Revue Sources

Dans certains cantons suisses, comme celui de Vaud ou de Zurich, les médecins sont autorisés à prescrire les doses létales entraînant la mort de personnes qui ont fait recours aux organisations de type Exit ou Dignitas. Moyennant bien sûr des conditions restrictives  bien établies.

Les partisans du suicide assisté voudraient désormais élargir le cadre de cette permissivité en allégeant les conditions qui l’autorisent. Comment un médecin doit-il répondre à une demande de suicide assisté? A partir de quels critères peut-il accorder une ordonnance pour une potion létale? Dans ses directives médico-éthiques sur “L’attitude face à la fin de vie et à la mort”, l’Académie suisse des sciences médicales (ASSM) propose d’assouplir les critères actuels. Promulguées en mai 2018, les directives de l’ASSM seront soumises le 25 octobre 2018 à la fédération faîtière des médecins suisses (FMH) qui les  entérinera ou les rejettera.

Notre revue publie trois documents sur ce sujet « vital ». D’abord une interview du philosophe fribourgeois François Gachoud, réalisée par le journaliste Maurice Page et publiée par cath.ch le 09.10.20118, avec l’autorisation de  la direction de la rédaction de ce site. Suivra l’avis de la Commission de bioéthique de la Conférence des évêques suisses et enfin la décision de la FMH émise ces derniers jours d’octobre.


 François Gachoud interpelle les médecins

François Gachoud

Pourquoi ces nouvelles directives de l’ASSM sont-elles si inquiétantes ?
François Gachooud: En Suisse, le choix de se donner la mort, avec une assistance est possible selon l’art. 115 du Code pénal. Dans la pratique, ce choix était réservé aux seuls patients en fin de vie et qui souffraient d’une maladie incurable. Ce double critère garantissait l’objectivité fondant la pratique de l’assistance au suicide. Cette pratique relevait de l’exercice d’une expertise médicale. Le médecin posait des garde-fous qui ne sont pas requis par la loi mais par les codes de déontologie.

Mais depuis que les Associations Exit et Dignitas ont réussi à élargir l’assistance au suicide aux “polypathologies invalidantes”, le patient n’est plus nécessairement en fin de vie et sa maladie n’est pas nécessairement incurable. L’ASSM emboîte clairement le pas et va même plus loin. 

Le motif avancé est celui de l’autodétermination du patient. En quoi cela pose-t-il problème?
Ne prendre en compte que l’autonomie du patient et sa souffrance subjective, c’est prendre le risque de méconnaître le caractère souvent équivoque de la demande d’assistance au suicide. L’ASSM n’hésite pourtant pas à privilégier ce seul critère: “Il n’existe aucun critère objectif pour évaluer la souffrance en général, ni le degré de souffrance supportable”. Mais ce n’est pas parce qu’une souffrance est toujours en effet vécue subjectivement qu’on doit en déduire l’exclusion d’un critère objectif définissable.

Pour vous il s’agit d’un fâcheux laxisme. Il suffit au fond de dire : “Je me déclare fatigué de la vie et je suis capable de discernement. Donc je puis m’autodéterminer à choisir le suicide quand je veux puisque je trouve ma souffrance insupportable.”

L’ASSM propose certes à l’appui un principe éthique reconnu important : celui du droit à l’autodétermination du patient. Il ne s’agit pas de le nier, mais de considérer toute la gravité de son application. Car c’est ici la vie elle-même qui est remise en cause. L’ASSM prend le risque de mettre les médecins dans une situation délicate, même difficile, car comment mesurer et évaluer une souffrance subjective déclarée insupportable.

Il en va là d’un euphémisme fort douteux pour exprimer la banalisation du suicide. Après tout, n’avons-nous pas été un jour, vous et moi, des “fatigués de la vie” ? A cause d’une maladie qui a fait beaucoup souffrir, d’un burn-out difficile à vivre, d’un divorce douloureusement traversé, d’un chômage de longue durée ou de toute autre épreuve jugée à un moment donné insupportable? L’idée d’en finir nous a peut-être même effleurés. Mais nous avons réussi à surmonter l’épreuve. Pourquoi? Parce que nous avons en nous une faculté de résilience en vertu d’une foi en la vie plus forte que l’instinct de mort. Mais aussi et surtout parce que nous avons trouvé auprès d’autrui une écoute attentive, une aide, un encouragement, une empathie active, une compassion qui nous a touchés.

