Vivre en ville – Revue Sources https://www.revue-sources.org Wed, 21 Dec 2016 13:36:17 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.3.1 Vivre en ville! https://www.revue-sources.org/vivre-en-ville-2/ https://www.revue-sources.org/vivre-en-ville-2/#respond Wed, 01 Jul 2015 15:45:57 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=608 [print-me]

Curieusement, le mot «ville» qui signifie un agglomérat plus ou moins organisé – pensez au bidonville! – dérive du latin «villa», synonyme de maison de maître ou manoir campagnard où il fait bon vivre. On n’imagine pas une villa sans son jardin attenant et aujourd’hui sans sa piscine. Privilège exceptionnel dont peuvent se targuer les nouveaux riches, les héritiers chanceux et ceux qui ne redoutent pas de s’endetter.

Mais l’heure vient, et elle pourrait avoir déjà sonné, où la majorité des humains auront quitté la verdure pour rejoindre les zones vouées à l’urbanisation. J’habite en bordure d’un lac de quelque importance dont la rive droite tend à ne former, d’un bout à l’autre, qu’une seule agglomération en voie de densification. L’Afrique, pour ne parler que d’elle, connaît la même révolution. A titre d’exemple, la ville rwandaise de Kigali que j’ai encore connue bourgade rurale servant de capitale à un peuple de paysans est devenue en quelques années une métropole démesurée, exerçant une attraction incompressible sur tous les «jeans sans terre» et autres malchanceux qui vivotent en économie fermée sur leurs mille et une collines.

Ce phénomène ne laisse ni l’évangile ni l’évangélisation indifférents. Proclamée d’abord à la campagne, la bonne nouvelle a gagné la ville et ne la quittera plus. C’est la revanche de Caïn, fondateur de la première ville (Genèse 4, 17), sur son frère nomade et cultivateur.

Au moment où beaucoup de citadins désertent leur ville pour «vaquer» quelques jours en des lieux plus verts et moins bruyants, Sources leur livre cette brève réflexion sur le monde urbain.

Ne serait-ce que pour attiser leur nostalgie des grands ensembles. Je plaisante, sans doute, mais si peu, en vérité !

Ce numéro d’été vous ouvre bien d’autres fenêtres et même quelques lucarnes. Nous regretterions de vous les laisser fermées.

Bonnes vacances et revenez-nous vite!

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Ouvrage de mains humaines ou don du ciel? https://www.revue-sources.org/ouvrage-de-mains-humaines-ou-don-du-ciel/ https://www.revue-sources.org/ouvrage-de-mains-humaines-ou-don-du-ciel/#respond Wed, 01 Jul 2015 15:37:41 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=274 [print-me]

Avec le livre de la Genèse, la Bible commence dans un jardin: le jardin Eden, dont l’homme est le gardien et où Dieu se promène à la brise du soir. Mais avec le livre de l’Apocalypse, la Bible se termine dans une ville: la Jérusalem céleste qui n’est rien de moins que «la demeure de Dieu parmi les hommes»! Quel est donc l’habitat où l’homme doit vivre avec Dieu: la ville ou le jardin?

Nomades ou citadins?

Le jardin, planté par Dieu pour l’homme, se présente comme l’habitat originel. Mais l’homme n’a pu y demeurer et le voici en exil sur une terre qui ne sera plus jamais vraiment la sienne. A cet homme, qui ne peut plus être jardinier, restent deux possibilités: accepter de vivre en étranger et devenir berger nomade ou forcer son destin et travailler la terre pour devenir agriculteur mais aussi bâtisseur de ville.

C’est ainsi que nous pourrions interpréter le chapitre 4 de la Genèse. En effet, les fils d’Adam et Eve chassés du jardin, Caïn et Abel, sont respectivement agriculteur et berger. Mais alors que Caïn vient de tuer son frère et que la terre est une fois de plus maudite à cause de lui, le texte nous dit de Caïn qu’«il construisit une ville». Pour la Bible, la première ville semble donc être le fruit de la violence. Ce jugement négatif s’aggrave encore puisque la deuxième fois que la Bible nous parle d’hommes se réunissant pour bâtir une ville, c’est pour y construire une tour: la tour de Babel!

La ville: œuvre de mains humaines

L’épisode de la tour de Babel (Gn 11) est significatif de ce qui constitue le grief de la révélation biblique contre la ville. En effet, nous y voyons des hommes anonymes, pris en masse, décidés à «se faire un nom». Pour cela, ils veulent construire une tour «dont le sommet soit dans les cieux». Nous percevons déjà que l’orgueil et la démesure de l’entreprise sont stigmatisés. Mais pour bien le comprendre, attachons-nous à un détail qui a pourtant son importance. Le premier élan de cette masse humaine, avant même d’avoir l’idée d’une tour, est de prendre de la terre et d’en faire des briques.

Même sans posséder de villes, les Hébreux vont devoir subir la violence dont elles sont le cadre.

Cela reflète sans doute bien le monde mésopotamien, qui sert de cadre: de grandes plaines marécageuses où l’on ne trouve pas de carrières mais beaucoup d’argile. La matière première de la construction est donc un produit de l’artisanat humain. Et voilà peut-être la racine du problème: la ville, contrairement au jardin, n’est plus un don de Dieu auquel l’homme participerait. La ville est une œuvre entièrement artificielle. En termes bibliques, elle est «ouvrage de mains humaines». Cette expression tirée des psaumes 115 et 135 est une expression classique pour désigner les idoles. La ville de Babel associée à la tour qui lui sert d’étendard est en quelque sorte une ville-idole. C’est en cela qu’elle constitue une menace pour Dieu qui s’en plaint: «rien ne les empêchera désormais de faire tout ce qu’ils décideront». Autrement dit, «de vivre comme si Dieu n’existait pas» dans ce monde artificiel qu’ils se sont créé.

Ainsi, de l’idolâtrie devant l’œuvre de nos mains vient l’orgueil, mais aussi la violence de ceux qui disent «Dieu ne voit pas» (Ps 94, 7). Il nous suffit d’avancer jusqu’à la prochaine plaine parsemée de grandes villes que nous présente la Genèse pour le voir: la vallée du Jourdain est décrite comme un «jardin de Dieu» (Gn 13, 10). Mais les apparences sont trompeuses car les villes de cette vallée s’appellent Sodome et Gomorrhe! Dans un passage tristement célèbre (Gn 19), Dieu détruit ces villes où le péché est si bien installé. Encore une fois, le paradis devient un désert!

Pas de hasard donc si le peuple que Dieu s’est choisi est un peuple nomade. Les patriarches parcourent la terre promise comme des étrangers de passage. Cependant, même sans posséder de villes, les Hébreux vont devoir subir la violence dont elles sont le cadre. Chassés par la famine, ils se réfugient en Egypte grâce à Joseph; réduits en esclavage, nous retrouvons nos nomades en train de faire des briques pour construire les «villes-entrepôts de Python et Ramsès» (Ex 1, 11-14). Décidément, la Bible n’aime pas beaucoup les villes!

Et Dieu conquiert la ville!

