui est en Suisse est-elle concernée par ce « gouvernement dual », ou seulement certains cantons?

Philippe Gardaz: A juste titre, Mgr Büchel parle de « système dual » plutôt que de « gouvernement dual ». Ce système concerne presque tout le pays, car il y a une organisation ecclésiastique cantonale (Fédération, corporation, LandeskircheKantonskirche), parallèle aux diocèses, vicariats, unités pastorales, etc., dans chaque canton, sauf en Valais.

Quelle est l’origine de ce système? Déteinte de l’ecclésiologie réformée sur l’Eglise catholique? Défection du pouvoir épiscopal sous l’Ancien Régime? Mesures imposées par le Kulturkampf?

Ce système est le résultat de plusieurs facteurs. Tout d’abord, le fait que ce sont les Etats cantonaux qui sont depuis toujours compétents en matière de rapports Eglise-Etat. Dans les cantons réformés, l’Eglise était, sous l’Ancien Régime, Eglise d’Etat, acquérant progressivement son autonomie au cours des XIXe et XXe siècles et adoptant alors une organisation calquée sur celle de son canton. Dans les cantons catholiques, l’Eglise et l’Etat étaient organiquement séparés, mais très proches dans leurs actions concrètes.

Le système dual est une solution ancrée dans les mœurs helvétiques et dès lors durable.

Lorsqu’au cours du XXe siècle, les cantons réformés, Berne et Zurich notamment, ont reconnu leur minorité catholique, ils ont « naturellement » prévu pour elle une organisation symétrique à celle de leur Eglise nationale réformée, mais divergeant de la tradition catholique. Ce fut aussi le cas dans les cantons paritaires (Argovie, Thurgovie, Glaris, Grisons). Certains cantons catholiques ont aussi créé des structures ecclésiastiques de droit public, organisées démocratiquement, vu l’octroi du droit de lever l’impôt ecclésiastique. Ainsi Fribourg à la fin du XIXe siècle. Mais sans imposer l’élection des curés par les fidèles.

Ce système est-il compatible à l’ecclésiologie catholique définie par Vatican II?

Ce système est conforme à l’ecclésiologie de Vatican II dans la mesure où il respecte le rôle fondamental de l’évêque diocésain. Mais tel n’est pas toujours le cas en Suisse. D’où le Vade-mecum qui n’est qu’un rappel, une mise au point sur quelques questions particulières.

Compte tenu de la sécularisation actuelle, ce système n’est-il pas désuet, appelé à disparaître?

Non. Le système dual est une solution ancrée dans les mœurs helvétiques et dès lors durable. Il permet d’ailleurs, à travers l’impôt (ou la contribution) ecclésiastique en vigueur dans plus de vingt cantons, d’assurer le financement de l’Eglise catholique par les contributions des fidèles, comme le prévoient ses règles propres (can 222 CIC).

L’Eglise n’a-t-elle pas avantage à pourvoir elle-même à ses moyens de subsistance plutôt que de les attendre d’un Etat qui la contrôle?

L’Etat, c’est-à-dire les cantons suisses, ne contrôle pas les Eglises. La Confédération non plus. L’Etat se désintéresse des Eglises, mais leur octroie le droit de prélever l’impôt ecclésiastique moyennant l’organisation d’une structure démocratique de droit public qui n’est pas un contrôle de l’Eglise mais un appui. A Neuchâtel et à Genève, l’Etat récolte la contribution volontaire. Mais l’argent vient des fidèles, pas de l’Etat.

Autre application: le Canton de Vaud. Depuis 2003, l’Etat par son budget général assure aux deux Eglises reconnues les moyens nécessaires à l’accomplissement de leur mission au service de tous dans le canton. Pour l’Eglise catholique, ce sont environ 25 millions de francs suisses par an. C’est un cas unique en Suisse.

L’expérience est positive, car l’Etat a respecté l’identité catholique, s’abstenant, par exemple, d’imposer l’élection des curés par les fidèles. Mais il n’a pas reconnu l’Eglise catholique romaine comme telle, notamment les diocèses englobant le territoire vaudois, sinon à travers la Fédération ecclésiastique catholique romaine, qui fait suite à la Fédération des paroisses catholiques du canton.

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Philippe Gardaz

Philippe Gardaz

Philippe Gardaz, ancien juge cantonal vaudois, spécialiste du droit ecclésiastique suisse.

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Le bien de l’Eglise et les biens de l’Eglise https://www.revue-sources.org/le-bien-de-leglise-et-les-biens-de-leglise-en-suisse-une-eglise-dans-les-murs/ https://www.revue-sources.org/le-bien-de-leglise-et-les-biens-de-leglise-en-suisse-une-eglise-dans-les-murs/#respond Wed, 01 Jan 2014 13:20:41 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=189 [print-me]

La Suisse, notamment alémanique, se trouve agitée depuis quelques années déjà par un débat concernant les « corporations de droit public ecclésiastique« , dites « Eglises cantonales » ou Landeskirchen, et les « communes ecclésiastiques » ou Kirchgemeinden. A première vue, on pourrait penser qu’il s’agit d’un litige portant sur le droit, le pouvoir et la compétence. Mais à considérer les choses de plus près, il en va de la nature de l’Eglise et de sa mission au sein de la société contemporaine.