Le suicide n’est donc pas une question seulement personnelle?
L’Académie ne voit pas que, si nous sommes des êtres évidemment vulnérables, nous sommes aussi des êtres de relation qui avons besoin des autres. C’est notre condition d’être humain vivant en société. L’isolement et la solitude sont le terreau fertile de l’enfermement sur soi et l’on sait que celui-ci est une des causes principales des tentatives de suicide. Il ne suffit pas de s’en référer à la seule détermination lucide du patient pour lui octroyer le droit de gagner sa mort assistée si facilement. Le patient en souffrance a besoin de tout autre chose: de retrouver le goût de vivre

Chacun a néanmoins droit à son autonomie personnelle.
Nous vivons dans une société qui, depuis quelques décennies, a érigé l’individualisme en absolu. Chacun n’est responsable que de lui-même. Ce qui veut dire que chacun est finalement considéré isolément, livré en effet à sa seule référence subjective. Nul n’est plus responsable de la détresse des autres. Combien de gens, surtout des jeunes, sont fragiles et manquent de repères qui leur donneraient des raisons de vivre? Combien de gens sont vulnérables et seuls enfermés dans leur détresse en quête d’un salut souhaité? Va-t-on offrir à ces gens-là l’assistance au suicide parce qu’ils ressentent une souffrance jugée insupportable?

Autre point inadmissible pour vous: le fait de rendre ces directives également applicables aux enfants et adolescents.
On côtoie ici l’intolérable. Car quel enfant ou adolescent de 12 à 16 ans est réellement capable de discernement à un âge largement reconnu comme fragile, fluctuant, instable et susceptible de retournement complet? Ce dont ces enfants et adolescents ont un urgent besoin, c’est d’une aide attentive pour les accompagner et leur donner des raisons de vivre et non pas l’examen de leurs raisons de mourir! Là se trouve très concrètement le lieu où l’on voit combien notre société est malade.

L’ASSM continue pourtant de défendre l’optique que “l’aide au suicide ne fait pas partie de l’activité médicale car elle est contraire aux buts de la médecine.”
Oui, mais que dit-elle un peu plus loin? “Si le patient persiste dans son désir (de suicide), le médecin peut, sur la base d’une décision dont il endosse personnellement la responsabilité, apporter une aide au suicide, sous réserve de cinq conditions” Comment ne pas constater une contradiction? C’est cautionner ainsi, quelles que soient les conditions édictées par précaution, que le médecin est partie prenante du processus organisé par les associations d’aide au suicide comme Exit ou Dignitas.


François Gachoud

Né à Fribourg en 1941, François Gachoud s’est spécialisé en philosophie moderne et contemporaine, il a consacré bon nombre de travaux à Hegel. Enseignant de philosophie, au Collège du Sud à Bulle, il a participé régulièrement à des émissions à la Radio Suisse Romande et sur France Culture. Il a également été chroniqueur pour divers journaux. Il est l’auteur de diverses publications.


Les évêques inquiets

La commission de bioéthique de la Conférence des évêques de Suisse souhaite exprimer sa vive inquiétude à voir l’abandon par l’ASSM, de toute référence objective en matière d’éthique médicale, dans son texte adopté le 18 mai 2018 « Nouvelles directives éthiques ».

En effet, alors que jusqu’à présent, elle maintenait au cœur de sa philosophie du soin, le fondement de sa mission, à savoir, ne pas nuire, protéger la vie de tout être humain, promouvoir et maintenir sa santé, apaiser les souffrances et assister les mourants jusqu’à leur dernière heure (Code de Déontologie de la FMH, art. 2.), rappelant aussi clairement (2004 et 2013) que l’aide au suicide est contraire aux buts de la médecine, cet abandon fait désormais éclater ce fondement en priorisant l’autonomie et le sentiment de subjectivité. Devant une thématique aussi sensible que l’assistance au suicide, l’ASSM, renforce inutilement le concept d’autonomie au dépend de la bienveillance, qui permet d’équilibrer et de mieux contextualiser les situations (environnement – famille – soignants…).

