démocratie – Revue Sources https://www.revue-sources.org Tue, 25 Jul 2017 11:54:27 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.3.1 Démocrates et populistes https://www.revue-sources.org/democrates-et-populistes/ https://www.revue-sources.org/democrates-et-populistes/#respond Mon, 24 Jul 2017 08:00:39 +0000 https://revue-sources.cath.ch/?p=2313 [print-me]Ce sont les sans culottes de 1789 qui nous ont hissés sur le chariot de la démocratie, après qu’ils eurent fait un sort à leur «monarque». Depuis lors, nous nous laissons, non pas voguer, mais bringuebaler sur ce landau vétuste. Vaille que vaille, il faut bien le reconnaître. Gouvernement du peuple, par et pour le peuple, proclament les admirateurs irréductibles ; Imposture et Comédie, vocifèrent ceux qui connaissent les astuces et les ficelles des manipulateurs, connus ou anonymes, qui font dire au peuple – belle abstraction! – ce qu’ils veulent qu’il dise et comment ils désirent qu’il le dire. Nous serions bien empruntés toutefois de mettre au rancart ce vieil équipage, après plus de deux siècles de bons et moins bons services. Alors que les contrefaçons actuelles le caricaturent et le discréditent. Que ce soit en Afrique ou la démocratie prend la forme de dictatures héréditaires ou dans les nations émergentes où le mépris des droits humains s’enrobe d’une logorrhée aux accents des Lumières.

Le diable se serait-il affublé d’un froc d’ermite pour devenir fréquentable?

Et voilà le populisme, dont tout le monde parle aujourd’hui! Cure de jouvence pour les vieux démocrates? Ou alors, nouvelle imposture? Le diable se serait-il affublé d’un froc d’ermite pour devenir fréquentable? Plusieurs articles de ce dossier sont dus à la plume d’experts particulièrement compétents. Ils nous aident à faire le tri entre le bon grain et l’ivraie. L’envergure politique et philosophique de ces intervenants non seulement nous honore, mais garantit le sérieux de leurs propos.

Notre regard porte sur la société civile, évidemment. Aurions-nous pu faire la même analyse sur cette société qu’on appelle Eglise? Elle s’est toujours refusée d’appliquer à son mode de gouvernement les diverses formes qu’emprunte le pouvoir civil. Donc, ni démocratie, ni populisme, ni monarchie, ni dictature… Reste que le pouvoir ecclésiastique est exercé par des humains. Ils ont pu être influencés par des modèles laïcs. Nous avons connu des papes autocrates, condamnant les libertés individuelles; d’autres ont fait preuve d’ouverture à la collégialité. D’autres encore ont combattu la dictature athée, tout en demeurant conciliants face à d’autres régimes totalitaires. Quant aux papes populistes… No comment!

Une seule exception – mineure – à cette réserve éditoriale: la législation dominicaine. Elle fait l’objet d’une note particulière de ce dossier. Le cas est assez original pour qu’il en soit ici question. Et comment ne pas y faire allusion dans une revue qui se veut «dominicaine»?[print-me]


Frère Guy Musy, dominicain, rédacteur responsable de la revue «Sources».

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Le souverainisme nationaliste: une illusion dangereuse https://www.revue-sources.org/souverainisme-nationaliste-illusion-dangereuse/ https://www.revue-sources.org/souverainisme-nationaliste-illusion-dangereuse/#respond Mon, 24 Jul 2017 07:10:16 +0000 https://revue-sources.cath.ch/?p=2335 [print-me]La conjonction du souverainisme et du nationalisme a trouvé au cours des dernières années des expressions de plus en plus perceptibles dans la vie politique d’un certain nombre d’Etats, petits et grands.

L’idéologie du souverainisme nationaliste a trouvé un sol fertile dans des sociétés décontenancées par des phénomènes divers tels que les migrations, les disparités sociales sur fond de crises économiques, les effets d’une mondialisation non maîtrisée ou les limites d’intégrations régionales perçues comme trop exclusivement mercantilistes.

Aussi réelles et sérieuses que puissent être les causes des préoccupations, et aussi nécessaire qu’il soit de les identifier correctement et de les traiter, l’exploitation politique qui en est faite sous la forme de l’exacerbation d’émotions souverainistes et nationalistes est pernicieuse et même dangereuse.