Le précédent français

Ouvrons ce débat spécifiquement suisse en jetant un regard rapide sur la France, notre voisine. La loi française de 1905 stipulant la séparation de l’Eglise et de l’Etat constituait en définitive rien de moins qu’un chantage. On sommait l’Eglise de transférer la totalité de ses biens à des associations culturelles. Dans le cas contraire, ceux-ci deviendraient propriété de l’Etat. Dans leur désir de préserver les biens de l’Eglise, une majorité d’évêques étaient prêts à adhérer à une forme remaniée d’association culturelle. Le prix à payer aurait été le morcellement de l’Eglise de France en 40’000 corporations ecclésiastiques, démocratiquement organisées. Le curé lui-même serait devenu simple membre d’une association dont il aurait dépendu financièrement. Ainsi, il se serait vu privé de son statut spécifique reconnu par le droit canonique.

Or, le Pape Pie X interdit aux évêques de France de se soumettre à ce régime. Un peu plus tard, dans son encyclique Une fois encore, du 6 janvier 1907, le Pape justifiera sa décision: « C’est perfidement mise en demeure de choisir entre la ruine matérielle et une atteinte consentie à sa constitution, qui est d’origine divine, qu’elle a refusé, au prix même de la pauvreté, de laisser toucher en elle à l’œuvre de Dieu« [1]. Bien des années plus tard, en 1995, Joseph Ratzinger commentera ce drame dans les termes suivants: « Le bien de l’Eglise est plus important que les biens de l’Eglise. Nous nous départissons des biens parce que nous devons défendre le bien« [2].

Le système suisse

En Suisse, on a pris le chemin inverse. Au prix d’une mise en question de la nature sacramentelle de l’Eglise, on a fini par accepter un système fiscal étatique qui organise les laïcs en parallèle à leur incorporation ecclésiale. Ceux-ci sont regroupés dans des structures démocratiques sous le nom d’ »églises cantonales » et de « communes ecclésiastiques ».

Ce système a l’avantage de générer d’énormes sommes d’argent que seules les églises cantonales et les communes ecclésiastiques ont le pouvoir de gérer à leur convenance. Le montant s’élève annuellement à environ un milliard de francs, pour 3 millions de catholiques dûment déclarés. Un curé dans le canton de Zurich touche ainsi un salaire annuel plafonnant à 150’000 francs, sans parler des théologiens laïcs et autres fonctionnaires de la Landeskirche dont les salaires sont encore plus élevés.

Leur liberté de prêcher l’Evangile se voit entravée par la menace d’un licenciement de la part de la commune ecclésiastique.

L’administration de ce pactole financier est confiée à des laïcs démocratiquement élus. Ils l’exercent indépendamment des évêques et des curés, conformément à des critères et appréciations qui leur sont propres et s’appuyant sur le droit public de l’Etat. La conférence des évêques est alimentée, pour l’essentiel de son fonctionnement, par la même source.

L’évêque comme la reine d’Angleterre

On pourrait argumenter qu’il s’agit là de considérations purement formelles, structurelles, juridiques, voire canoniques, même si on viole quelques principes ecclésiologiques qui réservent aux seuls évêques et curés le bon usage des biens de l’Eglise.

Ne devrait-on pas plutôt se féliciter de voir l’Eglise si confortablement dotée et en mesure de faire largement le bien? Malheureusement, force est de constater que ces distorsions ne se limitent pas à quelques confusions d’ordre structurel et ecclésiologique.

Selon le cardinal Kurt Koch, ancien évêque de Bâle, ce système de droit publique ecclésiastique a eu pour conséquence que sa tâche d’évêque ne consistait pas tant à « gouverner effectivement » son diocèse qu’à le « représenter affectivement ». On l’a même entendu se comparer à la reine Elisabeth d’Angleterre, comme un monarque constitutionnel. Il en va de même des curés de paroisse qui se retrouvent sensiblement dépendants des communes ecclésiastiques. Leur liberté de prêcher l’Evangile se voit entravée par la menace d’un licenciement de la part de la commune ecclésiastique.

L’Eglise suisse – une Eglise « dans les murs »?

Cela nous mène au problème névralgique. Le système de droit public ecclésiastique en vigueur en Suisse renforce le malentendu qui consiste à jauger l’engagement chrétien au degré du pouvoir décisionnel. En effet, de nombreux laïcs évaluent leur degré d’appartenance à l’Eglise en fonction des opportunités qu’elle leur offre de délibérer en son sein. Ce système contribue à cléricaliser les laïcs et, autre conséquence fâcheuse, conduit l’Eglise à une réflexion permanente sur son propre fonctionnement.

Puisque les laïcs assument subrepticement – par le biais de la finance – des tâches de gouvernement, les disputes de compétence avec les évêques et curés sont devenues récurrentes. Le système de droit public ecclésiastique est devenu de fait une source de querelles interminables. Les médias s’en repaissent, plutôt que de prêter attention à l’Eglise et à sa mission. Ces litiges ont fini par affecter les laïcs eux-mêmes qui se trouvent en conflit avec les évêques et curés. Ils se sentent frustrés, non seulement dans leur statut de fonctionnaires de corporations de droit public ecclésiastique, mais aussi comme chrétiens.

