Art – Revue Sources https://www.revue-sources.org Wed, 04 Jan 2017 12:41:19 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.3.1 Que nous veut L’homme qui marche d’Alberto Giacometti? https://www.revue-sources.org/veut-lhomme-marche-dalberto-giacometti/ https://www.revue-sources.org/veut-lhomme-marche-dalberto-giacometti/#respond Wed, 15 Jun 2016 04:16:58 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=1402 [print-me]

Que nous veut-il ? Que veut-il nous dire, cet homme « immobile à grand pas » ? Les mots sont de Paul Valéry dans Le cimetière marin. Il le disait d’Achille. « Pour l’âme, disait-il, Achille immobile à grands pas ». Achille, le héros, archétype de l’humain ! Pour son âme, son essentiel, l’homme est celui qui marche. Et même immobile, toujours à grands pas.

Enigme fascinante

L’homme qui marche. Nous avons dans l’œil cette sculpture des plus célèbres d’Alberto Giacometti. Son saisissant contraste de mobilité et d’immobilité. S’il nous fascine et nous interroge, cet homme qui marche, c’est sans doute à porter devant nous une énigme. Énigmatique et fascinant, oui, il l’est comme peut l’être tout ce qui nous semble à la fois bien connu, familier et dont nous peinons pourtant à percevoir le sens. Ce qui nous est présenté là, pas de doute que cela nous concerne, mais qu’est-ce que cela veut nous dire ? Et d’abord qui est-il ce « nous » ?

Nous qui nous pressons dans les musées et les expositions pour voir Giacometti dans ses œuvres, pratique essentielle à ce qui est pour nous « culture ». Nous autres occidentaux de haute modernité, possédés d’une passion pour l’art en général et l’art contemporain tout particulièrement. Nous en sommes bien d’accord, mais rien ici à même d’éclairer ce qui dans L’homme qui marche peut bien « nous » être une énigme.

Osons alors une autre caractéristique, moins bénigne, de ce qui constitue ce « nous ». Ne serions-nous pas ces hommes et femmes d’une civilisation qui perd le sens de ce que « être un humain » veut dire ? Voilà pourquoi cet homme qui marche, mobile du mode de locomotion rudimentaire de l’humanité d’avant « nous », aurait alors de quoi nous étonner. D’où vient-il ce vivant qui marche ? Où va-t-il ? Et comble de l’énigme, pourquoi avance-t-il encore à pied parmi nous, avec ce mode de transport des plus obsolètes. Aller sur ses deux pieds, voilà bien en effet ce qui n’a plus lieu d’être, ni droit de cité, dans un monde conçu pour la grande vitesse. Et tout au plus pour le plaisir, sur deux pieds, non pas la marche mais la glisse.

Exit l’homme qui marche

Pas de doute notre civilisation technique et scientifique de haute modernité est en train de perdre le sens de l’homme. Et le signe le plus manifeste n’en est pas seulement, pas d’abord, que la marche nous soit devenue étrange. Il faut revenir à la cause de cette étrangeté. C’est une mutation du regard. Notre œil ne sait plus reconnaître qui nous sommes. Preuve en est l’effacement aujourd’hui des contours spécifiques de l’humain tant du côté du vivant que vers la machine. Face à l’évidence de ce qui nous paraît tel, rien ne sert d’objecter qu’il y va d’un problème d’optique.

Tout à la fois présente et évanouissante, la figure de L’homme qui marche est prégnante de ce que la philosophie a savamment thématisé sous le mot de « finitude ».

Dans les objectifs de nos sciences, qui sont de la matière, on ne peut plus faire théoriquement la différence entre l’homme, l’animal et la machine. En toutes choses et partout, rien que des atomes ou de l’énergie. Tout cela ne diffère en rien. D’où qu’on entende partout aujourd’hui la rengaine : L’homme un vivant comme les autres. Et le vivant une machine comme une autre. Et l’homme donc lui aussi une machine… Certes pas tout à fait comme une autre, la mécanique humaine. Machine intelligente, mais l’intelligence, dira-t-on, qu’est-ce que cela sinon l’artifice aussi de quelque machinerie logique ?

