Revue Sources

Depuis le début de son pontificat, le pape François a eu l’occasion de rencontrer des jeunes et de leur adresser un message à plusieurs reprises. Les Journées Mondiales de la Jeunesse à Rio en 2013 puis à Cracovie en 2016, mais aussi les JMJ intermédiaires, journées au cours desquelles il leur a adressé un message particulier sur les Béatitudes, les rencontres avec les jeunes de divers pays, l’annonce du synode de 2018 qui leur sera consacré… Ses discours ont tous ce style très direct qui caractérise bien le pape mais qui se voit amplifié lorsqu’il s’adresse aux jeunes, engageant régulièrement un dialogue avec eux. [print-me]

Ces adresses aux jeunes sont traversées par des thématiques récurrentes que le pape défend fermement et que nous nous efforcerons de relever ici. Mais au travers de ces exhortations, il appelle avant tout les jeunes chrétiens à être des acteurs décisifs du monde dans lequel ils vivent, les moteurs d’une transformation évangélique de la société.

Des jeunes à écouter et encourager

François commence par écouter les jeunes avec attention: «J’aime parler avec les jeunes. Et j’aime écouter les jeunes. Ils me mettent toujours en difficulté, parce qu’ils me disent des choses auxquelles je n’ai pas pensé ou auxquelles je n’ai pensé qu’à moitié» (Conférence de presse du vol retour de Cracovie). Oui, les jeunes viennent bousculer leurs aînés, ils viennent les secouer, les réveiller même parfois et c’est vital, c’est cela que François veut signifier. Ces choses auxquelles il n’a pas pensé ou pensé qu’à moitié, il ne cesse d’encourager les jeunes à les dire haut et fort.

« C’est sûr qu’ils feront des stupidités. Mais n’ayons pas peur! »

L’idée du prochain synode se trouve là: se mettre à l’écoute de tout ce que les jeunes ont à dire. «L’Église même désire se mettre à l’écoute de votre voix, de votre sensibilité, de votre foi; voire de vos doutes et de vos critiques. Faites entendre votre cri.» Et c’est même tous les jeunes qui sont appelés à faire entendre leur voix, qu’ils soient croyants ou non: «Le synode est un synode pour tous les jeunes! Les jeunes en sont les protagonistes. “Mais, même les jeunes qui se sont éloignés de l’Église?” Oui! “Même les jeunes – je ne sais pas s’il y en a… peut-être y en aura-t-il – qui se sentent athées!” «Oui! c’est le synode des jeunes, et nous voulons nous écouter. Chaque jeune a quelque chose à dire aux autres, a quelque chose à dire aux adultes, a quelque chose à dire aux prêtres, aux sœurs, aux évêques et au pape. Tous nous avons besoin de vous écouter!» (Veillée avec les jeunes, 8 avril 2017).

François en est persuadé, les jeunes ont beaucoup à apporter au monde: «Aujourd’hui, nous les adultes, nous avons besoin de vous, pour nous enseigner à cohabiter dans la diversité, le dialogue, en partageant la multi-culturalité non pas comme une menace mais comme une opportunité. […] Ayez le courage de nous enseigner qu’il est plus facile de construire des ponts que d’élever des murs!» (Veillée Cracovie). Pour cela, il est essentiel de les laisser parler, de les encourager, puis de les pousser à agir, comme il le disait aux pasteurs et futurs pasteurs, évêques, prêtres, religieux et séminaristes, à Cracovie: «Poussons les jeunes pour qu’ils sortent! C’est sûr qu’ils feront des stupidités. N’ayons pas peur! Les apôtres les ont faites avant nous. Poussons-les à sortir. Pensons avec décision à la pastorale en partant de la périphérie, en partant de ceux qui sont les plus loin, de ceux qui d’habitude ne fréquentent pas la paroisse. Ils sont les invités VIP. Allez les chercher aux carrefours des routes.» (Messe avec les évêques, les prêtres, les religieux et les séminaristes, Rio).

