Revue Sources https://www.revue-sources.org Sun, 12 Jun 2022 16:29:56 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.3.1 Réforme de la curie romaine https://www.revue-sources.org/reforme-de-la-curie-romaine/ https://www.revue-sources.org/reforme-de-la-curie-romaine/#respond Sun, 12 Jun 2022 15:24:27 +0000 https://www.revue-sources.org/?p=2890 Astrid Kaptijn, professeure de droit canonique à l’Université de Fribourg propose une analyse de la Constitution apostolique Praedicate Evangelium qui réforme la curie romaine. Elle revient sur le rôle de la Curie, des différents dicastères (ministères), et sur la place que leur donne le pape François et les enjeux de cette réforme.

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Un livre pour découvrir la Doctrine sociale de l’Eglise https://www.revue-sources.org/un-livre-pour-decouvrir-la-doctrine-sociale-de-leglise/ https://www.revue-sources.org/un-livre-pour-decouvrir-la-doctrine-sociale-de-leglise/#respond Thu, 17 Mar 2022 21:48:45 +0000 https://www.revue-sources.org/?p=2887 Le fr. Jacques-Benoît Rauscher, op nous présente son nouvel ouvrage pour découvrir la Doctrine sociale de l’Eglise

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Un avis sur la série The Chosen https://www.revue-sources.org/un-avis-sur-la-serie-the-chosen/ https://www.revue-sources.org/un-avis-sur-la-serie-the-chosen/#respond Thu, 17 Mar 2022 21:47:14 +0000 https://www.revue-sources.org/?p=2884

Le fr. Thomas Zimmermann, op nous partage son avis sur la série The Chosen, sur la vie de Jésus et de ses Apôtres

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« François a fait preuve de bienveillance pastorale envers la Fraternité Saint Pierre » https://www.revue-sources.org/francois-a-fait-preuve-de-bienveillance-pastorale-envers-la-fraternite-saint-pierre/ https://www.revue-sources.org/francois-a-fait-preuve-de-bienveillance-pastorale-envers-la-fraternite-saint-pierre/#respond Fri, 25 Feb 2022 15:10:22 +0000 https://www.revue-sources.org/?p=2865 En juillet 2021, le pape François avait donné l’impression de vouloir réduire strictement la célébration de la messe d’avant Vatican II. Il y a quelques jours, il a accordé à la Fraternité Saint-Pierre une large possibilité de célébrer selon l’ancien missel. Le frère Henry Donneaud, dominicain de la Province de Toulouse et professeur de théologie fondamentale à l’Institut Catholique de Toulouse revient sur ces évènements.

 Peut-on dire que l’attitude de François envers la Fraternité Saint-Pierre constitue un revirement dans sa manière de considérer les courants traditionnalistes ?

De manière générale, il est vrai qu’on est habitué aux surprises avec le Pape François ! Mais, plus profondément, je crois qu’il faut lire cette décision comme significative de la manière de se positionner de ce pape. Si vous me permettez un parallèle qui surprendra peut-être, je dirais que François agit dans le domaine de la liturgie un peu comme dans celui de la morale familiale. Il y a d’une part la question des principes (sur lesquels il se montre strict) et d’autre part la mise en œuvre de ces principes (dans laquelle une certaine souplesse est envisageable). 

Dans le domaine liturgique, quels sont les « principes » pour François ?

Les principes ont été clairement développés dans Traditionis Custodes, publiée le 16 juillet 2021. Le pape a indiqué dans ce document qu’il n’y a qu’une seule forme du rite romain. Cette forme est la célébration selon le missel de Paul VI. Si des exceptions peuvent exister, elles doivent être très restreintes et soumises à l’autorité des évêques diocésains. 

Les décisions concernant la Fraternité Saint-Pierre sont donc à lire comme la mise en œuvre de ces principes ?

Tout à fait. Le pape reconnaît que des catholiques puissent être attachés à la célébration de la messe tridentine. Il accède à leur demande, car, je crois, il a été sensible au geste humble de la Fraternité Saint-Pierre. Ses représentants ont indiqué au pape que, depuis la création de la Fraternité, le Saint-Siège lui avait permis l’usage des livres liturgiques antérieurs à Vatican II. Surtout, la Fraternité Saint-Pierre affirme ne pas critiquer et donc contester la messe de Paul VI. C’est là une différence capitale qui tranche avec les propos tenus par certains traditionnalistes, affirmant que la messe de Paul VI est une messe « au rabais » ou « qui n’honore pas la dimension du sacrifice ». La Fraternité Saint-Pierre s’étant distanciée de ces déclarations inacceptables, le pape n’a pas voulu exiger trop des personnes attachées à la liturgie tridentine en les obligeant à changer du jour au lendemain leurs pratiques. Il a donc fait preuve d’une bienveillance pastorale à l’égard de la Fraternité.

Ne peut-on pas avoir le sentiment que chaque pape (d’abord Paul VI, puis Benoît XVI et maintenant François) va dans un sens différent pendant son pontificat à propos de la liturgie ?

Le rôle du pape est de veiller à l’unité de l’Église. Très tôt dans l’histoire, le propre de la liturgie romaine a été son caractère unifié et unificateur : on célèbre comme célèbre l’évêque de Rome. Depuis S. Pie V, il n’y a jamais eu deux formes du rite romain. Il s’agit là d’une nouveauté qui est apparue après le Concile Vatican II car certains ont refusé la réforme liturgique. Dans cette perspective, si Benoît XVI avait reconnu une forme « ordinaire » et une forme « extraordinaire » du rite romain c’était dans un souci d’unité, mais avec une condition importante : la nécessité pour tous de reconnaître la validité et la sainteté de la messe de Paul VI. De fait, cette condition n’a, dans certains cas, pas été respectée. Le risque était donc de voir apparaître deux Églises parallèles. C’est pour préserver l’unité de l’Église que le pape François est intervenu. On ne peut, en effet, être catholique et refuser la mise en œuvre de Vatican II qu’est la réforme de la liturgie voulue par ce Concile. La sensibilité personnelle en matière liturgique ne peut primer sur l’obéissance à l’autorité du magistère. 

Comment voyez-vous le développement de cette question à l’avenir ?