La commission de bioéthique de la CES est parfaitement consciente de la réalité des situations complexes de fin de vie et respecte profondément le principe d’autodétermination. Elle sait que dans certaines de ces situations où le patient exprime son désir d’être aidé à mourir, la décision éthique personnelle du médecin peut le conduire à transgresser sa mission. Cette transgression possible ne doit pas pour autant, infléchir le fondement objectif du prendre soin ultime de l’autre dans le respect de la vie jusqu’aux derniers instants. Dans ce contexte difficile, la commission de bioéthique de la CES, souhaite rappeler que seule la démarche des soins palliatifs permet de maintenir une cohérence dans le prendre soin ultime de l’autre jusqu’aux limites de sa vie. C’est dans cette priorisation du soin ultime que pourra s’exprimer le mieux la mission de la médecine : prendre soin de la vie, ni dans l’excès, ni dans le retrait.

En s’ouvrant à l’assistance au suicide, l’ASSM déplace non seulement la tension légitime déjà existante au cœur de l’agir soignant mais porte désormais atteinte à la nature même du prendre soin ultime de l’autre.

Ce texte élaboré par le frère Michel Fontaine dominicain a été proposé le 15 septembre 2018 à la Commission de bioéthique de la Conférence des évêques suisses. Après l’avoir accepté le 26 septembre 2018, cette Commission l’a fait parvenir à la FMH.  NDLR


Communiqué de presse de la FMH

La FMH, fédération faîtière des médecins suisses qui représente plus de 40.000 membres et fédère plus de 90 organisations médicales n’a pas suivi les directives  de l’Académie suisse des sciences médicales (ASSM) préconisant une facilitation de l’aide au suicide par le corps médical. Son communiqué daté de Berne le 25 octobre 2018 est clair et explicite :

 « La FMH ne reprend pas les directives de l’ASSM «Attitude face à la fin de vie et à la mort» dans son Code de déontologie. Les nouvelles directives médico-éthiques «Attitude face à la fin de vie et à la mort» de l’Académie suisse des sciences médicales (ASSM) ont suscité une vive discussion sur la nouvelle réglementation de l’aide au suicide devant la Chambre médicale. »

Décision définitive ou disposition provisoire ? Vu la vivacité des discussions, nous ne serions pas surpris d’une reprise prochaine des débats. Affaire à suivre. NDLR

Si aujourd’hui l’aide au suicide est uniquement autorisée en fin de vie, elle devra selon les nouvelles directives répondre au critère de «souffrance insupportable». Or cette formulation renvoie à une no- tion juridiquement indéterminée, qui apporte beaucoup d’incertitude pour le corps médical.

Au terme d’un débat animé, la Chambre médicale a décidé à une nette majorité de ne pas reprendre les directives révisées de l’ASSM «Attitude face à la fin de vie et à la mort» dans le Code de déonto- logie de la FMH.

En Suisse, l’aide au suicide est uniquement réglementée dans le Code pénal et non par une législa- tion spécifique comme c’est le cas par exemple dans les pays du Benelux. C’est pour cette raison que le Code de déontologie de la FMH revêt une importance particulière dans ce domaine.

Les directives de l’ASSM de 2012 «Prise en charge des patientes et patients en fin de vie» font partie intégrante du Code de déontologie de la FMH en vertu de la décision de la Chambre médicale du 23 avril 2013. Suite à la décision d’aujourd’hui, elles conservent donc leur validité pour la FMH même si l’ASSM les a supprimées en juin 2018.

Renseignements:

Charlotte Schweizer, cheffe de la division Communication

Tél. 031 / 359 11 50, courriel: kommunikation@fmh.ch

La FMH est l’association professionnelle des médecins suisses représentant plus de 40 000 membres. Pa- rallèlement, la FMH fédère plus de 90 organisations médicales. La FMH s’attache en particulier à ce que tous les patients de notre pays puissent bénéficier d’un accès équitable à une médecine de qualité élevée dans le cadre d’un financement durable.

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