Revue Sources

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Extraits d’une réflexion du frère Emmanuel Ntakarutimana, de la communauté dominicaine de Bujumbura, parue elle aussi dans «Le Bulletin de la Famille Dominicaine du Rwanda et du Burundi», janvier 2016. 

Drames d’une ampleur inimaginable

La région des grands lacs aura été particulièrement secouée de graves crises ces trois dernières décennies, en particulier le Burundi, le Rwanda et la République Démocratique du Congo. Ajoutons aussi dans le même continent la République Centrafricaine. Des drames humains d’une ampleur inimaginable s’y sont déroulés ou s’y déroulent encore, avec un sentiment d’impuissance au niveau local et régional comme au niveau international. C’est dans cette zone que les frères dominicains et toute la famille dominicaine doivent apporter leur contribution aux différents efforts d’annonce de la Bonne Nouvelle du Christ et de travail pour la restauration du sens de l’humain.

Gestion des mémoires blessées

Nous sommes dans le contexte d’une histoire régionale marquée par la violence où le grand défi reste celui de la gestion des mémoires blessées ou blessantes et de toutes les retombées des conflits violents. Les populations de ces pays doivent faire face aux retombées des pertes en vies humaines, aux séquelles psychologiques des différents traumatismes, aux limites laissées par la destruction des infrastructures et la perte des biens. Il n’y a pas que cela. Les survivants doivent réapprendre à vivre dans un contexte marqué par la désarticulation du capital social avec perte du sens de confiance, de solidarité, d’appartenance et de reconnaissance.

Le grand défi reste celui de la gestion des mémoires blessées.

Les populations de ces pays doivent gérer l’existence dans un cadre fortement touché par la fracture sociale avec, souvent, la déconstruction des institutions traditionnelles d’entraide et d’organisation de la vie. Le contexte actuel fait preuve d’un grand déficit moral avec désarticulation de la base des normes et des valeurs ainsi qu’un déficit spirituel avec perte du sens et de l’orientation de la vie. Ce déficit spirituel s’opère en dépit de l’exubérance des célébrations religieuses dans les lieux de culte et l’explosion en champignons des nouveaux mouvements religieux, ces phénomènes pouvant être des symptômes d’une grande vulnérabilité psychologique induite par le contexte.

Les jeunes: bombe à retardement

Même s’il est vrai que les performances économiques et organisationnelles du Rwanda ont été remarquables ces dernières années, le désenchantement des populations de la région reste, en général, un grand défi. Aujourd’hui, dans chaque pays, des exaspérations tentent de s’exprimer avec force suivant les possibilités d’expression permises par le contexte. Une nouvelle donne est constituée par l’arrivée de jeunes générations qui n’ont pas directement vécu les guerres civiles des décennies passées ou étaient trop jeunes pour y être elles-mêmes impliquées. Ces jeunes vivent un contexte de multiplication de médias de divers types. Avec ces médias, ils apprennent que la démocratie et les libertés peuvent exister. Malheureusement, ils n’arrivent pas à en faire l’expérience dans la vie quotidienne et s’interrogent sur leur avenir suite aux frustrations économiques et sociales, à la misère et au chômage. Ces jeunes peuvent constituer une bombe à retardement, surtout s’il s’y mêle la transmission familiale, politique et sociale des narrations sur l’interprétation historique à base de conflits identitaires dans la région.

Les espérances démocratiques demeurent une aspiration profonde des populations, avec un profond désir de voir la culture du respect et de la promotion des droits de l’homme mise en oeuvre, cela autant pour les droits civils et politiques que pour les droits sociaux, économiques et culturels.

La rencontre de Nairobi

Les frères dominicains eux-mêmes essaient aujourd’hui de développer une synergie d’analyses et d’actions. Du 13 au 17 juillet 2015, une trentaine de délégués de la famille dominicaine du Burundi, de la République Démocratique du Congo (RDC), du Rwanda, de la Tanzanie et de l’Ouganda se sont retrouvés à Nairobi pour réfléchir à leurs engagements par rapport à la situation dans la région. Dans la complexité du contexte de la région où se retrouvent aussi beaucoup de groupes armés (plus de 60 groupes dans l’Est de la RDC), l’identification des causes profondes des conflits dans la région a dégagé trois pistes qu’il faudrait suivre de près:

– La lutte pour le contrôle des terres et des ressources naturelles impliquant beaucoup de pays et de lobbies internationaux.
– Un leadership marqué par une gestion non démocratique et patrimoniale qui ne répond pas aux véritables intérêts des populations.
– La manipulation des divisions ethniques et des préjugés nationalistes pour justifier des actions militaires et développer des réflexes de domination.

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