Revue Sources

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L’ouverture miséricordieuse du pape François laisse espérer que l’Eglise catholique pourra un jour assouplir sa doctrine et sa pratique à l’égard des divorcés remariés. Un sujet douloureux que le pape a aussitôt mis à l’ordre du jour des travaux du groupe des huit cardinaux appelés à collaborer étroitement avec lui au gouvernement de l’Eglise, et maintenant au programme du prochain Synode sur la famille (2014-2015).

La doctrine et la vie

Est-ce fait exprès? Voici que la lettre publiée fin octobre, de Mgr Gerhard Müller, préfet de la Congrégation de la Foi, vient rappeler avec force que la position officielle de l’Eglise catholique ne peut changer d’un iota, au contraire. Fondée sur l’Ecriture et la Tradition, elle est confirmée par le concile Vatican II, et plus encore par les derniers papes Jean-Paul II et Benoît XVI.

Sommairement, on pourrait résumer cette doctrine ainsi. La parole de Jésus « que l’homme ne sépare pas ce que Dieu a uni », établit clairement l’indissolubilité absolue du mariage scellé entre deux chrétiens baptisés. Est donc exclue toute possibilité d’un deuxième mariage religieux après un divorce civil, et même toute forme de cérémonie comportant une « bénédiction » de la nouvelle union. D’où l’interdiction faite aux divorcés vivant maritalement d’accéder à la communion eucharistique, en raison de « la contradiction objective » existant entre leur condition de divorcés remariés et la communion entre le Christ et l’Eglise qui s’exprime à la fois dans l’Eucharistie et dans le mariage. Sans quoi, ajoute-t-on, les fidèles pourraient mettre en doute la doctrine de l’indissolubilité du mariage chrétien.

Sans doute affirme-t-on que ces personnes, exclues de la communion eucharistique, ne sont pas pour autant « excommuniées », qu’elles continuent d’appartenir à l’Eglise et sont même invitées à participer, entre autres, à la messe – sans communier! – et à l’adoration eucharistique. A moins que ces chrétiens, vivant fidèlement en couple et en famille, s’engagent à cohabiter ensemble comme des amis, ou des frères et sœurs, en prenant « l’engagement de vivre en pleine continence. » Toujours parce que leur vie maritale les met en situation objective de péché!

Allez demander à ces époux ce que signifie cette « contradiction objective » en raison du caractère « ontologique » que garde le lien de leur premier mariage (alors que dans leur cœur et dans leur vie ce lien n’existe plus réellement, hélas)! Ils ne vivent pas dans le royaume inamovible de l’objectivité et de l’ontologique, mais dans le monde des personnes (ce sont des sujets et non des objets) vivant une histoire de relations, certes fragiles et toujours appelées à la conversion, mais dans la mesure de leur capacité, qui est toujours « subjective », dans leur « périphérie existentielle ».

Déclaration controversée

Cette déclaration publiée dans l’Osservatore romano du 22 octobre (sans approbation explicite du pape, semble-t-il), mais déjà dans une revue allemande le 15 juin, n’a pas manqué de susciter de vives réactions, y compris de la part de certains évêques et cardinaux allemands. En juillet déjà, le cardinal de Berlin Mgr Woelki, déclarait que « l’Eglise catholique devrait réviser son approche sur les divorcés remariés et en discuter », ajoutant encore: « en tant que prêtre, je dois supposer que quiconque me demande la communion le fait avec un cœur pur », mais aussi: « les époux qui, reconnaissant l’échec de leur mariage, ne reçoivent pas la communion, donnent un fort témoignage de foi. »

Plus récemment, le 7 novembre, le cardinal de Munich Reinhard Marx, commentant directement la lettre de Mgr Müller, déclarait: « le préfet de la Congrégation de la Foi ne peut clore le débat… Nous verrons que ce sujet sera discuté dans toute sa largeur », entre autres lors du Synode sur la famille. A son tour, le Secrétaire général du Synode a confirmé que la question restait ouverte: « Nous allons en discuter sans tabou. » Et de citer un passage significatif de l’Exhortation apostolique Evangelii Gaudium: « L’Eucharistie n’est pas un prix destiné aux parfaits, mais un généreux remède et un aliment pour les faibles… L’Eglise n’est pas une douane, elle est la maison paternelle où il y a de la place pour chacun avec sa vie difficile. » (n.47)

Retour à l’Assemblée Diocésaine AD 2000

Qui s’en souvient encore? Dans le diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg, l’Assemblée diocésaine AD 2000 a consacré une part importante de ses travaux aux pauvres et aux exclus, notamment à la douloureuse question des Divorcés remariés dans l’Eglise. Le Document 6 qui porte ce titre est encore aujourd’hui d’une brûlante actualité, et il vaudrait la peine de le relire en entier. Ce document, comme les huit autres, fut solennellement approuvé par l’évêque lors de la clôture du 4 juillet 2000: « En vertu du ministère apostolique que je tiens du Christ, je demande que toutes ces dispositions soient portées à la connaissance de tous, qu’elles soient mises en valeur, accueillies dans le souffle de l’Esprit et vécues pour la gloire de Dieu et le salut du monde. » Un tel engagement n’a-t-il pas autant de valeur que la lettre d’un préfet de Congrégation?

La conscience personnelle est l’ultime instance à laquelle doit se référer l’homme au moment de prendre une décision éthique.