A cela s’ajoute le fait que ces activités toutes tournées ad intra ne sont guère propices pour comprendre ce que disait Vatican II de la mission des laïcs (Cf. Lumen Gentium, chapitre IV). Certes, on y trouvera quelques lignes (par. 33) consacrées à la coopération des laïcs à la mission de la hiérarchie. Par contre, les paragraphes 30 – 38 dressent le portrait du laïc, témoignant sa foi au Christ par une conscience éclairée que ce soit au sein da la famille, de la société, en politique et dans la culture. Alors que Vatican II presse les chrétiens à aller « hors les murs », le droit public ecclésiastique en vigueur en Suisse les renferme « dans les murs » et dans les sacristies. Sans pourtant accuser ce système d’encourager explicitement la stérilité spirituelle et missionnaire de l’Eglise en Suisse, il faut constater qu’il ne lui insuffle pas la force vitale qui permettrait à cette Eglise de réformer chrétiennement la société de ce pays.

Ce système n’insuffle pas cette force vitale qui permettrait à l’Eglise de réformer chrétiennement la société de ce pays.

La démocratie et ses limites

Cette faiblesse est due, en outre, au fait que le régime de droit public ecclésiastique se veut démocratique. Le problème que ce système de gouvernement n’est pas compatible avec le principe de synodalité et de communion de l’Eglise n’est pas purement formel. Les enjeux sont plus larges. Dans une démocratie, il est légitime, voire de nécessité absolue de trouver des majorités. Sans majorité, pas de gouvernement. Tout parti formule son programme en vue de conquérir une majorité. Il se pourrait qu’à certaines époques, aujourd’hui révolues, l’Evangile ait pu trouver dans la société ambiante une majorité.

Toute la fortune du monde ne saurait faire naître une Eglise vivante.

Mais ce ne fut pas la règle générale, à commencer par l’accueil mitigé réservé à notre Seigneur Jésus-Christ. Notre religion est dotée d’un « programme » qui normalement n’est pas capable de conquérir des majorités. Il est donc illusoire de vouloir vivre dans des structures qui présupposent l’adhésion de la majorité. Et cela dans une société comme la nôtre, qui tient à marquer ses distances par rapport à l’Evangile. Dans ce cas, se pose alors la question de ce qui est préférable: « le bien » de l’Eglise ou « les biens » de l’Eglise? Autrement dit: L’Eglise, pour sauvegarder le privilège de l’impôt ecclésiastique, doit-elle renoncer à annoncer tout l’Evangile pour se limiter à ce qui semble acceptable par notre société sécularisée?

Pour une Eglise « hors les murs »

Entre temps, la Conférence des évêques suisses a rendu public un Vade-Mecum pour reformuler la collaboration de l’Eglise catholique avec les corporations de droit public ecclésiastique. C’est un premier pas dans la bonne direction, dans la mesure où ce document souligne le caractère « auxiliaire » des corporations de droit public ecclésiastique. Loin de constituer le gouvernement de l’Eglise, celles-ci en sont un appui. Il ne leur revient pas de définir les critères à adopter par l’Eglise dans son action pastorale et catéchétique, parce que l’Evangile ne peut pas être soumis au principe de la majorité.

A l’avenir, les efforts devront tendre à réorienter l’optique des laïcs et des clercs. Les laïcs ne forment pas une corporation indépendante dans l’Eglise ayant pour but de négocier avec les évêques la façon de la gouverner. Vatican II, au contraire, a appelé les laïcs à rendre témoignage au Christ « hors les murs », au cœur du monde et jusqu’aux bords de la société.

Quant aux biens de l’Eglise, l’histoire ne cesse de démontrer depuis 2000 ans et partout dans le monde qu’une communauté spirituellement vivante ne manque pas de ressources matérielles. Les fidèles se montrent généreux envers une Eglise portée par des motivations justes, entendez « spirituelles ». Le contraire est tout aussi vrai, comme vient le prouver l’exemple de la Suisse alémanique: Toute la fortune du monde ne saurait faire naître une Eglise vivante.

Qu’on se souvienne ici de la parole de l’Evangile: « Cherchez d’abord le Royaume et la justice de Dieu, et tout cela vous sera donné par surcroît » (Mt 6, 33).

[1] ASS 40 (1907), p. 7.

[2] Joseph Ratzinger, Le sel de la terre. Le christianisme et l’Eglise catholique au seuil du IIIe millénaire, Paris, 1995.

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Martin Grichting

Martin Grichting

Martin Grichting, docteur habil. en droit canon de l’Université de Munich, est vicaire général du diocèse de Coire/Chur, dont font partie les cantons des Grisons, Uri, Schwyz, Obwald, Nidwald, Glaris et Zurich.

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Quelle ouverture pour les divorcés remariés? https://www.revue-sources.org/quelle-ouverture-pour-les-divorces-remaries/ https://www.revue-sources.org/quelle-ouverture-pour-les-divorces-remaries/#respond Wed, 01 Jan 2014 13:14:04 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=184 [print-me]

L’ouverture miséricordieuse du pape François laisse espérer que l’Eglise catholique pourra un jour assouplir sa doctrine et sa pratique à l’égard des divorcés remariés. Un sujet douloureux que le pape a aussitôt mis à l’ordre du jour des travaux du groupe des huit cardinaux appelés à collaborer étroitement avec lui au gouvernement de l’Eglise, et maintenant au programme du prochain Synode sur la famille (2014-2015).

La doctrine et la vie

Est-ce fait exprès? Voici que la lettre publiée fin octobre, de Mgr Gerhard Müller, préfet de la Congrégation de la Foi, vient rappeler avec force que la position officielle de l’Eglise catholique ne peut changer d’un iota, au contraire. Fondée sur l’Ecriture et la Tradition, elle est confirmée par le concile Vatican II, et plus encore par les derniers papes Jean-Paul II et Benoît XVI.