Et pourtant, cette réalité dangereuse, Dieu va l’assumer. Alors qu’Il libère son peuple de l’oppression de l’Egypte, Dieu lui promet de revenir en terre promise, cette fois-ci pour en prendre possession. Il lui sera donc permis d’avoir des villes. Mais les Hébreux sont prévenus: «Quand le Seigneur ton Dieu te fera entrer dans le pays (…); quand tu auras des villes grandes et belles que tu n’as pas bâties (…) garde-toi d’oublier le Seigneur, Lui qui t’a fait sortir d’Égypte» (Dt 6, 10-12).

C’est ainsi que Dieu conquiert ce symbole d’orgueil et de violence. Son peuple va bien vivre dans des villes, mais des villes «qu’il n’a pas bâties» et qui, par là même, deviennent un don de Dieu. Pourtant la ville garde un caractère ambigu. L’avertissement lui-même implique que l’oubli est possible et que les villes reçues peuvent redevenir bien vite des lieux d’idolâtrie! Malgré cette ambiguïté, Dieu assume cette réalité humaine. Mieux, Il décide de venir l’habiter.

L’Apocalypse, reprend, dans une synthèse géniale, toutes les intuitions de l’Ancien Testament au sujet de la ville.

Là encore, une ville va parfaitement symboliser ce choix de Dieu et le danger qu’il implique: Jérusalem elle-même. Jérusalem, la cité de David, n’a pas été construite par le roi d’Israël. Jérusalem, avant de s’appeler ainsi, était Jébus, la ville des Jébuséens. Conquise par la tribu de Juda (Jos 15,63) et celle de Benjamin (Jg 1, 21), puis par David lui-même (2 S 5, 6-10), elle n’en finit pas de rester jébuséenne. D’ailleurs, lorsque David élève un autel sur les hauteurs de Jérusalem, qui deviendra le Temple, il doit acheter le terrain à un Jébuséen (2 S 24, 18 s)!

Mais lorsque Dieu choisit, Il ne le fait pas à moitié: Jérusalem, la ville jébuséenne, donnée à David, devient la «ville de Dieu» (Ps 87), la cité de toutes les promesses. La gloire des nations affluera à sa lumière (Is 60) et le mont Sion sera élevé plus haut que tous les monts (Mi 4)! Mieux, la ville sainte devient la bien-aimée, la fiancée que Dieu épousera (Is 62, 1-9). Pourtant toute l’ambiguïté demeure: si elle est l’épouse, elle est aussi l’adultère; si elle doit être exaltée, elle sera aussi ravagée; si tous les peuples se rassembleront en elle, ses enfants seront aussi dispersés dans tous les pays!

Deux cités: l’une détruite, l’autre recréée

Le dernier livre de la Bible, l’Apocalypse, reprend, dans une synthèse géniale, toutes les intuitions de l’Ancien Testament au sujet de la ville. En effet, dans ce livre, nous trouvons deux cités décrites comme deux femmes. Elles sont présentées de manière parfaitement symétrique par un ange avec la formule: «viens, je vais te montrer» (Ap 17, 1 et Ap 21, 9). D’un côté, il y a la grande prostituée, Babylone la grande, qui s’enorgueillit de son pouvoir et s’enivre du sang des martyrs. De l’autre côté, l’épouse de l’Agneau, la Jérusalem nouvelle qui descend du ciel. La première est destinée à être détruite. La seconde est le sommet de la création nouvelle.

Mais ces deux cités sont-elles vraiment distinctes? Ce n’est pas si sûr. Dans ce qui semble être un excursus au chapitre 11, deux témoins envoyés par Dieu sont mis à mort puis ressuscités dans un unique lieu qui est à la fois la «ville sainte» et la «grande cité» (appelée sans ambiguïté «Sodome ou Egypte»): c’est là que se trouve le temple et c’est aussi là que le Seigneur a été crucifié! D’une certaine manière, il n’y a qu’une cité, bâtie par les hommes et choisie par Dieu: elle prend le nom de Babylone lorsqu’elle se pervertit et Dieu fait de nouveau d’elle Jérusalem en la recréant. Ainsi, la cité offerte par Dieu aux hommes pour y vivre avec Lui, n’est pas vraiment une autre ville que celle que l’orgueil des hommes avait bâtie: c’est la même ville, détruite dans ce qu’elle a de perverti, recréée pour ce qui, en elle, a été assumé par Dieu!

Dieu a donc été jusqu’à abolir la distinction entre la ville et le jardin.

Il semble bien alors que nous ayons trouvé la réponse à notre question de départ: Dieu voulait que les hommes habitent un jardin mais ceux-ci ont préféré construire une ville. Alors Dieu les y a rejoints. Mais cette réponse serait trop simple. Car depuis l’exclusion du jardin, l’homme désirait y revenir et bien des promesses lui avaient été faites dans ce sens! Dieu a donc été jusqu’à abolir la distinction entre la ville et le jardin: la Jérusalem nouvelle qui descend du ciel est en même temps la cité des hommes recréée et le paradis de Dieu retrouvé. C’est ainsi qu’au milieu de la place de la ville jaillit le fleuve d’eau vive du paradis et pousse l’arbre de vie du jardin d’Eden (Ap 22, 1-2).

Mais si ce jardin est devenu une ville, c’est pour bien nous montrer que la création nouvelle n’est pas un simple «rembobinage», un repli des élus en Eden. L’histoire des hommes n’est pas effacée: si l’homme redevient jardinier, il n’en reste pas moins constructeur de villes. Mais cette ville qu’il a bâtie, Dieu la lui redonne transfigurée: en elle, plus d’idolâtrie, car elle est la demeure de Dieu et son temple est l’Agneau. En elle, plus de violence, car elle est le paradis retrouvé où il n’y a plus ni mort, ni malédiction. Voici le don de Dieu: faire de l’œuvre de nos mains l’accomplissement de ses promesses.

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Le frère dominicain Pierre Martin de Marolles, de la Province dominicaine suisse, est étudiant en théologie à l’Université de Fribourg. Il réside au couvent St-Hyacinthe de cette même ville.

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Le Rat de ville et le Rat des champs https://www.revue-sources.org/rat-de-ville-rat-champs/ https://www.revue-sources.org/rat-de-ville-rat-champs/#respond Wed, 01 Jul 2015 15:36:10 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=271 [print-me]

Autrefois le Rat de ville
Invita le Rat des champs,
D’une façon fort civile,
A des reliefs d’ortolans.

Sur un tapis de Turquie
Le couvert se trouva mis.
Je laisse à penser la vie
Que firent ces deux amis.

Le régal fut fort honnête,
Rien ne manquait au festin ;
Mais quelqu’un troubla la fête
Pendant qu’ils étaient en train.

A la porte de la salle
Ils entendirent du bruit;
Le Rat de ville détale,
Son camarade le suit.

Le bruit cesse, on se retire:
Rats en campagne aussitôt ;
Et le Citadin de dire :
Achevons tout notre rôt.

C’est assez, dit le Rustique;
Demain vous viendrez chez moi.
Ce n’est pas que je me pique
De tous vos festins de roi ;

Mais rien ne vient m’interrompre;
Je mange tout à loisir.
Adieu donc. Fi du plaisir
Que la crainte peut corrompre !

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Chrétiens de ville et chrétiens des champs https://www.revue-sources.org/chretiens-de-ville-et-chretiens-des-champs/ https://www.revue-sources.org/chretiens-de-ville-et-chretiens-des-champs/#respond Wed, 01 Jul 2015 15:35:15 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=269 [print-me]

«Allez à la ville!» Le mot d’ordre est donné par Jésus, tel qu’on peut le lire dans l’évangile de Marc (14,13), lorsque les disciples sont envoyés préparer le repas pascal.