Le temps est une autre dimension sur laquelle le pape François insiste beaucoup dans l’ensemble de ses écrits. Il faut des décennies pour recevoir un Concile. On l’a vu, par exemple avec les Conciles de d’Éphèse (en 430) et de Chalcédoine (en 451). Il convient donc de continuer à travailler pour que la liturgie de Vatican II soit reçue partout. Après ce Concile, les camps se sont un peu figés. Mais des évolutions pourraient être possibles. Par exemple, dans les célébrations où le missel tridentin est encore utilisé, on pourrait introduire des éléments permettant la participation active des fidèles promue par Vatican II. La liturgie est étymologiquement un « acte du peuple » ; lire les lectures en français, demander aux fidèles de réciter le « Notre Père » pourraient être des pistes à approfondir dans ces célébrations. Ou encore, on a vu récemment telle communauté traditionaliste recourir à la concélébration… Ensuite, il faut reconnaître que des abus ont eu lieu, ici ou là, dans la mise en œuvre de la réforme liturgique de Vatican II. Cela peut expliquer pourquoi certains, des jeunes en particulier, peuvent, aujourd’hui encore, se tourner vers la liturgie tridentine. Cependant, les pratiques actuelles montrent qu’il est possible, avec le missel de Paul VI, de vivre des célébrations priantes qui mettent en valeur cette dimension importante (mais pas exclusive) de la liturgie qu’est le sacré. La nouvelle traduction du missel romain constitue une étape supplémentaire sur ce chemin, ce qui est très encourageant !

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Sport et théologie https://www.revue-sources.org/sport-et-theologie/ https://www.revue-sources.org/sport-et-theologie/#respond Fri, 18 Feb 2022 20:48:10 +0000 https://www.revue-sources.org/?p=2853 Alors que les Jeux Olympiques d’hiver de Pékin ont marqué les esprits, Alessandra Maigre nous résume les points principaux de sa thèse sur sport et théologie.

Pourquoi s’intéresser au sport en théologie ?

Il y a d’abord une idée générale. Certains auteurs ont vu dans le sport les éléments d’une religion. A mon avis, il faudrait plutôt dire que le sport est un fait culturel qui a des finalités religieuses.

Je m’intéresse à cette question selon trois angles. D’abord la question du corps. Comment la vision chrétienne du corps peut soutenir une vision du sport plus large ? Ensuite, il y a la question de la vocation. A quoi est appelé l’athlète : comment la « vocation sportive » s’inscrit-elle dans la vocation humaine ? Enfin, je m’intéresse à la dimension du jeu : le sport, s’il vise une performance, a aussi cette dimension de « jeu » qu’il ne faut pas négliger, y compris dans la vie chrétienne.

Il s’agit donc de situer le sport dans la manière qu’a le christianisme de voir l’être humain…

Tout à fait. Dans le sport on parle beaucoup de santé physique car le corps est engagé en premier. On parle de plus en plus depuis un certain temps de santé mentale. Mais une question me préoccupe : qu’en est-il de la santé spirituelle ? C’est une piste à développer et à définir selon moi et qui peut l’être spécialement par les aumôneries sportives.

De fait, quel rôle peut jouer un aumônier sportif dans ce domaine ?

Les aumôniers peuvent proposer une espérance au-delà de ce que le sport peut fournir. Le sport est quelque chose de parfois très émotionnel et limité dans le temps. L’aumônerie sportive n’est pas d’abord intéressée aux performances de l’athlète mais à qui il est humainement. Il apporte donc quelque chose de tout à fait important. 

Le Vatican a développé une section « Église et sport » qui réfléchit au fait que le sport est au service de la croissance humaine intégrale. En France, un groupe de travail Église et sport a été créé. Ce groupe réfléchit aux liens entre sport et religion pour développer une pastorale du sport pour les sportifs de haut niveau mais aussi au niveau amateur.

Un texte texte biblique pour méditer sur tout cela  ?

J’aime beaucoup un passage du livre des Proverbes (cf. plus bas). La Sagesse est là comme pour accomplir les oeuvres de Dieu. Ce texte représente la dimension ludique du sport. Cette dimension du sport comme jeu est à retrouver. Cela est particulièrement vrai pour les sportifs de haut niveau, souvent centrés sur la performance. Il faudrait retrouver une sorte de spiritualité ludique dans le sport.

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Revenu universel de base: qu’a dit le pape François ? https://www.revue-sources.org/revenu-universel-francois/ https://www.revue-sources.org/revenu-universel-francois/#respond Thu, 03 Dec 2020 15:06:30 +0000 https://www.revue-sources.org/?p=2836

Dans un ouvrage publié le 2 décembre 2020, intitulé Un temps pour changer (Flammarion, 2020) le pape François propose d’explorer la possibilité de mettre en place un Revenu Universel de Base qui permettrait d’envisager les relations au travail sur de nouvelles bases.

Ce livre ne constitue pas un document ayant un degré d’autorité comparable aux grands textes pontificaux comme les encycliques ou les exhortations apostoliques. Il appartient à la catégorie où les papes (depuis Jean-Paul II et Benoît XVI) livrent des idées personnelles sur des sujets théologiques ou des sujets de société.

Cependant, la proposition de François, déjà formulée dans une lettre de juin 2020 mérite qu’on s’y arrête. Le fr. Jacques-Benoît Rauscher, op nous propose une lecture de ce texte et de ses implications dans une courte vidéo:

 

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Devant Game of Thrones, le chrétien peut-il rester de glace? https://www.revue-sources.org/game-of-thrones/ https://www.revue-sources.org/game-of-thrones/#respond Sun, 21 Apr 2019 15:31:47 +0000 https://revue-sources.cath.ch/?p=2797 Adaptée en série télévisée depuis 2011, la saga du Trône de Fer(Game of Thrones), écrite par George R. R. Martin, a occupé un tel espace médiatique qu’elle est devenue un phénomène de société. Les chrétiens qui la composent y ont forcément été confrontés. Grégory Roth revient sur ce phénomène de la culture contemporaine.

« Est-il permis à un chrétien de regarder cette série? » Une question morale récurrente que posent des sites et blogs chrétiens. Les réponses divergent. Il y a le ‘non’ catégorique. Il veut éviter toute pollution de l’esprit par l’image, a fortiori si le public est mineur. Il y a le ‘oui’ pédagogique. Il vise à montrer comment cette violence exacerbée devient un tel non-sens qu’il devient aisé d’en tirer un contre-exemple pour sa propre vie. Combattre le mal par le mal, en quelque sorte.