Exit donc l’homme qui marche à grands pas, tourné résolument vers l’inconnu. Notre avenir est désormais au post-humain. Cet être bientôt sorti de nous, être enfin libéré de ce qui n’est pas vraiment nous. Et quoi de nous ne serait-il pas nous? Ce corps de misère bien sûr, voué aux maladies, au vieillissement, à la mort, ce corps qui nous condamne à la lenteur et à la pénibilité de la marche!

Et il n’y a pas à protester d’une telle ingratitude envers notre plus fidèle compagnon d’existence, pas à contester au nom de la raison, lorsque seule la technique a désormais raison scientifique. L’emprise de son autorité souveraine explique assez que nous ayons autant de mal aujourd’hui à comprendre le sens de ce que marcher veut dire. Toutefois que la sculpture de Giacometti puisse encore intriguer ceux-là qui n’ont plus d’évidence le sens conjoint et de l’homme et de la marche, voilà qui montre assez qu’il est toujours vivant en nous cet homme qui marche, quoique recouvert, occulté, dans un monde qui ne le comprend plus.

Corps et esprit: mystérieuse connexion

Entre les mains du sculpteur, le trait du marcheur est à la fois bien affirmé et comme vacillant, incertain. L’homme qui marche présente un concentré visuel de ce nœud d’opposés qu’est l’humain. En équilibre dans le déséquilibre, à la fois mobile et immobile, « immobile à grands pas », selon les mots du poète. Il émane de lui aussi et de la décision et de l’incertitude, et de la force et de la fragilité, et de la résolution et de la vulnérabilité. Le corps humain en marche est le foyer actif de ces tensions fécondes. Tout à la fois présente et évanouissante, la figure de L’homme qui marche est prégnante de ce que la philosophie a savamment thématisé sous le mot de « finitude ».

Gageons que la claudication se vit avec plus de légèreté lorsqu’elle rend visible à l’œil qui voit la vérité de l’homme.

Selon ce que le mot lui-même déclare, « finitude » est dans l’existence la marque au présent des stigmates de la fin. Notre finitude, c’est d’avoir un corps, diront ceux qui envisagent sans fiction un être d’après l’homme, au corps d’acier, de verre, de silicone, voire même un être sans corps, pur esprit circulant dans un monde réseau. La finitude est pour ceux-là un obstacle à la vie pleine que nous promet l’avenir des techniques. Mais celui qui, anachronique et pourtant visionnaire, centre sa pensée sur un être qui marche, déclare tacitement un : Notre finitude, c’est d’être un corps, ce corps où réside l’esprit. Corps et esprit. Le duo s’entend non d’un dualisme où seul compte l’esprit in fine, mais d’une dualité où corps et esprit ont à cheminer ensemble.

Au bonheur de la finitude

Pour creuser le mystère de cette connexion du charnel et du spirituel, où l’homme se tient, un philosophe voyait dans l’art l’expression d’une pensée indemne des abstractions de l’Occident. Pensée affranchie tout particulièrement de l’abstraction dualiste qui depuis le Phédon de Platon décorpore l’esprit en faisant du corps l’antithèse de la vie, « le tombeau de l’âme ». Ce philosophe est Martin Heidegger, penseur à sa manière de l’homme qui marche, dans les catégories de l’être et du temps, Sein und Zeit. La finitude selon Heidegger est l’existence dans son Sein zum Tode, son « être vers la mort ». L’idée peut faire peur, mais il n’y a rien de morbide dans le Sein zum Tode. Exister vers la mort n’est pas se laisser envahir d’un nihiliste « exister pour le rien » et donc pour rien. L’exister vers la mort est un être pour le plus haut du vivre. S’engage en lui l’étonnant paradoxe qui définit l’humain. La finitude est la source mystérieuse des pouvoirs de l’esprit.

Chez l’homme, ce vivant qui se sait mortel, – à quel degré il peut assumer ou refuser ce savoir, le réaliser ou le refouler, peu importe, là n’est pas la question -, chez ce vivant sachant peu ou prou qu’il va mourir et chez lui seul, naissent les plus hautes créations de la pensée en art, en science et technique, en politique, en religion. Avoir l’œil accommodé sur un fond d’absentement radical donne à l’homme la capacité d’être présent à tout ce qui se présente dans le réel et d’en être le témoin. L’être vers la mort est ainsi le lieu nocturne d’où jaillissent les lumières de l’esprit. Au  bonheur de la finitude, tel serait donc le leitmotiv d’exister.

