Edith Stein – Revue Sources https://www.revue-sources.org Thu, 15 Mar 2018 09:25:21 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.3.1 Edith Stein https://www.revue-sources.org/edith-stein/ https://www.revue-sources.org/edith-stein/#respond Thu, 15 Mar 2018 00:45:54 +0000 https://revue-sources.cath.ch/?p=2546

Flurin Spescha, suisse de culture romanche, a passé une grande partie de sa vie professionnelle à enseigner la philosophie dans un collège de Genève.

A l’heure de la retraite, conseillé par un éditeur genevois, il entreprend des recherches approfondies sur le parcours philosophique et religieux d’Edith Stein, morte au camp d’extermination d’Auschwitz le 9 août 1942. Traducteur en français de l’une et l’autre des œuvres de la philosophe juive allemande, devenue carmélite, Flurin Spescha vient de faire paraître aux Editions du Carmel (Toulouse 2017) un dernier ouvrage consacré à Edith Stein: «Au service d’une pensée. Edith Stein traductrice».

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L’actualité d’Edith Stein https://www.revue-sources.org/lactualite-dedith-stein/ https://www.revue-sources.org/lactualite-dedith-stein/#respond Wed, 30 Mar 2016 09:59:04 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=1207 [print-me]

Lorsqu’on se demande ce qu’Edith Stein – dans et pour l’Eglise sainte Thérèse Bénédicte de la Croix – représente aujourd’hui, on est pris entre deux mouvements. D’abord celui de se dire que tout a tellement changé dans notre monde qu’elle n’est une voix et un exemple que pour un petit monde. Puis celui de distinguer entre ce qui, chez elle relève d’une vertu, d’une force de résistance, et ce qui, pour tout homme ou femme en souci de sa religion, a valeur de proposition, sinon d’exemple.

Tout a changé

Souvenons-nous des conditions dana lesquelles Edith Stein, jeune intellectuelle assoiffée de «strenge Wissenschaft», de philosophie comme science rigoureuse, put aborder ses études; d’abord à Breslau puis à Göttingen, mais se voyant refuser toute habilitation et ayant pour seul horizon professinnel un enseignement au Lycée. Aujourd’hui, l’université est largement ouverte aux femmes, étudiantes ou professeurs; seules comptent les compétences.

La phénoménologie n’est plus une ascèse qui ouvre sur une science universelle. Toutes les disciplines scientifiques sont soumises aux impératifs de la formalisation la plus rigoureuse et centrées sur les progrès des moyens de découverte. L’esprit est fait objet; les sciences cognitives ignorent nécessairement ces avancées de la «conscience» phénoménologiques de l’Einsicht à l’Einfühlung, de l’intuition à l’empathie.

L’œuvre et la vie d’Edith Stein sont des motifs et des modèles de résistance.

Le langage «fonctionne» mais n’est plus une tradition du sens – des choses, de la vie, de l’Etre.

La philosophie pratique est ramenée aux disciplines vagues d’un art de vivre, et joue un rôle tout juste comparable à ce que fut celui du stoïcisme – ou de son contraire, l’hédonisme – dans la société romaine tardive. La religion n’est plus un domaine à conquérir en l’explorant, mais une forteresse éboulée à définitivement raser.

La résistance

C’est dans cette situation que la pensée, l’œuvre et la vie d’Edith Stein sont des motifs et des modèles de résistance.

Lorsqu’elle emprunte à sainte Thérèse d’Avila la fameuse image du château de l’âme, elle reprend une métaphore duelle: d’une part il s’agit de l’espace de la plus haute intimité, et d’autre part d’une forteresse, c’est-à-dire d’une place forte, d’un centre de résistance.

Résiter à la facilité

Edith Stein choisit toujours la difficulté et tire du silence intérieur la force d’affronter, de s’engager dans l’incertain ou l’inconnu. Dans l’inconnu de la phénoménalité des choses selon Husserl; dans l’inconnu du réalisme ontologique de Thomas d’Aquin; dans l’inconnu des profondeurs de l’âme, puis de la foi chrétienne. De la découverte des affinités entre le moi augustinien, cartésien, et husserlien jusqu’au moment où l’analogie de l’Ego vient supplanter l’anallogie de l’être: voilà qui correspond au courage de s’aventurer, même à l’intérieur de l’Eglise, dans des allées peu fréquentées.