Si vous n’avez rien suivi à cette série qui rassemble 18 millions de spectateurs à travers le monde, le journal Le Monde en a proposé un petit résumé que l’on vous recommande.

Violente Bible

D’autres sites proposent plutôt des analyses comparatives entre Game of Thrones et la Bible. Meurtres, incestes, viols, viols collectifs, infanticides, exécutions, trahisons, rites, beaucoup de thèmes se retrouvent dans les deux références. Mais autant le dire d’emblée: certains passages bibliques renvoient à une réalité bien plus violente que les scènes les plus choquantes de la série. Mais la série – grâce à l’image, à la technologie et au scénario – a la capacité artistique de rendre cette violence beaucoup plus réelle et réaliste à l’esprit. Ce que la lecture d’horribles passages de la Bible ne pourrait nettement moins provoquer.

La méchanceté de certains personnages de Westeros est poussée tant à l’extrême – avec de nombreuses scènes de torture qu’ils commanditent ou exécutent personnellement – que lorsque leur tour est venu d’être assassiné, un sentiment de soulagement est sans doute éprouvé de la part du téléspectateur. Je me suis, pour ma part, pris en flagrant délit en train de prendre un macabre plaisir à voir mourir quelques uns des bourreaux. Comment expliquer ce sentiment ambigu, alors qu’il faudrait plutôt sortir de la logique « œil pour œil, dent pour dent » ?

Pas de « happy ends »

Autre fait déroutant de la série: des protagonistes meurent souvent très tôt. Ils sont quelquefois assassinés de manière inattendue et sournoise. Il est donc difficile de s’attacher un personnage ou d’espérer voir un « happy end » à la fin d’un épisode ou d’une saison. Et de ceux qui restent en vie, il n’est pas évident de dépareiller les méchants des gentils. La frontière est parfois ténue: il arrive que les personnages cruels fassent spontanément preuve d’humanité, et que les personnages généralement bons et loyaux puissent faire preuve d’une violence surprenante. Le doute reste constant pour le téléspectateur: qui choisir, sur quel cheval miser? Ne sachant même pas si l’un d’entre eux mérite vraiment de franchir la ligne d’arrivée.

A la veille de la huitième et ultime saison de cette mythique saga, le mystère reste complet. Personne ne connait encore le nom de celui va définitivement siéger sur le Trône de Fer, si tant est que des créateurs de cette fiction le veuillent. Est-ce que le vainqueur qui accédera au trône, le fera parce qu’il sera désigné par ses pairs comme étant le plus sage et le plus loyal? Est-ce que cet ultime couronnement apportera enfin un temps de paix? Et pour combien de temps? « Nos ennemis ne s’arrêteront jamais », peut-on entendre dans la bande-annonce de cette dernière saison. Quel que soit le scénario final, il semble que le pouvoir lié au Trône de ferprovoque une spirale de violence sans fin.

Un roi idéal?

Avec la figure de royauté présentée par Jésus, c’est là que la Bible s’éloigne de la fiction. Dans ses sombres épisodes, la Bible tient compte de la réalité humaine, dans laquelle la violence est toujours présente. Tout en interrogeant cette violence, elle réoriente le regard du lecteur. Elle fait émerger un nouveau concept de roi idéal: celui qui ne cherche pas à s’enrichir ou à s’élever au-dessus de ses frères. Un roi qui sache prendre soin du pauvre, de la veuve et de l’orphelin. Qui applique la même justice pour le petit et pour le grand. Jusqu’à la figure du ‘serviteur souffrant’ (chez Isaïe); celui qui prend sur lui toutes les souffrances afin de servir son peuple.

Le roi est garant du peuple devant Dieu. C’est-à-dire qu’il n’est pas le plus haut, il y a toujours quelqu’un de plus grand, à qui il rend des comptes. Les chrétiens reconnaissent en Jésus l’incarnation de ce roi idéal: il n’a pas renversé le pouvoir en place, mais il ne s’est pas tu pour autant face aux injustices. Il a remis les autorités en question, jusqu’à en payer de sa vie. Jésus s’est fait le serviteur de tous, subissant la trahison, le reniement et la mort.

Finalement, où se situent les chrétiens face à la violence de Game of Thrones ? Ne nous trompons pas. Il ne s’agit pas seulement de constater de loin le produit fictif de cette série comme un fruit délirant d’imagination de nos contemporains issus d’une société nihiliste et postmoderne. A ce jeu de trônes, les Eglises n’y échappent pas non plus…

Grégory Roth est  journaliste à Cath.ch et producteur des messes radio pour RTSreligion.

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Gaudeamus omnes https://www.revue-sources.org/gaudeamus-omnes/ https://www.revue-sources.org/gaudeamus-omnes/#comments Thu, 08 Nov 2018 13:05:25 +0000 https://revue-sources.cath.ch/?p=2774 Je rédige cet éditorial ce matin pluvieux de Toussaint. Non pas en contemplant le paradis peint par Fra Angelico où dansent en ronde les anges et les saints, mais dans le clair obscur d’une ville qui n’est plus à la fête aujourd’hui depuis que Calvin décrocha les images de ceux et celles que nous appelons les élus de Dieu. Ce qui ne m’empêche pas de fredonner l’antienne latine du jour: «Gaudeamus omnes!». «Réjouissons-nous tous ensemble!».

Oui, réjouissons-nous avec cette cohorte de bienheureux qui nous ont précédés. Beaucoup de monde dans ce cortège disparate: des premiers de classe bien sûr, des grandes et belles dames, mais aussi des culs-de-jattes, des bouffons, des innocents, tous ceux que le monde juge «moins que rien». Et tous dans la joie, même au cœur des larmes, des trahison et des persécutions.

Notre dossier relève souvent l’épithète «paradoxale» pour qualifier cette joie singulière, quand il lui arrive d’ignore le rire, l’humour, la gaîté et bien sûr la gouaille. Une joie qui au dire de Jésus est un est un pur cadeau de sa part, offert à ses amis dûment auréolés, mais aussi à ceux qui ne figurent pas sur les listes ecclésiastiques officielles. Un calembours courait pendant mes jeunes années. Deux choses allaient m’étonner en entrant au paradis: la première était  celle de m’y voir et la deuxième de ne pas y rencontrer ceux que je pensais avoir tous les droits d’y pénétrer.