La ville (pôlis) dont il s’agit n’est évidemment pas Istanbul qui en grec se dit aussi: «eis tèn pôlin» ( vers la ville), cité qui pèsera lourd dans l’héritage chrétien. Mais, dans l’évangile, c’est bien de Jérusalem dont il est question, ville sainte par son Temple, mais aussi redoutable par sa réputation de «tuer les prophètes et lapider ceux qui lui sont envoyés» (Luc 13, 34). Quand Jésus de Nazareth prend la décision d’«aller vers la ville» («eis tèn pôlin»), il sait très bien que cet ordre de marche équivaut pour lui à un arrêt de mort. Déterminé et résolu, il « durcit son visage» (Luc 9, 51) avant de se mettre en route. Ses compagnons effrayés tentent de l’en dissuader. En vain. Finalement, ils se résignent et partent eux aussi à la ville. Pour mourir avec lui (Jean 11, 16).

De la plaine de Galilée aux métropoles impériales

Jérusalem est non seulement redoutée du fait du sort qu’elle réserve à ses prophètes visiteurs, elle est de plus étrangère et même inhospitalière à ces paysans galiléens, familiers de paraboles qui parlent de blé en herbe, de moutons égarés, de chardons parasites, de figuiers infertiles, de vignerons chômeurs ou de pêcheurs rentrés bredouilles. Sans conteste, l’évangile a d’abord résonné sur leur lac et dans leurs champs. Mais il gagnera très vite la ville. Et, l’ayant atteinte, il ne la quittera plus.

Ce choix préférentiel des villes comme centres d’éclosion et de diffusion du christianisme prédomina pendant des siècles.

L’artisan de cette révolution culturelle et religieuse fut bien sûr Paul, citadin lui-même, natif de la ville de Tarse en Asie Mineure et citoyen romain. Fraîchement converti, il gagne la métropole d’Antioche en Syrie et de là part en mission vers les villes d’Asie Mineure et de Grèce. Il y suscite des assemblées chrétiennes qu’il organise en corps social, selon le modèle citadin qui lui était familier. De chacune de ces cités, il aurait pu dire ce que le Seigneur lui révéla à Corinthe: «Je suis avec toi (…) car, dans cette ville, un peuple nombreux m’est destiné» (Actes 18,10). A une exception près, celle aux Galates, ses lettres seront toutes adressées à des communautés urbaines et l’apôtre n’aura de cesse que sa prédication atteigne la capitale impériale. Les Actes des Apôtres, qui relatent ce parcours, s’achèvent comme un marathon apostolique. La bonne nouvelle a gagné Rome, la ville des villes. Son héraut est parvenu à son but; il n’a plus qu’à entonner son «Nunc dimittis» et attester par son sang la vérité de ses dires.

L’Eglise constantinienne, qui hérita du ministère de Paul, a gardé cette structure urbaine et en a fait même un système de gouvernement. Quatre, et bientôt cinq grandes métropoles impériales, vont devenir autant de patriarcats: Jérusalem, Antioche, Alexandrie, Rome et, plus tard, Constantinople, qui se désignera elle-même comme la seconde Rome. Chacun de ces sièges supervisait d’autres évêchés de seconde classe, urbanisés eux aussi et reliés à leur patriarche respectif.

Paysans devenus païens

Ce choix préférentiel des villes comme centres d’éclosion et de diffusion du christianisme prédomina pendant des siècles. C’est en ville que s’édifièrent les cathédrales et fleurirent les écoles collégiales et les universités. Paris était le four où cuisait le pain de la chrétienté, disait-on à l’époque médiévale. La ville donnait le ton et imposait son rythme à l’église, à l’école, au palais, aux halles des marchands, à l’hôtel-Dieu comme à l’hôtel de ville. Hors de la ville, pas de salut! Hors de la ville, rien, si ce n’est le donjon féodal pour protéger l’accès aux marchés et servir de refuges aux paysans des alentours contre les seigneurs de la guerre et les brigands de grands chemins.

Les Jésuites donnaient le ton dans les quelques bourgs demeurés catholiques et les capucins «tenaient» les campagnes.

La campagne? Symbole d’insécurité, d’insalubrité, d’ignorance, d’éloignement et de misères. Assez bonne toutefois pour attirer des moines hirsutes, habitués à combattre le démon, hôte des forêts et des déserts, habitués également aux marécages. La campagne? Un lieu d’où l’on ne peut que fuir comme Rastignac ou comme un Africain d’aujourd’hui. Notre langue, héritée du latin, a conservé un signe particulièrement éloquent de cette relégation. Le mot latin«paganus» se traduit en langue classique par «rural, rustique, villageois». A partir du IVesiècle, suite à la christianisation des villes de l’Empire, la même expression désigne le non-chrétien, plus vulgairement «le païen».

Mais, soyons justes! Si les centres urbains furent les premiers à être évangélisés, il y eut toutefois l’exemple de Martin de Tours (316-397) et de ses compagnons, très actifs dans la christianisation des campagnes gallo-romaines. En témoignent encore aujourd’hui les nombreuses églises, chapelles ou sites ruraux qui portent son nom. Ce ne fut là qu’une exception, répétée au «grand siècle» par l’activité pastorale d’un Vincent de Paul (1581-1660), et surtout par Grignon de Monfort (1673-1716), inventeur des missions paroissiales rurales qui christianisèrent en profondeur des régions françaises qui jusque là ne l’étaient qu’en surface. Mais, pour l’essentiel, c’était l’aigle de Maux ou le cygne de Cambrais qui donnaient de la voix dans l’Eglise de France. En Suisse, la situation était différente. Bien avant la Révolution, la Réforme s’était imposée dans la plupart des villes du pays. Depuis ce temps-là, les Jésuites donnaient le ton dans les quelques bourgs demeurés catholiques et les capucins «tenaient» les campagnes.

Le retour des paysans

La Révolution française provoqua une césure radicale de ce système. Le quadrillage paroissial et conventuel urbain éclata. Un clergé d’origine rurale prit lentement la relève des clercs aristocrates ou «grand bourgeois» et finit par instituer au cours du siècle et demi qui suivit une Eglise de type campagnard en milieu citadin. Le phénomène fut encore plus marqué dans l’incroyable essor missionnaire du XIXe siècle, dont les agents furent surtout des religieux et religieuses d’origine rurale. Le plus souvent mal à l’aise dans le milieu urbain, comme un nain dans une défroque de géant.

Au début du siècle dernier, un immigré valaisan ou fribourgeois ne pouvait-il que «se perdre» dans la Babylone genevoise

Ces nouveaux pasteurs entretinrent la méfiance envers la ville, lieu de perdition, et demeurèrent fidèles à une pratique qui avait donné ses fruits dans les campagnes. Ainsi, au début du siècle dernier, un immigré valaisan ou fribourgeois ne pouvait-il que «se perdre» dans la Babylone genevoise, à moins qu’il ne fut récupéré par un prêtre de chez lui, qui partageait ses coutumes et ses dévotions. Il faut dire aussi à leur décharge que quelques prêtres de souche paysanne, comme l’Abbé René Castella dont il est question dans le dossier de ce numéro, surent admirablement conformer leur ministère aux conditions citadines. Je mentionnerai aussi tous les prêtres d’origine rurale qui favorisèrent en ville les équipes d’Action Catholique dont l’envergure dépassait largement le pré carré paroissial, étroitement délimité et jalousement surveillé par un curé soupçonneux qui ne voulait perdre «son» bien.

