Revue Sources

Céline Béraud est sociologue, maître de conférences à l’université de Caen. Elle a publié de nombreux ouvrages sociologiques sur le catholicisme contemporain, en particulier «Le métier de prêtre» (Editions de l’Atelier, 2006), «Prêtres, diacres, laïcs, révolutions silencieuses dans le catholicisme français» (PUF, «Le Lien social»,(2007) et «Métamorphoses catholiques» (avec Philippe Portier, Editions de la MSH, 2017).  Le frère dominicain Jacques-Benoît, membre de l’équipe de rédaction de SOURCES l’a rencontrée.

Vous avez publié en 2007 un ouvrage intitulé «Prêtres, diacres, laïcs, révolution silencieuse dans le catholicisme français». Pourquoi ce titre et où en est cette «révolution silencieuse»?

Ma recherche a commencé à la fin des années 1990. J’ai qualifié l’évolution à laquelle nous avons assisté dans ces années de «révolution silencieuse dans le catholicisme français». En effet, la baisse considérable du nombre de prêtres qu’on observait alors n’avait pas entraîné une incapacité pour l’Eglise de répondre aux demandes qui continuaient à lui être adressées: demandes de mise en forme rituelle des grands moments de l’existence, demandes d’accompagnement dans les aumôneries des établissements publics notamment. Des rôles autrefois dévolus aux prêtres étaient pris en charge par des laïcs et en particulier par des femmes laïques. Il s’agissait bien d’une «révolution», mais ce qui me surprenait est qu’on n’en parlait pas et surtout que peu d’efforts étaient faits pour traduire ces changements dans les pratiques de l’institution et dans ses normes.

Il y a une sorte de retrait de la part des laïcs, et des femmes en particulier, qui n’attendent plus aucune évolution.

Avec vingt ans de recul sur cette enquête, je constate tout d’abord que ce qui était l’exception en ce qui concerne les prêtres est devenu la règle aujourd’hui. Les prêtres âgés sont presque systématiquement prolongés au-delà de leurs 75 ans; beaucoup de prêtres étrangers sont appelés et des prêtres très jeunes sont mis en responsabilité. Le nombre d’ordinations continuent à baisser: nettement inférieur à une centaine de diocésains par an depuis le début des années 2010 qui ont marqué un décrochage. Les diacres, sur lesquels on comptait encore au début de mon enquête, ont maintenant, eux aussi, vieilli et les ordinations de diacres permanents se sont tassées. Du côté des laïcs, enfin, on voit que cette «révolution silencieuse» n’a toujours pas eu de conséquences institutionnelles importantes. Certes, des évêques ont fait des progrès dans la gestion de ces «ressources humaines» que sont les laïcs; on parle un peu plus de ces réalités à la suite de travaux sociologiques ou canoniques. Mais, dans l’ensemble, des réflexions très timides ou peu abouties ont été menées par l’institution. J’ai travaillé récemment sur les aumôniers de prison et sur les aumôneries d’hôpital. Sur ces terrains, des bricolages locaux ont lieu, des voies sont inventées quant au rôle à attribuer aux laïcs en responsabilité. Mais les normes de l’institution n’évoluent pas par rapport à la réalité du terrain.

Vous soulignez que c’est particulièrement le cas en ce qui concerne la place des femmes ?

Oui. Comme je l’ai dit, la plupart des laïcs qui participent à cette «révolution silencieuse» sont des femmes. Mais les femmes continuent à être marquées par une «non-visibilité» dans l’Eglise. On peut citer plusieurs exemples. Prenez l’attitude du pape François. Il a eu de très beaux discours et a procédé à quelques nominations de femmes. Mais en ce qui concerne les normes, rien n’a changé. A deux reprises, on peut estimer qu’il a vite balayé des propositions qui cherchaient à donner une reconnaissance institutionnelle à la visibilité plus importante aux femmes. La première concernait la possibilité de nommer des femmes-cardinales; la seconde était liée à leur accès au diaconat (qui reste malgré tout en discussion). On peut aussi citer le témoignage de Lucetta Scaraffia qui a participé au synode sur la famille. Alors qu’elle n’est pas connue pour ses propos excessivement contestataires, elle a témoigné du fait qu’elle a été mise sur la touche pendant les réunions du synode qui portaient pourtant sur un thème pour lequel l’Eglise reconnaît l’importance du rôle des femmes! On le voit enfin dans les paroisses où, pour le service de la messe, on attribue souvent aux petites filles des rôles caractérisés par leur distance par rapport à l’autel.

De telles attitudes sont fréquentes dans les institutions (religieuses ou non) marquées par une forte féminisation. Le discours et les pratiques se concentrent autour de la crainte que les femmes «prennent la place» des hommes. Face à cette peur, un discours «masculiniste» se développe. Celui-ci n’est pas spécifique à l’Eglise mais il est typique de groupes de plus en plus féminisés. Malgré tout, dans le cas de l’Église, ce discours est renforcé, par la politisation des questions de genre. Je crois que les positions de l’Eglise sur les questions de sexualité et de place des femmes doivent être lues en lien avec les débats qui traversent la société. Mais, réciproquement, les tensions internes à l’Eglise sur ces sujets permettent de comprendre ses prises de position – et ses crispations – en externe quand elle aborde ces questions.

Ces évolutions touchent-elles de manière équivalente tous les pays d’Europe?

J’avais eu l’occasion de travailler sur ces questions avec des sociologues qui connaissaient la situation du Portugal, de l’Italie, de l’Espagne, de la France et de la Belgique. Ces deux derniers pays ont été concernés plus précocement que les autres par la place grandissante des laïcs dans l’Eglise. Aujourd’hui, on voit que l’Espagne est confrontée à une diminution significative et massive du nombre de prêtres. L’Italie lui emboîte le pas, mais le maillage très capillaire du territoire par l’Eglise rend le phénomène encore peu visible. Le Portugal a, quant à lui, un des clergés les plus jeunes d’Europe. L’Allemagne et la Suisse connaissent une situation encore différente du fait de la salarisation d’une partie des laïcs et du haut niveau de diplômes dont ils peuvent se prévaloir. Un autre cas significatif me semble être celui du Québec. Longtemps, les laïcs avaient été très investis dans des réflexions sur la place qu’ils sont appelés à occuper dans l’Eglise. Aujourd’hui, ces réflexions semblent en partie inhibées. On peut constater que ce mouvement a pratiquement disparu. Il y a une sorte de retrait de la part des laïcs (et des femmes en particulier) qui n’attendent plus aucune évolution et n’imaginent plus aucun changement.

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