Ce dossier «joyeux» apporte aussi une note de lumineuse clarté après la grisaille des deux derniers dossiers consacrés, on s’en souvient, au mensonge et au doute. Nous aimerions finir l’année sur cette note à la fois grave et légère. Notre pensée va vers ceux qui souffrent, mais sans éprouver quelque apaisement du cœur. Mais aussi nous rendons grâce pour tous les autres qui sécrètent une «joie imprenable» au milieu de leurs tourments. Ils nous consolent et nous fortifient..

Dans la joie «paradoxale» du Noël qui vient. Entre un bœuf et un âne gris, un enfant pauvre nous sourit.

Fr.Guy Musy op 

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Bienheureux! https://www.revue-sources.org/bienheureux/ https://www.revue-sources.org/bienheureux/#comments Thu, 08 Nov 2018 12:41:21 +0000 https://revue-sources.cath.ch/?p=2770 Le 8 décembre 2018, à Oran, les 19 martyrs d’Algérie seront proclamés bienheureux en cette terre où ils ont vécu et offert leur vie jour après jour jusqu’à ce qu’ils soient victimes comme des dizaines de milliers d’Algériens du terrorisme durant les années 90 que l’on appelle les «années noires».

Le sens de cette béatification a été explicité par les évêques d’Afrique du Nord qui ont souhaité que cette béatification se fasse en terre musulmane, pour mieux y associer tous ceux qui sont morts durant cette même période, atteints par la même violence.

Bienheureux… Au-delà de la formule et de l’acte solennel par lequel l’Eglise reconnaît une vie chrétienne exemplaire, il y a une réalité qui n’échappe pas quand on lit les écrits qu’ils nous laissent: c’est la joie qui les traverse. La joie des béatitudes apparaît au détour des lignes, la joie pascale, la joie imprenable mûrie à l’ombre de la croix.

C’est d’ailleurs par la joie que frère Christian de Chergé, fraîchement élu prieur par ses frères en 1984, commence ses chapitres[1] l’année suivante.

Au fil des Chapitres du prieur

Dans ses notes de lecture, frère Christian relève ce passage de l’homélie de Pâques 1985 donnée par Mgr Teissier :

« L’humanité est, chaque jour, plus consciente des responsabilités qui pèsent sur chacun et sur tous pour que le DROIT à la JOIE soit également partagé. Comme le printemps éveille la terre après le sommeil de l’hiver, notre JOIE de Pâques doit réveiller, ce matin, notre courage pour marcher vers cette terre nouvelle, et habiter, avec Jésus, cette humanité fraternelle[2]

Après en avoir fait son propre fil rouge pour sa prédication lors de la Semaine sainte, il va précisément reprendre ce thème de la joie dans ses chapitres du 15 avril au 28 juin 1985. En tout, ce sont 48 chapitres qui vont mettre en lumière ce thème de la joie dans la liturgie quotidienne, dans les Constitutions, dans la Règle de saint Benoît, ainsi que dans le Coran.

Le 17 avril, lisant les Constitutions 33,2, il reçoit pour lui-même un premier enseignement:

« L’Abbé porte le souci pastoral du troupeau qui lui est confié ; il manifeste à tous la bonté et la bienveillance du CHRIST, s’étudiant plus à être aimé que craint, s’adaptant au caractère de chacun et exhortant les frères à courir d’un coeur allègre et JOYEUX sur le chemin où Dieu les appelle. Une éducation à la JOIE (alacri et beato animo). Un enseignement qui doit libérer la JOIE, climat normal de l’exode, de la pâque.»

Le lendemain, il résume:

«Si l’Abbé est éducateur de JOIE, entraîneur, exemple… c’est une façon d’être le Christ parmi ses frères[3]

Pour cela, il faut donc entrer en imitation du Christ, se mettre à «l’école de la joie». De sa joie. Pas la joie qui vient des hommes comme celle décrite par les sourates qu’il égrène pour ses frères. La joie est

«un CONTENU qui a besoin d’un CONTENANT… le Corps du Christ. Jésus nous donne SA PAIX, mais il veut faire en nous le PLEIN de joie. La JOIE est à la PAIX ce qu’est la source au fleuve… ce qu’est le chant à la parole. Il veut trouver en nous le PLEIN d’une JOIE qu’il n’a pas retenue pour lui : de son coeur ont coulé des fleuves d’eau vive[4]

La source de cette joie apparaît immédiatement:

«Jésus surabonde de la joie que le Père déverse en lui. Le Père trouve toute sa JOIE dans le Fils : c’est du Père que la joie coule comme de source et elle trouve dans le Fils un « contenant » à sa mesure. Tout ce qui fait la joie du Père se trouve recueilli dans le Fils[5]

La joie, la vraie, elle est même pour le moine une vocation:

«Si le moine est spécialement voué à la JOIE, c’est bien parce qu’il est lié au Psautier. Son OFFICE : s’offrir comme Canal à ce fleuve de louange grossi à travers les âges par tant de torrents qui ont su puiser à la même source que le Magnificat[6]

Il explique:

«Entrer dans la prière comme les apôtres, à l’école des Psaumes… Se laisser transformer par les Psaumes pour aller chercher les hommes partout où ils sont et les conduire, à travers nous, là où Dieu les attend, les unit, les pacifie, dans sa JOIE. Nous sommes, à travers cette prière d’Église, des passeurs vers la JOIE dans l’Esprit[7]

La joie de Dieu cherche à se communiquer, mais elle ne peut le faire qu’à une condition :

«On l’a dit, la JOIE est un contenu qui a besoin d’un contenant : la JOIE de Dieu et la JOIE des hommes peuvent se donner rendez-vous une fois encore aujourd’hui, parce que nous sommes assez dépouillés de nous-mêmes et assez pauvres de joie vraie pour leur faire toute la place[8]

Les Psaumes engagent en fait sur le chemin d’une joie autre, celle de l’Espérance qui alimente

«cet instinct invisible qui nous dit que nous sommes faits pour la VIE et la JOIE[9]

L’Eglise toute entière vit de cette joie revenue de la tristesse et du tombeau, joie pascale victorieuse de la mort, dépositaire de la promesse de vie éternelle. 