Le message du boiteux

Cette vision de l’homme, chemineau de l’existence, nous ramène à la pensée concrète d’Alberto Giacometti. Il éprouvait, dit-on, un sentiment de profonde gratitude à l’égard d’un accident de la route qui l’avait rendu boiteux[1]. Rien d’insolite à cela. Dans le fait de boiter, il y va d’une révélation de l’existence, cette marche entre naissance et mort. L’épreuve accentuée de sa finitude instaure ainsi un homme en plus grande intimité avec ce qui lui donne d’agir, là où il puise sa joie d’exister. Un pas d’homme est à la fois régulier et toujours un peu irrégulier. Et même s’il ne boîte pas, un homme avance sur les chemins et dans la vie d’un pas légèrement claudiquant.

Lorsque le pas se fait plus lourd avec le poids des malheurs et des ans, la claudication naturelle s’accentue et devient plus visible, venant trahir la vulnérabilité du corps. Mais gageons que la claudication se vit avec plus de légèreté lorsqu’elle rend visible à l’œil qui voit la vérité de l’homme. Ce bonheur de la finitude, L’homme qui marche sait nous le rendre sensible dans sa perpétuelle advenue, l’événement d’une présence revenue toujours à nouveau de l’absence. Le poète Jean Genet l’a bien dit : « Encore que présentes ici, où sont donc ces figures de Giacometti (…) sinon dans la mort ? D’où elles s’échappent à chaque appel de notre œil pour s’approcher de nous »[2]. Cette arrivée insolite ne suscite pourtant pas l’effroi. Elle ne montre pas « la mort ». Elle fait plutôt éprouver la vie dans son surgissement miraculeux, don mystérieux d’un trépas à venir. L’homme qui marche est une icône de l’humain.

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Pascal Marin

Pascal Marin

Le frère dominicain Pascal Marin, prieur du Couvent de la Tourette, est Maître de Conférence de la Faculté de philosophie à  l’Université catholique de Lyon.

[1] Qu’est-ce qu’une tête ? Documentaire de Michel van Zele, Arte, France, 2000.

[2] J. Genet, L’atelier d’Alberto Giacometti, Paris, Mægth, 1957, p. 4.


Alberto GIACOMETTI (1901 – 1966)

Sculpteur et peintre suisse, né à Borgonovo dans le Val Bregaglia le 10 octobre 1901, décédé à Coire le 11 janvier 1966. Le nombre important d’œuvres appartenant à la Fondation Maeght (35 sculptures majeures dont deux versions de L’Homme qui marche, 30 dessins et près d’une centaine de lithographies) témoigne de cet intérêt soutenu. Ainsi, la Fondation Maeght possède la collection la plus importante de cet artiste en Europe, avec le Kunsthaus de Zürich et la Fondation Giacometti à Paris.

Extrait du site:  fondation-maeght.com


Icône de l’art moderne

Il existe dix exemplaires de L’Homme qui marche d’Alberto Giacometti : quatre épreuves d’artiste et six moulages en bronze portant la signature du sculpteur. Ils appartiennent à des collectionneurs privés et à des musées. En France, l’on peut admirer l’oeuvre à Saint-Paul-de-Vence (Alpes-Maritimes), où une épreuve d’artiste, don de Giacometti, est exposée dans les jardins de la Fondation Maeght. Deux autres exemplaires sont visibles aux Etats-Unis, au musée Carnegie de Pittsburgh (Pennsylvanie) et à la galerie Albright-Knox de Buffalo (New York). Chez Sotheby’s, à Londres, ( en février 2010) c’était la première fois depuis cinquante ans qu’une fonte de L’Homme qui marche, réalisée du vivant du sculpteur, passait en vente publique.

Dès sa création, cette sculpture sort de l’ordinaire de l’artiste. Ses 183 centimètres de hauteur en font la seule oeuvre du Suisse à taille humaine.

