Communication – Revue Sources https://www.revue-sources.org Wed, 04 Jan 2017 12:40:40 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.3.1 Parole d’aube https://www.revue-sources.org/parole-daube/ https://www.revue-sources.org/parole-daube/#comments Wed, 30 Mar 2016 11:48:29 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=1226 [print-me]

Je sors d’un magasin d’appareils électroniques. Le vendeur est parfait…un parfait robot. Il connaît sur le bout des doigts ses références techniques et commerciales, mais son boniment glacé me fait promptement fuir. Deuxième boutique, tout autre répondant: chaleureux, écoutant mes besoins avant de vanter son produit, mettant ses compétences au service de ses clients. Le goût de communiquer me revient!

Un temps pour parler, un temps pour se taire

Notre quotidien plus bruyant que nourrissant nous inciterait-il au mutisme? En société: les codes, les modes, les logiques du moment nous échappent souvent, voire nous laissent pantois. La mondialisation nous éloigne autant qu’elle nous relie, le discours politiquement correct répercuté à une vaste échelle nous incline à une grande méfiance à l’égard de tout propos, sinon à d’inquiétants replis identitaires.

Le monde se veut de plus en plus transparent – on va tout vous dire, tout vous révéler – alors qu’il nous apparaît de plus en plus opaque. Qui ne l’a expérimenté chez un médecin soucieux de bien vous expliquer ce dont vous souffrez, examens ou images à l’appui, et auquel vous n’osez avouer que vous n’y comprenez goutte? Nous sommes à la fois invités à tout appréhender et de plus en plus largués face à la complexité du réel.

Nos nombreux medias ne facilitent pas la donne: le téléphone, l’ordinateur, la TV de divertissement nous occupent sinon nous épuisent sans nous enrichir: que de bavardages en dépit de services évidents!

Nous restons avides d’une parole vraie. Où la trouver, comment la susciter?

Nos pudeurs même se transforment: d’un côté nous avons tendance à tout exposer sur la place publique, voire à tout détruire par l’ironie ou le mépris; de l’autre nous nous découvrons de plus en plus handicapés pour exprimer nos vrais besoins ou la subtilité de nos sentiments.

Au sein de la famille: entre générations et cultures diverses partageons-nous encore la même langue, au propre et au figuré, en termes de sensibilité, d’images, de rythme, de priorités? Parvenons-nous à intégrer et digérer l’accélération rapide sinon brutale que nous vivons? Nos référentiels sont vite ringards d’une génération à l’autre. Dix ans d’écart? Deux mondes!

Et, encore plus interpellant peut-être, au coeur de nous-mêmes: mais qui suis-je, tiraillé entre relations et fonctions? Mes selfies que je glisse jour après jour sur Facebook ne me détournent-ils pas insidieusement de la question première: qu’est-ce qui m’habite, me réjouit, me fait vivre?

Au reste hyper informé – et si je ne le suis pas un clic sur mon iPhone me livre accès à n’importe quelle donnée – je me retrouve sous-formé. Science sans conscience n’est que ruine de l’âme disait Rabelais: toujours actuel?

Bref, des myriades de mots circulent, de plus en plus ébouriffants et dépaysants, de plus en plus bousculés – et bousculants – mais qui nous rejoignent de moins en moins. D’où cette lancinante tentation: nous retirer, fuir un discours devenu bruit, une vérité camouflée en rumeur.

Et pourtant, êtres sociaux, nous restons avides d’une parole vraie. Où la trouver, comment la susciter? Comment faire émerger un propos à la fois compréhensible et vivant? D’aucuns veulent remplacer un discours vidé de sa consistance par le cri. En écho à la souffrance du monde, à l’indignation, à la peur, à la joie peut-être. L’émotion seule est vraie. Retour au langage non verbal: musique, geste, danse, arts plastiques…

D’autres, en sens inverse, tentent de polir leur discours, de l’affiner et de le purifier, quitte à le rendre incompréhensible: parole docte, mais indigeste. Et quelques-uns, pourtant, réussissent le miracle: exprimer ce qui sourd en eux d’une voix claire et simple. Paroles d’hommes et de femmes habités.

