Revue Sources

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Puisque le Dieu de la foi chrétienne est Trinité et relation, et qu’il a choisi de se révéler à l’homme en conversant avec lui comme avec un ami (Dei Verbum, n. 2), l’entreprise théologique ne peut faire l’économie d’une réflexion générale sur la communication, et plus précisément, dans le contexte du 3e millénaire commençant, sur les nouvelles technologies de l’information (les NTIC). Car le christianisme n’est pas une «religion du livre», mais de l’image (eikôn en grec, qui donne icône en français), de l’image faite chair par le mystère de l’Incarnation.

En Jésus-Christ, le «virtuel» du dessein divin est réel. D’où l’importance de discerner dans quelle mesure les «médias virtuels» se placent au service d’une «authentique culture de la rencontre» avec le réel (selon le titre du message du pape François pour la 48e Journée mondiale des communications sociales (JMCS) de 2014) et peuvent jouer un rôle pour la transmission de la foi.

Le Vatican «à la pointe»

Avec ses près de douze millions de followers sur son compte Twitter @pontifex, l’évêque de Rome argentin s’inscrit dans la ligne de ses prédécesseurs: de tout temps le Vatican s’est profilé dans l’univers médiatique, par la qualité de ses quotidiens, radios et télévisions diffusés en une multitude de langues, et plus récemment, par celle de ses sites internet.

Après l’élan donné par le Décret de Vatican II Inter mirifica (1964), c’est l’Instruction Communion et progrès (1971) de la Commission pontificale pour les moyens de communication sociale qui constitue la charte des médias catholiques: l’accélération de l’information paraît à même de contribuer à cimenter la paix, à développer la civilisation et à resserrer les liens de solidarité entre les peuples, et l’Église est appelée à adapter sa communication aux mutations technologiques et à chaque contexte spatio-temporel.

Vingt ans plus tard, le désormais Conseil pontifical pour les communications sociales publie un autre document pastoral de belle tenue, Aetatis novae (Un âge nouveau, 1992), qui déploie les différentes facettes de la «diaconie à l’humanité» que peuvent exercer les mass médias: service du dialogue avec les cultures contemporaines dans la ligne de la Constitution Gaudium et spes du Concile, service de la résolution mondialisée des problèmes touchant l’ensemble de la communauté humaine, service des échanges au sein de la communion ecclésiale catholique.

Parmi les derniers Souverains Pontifes, c’est sans aucun doute Jean-Paul II qui a le mieux souligné l’importance du monde de la communication comme «premier aréopage des temps modernes» (La mission du Christ Rédempteur, 1991, n. 37). En 2002, il intitule son Message pour la JMCS «Internet: un nouveau carrefour pour l’annonce de l’Évangile». Le cyberespace «peuplé et bruyant» mérite d’être occupé en vue d’une première annonce de la foi, à condition que les contacts sur les réseaux sociaux débouchent sur des relations humaines effectives, au sein de la communauté ecclésiale.

2002 constitue un millésime particulièrement fructueux pour la réflexion du Magistère sur les NTIC, puisque le Conseil pontifical pour les communications sociales édite cette année-là deux textes essentiels: Éthique et internet, qui valorise l’outil numérique comme source d’enrichissement culturel entre personnes et pays éloignés, mais invite à la vigilance face à la diffusion en masse d’informations rendant quasi impossible le discernement de la vérité, aux contrôles de certaines instances politiques menaçant la sphère privée, aux exploitations commerciales faisant passer le marché avant la dignité humaine et à la cassure digitale entre pays des deux hémisphères ou entre générations; quant au second texte paru sous le titre L’Église et internet, de tonalité résolument positive, il invite les personnes engagées dans la pastorale à dépasser la méfiance face à la nouveauté de ces technologies et à acquérir les compétences nécessaires à leur maîtrise: elles permettent de donner accès à de nombreuses sources, de constituer des communautés de foi virtuelles, de toucher les éloignés de l’Église et d’offrir des espaces d’échange, notamment pour les jeunes.

Entrer dans cette révolution anthropologique représente pour l’Église une nécessité absolue

Mais plus que de «moyens» supplémentaires de communication, les NTIC constituent un nouveau monde où l’espace et le temps sont abolis, le savoir est partagé par tous, chacun peut exprimer son avis, le virtuel et le réel se rencontrent. Dans son Message pour la JMCS 2010, Benoît XVI parle du «continent digital» à inculturer, comme autrefois l’Amérique ou l’Asie. Le net véhicule une manière différente de concevoir l’homme, les relations interpersonnelles, le rapport à la vérité, aux connaissances et aux institutions. Entrer dans cette révolution anthropologique, aussi importante que l’invention de l’imprimerie, représente pour l’Église une nécessité absolue, si elle veut vraiment mettre en œuvre la nouvelle évangélisation souhaitée par le Synode des évêques d’octobre 2012 et l’Exhortation apostolique du Pontife actuel, La joie de l’Évangile.