C’est la première fois, le 17 janvier 1959, que Giacometti accepte une commande publique, venue de la Chase Manhattan Bank à New York. Il se met au travail au printemps. Comme à son habitude, son perfectionnisme le conduit à multiplier les projets de toutes dimensions. Le retard provoqué par ces hésitations inquiète son marchand américain, Pierre Matisse, le fils du peintre. « Il n’avait jamais fini et s’efforçait sans cesse de restituer fidèlement sa vision », confirme la directrice de la fondation Giacometti à Paris, Véronique Wiesinger. « S’il n’était pas mort, il aurait retravaillé L’Homme qui marche pour en donner une nouvelle version, même des années après. ». Dans son atelier parisien, il en avait imaginé au moins quarante déclinaisons.

Pascal Ceaux

Extraits d’un article paru «L’Express » du 23/02/2010

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Iter para tutum https://www.revue-sources.org/iter-para-tutum/ https://www.revue-sources.org/iter-para-tutum/#respond Wed, 15 Jun 2016 02:03:04 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=1398 [print-me]

Il m’arrive de chantonner ce verset extrait de l’«Ave Maris Stella», une hymne du premier millénaire chrétien que la liturgie mariale a rendue célèbre. Trois mots prennent la forme d’une prière à la Vierge: «Aménage-nous un chemin sûr» ou «Prépare-nous un itinéraire sans danger!»

Homo viator

Il faut donc partir, se mettre en chemin. Homo viator, disaient les anciens. Mais partir pour aller où? Vers quoi? Vers qui? Pas forcément en croisière, comme pourrait le suggérer le titre de la Vierge invoquée dans cette hymne. Marie n’est pas l’étoile du berger qui montre aux marins leur route dans la nuit. Le but de l’expédition est bien précisé par les versets qui suivent.

Comme les mages l’ont fait en leur temps, le chrétien entreprend un pèlerinage pour voir Jésus et éprouver à ce spectacle la joie qu’Hérode ne connaît pas. Iter para tutum / Ut videntes Jesum / Semper collaetemur. «Prépare-nous un bon chemin pour qu’à la vue de Jésus nous puissions ensemble nous réjouir.

Désirer voir!

Voir de ses yeux, quoi de plus humain! Ecrire «seen» sur les diverses haltes concoctées par un voyagiste. «Tu as voulu voir Vierzon, Vesoul, Honfleur, Hambourg…», chante Jacques Brel. Puis, tu n’as plus voulu voir Vierzon, Honfleur…Comme toujours!

Le pèlerin qui demande le secours de Marie est un touriste d’une autre veine. Il n’a que faire de Vesoul, Honfleur ou des remparts de Varsovie. Paysages fugitifs qui sautent aux yeux, puis s’évanouissent. C’est Jésus que le pèlerin veut voir. Désir profondément ancré chez ces chrétiens médiévaux qui, faute de voir ce Jésus tant désiré, se contentent de contempler la blanche hostie qui à la messe le représentait.

Pour les satisfaire, les liturgistes de l’époque inventent le rite de l’élévation et sainte Julienne de Cornillon suggère que soit processionné l’ostensoir le jour du Saint Sacrement. Depuis Thomas qui ne voulait croire qu’après l’avoir vu, les chrétiens cheminent à tâtons à la recherche du visage perdu de Jésus. Ce singulier pèlerinage est aussi long que leur vie.

Pas de  regard nostalgie ou nostalgique

Mais sans nostalgie et sans archéologie. Comme s’il s’agissait de retrouver ou reconstituer les traits physiques du fils de Marie. Laissons ce rêve impossible aux romanciers bibliques et aux pèlerins de Palestine. Ce n’est pas le Jésus d’hier qui nous fait signe, mais celui d’aujourd’hui et plus encore celui de demain. «Sans le voir, nous l’aimons et nous tressaillons de joie» chaque fois que son visage prend forme en ceux et celles qui lui ressemblent.

Vers le face à face

Depuis le jour où le signe de la croix a été marqué sur son front, le baptisé chemine à la recherche du visage de Jésus. Comme la fiancée du Cantique, il court à la quête de celui que son cœur aime. Comme le disciple bien aimé, il croit le percevoir dans l’obscurité d’une tombe vide ou au bord d’un lac enfoui sous la brume. La route n’est pas toujours sûre, le chemin mal balisé. Le pèlerin n’est pas à l’abri du faux pas, ni de l’impasse qui conduit nulle part. Il s’égare faute de repères, ou, lassé et découragé, il s’écrase au bord du chemin. A moins qu’il ne cède à la séduction d’autres aventures.