Trois dynamiques

S’interrogeant sur l’évolution du langage artistique à travers les siècles Elie Faure proposait de distinguer trois périodes:

– dans la première le sens l’emporte sur la forme. Pour exprimer la fécondité, le sculpteur n’hésite pas à représenter des seins immenses, des ventres généreux, quitte à sacrifier les proportions. L’essentiel, c’est de traduire, fût-ce maladroitement, la force de la vie, l’éblouissement du matin.

– dans la deuxième, on tente d’équilibrer forme et fonds: art gothique, classicisme. Trop rare harmonie, précieux module or: ici brille le soleil de midi.

– quant à la troisième, elle sacrifie le fond sur l’autel de la forme: triomphe le flamboyant, la perruque, l’apparence. L’idéal, c’est ce qui est intéressant, insolite, le plus souvent artificiel, fût-ce mortifère: se dessine un inquiétant crépuscule.

Aujourd’hui, à bien des égards, nous sommes proches de cette troisième attitude, quand nous nous laissons séduire par les sirènes de la décadence, refusons de nous impliquer, de nous laisser toucher, intellectualisons tout ce que nous percevons, préférons le bizarre et l’exotique au signifiant. Blasés, nous vivons en surface dans un monde de joueurs, à l’instar du Clappique de la Condition humaine. Et en même temps, un peu partout, surgissent des voix qui refusent ce fatalisme, invitent à construire demain, à s’engager, fût-ce en se brûlant les ailes, qui s’insurgent pour affirmer leur capacité de changement. Quelle parole faire émerger au-delà de l’indifférence dédaigneuse des premiers et de l’enthousiasme parfois myope des seconds?

Quand le coeur parle

Entre le cerveau qui débat et les biceps qui combattent, le cœur bat et crée le lien. Oui, il faut que l’essentiel soit dit, mais pas n’importe quand ni comment. Une parole authentique naît dans le permanent aller-retour entre ce que nous vivons et ce que nous pensons, entre ce que nous sentons et ce que l’autre appelle. Parole de vie, en vis-à-vis. Nous l’avons tous expérimenté: nous avions tenté un discours construit mais impersonnel.

Une vraie parole ne se contente pas de poser un constat, elle crée.

Et voilà que, venue d’ailleurs, une voix s’est frayée un sentier en nous, à notre insu, réveillant un auditoire somnolent. Quel bonheur de voir pétiller des yeux, de trouver les mots justes pour partager notre expérience de terrain! Parce que la parole nous dépasse, nous devenons des passeurs malgré nous. A condition que notre pensée soit pesée de goût et de sens. Que notre sagesse soit savoureuse, que nos humeurs se rafraîchissent d’humour, que notre verbe ne soit pas verbiage. Un long apprentissage nourri d’ascèse pour refuser les gags faciles, l’ironie délétère, l’approximation paresseuse, la superficialité mondaine, en se reliant à des sources de vie.

Une parole qui crée

En définitive, une vraie parole ne se contente pas de poser un constat, elle crée. Le récit biblique de la création le rappelle: Dieu dit, et cela fut.

A notre tour d’être enthousiastes, entendez habités par un Dieu, qui nous donne de faire être et de susciter une espérance. Oui, c’est possible, oui, je crois en toi, oui, il y a plus que ce que tu vois. Oui, parler n’est pas d’abord résoudre une équation, mais nous sortir de la sidération paralysante pour attiser le désir – de-siderium -. Parole-trésor, qui requiert à la fois la maîtrise exigeante du scientifique qui traque la rigueur du réel et la démaîtrise malicieuse du poète qui trace des voies inédites.

Et si retrouver souffle et langue impliquait de dépasser les formules rassurantes pour oser accueillir une parole venue du tréfonds de mon être, dans l’écoute chaleureux de l’autre et l’émerveillement face au mystère de la Vie: une parole d’aube?

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Monique Bondolfi

Monique Bondolfi

Monique Bondolfi-Masraff, membre de l’équipe rédactionnelle de Sources.