Résister au mal et aux modes

Proposer une pédagogie fondée sur une anthropollogie chrétienne, c’est-à-dire donner à l’éducation une assise à la fois spirituelle et philosophique, était un acte de résistance immédiate au moment où la pédagogie devenait l’affaire d’un Etat totalitaire, mais qui vaut aujourd’hui d’avertissement, dès lors que la pédagogie est soumise aux mille pressions de réformateurs désorientés et d’une société sans repères ni perspectives cohérentes.

Résister à la mollesse

Là encore, c’est l’éducatrice qui se profile en cherchant pour les jeunes filles et les femmes des modèles de fermeté dans la tempérance et de courage dans la simplicité. La vertu est alors une forme donnée à l’âme; un effort sur soi qui ne crispe pas mais tend une corde prête à vibrer.

Résister à la peur

Se refuser à ce que la peur a d’envahissant; ne pas se laisser terroriser par la peur. Telle fut la véritable force d’Edith Stein devant la police nazie et sur le chemin de la déportation. Mais il faut imaginer la préparation intérieure que cela impliquait, quelle force intérieure cela supposait. Une force qui est de la responsabilité de chacun.

Une profonde judaïté

Qui peut se sentir interpellé par Edith Stein en dehors de ce cadre rigoureusement éthique et personnel? Par Edith Stein, juive convertie au Christ par ses amis protestants, puis conduite à l’Eglise par l’Esprit saint? Quiconque est amené à se demander si se convertir à une autre religion signifie nécessairement s’arracher à tout ce que représente la religion que l’on quitte. Outre le fait que le judaïsme précède immédiatement l’Evangile du Christ, et que le judaïsme est loin d’être fait d’une seule pièce, il faut entrer dans la familiarité de la moniale d’Echt pour voir combien de trésors la chrétienne retient de son judaïsme d’origine et en retrouve le sens théologal. Le choix du Carmel n’est pas étranger à cette appartenance profonde.

La première souffrance qu’Edith Stein endura au nom de Jésus fut sans doute la peine profonde qu’elle faisait à sa mère, juive inébranlable, en devenant chrétienne. Elle ne faisait que préfigurer les peines qu’elle aura à endurer en tant que juive, et qu’elle acceptera comme sa Croix et son Golgotha. Cette judéité profonde d’Edith Stein, et tout ce qui s’y relie, montre que le christianisme peut absorber en les épurant des «croyances», des «relations», des «traditions» chargées de dispositions du cœur prêtes à découvrir dans le prolongement de leur ferveur les mystères du Dieu d’Amour.

Une place dans le dialogue interreligieux

Si Edith Stein a sa place dans le dialogue œcuménique, elle dont la marraine de baptême, Hedwig Conrad-Martius, était luthérienne, elle l’a aussi dans le grand dialogue interreligieux. Bien évidemment en qualité de juive. Mais la place de l’islam y est aujourd’hui marquée, comme celle d’un choix décisif entre la chute dans la Terreur qu’Editd Stein subit sous la forme des camps de concentration, et la soumission à la volonté d’Allah – le nom arabe de notre Dieu – à laquelle elle conforme toute sa vie, le sachant ou non, mais qu’elle assume tragiquement sous la forme d’un chemin de mépris et d’abjection

Résistance à la mondanité du monde, solidarité avec les intelligences méthodiquement ordonnées à la Vérité, empathie avec les esprits tournés vers l’Etre éternel: tels me semblent les traits décisifs qui maraquent à jamais le vrai visage d’Edith Stein.

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Philibert Secrétan professeur émérite de philosophie de l’université de Fribourg s’est fait connaître par plusieurs ouvrages consacrés à la vie et aux écrits d’Edith Stein.

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Le féminisme chez Edith Stein https://www.revue-sources.org/feminisme-chez-edith-stein/ https://www.revue-sources.org/feminisme-chez-edith-stein/#respond Wed, 30 Mar 2016 09:48:49 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=1204 [print-me]

Voilà bien des années que cet ouvrage se trouve en librairie et dans les bibliothèques, mais surtout, nous l’espérons, entre les mains de beaucoup de lectrices et de lecteurs. C’est faute de place, semble-t-il, que la rédaction de SOURCES a dû, en son temps, mettre de côté notre compte-rendu. Nous donnons volontiers notre accord à sa publication dans le prochain numéro de la revue. Cela nous permet d’y insérer quelques éléments nouveaux.