L’instrumentalisation de la souveraineté et de la nation à des fins de politique partisane corrompt la démocratie et, comme l’histoire des hommes l’a tragiquement démontré, porte en germe le risque de déstabilisations pouvant conduire à des conflits violents, non seulement à l’intérieur des Etats mais aussi entre eux. La conjonction entre la souveraineté érigée en principe suprême et la nation célébrée comme un mythe crée une illusion dangereuse.

Souveraineté et patriotisme

Les discussions sur ce thème étant souvent passionnées, il importe de laisser de côté les émotions et de commencer par clarifier les éléments du débat. Pour commencer et pour éviter tout malentendu, il convient de souligner que la notion de souveraineté et celle de nation ne sont pas nécessairement problématiques en elles-mêmes. Bien au contraire, conçues de manière saine et ajustée, elles désignent des réalités importantes des sociétés politiques nationales et internationales.

La souveraineté est généralement définie comme la suprématie du pouvoir à l’intérieur des Etats, et l’indépendance à l’égard de l’extérieur. Qui contesterait la nécessité pour un Etat d’être doté d’autorités, de règles et de procédures garantissant l’exercice du pouvoir suprême de manière légitime? Qui mettrait en cause la nécessité pour un Etat d’assurer son indépendance à l’égard de puissances tierces? La promotion du bien commun au niveau national, le principe de subsidiarité et celui de participation exigent que le pouvoir soit exercé le plus près possible des personnes concernées. Dans cet esprit, toutes les formes d’impérialisme ou de néocolonialisme doivent être rejetées.

La vision de la sécurité et du bien-être propagée par les souverainistes nationalistes est une illusion

De même, l’attachement à la nation, à sa culture, à son patrimoine linguistique, à son histoire, aux acquis résultant d’efforts communs et à des valeurs partagées justifie pleinement un patriotisme qui est l’expression légitime d’un sentiment d’appartenance et de la conscience de devoir servir le bien commun de la patrie. Le soin de l’indépendance et le patriotisme ne sont pas l’apanage exclusif des souverainistes nationalistes, contrairement à ce qu’ils prétendent.

La souveraineté étatique n’est pas une valeur absolue.

La souveraineté étatique ou, plutôt, l’égalité souveraine des Etats est l’un des principes les plus fondamentaux de l’ordre juridique international, établi comme tel par la Charte des Nations Unies. Le non-respect de ce principe a été la cause et continue d’être la source de trop nombreuses tragédies. Il est donc essentiel de continuer à défendre ce principe et à le promouvoir. Il se trouve pourtant que la souveraineté n’est pas absolue. Elle se heurte à d’importantes limites, en particulier celle de l’obligation de respecter un autre principe encore plus fondamental, celui de la dignité de la personne humaine.

La Charte des Nations Unies, elle aussi, telle qu’elle a été complétée par la Déclaration universelle des droits de l’homme puis par de nombreux pactes et traités destinés à protéger ces droits, rappelle la nécessité, dans le but de «préserver les générations futures du fléau de la guerre», de proclamer «notre foi (…) dans la dignité et la valeur de la personne humaine». Et voilà qu’est établi le lien entre sécurité et respect des droits de l’homme. La souveraineté conçue comme une valeur absolue, détachée de l’obligation de respecter des principes humains essentiels, est incapable d’assurer la sécurité. Au contraire, elle offre à des dirigeants irresponsables le prétexte d’un bouclier contre ce qu’ils appellent une ingérence dans les affaires intérieures. Il se peut bien qu’un Etat démocratique dont les institutions fonctionnent dans le respect du droit n’ait, pour lui-même, qu’un intérêt relatif à être partie à des traités en matière de droits de l’homme dès lors que sa constitution énoncerait les garanties nécessaires. Mais comment ne verrait-il pas qu’il est de son intérêt primordial que les autres Etats avec lesquels il vit en communauté respectent eux aussi les mêmes principes? Le respect du droit, des droits de l’homme et de la démocratie ne suffisent pas, à eux seuls, à établir la paix, mais ils sont des conditions essentielles de l’instauration et du maintien de la paix. L’obligation mutuellement consentie de mettre en oeuvre des conventions internationales en matière de droits de l’homme contribue à créer une sorte d’ordre public international dont chaque Etat partie est bénéficiaire.

Le droit d’ingérence

Oui, la souveraineté est nécessaire mais encore faut-il qu’elle soit exercée de manière responsable. La souveraineté d’un Etat comporte des droits mais aussi des obligations, en particulier celle de protéger sa population contre les risques les plus graves tels que le génocide, les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et les autres violations massives des droits de l’homme. Il s’agit d’une responsabilité primaire des autorités nationales. En vertu du principe de subsidiarité c’est à l’Etat qu’incombe au premier chef l’obligation de protéger sa population.