Le chrétien médiéval n’était pas dupe de ces dangers. Il prie Marie de l’en préserver: Iter para tutum! Il prend la Mère comme compagne de route et se laisse conduire par elle jusqu’à l’étape finale: la vision tant attendue, celle que les théologiens d’autrefois appelaient le «face à face» ou la vision bienheureuse, assortie d’une joie imprenable. Ut videntes Jesum semper collaetemur.

La «petite voie»

Nombre de nos contemporains verront dans ce voyage non pas une marche à la clarté de l’étoile, mais l’illusion naïve d’un mirage. Pourtant, eux aussi courent. Mais pour quoi et pour qui courent-ils? Le savent-ils seulement ? Peut-être ne courent-ils que pour s’étourdir et masquer le vide tragique qui marquera la fin de leur parcours.

Entre désespérance et naïveté que choisir? Je ne me laisserai pas enfermer dans ce dilemme. Je m’accroche à une parole d’évangile. Le Fils a le visage du Père. Qui me voit a vu le Père! Pas d’autre chemin vers Dieu que celui-là. Je n’aurai pas assez d’une vie pour le parcourir. Mais, avant qu’elle ne s’épuise: «Je cherche le visage, le visage du Seigneur… tout au fond de vos cœurs!».

Un souvenir m’étreint. Deux jours avant sa mort, au terme d’un long voyage, un frère aîné me confiait avec sérénité : « Je n’ai pas peur de mourir. Je vais voir Dieu».

Ceci dit, je respecte les religions ou les philosophies qui proposent d’autres chemins. Je respecte aussi ceux et celles qui n’en proposent aucun. Mais qu’on ne me détourne pas de ma «petite voie». Elle me suffit .

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Guy Musy

Guy Musy

Guy Musy, rédacteur responsable

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Le triptyque d’Estavayer-Blonay https://www.revue-sources.org/triptyque-destavayer-blonay/ https://www.revue-sources.org/triptyque-destavayer-blonay/#respond Wed, 15 Jun 2016 01:04:36 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=1378 [print-me]

Depuis cinq siècles, un retable dû aux ciseaux de Hans Geiler, sculpteur alsacien exerçant son art en ville de Fribourg, honore le patrimoine religieux et culturel du monastères des Dominicines d’Estavayer-le-Lac. Une vie mouvementée et pèrégrinante toutefois. A l’image de l’Ordre des Dominicains!

1527, la Réforme s’introduit en Suisse. Les moniales d’Estavayer, pauvres mais relativement paisibles, ne se doutent pas encore des difficultés et de l’isolement que «la nouvelle religion» va provoquer chez elles au cours des prochaines décennies. Parmi elles, une sœur, entrée tardivement au monastère après son veuvage, Maurice de Blonay, a pour parent l’évêque commendataire de Belley, Claude d’Estavayer. C’est elle qui prend l’initiative de faire exécuter un retable pour l’église du monastère.

 Les commanditaires du retable

– Claude d’Estavayer

Chancelier de l’Ordre de l’Annonciade, abbé de Hautecombe, confident du duc de Savoie Charles II, Claude est impliqué jusqu’au cou dans diverses intrigues en cette période de grande instabilité politique pour le duché de Savoie. Il est peu versé dans les matières spirituelles, et une mauvaise langue de l’époque, exagérant sans doute quelque peu, le décrit ainsi:

«Estant environné en tant de biens et bénéfices, l’évêque de Belley devint grand maître, tenant grand train, suyvant la cour des princes, estant excessif en banquets, maximement aux danses».

On pourrait même, si on souhaitait prêter l’oreille aux commérages, lui trouver deux enfants. Toujours est-il que Claude est un grand amateur d’art et un généreux mécène. Il fait restaurer la cathédrale de Belley; on lui doit les vitraux de l’Annonciation et de l’Assomption à Romont. À Hautecombe,  si les cisterciens se sont défendus becs et ongles contre sa nomination comme abbé régulier (!) par le Pape Jules II en 1505[1], il n’en demeure pas moins qu’il y bâtit une magnifique chapelle dédiée à saint Bernard. Elle devait lui servir de chapelle funéraire, mais le Seigneur ne permit point que cela se fit puisqu’il mourut en Suisse et son tombeau demeura vacant durant quelques siècles…

– Sœur Maurice de Blonay

Elle meurt le 7 février 1526. A-t-elle entamé des démarches pour la création du retable avant sa mort? Ou l’a-t-elle seulement demandé dans ses dispositions testamentaires? Quoi qu’il en soit, ses moyens ne suffisent sans doute pas à couvrir les frais d’exécution. Aussi son noble et fortuné parent vient-il à la rescousse et contribue à la réalisation de l’œuvre. Sa part devait être plus considérable puisque son écusson ne figure pas seulement sur le volet qui lui est réservé, mais par deux fois au centre du retable.

