Parole et Miséricorde – Revue Sources https://www.revue-sources.org Wed, 21 Dec 2016 10:46:36 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.3.1 Parole d’aube https://www.revue-sources.org/parole-daube/ https://www.revue-sources.org/parole-daube/#comments Wed, 30 Mar 2016 11:48:29 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=1226 [print-me]

Je sors d’un magasin d’appareils électroniques. Le vendeur est parfait…un parfait robot. Il connaît sur le bout des doigts ses références techniques et commerciales, mais son boniment glacé me fait promptement fuir. Deuxième boutique, tout autre répondant: chaleureux, écoutant mes besoins avant de vanter son produit, mettant ses compétences au service de ses clients. Le goût de communiquer me revient!

Un temps pour parler, un temps pour se taire

Notre quotidien plus bruyant que nourrissant nous inciterait-il au mutisme? En société: les codes, les modes, les logiques du moment nous échappent souvent, voire nous laissent pantois. La mondialisation nous éloigne autant qu’elle nous relie, le discours politiquement correct répercuté à une vaste échelle nous incline à une grande méfiance à l’égard de tout propos, sinon à d’inquiétants replis identitaires.

Le monde se veut de plus en plus transparent – on va tout vous dire, tout vous révéler – alors qu’il nous apparaît de plus en plus opaque. Qui ne l’a expérimenté chez un médecin soucieux de bien vous expliquer ce dont vous souffrez, examens ou images à l’appui, et auquel vous n’osez avouer que vous n’y comprenez goutte? Nous sommes à la fois invités à tout appréhender et de plus en plus largués face à la complexité du réel.

Nos nombreux medias ne facilitent pas la donne: le téléphone, l’ordinateur, la TV de divertissement nous occupent sinon nous épuisent sans nous enrichir: que de bavardages en dépit de services évidents!

Nous restons avides d’une parole vraie. Où la trouver, comment la susciter?

Nos pudeurs même se transforment: d’un côté nous avons tendance à tout exposer sur la place publique, voire à tout détruire par l’ironie ou le mépris; de l’autre nous nous découvrons de plus en plus handicapés pour exprimer nos vrais besoins ou la subtilité de nos sentiments.

Au sein de la famille: entre générations et cultures diverses partageons-nous encore la même langue, au propre et au figuré, en termes de sensibilité, d’images, de rythme, de priorités? Parvenons-nous à intégrer et digérer l’accélération rapide sinon brutale que nous vivons? Nos référentiels sont vite ringards d’une génération à l’autre. Dix ans d’écart? Deux mondes!

Et, encore plus interpellant peut-être, au coeur de nous-mêmes: mais qui suis-je, tiraillé entre relations et fonctions? Mes selfies que je glisse jour après jour sur Facebook ne me détournent-ils pas insidieusement de la question première: qu’est-ce qui m’habite, me réjouit, me fait vivre?

Au reste hyper informé – et si je ne le suis pas un clic sur mon iPhone me livre accès à n’importe quelle donnée – je me retrouve sous-formé. Science sans conscience n’est que ruine de l’âme disait Rabelais: toujours actuel?

Bref, des myriades de mots circulent, de plus en plus ébouriffants et dépaysants, de plus en plus bousculés – et bousculants – mais qui nous rejoignent de moins en moins. D’où cette lancinante tentation: nous retirer, fuir un discours devenu bruit, une vérité camouflée en rumeur.

Et pourtant, êtres sociaux, nous restons avides d’une parole vraie. Où la trouver, comment la susciter? Comment faire émerger un propos à la fois compréhensible et vivant? D’aucuns veulent remplacer un discours vidé de sa consistance par le cri. En écho à la souffrance du monde, à l’indignation, à la peur, à la joie peut-être. L’émotion seule est vraie. Retour au langage non verbal: musique, geste, danse, arts plastiques…

D’autres, en sens inverse, tentent de polir leur discours, de l’affiner et de le purifier, quitte à le rendre incompréhensible: parole docte, mais indigeste. Et quelques-uns, pourtant, réussissent le miracle: exprimer ce qui sourd en eux d’une voix claire et simple. Paroles d’hommes et de femmes habités.

Trois dynamiques

S’interrogeant sur l’évolution du langage artistique à travers les siècles Elie Faure proposait de distinguer trois périodes:

– dans la première le sens l’emporte sur la forme. Pour exprimer la fécondité, le sculpteur n’hésite pas à représenter des seins immenses, des ventres généreux, quitte à sacrifier les proportions. L’essentiel, c’est de traduire, fût-ce maladroitement, la force de la vie, l’éblouissement du matin.

– dans la deuxième, on tente d’équilibrer forme et fonds: art gothique, classicisme. Trop rare harmonie, précieux module or: ici brille le soleil de midi.