Une soif inextinguible

Il y a une soif spirituelle et le pape François appelle les jeunes à se former, mais cette soif s’incarne aussi dans la recherche d’un monde plus juste. Face aux injustices, il exhorte la jeunesse à ne pas baisser les bras, à ne pas capituler devant la mission qui est la sienne. Il fustige ainsi d’abord à Rio les jeunes qui regardent la vie depuis le «balcon» puis à Cracovie, ceux qui sont empêtrés dans leur confort et devenus des jeunes «divan», ce sont les termes phares des veillées des deux JMJ internationales.

«Ne laissez pas les autres être protagonistes du changement! Vous, vous êtes ceux qui ont l’avenir! Vous… Par vous l’avenir entre dans le monde. Je vous demande aussi d’être protagonistes de ce changement. Continuez à vaincre l’apathie, en donnant une réponse chrétienne aux inquiétudes sociales et politiques, présentes dans diverses parties du monde. Je vous demande d’être constructeurs du monde, de vous mettre au travail pour un monde meilleur. Chers jeunes, s’il vous plaît, ne regardez pas la vie “du balcon”, mettez-vous en elle. Jésus n’est pas resté au balcon, il s’est immergé; ne regardez pas la vie du balcon, immergez-vous en elle comme l’a fait Jésus» (Veillée de prière, Rio).

Cette soif spirituelle s’incarne aussi dans la recherche d’un monde plus juste.

«Dans la vie, il y a une paralysie […] dangereuse et souvent difficile à identifier et qu’il nous coûte beaucoup de reconnaître. J’aime l’appeler la paralysie qui naît lorsque l’on confond le bonheur avec un divan. Oui, croire que pour être heureux, nous avons besoin d’un bon divan. Un divan qui nous aide à nous sentir à l’aise, tranquilles, bien en sécurité. […] Un divan contre toute espèce de douleur et de crainte» (Veillée de prière, Cracovie).

Et il confie cette phrase de Pier Giorgio Frassati, comme un remède à cette léthargie: «Nous ne devons pas vivoter, mais vivre». (Pour la XXIXe JMJ 2014).

Un appel radical

Pour ne pas tomber dans cette tentation de capituler, l’idéal proposé est grand. Les jeunes sont appelés à se mettre radicalement en route pour servir leurs frères. «Aujourd’hui, l’humanité a besoin d’hommes et de femmes, et de manière particulière de jeunes comme vous, qui ne veulent pas vivre leur vie à moitié, des jeunes prêts à consacrer leur vie au service gratuit des frères les plus pauvres et les plus faibles, à l’imitation du Christ qui s’est donné tout entier pour notre salut. Face au mal, à la souffrance, au péché, l’unique réponse possible pour le disciple de Jésus est le don de soi, y compris de sa vie, l’imitation du Christ; c’est l’attitude du service. Si quelqu’un, qui se dit chrétien, ne vit pas pour servir, sa vie ne vaut pas la peine d’être vécue».

L’appel est exigeant. Il ne s’agit pas moins que du don de sa vie pour le service. Voilà ce que François propose aux cœurs assoiffés des jeunes générations.

Faire du Christ un ami cher

Ce don total, c’est à l’école du Christ que chacun peut l’apprendre. Le Dieu des chrétiens est un Dieu personnel qui s’est fait homme et que l’on peut rencontrer dans la prière et les sacrements. C’est une relation intime avec lui que le croyant peut nouer fidèlement. Ici, François insiste sur la possibilité et même la nécessité pour les jeunes chrétiens de faire de Jésus un ami, un ami cher. À de nombreuses reprises il insiste sur ce point essentiel qui rend la foi véritablement vivante, cette question qui vient toucher le plus profond des cœurs: «Savez-vous parler avec Jésus, le Père, avec l’Esprit Saint, comme on parle avec un ami? Et pas n’importe quel ami, mais votre meilleur et plus fidèle ami?» (xxxe JMJ, 2015).

«C’est bien en lui que la soif d’idéal pourra être assouvie, il n’y a qu’en lui que «se trouve le plein accomplissement de vos rêves de bonté et de bonheur. Lui seul peut satisfaire vos attentes, tant de fois déçues par les fausses promesses du monde» (xxxe JMJ, 2015).