Un changement de paradigme: l’interactivité

«Ouvrir les portes des églises signifie aussi les ouvrir dans l’environnement numérique», clame le pape François dans sa toute récente déclaration. «Mieux vaut une Église accidentée qui soit dans la rue qu’une Église malade d’autoréférentialité»: ce qui signifie aussi une Église qui ne craint pas de pénétrer dans l’univers de la toile, malgré tous les risques qu’il comporte!

Cela implique fondamentalement un changement de paradigme de nos pratiques pastorales et catéchétiques: quitter le modèle web 1.0, de type émetteur récepteur, où celui qui communique sait et transmet à celui qui ne sait pas, pour adopter le paradigme web 2.0, où le bénéficiaire a son mot à dire et participe à la transmission: «L’interactivité à double sens d’internet est déjà en train d’estomper la traditionnelle distinction entre ceux qui offrent et ceux qui sont destinataires de la communication et de créer une situation dans laquelle, du moins potentiellement, chacun peut faire les deux. Il ne s’agit plus de la communication à sens unique, du haut vers le bas. Alors que de plus en plus de personnes se familiarisent avec cette caractéristique d’internet dans d’autres domaines de leur vie, on peut s’attendre à ce qu’elles le recherchent également en ce qui concerne la religion et l’Église» (L’Église et internet, n. 6).

Une telle évolution demande des responsables ecclésiaux, des agents pastoraux et de l’ensemble des fidèles (par exemple des parents vis-à-vis de leurs enfants) qu’ils soient prêts à faire circuler au maximum l’information et à entrer en débat avec d’éventuels contradicteurs. Il faut qu’ils se montrent disposés à se former pour approfondir leur connaissance de ce monde si familier à la jeune génération (les digital native), pour développer leur créativité et savoir recourir à la pédagogie de l’image. Ils seront ainsi aptes à proposer une forme de «diaconie électronique» au profit des personnes isolées et à oser travailler en réseau avec des gens éloignés de l’institution ecclésiale. Car la manière dont l’Église apparaît sur le web, dans ses sites, ses blogs, ses vidéos, ses propositions catéchétiques et spirituelles, dit quelque chose du contenu de sa foi.

Enfin, cela exige d’accepter les ambivalences du monde digital, sans le diaboliser ni l’exalter. C’est seulement en y étant réellement présente que l’Église pourra inviter les internautes – comme le préconise le pape jésuite (Message pour la JMCS 2014) – à ne pas se laisser noyer sous le flux des informations qui «dépasse notre capacité de réflexion et de jugement», à «retrouver un certain sens de la lenteur et du calme» et à désirer passer du numérique à l’analogique, c’est-à-dire à s’arrêter «sur les routes digitales» pour souhaiter rencontrer en vrai ceux avec qui ils sont connectés. Benoît XVI va ainsi jusqu’à suggérer à tous les navigateurs sur le réseau des réseaux de créer «une sorte d’«écosystème » qui sache équilibrer silence, parole, image et son» (Message pour la JMCS 2012).

Confiance aux jeunes

La toile offre un espace privilégié où connaître les espoirs et les doutes, les besoins et les attentes des femmes et des hommes d’aujourd’hui. Il faut donc que nous sortions de nos sphères habituelles, que nous nous rendions dans les «périphéries virtuelles» pour y risquer la proposition du kérygme. À cet égard, les jeunes ont une longueur d’avance sur leurs aînés. Le pape émérite a raison lorsqu’il les interpelle: «à vous, jeunes, revient en particulier le devoir d’évangélisation de ce «continent digital». Sachez prendre en charge avec enthousiasme l’annonce de l’Évangile à vos contemporains!» (JMCS 2009).

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L'abbé François-Xavier Amherdt

L’abbé François-Xavier Amherdt

François-Xavier Amherdt est prêtre du diocèse de Sion. Professeur de théologie pastorale, pédagogie religieuse et homilétique à l’Université de Fribourg. Il a coédité avec Jean-Claude Boillat Web & Co et pastorale en 2013.

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