Et maintenant?

Tout d’abord, un fait sociologique nouveau bouleverse le paysage pastoral habituel. La ville tend à se confondre avec ses voisins ruraux. Cités dortoirs, zones villas ou HLM envahissent ce qui n’était, il n’y a pas si longtemps, que cultures ou pâtures. La communauté villageoise se désintègre, perd ses traditions et fusionne dans un ensemble plus vaste. Quant à l’église, elle a cessé de tenir sa place au milieu d’un village qui n’existe plus. Son clocher, le plus souvent, est devenu muet, perdu et désuet dans une banlieue grise et anonyme qui, telle une pieuvre, tend chaque jour plus loin ses tentacules. A cela s’ajoutent les migrations estivales ou hivernales de populations à la recherche de neige, de mer, de montagne et de soleil. Les gens – et les paroissiens donc! – n’ont plus de chez eux, comme si l’univers était devenu leur unique patrie. Le dominicain Yves Congar, qui ne manquait pas d’intuition prophétique, avait déjà intitulé un de ses ouvrages, paru en 1959: «Vaste monde ma paroisse!».

Vers quel avenir courons-nous? Vers une pastorale uniforme, linéaire et indifférenciée?

Un autre bouleversement sème le trouble sur la carte pastorale: la disparition dans nos régions du clergé «indigène» d’origine rurale. Pendant des décennies, ces prêtres ont assumé l’essentiel des services pastoraux des villes. La campagne, autrefois païenne, venait au secours de la ville devenue païenne à son tour. Il serait facile d’analyser ce revirement dont les causes ne sont pas toutes religieuses. La défection du clergé rural a provoqué la venue de quelques clercs en provenance de l’est ou du sud pour colmater un tissu fortement fissuré. Mais ce ne sont là peut être que soins palliatifs et provisoires.

Vers quel avenir courons-nous? Vers une pastorale uniforme, linéaire et indifférenciée, répondant aux besoins d’un territoire qui ne connaît ni ville ni campagne? Vers une pastorale exclusivement attentive aux nouveaux regroupements de populations, quitte à laisser mourir dans l’ombre les petites communautés rurales tenues à l’écart de ces grands boulevards? Après avoir nourri les villes pendant près de deux siècles, les «paysans» vont-ils redevenir «païens», rustres et ignorants des choses de Dieu? Je ne sais si ce souci agite l’esprit et le coeur de nos planificateurs pastoraux. En tout cas, il m’émeut et m’interroge. Ce n’est pas seulement un devoir de justice, mais une obligation de charité de porter secours à ceux et celles qui nous ont appris à prier et qui vivent désormais autour d’un clocher qui ne les appelle plus à se rassembler.

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Le frère Guy Musy, dominicain du couvent de Genève, est rédacteur responsable de la revue Sources.

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Notes piétinées https://www.revue-sources.org/notes-pietinees/ https://www.revue-sources.org/notes-pietinees/#respond Wed, 01 Jul 2015 15:32:55 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=267 [print-me]

Les notes sont piétinées dans les rues
mais la ville entière attend un violon.

Sa voix inaudible derrière le ciel
est un fil qui passe à travers les choses
les hommes et les jours. Quand il ne casse pas
tu peux soulever ensemble les maisons
tes années perdues, le pauvre sous le porche:
tu en tiens les deux bouts sans presque les sentir
et les autres ne voient que les mots du poème.

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Jean-Pierre Lemaire

«Le cœur circoncis», Gallimard, 1989

 

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(Re)faire la ville et processus citoyen https://www.revue-sources.org/refaire-la-ville-et-processus-citoyen/ https://www.revue-sources.org/refaire-la-ville-et-processus-citoyen/#respond Wed, 01 Jul 2015 15:23:45 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=264 [print-me]

«SmartCity», la ville intelligente, c’est le projet d’une ville moderne, innovante, capable d’améliorer la qualité de vie de ses habitantes et habitants.

Afin de stimuler le développement de savoirs autour de ce thème, la Haute école spécialisée de Suisse occidentale (HES-SO) lançait en 2011 un appel à projets au sein de ses instituts et hautes écoles. Un des projets retenus, sous l’acronyme «Atequas», visait à porter un regard interdisciplinaire (urbanisme, architecture, sociologie, science politique) sur l’émergence et la transformation de quartiers dits «soutenables», c’est-à-dire dont la conception et / ou le (ré)aménagement répondent aux exigences environnementales et de qualité de vie tout en s’effectuant avec la participation de ses habitantes et habitants; pour le dire avec une formule, des «éco-quartiers participatifs». Chantal Guex, une des chercheuses impliquées dans le projet Atequas, tire quelques enseignements des observations réalisées par l’équipe de recherche sur le projet de réaménagement urbain du quartier du Vallon à Lausanne (Suisse), qui s’inscrit dans cette approche.

Le projet de réaménagement urbain du quartier du Vallon est exemplaire des possibilités et des limites de la démocratie participative. Exemple concret de l’expression de nouvelles formes démocratiques mettant l’accent sur la délibération et la participation des citoyens dans les projets pour (re)faire la ville, il illustre aussi les décalages et les contradictions qui existent entre les grandes régulations collectives à l’échelle d’une ville comme Lausanne, d’une part, et l’implication de citoyens à l’échelle d’un quartier dans la conception de leur environnement, d’autre part.


Le quartier du Vallon, à Lausanne: 


Approcher le territoire…

Lorsque un projet d’intervention urbaine est envisagé, les opérateurs qu’ils soient étatiques (administration, services concernés) ou professionnels (architectes, urbanistes) récoltent des données de nature essentiellement matérielle et physique sur le quartier: bâti existant, voies de circulation (accès, routes…)… Le quartier est saisi comme une réalité qui se révèle dans sa matérialité et qui s’actualise essentiellement dans le moment présent. Lorsque le passé est pris en compte, c’est avant tout « l’histoire des bâtiments », dans une vision essentiellement patrimoniale, qui est au cœur des analyses. Le plus souvent, l’histoire sociale et politique du quartier reste un angle mort.

Or, dans une perspective de démocratie participative, la «mémoire» sociale du quartier ne peut être négligée. Il s’agit notamment de repérer les débats et décisions politiques prises dans le passé, les processus de mobilisation que ces décisions ont suscités, ou encore de considérer les flux de populations et leurs modes de vie qui ont laissé leur empreinte, façonnant un «esprit des lieux», une identité collective propre au quartier.

Dans une perspective de démocratie participative, la «mémoire» sociale du quartier ne peut être négligée.