Le devoir de la joie

Dans la vie chrétienne est donc inscrite le «devoir» de la joie. Pas comme un commandement reçu de l’extérieur, mais comme l’indice d’un plein intérieur, d’une parole reçue, d’une promesse crue, d’une vie à l’oeuvre indépendamment des remous de surface: le coeur battant du «peuple des béatitudes». Cette vocation commune à la joie nous glisse dans la vraie fraternité: reçue d’en haut, comme la joie.

C’est sans doute ce qu’ils ont vécu. Pas tout de suite… car la joie a dû se frayer un chemin. Mais la douceur en a été l’annonciatrice:

«Il y avait hier matin, au chapitre, une lumière très douce entre nous : nous étions « tout regard » à l’écoute les uns des autres : à l’écoute de toi[10]

 La joie: un climat de vie

La joie, c’est aussi le climat de la vie en Dieu:

«Un emprunt à Perfectae Caritatis 7 (les moines) « …vaquent uniquement aux choses de Dieu… dans la prière assidue et une joyeuse pénitence ». Il faut être la Mère Église pour accoler ainsi deux mots aussi apparemment contradictoires, la joie et la pénitence. Cela signifie que la JOIE chrétienne se conquiert, ou plutôt se reconquiert… et aussi que la pénitence n’est pas le « rabat-joie » qu’on imagine. Elle est effort de conversion, effort volontaire, donc librement consenti. La joie est alors le critère de cette liberté intérieure[11]

Frère Christian va réaborder ce thème dans l’un de ses derniers chapitres:

«Notre voie (tarîqa) à la suite plus rapprochée du Christ est donc « un chemin joyeux vers la plénitude de l’amour ». Et c’est par là même un chemin d’INCARNATION empruntant toutes les conditions d’humanité que le Christ a lui-même connues : rien de l’homme ne lui a été étranger, hormis le péché dont il nous a dit qu’il n’est pas « de l’homme », qu’il n’appartient pas à l’image et à la ressemblance. Joie et peine, souffrance et bonheur peuvent ainsi être étroitement liés, peut-être même imbriqués, conjoints à la façon dont saint Paul trouvait sa joie dans ses tribulations. Il ne nous revient pas de nous figer dans une attitude purement hédoniste (« tout est beau et bon ») ou, au contraire, dans une optique de type doloriste ne cherchant que la croix pour soi et pour les autres. Au moment même où elle se présente comme un choix d’ascèse et de privation, la voie monastique se veut chemin de paix et de liberté authentique conduisant à ce que Jésus lui-même a goûté en l’appelant la « joie parfaite». Ce qui compte c’est que TOUT soit reçu « d’humeur égale » comme DON du Père, et vécu pour la gloire de Dieu[12]

Hymne à la joie du frère Christophe

Comment ne pas mettre en relation cette citation avec ces lignes de frère Christophe écrites à ses parents ?

«L’avenir est incertain. Il y a pourtant en tout cela un bonheur, une paix, une joie d’Evangile[13]

Même tonalité dans ce poème:

«Naître (l’espérance qui m’arrive)
avec toi tout commence enfin
hier est dégagé, aujourd’hui est libre
dans l’ouverture se dessine un à-venir de lumière
ta ressemblance m’attire
dedans ta pâque je me suis glissé
et me laisse prendre entièrement à ta vie
ta résurrection m’envahit
par toi s’actualise le don
et tout s’éternise en joie[14]»

Dessin extrait de«Aime jusqu’au bout du feu»,
Monte Cristo, p. 154.

Dans son cahier de prière, on retrouve cette même joie étonnée d’une telle transfiguration du quotidien:

« On habite ensemble une terre d’espérance. On la travaille. On est les habitants de ta maison. On y vit. On y prie. On y demeure jusqu’à l’heure de mourir. Ensemble, on habite ta main. De ce bonheur ouvert qui pourrait nous déloger[15]

Joie de Noël et de Cana du frère Luc

Dans sa correspondance, frère Luc, le médecin, offre un même regard empreint d’une joie sereine:

La violence ici continue avec intensité et constance. Mais au-delà des violences et des angoisses, Noël apporte la Joie. Dans la mesure où nous accueillons le pauvre, le malheureux, avec Amour, nous trouvons Dieu et au-delà de nos angoisses nous lui confions notre vie. Comme le bon larron, il faut se donner à Dieu, sans arrière-pensée; en dépit de toutes les tristesses et incertitudes, la joie de Noël est en nous, sans attendre que cessent les violences. Priez pour moi que je meure dans la Paix du Christ et l’amour de tous les hommes[16]

Cette joie palpable chez chacun à sa manière, il la puisait dans l’eucharistie quotidienne vécue ensemble. L’eucharistie est le grand sacrement de la joie, nous dit frère Christian, « le signe d’une réalité pressentie… Toutes nos joies humaines y ont leur place pour devenir signes concrets de la JOIE où Dieu nous attire, celle du Fils. Mais il leur faut passer par les douleurs d’un enfantement :

Vous allez pleurer… votre tristesse se changera en Joie. C’est comme la femme sur le point d’accoucher !

Qu’est-ce à dire ? Rappelez-vous :

– Quand Dieu donne sa Joie, il y en a de RESTE comme dans la multiplication des pains.

– Quand Dieu donne sa JOIE, c’est la meilleure, celle de la fin, comme le vin à Cana.

– Quand Dieu donne sa JOIE, le corps tout entier est pur, comme celui du lépreux, comme dans le bain d’une nouvelle naissance.

