Nouvelles dominicaines – Revue Sources https://www.revue-sources.org Wed, 29 Aug 2018 09:43:47 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.3.1 «Bâtir et planter» à Bangui https://www.revue-sources.org/batir-et-planter-a-bangui/ https://www.revue-sources.org/batir-et-planter-a-bangui/#respond Wed, 29 Aug 2018 09:43:47 +0000 https://revue-sources.cath.ch/?p=2675 Avant l’ordination presbytérale, la Province de France a pris l’habitude d’envoyer certains jeunes diacres pour un «stage» dans un couvent à l’étranger. Après deux années fribourgeoises, j’étais donc assigné à Bangui, capitale de la Centrafrique. Une année pour «bâtir et planter», au-delà de tout ce que je pouvais attendre.

La maison de Bangui est la première fondation de l’Ordre en République Centrafricaine, même si, depuis de nombreuses années, des sœurs dominicaines[1] ont ouvert sur place la voie à des vocations de dominicains centrafricains. Elle appartient au Vicariat d’Afrique équatoriale (composé de trois couvents: Doula, Yaoundé et Brazzaville).

Les frères ont commencé à s’installer dans le pays en 2013, au moment même où éclatait une guerre violente qui dure encore. Malgré tout, ils ont choisi de persévérer, témoignant ainsi de leur volonté de rester avec la population et de s’investir durablement auprès d’elle. Leur mission s’exerce surtout dans l’enseignement (au séminaire, à l’université ou dans des collèges) et dans diverses charges institutionnelles (au sein des commissions ecclésiales nationales).

À la maison Saint-Dominique de Bangui, nous étions six cette année: quatre frères centrafricains, un Congolais et moi-même.

Diacre attitré du cardinal

Je suis arrivé là-bas avec pour mission principale d’exercer mon ministère de diacre, surtout dans la prédication et la célébration de baptêmes. Mais il s’agissait bien sûr de découvrir un monde, une culture différente, et une manière autre d’être dominicain et chrétien.

Les premiers mois, étant le seul diacre sur le diocèse, je suis devenu pour ainsi dire le diacre attitré du cardinal Dieudonné Nzapalainga. Premier cardinal de Centrafrique, il a joué un grand rôle lors des évènements de 2013, œuvrant activement à la paix et reste aujourd’hui encore l’homme le plus écouté du pays.

Fin septembre 2017, le dimanche suivant mon arrivée, c’est en sa présence, dans l’église Notre-Dame de Fatima, que je proclamais pour la première fois la Bonne Nouvelle, après avoir reçu l’Évangéliaire de la main d’un danseur vêtu à la manière des premiers missionnaires. Je découvrais l’importance du chant et de la danse qui accompagnent les nombreuses processions: six heures d’une messe étonnante et festive! Je ne pouvais me douter alors, que le 1er mai suivant, dans cette même église, des centaines de personnes allaient être blessées, des dizaines tuées et qu’un prêtre allait trouver la mort, lors d’une attaque de la Séléka (les forces rebelles occupant le pays).

Très apprécié, Mgr Nzapalainga se déplace beaucoup dans son diocèse pour aller à la rencontre de la population. Parmi les nombreuses célébrations à la cathédrale ou ailleurs, je garde à l’esprit notre mémorable voyage pour Bouar, à 400 km au Nord-Ouest de Bangui, à l’occasion d’une ordination épiscopale. Le cardinal, conduisant lui-même sa voiture et suivi de toute une délégation de pickup blancs, s’arrêtait çà-et-là pour visiter un chantier de construction d’église, être reçu comme il se doit pour déjeuner dans un village, ou négocier avec de jeunes adolescents de gros poissons, dont une dizaine sera finalement suspendu sur le capot de la voiture: à l’arrivée, les poissons, braisés par le soleil et la chaleur du moteur, étaient à point pour le dîner!

Lorsque les violences sont reparties à la hausse au printemps 2018, Mgr Dieudonné a convoqué les prêtres, religieux et religieuses, pour nous conforter, donner des nouvelles de la situation et unifier nos prises de position en faveur de la paix. J’étais édifié par le courage de chacun durant cette période tragique: rester, partir ou revenir? Être prêt à donner sa vie comme prêtre? Cette année, ce n’est pas dans les livres que je l’apprenais mais dans l’héroïsme quotidien de ces chrétiens œuvrant pour la paix et capables de persévérer à la suite du Christ: «Ma vie, je l’ai déjà donnée».

Catéchèse sous le feu des mitraillettes

L’essentiel de mon apostolat, consistait à enseigner. Je passais de huit élèves en classe de catéchisme à l’école du Botzet à Fribourg à…. 240 enfants de 6ème et de 5ème au Lycée Saint-Charles Lwanga de Bangui. Un petit saut quantitatif d’autant plus décapant que les élèves se retrouvaient à 60 dans des classes prévues pour 30. L’Ancien et le Nouveau Testament étaient au programme, sans manuel ni photocopie ou projection possible, mais le bon vieux tableau noir et un peu d’imagination pour outils.

En novembre, la persistance des conflits armés se rappela soudainement à nous lorsque, en plein cours, nous nous sommes retrouvés accroupis sous les tables alors que de violents tirs de mitraillettes éclataient dans la rue jouxtant l’école.

Outre l’école, je donnais des cours de Bible à l’inter-postulat et en propédeutique, ainsi qu’un cours d’art sacré au grand séminaire, ayant une formation d’architecte avant mon entrée dans l’Ordre.

L’architecte à l’oeuvre

En 2014, l’église de notre futur couvent terminée, les frères se sont lancés dans la construction des autres bâtiments conventuels. Comme architecte, je me suis rapidement intégré au projet, dessinant les plans sur ordinateur, en y intégrant les modifications capables de répondre au mieux aux futurs besoins de la vie communautaire. Nous habitions au cœur de ce chantier où deux ingés et une petite cinquantaine d’ouvriers (parfois jusqu’à cent les jours de coulage) travaillaient à l’édification. En l’absence de machines, les techniques de mises en œuvre sont assez sommaires et il y avait de quoi être admiratif devant ces jeunes, creusant avec de vieilles pelles des fondations de 3m50 de profondeur, sans bottes ni gants, ou déplaçant seau par seau le sable nécessaire à la réalisation du mortier.

«Tu ne peux abandonner tes frères»

Le couvent étant à deux kilomètres de PK5, principale zone de conflit de la capitale, il fallait être vigilant lors des échanges de tirs et s’habituer aux blindés sillonnant la ville. Comme les violences augmentaient et que plusieurs Français, pour des raisons sécuritaires, décidaient de quitter le pays, un ouvrier me demanda: «Si la situation empire, tu partiras toi aussi?» Je répondais, sans y avoir vraiment réfléchi, que oui, si mon supérieur jugeait que c’était trop risqué, je rentrerais en France. Il me répondit immédiatement: «Tu n’as pas le droit de faire ça!» J’étais stupéfait et troublé, de la détermination avec laquelle il me l’assura. Il poursuivit simplement:«Tu ne peux abandonner tes frères.» Pensait-il à mes frères de communauté? Aux chrétiens sur place? Aux hommes et femmes de Centrafrique? Question qui me taraude encore.

A Mbata avec nos Soeurs

Pour retrouver courage en ces heures difficiles, j’ai pu vivre quelques week-end prolongés chez les Sœurs dominicaine de Mbata. Trois heures de moto depuis Bangui, sur une piste de terre rouge, pour rejoindre les vertes forêts de la Lobaye. Quel bonheur! Là-bas, un petit village, qui s’était développé autour d’une exploitation forestière aujourd’hui disparue, garde tout le charme de la vie dans l’arrière-pays: les familles, réunies en quartier, habitent paisiblement, non loin de la rivière, avec de nombreux enfants, vifs de joie simple. La pauvreté demeure mais semble moins précaire qu’à Bangui. La musique et la danse de cette région, parmi les plus belles d’Afrique sans doute, rythment la vie quotidienne et les célébrations liturgiques.

A Bambari, sur les traces du grand-oncle

Au printemps 2017, notre frère Richard Appora, dominicain et supérieur de la maison de Bangui, devenait évêque de Bambari. Mon grand-oncle, Michel Maitre, avait été le premier évêque de ce diocèse, grand comme la moitié de l’Italie, et y avait fait bâtir la cathédrale. C’était donc une joie pour moi de me rendre sur place à l’occasion de l’installation de Mgr Richard, le 17 décembre, dans cette seconde ville du pays, qui n’est reliée à la capitale que par une piste de terre. Moment particulièrement festif que cette installation dans une Église locale particulièrement malmenée par les conflits successifs. Depuis 2015, la ville n’a plus d’électricité et plusieurs quartiers sont à l’abandon. La cathèdre de l’évêque avait été brûlée par les rebelles et un camp de réfugiés avait pris place dans la cours de l’évêché.

