Armée – Revue Sources https://www.revue-sources.org Wed, 21 Dec 2016 13:53:59 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.3.1 L’objection de conscience https://www.revue-sources.org/lobjection-de-conscience-2/ https://www.revue-sources.org/lobjection-de-conscience-2/#respond Sat, 04 Apr 2015 08:45:10 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=99 [print-me]

Dans votre jeunesse, vous avez passé quelques mois d’emprisonnement pour refus de servir par les armes. Dans quelles circonstances et sous quelles conditions?

J’ai effectué mon école de recrue en 1964 en Valais comme fusilier de montagne. L’armée voulait me faire grader. J’ai repoussé à quatre reprises l’école de sous-officier. On accepta les trois premiers refus, mais non le quatrième. J’ai donc été convoqué au Tribunal militaire qui m’a condamné à 5 mois de prison avec sursis pour refus d’école de sous-officier.

J’ai effectué ma peine au pénitencier fribourgeois de Bellechasse parmi les détenus de droit commun.

J’avais accompli dans l’intervalle trois cours de répétition [1. Dans l’armée suisse de milice, le « cours de répétition » est un exercice militaire de trois semaines imposé pendant un certain nombre d’années aux soldats qui ont préalablement accompli leur « école de recrue » de quatre mois, sorte de formation militaire préliminaire.] et, à la suite de cette condamnation, j’ai décidé de quitter l’armée. Je fus à nouveau convoqué par le même Tribunal qui me condamna à un mois d’emprisonnement.

Comme le sursis tombait, la peine totale était donc de 6 mois. Je fus alors exclu de l’armée comme « orgueilleux et présomptueux », entre autres motifs retenus. J’ai effectué ma peine au pénitencier fribourgeois de Bellechasse parmi les détenus de droit commun. Je servis d’abord d’homme à tout faire, puis de porcher. Conditions difficiles. Mêmes vêtements pour le travail et pour la nuit et une seule douche par mois. Mais de nombreux et riches contacts humains. J’ai même écrit et joué une pièce de théâtre dans ce pénitencier.

Quelles étaient les motivations ou les arguments qui vous ont conduit à « objecter »?

Je chantais alors dans une chorale qui répondait à un appel de Raoul Follereau, « l’apôtre des lépreux », à la recherche de fonds pour soigner des lépreux aux Indes. Nous avions d’intenses discussions sur ce que nous pouvions faire pour contribuer à un monde plus juste. Certains, comme François Duc notamment, sont partis en Algérie. J’ai choisi de témoigner ici, dans mon pays, pour tenter de réveiller les consciences sur les causes des guerres et notre responsabilité de citoyens responsables et chrétiens.

J’étais déjà un élu au Conseil général de ma commune, membre actif de plusieurs sociétés et président du Chœur mixte lorsque j’ai décidé d’objecter. Ce qui n’a pas manqué de provoquer un petit scandale: manchette du quotidien fribourgeois « La Liberté »: « Conseiller général condamné ». Ce ne fut pas facile pour mes parents. Mon père, ancien syndic de la commune, était député.

Votre foi a-t-elle joué un rôle dans votre décision?

Je suis un enfant non pas de mai 68, mais de 61, 63 et 67. Ce sont les années de parution des trois encycliques: Mater et Magistra , Pacem in Terris et Populorum Progressio . Elles furent mes livres de chevet. L’espoir de l’aggiornamento généré par Jean XXIII et son Concile était immense. Un peu comme aujourd’hui le Pape François.

Ces encycliques parlaient de guerres, justes et injustes et d’objection de conscience qui pouvait être justifiée. J’eus de longues et nombreuses discussions avec mon curé, l’abbé Louis Gachet, qui me suivait dans mon cheminement. Il accepta de témoigner au cours de mon procès et m’amena lui-même au pénitencier. Ma foi chrétienne a donc été primordiale dans ma démarche à la fois spirituelle et politique.

Par la suite, vous avez été investi d’importantes charges politiques, jusqu’à vous faire élire à deux reprises « Conseiller d’Etat» [2. En Suisse, un Conseiller d’Etat est un ministre dans le gouvernement de son canton. Chaque canton est considéré comme un Etat qui, avec les 22 autres, forme la confédération helvétique.]. Comment avez-vous pu vivre dans ce contexte votre statut d’objecteur?

C’est déjà très difficile d’être un vrai non-violent. J’avais lu tous les ouvrages de Lanza del Vasto, le philosophe qui fonda la Communauté de l’Arche dans le Larzac. La non-violence postule que toutes les décisions qui engagent une communauté doivent se prendre à l’unanimité! Imposer un tel programme à un pays qui vote quatre fois par année!

Beaucoup de travail reste à faire pour atteindre cet idéal de non-violence que le pape François me paraît si bien incarner.