A celles et ceux qui aiment et qui fréquentent l’oeuvre d’Edith Stein, le nom de Sophie Binggeli est bien connu. Cette auteure a participé à de nombreuses recherches concernant l’oeuvre d’Edith Stein. Elle a collaboré à la nouvelle édition complète (ESGA) en allemand. Pour le volume 13 de cette édition, publié en l’an 2000 et consacré aux textes dans lesquels Edith Stein parle de la femme, Sophie Binggeli a été chargée d’écrire l’Introduction. On y trouve, repris et amplifié, un exposé qu’elle avait présenté lors d’un colloque qui eut lieu en 1998 et dont les Actes furent publiés en 1999 par Vincent Aucante sous le titre Edith Stein. La quête de vérité. Sept ans plus tard a paru le tome II des «Textes spirituels», (ESGA 20), dont la rédaction et la présentation furent placées entre ses mains. Nous y découvrons les fruits d’un formidable labeur de lecture – et de numérisation – des nombreux texte se trouvant dans les Archives Edith Stein à Cologne. Sophie Binggeli doit désormais, nous semble-t-il, être comptée parmi les personnes qui connaissent le mieux les manuscrits steiniens.

Voici qu’elle nous propose maintenant en son propre nom un ouvrage fort volumineux, dans lequel elle cherche à cerner autant que possible tout ce qu’Edith Stein a dit et écrit de la femme. Quant au titre, quelque peu surprenant, elle s’en explique. A la base de ce livre, il y a une thèse, soutenue par l’auteure en l’an 2000 à l’université de Lyon. Le texte de sa thèse a été repris, pour la publication, afin qu’y soit intégré tout ce que la nouvelle édition en allemand et les deux premiers volumes de l’édition en français (dont: La femme. Cours et conférences. Introduction, traduction, annotations et annexes par Marie-Dominique Richard. Paris, 2008, 512 pages) ont apporté d’éléments nouveaux. En ne disant pas «la femme», mais «le féminisme» chez Edith Stein, l’auteure veut manifester sa volonté de confronter la pensée d’Edith Stein avec les débats et les controverses de notre temps.

Sophie Binggeli doit désormais être comptée parmi les personnes qui connaissent le mieux les manuscrits steiniens.

Comment Sophie Binggeli aborde-t-elle ce sujet complexe? Elle le fait en quatre grands chapitres, de nature fort diverse. Le premier retrace ce qu’elle appelle «un destin contrasté». Il est de lecture aisée et vise à reprendre les grandes étapes de la vie d’Edith Stein, afin de montrer comment la thématique de la femme est enracinée dans sa vie et dans ses préoccupations. Rien de très nouveau quant aux faits, mais important quant à la perspective choisie. Bien plus ardue, en revanche, la lecture du chapitre suivant. Il décortique «le choix de la méthode», à savoir celle par laquelle Edith Stein en vient à traiter ces problèmes. Il y a tout d’abord la méthode phénoménologique, celle qu’Edith Stein a acquise auprès de son maître Edm. Husserl, puis ce que Sophie Binggeli appelle – à notre avis d’une manière trop globale – «la théologie», à savoir ce que la fréquentation de la Bible et de trois grands auteurs chrétiens, Augustin, Thérèse d’Avila et Thomas d’Aquin, a apporté de nouveau dans la pensée steinienne. Nous pensons que c’est ici qu’il y aurait le plus à dire quant à la façon de traiter la matière, si l’on voulait entrer en discussion avec l’auteure.

Ces deux parties – introductives – achevées, arrive ce qu’on peut nommer le véritable fond de l’ouvrage: la pensée d’Edith Stein sur la femme. Sophie Binggeli ouvre ici deux chemins. Le premier est celui de l’approche philosophique et théologique. Avec un sens prononcé du dialogue, l’auteure procède par questions, celles-là même qu’Edith Stein avait l’habitude de poser dans ses conférences et ses cours. En philosophe, celle-ci, tout en ne négligeant pas les problèmes pratiques – vie professionnelle, insertion dans la vie publique et ecclésiale – ne cesse de chercher à déterminer en quoi consiste la spécificité de la femme, en quoi consiste la manière particulière féminine de réaliser la nature humaine. Ici, on ne peut qu’admirer le courage et la ténacité que Sophie Binggeli met à se battre avec la terminologie complexe et, nous ne craignons pas de le dire, passablement hasardeuse, qu’elle trouve chez Edith Stein. Le ton devient nettement plus calme et accessible lorsqu’il est question de «l’être maternel de la femme», de «l’âme de la femme», puis de «l’image biblique de la femme et sa vocation». Ces pages mériteraient d’être reprises dans une publication ouverte à un public plus large que celui auquel était destinée la thèse universitaire.