Sommairement, on pourrait résumer cette doctrine ainsi. La parole de Jésus « que l’homme ne sépare pas ce que Dieu a uni », établit clairement l’indissolubilité absolue du mariage scellé entre deux chrétiens baptisés. Est donc exclue toute possibilité d’un deuxième mariage religieux après un divorce civil, et même toute forme de cérémonie comportant une « bénédiction » de la nouvelle union. D’où l’interdiction faite aux divorcés vivant maritalement d’accéder à la communion eucharistique, en raison de « la contradiction objective » existant entre leur condition de divorcés remariés et la communion entre le Christ et l’Eglise qui s’exprime à la fois dans l’Eucharistie et dans le mariage. Sans quoi, ajoute-t-on, les fidèles pourraient mettre en doute la doctrine de l’indissolubilité du mariage chrétien.

Sans doute affirme-t-on que ces personnes, exclues de la communion eucharistique, ne sont pas pour autant « excommuniées », qu’elles continuent d’appartenir à l’Eglise et sont même invitées à participer, entre autres, à la messe – sans communier! – et à l’adoration eucharistique. A moins que ces chrétiens, vivant fidèlement en couple et en famille, s’engagent à cohabiter ensemble comme des amis, ou des frères et sœurs, en prenant « l’engagement de vivre en pleine continence. » Toujours parce que leur vie maritale les met en situation objective de péché!

Allez demander à ces époux ce que signifie cette « contradiction objective » en raison du caractère « ontologique » que garde le lien de leur premier mariage (alors que dans leur cœur et dans leur vie ce lien n’existe plus réellement, hélas)! Ils ne vivent pas dans le royaume inamovible de l’objectivité et de l’ontologique, mais dans le monde des personnes (ce sont des sujets et non des objets) vivant une histoire de relations, certes fragiles et toujours appelées à la conversion, mais dans la mesure de leur capacité, qui est toujours « subjective », dans leur « périphérie existentielle ».

Déclaration controversée

Cette déclaration publiée dans l’Osservatore romano du 22 octobre (sans approbation explicite du pape, semble-t-il), mais déjà dans une revue allemande le 15 juin, n’a pas manqué de susciter de vives réactions, y compris de la part de certains évêques et cardinaux allemands. En juillet déjà, le cardinal de Berlin Mgr Woelki, déclarait que « l’Eglise catholique devrait réviser son approche sur les divorcés remariés et en discuter », ajoutant encore: « en tant que prêtre, je dois supposer que quiconque me demande la communion le fait avec un cœur pur », mais aussi: « les époux qui, reconnaissant l’échec de leur mariage, ne reçoivent pas la communion, donnent un fort témoignage de foi. »

Plus récemment, le 7 novembre, le cardinal de Munich Reinhard Marx, commentant directement la lettre de Mgr Müller, déclarait: « le préfet de la Congrégation de la Foi ne peut clore le débat… Nous verrons que ce sujet sera discuté dans toute sa largeur », entre autres lors du Synode sur la famille. A son tour, le Secrétaire général du Synode a confirmé que la question restait ouverte: « Nous allons en discuter sans tabou. » Et de citer un passage significatif de l’Exhortation apostolique Evangelii Gaudium: « L’Eucharistie n’est pas un prix destiné aux parfaits, mais un généreux remède et un aliment pour les faibles… L’Eglise n’est pas une douane, elle est la maison paternelle où il y a de la place pour chacun avec sa vie difficile. » (n.47)

Retour à l’Assemblée Diocésaine AD 2000

Qui s’en souvient encore? Dans le diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg, l’Assemblée diocésaine AD 2000 a consacré une part importante de ses travaux aux pauvres et aux exclus, notamment à la douloureuse question des Divorcés remariés dans l’Eglise. Le Document 6 qui porte ce titre est encore aujourd’hui d’une brûlante actualité, et il vaudrait la peine de le relire en entier. Ce document, comme les huit autres, fut solennellement approuvé par l’évêque lors de la clôture du 4 juillet 2000: « En vertu du ministère apostolique que je tiens du Christ, je demande que toutes ces dispositions soient portées à la connaissance de tous, qu’elles soient mises en valeur, accueillies dans le souffle de l’Esprit et vécues pour la gloire de Dieu et le salut du monde. » Un tel engagement n’a-t-il pas autant de valeur que la lettre d’un préfet de Congrégation?

La conscience personnelle est l’ultime instance à laquelle doit se référer l’homme au moment de prendre une décision éthique.

Après avoir rappelé les déclarations officielles de l’Eglise concernant les divorcés remariés, AD 2000 évoque aussi les nombreux appels du peuple de Dieu émanant des Eglises locales durant ces dernières années, pour en conclure:

« Dans toutes ces démarches, toujours plus nombreuses et persistantes, comment ne pas voir un signe de l’Esprit à l’œuvre dans le peuple de Dieu, une expression du ’sensus fidelium’? »

« Notre assemblée, elle aussi, croit qu’un chemin doit être recherché qui témoigne, mieux que la discipline actuelle, de la largesse du cœur de Dieu pour ceux qui ont fait l’expérience de l’échec de leur premier mariage et qui témoignent de leur faim du pain de vie pour poursuivre leur route avec le Christ… »

D’où le rappel, bien nécessaire aujourd’hui, des demandes qui furent approuvées alors à la quasi unanimité de l’Assemblée:

« 9. L’Assemblée, en accord avec l’évêque, demande aux responsables pastoraux de nos communautés de faire preuve de sagesse pour mieux discerner les différentes situations des personnes et les motivations qui les poussent à recevoir l’eucharistie.