Les dispositifs de gouvernance, organisés au Vallon, ont en partie pris en compte ce savoir historique du quartier. La personne en charge du processus participatif du service de l’urbanisme savait que le Vallon avait la réputation d’un quartier avec une « population difficile » qui s’était déjà mobilisée contre des projets de rénovation dans le passé. Cette histoire politique du quartier, s’il en restait des traces dans les imaginaires des fonctionnaires et certainement aussi dans les tiroirs de l’administration, a été très peu explicitée durant le processus. En revanche, les expériences passées ont engendré une grande méfiance envers l’administration. Un gros travail a dès lors dû être fourni pour rassurer les membres du groupe de soutien et leur promettre que la dynamique actuelle serait différente de celle du passé, ainsi que pour désamorcer les craintes de la population, échaudée par les promesses non tenues des autorités.

dans sa dimension sociale

Dans une perspective de développement durable, les démarches de requalification urbaine ne peuvent faire l’économie d’une prise en compte des caractéristiques sociales des habitants, de leurs représentations et usages, de leur évolution dans le temps.

Dans le projet de réaménagement du Vallon, le groupe de soutien a ainsi élaboré un questionnaire portant à la fois sur les représentations, les usages des espaces publics et la mobilité des habitants du quartier, leurs besoins en termes de logement, de qualité des espaces publics, de trafic, de transport… Cette enquête à caractère exploratoire, et menée avec très peu de ressources, a néanmoins permis d’initier des débats s’appuyant sur la réalité et les préoccupations effectives des habitants.

Intégrer les savoirs profanes dans les processus de gouvernance

Les projets de requalification territoriale font intervenir une diversité d’acteurs: politiques, fonctionnaires, architectes, urbanistes et, selon les cas, usagers et habitants du quartier. Si chaque type d’acteur mobilise un savoir particulier aux différents moments du projet, une perspective de développement durable implique de décloisonner ces savoirs et de les faire dialoguer. De la simple séance d’information, où les autorités publiques transmettent intentions et décisions, en passant par les médiations organisées entre usagers et professionnels (explication des travaux en présence des architectes, visite guidée du quartier, animations diverses pour sensibiliser et mobiliser les habitants autour du projet de requalification…), jusqu’aux jurys d’experts réunissant savoirs profanes, professionnels et politique…, les formes de diffusion et d’intégration des savoirs sont multiples et variables selon la valeur et l’importance donnée à chaque type d’expertise et selon les différents moments du projet de requalification.

Le processus participatif mis en place au Vallon est exemplaire de cette volonté d’intégrer le savoir des usagers à travers différentes modalités et à différents moments du processus.

Les usagers, les habitants d’un quartier connaissent le quartier à travers les usages qu’ils en font. Cette expertise est précieuse à plus d’un titre. Elle permet d’élaborer des programmes d’intervention qui répondent aux usages et besoins sociaux; son intégration dans le projet renforce sa légitimité et son acceptabilité, évitant en partie les oppositions et les remises en question qui lui sont adressées. Pour les professionnels, les savoirs des usagers permettent de construire un projet en y intégrant des éléments très concrets, issus des expériences singulières des individus et de leurs usages effectifs de l’environnement. Reste que la traduction de savoirs et de besoins, souvent particuliers et spécifiques, en langage architectural et urbanistique reste une contrainte de taille que les professionnels ne réussissent pas toujours à relever.

Le processus participatif mis en place au Vallon est exemplaire de cette volonté d’intégrer le savoir des usagers à travers différentes modalités et à différents moments du processus: de l’enquête aux balades où les habitants ont pu s’exprimer sur leur quartier, jusqu’aux groupes de réflexion et séances de présentation et de critique collective des projets, les habitants ont été conviés à prendre la parole. Néanmoins, si certaines informations ont été clairement intégrées au programme du mandat d’étude adressé aux architectes et urbanistes, il n’est pas certain que ceux-ci aient réussi à l’exprimer dans leur projet. C’est le bureau d’architectes implanté dans le quartier qui a finalement su le mieux prendre en compte les connaissances sur les conditions d’usage de l’espace, comme si le fait d’en faire soi-même l’expérience en tant qu’usager en facilitait la traduction architecturale.

Information, consultation, co-décision: les «niveaux» de la «démocratie participative»

Dans certains cas, la participation se limite à une information des citoyens qui se veut claire et régulière sur les projets d’aménagement. Dans d’autres cas, elle prend la forme de dispositifs complexes de délibération; mais ces derniers ne sont souvent que consultatifs, les décisions finales appartenant non pas aux habitants mobilisés, mais aux autorités politiques et administratives, sans que cette distinction entre «être consulté» et «pouvoir décider» soit toujours clairement explicitée au début du processus. Les attentes et les besoins que fait naître le processus participatif risquent dès lors d’être déçues, délégitimant du coup l’ensemble du dispositif.

Dans le cas du Vallon, une séance d’information a d’emblée clarifié les objectifs poursuivis: élaborer avec les habitants le programme pour un mandat d’études soumis aux professionnels, consultation donc, mais pas décision. Si cette clarté au début du processus participatif a eu l’avantage de ne pas soulever des attentes collectives trop fortes, la suite des évènements, une fois le programme lancé, a néanmoins déçu les acteurs engagés : attente de plusieurs mois sans nouvelle de l’administration; séance d’information programmée à la dernière minute; changement abrupte de la responsable du projet Vallon au sein du service de l’urbanisme… L’engagement citoyen ne doit donc pas seulement être stimulé au début du processus, mais faire l’objet d’attention et de soutien durant toute la durée du projet d’aménagement.

Pour un processus participatif souple, adapté et créatif

Aux yeux des élites politico-administratives ainsi que des professionnels, donner la parole aux usagers et habitants du territoire s’apparente souvent à un exercice risqué, le citoyen ordinaire pouvant s’immiscer dans des questions techniques ou politiques qu’il ne maîtrise pas. Cette crainte de perdre le contrôle a conduit à une grande formalisation des procédures participatives. Celle-ci est d’autant plus forte quand la mise en oeuvre est déléguée à des mandataires externes disposant d’un savoir-faire qu’ils appliquent uniformément à chaque projet, sans vraiment tenir compte des particularités locales et surtout des forces de proposition des acteurs du quartier.

L’engagement citoyen ne doit donc pas seulement être stimulé au début du processus, mais faire l’objet d’attention et de soutien durant toute la durée du projet d’aménagement.

A l’inverse de l’application mécanique d’un tel «kit» de procédures prêtes à l’emploi, le dispositif participatif du projet du Vallon s’est construit progressivement à partir des propositions apportées par le groupe de suivi et les habitants.

Par exemple, celui-ci a organisé une grande fête de quartier, mobilisant les savoir-faire des habitants (stand de cuisine, animation musicale, jeux pour les enfants…). Il a aussi pris prétexte de la fête pour proposer des balades urbaines dans le quartier, amenant enfants, parents et particuliers à découvrir l’histoire et les lieux intéressants du quartier. Ces journées festives furent aussi l’occasion de récolter, sous diverses formes, les attentes et besoins en termes d’aménagement. Cette action a permis de responsabiliser et fédérer la population autour de questions et d’enjeux étroitement liés à leur espace de vie, encourageant ainsi une appropriation sociale du quartier.

Le groupe de suivi a également joué le rôle de relais entre le service de l’urbanisme et la population du Vallon, en rassurant les habitants sur les intentions de la municipalité et faisant remonter les doléances et les préoccupations jusqu’à cette dernière.