J’ai tenté souvent de désamorcer les conflits dans ma famille, dans mon village, dans mon canton, notamment au Conseil d’Etat où mon indépendance m’a servi. J’ai réussi quelquefois à obtenir des décisions unanimes, au-dessus des guerres partisanes gauche/droite. Mais j’ai bien dû constater que pour beaucoup l’intérêt du parti primait sur l’intérêt général. Beaucoup de travail reste à faire pour atteindre cet idéal de non-violence que le pape François me paraît si bien incarner. La non-violence est une force qui avance et non une faiblesse. Le pape dit les choses, même si elles déplaisent à notre routine ou à notre conformisme.

Pensez-vous qu’aujourd’hui encore la pratique de la « non-violence » puisse contribuer à résoudre des conflits et à construire une paix durable?

J’ai déjà répondu en partie à cette question. Il faut enseigner ou mieux pratiquer la non-violence dans la cour de l’école, à la récréation, dans nos clubs sportifs, dans notre langage qui ne respecte plus rien, dans internet qui nivelle tout, dans les jeux vidéo qui font croire à nos enfants qu’on dispose de plusieurs vies, dans le respect à tous les niveaux.

J’ai entendu des vieux dire: « il faudrait une bonne guerre ». Mais la guerre est déjà là. Elle est économique. Elle ne fait pas de bruit. Elle tue. En silence chez nous, mais avec fracas là-bas. Ce sont les marchands d’armes qu’il faudrait forcer à accueillir les réfugiés de Lampedusa. Relisons les trois encycliques des années 60 qui délivraient un message clair sur notre responsabilité de citoyen et de chrétien. Pour la première fois, comme à la crèche de Bethléem, ces textes s’adressent « aux hommes de bonne volonté ».

Quelle est votre opinion sur la théorie de la « guerre juste »? Cette thématique refait surface pour justifier une intervention militaire face aux exactions de l’Etat islamique.

Il est vrai que le pape François, après certains évêques avant-coureurs, a évoqué cette éventualité contre la barbarie de l’Etat islamique. Cela m’a interpelé, car moi aussi, comme tout le monde, je suis horrifié par ces meurtres gratuits. Mais qui a nourri en son sein ces jeunes européens qui partent faire le djihad, sinon nos civilisations décadentes et sans idéal? Les chefs djihadistes nous reprochent d’avoir recommencé nos trop fameuses croisades en Afghanistan, en Irak et en Syrie. Est-ce si faux? Notre paix se réduit à la possibilité de commercer et de s’enrichir. Est-ce très évangélique? Dans les « Chemins de la Croix » de Gardaz et Kaelin que nous recréons lors de chaque semaine sainte depuis 48 ans, le récitant dit:

« En ce temps-là, qui était le 21ème siècle, le coq chanta. Il y eut des baisers d’amitié au Jardin des Oliviers et bien d’autres trahisons. Il y eut aussi une soif d’amitié entre les hommes qui allait grandir encore. Car les enfants de Dieu ne voulaient pas mériter cette terrible condamnation d’un sage hindou nommé Gandhi, témoin bienveillant de la Crucifixion: ce n’est pas le christianisme qui est mauvais, ce sont les chrétiens qui sont mauvais ».

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Pascal Corminboeuf, qui fut conseiller d’Etat (ministre) du canton de Fribourg, inaugura sa carrière politique par un acte de désobéissance civique. Il refusa de servir son pays les armes à la main et encourut pour ce fait une peine d’emprisonnement. Dans cet interview, il revient sur cet événement et en donne les motivations.

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Maurice, saint patron des militaires. Une dévotion paradoxale? https://www.revue-sources.org/maurice-saint-patron-des-militaires-une-devotion-paradoxale/ https://www.revue-sources.org/maurice-saint-patron-des-militaires-une-devotion-paradoxale/#respond Sat, 04 Apr 2015 08:40:57 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=97 [print-me]

«Ô saint Maurice,

Valeureux officier de la légion thébaine,
Tu n’as pas craint d’affronter la mort
Plutôt que de renoncer à ta foi.

Tu as su conforter le courage de tes compagnons d’armes
Qui t’ont suivi sur le chemin des martyrs.

Écoute aujourd’hui notre prière
Et daigne intercéder en notre faveur auprès du Christ-Seigneur,
Toi qui es le saint patron des fantassins:

Que le Christ nous fortifie afin que nous soyons
Endurants dans les longues marches,
Ardents au combat,
Calmes et déterminés dans l’action.

Que le Christ nous éclaire afin que nous gardions
Un cœur miséricordieux avec les ennemis,
Paisible face à la mort,
Reconnaissant face au don de la vie,
Toujours espérant et fidèle,
Rempli de la joie de servir.

Amen.»

Cette prière, adoptée par l’Association Nationale des Réservistes de l’Infanterie lors de sa messe annuelle à Paris en 2006, témoigne de la vitalité du culte de saint Maurice dans les milieux militaires. Georges et Michel occupent, eux aussi, une place de choix dans la dévotion des soldats, mais l’attention portée à Maurice, chef chrétien de la légion thébaine mort à Agaune, peut surprendre: comment un guerrier mis à mort pour avoir refusé d’obéir peut-il être vénéré par des militaires?