  1. Toujours en accord avec l’évêque et en exprimant son estime et son respect pour les divorcés remariés qui ont choisi en conscience de s’abstenir de communier, l’Assemblée demande aux communautés et à leurs pasteurs de respecter aussi la décision, prise en conscience, par des couples divorcés remariés, de recevoir le sacrement de l’eucharistie, dans la mesure où ils prennent en compte les exigences suivantes:

 respecter les devoirs de justice à l’égard du premier conjoint et des enfants éventuels ;
– faire preuve de fidélité dans leur nouvelle union ;
-participer à la vie de la communauté ;
– vivre un temps de réflexion nourri de la Parole de Dieu, en dialogue avec un prêtre ;
– s’interroger sur la qualité de leur faim eucharistique. »

Des conditions exigeantes et pas toujours faciles à respecter, il faut le reconnaître.

La conscience personnelle est l’ultime instance à laquelle doit se référer l’homme au moment de prendre une décision éthique.

Miséricorde et conscience

Dans ce texte d’AD 2000, il faut souligner deux mots clefs: miséricorde et conscience. Avec bien d’autres assemblées ecclésiales, l’Assemblée fait appel à « une plus grande miséricorde à l’égard des couples qui connaissent cette souffrance » et désirent bénéficier du soutien de l’eucharistie. Comme on est loin des propos de Mgr Müller qui dénonce « un faux appel à la miséricorde » et « une banalisation de l’image de Dieu, selon laquelle Dieu ne pourrait rien faire d’autre que pardonner. » L’Abbé Maurice Zundel doit se retourner dans sa tombe, lui qui répétait si souvent: Dieu n’est qu’amour: « un Cœur, tout Cœur, rien qu’un Cœur … Le Visage de Dieu est un visage de mère. » « Une Mère au cœur ouvert », dira de l’Eglise le pape François.

Quant au respect du choix fait en conscience par les divorcés remariés, soit de s’abstenir, soit de recevoir la communion, non sans avoir longuement réfléchi, prié et pris conseil, Mgr Müller déclare que leur conscience doit être éclairée par la vérité, et obéir au magistère de l’Eglise: pour les fidèles dont le premier mariage était valide, « la réception des sacrements n’est pas possible. La conscience de chacun est liée, sans exception, par cette norme. » A-t-on oublié que la conscience personnelle est, en amont de toute norme, l’ultime instance à laquelle doit se référer l’homme au moment de prendre une décision éthique? Vatican II l’affirme clairement: « la conscience est le centre le plus secret de l’homme, le sanctuaire où il est seul avec Dieu et où sa voix se fait entendre. » (Gaudium et Spes no 16)

Pratiquer l’épikie

Un dernier point, contesté par Mgr Müller, est le recours fait par certains, dont notre évêque, au principe de « l’épikie » (une loi valable en général ne recouvre pas toujours adéquatement l’agir humain concret), pour autoriser dans certains cas l’accès des divorcés remariés à la communion. Ce principe ne peut pas être appliqué ici, dit la lettre du Préfet, car il s’agit de « l’indissolubilité du mariage, une norme de droit divin dont l’Eglise ne peut pas disposer ». A cette attitude rigoriste, Mgr Genoud en avait déjà opposé une autre, à la fois spirituelle et pastorale: « Pour dépasser une diversité de pratiques allant d’un laxisme généralisé à une rigidité blessante, AD 2000 invite à prendre en compte la situation concrète des personnes et à juger avec épikie. Il ne s’agit nullement d’une permission générale donnée aux divorcés remariés de recevoir la communion – nous ne le pouvons et ne le devons pas – mais bien d’un appel exigeant, tant pour les fidèles que pour les pasteurs, à pratiquer un véritable discernement spirituel et pastoral, éclairé par la parole de Dieu et l’enseignement de l’Eglise, selon des critères précis. »

Que veut-on de plus? Souhaitons que sur cette question aussi l’Eglise puisse sortir de ses murs pour aller à la rencontre des personnes blessées par la vie et affamées d’un pain qui les aide à vivre.

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Jean-Marie Pasquier

Jean-Marie Pasquier

L’Abbé Jean-Marie Pasquier, prêtre du diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg, fut professeur de théologie et directeur du Grand Séminaire diocésain. Aujourd’hui il est membre de l’équipe pastorale « Notre Dame de Compassion » à Bulle, dans le canton de Fribourg.

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Melkite, pour respirer à plein poumon https://www.revue-sources.org/melkite-pour-respirer-a-plein-poumon/ https://www.revue-sources.org/melkite-pour-respirer-a-plein-poumon/#respond Wed, 01 Jan 2014 13:08:41 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=180 [print-me]

L’Eglise melkite accueille tous les catholiques qui, comme l’auteur de ces lignes, sont en pleine communion avec Rome, mais souhaitent vivre occasionnellement une eucharistie selon un rite différent, loin de toute routine.

« Melkite »? Qu’est-ce que c’est que ça? Etymologiquement, ce mot signifie « du parti de l’Empereur ». Les conquérants arabes du VIIe siècle trouvent en effet dans les patriarcats d’Alexandrie et d’Antioche des chrétiens pour le moins divisés, conséquence des querelles christologiques des premiers siècles du christianisme. Ils donnent ce nom à tous ceux qui pratiquent le rite byzantin et conservent la foi orthodoxe issue des conciles d’Ephèse et de Chalcédoine, par opposition aux différents courants monophysites ou nestoriens.