Le sculpteur Hans Geiler

En ce début du XVIe siècle, Fribourg est prospère du fait de sa fabrique de drap et la ville est en pleine effervescence artistique. Un sculpteur venant du Haut-Rhin s’y est installé il y a une dizaine d’années et s’est imposé comme le meilleur artiste de la ville. Il a pour nom Hans Geiler.C’est lui qui sera contacté pour la réalisation du rerable.

retable

Le dos du triptyque

Venons-en au triptyque lui-même. Fermé, la peinture des panneaux de sapin représente, comme c’est la coutume, nos deux donateurs agenouillés en prière. Sur le volet de gauche, le Christ en gloire, entouré de onze apôtres, accueille sœur Maurice, âgée et toute menue, dans la gloire éternelle. À leurs pieds rugit le féroce lion des armoiries de Blonay. Dans le décrochement, Dieu le Père, tenant le monde en sa main, bénit et envoie le Saint-Esprit.

Le volet de droite montre saint Claude, évêque du Jura. Il présente son «protégé», Claude d’Estavayer. Celui-ci est vêtu de l’aumusson de petit-gris, un capuce propre aux chanoines qui couvre la tête et les épaules. Devant lui, le blason d’Estavayer surmonté de la mitre et de la crosse et entouré du collier de l’Annonciade. Dans le décrochement, la Vierge et l’Enfant, entourés d’un nimbe, surplombent la chapelle du monastère. Il s’agit de la chapelle de l’époque, avant sa reconstruction à la fin du XVIIe siècle.

Le panneau central

Mais ouvrons maintenant le coffre du retable afin de découvrir les magnifiques sculptures de tilleul réalisées par Hans Geiler et ses assistants. Dans le panneau central, Marie – patronne du monastère – est représentée comme la vierge de l’Apocalypse, la lune à ses pieds ; dans ses bras, l’enfant Jésus tient  main un globe dans une main et bénit de l’autre. Des quatre anges qui entouraient Marie, deux ont aujourd’hui disparu. Demeurent un ange musicien et un ange tenant une couronne au-dessus de la tête de la Vierge.

À droite de Marie, saint Dominique serre le livre des Evangiles contre sa poitrine, tandis que de la main droite, il tient son bâton de pèlerin (manquant). C’est l’attitude du Prêcheur parcourant le monde pour enseigner la Parole. À gauche de Marie, le docteur de l’eucharistie, saint Thomas d’Aquin, porte en sa main un ostensoir (maintenant disparu) et montre du doigt le Christ présent dans l’hostie.

Les volets latéraux

Le volet de gauche est un haut-relief représentant la nativité: les bergers viennent adorer l’Enfant-Dieu sous une arcade Renaissance alors que trois anges surplombent la scène en chantant la gloire de Dieu. Joseph, quant à lui, est à la fenêtre, quelque peu dépassé par le mystère. Le volet de droite décrit l’adoration des mages guidé non par une étoile mais par un ange. Joseph, toujours à sa fenêtre, est de plus en plus ébahi, il en a même laissé tomber son chapeau!

L’histoire du triptyque

Le retable avait été conçu pour orner le maître-autel de l’église du monastère. Il y reste près de deux siècles, mais en 1702, suite à la reconstruction de l’église, il est  relégué au bas du collatéral de droite, en face de la porte d’entrée. En 1882, la communauté qui avait besoin de fonds pour financer une nouvelle rénovation de la chapelle le vend à un antiquaire de Lausanne pour une bouchée de pain. Celui-ci le cède à la famille de Blonay qui l’acquiert à cause du portrait de sœur Maurice et le place dans son château de Grandson.