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L’icône du bon samaritain https://www.revue-sources.org/licone-du-bon-samaritain/ https://www.revue-sources.org/licone-du-bon-samaritain/#respond Tue, 01 Apr 2014 15:14:54 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=252 [print-me]

Extraits du message du pape François pour la journée mondiale des communications sociales du dimanche 1 juin 2014.

Comment la communication peut-elle être au service d’une authentique culture de la rencontre? Et pour nous, les disciples du Seigneur, que signifie rencontrer une personne selon l’Évangile? Comment est-il possible, malgré toutes nos limites et nos péchés, d’être vraiment proches les uns des autres? Ces questions se résument à celle qu’un jour un scribe, c’est-à-dire un communicateur, posa à Jésus: «Et qui est mon prochain ?» (Lc 10, 29). Cette question nous permet de comprendre la communication en termes de proximité. Nous pourrions la traduire ainsi: comment se manifeste la «proximité» dans l’utilisation des moyens de communication et dans le nouvel environnement créé par les technologies numériques? Je trouve une réponse dans la parabole du bon Samaritain, qui est aussi une parabole du communicateur. Celui qui communique, en effet, se fait proche. Et le bon Samaritain non seulement se fait proche, mais il prend en charge cet homme qu’il voit à moitié mort sur le bord de la route. Jésus renverse la perspective: il ne s’agit pas de reconnaître l’autre comme mon semblable, mais de ma capacité de me faire semblable à l’autre. Communiquer signifie alors prendre conscience d’être humains, enfants de Dieu. J’aime définir ce pouvoir de la communication comme «proximité».

Lorsque la communication est destinée avant tout à pousser à la consommation ou à la manipulation des personnes, nous sommes confrontés à une agression violente comme celle subie par l’homme blessé par les brigands et abandonné au bord de la route, comme nous le lisons dans la parabole. En lui le lévite et le prêtre ne considèrent pas leur prochain, mais un étranger dont il valait mieux se tenir à distance. À ce moment, ce qui les conditionnait, c’étaient les règles de pureté rituelle. Aujourd’hui, nous courons le risque que certains médias nous conditionnent au point de nous faire ignorer notre véritable prochain.

Il ne suffit pas de passer le long des «routes» numériques, c’est-à-dire simplement d’être connecté: il est nécessaire que la connexion s’accompagne d’une rencontre vraie.

Il ne suffit pas de passer le long des «routes» numériques, c’est-à-dire simplement d’être connecté: il est nécessaire que la connexion s’accompagne d’une rencontre vraie. Nous ne pouvons pas vivre seuls, renfermés sur nous-mêmes. Nous avons besoin d’aimer et d’être aimés. Nous avons besoin de tendresse. Ce ne sont pas les stratégies de communication qui en garantissent la beauté, la bonté et la vérité. D’ailleurs le monde des médias ne peut être étranger au souci pour l’humanité, et il a vocation à exprimer la tendresse. Le réseau numérique peut être un lieu plein d’humanité, pas seulement un réseau de fils, mais de personnes humaines. La neutralité des médias n’est qu’apparente: seul celui qui communique en se mettant soi-même en jeu peut représenter un point de référence. L’implication personnelle est la racine même de la fiabilité d’un communicateur. Pour cette raison, le témoignage chrétien, grâce au réseau, peut atteindre les périphéries existentielles.

Je le répète souvent: entre une Église accidentée qui sort dans la rue, et une Église malade d’autoréférentialité, je n’ai pas de doutes: je préfère la première. Et les routes sont celles du monde où les gens vivent, où l’on peut les rejoindre effectivement et affectivement. Parmi ces routes, il y a aussi les routes numériques, bondées d’humanité, souvent blessée: hommes et femmes qui cherchent un salut ou une espérance. Aussi grâce au réseau, le message chrétien peut voyager «jusqu’aux extrémités de la terre» (Ac1, 8). Ouvrir les portes des églises signifie aussi les ouvrir dans l’environnement numérique, soit pour que les gens entrent, quelles que soient les conditions de vie où ils se trouvent, soit pour que l’Évangile puisse franchir le seuil du temple et sortir à la rencontre de tous. Nous sommes appelés à témoigner d’une Église qui soit la maison de tous. Sommes-nous en mesure de communiquer le visage d’une telle Église? La communication contribue à façonner la vocation missionnaire de l’Église tout entière, et les réseaux sociaux sont aujourd’hui l’un des endroits pour vivre cet appel à redécouvrir la beauté de la foi, la beauté de la rencontre avec le Christ. Même dans le contexte de la communication il faut une Église qui réussisse à apporter de la chaleur, à embraser le cœur. (…)