Mais qu’en est-il des situations dans lesquelles l’Etat est incapable de mettre en œuvre ses devoirs les plus fondamentaux? A l’évidence, la communauté internationale ne peut pas abandonner la population à son sort. L’ordre juridique international a peu à peu développé des obligations de prévention et d’assistance, sous diverses formes. Les populations victimes d’exactions n’ont-elles pas aussi un droit à l’assistance? Il importe de souligner pourtant que l’aide venue de l’extérieur doit, elle aussi, respecter des exigences fondamentales du droit, à commencer par la nécessité de recourir en priorité à des moyens non militaires et à ne faire usage de la force armée qu’en tout dernier ressort, dans le respect du principe de proportionnalité, et conformément aux règles de compétence en vigueur. L’intervention unilatérale souvent motivée par la défense d’intérêts nationaux de la puissance intervenante ne correspond pas à ces exigences. Il faut reconnaître malheureusement que des interventions dites humanitaires ont souvent eu des conséquences dramatiques, mais aussi que des populations ont été abandonnées aux intérêts conflictuels des puissants et à la barbarie de chefs de guerre.

Quand la démocratie devient antidémocratique

Comme on l’a vu, l’exercice responsable de la souveraineté présuppose le respect des droits de l’homme et de l’état de droit. Cette affirmation conduit à situer la problématique dans sa relation avec la démocratie. Certes le plus grand danger pour la paix émane de régimes autocratiques ou dictatoriaux. Mais ne convient-il pas aujourd’hui de considérer aussi les risques de déstabilisation qui émanent de régimes portés au pouvoir par des mécanismes formellement démocratiques mais guidés par des comportements qui mettent en cause l’authenticité démocratique de ces régimes?

L’instrumentalisation de frustrations populaires parfois compréhensibles, les manipulations de l’opinion publique, l’usage systématique de fausses nouvelles, les interférences occultes de puissances étrangères sont autant de développements dont le potentiel a été considérablement accru par l’usage de nouvelles technologies et qui mettent à rude épreuve la culture démocratique.

Que faire pour répondre à ces défis? Il faut commencer par se souvenir du fait que la démocratie ne repose pas seulement sur des mécanismes formels destinés à permettre l’expression de la volonté politique mais qu’un régime n’est pleinement démocratique que s’il respecte des valeurs et des principes fondamentaux. Pourquoi ne pas rappeler à ce propos les principes proposés par l’enseignement bien établi de l’Eglise catholique en matière de vie en société: dignité de la personne humaine, bien commun, destination universelle des biens, participation et solidarité? Ou encore les valeurs qui doivent présider à la mise en œuvre différenciée et combinée de ces principes: la liberté, la vérité, la justice et l’amour? Lorsque la souveraineté populaire est instrumentalisée à des fins de politique partisane, d’une manière qui flatte les émotions souverainistes et nationalistes, le risque est grand que des processus formellement démocratiques conduisent à des choix politiques qui, à terme, soient contraires à ce qui constitue une véritable démocratie. Il existe bien des limites matérielles à ce qui peut être décidé au moyen de mécanismes formellement démocratiques. Cette règle n’est généralement pas acceptée par les positivistes. Mais elle constitue un ultime rempart contre une conception absolutiste de la souveraineté démocratique et un moyen de sauvegarder les principes essentiels d’humanité. Pour être légitime, la démocratie doit être conçue dans une relation interactive étroite entre les trois composantes d’une fameuse trilogie: démocratie, droits de l’homme et état de droit.

Cette approche n’est pas nouvelle. Elle trouve l’une de ses plus belles expressions dans le Statut de Londres du Conseil de l’Europe de 1949. Au lendemain de la deuxième guerre mondiale, de grands européens inspirés par les richesses de l’humanisme judéo-chrétien, ont voulu établir la paix en Europe sur des bases durables, en commençant par identifier et combattre les causes ultimes de la catastrophe qu’ils venaient de traverser. C’est alors qu’ils ont voulu mettre en valeur ce qu’ils considéraient comme le fondement de leur action en se disant «inébranlablement attachés aux valeurs spirituelles et morales qui sont le patrimoine commun de leurs peuples et qui sont à l’origine des principes de liberté individuelle, de liberté politique et de prééminence du Droit, sur lesquels se fonde toute démocratie véritable».