In fine, si les processus participatifs doivent à l’évidence se déployer dans un cadre clair en termes d’objectifs, il ne faut pas négliger l’importance tant de la dimension temporelle du processus que des ressources effectives qui pourront être affectées à ce dernier. Comme ces deux éléments sont susceptibles de varier au cours du temps, il est important que le dispositif participatif intègre dès sa conception des marges d’action (d’initiative, de créativité, …) qui permettent la mobilisation effective de la population et de ses différentes composantes et que celles-ci aient la capacité de lancer des actions innovantes autour du projet d’aménagement.

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Chantal Guex est professeure à la Haute Ecole Supérieure de Suisse occidentale (HES-SO) – Haute école de travail social Fribourg.

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Vivre ensemble: envie ou contrainte? https://www.revue-sources.org/vivre-ensemble-envie-ou-contrainte/ https://www.revue-sources.org/vivre-ensemble-envie-ou-contrainte/#respond Wed, 01 Jul 2015 15:17:26 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=262 [print-me]

J’aimerais dans cet article approfondir cette question: «vivre ensemble en société, est-ce une envie partagée ou une contrainte de fait?». Je souhaite démontrer que la recherche d’un «vivre ensemble en société» devient un Bien commun quand on inscrit dans cette recherche la question du pourquoi de notre vivre ensemble.

Une tension à surmonter

Tout d’abord, nos sociétés modernes vivent dans un paradoxe. Elles prônent la nécessité d’apprendre à vivre ensemble le mieux possible dans des sociétés plurielles et, en même temps, elles promeuvent un individualisme qui impose de plus en plus son mode opératoire. Dans une situation de tension entre ces deux pôles, n’est-il pas judicieux de chercher une troisième voie et de déplacer le curseur au-delà de l’opposition classique communauté – individualisme?

Pour étayer notre réflexion, laissons-nous accompagner par Arnaud Desjardins [1. Monde Moderne et Sagesse ancienne, Ed. la Table Ronde, Paris, 1973, p.51]. Il nous rend attentif sur l’objectif de nos activités humaines. «Toute activité humaine comporte à la fois un point de départ et une certitude de départ. Toute activité commence avec la vision d’un point d’arrivée et la conviction que ce résultat peut être atteint, qu’il est une réalité. Demandez à une cuisinière qui commence à préparer la pâte d’une tarte ce qu’elle fait. Elle ne répondra pas: Je mélange de la farine et de l’eau, mais: Je fais une tarte. Le point de départ, c’est bien la farine et l’eau, mais la certitude de départ, c’est la tarte terminée.»

Il ne suffit pas de faire ensemble des choses, mais aussi de se poser la question du pourquoi nous les faisons ensemble.

Ne devrait-il pas en être de même lorsqu’une communauté d’hommes et de femmes décide de construire quelque chose ensemble et, à une échelle plus large, lorsqu’une société prône une certaine nécessité d’apprendre à vivre ensemble?

Si nous reprenons l’interpellation de notre auteur, nous avons une certaine connaissance des moyens à réunir pour construire cette société, mais nous sommes probablement moins à l’aise dans la nécessité d’identifier une certitude de départ.

Autrement dit, il ne suffit pas de faire ensemble des choses, mais aussi de se poser la question du pourquoi nous les faisons ensemble. En posant cette question du pourquoi, nous introduisons comme un levier essentiel, la notion de Bien commun. Le Bien commun ne devient vraiment Bien commun que s’il y a eu concertation et questionnement sur la raison pour laquelle nous sommes ensemble à le réaliser. C’est la question de la certitude de départ et de la nature de la visée qui prévalent, sans lesquelles le «vivre ensemble» ne peut se construire et se transformer en Bien commun.

Desjardins nous donne un indice: «Les hôpitaux existent non parce qu’il y a la maladie, mais parce qu’il y a la santé. Le jardinage est fondé non sur la graine, mais sur la plante qui naîtra de la graine.» Transposons cet exemple à notre thématique et osons dire que l’humanité existe, non pas parce qu’il y a une contrainte à vivre ensemble, mais parce qu’il y a un Bien commun à partager, à découvrir, à préserver et qui donne un sens à cette humanité.

Autrement dit, l’agir humain pour être un agir qui humanise ne peut pas faire l’économie d’un questionnement du pourquoi on agit. Chaque fois que je me questionne sur le pourquoi de mon action, je m’inscris un peu plus dans un souci du Bien commun, consciemment ou non. Ne retrouve-t-on pas ici le roc sur lequel le chrétien est appelé à bâtir sa maison? (Mt 7, 24).

Une certaine vision de l’homme

Suivons ce que nous propose Desjardins. Le chemin à suivre n’est pas un chemin balisé à l’avance. Il y a quelque chose de l’ordre de l’aventure, de l’incertitude quand on commence à regarder qui nous sommes pour chercher à vivre avec d’autres dans un souci du Bien commun. L’important est la finalité de l’action entreprise, la tarte et non la farine et l’eau, la santé et non la maladie, la plante qui va naître et non la graine.

Nos actions sont-elles bien ordonnées à une finalité? Sont-elles à la fois notre point de départ et notre certitude? Sont-elles portées par une certitude de départ et laquelle? Est-ce bien la nécessité de chercher à construire, à partager et à préserver un Bien commun et non pas seulement à chercher les moyens de vivre ensemble en société sans les inscrire dans une finalité?

Ces questions impliquent, consciemment ou non, une certaine vision de l’Homme avec ses répercussions dans le champ du politique, de l’économique, du social, du religieux, du spirituel. Selon notre conception de l’Homme nous envisagerons le «vivre ensemble en société» mais aussi et surtout la notion de Bien commun. Etonnante complexité, mélange subtil d’eau et de farine indispensable à notre tarte. Quels sont les constituants de ce mélange?

En introduisant dans le «vivre ensemble», la nécessité du Bien commun, nous ouvrons une troisième voie qui permet de réguler ce processus d’individualisation.

D’après les historiens et les sociologues, nous vivons au XXIe siècle dans un système fortement marqué par un processus d’individualisation, un des rouages déterminants de nos sociétés occidentales. Celui-ci n’est d’ailleurs pas nouveau. Il a débuté au XVIe siècle avec la modernité, pressenti déjà au XIVe siècle. Par contre, ce qui est nouveau, c’est l’accélération et l’impact de ce processus d’individualisation. Voilà pourquoi, il apparaît essentiel d’inscrire la notion de Bien commun dans la question du «vivre ensemble en société» comme clé de régulation de ce processus.

Dégageons quelques ingrédients de ce mélange. Patrick Michel [2. G.Defois, P.Michel, L’évêque et le sociologue, Ed. de l’Atelier, Paris 2004, p.17], politologue et sociologue, n’hésite pas à dire que ce processus «s’accélère […] dans un cadre largement inédit, à savoir la pleine légitimation sociale de la construction individualisée d’un rapport au sens, à l’autre et au monde». Cela veut dire que la société d’aujourd’hui reconnaît une légitimité sociale à l’accélération de ce processus et à celle ou à celui qui cherche dans ce contexte à se construire personnellement.

Un exemple étonnant est celui des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme (Conseil de l’Europe, Strasbourg) dans les lesquels transparaît de plus en plus cette tension entre droits de l’individu et droits de l’Homme, le plus souvent au bénéfice des premiers. Ce cadre largement inédit nous fait dire que nous sommes au début de quelque chose de nouveau, donc difficile à cerner, car nous y sommes plongés. En fait, il y a comme une recomposition du social. En introduisant dans le «vivre ensemble», la nécessité du Bien commun, nous ouvrons une troisième voie qui permet de réguler ce processus d’individualisation. Autour de quoi s’articulera cette recomposition du sociale?