Que l’icône du bon Samaritain, qui soigne les blessures de l’homme blessé en y versant de l’huile et du vin, soit notre guide. Que notre communication soit une huile parfumée pour la douleur et le bon vin pour l’allégresse. Notre rayonnement ne provient pas de trucages ou d’effets spéciaux, mais de notre capacité de nous faire proche de toute personne blessée que nous rencontrons le long de la route, avec amour, avec tendresse. N’ayez pas peur de devenir les citoyens du territoire numérique. L’attention et la présence de l’Église sont importantes dans le monde de la communication, pour dialoguer avec l’homme d’aujourd’hui et l’amener à rencontrer le Christ: une Église qui accompagne le chemin, sait se mettre en marche avec tous. Dans ce contexte, la révolution des moyens de communication et de l’information est un grand et passionnant défi, qui requiert des énergies fraîches et une nouvelle imagination pour transmettre aux autres la beauté de Dieu.

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Numérique et nouvelle évangélisation https://www.revue-sources.org/numerique-et-nouvelle-evangelisation/ https://www.revue-sources.org/numerique-et-nouvelle-evangelisation/#respond Tue, 01 Apr 2014 15:07:45 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=247 [print-me]

Puisque le Dieu de la foi chrétienne est Trinité et relation, et qu’il a choisi de se révéler à l’homme en conversant avec lui comme avec un ami (Dei Verbum, n. 2), l’entreprise théologique ne peut faire l’économie d’une réflexion générale sur la communication, et plus précisément, dans le contexte du 3e millénaire commençant, sur les nouvelles technologies de l’information (les NTIC). Car le christianisme n’est pas une «religion du livre», mais de l’image (eikôn en grec, qui donne icône en français), de l’image faite chair par le mystère de l’Incarnation.

En Jésus-Christ, le «virtuel» du dessein divin est réel. D’où l’importance de discerner dans quelle mesure les «médias virtuels» se placent au service d’une «authentique culture de la rencontre» avec le réel (selon le titre du message du pape François pour la 48e Journée mondiale des communications sociales (JMCS) de 2014) et peuvent jouer un rôle pour la transmission de la foi.

Le Vatican «à la pointe»

Avec ses près de douze millions de followers sur son compte Twitter @pontifex, l’évêque de Rome argentin s’inscrit dans la ligne de ses prédécesseurs: de tout temps le Vatican s’est profilé dans l’univers médiatique, par la qualité de ses quotidiens, radios et télévisions diffusés en une multitude de langues, et plus récemment, par celle de ses sites internet.

Après l’élan donné par le Décret de Vatican II Inter mirifica (1964), c’est l’Instruction Communion et progrès (1971) de la Commission pontificale pour les moyens de communication sociale qui constitue la charte des médias catholiques: l’accélération de l’information paraît à même de contribuer à cimenter la paix, à développer la civilisation et à resserrer les liens de solidarité entre les peuples, et l’Église est appelée à adapter sa communication aux mutations technologiques et à chaque contexte spatio-temporel.

Vingt ans plus tard, le désormais Conseil pontifical pour les communications sociales publie un autre document pastoral de belle tenue, Aetatis novae (Un âge nouveau, 1992), qui déploie les différentes facettes de la «diaconie à l’humanité» que peuvent exercer les mass médias: service du dialogue avec les cultures contemporaines dans la ligne de la Constitution Gaudium et spes du Concile, service de la résolution mondialisée des problèmes touchant l’ensemble de la communauté humaine, service des échanges au sein de la communion ecclésiale catholique.