Le second chemin, qui occupe le quatrième et dernier chapitre, est celui où l’auteure est certainement le plus à l’aise et où elle fait d’ailleurs oeuvre de pionnière: c’est celui de «l’approche littéraire et spirituelle». Jeune, Edith Stein s’est beaucoup passionnée pour la littérature, et c’est tout naturellement qu’elle a fait elle-même des tentatives d’écriture poétique. Sophie Binggeli, tout en mentionnant les nombreux poèmes, focalise toutefois son attention sur l’oeuvre dramatique. Celle-ci s’insère dans une tradition du Carmel, sur laquelle le présent ouvrage apporte bien de la lumière. Dans le cadre de ce que les carmélites appellent «les récréations extraordinaires», souvent liées aux fêtes liturgiques, les religieuses aiment s’adonner à des représentations scéniques. Edith Stein a créé plusieurs pièces pour de telles occasions, le plus souvent sous forme de dialogues. Sophie Binggeli accorde une grande attention à une de ces pièces, «Dialogue nocturne», qui date de juin 1941, que l’auteure qualifie de «testament spirituel». Ce dialogue met en scène un personnage biblique très important pour Edith Stein, à savoir la reine Esther. A travers ce personnage et cette pièce, Edith Stein a transmis non seulement à sa communauté, celle du couvent d’Echt, en Hollande, où elle a vécu ses dernières années, mais au Carmel tout entier, et à toute l’Eglise, sa profonde préoccupation pour «son peuple», le peuple juif, en butte, à cette époque-là, à une des plus terribles persécutions qu’il n’ait jamais connues.

L’ouvrage comporte une série d’Annexes et une bonne bibliographie.

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Flurin M. Spescha

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L’édition des œuvres d’Édith Stein https://www.revue-sources.org/ledition-oeuvres-dedith-stein/ https://www.revue-sources.org/ledition-oeuvres-dedith-stein/#respond Wed, 30 Mar 2016 09:40:40 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=1201 [print-me]

Il y a déjà un certain temps, le rédacteur de SOURCES nous pria d’informer les lecteurs de la revue sur l’état de l’édition des œuvres d’Édith Stein. Nous avons très volontiers satisfait à sa demande. Les mois ayant passé, nous reprenons notre texte, afin de le mettre à jour.

Editions en allemand

En allemand, il y a eu tout d’abord à partir du milieu des années 50 une première édition se voulant aussi complète que possible, sous le titre général de Edith Steins Werke (ESW). Ce fut l’œuvre de Lucy Gelber, collaboratrice aux Archives Husserl et conservatrice de l’Archivum Carmelitanum Edith Stein, et du frère carme Romaeaus Leuven, de la province de Hollande. Ces deux personnes firent œuvre de sauvetage et de mise en ordre des manuscrits, puis de publication. L’édition parvint au total à 18 volumes. A la suite de différentes réorganisations des Archives, la décision fut prise, à la fin du siècle dernier, de mettre en route une nouvelle édition, l’Edith Stein Gesamtausgabe (ESGA), aux éditions Herder. Un ensemble très imposant était prévu dès le début. Aujourd’hui, cette entreprise est parvenue à son terme. Le 27ème et dernier tome a paru en novembre 2015. Il s’agit du volume contenant des textes de phénoménologie et ontologie de la période allant de 1917 à 1937. Sept tomes contiennent des traductions de divers auteurs (Alexandre Koyré, John H. Newman, saint Thomas d’Aquin, Denys l’Aréopagite). Cette édition servira désormais de base pour tout travail de recherche et pour toutes les traductions vers d’autres langues.

