Revue Sources

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Evoquer la présence des Frères Prêcheurs de Zurich en lien avec la thématique « Église hors les murs » semble à première vue paradoxal. Il est vrai que leur tout premier domicile, à Stadelhofen, était vraiment « hors les murs », mais leur couvent et les différentes églises et agrandissements ultérieurs furent construits à l’intérieur de la ville. La naissance des ordres mendiants allait en effet de pair avec le développement des villes, affirmant leur autonomie face aux princes et à l’empereur. Pour cette raison, les couvents des « mendiants » étaient quasiment toujours situés à l’intérieur des murs, étroitement liés au développement urbain ainsi qu’à l’implantation des premières universités. Ce fut la cas de Zurich lorsque les Dominicains s’y établirent en 1230.

Au XIIIe siècle, cette ville d’à peine 5000 habitants comptait sept couvents et chapitres avec leurs églises attenantes. Parmi les sept, cinq appartenaient à des ordres mendiants, dont trois couvents dominicains. L’église gothique des ‘Prediger’ est encore aujourd’hui une des quatre églises de la vieille ville. Du monastère d’Oetenbach ne subsiste qu’un petit bâtiment isolé, tandis que le couvent des sœurs de St. Verena n’est mentionné que par une plaque commémorative posée sur une maison du Niederdorf, non loin des ‘Prediger’.

Alors couvent « hors » ou « dans » les murs? Il faudrait mieux parler, en pensant aux trois siècles d’existence des Prediger à Zurich, d’un couvent en mouvement, qui se meut hors de ses murs. Un indice? Ce couvent était construit contre les murailles de la ville, proche d’une de ses portes. Une invitation faite aux Prediger de sortir de la cité pour rayonner hors de ses murs. Comment ont-ils répondu à cette invitation? Quatre illustrations qui pourraient servir de preuves.

Tout d’abord, un indice architectural. Les Dominicains de Strasbourg qui répondirent au vœu des autorités zurichoises de voir établi dans leur cité un couvent de Prêcheurs ne construisirent qu’un petit bâtiment à côté d’une petite chapelle mise à leur disposition par la municipalité. Un simple oratoire où les frères priaient avant de sortir pour prêcher sur les places publiques ou dans d’autres églises. Les bâtiments qui suivirent au milieu du XIIIe siècle comprenaient une « Leutekirche », église pour les fidèles destinée avant tout à la prédication, et un petit chœur séparé pour la communauté qui s’agrandit au fil des ans. Les Prêcheurs de Zurich suivirent le modèle de leurs frères de Toulouse qui construisaient l’église dite des Jacobins.

Les frères prêcheurs suivaient les mouvements d’une société en pleine évolution et de ce fait contribuaient à leur manière au développement d’une « Église hors les murs ».

A Zurich, une porte latérale s’ouvre encore sur la « Predigergasse ». Au moyen âge, plusieurs maisons de cette ruelle logeaient de béguines qui ne vivaient pas en béguinage. Femmes veuves ou célibataires, elles se réclamaient du mouvement « Armutsbewegung » ou « Frauenbewegung ». Proches des couvents dominicains ou franciscains, à qui elles faisaient don de leur maison, attendant en retour que les frères les accompagnent. Il semble que le conseil municipal de Zurich en invitant les Prediger dans leur ville avait aussi comme objectif de leur confier l’éducation des femmes. N’existait alors dans la cité qu’un seul institut d’éducation, celui des chanoines, réservé à la jeunesse masculine.

Les moniales dominicaines d’Oetenbach semblent provenir elles aussi de la mouvance de l’ « Armutsbewegung ». Leur monastère, un des premiers de la région alémanique, fut fondé « parce que des femmes voulaient vivre comme les frères prêcheurs ». Un chapitre général intima plus tard aux frères de Zurich comme à tant d’autres couvents de frères de ne plus incorporer de nouveaux monastères de moniales et donc de mettre fin à la direction qu’ils exerçaient sur celui d’Oetenbach. La chronique dit que les moniales de ce monastère furent assez astucieuses pour faire annuler cette décision.

Le monastère d’Oetenbach était-il « hors les murs »? Oui, en quelque sorte. Issues du « Frauenbewegung », les moniales participaient au mouvement de renouveau de l’Église. Oetenbach fut aussi un des centres du réseau de la mystique rhénane. Très probablement, Maître Eckhart, Jean Tauler et certainement Henri Suso y ont séjourné et prêché. A sa fermeture, le monastère comptait plus de 250 moniales. Ce chiffre en dit long sur le rôle important que joua cette communauté dans la cité. Nous savons aussi que Zwingli donna ses premiers sermons réformateurs dans l’église de ce monastère. Il pressentait que si ses idées avaient la faveur des moniales, il lui serait facile de gagner le reste de la cité.

Finalement, l’histoire nous apprend que le rayonnement d’un couvent dominicain ne se limitait pas au territoire d’une ville précise. Son espace de prédication allait bien au-delà. On appelait autrefois « predicatio » ou « termini », ou encore en allemand « Terminbezirk / Terminkreis » l’espace de prédication attribué à un couvent. Avec la fondation de nouveaux couvents en Suisse ou en Allemagne, le territoire assigné aux Prediger de Zurich, immense à ses débuts, se réduisit au fil du temps. Ce secteur était jalonné de maisons « terminales », pied-à-terre pour les frères en tournée de prédication. On a découvert et restauré l’une d’entre elles dans l’Oberland saint-gallois. Ces maisons ne se trouvaient pas dans les bourgs qui avaient déjà acquis un statut social et politique, mais dans les petites villes émergeantes grâce à un marché qui s’y développait. Les frères prêcheurs suivaient les mouvements d’une société en pleine évolution et de ce fait contribuaient à leur manière au développement d’une « Église hors les murs ».

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Viktor Hofstetter

Viktor Hofstetter

Le frère Viktor Hofstetter, ancien provincial des Dominicains suisses, exerce actuellement son ministère de prêcheur à la Mission Catholique de Langue française de Zurich, très proche de la « Prediger » qui abrita pendant trois siècles le couvent des Prêcheurs.

 

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