– Quand Dieu donne sa JOIE, c’est celle du plus grand AMOUR : Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai AIMÉS… je vous dis cela pour que ma JOIE soit en vous et que votre JOIE soit PARFAITE ! Pour que ma JOIE soit entre vous, et que tout en vous soit sacrement de mon Amour pour vous, de l’Amour du Père pour moi[17]

« Bienheureux…»

A Tibhirine, la joie est passée par la croix. Elle a eu le dernier mot: Résurrection! Alors la joie passe de proche en proche, du Ressuscité aux baptisés marqués par la joie pascale d’un alléluia délié par l’Esprit et sa puissance de vie:

«Habité par une langue de feu, chaque apôtre devient une torche vivante. La MISSION commence qui est de communiquer la JOIE de Dieu. Celle que le Christ a donnée, celle du Père se vidant Lui-même dans le Fils, Joie du Fils retournant sans cesse dans le sein du Père. Le micro-climat du Cénacle s’élargit aux dimensions du monde : tout l’univers peut rentrer dans le climat intérieur de la Trinité, là où le Verbe se profère dans le silence de l’AMOUR : Juifs et Grecs, Parthes et Élamites, Hébreux et Arabes, Caldoches et Canaques, monde de l’Est et monde de l’Ouest, gens du Nord et gens du Sud, chrétiens et non-chrétiens, croyants ou non. Et l’appel est là, différent pour chacun, qui nous sollicite vers cette extrémité du monde, vers cet extrême de notre coeur, vers cette unique catholicité d’au-delà[18]…»

Heureux… c’était aussi le premier mot de la prédication de Jésus sur la montagne:

«Ce premier mot qui dévale de la montagne jusqu’à nous. JOIE, notre maître mot. Un jaillissement permanent – créés pour cela – nous y sommes appelés, comme à la prière : « Venez à la prière, venez à la JOIE ! ». Heureux, du début à la fin… Heureux ceux qui meurent dans le Seigneur [19]

La joie du Christ a présidé à la vie de la communauté:

«Rendons au Christ la primauté de [la] JOIE :

c’est sa joie bien à lui de révéler le Père ;

c’est sa joie tout à lui d’être le Prince et le principe de la Vie ;

c’est sa joie d’être entré à coeur ouvert dans le jeu de nos existences, et d’avoir affronté toutes nos morts pour nous en délivrer ;

c’est sa joie, vraiment, d’être le gage et l’artisan de toute résurrection ;

c’est sa joie vive de savoir parler le langage de l’homme, et de pouvoir faire tressaillir pour chacun la lettre des Écritures et le coeur des créatures ;

c’est sa joie secrète de demeurer parmi nous par son Esprit, et d’être pour les siens le pain d’aujourd’hui ;

c’est sa joie encore d’être ce Corps démultiplié à l’infini de l’espace et du temps où la communion avec tous peut se recevoir comme la vocation de chacun…

Cette JOIE qui est sienne, elle nous est tout entière communiquée. Il n’en retient rien pour lui. Et nul ne pourra nous la ravir[20]

C’est cette joie, qu’ils ont fait leur, qui nous rejoint donc aujourd’hui pour nous encourager sur notre chemin. C’est leur bonheur de s’offrir qui nous atteint. Et si nous osions comme eux risquer la rencontre, et sentir dans nos entrailles la joie née de la Visitation?

L’Eglise nous offre ce bain dans la foi, l’espérance et la charité des martyrs pour renouveler notre vie chrétienne. Bienheureux sommes-nous!


Marie-Dominique Minassian est doyenne de l’Institut de Formation aux Ministères à Fribourg, chercheur à l’Université de Fribourg et membre de l’équipe de rédaction de Sources. Elle a été chargée de l’édition systématique des écrits des moines de Tibhirine dans une nouvelle collection co-éditée par le Cerf, Bayard et les Editions de Bellefontaine. Le premier tome, qui rassemble leurs récits de vocation et qui s’intitule «Heureux ceux qui espèrent», vient de paraître.


[1] Ces enseignements quotidiens ont été publiés sous le titre Dieu pour tout jour. Chapitres du P. Christian de Chergé à la communauté de Tibhirine (1985-1996), Cahiers de Tibhirine, n° 1bis, Abbaye d’Aiguebelle, nouvelle édition revue et enrichie de nouvelles séries de chapitres, juillet 2006.

[2] Ibid., introduction, p. XIV.

[3] Chapitre de frère Christian du jeudi 18.04.1985, Dieu pour tout jour, p. 5.

[4] Chapitre de frère Christian du mardi 23.04.1985, p. 7.

[5] Chapitre de frère Christian du jeudi 25.04.1985, p. 8.

[6] Chapitre de frère Christian du samedi 18.05.1985, p. 20.

[7] Ibid.

[8] Ibid.

[9] Chapitre de frère Christian du vendredi 24.05.1985, p. 23.

[10] Frère Christophe, 13.03.1995, Le souffle du don. Journal 1993-1996, Bayard 2012, pp. 171-172.

[11] Chapitre de frère Christian du samedi 21.11.1992, Dieu pour tout jour, p. 411.

[12] Chapitre de frère Christian du lundi 6.02.1996, p. 543.

[13] Lettre de frère Christophe à ses parents, 26.03.95.

[14] Frère Christophe, 29.05.1995, Le souffle du don. Journal 1993-1996, pp. 186-187.

[15] Frère Christophe, 7.05.1995, Le souffle du don. Journal 1993-1996, p. 178.

[16] Lettre de frère Luc à NB, 10.12.94.

[17] Homélie de frère Christian pour le Jeudi saint, 4.04.1985, L’autre que nous attendons, p. 152.

[18] Homélie de frère Christian pour la Pentecôte, 26.05.1985, p. 161.

[19] Homélie de frère Christian pour la Toussaint, 1.11.1981, p. 295.

[20] Homélie de frère Christian pour le jour de Pâques, 16.04.1995, L’autre que nous attendons, p. 461.

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Toujours dans la joie, vraiment? https://www.revue-sources.org/toujours-dans-la-joie-vraiment/ https://www.revue-sources.org/toujours-dans-la-joie-vraiment/#comments Thu, 08 Nov 2018 12:28:42 +0000 https://revue-sources.cath.ch/?p=2766 «Soyez toujours dans la joie», écrit saint Paul (Philippiens 4, 4). Et il insiste: «je le répète, soyez dans la joie[1]». Est-il possible de prendre son conseil au vrai, quand on regarde les pesanteurs qui traversent la vie des personnes et la vie du monde? Ou bien s’agit-il d’une hyperbole orientale, voire d’un enthousiasme sans proportion?

