Revue Sources

J’ai été ordonné prêtre le 22 juillet 1962, trois mois à peine avant l’ouverture de Vatican II. Respectueux de la coutume, je choisis une image souvenir accompagnée d’une devise biblique. Mon choix s’inspirait d’un verset johannique: «Consacre-les dans la vérité» (Jean 17,19). Je me fiais bien sûr à la traduction alors en usage qui faisait de moi un «consacré» au service de la vérité. Prêtre dans l’Ordre des Prêcheurs, quelle belle devise! Elle correspondait si bien au geste de l’évêque «consécrateur» qui, s’étant levé face aux ordinants prostrés devant lui, interrompait la prière des litanies pour supplier seul et à voix haute: «Ut hos electos consecrare digneris, te rogamus audi nos!»[1]. L’ordination sacerdotale faisait de moi un personnage «sacré», membre d’un rang particulier de ce qu’on n’avait pas encore coutume d’appeler «peuple de Dieu».

Un demi siècle plus tard, une traduction liturgique nouvelle de Jean 17,19, se voulant plus proche de l’original grec, remplace le verbe «consacrer» par celui de«sanctifier». Une expression qui enveloppe tous les disciples de Jésus – et pas seulement les prêtres – et les invite à vivre saintement au milieu d’un monde à qui il arrive d’être pervers.

Faut-il attendre un concile Vatican III pour définir clairement le sens du mot «Eglise»?

Cette nouvelle version n’est pas anodine. Elle révèle à sa manière un changement de perspective dans notre façon de voir l’Eglise. Ou bien une verticalité composée de strates hiérarchisées bien définies: pape – évêques et prêtres consacrés, face à des laïcs qui ne le sont pas et de rang subalterne. Ou alors une multiplicité de ministères à l’intérieur du même «peuple de Dieu», tous nécessaires à sa croissance, sans qu’aucun ne soit considéré supérieur aux autres.

Les articles de notre dossier présentent les origines et les raisons de cette alternative, fondée sur l’Ecriture, l’histoire de l’Eglise et la réflexion théologique. Il ne semble pas que le dernier concile ait voulu clairement dirimer ce débat. Un flou (artistique?) subsiste qui donne lieu à bien des turbulences dans la vie concrète de nos diocèses et de nos paroisses. Notre pays n’y échappe pas. Faut-il attendre un concile Vatican III pour définir clairement le sens du mot «Eglise»? Pour l’instant, nous voguons sur des eaux mouvantes, conformément au rythme de l’Esprit qui souffle où il veut et comme il veut. Notre dossier n’a donc pas l’autorité ni l’ambition de prendre parti dans ce débat, mais – et c’est déjà beaucoup – d’en présenter les termes et les enjeux. Bonne lecture!


Guy Musy, rédacteur responsable de la Revue Sources

[1] «Pour que tu daignes consacrer ces élus, nous t’en supplions, écoute-nous!»

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