En 1958, le retable est racheté par la fondation Gottfried Keller avec l’aide d’amis de la communauté. Il est alors complètement restauré et replacé en 1961 dans la nef de l’église du monastère. Avec les années et les variations d’humidité de l’édifice, le triptyque se dégrade à nouveau. À l’occasion de l’exposition Sculpture 1500 au Musée d’art et d’histoire de Fribourg, en 2011-2012, il fait l’objet d’une nouvelle restauration puis est exposé au musée.

Pour favoriser son retour des travaux de régulation de l’hygrométrie ont eu lieu dans l’église du monastère et un assainissement de la chapelle est en cours. Si Dieu le veut, le vénérable triptyque de Hans Geiler retrouvera sa place auprès des moniales pour l’année jubilaire qui s’ouvre le 15 août prochain.

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Sœur Isabelle Lepoutre

est moniale dominicaine à Estavayer-Le-Lac. Elle collabora avec d’autres auteurs à la rédaction d’un livre magnifiquement illustré, paru à l’occasion du septième centenaire de la fondation du monastère d’Estavayer-le-Lac : Les Dominicaines d’Estavayer-le-Lac. Fenêtres sur une histoire. 1316 – 2016, Editions Capedita, Divpnne-les-Bains, 2016, 190 p.

[1] L’histoire raconte qu’il ne fallut pas moins de sept bulles au Pape pour faire admettre son protégé. Les cisterciens ne voulaient pas d’un prêtre séculier comme abbé régulier. Les réticences des moines étaient sans doute justifiées puisque lors de son passage à Hautecombe le jour de Pâques 1521, l’abbé de Cîteaux, Dom Edmé décrit l’état religieux de l’abbaye comme fort relâché et les trente-trois moines « tous peu savants et assez ingrats à ce que j’en su connaître».

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Dominique manchot! https://www.revue-sources.org/dominique-manchot/ https://www.revue-sources.org/dominique-manchot/#respond Fri, 01 Jan 2016 09:44:19 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=429 [print-me]

Nous connaissions déjà un Dominique muet. Matisse l’avait privé d’orifice buccal et de cordes vocales. Supplice infernal, réservé aux prédicateurs bavards. Infamie pour le fondateur d’un Ordre de «prêcheurs». Et voilà qu’un frère provocateur glisse sous mon nez un Dominique manchot! Difficile d’épater un auditoire par des effets de manches. Mais Dominique en avait-il vraiment besoin?

Je ne saurais ni comparer ni rapprocher ces deux «icônes». La première est un chef d’œuvre devenu classique; la seconde, sortie d’un grenier de monastère, a subi l’épreuve du temps. A moins qu’elle ne fut la victime d’un iconoclaste impénitent.

Même sans voix et sans mains, il est encore possible de prêcher.

Mais rien n’est perdu. Même sans voix et sans mains, il est encore possible de prêcher. Le message évangélique n’a nul besoin d’être audible ou gesticulé. Dominique au pied de la croix ou penché sur sa Bible est à lui seul message et messager. Notre frère Angelico qui l’a peint dans cette double posture en était persuadé. Manchot ou non, le prêcheur fait corps avec Celui qui l’envoie. La prédication devient sublime quand le porte-parole est lui-même suspendu à la croix qu’il veut annoncer. Le témoin se confond alors avec son message. Même s’il n’est plus capable de le balbutier.

Ainsi Dominique prêchait-t-il, seul sur les sentiers caillouteux et épineux du Lauragais, à l’heure nocturne où le sicaire le guettait. Merveilleuse prédication aussi ce jour où il vendit ses parchemins pour nourrir des pauvres qui ne lui devaient rien. Prédication encore quand ses frères le portèrent sur une civière des hauts de Bologne vers le couvent où il voulait mourir et reposer sous leurs pieds.

Dietrich Bonhœffer aimait dire que le prédicateur avait mission d’accompagner la Parole. Parole en quête d’une terre en friche pour la féconder. Et si cette terre était d’abord la chair du prédicateur? Son corps, son âme et son histoire. Pour manifester la cohérence nécessaire entre la Parole qui vient de Dieu et le prêcheur qui la profère.