Mgr Richard se démène sur place pour relever le diocèse, rassurer les vingt-six prêtres du clergé local, trouver des fonds pour répondre aux besoins criants des fidèles. Comme architecte, j’établissais les plans d’une nouvelle maison diocésaine, d’un centre d’hébergement et d’un nouvel évêché. Verront-ils le jour?

En mars, le curé de Seko, à soixante kilomètres de Bambari était assassiné avec onze de ses fidèles, femmes et enfants, venus se réfugier au presbytère. Puis la ville fut reprise par les rebelles en mai, obligeant la population à fuir dans une zone protégée par l’ONU. La petite équipe de l’évêché, composée de quelques prêtres et religieuses et de jeunes étudiants, décidait de rester sur place pour ne pas abandonner purement et simplement la cathédrale.

Un temps pour démolir, un temps pour construire…

J’ai été ordonné à Paris, le premier juillet dernier, par Mgr Richard, venu spécialement de Centrafrique à cette occasion. La veille de l’ordination, un coup de fil lui apprenait que les rebelles étaient entrés dans son évêché durant le dîner, avait pillé les lieux avant d’assassiner le vicaire général du diocèse de deux balles dans le ventre. Un prêtre donnait sa vie et le lendemain, Mgr Richard ordonnait deux nouveaux prêtres.

Il y a un temps pour démolir et arracher… mais aussi un temps pour bâtir et planter (cf.Qo 3,1-15). Les chemins du Seigneur restent impénétrables dans la brousse centrafricaine, mais les pistes d’Afrique sont bordées de jeunes pousses. Des grains sont morts et les tiges montent en attendant l’épi et du grain plein l’épi.


Le frère dominicain Charles Desjobert, de la Province de France, poursuit à Lyon sa formation théologique et professionnelle.

[1] Il s’agit des «Sœurs Dominicaines Missionnaires de Namur» et de leur fondation africaine. «Sœurs Dominicaines Missionnaires d’Afrique». (NDLR)

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Pierre Claverie bientôt béatifié https://www.revue-sources.org/pierre-claverie-bientot-beatifie/ https://www.revue-sources.org/pierre-claverie-bientot-beatifie/#respond Fri, 01 Jun 2018 04:02:52 +0000 https://revue-sources.cath.ch/?p=2587 Un communiqué de cath.ch du 11 avril dernier, signé pas Bernard Hallet, retranscrit une communication de notre frère Jean-Paul Vesco, évêque d’Oran, concernant la prochaine béatification de 19 religieux et religieuses catholiques assassinés en Algérie au cours de le guerre civile qui opposa le FIS (Front islamique du salut) au gouvernement. Une décennie noire qui coûta aussi la vie à quelques deux cent mille algériens musulmans. Les frères de Tibhirine et Mgr Claverie (1938-1996), dominicain, évêque d’Oran ont été emportés par cette vague de violences.

Une béatification dans l’humilité

Cette célébration aura bien lieu à Oran, au nord ouest du pays. C’est la seule certitude qu’exprime Mgr Jean-Paul Vesco, le 11 avril 2018. “Organiser cette béatification me touche très fortement”. Et l’évêque d’Oran souhaite la placer sous le signe de l’humilité. “La célébration de la béatification aura lieu à Oran. Je serais très surpris que cela se passe ailleurs.» Mgr Vesco n’a pas “la moindre information” concernant l’éventualité d’une venue du pape en Algérie à cette occasion.

Un événement qui fera sens

Mgr Vesco souhaite une célébration “qui fasse sens pour tous, aussi bien chrétiens que musulmans et qui soit un signe d’espérance”. Il ne s’agit pas de célébrer des héros chrétiens, “cela n’aurait aucun intérêt. Ces religieux ne s’identifiaient justement pas à des héros!”

Cette béatification doit également être le signe de rapprochement entre les communautés chrétienne et musulmane, à l’instar des liens d’amitié et de solidarité qu’avaient tissés les moines et les Algériens durant cette terrible guerre civile. “Ces hommes ne sont pas morts en haine de la foi, mais en haine tout court et infinie. Cela me fait penser à l’assassinat du Père Hamel. Ils ont voulu abattre un symbole. Il en va de même pour ces moines de Tibhirine et ces religieux”.

Une béatification en pleine actualité

“Ce qui se passait en Algérie il y a 20 ans, se passe actuellement dans le monde”, lance l’évêque d’Oran. Là où une telle célébration marque habituellement une vie et des gestes passés ajoute-t-il, la béatification d’Oran interviendra en pleine actualité. “Regardez ce qui se passe en France, au Moyen-Orient, en Syrie, en Irak…” L’évêque d’Oran souhaite une célébration qui se déroulera dans une rencontre interreligieuse, en mémoire des martyrs d’Algérie et pour donner un signe d’espérance au monde.

Très touché

Organiser cette béatification me touche très fortement”, déclare l’actuel évêque d’Oran. Parmi les futurs bienheureux se trouve en effet Mgr Pierre Claverie, son prédécesseur, dominicain lui aussi. “Si Pierre Claverie n’avait pas été assassiné, je ne serais pas venu en Algérie”. A la suite de sa mort survenue le 1er août 1966, l’Ordre des Prêcheurs avait décidé d’envoyer à nouveau des frères en Algérie. Jean-Paul Vesco, alors novice, a entendu cet appel et lui a répondu.


Martyrs d’Algérie: Mgr Vesco souhaite une béatification dans l’humilité

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Dominicains pour Justice et Paix: Visite en République dominicaine https://www.revue-sources.org/dominicains-pour-justice-et-paix-visite-en-republique-dominicaine/ https://www.revue-sources.org/dominicains-pour-justice-et-paix-visite-en-republique-dominicaine/#respond Fri, 01 Jun 2018 04:00:15 +0000 https://revue-sources.cath.ch/?p=2582 Depuis près de trente ans, notre Ordre dominicain est représenté auprès des offices de Nations Unies sis à Genève, particulièrement auprès du «Conseil des Droits de l’Homme» qui a son siège dans cette ville. L’objectif de ce service est de répercuter devant les instances internationale les violations des droits humains relevées sur le terrain par des membre de la famille dominicaines. C’est dans ce but que le frère Leobardo, représentant permanent à Genève de l’Association «Dominicains pour Justice et Paix» s’est rendu en République Dominicaine. Echos de cette visite.

Notre Association, Dominicans for Justice and Peace a organisé des journées de sensibilisation en préparation de l’Examen Périodique Universel de la République Dominicaine. Les journées ont eu lieu à El Seybo et ont réuni 36 participants, parmi lesquels des frères, des sœurs et des laïcs membres de la famille dominicaine, ainsi que d’autres acteurs de la société civile.

L’objectif général de ces journées de sensibilisation était d’informer et d’éduquer les participants sur l’Examen Périodique Universel de la République Dominicaine qui aura lieu en janvier 2019. Un objectif plus particulier visait à familiariser les participants avec les «instruments» de l’ONU à Genève, de revoir les obligations contractées par le gouvernement dominicain en matière de défense et de promotion des droits humains et créer un rapport sur la situation de ces droits en République Dominicaine. Ceci fut rendu possible grâce à la collecte d’informations auprès de chaque participant et de chaque région.

Un objectif transversal d’une grande importance était d’encourager les acteurs de la société civile et la famille dominicaine à travailler ensemble et à établir des relations qui produisent de meilleurs résultats dans le domaine de la promotion et de la défense des droits humains en République Dominicaine.

Au cours de la première journée, le frère Leobardo Almazan représentant permanent de l’Association «Dominicans for Justice and Peace» à Genève et Madame Laurence Blattmer coordinatrice de programmes ont présenté les mécanismes des droits humains à l’ONU, avec un accent particulier sur l’Examen Périodique Universel auxquels sont soumis tous les Etats membres du Conseil des Droits de l’Homme. La deuxième journée fut consacrée à des travaux des groupes régionaux et à identifier quatre domaines d’intérêt particulier: à savoir le droit à la santé, le droit au logement, les droits des enfants et des adolescents ainsi que la corruption et l’impunité. Les participants ont discuté des causes de ces problèmes et ont donné des suggestions sur la façon dont ils pourraient être résolus.