Les fidèles redécouvrent l’importance des icônes et du chant hérité des Eglises d’Orient.

Au cours du XVIIIe siècle, des rapprochements de plus en plus serrés se font jour entre une partie non négligeable des prélats et des fidèles melkites avec l’Eglise de Rome. En 1724, la rupture est consommée entre les melkites catholiques et les melkites orthodoxes, et en 1744 le pape Benoît XIII reconnaît Cyril VI comme patriarche de l’Eglise grecque catholique melkite. Il est à relever qu’à partir de cette époque de nombreux écrits pontificaux insistent solennellement pour que cette Eglise puisse conserver ses rites propres. Je cite parmi tant d’autres la constitution de Benoît XIV Demandatam coelitus humilitati nostrae, qui interdit la latinisation de ces rites, et l’encyclique de Léon XIII Orientalium dignitatis qui va dans le même sens.

Contrairement à d’autres Eglises orientales, l’Eglise melkite n’est pas une Eglise nationale. Elle peut concerner tous les fidèles, quelle que soit leur origine. Ainsi en 1990, à Fribourg, des familles fondent la Fraternité Catholique du Christ Sauveur et célèbrent à l’ancienne chapelle du couvent dominicain de l’Albertinum une liturgie de rite byzantin en langue française. Dans ce cadre, les fidèles redécouvrent l’importance des icônes et du chant hérité des Eglises d’Orient. Personne d’entre nous n’a oublié l’émouvante visite de Sa Béatitude Gregorios III Laham, Patriarche d’Antioche et de tout l’Orient, d’Alexandrie et de Jérusalem, le vingt-et-unième dans la lignée des Patriarches Grecs Melkites Catholiques depuis 1724. La liturgie byzantine de saint Jean Chrysostome ou de saint Basile le Grand a quitté l’Albertinum. Depuis plusieurs années, elle est maintenant célébrée chaque deuxième dimanche du mois à l’église paroissiale Saint Jean, à Fribourg.

Dans les murs? Hors les murs? En tout cas, une partie du deuxième poumon, comme aimait le rappeler Jean-Paul II. Ce poumon est la tradition orientale, si nécessaire à la respiration de l’Eglise dans son ensemble.

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Roland Pillonel

Roland Pillonel

Roland Pillonel, membre de l’équipe rédactionnelle de la revue Sources, est responsable à l’Université de Fribourg de la formation des enseignants du cycle secondaire.

 

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Veilleur, où en est la nuit? https://www.revue-sources.org/veilleur-ou-en-est-la-nuit/ https://www.revue-sources.org/veilleur-ou-en-est-la-nuit/#respond Tue, 01 Jan 2013 13:00:54 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=400 [print-me]

J’écris ces lignes en novembre 2012, alors que l’Europe sombre dans une profonde déprime, ponctuée de cris de révolte.

La régression économique, le chômage, les mesures de rigueur, l’endettement des collectivités publiques et des ménages, les faillites répétées, la fermeture et la délocalisation des entreprises: autant d’indices alarmants d’un climat social délétère. La désespérance et la résignation léthargique donnent le ton.

Un stratus oppressant

L’an dernier, à pareille date, nous vivions sous l’euphorie du discours indigné du prophète Stephan Hessel et nous voulions avec lui croire encore à l’engagement des meilleurs pour redresser la barre. Et puis, las! La rhétorique du docteur Coué ne passe plus. Nous ne croyons plus aux promesses politiques; nous mettons en doute les programmes de redressement et soupçonnons de corruption les gnomes qui s’agitent au devant de la scène, fussent-ils politiciens, économistes, banquiers, militaires, ou même leaders religieux. Les dirigeants des Etats totalitaires, comme la Chine, n’échappent pas plus que les autres à ce verdict accablant. Ajoutons à ce sombre tableau les cataclysmes naturels, les guerres intestines du Moyen Orient, la désillusion qui suivit les printemps arabes et nous aurons pris la mesure de l’épaisseur du stratus qui nous oppresse.[1]

La tentation qui nous guette est de sauver notre peau par tous les moyens, licites et illicites. Peu importent les règles éthiques, le souci du bien commun. L’important est de quitter ce navire en perdition. Même en bousculant les femmes et les enfants qui se pressent sur le pont. « Primum vivere, deinde philosophare!». Prendre soin de soi devient la règle prioritaire et exclusive. Au grand dam des principes généreux qui jusque-là commandaient notre agir commun. Nous sommes devenus aussi indifférents à l’avenir de notre planète. Ce futur lourd ne sera pas le nôtre. Il ne concerne que nos descendants. Mais, peu importe. «Après nous, le déluge!»

Certains auteurs[2] diraient que cet état d’esprit caractérise l’ère postmoderne dans laquelle nous serions entrés. Au centre l’individu qui noue et dénoue des relations le plus souvent éphémères selon le profit qu’il espère en tirer. Un monde régi par l’émotion plutôt que par la raison. Une société qui relativise les valeurs traditionnelles, n’adhère à aucune transcendance, rejette toute loi naturelle. Un monde enfin où l’individu prend ses distances d’avec l’institution civile ou religieuse, jusqu’à désintégrer le mariage qui a cessé d’être la communion d’un homme et d’une femme pour toute une vie[3].