Le Matisse de Vence a voulu exprimer cette incarnation, légère, subtile et quasi décharnée. Un Dominique filiforme, réduit à quelques traits, comme une esquisse transparente et inachevée. Le prêcheur n’a nul besoin de bouche pour dire l’indicible. Il ne fait que le suggérer. Nul besoin non plus de mains pour le dessiner. Son cœur lui suffit.

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Le site «Evangile-et-peinture» https://www.revue-sources.org/site-evangile-peinture/ https://www.revue-sources.org/site-evangile-peinture/#respond Tue, 01 Apr 2014 15:01:23 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=241 [print-me]

Le site «Evangile-et-peinture.org» est né en 2003. Le projet de départ – toujours actuel – était de présenter dimanche après dimanche le texte biblique accompagné d’une peinture, sans autre commentaire. Seule une newsletter accompagnant l’image offrait une méditation sur les textes de la liturgie du jour. Malgré des suggestions répétées d’accompagner les images d’un commentaire de l’artiste, nous avons choisi d’en rester au texte biblique pour favoriser une rencontre vraiment «personnelle» entre la Parole et son lecteur, sans autres intermédiaires.

Un autre élément important à l’origine de ce site a été le désir de mettre à disposition de toute personne, gratuitement, des peintures sur l’Evangile pour qu’elles puissent être utilisées dans un but prioritairement pastoral ou spirituel. Ce site est donc entièrement au service de la Parole, et de la Bonne Nouvelle d’espérance et de vie qui nous a été donnée par Dieu à travers son Fils, Jésus Christ, répandue aujourd’hui dans le souffle du Saint Esprit.

«Evangile-et-peinture» est aussi le fruit d’une conviction concernant l’image: nous croyons que celle-ci peut être un moyen très favorable pour «entrer» dans un texte biblique et «donner envie» de le lire et de l’approfondir. Dans ce sens, l’image est plus qu’une simple illustration. Elle est un instrument précieux pour mieux mettre en relief la parole biblique. L’image n’est pas un but en soi; le but est de donner le goût de la Parole aux personnes qui visitent le site. Celles-ci, pour la plupart, sont engagées dans un domaine de la pastorale (catéchèse, liturgie, veillées, aumôneries, animation de groupes divers…) mais nous savons aussi que d’autres personnes en font un usage plus personnel. En outre, nous recevons de plus en plus de demandes provenant de maisons d’édition ou d’organismes ecclésiaux qui sollicitent des images pour leurs projets d’édition ou pastoraux.

En activité entre 2003 et 2010 et contenant plus de 400 images, le site a vécu une parenthèse de trois années pour se refaire une peau neuve. La nouvelle version a été mise en ligne le 1er décembre 2013. Elle sera complétée progressivement. Elle se veut plus dynamique et, surtout, plus pratique, permettant aux usagers d’avoir une banque d’images facilement accessibles.

L’équipe d’animation actuelle est composée par Marie-Dominique Minassian, Bernadette Lopez et frère Vincent Cosatti.

Le site propose:

– Une image illustrant une lecture de la liturgie dominicale, et cela pour toute l’année liturgique (A, B, C) Il existe la possibilité -à travers une inscription- de recevoir par mail chaque dimanche l’illustration du jour accompagnée d’une brève méditation sur l’évangile.

– Des images bibliques, surtout tirées des évangiles (avec leur texte correspondant).

– Des propositions de méditations sur divers sujets. La méditation s’appuie sur la Parole de Dieu et les images qui s’en sont inspirées.

– Une rubrique appelée «Evangile à la maison» qui présente les peintures réalisées par Berna en lien avec la démarche lancée par le diocèse de Lausanne, Genève Fribourg (Suisse) portant ce nom. Cette initiative invite les gens à se rencontrer dans leur maison pour lire en petits groupes, tout au long de l’année, un livre du Nouveau Testament: en 2011-2012, l’évangile de Marc (40 peintures); en 2012-2013, l’évangile de Luc (101 peintures).

– Une rubrique appelée «La minute théologique », qui s’enrichit chaque mois d’une méditation «dessinée».

www.evangile-et-peinture.org

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Berna Lopez

Berna Lopez

L’artiste-peintre Bernadette Lopez, alias Berna, est originaire de Barcelone (Espagne). Elle est théologienne, dessinatrice et musicienne. Actuellement, directrice-adjointe de l’Institut romand de formation aux ministères (IFM).

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