Au cours de la dernière journée, les participants ont discuté de la planification stratégique en préparation de l’Examen Périodique Universel de la République Dominicaine. Une messe a conclu les délibérations avec des personnes d’origine haïtienne qui ont l’habitude de fréquenter la maison de retraite de La Higuera où avait lieu la session. Finalement, après une évaluation de ces journées, les participants ont déjeuné ensemble et sont rentrés chez eux.

Le frère Leobardo et Mme Blattmer ont encore pu contacter plusieurs familles de l’organisation «Seybanos sin techo». On leur a parlé des expulsions forcées de 60 familles par la «Central Romana», voici plus de deux ans. Cette action est restée impunie. Ils ont aussi été interviewés par «Radio Seybo» pour parler des journées de sensibilisation et des expulsions forcées et ils ont rencontré plusieurs membres du gouvernement ainsi que le représentant du Haut-Commissariat des Nations Unies aux Droits Humaine en République Dominicaine et participé à un panel intitulé: « Les Nations Unies écoutent nos plaintes», organisé par l’Université Autonome de Santo Domingo. Ils ont partagé à cette occasion les fruits des journées de sensibilisation et évoquer leur travail à Genève. 

Communication du frère Leobardo Almazan op

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Henri Burin des Roziers https://www.revue-sources.org/henri-burin-des-roziers/ https://www.revue-sources.org/henri-burin-des-roziers/#respond Thu, 15 Mar 2018 00:01:22 +0000 https://revue-sources.cath.ch/?p=2565 «Comme une rage de justice!»

Henri, dominicain français, nous a quittés en novembre dernier à l’âge de 87 ans. On aurait pu dire de lui ce que Madeleine Debrêl avait écrit à Johnny, alors jeune chanteur de 20 ans: «Seuls vieillissent pour de bon ceux qui ne furent pas jeunes pour de bon.» En fait, Henri ne prit pas le temps de vieillir. Ses quatre ultimes années passées dans son port d’attache, le couvent St Jacques de Paris, ne furent qu’accueils, informations et communications de ce Brésil qu’il découvrit en 1977 pour ne le quitter que le jour de sa mort, quarante ans plus tard.

Henri était l’un de ces quatre mousquetaires à bure blanche dont certains se plaisent encore de parler aujourd’hui. Le plus jeune de la bande, le frère Xavier Plassat, vit toujours au Brésil, seul survivant du quadrige. Le frère Rettenbach dirigea l’équipage sur les rives agitées de mai 68 et les deux autres compagnons, Jean Raguénès et Henri Burin des Rpziers, bien avant de rejoindre le Brésil, furent aumôniers du Centre St Yves de la rue Gay-Lussac à Paris. Ils y accueillirent les étudiants des Facultés voisines de Droit et de Sciences Economiques, pourchassés comme de vulgaires émeutiers par les forces de l’ordre appelées à «nettoyer» les rues et les trottoirs du Quartier Latin. D’autres religieux aumôniers, moins courageux, préférèrent fermer leur Centre pour se mettre à l’abri.

Le frère Henri n’entra pas chez les Dominicains dès l’aube de ses vingt ans. De brillantes études de droit comparé, en France et en Angleterre, couronnées par un doctorat, l’y préparèrent. Peut-être aussi la rencontre du Père Yves Congar, alors exilé à Cambridge. Mais c’est la révolution de 68 et le réveil conciliaire qui donnèrent à sa vie une tournure conforme à son appétit de justice. Au risque de transgresser des habitudes et des mœurs conventuelles qui n’auraient fait que l’attiédir et l’assoupir. En juin 1970, Henri troqua donc son couvent parisien pour un HLM de Besançon, dans le but de forma avec Jean Raguénès une petite équipe de «prêtres au travail». Alors que Jean prenait part à l’aventure de l’entreprise LIP autogérée par ses ouvriers, Henri devint manœuvre, chauffeur, homme de ménage jusqu’au jour où il fut embauché dans un bureau de la DDASS à Annecy pour enquêter sur les conditions de logement des travailleurs immigrés. Il y demeura sept années, imprimant profondément sa marque sur les jeunes militants chrétiens de Haute-Savoie, affamés comme lui de justice. Quarante ans plus tard, ils étaient plus d’une centaine à se retrouver à Annecy le 14 janvier dernier pour rendre hommage à leur mentor et rappeler son courage et sa ténacité dans les conflits sociaux qui à cette époque agitaient leur région. Son sourire lumineux, jamais amer, le faisait aimé de tous. Une amabilité qui s’accompagnait d’une volonté ferme de faire respecter dans toutes leurs exigences le droit et la justice, si souvent bafoués. Henri incarnait à lui seul le fameux couple biblique amour et vérité, ordinairement en recherche d’équilibre.

C’est en mars 1977, à l’avant-veille de ses cinquante ans, qu’Henri commence à s’intéresser au Brésil. Mais cette fois-ci à travers les Dominicains présents dans ce pays. Le suicide en 1974 du jeune frère Tito de Alencar, torturé par les sbires des colonels maîtres du pays, puis exilé en France, avait déclenché une vague de compassion et de sympathie pour les Prêcheurs brésiliens et pour leur pays sous la botte d’une sinistre dictature militaire. Henri y débarque fin 1978 et commence par s’initier à la langue et à aux coutumes brésiliennes. Ce qui lui permit de s’engager dans la Commission pastorale de la terre (CPT) qui prenait la défense des petits paysans installés (?) aux franges de l’Amazonie victimes des expropriations. Henri y travaillera plus de dix ans, s’inscrivant au barreau brésilien pour rendre plus efficaces ses interventions.

Après quelques mois sabbatiques mis à profit pour découvrir l’Amérique Centrale, nouvelle décennie d’engagements pour Henri, axés sur la lutte contre l’impunité qui gangrène le Brésil. Ce qui ne va pas sans lui créer de gros ennuis et de voir sa tête mise à prix par de riches propriétaires fonciers qui réduisent en esclavage les petits paysans qui travaillent sur leurs terres. Il en faut beaucoup plus pour intimider notre homme. De procès en procès, de procédures en procédures, Henri ne lâche jamais son morceau tant, que justice n’ait pas été rendue..

Victime d’accidents cardio-vasculaires, Henri rentre en France en 2013, imaginant que ce séjour ne serait qu’un bref intermède médical avant de regagner sa patrie d’adoption. Son état de santé empirant, il trouve un refuge naturel dans son bon vieux couvent St-Jacques de Paris. Il y retrouve aussi quelques complices et amis, sans oublier tous ceux et celles du Brésil ou d’Annecy qui ont besoin de se réchauffer à la lumière de son beau sourire. Henri cessera de combattre ce 26 novembre 2017. Il se met entre les mains de son Dieu et remettant ses «armes» dans celles de ses frères et de ses amis. Depuis Vittoria, Las Casas et Montesinos, en passant maintenant par Henri, le même refrain parcourt les rangs dominicains:«Vérité, Justice quoi qu’il en coûte!»


Guy Musy, dominicain, rédacteur responsable de la revue «Sources».

 

Bibliographie

L’historienne Sabine Rousseau a fait paraître aux Editions du Cerf en 2016 ses entretiens avec Henri Burin des Roziers, sous le titrer: «Comme une rage de justice».

Une biographie d’Henri, écrite par le même auteur, est en chantier.

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Frère Clau Lombriser OP https://www.revue-sources.org/frere-clau-lombriser-op/ https://www.revue-sources.org/frere-clau-lombriser-op/#respond Wed, 29 Nov 2017 22:00:30 +0000 https://revue-sources.cath.ch/?p=2478 Frère Clau Lombriser OP
16 mai 1947 – 2 septembre 2017

[print-me]Notre frère Clau Lombriser nous a dit «au revoir» le 2 septembre dernier et nous étions très nombreux à lui dire «adieu» quatre jours plus tard dans l’église et le cimetière des Sœurs Dominicaines d’Ilanz, proche de Rabius, son village natal. Au cœur de ses Grisons dont, avec fierté, il parlait la langue, le romanche. Une région qu’à vrai dire Clau n’avait jamais quittée. Des témoignages émouvants lui furent rendus lors de ses obsèques, ne serait-ce que la messe unanimement chantée dans sa langue maternelle par une assemblée de compatriotes avec lesquels il aimait célébrer la vie. D’autres commémorations suivirent à Zürich, où pendant dix-sept ans le frère Clau exerça la charge de curé de la communauté francophone, et au couvent St-Hyacinthe de Fribourg dont il était le sous-prieur et le maître des étudiants, tout en assurant un poste de secrétaire général de l’organisme «Fidei Donum», une mission qui lui fut confiée par les évêques suisses.