La foi comme appendice

C’est cet univers postmoderne qui devrait être le sujet d’une première ou d’une seconde évangélisation, si tant est que la précédente n’a laissé aucune trace. Le paysage de cette terre à conquérir ou à reconquérir a été peint à maintes reprises. Nos Eglises ont définitivement quitté le terreau de la chrétienté. Elles ne cessent d’accentuer leur retrait de la vie publique. Leur influence sociale ou médiatique est insignifiante.

Que restera-t-il de ce « peuple immense » dont parle l’Apocalypse de Jean? Une minorité nostalgique qui se replie dans sa forteresse assiégée?

Autrefois majoritaires[4], ces Eglises doivent s’accommoder maintenant de lourdes structures administratives, de bâtiments, de lieux de culte conçus pour une époque où les chrétiens avaient pignon sur rue. Les voici maintenant, comme l’Auguste du cirque, empêtrées dans un costume trop large. Mêmes les rites, les calendriers liturgiques deviennent anachroniques, à l’instar des célébrations de la Toussaint ou des messes de la nuit de Noël. Ces liturgies ne rassemblent désormais que des crânes chauves et des cheveux blancs. Que restera-t-il de ce « peuple immense » dont parle l’Apocalypse de Jean? Une minorité nostalgique qui se replie dans sa forteresse assiégée? Une tribu exotique en voie d’extinction?

J’ai bien conscience que ces propos agaceront les prêtres qui remplissent encore leurs églises et les jeunes assidus aux rassemblements de Taizé ou aux JMJ. Quelques arbres cependant ne devraient pas cacher la forêt. Ces exceptions ne font que mettre en évidence la sécularisation qui gangrène le tissu ecclésial. Elle n’attaque pas seulement l’écorce de l’arbre, l’appareil extérieur ecclésial, ses lois, son culte ou son clergé. La sève elle-même est malade. Le Credo est contesté dans tous ses articles. Plus grave encore, la foi a cessé d’être un héritage précieux que les générations se transmettent; elle est devenue un appendice culturel anodin, un colifichet choisi par certains individus, rejeté par d’autres.

Je veux croire que ce sombre tableau n’enveloppe pas l’hémisphère sud, là où les statistiques catholiques affichent encore un état de santé réjouissant. J’en donne comme preuve la relève du clergé européen par des prêtres africains ou asiatiques, ainsi que la vitalité des communautés occidentales quand elles sont fécondées par de jeunes pousses importées des pays chauds.

Pierres d’attente

Comment ré-évangéliser notre vieux continent? Les nouveaux missionnaires devront prendre en compte ce qui vit et survit, la mèche qui fume encore, les espoirs qui se dessinent. Surtout, qu’ils laissent les morts enterrer leurs morts. L’heure n’est plus à sauver des structures ecclésiales périmées et sclérosées ou à s’enfermer dans un légalisme d’un autre âge. Faisons plutôt confiance à cette fameuse postmodernité. Précisément, cette ère nouvelle pourrait bien être une préparation évangélique inespérée, comme le fut jadis le réseau des voies romaines et la lingua franca qui couvrait le pourtour de la Méditerranée. L’ignorance religieuse que les barbons reprochent aux jeunes de ce temps présente au moins l’avantage d’être vierge de conflits et de contentieux à régler. Une terre propice donc à l’étonnement, au questionnement, à l’admiration. A la générosité aussi, quand on sait proposer à cette jeunesse des engagements personnels, libres et spontanés, même s’ils ne doivent être que ponctuels et de courte durée[5]. Autant de pierres d’attente, auraient dit les anciens missiologues, qui serviront un jour à construire en Occident l’Eglise de demain.

Le nouveau missionnaire devra nécessairement naviguer sur une mer d’indifférence et par des nuits sans lune. Mais cet océan est parsemé d’îlots d’espérance. A lui de les aborder, de s’y agripper et d’y dresser sa tente[6]. Il en est bien d’autres sur cette terre encore incognita. Il se pourrait même que l’indifférence ne soit que la façade qui cache un désir d’absolu, enfoui au plus secret des coeurs. Jésus n’a-t-il pas dit que le Père parle dans le secret? Le secret d’une chambre fermée à double tour, le secret d’un cœur cadenassé, le secret du mystère de Dieu finalement. Le nouveau missionnaire ne se laissera donc pas désarmer par des réactions ou des discours qui lui paraîtront de prime abord hostiles ou indifférents. Il se pourrait que ce ne soit là que démangeaisons épidermiques qui cachent un appel plus profond, étouffé le plus souvent par les préoccupations du moment. Le missionnaire ferait bien de se remémorer ce vers célèbre: «l’homme est un dieu tombé qui se souvient des cieux!« . Ce qui gît au plus intime de soi, le souvenir, l’appel ou la voix d’une transcendance, Dieu saura bien le faire surgir en plein jour. Le missionnaire facilite l’accouchement du divin. Socrate, familier de la maïeutique, l’avait déjà pressenti. Faut-il citer encore dans ce contexte cette maxime attribuée à un chercheur de Dieu bien connu?: «Notre cœur est agité, tant qu’il ne se repose en Toi, ô mon Dieu!». Attention! nous dirait aujourd’hui Augustin d’Hippone: une mer d’huile peut cacher des remous profonds.