Je lisais ces jours-ci, sous une plume amie, ces propos qui frôlent les abîmes. «Qu’il fait sombre, parfois, dans nos existences. Tellement sombre. Trop sombre! Sombre au point que nous nous demandons si la lumière n’est pas qu’illusion, le bonheur que sujet à caution. Encagés dans nos douleurs, nous ne percevons plus rien que nos tourments. Nous ne voyons plus l’autre: tristement nos yeux se ferment sur la conviction que nous sommes condamnés à errer, aveugles et délaissés, dans les couloirs sordides et glauques d’un immense malentendu. En effet, si nous avions pu choisir, jamais nous ne serions venus au monde; non, nous n’aurions pas opté pour un chemin de souffrance qui, inexorablement et quel que soit le décor, ne conduit nulle part ailleurs qu’à la mort.[2]»

Ils m’ont fait penser à ce vers ténébreux de Virgile: «ils allaient obscurs, dans la nuit seule, à travers l’ombre».

Comment, dès lors, entendre la parole de Paul, en voyant s’égrener les nouvelles, en traversant un hôpital, en visitant une prison, en accompagnant un mourant? Comment l’entendre quand les eaux de la Méditerranée engouffrent tant de noyades? Pourtant, il faut l’entendre, puisque Paul l’a vécue, puisqu’il l’a écrite dans le souffle de l’inspiration.

Un autre sage peut nous ouvrir le chemin. Une main amie m’avait un jour calligraphié ce mot précieux: «la joie est en tout, il faut savoir l’extraire». Parole attribuée à Confucius. Elle nous met au défi de trouver les sources de la joie, même au milieu des heures d’ombre. Il se peut que le chemin soit long et étonnant

Nous pouvons commencer par les propos simples et sans émotion du dictionnaire. «Sentiment de bonheur intense, limité dans sa durée, éprouvé par une personne, dont une aspiration, un désir sont satisfaits», voilà la joie selon le Petit Larousse, qui ajoute qu’elle est liée à la gaïté et à la bonne humeur. Tant mieux quand elle advient; pourquoi bouderait-on son plaisir, pour autant qu’il ne soit pas au détriment du respect, de la justice et de l’amour? Festoyer à l’Oktoberfest, goûter un concert, réussir un exploit, faire une découverte, tomber en amour (comme disent les québécois), quel bonheur; et l’on peut en souhaiter des parcelles à chaque personne, mais elles sont limitées.

Le travail de l’émerveillement

Il existe un chemin plus constant, dont la pratique peut être quotidienne, c’est l’émerveillement. Partir à la rencontre des merveilles qui sont à la porte. Cultiver cette rencontre pour faire provision de joie. Les possibilités sont nombreuses; en voici quelques exemples: se réjouir de l’apparition d’Orion dans le ciel; détailler la finesse d’une fleur; feuilleter un livre d’art; écouter une musique; élargir ses connaissances; croiser le regard d’un enfant; partager la convivialité; contempler l’ineffable Mystère. Chacun peut trouver son chemin d’émerveillement et en vivre chaque jour un éclat de lumière. C’est même une nécessité. Et, en prime, cela peut être un acte d’amour. Voici ce que Maurice Zundel disait à des religieuses, mais qui peut s’appliquer à tout le monde: «Vous avez besoin de joie. Nous avons tous besoin de joie, et non seulement la joie est nécessaire à notre équilibre, mais elle est nécessaire à la communauté avec laquelle nous faisons corps. Si nous n’avons aucune joie, nous ne pourrons pas donner cette joie aux autres, et ce seront les autres qui porteront le poids de notre solitude et qui seront jetés dans notre désert. Il est donc nécessaire de découvrir chaque jour une source nouvelle, chaque jour il y a une certaine grâce qui se révèle à vous et qui vous permet de renouveler votre admiration et d’être en contact passionné et jeune avec Dieu.[3]»

L’enjeu de l’émerveillement – source de joie – est grand. Il requiert une ouverture de la personne: sortir de soi, aller à la rencontre. Il demande aussi une capacité d’accueil, pour laisser résonner en soi les harmoniques de lumière, d’amour, de beauté, de connaissance ou de joie qui, d’une manière ou d’une autre, peuvent accompagner la rencontre. Mais aussi, il nous enrichit. Il déploie notre personnalité. Il nous permet d’accéder avec finesse et profondeur à notre moi libre et ouvert.

Souvent, il est dit que l’émerveillement est l’élan spontané de l’enfant qui découvre une chose nouvelle qui l’enchante. C’est vrai, mais ce n’est pas assez. Il est aussi une tâche, joyeuse et légère certes, pour devenir homme. C’est même un travail d’enfantement, humble et confiant. Jour après jour, il peut devenir un habitus, un mode d’être qui donne couleurs à la vie. Au point que le Père Ambroise-Marie Carré, à 90 ans, put donner à un livre ce beau titre: Chaque jour je commence.

Il importe ici de souligner que l’émerveillement est possible même dans des situations difficiles. Etty Hillesum, au camp de transit de Westerbork[4], d’où l’on était embarqué pour Auschwitz, était capable d’admirer les lupins qui poussaient alentour du camp. Plus fort encore, elle savait voir, au-delà de la casquette nazie, la capacité d’humanité de certains Allemands. Et elle essayait d’apporter un peu de sourire et d’entraide dans le camp pour alléger l’horreur… et peut-être pour entrouvrir la fenêtre d’autres perspectives: celles d’une forme de résurrection. Autre exemple: François d’Assise, vers la fin de sa vie, alors qu’il était malade, presque aveugle, terriblement douloureux, composa le Cantique de frère soleil, hymne fraternel et joyeux à Dieu avec toute la création.

La conversion du regard

Pour s’émerveiller, il faut l’ouverture, la rencontre, l’accueil. Mais, par les temps qui courent, une autre attitude est encore requise. Je l’appelle conversion du regard. Les medias soulignent fortement les dysfonctionnements et les catastrophes; les conversations habituelles ne manquent pas de s’étaler sur ce qui ne va pas, ce qui menace, ce qui fait scandale. Ne serait-ce pas plus équilibré si l’on voyait aussi l’autre aspect, celui de la vie, de la beauté, de la générosité possible? Il ne s’agit pas de chausser des lunettes roses et de méconnaître les pesanteurs. Il s’agit de compléter le regard. Pour prendre un exemple très simple, un accident grave sur le pont du Mont Blanc à Genève va faire de grands titres et alimenter de grosses conversations. Mais qui porte attention aux 60000 voitures qui ont traversé la rade sans accident, avec tout ce que cela implique de respect des règles et d’exactitude dans la conduite? Compléter le regard, n’est-ce pas ce qu’a fait Etty Hillesum, en voyant l’autre face du camp, sans méconnaître une seconde la tragédie? La conversion du regard permet d’extraire de la joie dans les situations les plus diverses; Confucius n’avait pas tort.