Un lien particulier rapprochait le signataire de ces lignes du frère Clau. Ils ont partagé dix ans de vie dans un quartier populaire de Kigali au Rwanda. C’était au cours des années 75 – 85. Un idéal et un projet d’animation socio-pastorale enflammaient alors une poignée de Dominicains suisses et canadiens. Un jeune frère grison vint un jour s’y joindre. D’emblée, il s’investit avec fougue et compétence au sein du «Club Rafiki» qui rassemblait alors une foule de jeunes, la plupart désoeuvrés et illettrés. Les responsables actuels du Club ne l’ont pas oublié. Ils viennent de nous le rappeler dans un émouvant message de sympathie.

C’est dans ce contexte africain que Clau prit goût au journalisme et à la communication. De réels talents dont il fera plus tard abondamment profiter sa patrie grisonne: émissions radiophoniques, publications et, bien sûr, prédications, où il excellait. Et toujours en langue rhéto-romanche. Dès son arrivée à Fribourg, je le persuadai de faire partie de l’équipe rédactionnelle de notre revue «Sources». Un peu en lui tirant l’oreille, je l’avoue, mais certain de son apport original, fécond et novateur. Je n’eus jamais à le regretter, pas plus que les autres membres de l’équipe rédactionnelle. Sans parler de nos lecteurs.

Mais il fallait lui laisser sa place, respecter son autonomie, et même négocier parfois ses excès de témérité. Je me souviens avec sourire d’un épisode qui marqua son passage au Journal Rafiki que nous avions lancé à Kigali. Une réunion de chefs d’Etat africains devait se tenir dans un stade de la capitale rwandaise proche de notre quartier. Le Maréchal Président Mobutu, alors glorieusement régnant, devait en faire partie. Pour Clau, ce fut l’occasion inespérée d’un scoop pour faire exploser le tirage de «son» Journal ronéotypé. Il prit langue avec un dessinateur congolais qu’il pria de réaliser les caricatures – assez innocentes – de tous ces «Guides bien aimés du peuple». Clau en fit une édition spéciale du Journal Rafiki qu’il fit vendre à la criée aux portes du stade. Notre frère n’y voyait rien de répréhensible et ne pensait offenser personne. Il désirait simplement sortir des sentiers battus et faire preuve d’originalité. Mais notre frère n’avait pas suffisamment pris en considération le culte voué à ces éminents personnages ni leur susceptibilité qui ne supportait pas la moindre égratignure à leur dignité. Dieu merci, l’affaire ne se termina pas comme celle du Charlie Hebdo. Il n’y eut ni assassinats, ni emprisonnements, ni même d’expulsions. Un lot d’exemplaires incriminés furent saisis, mais beaucoup se vendirent sous le manteau. Le Journal Rafiki survécut, son rédacteur et les Dominicains aussi! Mais nous avions senti passer le vent du boulet.

Cette anecdote suffira pour dépeindre le caractère et le génie de notre ami. Sous une enveloppe imprévisible et déroutante se cachait pourtant un cœur d’or. Surtout, une foi de montagnard, apparemment sans tourments ni inquiétudes, capable de déraciner les plus hauts sommets alpins.

Emporté en quatre mois par un cancer foudroyant, Clau affronta sa mort avec une telle lucidité et un tel courage que nos larmes se convertirent en admiration et en reconnaissance. Pour en persuader les lecteurs de Sources, nous ne pouvons mieux faire que reproduire ici le message électronique qu’il rédigea quelques jours avant son départ à l’adresse de ses frères, de sa famille et de ses nombreux amis et amies.

Merci, cher Clau, et à nous revoir!

fr.Guy Musy op


Message de Clau

«Vous avez été nombreux à exprimer par courrier, par courriel, par message, par téléphone ou par une visite combien vous avez été touchés d’apprendre qu’un cancer du pancréas s’est insinué dans mon pauvre corps mortel pourtant si « sain », au moment même où je m’apprêtais à fêter mes 70 ans, et qui ronge déjà visiblement, sensiblement, ma santé.

Nombreux ! Car en ce moment où ma vie se trouve à un tournant, je découvre, touché aux larmes, combien sont fraternels, amicaux et solides les liens que j’ai pu nouer tout au long de mes années de ministère pastoral:

– au sein de la Famille Dominicaine tout d’abord, frères et soeurs confondus…

– à la MISSION catholique de Zurich en particulier durant mes 17 ans de ministère…

– mais également parmi mes chers compatriotes montagnards dans les Grisons, ma patrie de coeur, que je connais personnellement ou qui me connaissent comme prédicateur à la radio romanche et dans la presse locale.

Ce qui m’a frappé et touché davantage, et plus particulièrement, c’est la justesse, l’authenticité, la véracité… des mots dont vous vous servez pour partager et exprimer avec délicatesse votre désarroi et votre douleur qui sont aussi les miens. Et en même temps votre encouragement, votre soutien, votre prière pour et avec moi. Loin d’être de « piètres consolateurs » (Job 18, 16), vous m’avez redressé! Quel don, quelle grâce!

Grand fut aussi mon étonnement de constater que les uns et les autres se réfèrent, non pas à ce que nous avons « fait » ensemble, mais à tant de mots «partagés ensemble» : une homélie, un sermon, une catéchèse, une parole, un mot tiré de la Page du curé… et qu’ils conservent quelque part, comme un précieux trésor, dans le fond de leur coeur. Pour un Dominicain dont la vocation est de croire à la Parole et de la proclamer, à temps et à contretemps, c’est une grande consolation qui confirme, et parfois à contre-courant, que « l’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute Parole qui sort de la bouche de Dieu ».

Cela, je l’affirme avec assurance et conviction alors même que l’épreuve de la maladie ne me rend pas la prière et la parole plus faciles et plus intenses. Au contraire: il arrive que celle-ci tarisse, comme une source d’eau fraîche qui cesse de couler. C’est bien ce dont parle le Psaume 21: « Ma vigueur a séché comme l’argile, ma langue colle à mon palais ». Les mots s’envolent, deviennent creux… Quel bonheur alors de retrouver les hymnes du bréviaire, ces bribes de psaumes, ces mots conservés dans un recoin du coeur… Je me fais alors « glaneur d’épis », comme Ruth, une à une, sur un champ de blé déjà récolté… (Ruth, 2, 1-23). C’est bien ça, le pain quotidien! Et que dire des merveilleuses Paraboles du Maître qui, en ce moment, me semblent plus proches, sobres, vraies, modestes surtout, que la haute théologie de saint Paul.

En cette fin de juillet -début août, les vacances battent leur plein, et je ne vous en tiendrai pas rigueur si vous lirez ce courriel à la rentrée de vos vacances familiales.

Sachez cependant qu’un répit dans ma santé (surtout côté digestion) m’a permis de passer dix jours dans notre chalet familial dans les Grisons. Ma tête en a voulu ainsi (!). J’ai du lutté contre les médecins et les frères qui ne voulaient pas me laisser partir. Avec l’aide de SPITEX, soins à domicile, grâce à la présence de ma famille sur place et, surtout, de mon cher confrère Adrian, j’ai passé de merveilleuses journées relativement ensoleillées, clémentes et d’une incroyable luminosité dans cette ferme de montagne située à 1000 mètres qui m’a vu naître, moi et plusieurs générations d’ancêtres. Grâce à des petites marches, toujours plus soutenues, j’ai même retrouvé mes forces physiques. Bonheur total, grâce aussi à de nombreuses visites que j’ai accueillies à table aussi bien que possible. Saint-Nicolas de Myre, patron de la petite chapelle du hameau de Runs, a veillé sur moi, sur nous !

Hier mardi, j’ai repris le train pour Fribourg, avec une immense gratitude, serein, content de retrouver « mon couvent ». Accueilli par le prieur mais déserté de ses nombreux frères, j’apprécie l’ambiance et je suis chez moi. Là aussi, SPITEX est aux portes. Quant à l’avenir, je ne sais absolument pas ce qu’il va me réserver. Comment  évoluera  la  maladie? Quels  sont  les  organes  qui «craqueront» les premiers? Ce mystère est grand! Vaut-il mieux ne pas le connaître?

Lorsque saint NIcolas de Flue se retrouvait importuné par des questions-interrogatoires qui le laissaient perplexe, il aimait répondre: GOTT WEISS ES! Dieu le sait!