Un saint apprécié des armées

Maurice est associé aux armées dès le haut Moyen Âge. Invoqué pour assurer la victoire des armées carolingiennes dès les années 780, il est ensuite honoré par les rois de Bourgogne puis, à partir du Xe siècle, par les monarques ottoniens. Le Thébain est également vénéré par les Capétiens, en particulier par saint Louis, qui l’offre en modèle à ses chevaliers en 1262. Patron de la Maison de Savoie, il est le protecteur de l’ordre militaire et religieux qu’Amédée VIII institue en 1434, l’ordre de Saint-Maurice précisément.

Comment un guerrier mis à mort pour avoir refusé d’obéir peut-il être vénéré par des militaires?

La dévotion des soldats à saint Maurice ne faiblit pas aux époques plus récentes. Après la Garde pontificale suisse en 1502, c’est, en 1674, le 103e Régiment de Dragons français qui est placé sous le patronage du saint d’Agaune, puis, en 1941, les Chasseurs alpins de l’armée italienne. Figure majeure du sanctoral militaire, le Thébain tend cependant à se spécialiser aux XIXe-XXsiècles. Il est plus étroitement lié à l’infanterie, un ordre de Saint-Maurice réunissant d’ailleurs les fantassins les plus méritants de l’US Army.

Un soldat exemplaire

La popularité du Thébain peut s’expliquer par les qualités de chef qui caractérisent Maurice. Ce dernier fait preuve de courage quand il affronte la mort. Il possède aussi un sens aigu du devoir et de la fidélité. Il a, enfin, le charisme nécessaire pour conduire ses hommes et les mener, le cas échéant, sur le chemin du martyre. Les sources de cet élogieux portrait et, avec elles, la raison du succès du culte de saint Maurice dans les milieux militaires sont anciennes. Elles remontent aux années 440, quand l’évêque de Lyon Eucher réécrit le récit de la mort des légionnaires thébains.

Le prélat connaît le texte qui, anonyme et rédigé quelques décennies plus tôt, signale que Maurice et ses compagnons, se rendant en Gaule pour réprimer une révolte, auraient été mis à mort pour ne pas avoir honoré les divinités de l’Empire. Il souhaite cependant le reprendre pour l’adapter aux réalités politiques de son temps.

L’exemple du soldat d’Agaune légitime le service du prince.

Selon lui, Maurice aurait quitté l’Égypte sur ordre de l’empereur, mais aurait réalisé, parvenu à Agaune, que se soumettre plus avant à la volonté du monarque impliquait d’user de sa force contre des chrétiens. Suivi par ses hommes, il aurait refusé non de mater la rébellion – il était venu en Occident pour cela et, loin d’être un objecteur de conscience, il avait déjà servi l’empereur les armes à la main –, mais de se battre contre ses frères dans la foi. L’insubordination, manifeste, aurait été vite punie: la légion aurait été décimée et anéantie.

Une désobéissance légitime

Maurice, avec la réécriture d’Eucher, incarne un modèle de sainteté aussi nouveau qu’original. Il a opté pour l’insubordination et a été, pour cela, exécuté, mais ce choix est strictement circonstancié. Le Thébain, militaire et chrétien, était au service du monarque. Soumis aux ordres du prince, même païen, il accomplissait sa vocation et aurait pu parvenir au salut.

Tout change quand exécuter la volonté impériale nécessite de contrevenir aux exigences de la foi. Les deux engagements qui caractérisent Maurice, celui pris envers Dieu lors du baptême et celui pris envers l’empereur et devant Dieu au moment de l’entrée dans l’armée, ne sont plus conciliables. Le soldat préfère le premier au second. La désobéissance, inconcevable, devient juste, légitime et sanctifiante car l’ordre impérial et la volonté divine sont incompatibles. Elle n’est cependant, en aucun cas, contestation ou révolte. Maurice, conscient des conséquences de son acte, ne saisit pas son épée pour s’opposer à l’empereur. S’il est fidèle à Dieu, il demeure aussi respectueux du serment qu’il a prêté en intégrant la militia principis.

Un modèle séduisant

Évident dès le Moyen Âge, le succès du culte de saint Maurice au sein des armées est toujours vif. Il peut même étonner. Il s’explique par l’œuvre du pontife lyonnais Eucher qui, au milieu du Ve siècle, fait du Thébain un modèle de sainteté militaire.

L’exemple du soldat d’Agaune légitime le service du prince. Il le définit aussi. Il écarte, en effet, toute possibilité de revenir sur la parole donnée et n’autorise la désobéissance qu’en cas de contradiction entre l’ordre reçu et les exigences de la foi. Le modèle séduit. Il satisfait les aspirations des guerriers, qui trouvent une voie de salut sans avoir à abandonner les armes. Il convient également aux rois, empereurs, ducs, comtes et autres détenteurs du pouvoir qui, en le valorisant, rappellent à leurs hommes les conditions d’un service sanctifiant.

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Esther Dehoux, historienne, est Professeure à l’Université de Lille 3, UFR des Sciences Historiques, Artistiques et Politiques, Institut de Recherches Historiques du Septentrion.

 

 

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