Des lieux à considérer

Nous pouvons relever au moins trois lieux de tensions Certains parleront de crise, je préfère parler de tensions, dans le sens de tendre vers ou dans (tendere ad):

L’autorité est aujourd’hui dans un champ nouveau de communication. Toute institution, tout pouvoir «ne peut se prévaloir de son seul statut d’autorité pour asseoir celle-ci. L’individu s’estime désormais en droit de juger librement et souverainement de la pertinence, pour lui, de tel ou tel principe organisateur» (P. Michel). L’autorité est en négociation permanente. Elle doit constamment se légitimer. Exemple, les relations parentales, scolaires, politiques, sociales, religieuses, morales.

Une tension autour de la médiation «est une conséquence de la pleine légitimation sociale de la construction individualisée du rapport au monde et au sens. L’individu n’a plus besoin d’intermédiaire, puisqu‘il s’estime apte et légitime à interpréter tout message qui lui est adressé» (P. Michel). Pourquoi alors un intermédiaire? Des lieux comme l’école, la justice, les églises sont touchés par cette disqualification des intermédiaires. Mais, l’individu cherchera malgré tout, lors de difficultés ou d’insécurité, une médiation.

N’est-ce pas le propre de notre aventure humaine qui s’enracine au plus profond de l’Evangile?

Enfin, la tension la plus visible, celle qui nous touche tous, est l’identité. Pourquoi? Il y a, semble-t-il, comme un phénomène de dilution des identités. L’homme et la femme dans nos sociétés, développent un rapport nouveau au territoire. Nous sommes passés très rapidement d’une identité originée, à une identité dissociée et ceci imposé par des phénomènes nouveaux de mobilité et de communication. On parle de dissociation du couple identité-territoire. Bien sûr le mot territoire n’est pas limité à la géographie. Il faut aussi l’entendre dans son acception sociale, professionnelle, culturelle, religieuse, politique, économique. Par exemple, le déplacement du monde rural au monde urbain, le pluralisme des identités d’un même individu qui peut être, par exemple, musulman et français, turc et européen. Depuis quelques années émergent des questionnements autour de l’identité sexuée cherchant à disqualifier autant le biologique que le social. Nous sommes au cœur de la théorie du Genre, réinterprétant les notions d’altérité, de différence et d’appartenance à partir du référentiel «égalité».

Enfin, l’homme développe un nouveau rapport au temps [3. Marc Augé, Le métier d’anthropologue: sens et liberté, (EHESS) Paris, Galilée, 2006, 68 p.], à savoir la conscience de la simultanéité, comme nouvelle réalité spatio-temporelle. Nous ne sommes plus dans une continuité linéaire et progressive. En fait, l’identité n’est plus définie par des stabilités durables. Par exemple, aujourd’hui, comme nous le rappelle Patrick Michel: «Le petit capital de repères que le travail fournit à un individu – son emploi du temps, son identité sociale, son niveau de revenus  peut s’effondrer du jour au lendemain. Nous sommes sortis d’une époque où une identité et dès lors la place que nous occupions dans la société, pouvaient être définies par des stabilités qui se donnaient pour durables.»

Ces trois éléments en tension sont constitutifs du processus accéléré d’individualisation. Ils apparaissent à la fois comme des clés pour mieux saisir la complexité opérationnelle d’un «Vivre ensemble en société», mais aussi comme une interpellation ouverte à l’égard de ce qui fonde nos activités humaines et donc leur rapport au Bien commun. Dans le registre de la foi et de la théologie, une confrontation et un débat doivent pouvoir se faire dans un souci d’approfondissement et de compréhension mutuels.

Un mélange à réussir

Nous retrouvons la question que nous devons élucider. Pour reprendre Desjardins, comment vais-je mélanger «l’eau et la farine» ainsi que les autres ingrédients qui constitueront le produit final?

La mise en perspective est la «certitude de départ»: viser le Bien commun! Le vivre ensemble en société devenant un Bien commun ne peut être le produit d’une recette imposée d’avance. Et pourtant, Desjardins nous interpelle sur la nécessité de ce qu’il nomme une certitude de départ. En mélangeant tous les ingrédients d’une certaine manière, la certitude au départ n’est-elle pas de se dire: «je fais tout pour essayer le vivre ensemble, tout en sachant que je ne maîtrise pas totalement la finalité». Parler de certitude et se référer à une certaine vision de l’Homme d’aujourd’hui impliquent des risques. N’est-ce pas le propre de notre aventure humaine qui s’enracine au plus profond de l’Evangile?

Reste à faire ensemble les mélanges, les mieux adaptés, d’autorité, de médiation et d’identité.

Pour conclure?

Probablement se dessine aujourd’hui une manière nouvelle de répondre à notre question de départ sur la nécessité d’un pourquoi vivre ensemble. La montée en puissance depuis une cinquantaine d’année de l’individualisme nous confronte à nos capacités à vivre avec nous-mêmes, avec l’autre, avec l’environnement. En soi, ce processus peut être une richesse, mais son accélération inédite recèle aussi un risque, celui d’entraîner l’être humain à escamoter ce dont il a le plus besoin pour réaliser son aventure humaine, le temps. Le temps nécessaire à la rencontre de l’autre, du monde, de soi et de Celui qui le précède. Dans cette dernière rencontre se joue la révélation d’une promesse, celle d’un Bien qui m’inscrit dans une filiation.

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Le frère dominicain Michel Fontaine, membre du Comité de rédaction de la revue «Sources», est professeur émérite à la Haute Ecole de Santé (HES) de Lausanne. Actuellement, prieur du couvent dominicain de Genève.

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«Viens dans ma ville!» https://www.revue-sources.org/viens-dans-ma-ville/ https://www.revue-sources.org/viens-dans-ma-ville/#comments Wed, 01 Jul 2015 15:14:39 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=260 [print-me]

L’Abbé Jean-Marie Pasquier a écrit cette méditation dans «Viens dans ma ville», une plaquette parue à Neuchâtel alors que l‘Abbé René Castella en était le curé.

Comment fait-on, quand on est enfant de la terre et fils de bouvier, tel Amos le berger de Teqoa pris par le Seigneur de derrière son troupeau, pour devenir « prophète de ville »? Ainsi, à sa manière, René Castella: il a grandi sur les collines et fait ses premières visites de jeune curé sur les alpages, et il est devenu peu à peu, sans rien perdre de ses racines, au long de son ministère à Fribourg et à Neuchâtel, non certes un citadin comme on peut l’être de naissance, mais un « amoureux » de la ville, comme on peut s’éprendre d’une femme étrangère.

Habitée d’une présence

Cette ville qu’on découvre avec un regard neuf, lorsqu’elle s’anime aux premiers rayons du soleil printanier. Tables et chaises sont sorties sur les terrasses, les rues piétonnes deviennent ruche vivante. « Une ville, ça vit ! » Elle change de visage, au gré des saisons et des transformations qui modifient ses places et ses rues, et ses rives… On la regarde avec sympathie, comme une personne qui a pris un coup de vieux et soudain rajeunit, on l’aime, on se réjouit avec elle, ou bien l’on pleure sur elle, comme Jésus sur sa Ville bien aimée.