Portez-vous bien!

Votre Frère Clau

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Guy Bedouelle: Le sens de l’histoire https://www.revue-sources.org/guy-bedouelle-sens-de-lhistoire/ https://www.revue-sources.org/guy-bedouelle-sens-de-lhistoire/#respond Mon, 24 Jul 2017 05:50:01 +0000 https://revue-sources.cath.ch/?p=2369 [print-me]Cinq ans après sa mort, la mémoire du frère dominicain Guy-Thomas Bedouelle reste vivante. « Guy Bedouelle, o.p. Une libre intelligence chrétienne » (Frémur, 2017) revient sur la vie et l’œuvre de cet historien chercheur de sens qui a enseigné l’histoire de l’Eglise à l’Université de Fribourg de 1977 à 2007.

Le Frère Guy Bedouelle (1940-2012) était spécialiste du XVIe siècle. Une personnalité riche et dense qui étendait sa curiosité intellectuelle au-delà des cercles ecclésiaux. Un « homme classique dans ses positions – il a choisi le prénom Thomas pour Thomas d’Aquin – », rappelle le Frère Jean-Michel Potin o.p., archiviste de la Province de France, mais jamais étranger aux enjeux sociaux et spirituels de son temps.

La nostalgie du XVIe siècle

« Guy Bedouelle, o.p. Une libre intelligence chrétienne » (Frémur, 2017)

Ce livre reprend les actes d’un colloque de l’Université catholique de l’Ouest, dont le Frère Bedouelle fut recteur de 2007 à 2011. Il éclaire différentes facettes du dominicain français qui a fait de la Suisse sa « seconde patrie ». « Il se définissait avant tout comme un seiziémiste, explique Alain Tallon, professeur d’histoire moderne à l’Université de Paris-Sorbonne. Ses principaux ouvrages fournissent la preuve de sa grande familiarité avec ce siècle et avec sa complexité religieuse ». « Par sa réforme au XVIe siècle, écrivait le Frère Guy Bedouelle, l’Eglise romaine a retrouvé sa crédibilité et, pour quelques dizaines d’années, elle vit dans une sorte d’équilibre […] De cette histoire et de cette culture, dont certains gardent une nostalgie, demeurent en tout cas, sinon un modèle, du moins un héritage ».

Au-delà de « son cher seizième siècle », ce sont les périodes de transformation et de grands bouleversements qui ont retenu l’intérêt du dominicain: « le foisonnement évangélique et humaniste à la veille de la Réforme ou le renouveau de l’Eglise après la tornade révolutionnaire », explique Frère Michel Lachenaud, Prieur provincial de la Province de France. « Pour lui, étudier le passé, c’était se donner les moyens de comprendre l’homme et le croyant affronté aux réalités de son époque ».

Le « drapeau de la résistance au Concile »

Proche des courants qui entendaient réagir « contre les dérives de l’après-concile », le Frère Bedouelle s’est intéressé de près à l’Eglise de son époque. « Il avait compris que l’histoire du temps présent de l’Eglise était devenue un enjeu majeur pour l’avenir du catholicisme et son rôle dans la société contemporaine », affirme Philippe Chenaux, professeur d’histoire de l’Eglise moderne et contemporaine à l’Université pontificale du Latran.

C’est ainsi qu’il s’est intéressé aux raisons profondes du schisme de Mgr Lefebvre. Si le refus du nouveau rite de la messe promulguée par Paul VI avait constitué, selon lui, « le drapeau de la résistance au Concile que Mgr Lefebvre a brandi avec la communauté qu’il avait fondé en 1970 », il n’était pourtant que « la pointe de l’iceberg ». « Le véritable refus s’adresse aux principes qu’ils croient proclamés dans la déclaration conciliaire sur la liberté religieuse ».

C’était dans la spécificité de l’histoire de France qu’il fallait, selon lui, chercher les origines de ce refus. En refusant la déclaration conciliaire sur la liberté religieuse, Mgr Lefebvre et ses partisans refusaient « les principes de la Révolution françaises ». « Si ses adhérents, en tout pays, sont partisans des « régimes forts », c’est moins par nostalgie de le chrétienté que par défiance invincible à la démocratie ». « Leur appel à ‘une sainte objection de conscience’ n’en est pas moins paradoxal car il les fait rejoindre Thomas More, Luther, Newman et Vatican II », commente Philippe Chenaux.

Historien et théologien

Historien et théologien, le Frère Guy Bedouelle envisageait l’histoire au-delà de sa factualité. A ses yeux, « l’historien ne doit pas craindre d’être à la fois un analyste chevronné, rompu aux méthodologies de recherche les plus rigoureuses, et une sorte de visionnaire: en tant qu’historien de l’Eglise, il ne craindra pas de chercher un sens […] parce que le temps théologique n’est pas, et ne peut pas se confondre, avec le temps historique au sens que lui donnent les historiens, qui privilégient le contexte et la chronologie », explique Agostino Paravicini Bagliani, professeur honoraire à l’Université de Lausanne. Il précise: « L’historien de l’Eglise ne peut se fier seulement au document. Il doit être attentif à un autre sens, qui fait que toute histoire de l’Eglise est nécessairement histoire théologique ».[print-me]


Repères biographiques

6 avril 1940: naissance à Lisieux
1965: noviciat à Lille
1966: Docteur en droit
1970: profession solennelle
1971: ordination sacerdotale
1972: assigné pour études au couvent de Genève
1975: intègre la première équipe rédactionnelle de la revue Communio
1977: professeur extraordinaire d’histoire de l’Eglise à l’Université de Fribourg
2007: recteur de l’Université catholique de l’Ouest
22 mai 2012: décès à Fribourg


Notre ami Pierre Pistoletti, journaliste à cath.ch et membre de l’équipe rédactionnelle de notre revue Sources, a bien voulu faire mémoire de notre frère Guy Bedouelle, à l’occasion de la publication d’un livre d’hommage paru cette année, cinq ans après son décès. Faut-il rappeler que ce frère dominicain consacra l’essentiel de sa vie professionnelle» à enseigner l’histoire de l’Eglise à la Faculté de théologie de l’université de Fribourg, après s’y être préparé à l’université de Genève. Il assuma aussi pendant quelques années la responsabilité de la rédaction de notre revue.

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Dominicaines d’Estavayer: filles de la miséricorde https://www.revue-sources.org/dominicaines-destavayer-filles-de-misericorde/ https://www.revue-sources.org/dominicaines-destavayer-filles-de-misericorde/#respond Tue, 09 May 2017 12:26:15 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=2231 Le 25 mars 2017, les moniales dominicaines célébraient sept siècles de présence à Estavayer-le-Lac. Le frère Guido Vergauwen, prieur provincial des Dominicains suisses, tint à cette occasion l’allocution qui suit.

[print-me] La prieure, Sœur Monique, m’a donné trois à quatre minutes pour dire quelques mots au nom des frères de la province Suisse des Dominicains, qui fête d’ailleurs aujourd’hui sa fête patronale. Quelques minutes pour des félicitations fraternelles et pour nous joindre à cette action de grâce de 700 ans de présence dominicaine à Estavayer-le-Lac. Sur le territoire de la province suisse existent aussi des monastères de Dominicaines à Schwyz, Weesen, Cazis et Wil. Nous sommes vraiment privilégies.

Epoque troublée

Il y a 700 ans, 1316/1317, c’est le début du pontificat du pape Jean XXII, qui est le premier pape à résider de manière permanente en Avignon. Jacques Duèze est français, juriste et marchand de Cahors. Il sera durant tout son pontificat l’ennemi du Saint Empire Romain et du roi Louis de Bavière. Très riche, il s’oppose à l’idéal de la pauvreté radicale chez les Franciscains et condamne comme hérétique l’affirmation que le Christ et les apôtres aient vécus sans posséder de biens. Plus tard, il condamnera une série de thèses de notre frère Maître Eckhart.

« Mes soeurs, vous êtes le noyau priant de la Sainte Prédication »

1937. En Europe les temps sont mauvais, des inondations détruisent les moissons et causent une famine généralisée. Mais les Dominicaines viennent à Estavayer-le-Lac et elles y sont toujours, grâce à Dieu, ayant survécu aux papes d’Avignon, au Saint Empire Romain et, sans doute aussi, à tant de famines matérielles et spirituelles qui ont fait souffrir le monde qui les entoure. Les moniales ont partagé les hauts et les bas de l’histoire en accompagnant à chaque époque leurs contemporains par la force de leur prière et la joie que leur donne leur consécration religieuse. Merci, mes sœurs, d’être là, ici et maintenant!