Après avoir rappelé les déclarations officielles de l’Eglise concernant les divorcés remariés, AD 2000 évoque aussi les nombreux appels du peuple de Dieu émanant des Eglises locales durant ces dernières années, pour en conclure:

« Dans toutes ces démarches, toujours plus nombreuses et persistantes, comment ne pas voir un signe de l’Esprit à l’œuvre dans le peuple de Dieu, une expression du ’sensus fidelium’? »

« Notre assemblée, elle aussi, croit qu’un chemin doit être recherché qui témoigne, mieux que la discipline actuelle, de la largesse du cœur de Dieu pour ceux qui ont fait l’expérience de l’échec de leur premier mariage et qui témoignent de leur faim du pain de vie pour poursuivre leur route avec le Christ… »

D’où le rappel, bien nécessaire aujourd’hui, des demandes qui furent approuvées alors à la quasi unanimité de l’Assemblée:

« 9. L’Assemblée, en accord avec l’évêque, demande aux responsables pastoraux de nos communautés de faire preuve de sagesse pour mieux discerner les différentes situations des personnes et les motivations qui les poussent à recevoir l’eucharistie.

  1. Toujours en accord avec l’évêque et en exprimant son estime et son respect pour les divorcés remariés qui ont choisi en conscience de s’abstenir de communier, l’Assemblée demande aux communautés et à leurs pasteurs de respecter aussi la décision, prise en conscience, par des couples divorcés remariés, de recevoir le sacrement de l’eucharistie, dans la mesure où ils prennent en compte les exigences suivantes:

 respecter les devoirs de justice à l’égard du premier conjoint et des enfants éventuels ;
– faire preuve de fidélité dans leur nouvelle union ;
-participer à la vie de la communauté ;
– vivre un temps de réflexion nourri de la Parole de Dieu, en dialogue avec un prêtre ;
– s’interroger sur la qualité de leur faim eucharistique. »

Des conditions exigeantes et pas toujours faciles à respecter, il faut le reconnaître.

La conscience personnelle est l’ultime instance à laquelle doit se référer l’homme au moment de prendre une décision éthique.

Miséricorde et conscience

Dans ce texte d’AD 2000, il faut souligner deux mots clefs: miséricorde et conscience. Avec bien d’autres assemblées ecclésiales, l’Assemblée fait appel à « une plus grande miséricorde à l’égard des couples qui connaissent cette souffrance » et désirent bénéficier du soutien de l’eucharistie. Comme on est loin des propos de Mgr Müller qui dénonce « un faux appel à la miséricorde » et « une banalisation de l’image de Dieu, selon laquelle Dieu ne pourrait rien faire d’autre que pardonner. » L’Abbé Maurice Zundel doit se retourner dans sa tombe, lui qui répétait si souvent: Dieu n’est qu’amour: « un Cœur, tout Cœur, rien qu’un Cœur … Le Visage de Dieu est un visage de mère. » « Une Mère au cœur ouvert », dira de l’Eglise le pape François.

Quant au respect du choix fait en conscience par les divorcés remariés, soit de s’abstenir, soit de recevoir la communion, non sans avoir longuement réfléchi, prié et pris conseil, Mgr Müller déclare que leur conscience doit être éclairée par la vérité, et obéir au magistère de l’Eglise: pour les fidèles dont le premier mariage était valide, « la réception des sacrements n’est pas possible. La conscience de chacun est liée, sans exception, par cette norme. » A-t-on oublié que la conscience personnelle est, en amont de toute norme, l’ultime instance à laquelle doit se référer l’homme au moment de prendre une décision éthique? Vatican II l’affirme clairement: « la conscience est le centre le plus secret de l’homme, le sanctuaire où il est seul avec Dieu et où sa voix se fait entendre. » (Gaudium et Spes no 16)

Pratiquer l’épikie

Un dernier point, contesté par Mgr Müller, est le recours fait par certains, dont notre évêque, au principe de « l’épikie » (une loi valable en général ne recouvre pas toujours adéquatement l’agir humain concret), pour autoriser dans certains cas l’accès des divorcés remariés à la communion. Ce principe ne peut pas être appliqué ici, dit la lettre du Préfet, car il s’agit de « l’indissolubilité du mariage, une norme de droit divin dont l’Eglise ne peut pas disposer ». A cette attitude rigoriste, Mgr Genoud en avait déjà opposé une autre, à la fois spirituelle et pastorale: « Pour dépasser une diversité de pratiques allant d’un laxisme généralisé à une rigidité blessante, AD 2000 invite à prendre en compte la situation concrète des personnes et à juger avec épikie. Il ne s’agit nullement d’une permission générale donnée aux divorcés remariés de recevoir la communion – nous ne le pouvons et ne le devons pas – mais bien d’un appel exigeant, tant pour les fidèles que pour les pasteurs, à pratiquer un véritable discernement spirituel et pastoral, éclairé par la parole de Dieu et l’enseignement de l’Eglise, selon des critères précis. »

Que veut-on de plus? Souhaitons que sur cette question aussi l’Eglise puisse sortir de ses murs pour aller à la rencontre des personnes blessées par la vie et affamées d’un pain qui les aide à vivre.

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Jean-Marie Pasquier

Jean-Marie Pasquier

L’Abbé Jean-Marie Pasquier, prêtre du diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg, fut professeur de théologie et directeur du Grand Séminaire diocésain. Aujourd’hui il est membre de l’équipe pastorale « Notre Dame de Compassion » à Bulle, dans le canton de Fribourg.

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