Parmi les derniers Souverains Pontifes, c’est sans aucun doute Jean-Paul II qui a le mieux souligné l’importance du monde de la communication comme «premier aréopage des temps modernes» (La mission du Christ Rédempteur, 1991, n. 37). En 2002, il intitule son Message pour la JMCS «Internet: un nouveau carrefour pour l’annonce de l’Évangile». Le cyberespace «peuplé et bruyant» mérite d’être occupé en vue d’une première annonce de la foi, à condition que les contacts sur les réseaux sociaux débouchent sur des relations humaines effectives, au sein de la communauté ecclésiale.

2002 constitue un millésime particulièrement fructueux pour la réflexion du Magistère sur les NTIC, puisque le Conseil pontifical pour les communications sociales édite cette année-là deux textes essentiels: Éthique et internet, qui valorise l’outil numérique comme source d’enrichissement culturel entre personnes et pays éloignés, mais invite à la vigilance face à la diffusion en masse d’informations rendant quasi impossible le discernement de la vérité, aux contrôles de certaines instances politiques menaçant la sphère privée, aux exploitations commerciales faisant passer le marché avant la dignité humaine et à la cassure digitale entre pays des deux hémisphères ou entre générations; quant au second texte paru sous le titre L’Église et internet, de tonalité résolument positive, il invite les personnes engagées dans la pastorale à dépasser la méfiance face à la nouveauté de ces technologies et à acquérir les compétences nécessaires à leur maîtrise: elles permettent de donner accès à de nombreuses sources, de constituer des communautés de foi virtuelles, de toucher les éloignés de l’Église et d’offrir des espaces d’échange, notamment pour les jeunes.

Entrer dans cette révolution anthropologique représente pour l’Église une nécessité absolue

Mais plus que de «moyens» supplémentaires de communication, les NTIC constituent un nouveau monde où l’espace et le temps sont abolis, le savoir est partagé par tous, chacun peut exprimer son avis, le virtuel et le réel se rencontrent. Dans son Message pour la JMCS 2010, Benoît XVI parle du «continent digital» à inculturer, comme autrefois l’Amérique ou l’Asie. Le net véhicule une manière différente de concevoir l’homme, les relations interpersonnelles, le rapport à la vérité, aux connaissances et aux institutions. Entrer dans cette révolution anthropologique, aussi importante que l’invention de l’imprimerie, représente pour l’Église une nécessité absolue, si elle veut vraiment mettre en œuvre la nouvelle évangélisation souhaitée par le Synode des évêques d’octobre 2012 et l’Exhortation apostolique du Pontife actuel, La joie de l’Évangile.

Un changement de paradigme: l’interactivité

«Ouvrir les portes des églises signifie aussi les ouvrir dans l’environnement numérique», clame le pape François dans sa toute récente déclaration. «Mieux vaut une Église accidentée qui soit dans la rue qu’une Église malade d’autoréférentialité»: ce qui signifie aussi une Église qui ne craint pas de pénétrer dans l’univers de la toile, malgré tous les risques qu’il comporte!

Cela implique fondamentalement un changement de paradigme de nos pratiques pastorales et catéchétiques: quitter le modèle web 1.0, de type émetteur récepteur, où celui qui communique sait et transmet à celui qui ne sait pas, pour adopter le paradigme web 2.0, où le bénéficiaire a son mot à dire et participe à la transmission: «L’interactivité à double sens d’internet est déjà en train d’estomper la traditionnelle distinction entre ceux qui offrent et ceux qui sont destinataires de la communication et de créer une situation dans laquelle, du moins potentiellement, chacun peut faire les deux. Il ne s’agit plus de la communication à sens unique, du haut vers le bas. Alors que de plus en plus de personnes se familiarisent avec cette caractéristique d’internet dans d’autres domaines de leur vie, on peut s’attendre à ce qu’elles le recherchent également en ce qui concerne la religion et l’Église» (L’Église et internet, n. 6).