Le visge vivant de Dominique

Dans le récit des origines de l’Ordre de Maître Jourdain de Saxe, nous apprenons que saint Dominique avait «une très ferme égalité d’âme, sauf quand quelque misère en le troublant l’excitait à la compassion et à la miséricorde. Et parce que la joie du cœur rend joyeux le visage, l’équilibre serein de son être intérieur s’exprimait au dehors par les manifestations de sa bonté et la gaieté de son visage … Par cette joie, il acquérait facilement l’amour de tout le monde». Et dans son récit des miracles de saint Dominique, Sœur Cécile écrit que Dominique «restait toujours souriant et joyeux, à moins qu’il ne fût ému de compassion par quelque affliction du prochain».

Mes sœurs, vous êtes pour nous – avec cette joie et votre bonté, votre accueil et votre prière – le visage vivant de Dominique. C’est votre prédication. Vous vivez si pleinement cet idéal de l’Ordre: contempler et transmettre ce que l’on a contemplé de la vérité, de la bonté, de la beauté de Dieu. Dans l’Ordre et son histoire, vous êtes nos sœurs ainées, le noyau priant de la Sainte Prédication, que vous réalisez pour le salut des âmes. Nos Constitutions rappellent en effet, que notre Ordre fut spécifiquement fondé dès l’origine «pour la prédication et le salut des âmes».

Il y a entre les frères et les sœurs une sorte de conspiration lumineuse et joyeuse. Nous voulons et nous pouvons respirer ensemble la même fragrance, l’odeur merveilleuse qui émanait du tombeau de Dominique lors de la translation de ses reliques le 24 mai 1233. Cette odeur est le symbole du même envoi, de la même mission qui nous est confiée, de 1317 à 2017 et bien au-delà. Quelle est cette mission?

La Maison de la Miséricorde

Je la vois exprimée dans la Légende Dorée, un récit que le dominicain Jacques de Voragine écrivit pour la fête de saint Dominique, quelques dizaines d’années seulement avant la fondation de ce monastère:

«Il est rapporté que des savants théologiens de Bologne se disputaient sur le verset du psaume 84, 11: Miséricorde et Vérité se rencontrent, Justice et Paix s’embrassent. Or un étudiant, adonné aux vanités du monde, eut une vision. Il vit qu’il était dans un grand champ, où une tempête effroyable descendait sur lui. Il voulut alors se réfugier et arriva à une maison. Il la trouva fermée; et, comme il frappait à la porte pour être reçu, une voix féminine lui répondit: «Je suis la Justice, j’habite ici et ceci est ma maison; puisque tu n’es pas juste, tu ne peux pas habiter ici.» L’étudiant, consterné par ces paroles, s’en alla frapper à la porte d’une autre maison et demandait à être reçu. Mais une voix lui répondit: «Je suis la Vérité; j’habite ici, c’est ma maison. Mais je ne puis te recevoir, parce que la vérité ne peut pas rendre libre celui qui ne l’aime pas.» Enfin, il vit une troisième maison, où il aurait pu se réfugier contre la tempête. Mais une voix lui répondit: «Ceci est la maison de la Paix. Mais il n’y a pas de paix pour les impies. Mais seulement pour les hommes de bonne volonté qui aiment la paix. Mais comme j’ai des pensées de paix et non de malheur, je veux vous donner un avenir et une espérance, un conseil utile: Près d’ici habite ma sœur, qui est toujours prête à secourir les malheureux. Va la trouver et fais ce qu’elle te dira. Et, de cette quatrième maison, une voix répondit: «Je suis la Miséricorde, qui habite ici. Si tu veux être sauvé de la tempête, va à la maison des Frères Prêcheurs à Bologne. Tu y trouveras l’étable de la pénitence, la crèche de l’abstinence, le pâturage de la sainte doctrine, l’âne de la simplicité, le bœuf du discernement, la lumineuse Marie, Joseph qui est prêt à servir et l’enfant Jésus qui te sauvera. Ayant eu cette vision, l’étudiant s’éveilla, courut à la maison des Frères et revêtit l’habit de l’Ordre.»

La mission d’un monastère de Dominicaines est d’être un lieu où la vérité, la justice et la paix habitent ensemble avec la miséricorde. Saint Thomas appelle la miséricorde la summa christianae religionis, la vertu dont l’action résume toute la religion chrétienne. Dominicaines et Dominicains, nous sommes les filles et les fils de la miséricorde de Dominique, de sa miséricorde envers les pécheurs, envers ceux et celles qui cherchent la vérité. Nous sommes fils et filles de sa prédication pour ceux et celles qui ont besoin d’orientation, qui doivent être éveillés du sommeil de l’rindifférence ou du manque de foi. Nous sommes fils et filles de sa parole pour ceux et celles qui attendent un mot d’encouragement et l’assurance du pardon.

Merci, mes sœurs, pour votre fidélité à cette vocation. Aidez-nous, frères et membres de la famille dominicaine, habitants de cette ville qui vous accueille depuis 700 ans, à être ou à devenir au milieu de ce monndse des hommes et des femmes d’une miséricorde au multiples visages.[print-me]


Le frère dominicain Guido Vergauwen, provincial des Dominicains suisses, fut recteur de l’Université de Fribourg et professeur de théologie fondamentale dans cette même institution.


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Francisco de Vitoria https://www.revue-sources.org/francisco-de-vitoria/ https://www.revue-sources.org/francisco-de-vitoria/#respond Tue, 09 May 2017 12:06:37 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=2228 Le 24 janvier 2017 un acte solennel eut lieu à la Salle Francisco de Vitoria du Palais des Nations de Genève, en présence du Maître de l’Ordre des Prêcheurs. Le but était de rendre hommage à ce penseur dominicain qui inventa au XVIe siècle le «droit des gens» dont se réclama Las Casas, un autre dominicain, dans son combat en faveur des Indiens d’Amérique.

[print-me]Francisco de Vitoria (1486-1546) est un dominicain espagnol qui vécut dans la première moitié du XVIe siècle. Il appartient à un courant réformateur de son Ordre. Son parcours est assez classique pour l’époque: il fait ses études à Burgos et Paris. A partir de 1526, il obtient la «chaire de prime» de Salamanque, une des plus illustres d’Europe. Vitoria, homme de la Renaissance, est le premier théoricien moderne du «droit des gens», au cœur d’une Espagne réunifiée, après deux siècles d’efforts et de guerre pour reconquérir et reconvertir ce territoire. Vitoria influencera notablement la recherche juridique des siècles à venir.

Les sources

Comme tout théologien qui se respecte, Vitoria utilise comme sources de sa réflexion la Bible et les Pères de l’Eglise. Une de ses originalités est d’y ajouter des sources issues de l’expérience et de l’histoire humaines, appelés «lieux théologiques». En particulier, la raison ou les philosophes. Toutefois, l’innovation la plus importante de Vitoria n’est pas les sources qu’il choisit, mais la façon dont il les exploite et les confronte à une situation tout à fait inédite: la découverte et la conquête des «Indes». Il en tirera des conséquences pour le droit. 

De quel droit parle-t-on?

La jurisprudence médiévale conférait au pape une autorité universelle qu’il pouvait déléguer à un roi. Ainsi, Isabelle la Catholique pouvait affirmer (sans être infirmée par les juristes) que la concession des Indes occidentales faite par le Pape à la couronne espagnole pour y amener la foi légitimait son autorité sur ces nouveaux territoires et l’usage de la force si elle était nécessaire. L’argument théologique sous-entendu était que Dieu a donné à saint Pierre, son représentant sur terre, par l’intermédiaire du Christ, un pouvoir qui se transmet à ses successeurs. Ainsi, le pape de l’époque a-t-il pu concéder une part du territoire qui lui fut légué aux «Rois catholiques» espagnols. Cette concession impliquait la propriété et le gouvernement des Indes occidentales. De ce fait, les Indiens devaient se soumettre à cette à cette hiérarchie et devenir chrétiens. En cas de refus, ils seraient soumis par la force. C’est exactement l’argumentation utilisée dans le Requerimiento[1].

Vitoria a permis à Bartolomé de Las Casas d’avoir une assise juridique dans son combat pour la protection des Indiens

Face à cette position largement répandue, Vitoria pose la question de savoir si avant l’arrivée des Espagnols les Indiens, infidèles non coupables, pouvaient être considérés comme les vrais propriétaires de leur terre, conformément au droit public et au droit privé. Pour y répondre et pour que sa réponse puisse être acceptable à la fois par les Espagnols et par les Indiens, Vitoria utilise la distinction entre le droit divin et le droit naturel.