S’il faut saluer cet immense travail d’édition, dont l’initiative revient à l’Institut international Edith Stein de Würzburg, il convient également de signaler les problèmes de diverses sortes qu’il a engendrés. Au plan pratique et économique, cette double édition, distante de peu d’années, pour certains volumes, a entraîné des coûts considérables pour celles et ceux qui veulent se procurer l’ensemble de l’œuvre. Au plan de la lecture et de la rédaction d’études et d’ouvrages, la recherche et la mise en place des références aux sources deviennent très compliquées. Une assez grande partie des ouvrages de langue française sur Edith Stein – pour ne parler que de ceux-ci – ont été rédigés sur la base des ESW. Le lecteur d’aujourd’hui, ne possédant pas forcément ces anciens volumes, aura de la peine à trouver le texte original auquel les différents auteurs se réfèrent, d’autant plus que les textes ne sont pas publiés dans le même ordre. Des difficultés se présentent également au sujet des traductions. Bien des textes d’Edith Stein ont été traduits à partir de l’édition ESW. Or, celle-ci n’était pas ausssi fiable que la nouvelle édition, fondée sur un travail éditorial beaucoup plus précis. Les éditeurs seront obligés, dans certains cas, de faire reprendre les traductions et d’en faire des rééditions.

Editions en français

Ceci nous amène à parler de l’édition de l’œuvre steinienne en langue française telle qu’elle se présente en ce début de l’année 2016. Nos lecteurs savent qu’il y a une bonne vingtaine d’années, la maison d’édition Ad Solem, dont le siège se trouvait alors à Genève, fit de la publication en français de l’œuvre d’Edith Stein un de ses grands projets. Toute une série de textes et bien des ouvrages consacrés à divers aspects de cette œuvre virent le jour. Bien des ouvrages de et sur Edith Stein ont également paru aux Editions du Cerf. Maintenant, le programme d’une édition unifiée et complète, sous le titre Œuvres steiniennes, est assumé en commun par trois maisons d’édition: Ad Solem – Editions du Cerf – Editions du Carmel. Voici, en quelques traits, où en est aujourd’hui cette entreprise éditoriale.

Nommons, pour commencer, le volume déjà bien connu qui porte le titre Vie d’une famille juive 1891-1942, réédition de l’ouvrage paru une première fois déjà chez Ad Solem à Genève. C’est le premier volume publié en commun par les trois éditeurs. Il est d’une lecture aisée et permet de découvrir bien des événements ayant marqué la vie d’Edith Stein. Il constitue aussi un arrière-fond très utile pour la lecture des deux volumes de la Correspondance dont voici les indications essentielles.

Correspondance I (1917-1933). Introduction, traduction et annotations de Cécile Rastoin. Œuvres steiniennes. Paris, 2009, 767 pages, et Correspondance II (1933-1942). Introduction, traduction et annotations de Cécile Rastoin. Œuvres steiniennes. Paris 2012, 792 pages. – Dans l’édition allemande, la correspondance est repartie sur trois volumes (ESGA 2-4). Le troisième est réservé à la correspondance entre Edith Stein et son ami Roman Ingarden, philosophe polonais, amis d’Edith Stein dès le temps des études à Göttingen. Dans l’édition française, les lettres de ce volume ont été intégrées dans l’ensemble de la correspondance, d’où l’édition en deux volumes. Du point de vue de la cohérence chronologique, l’avantage est évident. Pour le lecteur, il y a toutefois un inconvénient: les deux volumes sont d’une dimension considérable, chacun comptant près de 800 pages. A signaler que les lettres sont accompagnées d’un très grand nombre de notes qui fournissent des informations extrêmement éclairantes.

Le plan et le rythme de la publication des œuvres proprement dites d’Edith Stein ne sont pas annoncés par les éditeurs. On ne peut donc pas savoir, combien d’années durera cette publication. Jusqu’à ce jour (printemps 2016), cinq volumes ont paru, à notre connaissance.

Cinq volumes parus

Le premier ouvrage publié est La femme: cours et conférences. Introduction, traduction, annotations et annexes par Marie-Dominique Richard. Paris, 2008, 509 pages.

Ce volume réunit tout d’abord une série de conférences qu’Edith Stein à consacrées à des questions touchant la nature de la femme, son rôle comme éducatrice, sa place dans la société, civile et politique, et dans l’Eglise. On sait que ces questions ont beaucoup préoccupé Edith Stein déjà au temps de ses études. Lorsqu’elle fut appelée, après sa conversion, à intervenir lors de réunions, de colloques, de journées d’études, devenant peu à peu une voix très recherchée dans toute l’Allemagne, elle fit une large place à la thématique féminine. Nommée enseignante à l’Institut allemand de sciences pédagogiques à Münster, elle fut chargée, pour son premier semestre, printemps/été 1932, de développer la thématique de la formation spécifique des jeunes filles. Ce cours – qui paraît ici pour la première fois en français – s’adressait à des enseignants/enseignantes, soit déjà formé(e)s et en activité, soit en préparation. A cette époque, les études se faisaient séparément, jeunes gens d’un côté, jeunes filles de l’autre. Il était donc de grande importance d’établir ce qui constituait la spécificité de la formation des jeunes filles. Edith Stein fait ici entrer en jeu tout ce que sa propre activité d’enseignante, à Spire, et ses conférences lui avaient permis d’engranger en fait de réflexion et d’échange avec des publics très divers. On trouve également dans ce volume des compte-rendus de discussions, parfois fort animées.