Une telle évolution demande des responsables ecclésiaux, des agents pastoraux et de l’ensemble des fidèles (par exemple des parents vis-à-vis de leurs enfants) qu’ils soient prêts à faire circuler au maximum l’information et à entrer en débat avec d’éventuels contradicteurs. Il faut qu’ils se montrent disposés à se former pour approfondir leur connaissance de ce monde si familier à la jeune génération (les digital native), pour développer leur créativité et savoir recourir à la pédagogie de l’image. Ils seront ainsi aptes à proposer une forme de «diaconie électronique» au profit des personnes isolées et à oser travailler en réseau avec des gens éloignés de l’institution ecclésiale. Car la manière dont l’Église apparaît sur le web, dans ses sites, ses blogs, ses vidéos, ses propositions catéchétiques et spirituelles, dit quelque chose du contenu de sa foi.

Enfin, cela exige d’accepter les ambivalences du monde digital, sans le diaboliser ni l’exalter. C’est seulement en y étant réellement présente que l’Église pourra inviter les internautes – comme le préconise le pape jésuite (Message pour la JMCS 2014) – à ne pas se laisser noyer sous le flux des informations qui «dépasse notre capacité de réflexion et de jugement», à «retrouver un certain sens de la lenteur et du calme» et à désirer passer du numérique à l’analogique, c’est-à-dire à s’arrêter «sur les routes digitales» pour souhaiter rencontrer en vrai ceux avec qui ils sont connectés. Benoît XVI va ainsi jusqu’à suggérer à tous les navigateurs sur le réseau des réseaux de créer «une sorte d’«écosystème » qui sache équilibrer silence, parole, image et son» (Message pour la JMCS 2012).

Confiance aux jeunes

La toile offre un espace privilégié où connaître les espoirs et les doutes, les besoins et les attentes des femmes et des hommes d’aujourd’hui. Il faut donc que nous sortions de nos sphères habituelles, que nous nous rendions dans les «périphéries virtuelles» pour y risquer la proposition du kérygme. À cet égard, les jeunes ont une longueur d’avance sur leurs aînés. Le pape émérite a raison lorsqu’il les interpelle: «à vous, jeunes, revient en particulier le devoir d’évangélisation de ce «continent digital». Sachez prendre en charge avec enthousiasme l’annonce de l’Évangile à vos contemporains!» (JMCS 2009).

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L'abbé François-Xavier Amherdt

L’abbé François-Xavier Amherdt

François-Xavier Amherdt est prêtre du diocèse de Sion. Professeur de théologie pastorale, pédagogie religieuse et homilétique à l’Université de Fribourg. Il a coédité avec Jean-Claude Boillat Web & Co et pastorale en 2013.

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Le portail Cath.ch https://www.revue-sources.org/le-portail-cath-ch-une-arche-dans-les-tourbillons-du-numerique/ https://www.revue-sources.org/le-portail-cath-ch-une-arche-dans-les-tourbillons-du-numerique/#respond Tue, 01 Apr 2014 15:03:16 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=243 [print-me]

Il y a peu d’années, recouvert par des mètres de neige, l’hospice du Simplon, colossale bâtisse, accueillait des étudiants d’un collège de la plaine du Rhône. Un matin, l’un d’eux, australien venu apprendre le français en Suisse, paraît en état de choc, les yeux gonflés de larmes. Il montre sur son téléphone portable la photographie qu’il vient de découvrir sur les réseaux sociaux. Elle représente une maison coupée en deux par des torrents de boue. Il la reconnaît, c’est la maison de ses parents, celle de son enfance.

Nous restons dubitatifs face à la force de l’image livrée crûment, sans explication, là-haut dans le silence recueilli des montagnes. Lui veut appeler, il veut savoir et entendre la voix de ses parents. Dans la journée, les médias traditionnels nous apprennent les terribles inondations qui touchent l’Australie; le téléphone apportera des nouvelles rassurantes. Je resterai grandi par cette importante leçon: les réseaux sociaux ont dessiné le continent numérique; ils y règnent en maîtres.