Le droit naturel est le fruit de la raison humaine (naturelle) qui s’enrichit grâce aux différentes philosophies et réflexions menées au fil des temps. Ce droit est fixé par la condition humaine et est donc valide pour tous les hommes. Le droit des gens, fondement du droit international moderne, est quant à lui l’application du droit naturel dans un contexte particulier. Par exemple, selon le droit naturel, toutes les choses sont communes et mises au service des hommes. Selon le droit des gens, l’expérience montre que la meilleure manière d’y avoir droit est la propriété privée, pour éviter lutte et dissensions. Le droit des gens n’est donc pas figé et statique, mais il évolue en fonction des connaissances et des situations historiques. Il impose un nouveau cadre juridique pour les relations internationales.Vitoria considère que ce droit a été violé aux Indes par les Espagnols lors de la conquête. Selon le droit des gens, les Indiens peuvent être considérés comme les propriétaires légitimes de leurs terres. Vitoria est donc face à une nouvelle question: les Rois Catholiques ont-ils une autorité sur ces territoires? Quels titres peuvent-ils faire valoir pour légitimer leur conquête?

L’autorité des rois et les titres (il)légitimes

Dans son «De Indis et De iure belli» (1539), Vitoria définit les conditions qui déterminent la légitimité de la guerre, entendez celle que mènent les Espagnols pour conquérir les Indes. Sans n’avoir jamais mis les pieds aux Indes occidentales, Vitoria reçoit le témoignage de ses confrères dominicains missionnaires dans ces régions, de passage au couvent de Salamanque. Contrairement à ses prédécesseurs, il ne part pas du pouvoir universel du pape, mais bien du droit naturel et du droit des gens. Ce qui lui permet d’affirmer d’une part que la conquête ne peut être justifiée par le droit positif européen puisque les Indiens n’y sont pas soumis. D’autre part, il reconnaît huit raisons légitimes de faire la guerre, tout en précisant qu’il n’est pas certain que ces raisons puissent être invoquées dans le cas de la conquête des Indes.

Fécondité et actulité de Vitoria

Dans sa lutte en faveur des Indiens, Vitoria a permis à Bartolomé de Las Casas d’avoir une assise juridique dans son combat pour la protection des Indiens. En obtenant, entre autres, les «Lois Nouvelles» de 1542[2].

Ce qui est très impressionnant dans la pensée de Vitoria, en plus de son courage, c’est sa capacité à reconnaître à l’autre sa dignité. En se basant sur le droit naturel, il donne un nouveau cadre aux relations internationales: il a distingué le droit médiéval européen du droit des gens international. Dans ce cadre, les individus de toute nation ont les mêmes droits et ils peuvent librement choisir leur gouvernance quelles que soient leur religion, leur croyance, leur origine et leur couleur. De ce fait, au XXe siècle, lors de la fondation de la SDN, Vitoria est cité comme un des fondateurs du droit des gens.

Aujourd’hui, alors que les «droits de l’homme» ont été proclamés, il serait heureux que les hommes et les femmes de notre temps aient le même courage que Vitoria pour exiger leur mise en œuvre dans la société et dans les relations internationales. En vue d’offrir aux hommes, aux femmes et aux enfants un monde plus respectueux des droits de chacun et chacune.


Nicole Awaïs, actuellement au service de DOMUNI, une université dominicaine électronique offrant des formations en philosophie, en théologie et en sciences sociales, a participé au «Colloque Vitoria» de Genève dont il est question plus haut.


Bibliographie

– Monnet, M. éd. (2016). La source théologique du droit. L’actualité de l’Ecole de Salamanque. Toulouse, Domuni-Press.
– Hernandez Martín, Ramón (1997). Francisco de Vitoria et la “Leçon sur les Indiens”. Paris, Cerf
– De Vitoria, Francisco (1991), Politicals writings.Cambridge, Cambridge University Press


[1] Le Requerimiento est un texte lu en espagnol aux Indios par les conquistadors à leur arrivée qui leur laisse le «choix»: se convertir et se soumettre ou être convertis par la force. Donc si les Indios se convertissaient, il n’y avait pas de guerre, mais s’ils résistaient, il était légitime de leur déclarer la guerre.

[2] Las Casas ira beaucoup plus loin dans ses affirmations juridiques et ne reconnaît aucun titre légitime à la présence espagnole et exigera une restitution totale de tout ce qui a été acquis illégitimement.[print-me]

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Droits Humains: les Dominicains ont de qui tenir https://www.revue-sources.org/droits-humains-dominicains-ont-de-tenir/ https://www.revue-sources.org/droits-humains-dominicains-ont-de-tenir/#respond Tue, 07 Feb 2017 13:19:58 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=2069 [print-me]En août 2016, un colloque réunissait à Salamanque[1] quelques deux cents membres de la Famille dominicaine venus dans cette ville raviver l’engagement de l’Ordre au service de la Justice et de la Paix. Un engagement qui pendant huit siècles a marqué l’histoire de la famille de saint Dominique. Long périple que le pape François a comparé plaisamment à un «carnaval mondain» au sein duquel la prédication dominicaine était appelée à résonner.

Le site de Salamanque était judicieusement choisi. L’université de cette ville a hébergé une Ecole célèbre qui prit le nom de cette cité. Elle fut illustrée par un Dominicain non moins célèbre, Francisco de Vitoria (1483-1546), penseur et fondateur du «jus gentium», prémisse du droit international qui arbitre encore aujourd’hui les relations entre les peuples et les Etats.

L’ONU et Francisco de Vitoria à Genève

Il convenait de commémorer une seconde fois cet événement sur les lieux mêmes où ces questions se débattent de nos jours, à savoir au Palais des Nations de Genève qui reçoit trois fois l’an «Le Conseil des Droits de l’Homme». Plus précisément encore, dans une de ses plus belles salles, celle consacrée à Francisco de Vitoria, décorée des fresques marouflées du peintre espagnol José Maria Sert.

Les fresques de sa salle demeurèrent comme un défi muet

La rencontre de Genève eut lieu au soir du 24 janvier 2017, sous l’égide du frère Mike Deeb, promoteur de Justice et Paix au sein de son Ordre et son délégué permanent auprès des Nations Unies. Près de 150 personnes, proches des Dominicains ou membres des missions diplomatiques présentes à Genève, prirent place sur les gradins de cet amphithéâtre historique. A la tribune, une brochette d’orateurs délégués des gouvernements espagnol et péruvien ou de l’Université de Salamanque entourait le Maître de l’Ordre, le frère Bruno Cadoré. On entendit aussi une communication de Mme Nicole Awais[2].

Les Dominicains à l’ONU

C’est à Rome, à la fin des années 80, que se concocta l’idée d’une présence dominicaine dans les parages de ce qui était alors «La Commission des Droits de l’Homme». Deux amis en furent les artisans: un franciscain  canadien John  Quigley et le dominicain Jean-Jacques Pérennès, aujourd’hui Directeur de l’Ecole Biblique et Archéologique de Jérusalem. Mais, pour les Dominicains, la cheville ouvrière de ce projet fut le frère canadien Philippe LeBlanc. Il travailla de concert avec les Franciscains et partagea à Genève le même bureau (FIOP), d’abord à la Cité Universitaire, puis à la rue de Vermont. Le frère LeBlanc prit part chaque année aux réunions de la Commission et de la Sous-Commission créées par l’ONU pour la promotion et la protection des droits de l’homme. A cet effet, il créa en 1998 une organisation non gouvernementale (ONG) appelée «Dominicains pour Justice et Paix». Une nouvelle étape fut franchie en 2002 quand cette ONG obtint un statut consultatif spécial de la part du Conseil Economique et Social des Nations Unies (ECOSOC).

Parvenu au terme de son mandat, le frère Philippe LeBlanc fut remplacé à ce poste par le frère Olivier Poquillon auquel a succédé le frère Mike Deeb actuellement en charge. La mission de ces délégués permanent de l’Ordre auprès des Nations Unies est bien précise: répercuter dans l’Ordre les débats qui se déroulent dans cette aula internationale et dans ce même hémicycle se faire les porte-paroles des victimes lésées dans leurs droits humains, selon les informations qui leur sont transmises par les membres de la famille dominicaine présente dans les cinq continents[3].

«Ne sommes-nous pas des humains?»