Avec l’ouvrage suivant, nous remontons tout au début de la carrière d’Edith Stein. En voici le titre: Le problème de l’empathie. Traduction de Michel Dupuis, revue par Jean-François Lavigne. Paris 2012, 223 pages. Il s’agit de la partie essentielle de la thèse de philosophie qu’Edith Stein présenta, sous la direction de son «maître», Edmund Husserl, à l’université de Fribourg en Brisgau en 1916. En allemand, le titre dit Zum Problem der Einfühlung. Le mot «empathie», très à la mode actuellement, rend, me semble-t-il, fort bien le terme allemand choisi par Edith Stein. La genèse de cette thèse de doctorat est longuement évoquée par Edith Stein elle-même dans la partie autobiographique de La vie d’une famille juive. Le rôle joué par l’assistant de Husserl, Adolf Reinach, est notamment mis en lumière. Les examens eurent lieu début août 1916, donc en pleine guerre. – La thèse comprenait sept chapitres, dont seuls trois (chapitres II, III,IV) furent publiés en 1916 aux fins de sa promotion. Les chapitres I (L’histoire du problème de l’empathie), V (La phénoménologie de l’empathie et son impact sur la communauté sociale), VI (L’empathie dans la sphère éthique), VII (L’empathie dans la sphère esthétique), n’ont pas été publiés et ont malheureusement disparu. Pour Edith Stein, ce travail constitua une sorte de défi, la preuve qu’elle était devenue capable de produire quelque chose de personnel en philosophie. Dans cet écrit, obéissant évidemment aux exigences d’un travail académique, Edith Stein en vient toutefois à toucher à des problématiques qui seront par la suite au cœur de ses recherches, notamment celles de la personne, de l’intersubjectivité, du lien entre âme et corps, d’une théorie des valeurs.

Le lien n’est pas difficile à établir entre ce livre des débuts et le volume suivant: De la personne humaine. I – Cours d’anthropologie philosophique (Münster 1932-1933). Traduit de l’allemand et annoté par Flurin M. Spescha, avec la collaboration d’Anne-Sophie Gache et Grégory Solari. Paris 2012, 278 pages. Le titre est suffisamment explicite pour qu’il ne soit pas besoin d’en faire un long commentaire. Alors que la thématique du premier cours, à Münster, lui fut pour ainsi dire imposée, celle du deuxième semestre, automne/hiver 1932/33 répondit davantage à ce qu’Edith Stein cherchait à pouvoir faire passer dans le cadre de l’Institut de Münster: présenter à des auditeurs philosophiquement peu formés les fondements de tout travail pédagogique. Dans une première étape, elle aborda cette thématique au plan philosophique. Le volume dont il est ici question contient le cours que les éditeurs ont qualifié d’anthropologie philosophique. Le volume allemand porte un titre un peu différent: Der Aufbau der menschlichen Person, ce qui pourrait se traduire par genèse et structure de la personne humaine. Edith Stein traite son sujet avec grande liberté, mettant à profit une méthode phénoménologique qui lui était familière, mais parcourant également des chemins que la fréquentation de saint Thomas lui avait ouverts. A la fin, elle fait déjà les premiers pas vers l’anthropologie théologique, sujet qu’elle envisageait de développer au semestre suivant, printemps/été 1933.

Un recueil particulièrement important est celui qui porte le titre Source cachée. Œuvres spirituelles. On en avait déjà vue une première édition, en 1998, chez Ad Solem, et on trouve maintenant le même ouvrage édité par les trois éditeurs dans le cadre des Œuvres steiniennes, publié une année plus tard, 1999. La traduction des textes est due à Jacqueline et Cécile Rastoin, l’introduction est signée Didier-Marie Golay, carme. Une partie de cette Introduction a pour titre Itinéraire d’une vie. Ce volume contient un grand nombre de textes: La prière de l’Eglise, Quatre vies de femmes façonnées par l’Esprit Saint, des textes placés sous le titre Suivre le Christ, qui parlent essentiellement de la spiritualité du Carmel, enfin des Dialogues et des Poèmes. Un livre à méditer.