A la base: dignité de la personne et le bien commun universel

Pour aller à l’essentiel en guise de conclusion, on peut noter que la vision de la sécurité et du bien-être propagée par les souverainistes nationalistes est une illusion, malheureusement périlleuse, qui souffre d’une déficience radicale, celle d’une conception erronée de la personne humaine, de sa dignité et du bien commun nécessaire au plein épanouissement de chaque personne. Le respect de la dignité humaine est une limite à la souveraineté. Et le bien commun ne se limite pas à celui de la communauté nationale. Il existe aussi un bien commun au niveau des régions du monde et un bien commun universel. La communauté humaine a vocation à être organisée en société politique, à tous les niveaux, de la communauté locale à la famille humaine tout entière, bien sûr dans le respect du principe de subsidiarité. Les Etats souverains ont un rôle décisif à jouer dans la mise en œuvre de la dignité humaine et du bien commun mais ce rôle doit être conçu dans une juste perspective.[print-me]


Nicolas Michel est docteur en droit de l’Université de Fribourg et Master of Arts en relations internationales de l’Université de Georgetown à Washington DC. Il a été professeur de droit international et de droit européen à l’Université de Fribourg jusqu’en 1998. De 1998 à 2003, il devient Conseiller juridique du Département fédéral des Affaires étrangères. De 2004 à 2008, il est Conseiller juridique des Nations Unies à New York. En 2008, il redevient professeur de droit international, à l’Université de Genève, à l’Institut de Hautes Etudes Internationales et du Développement à Genève. Il est président du Conseil de l’Académie de Droit International Humanitaire et de droits humains de Genève (ADH).

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Démocratie dominicaine: l’idéal et la réalité https://www.revue-sources.org/democratie-dominicaine-lideal-realite/ https://www.revue-sources.org/democratie-dominicaine-lideal-realite/#respond Mon, 24 Jul 2017 06:50:12 +0000 https://revue-sources.cath.ch/?p=2342 [print-me]On ne prête qu’aux riches, c’est bien connu. Est-ce alors une légende ou un fait historiquement fondé que la rumeur qui voudrait que les Pères Fondateurs des Etats-Unis d’Amérique, à la recherche d’une Constitution pour leur jeune Union, se soient inspirés des Constitutions de l’Ordre des Prêcheurs? Un pouvoir présidentiel fort, équilibré par une congrès formé des délégués du peuple (chambre des Représentants) et les députés des Etats fédérés (sénat). Ajoutons – et c’est important – que ces trois instances sont élues au suffrage universel et pour une période limitée.

A y regarder de près, le mode de gouvernement des Dominicains est assez semblable. A sa tête, un Maître élu, non pas à vie mais pour un terme précis, par une assemblée composée de provinciaux élus et de «définiteurs» représentants l’ensemble des frères, choisis eux aussi par élection. Un mode de gouvernement en résulte qui fonde l’autorité sur la représentativité élective et allie l’unité exprimée par le Maître à la diversité des membres des autres instances. Bref, un pouvoir central équilibré par des assemblées. Est-ce la «démocratie»?

Un autre rumeur, mieux fondée celle-là, voudrait que la législation «démocratique» des Prêcheurs fut inspirée par les communes médiévales en train de naître. Elles luttaient alors pour arracher aux seigneurs féodaux (laïcs ou ecclésiastiques) des franchies et autres libertés. L’Ordre dominicain est né et s’est développé au cœur de ces villes en ébullition et non pas aux bord des étangs ou caché dans les clairières, là où les moines se complaisaient. Le régime communal, d’esprit corporatif, a pu déteindre sur les Constitutions des Prêcheurs. Nos devanciers étaient de leur temps; leur organisation interne correspondait aux aspirations de leurs contemporains.

Changement de paradigmes

Sans doute, Dominique de Guzman, fondateur des Prêcheurs, aurait hésité à dénommer «démocratie» la structure de gouvernement qu’il voulait pour son Ordre. Bien qu’apparue chez Platon, le terme «démocratie» revêt de nos jours une acception particulière façonnée au siècle des Lumière et totalement étrangère aux médiévaux. Toutefois, l’expression peut évoquer le changement historique des formes de vie religieuses induit par Dominique.

La liberté qu’on prête à l’Ordre dominicain ne le met sans doute pas à l’abri de l’anarchie ou de l’incurie, mais son instinct démocratique l’amène à respecter et estimer la riche diversité de ses membres.