Alors que ses compatriotes prenaient pied dans les Indes Occidentales, parvenait à Salamanque aux oreille du théologien dominicain Francisco de Vitoria l’écho du cri de son frère Montesinos, en mission à Hispaniola. Un cri proféré au sujet des Indiens de cette île réduits en esclavage, après avoir été dépouillés de leurs terres: «Ne sont-ils pas des hommes?». La réponse du théologien ne se fit pas attendre. Se réclamant du droit naturel, de sources bibliques et de la meilleure tradition thomiste, Vitoria mit en cause le principe de la colonisation, affirmant le droit des peuples à disposer en pleine souveraineté de leurs terres ancestrales, contestant de ce fait les prétentions papales et impériales de s’en approprier et de les distribuer selon leur gré. Vitoria plaide aussi pour la concertation entre les Etats en vue de régler en commun les questions qui concernent la liberté de commerce, la circulation des personnes et les limites à apporter au droit de la guerre. Questions audacieuses et étonnamment modernes, «disputées» dans un cadre académique et dont les conclusions sont parvenues jusqu’à nous. Le Maître de l’Ordre suggérait dans son intervention de reprendre à notre compte le cri de Montesinos, répercuté dans une version universelle par Vitoria: «Ne sommes-nous pas tous des humains?». 

Les yeux et la tête tournés vers les fresques de Sert personnifiant les maux de l’humanité vaincus par la paix, la justice, le progrès, la solidarité, je demeurai perplexe, me souvenant de la date de l’inauguration solennelle de la salle Vitoria dans ce Palais: 2 octobre 1936. La guerre civile faisait déjà rage en Espagne et la SDN (Société des Nations) qui avait commandé ces peintures murales était moribonde, incapable d’éviter le terrible conflit mondial qui se profilait. Vitoria ne fut pas entendu et les fresques de sa salle demeurèrent comme un défi muet proposé aux sociétés de tous les temps. La nôtre saura-t-elle le relever?[print-me]


Frère Guy Musy, dominicain, rédacteur responsable de la revue «Sources».

[1] Les Actes de ce colloque viennent d’être publiés: Dominicans and Human Rights. Past, Present, Future.Edited by Mike Deeb OP, Celestina Veloso Freitas OP, ATF Theology, Adelaide. 2017, 247 p.

[2] Notre revue reproduira cette intervention dans une prochaine livraison.

[3] Phippe LeBlanc: Les Dominicains à l’ONU, Revue du XXIème siècle, Bruxelles, mars 2002.

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Dominicains suisses: une année jubilante! https://www.revue-sources.org/dominicains-suisses-annee-jubilante/ https://www.revue-sources.org/dominicains-suisses-annee-jubilante/#respond Tue, 13 Dec 2016 13:02:58 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=1629 [print-me]

Avec celle de la vieille année, la Famille dominicaine de Suisse fermera aussi la porte des célébrations du huitième centenaire de l’Ordre des Prêcheurs. La Suisse ne fut pas en reste pour marquer cet événement. Petit parcours de ces manifestations jubilatoires, sans doute éteintes, mais dont la mèche fume encore.

Zurich

A Zurich, au «Zentrum Karl der Grosse», proche du Grosmünster où prêcha le réformateur Zwingli, le frère Adrian Schenker a parlé  de la première traduction allemande de la Bible, effectuée par un Dominicain de cette ville. Notre revue a déjà fait mention de cet événement.

A Zurich encore, ce fut la première représentation de la pièce théâtrale «Kloster zu vershenken», créée pour la circonstance. Vingt-trols représentations ont suivi en Suisse alémanique. Feu d’artifice final à Rome au cours de janvier 2017.

Avec la communauté locale, la famille dominicaine zurichoise et alémanique s’est retrouvée Zur Prediger, la plus ancienne église dominicaine sur le sol helvétique, devenue en 1524 lieu de culte réformé. A quelques reprises, les frères et leurs amis et amies y chantèrent des Vêpres solennelles qui, en novembre, mirent le sceau final aux manifestations du jubilé. 

Bâle

Etonnamment, dans la cité rhénane qui connut très tôt une implantation dominicaine, ce furent des associations culturelles qui donnèrent le ton à notre jubilé.  Il fut marqué par des conférences, une exposition et des concerts sur le site du célèbre couvent de moniales de Kleines Klingental fondé en 1274, devenu de nos jours un important musé bâlois.

Berne

Toujours en Suisse alémanique, mais proche des Marches romandes, nos frères de Fribourg se sont déplacés à Berne pour chanter Vêpres dans notre ancienne église, devenue entre-temps temple protestant mis au service de la communauté francophone de la ville fédérale.

Cazis

A Cazis, dans les Grisons, nos sœurs choisirent de célébrer le jubilé à Bologne, auprès du tombeau de saint Dominique. Toutes les sœurs s’y déplacèrent.

Fribourg

C’est sans doute à Fribourg, ville qui héberge deux couvents de frères, que le jubilé fut le plus retentissant.

L’année jubilaire avait été inaugurée par la parution d’un numéro spécial de notre revue Sources, le dernier d’une longue série imprimée, avant que le numérique ne prenne le relais.

Le 12 avril, à St.Hyacinthe, célébration des amitiés – séculaires! – entre Franciscains et Dominicains, avec la conférence du frère capucin Niklaus Kuster sur nos deux fondateurs. Conférence suivie des Vêpres et des agapes qui accompagnent traditionnellement ce genre de rencontres entre  «mendiants».

Le 2 juin, toujours à St.Hyacinthe et à l’église voisiner du Christ-Roi, célébration «officielle» du jubilé: celle des deux couvents fribourgeois et celle de la Province dominicaine suisse. La fête rassembla la famille dominicaine romande et de très nombreux amis et amies de l’Ordre. Les festivités débutèrent par deux conférences sur les origines dominicaines et sur l’architecture de nos couvents (cf.le numéro d’automne de notre revue Sources), suivies de la messe présidée par notre évêque Charles Morerod OP et d’un «apéritif dinatoire» digne de ce nom.

Deux colloques universitaires célébrèrent également à Fribourg le jubilé de l’Ordre. Le premier, dans le cadre du Forum de Fribourg: «Eglise dans le monde» s’intitulait: «800 ans  mission et dialogue interreligieux dans la tradition dominicaine» avec les interventions de trois frères professeurs à la Faculté de Théologie de Fribourg et d’autres venus de Bordeaux, d’Helsinki et de Berlin.

Le second colloque était plus directement consacré à la mémoire des Trappistes de Tibhirine assassinés il y a vingt ans. Mais notre frère Jean-Jacques Pérennès rappela le souvenir de Pierre Claverie assassiné lui aussi cette même année. Le spectacle «Pierre et Mohamed», présenté à cette occasion, rappela aussi le souvenir de ce Dominicain hors du commun qui fut évêque d’Oran. Faut-il ajouter que nos jeunes frères étudiants se sont fortement  impliqués dans ces journées et ont contribué à leur réussite.

Estavayer

Proches de Fribourg, les moniales dominicaines d’Estavayer concoctèrent leur propre programme de manifestions jubilaires. Elles vont se poursuivre tout au cours de l’année 2017. C’est qu’à la commémoration des huit cents ans de l’Ordre est venue se greffer celle des sept cents ans de leur monastère. Un livre édité cette année retrace les étapes de cette histoire passionnante.

Estavayer est situé en Romandie. Mentionnons donc le pèlerinage des Fraternités Laïques dominicaines de la partie francophone de Suisse vers Sienne et surtout vers Bologne.

Genève

Enfin, least but not last, la journée jubilaire du couvent de Genève le 8 septembre à Coppet. Plus précisément à l’église de cette bourgade vaudoise, convertie elle aussi en temple protestant. Un couvent dominicain s’édifiait à cet endroit, fondé dans les dernières année du 14ème siècle et supprimé en 1536 avec l’arrivée de Bernois protestants et conquérants. Le pèlerinage se fit en bateau depuis la rade de Genève, avant de rejoindre l’église pour un premier contact. Un repas à la salle communale accueillit une soixantaines de convives. Il fut suivi de deux conférences à l’église sur l’architecture et l’histoire de ce lieu. Puis, la chant des Vêpres de la Nativité de la Vierge. Le grand «Salve» et l’antienne «O Lumen» résonnèrent à nouveau sous ces voûtes vénérables, après un silence qui a duré quasi cinq siècles. Moment d’intense émotion. Un soleil radieux sur un lac lisse accompagna les pèlerins.

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 Guy Musy op, Rédacteur responsable de la revue Sources

 

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