Le royaume de l’immédiat

Les réseaux sociaux, ceux que l’on rassemble savamment sous la terminologie «web 2.0» pour indiquer l’évolution irrémédiable qu’Internet a vécue en comparaison des temps du gentil «site à papa», ont intronisé un nouveau royaume, celui de l’immédiat. Lisez bien ici l’absence de média, la disparition de cet intermédiaire qui délivre une information sur le monde après l’avoir collectée, critiquée, pondérée et mise en forme. Désormais le monde communique avec le monde sans médiation. Est-ce la fin du journalisme que l’histoire avait patiemment érigé en triomphe et qui semble s’effondrer maintenant?

Si les journalistes se lamentent, d’autres se frottent les mains. Les gens du devant de la scène, ceux qui veulent se tenir sous les feux des projecteurs, les politiciens, les stars peuvent communiquer au public, à un public mondial, à des millions de fans, en contournant l’exigeant filtre médiatique. Mieux encore, les annonceurs développent des campagnes publicitaires à moindre frais, mais diablement efficaces du fait de leur pénétration dans l’intimité des gens. Car, dans le monde des réseaux sociaux, les salutaires barrières de la vie privée tombent l’une après l’autre. Peut-être, n’a-t-on pas encore appris à les construire?

Une arche journalistique dans un monde d’immédiateté.

Dans les années 70-80, le téléphone – fixe! – avait fait la conquête des ménages et était parvenu à atteindre la femme au foyer. Quelle aubaine pour elle, recluse à la maison, qu’une fenêtre ouverte sur un vaste réseau sans frontière. Quelle aubaine aussi pour les annonceurs! Voici venu l’âge d’or du démarchage téléphonique qui défriche un accès providentiel dans une moitié d’humanité prête à consommer. Il n’est pas impossible que les réseaux sociaux ressemblent plus qu’on ne l’imagine au téléphone. Ils ont réussi à accéder à une population repliée sur elle-même, celle des jeunes, en leur proposant d’accéder immédiatement dans l’intimité de la sphère privée. Il n’est pas impossible que ces réseaux sociaux vieillissent avec cette jeunesse, comme le démarchage téléphonique après avoir atteint son apogée se replie inexorablement.

Cath.ch

Comment évangéliser le continent numérique? Sur le modèle de l’évangélisation téléphonique qui n’a pas eu lieu? Je crois que ce continent n’existe pas. Les personnes qui y naviguent disposent toutes d’une adresse réelle. C’est bien sur terre que la rencontre évangélisatrice doit se faire d’abord! Preuve en est les groupes de jeunes dynamiques en Suisse romande qui possèdent des sites et des pages Facebook jamais à jour ou alors trop tardivement et pas systématiquement. Ils s’organisent certes sur facebook, mais se rencontrent In Real Life.

L’Eglise catholique a édifié le plus important, le plus dense, le plus efficace et le plus humain des réseaux sociaux, parce qu’elle l’a déployé dans la vie de chair et d’esprit. Elle utilise le «web 2.0» à titre accessoire pour faciliter et assister son «web catholique» et sa mission d’évangélisation, en se gardant bien d’en faire un but en soi!

Et cath.ch me direz-vous! Eh bien, il peut paraître comme une ruine virtuelle du «web 1.0», un site à papa vieux de trois ans, une communication désuète puisqu’elle ressemble au journal de presse écrite et non pas au carnet de souvenirs du Facebook.

Mais pour moi, cath.ch se présente au contraire comme une arche journalistique dans un monde d’immédiateté, un espace de valeurs reconnues, choisies, partagées, éprouvées, critiquées, chéries et proclamées; un lieu qui participe à l’évangélisation, autant, si ce n’est plus, que les narcissismes mondains qui souvent empoisonnent les réseaux sociaux. Je lui connais un présent heureux et, malgré les tempêtes, je lui promets un avenir radieux.

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Pascal Fessard

Pascal Fessard

Pascal Fessard est journaliste et webéditeur du portail catholique suisse cath.ch. Philosophe de formation, il partage également son regard sur l’actualité ecclésiale à travers son blog «Cuistreries spirituelles».

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