La joie paradoxale

Mais est-ce bien de cette joie-là, dont parle Paul? N’y a-t-il pas une autre dimension encore? Car la joie, née de l’émerveillement, peut subir bien des éclipses dans les moments difficiles de l’existence. Et, pour faire écho à certaines préoccupations du pape François[5], elle a bien l’air d’être pélagienne, car elle semble être le fruit de notre propre effort d’ouverture et d’accueil des merveilles, même les plus secrètes.

En fait, je crois qu’elle est inspirée par l’Esprit saint, même s’il n’est pas nommé ou reconnu explicitement. Car c’est l’Esprit qui pousse à la recherche. C’est l’Esprit qui donne l’énergie d’aller à la profondeur du chant de la vie. C’est l’Esprit qui donne la joie, pour autant qu’il soit accueilli. C’est l’Esprit qui met en présence du Mystère ineffable, quelque nom qu’il lui soit donné.

Au fond de l’expérience, la joie prend son origine dans le chant de la Présence de Dieu au cœur de l’homme, dans le chant de la Source éternelle de la vie et de la création. N’est-ce pas cela qui animait Etty Hillesum, quand elle pouvait envisager autre chose que l’horreur nazie? Car cette Présence peut être plus forte que les avanies commises par les hommes. C’est ce que j’appelle la joie paradoxale. Les circonstances extérieures sont de malheur, mais au fond, plus tenace, reste le chant de la vie. Etty, d’ailleurs, osait cette parole, que d’aucuns ont pensée folle: «je crois que la vie est belle».

Saint Paul est plus explicite. Il parle de la joie dans le Seigneur. Finalement, la joie naît d’une rencontre avec le Seigneur. C’est cela seul qui peut la rendre constante. L’homme peut être versatile, traversé d’ombres, perclus de souffrances; mais le Seigneur est toujours là, donnant l’énergie de la vie, de l’amour, de la paix. Et donc la joie peut être toujours présente, même si parfois elle n’est pas perçue.

Joie paradoxale pour Paul, lui aussi. Dans tous les malheurs qu’il a subis pour le Christ et en Christ, il a toujours gardé la joie. «Attristé, mais toujours joyeux», écrit-il aux Corinthiens (2 Co 6, 10). Comment les a-t-il traversés? En accueillant la grâce, dont le Seigneur lui a dit qu’elle suffisait. La joie est une grâce, car elle est donnée.

Il est possible d’être plus précis encore. La joie est la présence d’une grâce de résurrection. Qu’elle soit implicite, comme chez Etty; qu’elle soit explicite, comme chez Paul ou d’autres, innombrables.

François d’Assise

Parmi eux, comment ne pas mentionner François d’Assise! Quand, au comble de la douleur, il rassemble ses dernières forces pour dicter à frère Léon le Cantique du soleil, il a déjà un pied dans le monde de la résurrection; il avait d’ailleurs reçu une grâce particulière dans sa prière: le Seigneur lui avait donné l’assurance de son salut. C’est ce même François qui expliqua à frère Léon ce qu’est la joie parfaite[6]. Elle n’est pas dans le succès, ni dans la réussite, fût-elle spirituelle. Elle est présente, si je peux supporter de n’être pas accueilli, de n’être pas reconnu, d’être laissé dehors dans le froid, de recevoir des coups de bâton et rester d’une humeur égale dans la présence du Seigneur. Car, en vivant cela, je partage le sort du Christ lui-même qui ne fut pas accueilli, ni reconnu et qui fut crucifié. Je partage son sort qui s’engouffre dans la Résurrection. La joie parfaite, c’est de faire route avec le Christ jusqu’au bout.

C’est à une même perspective qu’invite le pape François dans son écrit Gaudete et exsultate. Audacieux titre en vérité, citation de Matthieu 5, 11-12. «Heureux êtes-vous lorsque l’on vous insulte, que l’on vous persécute et que l’on dit faussement toute sorte de mal à cause de moi. Soyez dans la joie et l’allégresse, car votre récompense est grande dans les cieux.»

«La plus belle prière, c’est la joie des autres»

La joie paradoxale, c’est donc faire route avec le Christ, quels que soient les obstacles; c’est faire route, même si cela doit mener à la Croix. Joie impossible en apparence, mais joie reçue par grâce. C’est le Christ qui la donne; juste avant de mourir, il le promet à ses disciples: «vous serez affligés, mais votre affliction se changera en joie» (Jean 16, 20).

Cette joie n’est pas le feu d’artifice d’une consolation personnelle. Elle permet d’apporter une part de lumière et d’espérance dans la vie des hommes. Le témoignage, qu’il soit silencieux ou parlé, de la vie en Christ est au service de la communion et de la joie. Il indique qu’au cœur de chaque personne et dans la communion des personnes, au-delà, au-dedans de tout, il y a le chant de la vie, la promesse d’un amour, l’espérance de la lumière. 

«La plus belle prière, c’est la joie des autres», cette parole de Maurice Zundel a été apposée sur l’église du Sacré-Cœur à Lausanne, où il vécut les 30 dernières années de sa vie. Toujours dans la joie, pour qu’elle se répande comme le chant fort de la vie.


L’Abbé Marc Donzé, prêtre, théologien, auteur spirituel du diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg


[1] Cette pensée est constante chez Paul. On la retrouve déjà dans 1 Thessaloniciens 5, 16.

[2] Isabelle Perrenoud, Viens, vis, aime!, De l’errance au baptême, de la nuit à la lumière, éd. Saint-Augustin, Saint-Maurice (Suisse), 1994, p. 9.

[3] Maurice Zundel, Avec Dieu dans le quotidien, éd. Saint-Augustin, Saint-Maurice (Suisse), 1988, p. 107.

[4] Cf. Etty Hillesum, Une vie bouleversée, suivi des Lettres de Westerbork, Seuil, Paris, 1995, pp. 247-345.

[5] Cf. Gaudete et exsultate, chapitre 2.

[6] Je n’y fais qu’une allusion, puisqu’elle fera l’objet d’un autre article ans ce numéro.

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