Blés en herbe

Je suis donc optimiste face à la nouvelle évangélisation de la vieille Europe. A condition, bien sûr, qu’elle ne s’identifie pas à une restauration de formules éculées, qu’elle ne se contente pas d’aduler une hiérarchie prisonnière de comportements désuets. Qu’elle ait l’oreille fine et les yeux perçants pour observer de loin ces blés encore en herbe et ces moissons qui blanchissent. Que ces découvertes réjouissent et confortent le cœur des nouveaux apôtres. Que leur espérance rayonne bien au-delà des frontières de l’Eglise. Qu’ils deviennent des veilleurs sur la tour de garde et les remparts de la cité séculière. Qu’ils annoncent l’aurore à ceux qui « gisent dans l’ombre de la mort » et qui leur demandent, le cœur serré: « Veilleur, dis-nous où en est la nuit? » Qu’ils leur répondent que, par delà la grisaille. un nouveau jour se lève, qu’«un monde nouveau est en train de naître« .

La mission sera difficile. Nos contemporains sont nombreux à avoir été échaudés et blessés par les religions. Plus précisément par le comportement incohérent de leurs adhérents et de leurs représentants. L’appartenance confessionnelle du missionnaire pourrait bien être un handicap, un épouvantail qui fera fuir les candidats à la conversion. Qu’il assume donc ce passé douloureux et reconnaisse sa propre indignité, sans pour autant sombrer dans une culpabilité paralysante. Le nouveau missionnaire se souviendra aussi que le postmoderne donne peu d’importance au passé, mais adhère de préférence à un discours inédit qui parle à son cœur.

Dieu est de retour!

Le moment n’est-il pas venu de réhabiliter un discours sur Dieu[7], par-delà les formulations particulières ou partisanes que la « théo-logie » revêt dans les diverses religions? Une anecdote pourrait servir d’illustration. J’étais invité, il y a peu, avec un rabbin et un notable musulman, à répondre aux questions posées par des élèves de classe terminale d’un Institut privé. Une jeune fille prit son courage à deux mains pour me demander s’il était permis d’applaudir, oui ou non, dans une église. Je me rendis compte que cette banalité n’était qu’une dérobade qui cachait un questionnement autrement plus sérieux: celui de la croyance ou de la non croyance en un Etre transcendant, distinct de notre moi, moteur et guide de notre vie. J’orientai moi-même la discussion en ce sens. L’atmosphère cessa d’être badine et gamine. L’auditoire était gêné par cette intrusion dans sa vie intime. J’avais franchi la barrière du jardin secret, gardé jalousement par un mur de pudeur. C’est pourtant à ce niveau que la Parole se fait entendre. Me remontaient alors en mémoire ces versets de la Lettre aux Hébreux: «Vivante est la parole de Dieu,

[1] Les premières pages du dernier livre de Jean-Claude Guillebaud: Une autre vie est possible. Comment retrouver l’espérance, Paris, 2012, sont alarmistes à souhait. On ne saurait cependant reprocher à l’auteur de noircir à plaisir ce tableau. Il finit par convenir que « tout ne va pas si mal que le disent les pessimistes en chambre » (p.197) et se fait le prophète d’une « civilisation de l’empathie » (p.204).

[2] Je pourrais citer à ce sujet de larges extraits du livre du frère dominicain Thierry-Dominique Humbrecht: L’évangélisation impertinente. Guide du chrétien au pays des postmodernes, Parole et Silence, 2012.

[3] L’élargissement aux couples homosexuels des droits matrimoniaux reconnus aux couples hétérosexuels n’est pas le seul indice de cette désintégration. Dans certains pays (la France?) la majorité des enfants naissent désormais de couples non mariés, au civil comme au religieux. Et que dire des familles monoparentales ou recomposées, des divorces à répétition? Ces situations sont en voie de devenir aujourd’hui la règle générale. A tel point
-on me l’a dit – que les enfants qui naissent et grandissent dans un couple hétérosexuel uni sont gênés de l’avouer pour ne pas devenir la risée de leurs camarades.

[4] « Un cinquième des habitants de la Suisse se déclare sans appartenance religieuse. Un nombre qui a doublé depuis l’an 2000« , La Vie Protestante, Genève, novembre 2012, p.4. Ce nombre atteint 35% à Genève.

[5] Je ne saurais mieux faire que de recommander la lecture du «Petit guide de survie à l’usage de ceux qui veulent transmettre la foi aux jeunes, qui ont déjà essayé, et qui vont essayer encore», Paris, Editions de La Licorne, 2012. Un petit livre merveilleux du frère dominicain Yves Combeau, stimulant, encourageant et plein d’humour. Il s’adresse à tous ceux et celles qui se lamentent du fait que leurs ados n’épousent pas leur foi.

[6] Le dossier de ce numéro nous découvre quelques uns de ces lieux privilégiés.

[7] Comment ne pas faire référence dans ce contexte à l’essai magistral de Fabien Hadjaj, l’actuel directeur de l’Institut Philanthropos de Fribourg: Comment parler de Dieu aujourd’hui? Anti-manuel d’évangélisation? Editions Salvator, Paris 2012. Le style peut paraître déroutant, provocateur et surtout décapant. Un peu plus de 200 pages pour parvenir à cette conclusion étonnante, à laquelle je souscris: « L’essentiel n’est pas du côté de l’avoir mais de l’être. L’essentiel est d’être, avec le Christ, une parole vivante et livrée à autrui, et donc moins d’avoir une parole sur Dieu que d’être les uns les autres une parole de Dieu« . (p.215). Les nouveaux évangélisateurs feraient bien de graver dans leur mémoire les lignes directrices de cet « anti-manuel« .

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Guy Musy

Guy Musy

Le frère dominicain Guy Musy, du couvent de Genève, est rédacteur-responsable de la revue Sources

 

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