Le cinquième volume paru est de grande ampleur et tient une place particulière dans l’ensemble de l’œuvre steinienne: Science de la Croix précédé de Voies de la connaissance de Dieu. Traduction critique de Cécile Rastoin. Introduction de Cécile Rastoin et Christof Betschart. Paris 2014, LIII-493. Comment en parler? L’ouvrage au titre énigmatique – science de la Croix – est le dernier ouvrage écrit par Edith Stein, dans les mois qui ont précédé son arrestation et sa mort. Elle l’a rédigé à la demande de ses supérieures en vue de la célébration du quatre-centième anniversaire de la naissance de saint Jean de la Croix (1942). Ce devint pour Soeur Bénédicte l’occasion d’enfin écrire quelque chose d’important sur un personnage – auteur, mystique, saint, «Père» des carmes – qui n’a cessé de l’accompagner et de l’inspirer au cours de nombreuses années. Son but n’est pas d’écrire une vie de Jean de la Croix ni de présenter sa pensée ou sa doctrine, c’est «une tentative pour saisir Jean de la Croix dans l’unité de son être, telle qu’elle se manifeste dans sa vie et dans son œuvre» (p. 97). Il faut une lecture patiente pour suivre le cheminement que l’auteure se fraie à travers les principales œuvres – et surtout les chants mystiques de Jean de la Croix – et pour découvrir ce qu’elle cherche à dire – en se confrontant à Jean de la Croix – sur la thématique qui a depuis toujours été au centre de ses préoccupations de philosophe: «… ce que l’auteur (Edith Stein!) croit, dans l’effort de toute sa vie, avoir saisi des lois de l’être et de la vie spirituels» (ibid.). On trouve donc dans cet écrit en quelque sorte deux recherches, inséparables l’une de l’autre. Ce fut pour Sœur Bénédicte aussi bien un hommage à Jean de la Croix qu’une reprise, dans une nouvelle lumière, de ses recherches infatigables sur la personne, sur la place de l’âme «dans le royaume de l’esprit et des esprits» (pp.268-309). Dans le volume sous revue, ce grand ouvrage est précédé d’un texte déjà fort bien connu, mais retraduit et soigneusement introduit: Voies de la connaissance de Dieu, consacré à «la théologie symbolique» de Denys l’Aréopagite. La rédaction de ce texte date de l’année 1941 et devait répondre à la demande venant d’un phénoménologue américain, Marvin Farmer, rédacteur d’une revue paraissant à Buffalo, qui voulait de sa part une contribution. Mais plus fondamentalement, l’étude des écrits de l’Aréopagite faisait depuis pas mal de temps déjà partie de ses occupations philosophiques et théologiques. Scruter la théologie «symbolique» de cet auteur a pu servir d’une voie d’accès à l’œuvre de saint Jean de la Croix. L’idée de joindre en un même volume les deux écrits peut donc paraître tout à fait justifiée. – La place des introductions, des préfaces et des annotations est considérable et permet de connaître l’état le plus récent des recherches menées autour de ces deux textes.

Les Cahiers

On nous permettra de signaler pour terminer que parallèlement à l’édition des œuvres mêmes d’Edith Stein, les trois maisons d’édition font également paraître des Cahiers d’études steiniennes. En voici les titres parus jusqu’à ce jour (2016):

de Rus, Éric, L’Art d’éduquer selon Edith Stein. Anthropologie, éducation, vie spirituelle. Préface par Marguerite Léna, 2008;

de Gennes, Marie-J., (sous la direction de), Une femme pour l’Europe: Edith Stein (1891-1942). Paris 2009, 407 pages. (Ce sont les Actes du colloque international de Toulouse, qui eut lieu le 4/5 mars 2005.);

de Rus, Éric, La personne humaine en question. Pour une anthropologie de l’intériorité. Paris 2011, 129 pages. (Le même auteur vient de publier aux Editions Salvator un nouveau livre sur l’art d’éduquer sous le titre La vision éducative d’Edith Stein. Approche d’un geste anthropologique intégral. Paris 2014.)

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Flurin Spescha fut professeur de philosophie à Genève. Traducteur des œuvres d’Edith Stein.

 

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