À contre-courant

Là où l’infini habite leur cœur, les jeunes doivent être encouragés à persévérer et à ne pas se conformer à l’idée du monde mais plutôt à bâtir eux-mêmes un monde plus juste, loin des canons de la réussite et du succès qui est en même temps indissociablement un appel au bonheur: «Ayez le courage d’aller à contre-courant. Ayez le courage d’être heureux» (Rencontre avec les volontaires, Rio). Pour cela, il met en garde contre les «liturgies mondaines» et le «maquillage de l’âme» (Messe Cracovie): «Ne vous laissez pas anesthésier l’âme, mais visez l’objectif du bel amour, qui demande aussi le renoncement, et un “non” fort au dopping du succès à tout prix et à la drogue de penser seulement à soi» (Messe Cracovie).

«À vous les jeunes, je confie d’une façon particulière la tâche de remettre la solidarité au centre de la culture humaine. Face aux anciennes et aux nouvelles formes de pauvreté – le chômage, l’émigration, les dépendances en tout genre –, nous avons le devoir d’être attentifs et vigilants, et de vaincre l’indifférence». Dans leur foi, les jeunes peuvent puiser le courage nécessaire pour faire cette terre nouvelle car «la foi est révolutionnaire et moi je demande à chacun de vous aujourd’hui: es-tu prêt, es-tu prête à entrer dans cette onde révolutionnaire de la foi? C’est en y entrant seulement que ta vie aura un sens et sera ainsi féconde!» (Fête d’accueil des jeunes, Rio)

Le pape encourage les jeunes avec empressement à se tourner vers leurs grands-parents ou les personnes âgées

Mais en parallèle de cette exigence lancée aux jeunes, François rappelle régulièrement que leurs aînés doivent aussi leur octroyer une place dans la société qui puisse leur donner la possibilité de mener une vie digne. Le chômage est l’un des principaux soucis pour de nombreux jeunes et le pape rappelle avec force la place qui doit leur être donnée et l’opportunité de faire valoir leurs talents.

Point central de ses discours aux jeunes et donc pilier de la vision de la société qu’il leur propose: dans quasiment chacun de ses messages adressés aux jeunes, le pape les encourage avec empressement à se tourner vers leurs grands-parents ou les personnes âgées qui sont notre mémoire vive: «Nous avons besoin de ce pont, du dialogue entre les grands-parents et les jeunes.» «Écoute les anciens. Fais qu’ils rêvent et que tu prennes toi ces rêves pour aller de l’avant, pour prophétiser et rendre concrète cette prophétie.» Que l’un et l’autre extrême de la société ne soient pas abandonnés par la marche frénétique du monde mais qu’ils prennent justement soin les uns des autres.

Allez. Sans peur. Pour servir.

Lors de la messe de clôture des JMJ de Rio, le pape François a laissé trois injonctions aux jeunes du monde entier, et je crois qu’elles constituent le cœur du message qu’il leur adresse au fil des ans: «Allez, sans peur, pour servir». Les jeunes sont appelés à être des missionnaires de par le monde, des missionnaires aux périphéries de leurs paroisses, des missionnaires vers d’autres jeunes, ils sont appelés à aller à la rencontre, des autres générations, des jeunes de toutes les nations, comme l’illustrent si bien les JMJ. Alors que la tentation du repli sur soi résonne à travers le monde, ils sont appelés à ne pas avoir peur. La peur paralyse, elle empêche, elle réduit, impossible d’être des disciples joyeux du Christ si l’on est emprisonné par la peur. Et enfin: pour servir. Le message de l’Evangile est on ne peut plus actuel, la vie du chrétien véritable est une vie de service et de don de soi, une vie bien différente de ce que les canons de réussite de nos sociétés peuvent présenter. Mais c’est bien dans ce service à contre-courant de l’esprit du temps que les jeunes sont appelés à ancrer solidement leur vie. Et vraiment, quand on lit tous ces textes du pape, on ressent l’urgent besoin d’aller sans peur pour servir car il semblerait bien qu’un monde plus juste soit possible…

Aux centaines de milliers de jeunes rassemblés à Cracovie, François disait: «Le monde nous regarde!» Oui, le monde nous regarde, le monde a besoin de jeunes chrétiens qui témoignent joyeusement, car la joie est témoignage elle aussi, du Christ de manière incarnée et «révolutionnaire»!


Propos recueillis par Marie Larivé, éditrice. 

Article suivant