Jusqu’à lui, l’icône qui prévalait pour caractériser la vie religieuse monastique généralisée jusque là était celle du Père Abbé rassemblant autour de lui ses moines, comme une poule le fait de ses poussins (Lc, 13, 34). Une autre image biblique pourrait illustrer la communauté primitive dominicaine: celle de Pentecôte, avec les apôtres disposés en cercle, chacun recevant sa part de langue de feu. Des religieux qui ne seraient pas d’abord des «fils», mais des «frères», animés par le même Esprit et répondant, chacun pour sa part, aux impératifs d’un même appel. Il est significatif que les Maîtres des Prêcheurs, pas plus que les prieurs provinciaux dominicains, ne portèrent jamais le titre d’Abbé, pas plus qu’ils n’en revêtirent les insignes: l’anneau, la crosse ou la mitre. Non pas par (fausse) modestie, mais parce que ce genre de prérogatives ne convenaient pas à la forme et à l’esprit de leur famille religieuse.

Au centre: le chapitre

Un indice de ce changement de paradigmes est le rôle du chapitre. Chez les moines, il est quotidien et vise l’édification spirituelle de ceux qui y participent; chez les Prêcheurs, il est occasionnel, le plus souvent délibératif ou électif. Il ne se limite pas à commenter la Règle, mais il est le lieu des prises de décisions communes, jusqu’à modifier les Constitutions en vigueur pour en promulguer de nouvelles mieux adaptées aux situations. Une législation jamais figée, toujours en mouvement. Ce procédé «capitulaire» est actif à tous les échelons de l’Ordre, du couvent local au chapitre général, en passant par celui des Provinces. Tous les supérieurs – les Dominicains les appellent«prieurs» – sont élus au scrutin majoritaire. En règle générale, leur élection est confirmée par le provincial dans le cas des prieurs locaux ou par le Maître de l’Ordre pour les provinciaux. Notons que l’Ordre ne requiert aucune confirmation épiscopale ou pontificale suite à une élection, pas plus qu’une approbation de ce type aux décisions prises par ses chapitres.

Plus intéressant est la manière dont procède le chapitre. Une institution en est le centre: le «tractatus» ou la discussion entre capitulaires dans le but de découvrir le candidat idéal susceptible de rallier sous son nom la majorité des suffrages lors d’une élection, ou alors le débat ouvert pour parvenir à une décision sur un point inscrit à l’ordre du jour. Ce processus suppose évidemment des prises de parole libérées de toute contrainte, l’accueil d’opinions et d’avis différents, voire même contradictoires et, finalement, l’acceptation de compromis. Le rôle du prieur est décisif dans ce débat. Il favorise l’échange, fait circuler la parole, n’impose pas d’emblée son propre point de vue au risque de rendre muette et glaciale l’assemblée qu’il préside. Le but est de parvenir à une décision consensuelle librement acceptée, en dépit de la multiplicité des avis exprimés. Dure épreuve où l’Esprit-Saint devrait venir au secours des capitulaires.

Ombres et lumières

Les échecs qui menacent ce genre de gouvernement sont hélas bien connus. Ils vont de la prise abusive de pouvoir par un prieur ou par un autre frère dont l’autoritarisme et la suffisance musellent la liberté des autres et les condamnent à la passivité et à l’indifférence. Dans ce cas, comme dans celui de l’impossibilité de renouveler les charges communes, le feu sacré menace de s’éteindre, la communauté se sclérose et s’étiole. Face à cette inertie, les frères les plus dynamiques prennent le large et réalisent ailleurs ce qui leur tient à cœur. Le lien communautaire, sans être radicalement tranché, survit misérablement. Il se détendra jusqu’à devenir inapparent et finalement inexistant.

Ces déviances ne sont toutefois pas parvenus à faire imploser l’Ordre dominicain. La liberté qu’on lui prête ne le met sans doute pas à l’abri de l’anarchie ou de l’incurie, mais son instinct démocratique l’amène à respecter et estimer la riche diversité de ses membres. Pas de schismes dans son histoire huit fois séculaire, mais cohabitation – parfois chaotique – des contraires au nom d’intérêts supérieurs reconnus par tous. Il se pourrait que la charité soit l’un d’entre eux.[print-me]


Frère Guy Musy, dominicain, rédacteur responsable de la revue «SOURCES», Genève.

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