L’Esprit veut aller partout où les hommes vivent.

On peut aussi la « contempler ». Non comme une divinité, ni comme une Cité sainte, car le monde n’est pas le Royaume et la ville n’est pas l’Eglise. Mais c’est un lieu habité d’une Présence, pour qui sait deviner ce qui se cache derrière les murs, et regarder à l’intérieur, comme le Seigneur lui-même, quand il disait à Paul, à propos de la frivole et païenne Corinthe : « Ne crains pas… car dans cette ville, j’ai à moi un peuple nombreux » (Actes 18, 10). Un peuple secrètement visité par l’Esprit qui précède ses prophètes dans la cité des hommes. « Le vent souffle où il veut, et tu entends sa voix, mais tu ne sais ni d’où il vient ni où il va » (Jean 3,8).

En réalité, l’Esprit veut aller partout où les hommes vivent, là où ils travaillent et luttent, là où ils souffrent, là où ils aiment. Il ouvre les chemins à l’Evangile, au coeur de cette vie qui nous fait signe. « A travers lui, l’Evangile pénètre au coeur du monde, car c’est lui qui fait discerner les signes des temps – signes de Dieu – que l’évangélisation découvre et met en valeur à l’intérieur de l’histoire » (Paul VI, Annoncer l’Evangile, n° 75).

S’essayer à voir

Evangéliser? N’est-ce pas d’abord, avant de dire ou faire quoi que ce soit, s’essayer à « voir », à la manière des « voyants » qui en Israël annonçaient au peuple ce qu’ils avaient saisi du dessein de Dieu à travers les événements-signes de leur temps? Au risque de déranger parfois, comme Amos au sanctuaire de Béthel, jusqu’à s’entendre dire: « Voyant, va-t-en prophétiser ailleurs!  » (Amos 7, 12).

Savoir regarder le champ du monde et s’émerveiller qu’il puisse devenir champ de Dieu: c’est Jésus exultant sous l’action de l’Esprit Saint et rendant grâces au Père pour tout ce qu’il a révélé aux plus petits (Luc 10, 21).

Tel fut encore le premier apostolat de Barnabé arrivant dans la communauté naissante d’Antioche : « il vit sur place la grâce de Dieu à l’oeuvre et il fut dans la joie… C’était en effet un homme droit, rempli d’Esprit Saint et de foi » (Actes 11, 23-24). Qui, sinon l’Esprit, nous donnera cette foi, cette capacité de « voir la grâce » agissante dans les premiers pas d’une communauté, dans les balbutiements de ceux qui commencent à dire leur foi, de pressentir l’affleurement d’une Présence dans la plus simple rencontre, le temps d’un geste, d’un regard, d’une larme…

Nul besoin d’être apôtre patenté

Il n’est pas besoin pour cela d’être apôtre patenté ou ministre ordonné. L’Esprit de prophétie est offert à tous les fidèles, ministres et laïcs.

Ce sont des fabricants de tentes, Priscille et Aquilas, avec qui Paul travailla à Corinthe, qui prirent chez eux le savant prédicateur Apollos et « lui présentèrent plus exactement encore la Voie de Dieu » (Actes 18, 26). Ce sont les laïcs qui ont pour tâche première « la mise en oeuvre de toutes les possibilités chrétiennes et évangéliques cachées, mais déjà présentes et actives dans les choses du monde » (Annoncer l’Evangile n° 70).

Ce sont des fabricants de tentes, Priscille et Aquilas, avec qui Paul travailla à Corinthe.

Encore faut-il que le prêtre les accompagne et les soutienne – tout en apprenant d’eux souvent – dans cet engagement difficile « au coeur du monde ». Ensemble, nous avons à mener cette recherche contemplative et aimante qui est le point de départ de toute action pastorale : en conseil de communauté, en équipe d’action pastorale, dans un mouvement d’Action catholique, avec une équipe d’éveil de la foi des tout-petits ou un groupe de foyers.

Un peuple immense

Prendre le temps de discerner ensemble, mais aussi partager la Bonne Nouvelle et faire circuler la Parole, la célébrer parfois, et travailler ainsi, par des chemins très divers, à « susciter le peuple de Dieu à partir du peuple de la ville » (J. Comblin). Faire naître et grandir l’Eglise dans la cité, toutes deux en construction permanente. Oeuvres conjointes, entreprises depuis longtemps. Nous construisons sur les fondations posées par d’autres. On ne fait rien de durable sans « mémoire »: la ville en est une qui nous parle des bâtisseurs d’antan. L’Eglise aussi a sa mémoire vivante: les chrétiens vivent d’un patrimoine qu’ils reçoivent et transmettent à leur tour : une « tradition » sans laquelle ils seraient des êtres sans histoire, sans passé ni avenir.

Sur ce chemin, comment ne pas rencontrer le peuple immense de ceux qui cherchent Dieu? Certains viennent de loin: travailleurs migrants, étudiants étrangers, requérants d’asile, chrétiens ou non, tous frères en humanité. D’autres, plus proches par l’origine et par la foi, suivent depuis longtemps ce même Chemin qui est Vérité et Vie. Mais les voies sont encore trop souvent parallèles, entre frères chrétiens de confessions différentes, oui, mais aussi entre catholiques, aux sensibilités si diverses…

Refaire ensemble la route d’Emmaüs, nous redisant notre histoire, nous ouvrant les uns aux autres de nos blessures et de nos souffrances, comme de nos espérances, relisant surtout ces mêmes Ecritures que le Christ nous explique, devenant ainsi toujours plus perméables les uns aux autres, et ensemble au même Esprit, dénouant et retissant avec Lui les fils de la toile… Nous effaçant, comme Marie, devant la Parole du Seigneur, recueillant et célébrant dans l’action de grâces cette vie partagée, nous pourrons alors nous asseoir à cette Table où Jésus rompt le pain. « Sous la présidence d’une icône », celle de la Trinité en qui nous serons un, si nous consentons à l’invitation qui nous presse d’entrer dans cette intimité où le Père se donne, où le Fils se fait notre serviteur, dans la communion de l’Esprit.

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L’Abbé Jean-Marie Pasquier est prêtre du diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg.

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Villes de grande solitude https://www.revue-sources.org/villes-de-grande-solitude/ https://www.revue-sources.org/villes-de-grande-solitude/#respond Wed, 01 Jul 2015 15:12:13 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=258 [print-me]

Dans les villes de grande solitude,
Moi, le passant bien protégé
Par deux mille ans de servitude
Et quelques clous sur la chaussée,

Dans les villes de grande solitude,
De nouvel an en nouveaux nés,
Quand j’ai bu plus que d’habitude,
Me vient la faim d’un carnassier,

L’envie d’éclater une banque,
De me crucifier le caissier,
D’emporter tout fort qui me manque
Et de disparaître en fumée.

Mais dans les villes de grande solitude,
Tous les héros se sont pollués
Aux cheminées du crépuscule
Et leurs torrents se sont calmés.

(…)

Mais dans les villes de grande solitude,
Quand l’alcool s’est évaporé,
Je replonge dans la multitude
Qui défile au pas cadencé.

J’ai peur d’avoir brisé des vitres,
D’avoir réveillé les voisins
Mais je suis rassuré très vite :
C’est vrai que je ne casse rien.

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Michel Sardou

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