– quant à la troisième, elle sacrifie le fond sur l’autel de la forme: triomphe le flamboyant, la perruque, l’apparence. L’idéal, c’est ce qui est intéressant, insolite, le plus souvent artificiel, fût-ce mortifère: se dessine un inquiétant crépuscule.

Aujourd’hui, à bien des égards, nous sommes proches de cette troisième attitude, quand nous nous laissons séduire par les sirènes de la décadence, refusons de nous impliquer, de nous laisser toucher, intellectualisons tout ce que nous percevons, préférons le bizarre et l’exotique au signifiant. Blasés, nous vivons en surface dans un monde de joueurs, à l’instar du Clappique de la Condition humaine. Et en même temps, un peu partout, surgissent des voix qui refusent ce fatalisme, invitent à construire demain, à s’engager, fût-ce en se brûlant les ailes, qui s’insurgent pour affirmer leur capacité de changement. Quelle parole faire émerger au-delà de l’indifférence dédaigneuse des premiers et de l’enthousiasme parfois myope des seconds?

Quand le coeur parle

Entre le cerveau qui débat et les biceps qui combattent, le cœur bat et crée le lien. Oui, il faut que l’essentiel soit dit, mais pas n’importe quand ni comment. Une parole authentique naît dans le permanent aller-retour entre ce que nous vivons et ce que nous pensons, entre ce que nous sentons et ce que l’autre appelle. Parole de vie, en vis-à-vis. Nous l’avons tous expérimenté: nous avions tenté un discours construit mais impersonnel.

Une vraie parole ne se contente pas de poser un constat, elle crée.

Et voilà que, venue d’ailleurs, une voix s’est frayée un sentier en nous, à notre insu, réveillant un auditoire somnolent. Quel bonheur de voir pétiller des yeux, de trouver les mots justes pour partager notre expérience de terrain! Parce que la parole nous dépasse, nous devenons des passeurs malgré nous. A condition que notre pensée soit pesée de goût et de sens. Que notre sagesse soit savoureuse, que nos humeurs se rafraîchissent d’humour, que notre verbe ne soit pas verbiage. Un long apprentissage nourri d’ascèse pour refuser les gags faciles, l’ironie délétère, l’approximation paresseuse, la superficialité mondaine, en se reliant à des sources de vie.

Une parole qui crée

En définitive, une vraie parole ne se contente pas de poser un constat, elle crée. Le récit biblique de la création le rappelle: Dieu dit, et cela fut.

A notre tour d’être enthousiastes, entendez habités par un Dieu, qui nous donne de faire être et de susciter une espérance. Oui, c’est possible, oui, je crois en toi, oui, il y a plus que ce que tu vois. Oui, parler n’est pas d’abord résoudre une équation, mais nous sortir de la sidération paralysante pour attiser le désir – de-siderium -. Parole-trésor, qui requiert à la fois la maîtrise exigeante du scientifique qui traque la rigueur du réel et la démaîtrise malicieuse du poète qui trace des voies inédites.

Et si retrouver souffle et langue impliquait de dépasser les formules rassurantes pour oser accueillir une parole venue du tréfonds de mon être, dans l’écoute chaleureux de l’autre et l’émerveillement face au mystère de la Vie: une parole d’aube?

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Monique Bondolfi

Monique Bondolfi

Monique Bondolfi-Masraff, membre de l’équipe rédactionnelle de Sources.

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La miséricorde de Dieu et la vôtre https://www.revue-sources.org/misericorde-de-dieu/ https://www.revue-sources.org/misericorde-de-dieu/#comments Wed, 30 Mar 2016 11:21:42 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=1223 [print-me]

Quid quaeris? Que veux-tu? Que cherches-tu? Cette question me fut posée voici soixante ans, alors que j’étais étendu de tout mon long sur le sol, les bras en croix, devant un frère dominicain qui tenait le rang de prieur dans son couvent.

C’était à Fribourg, un après-midi de septembre. Je quittais une famille qui se pressait émue au-delà des grilles qui fermaient le chœur de la petite chapelle. En deçà, un groupe de religieux dont j’allais porter l’habit. Ma position était suffisamment humiliante et inconfortable pour m’épargner la fantaisie de donner au prieur une réponse non protocolaire à sa demande. J’aurais pu lui rétorquer ce que le diable aurait pu me souffler à ce moment :«Tu me demandes ce que je veux? Et bien, voici. Assure-moi un avenir brillant; fais de moi un nouveau Thomas, un autre Lacordaire. Je m’accommoderais bien aussi de réincarner Las Casas, voire Fra Angelico ou, à la rigueur, le Père Congar…» Ou plus simplement, j’aurais pu répondre aussi: «Je viens chercher ici une bonne planque, un abri pour maintenant et un havre pour mes vieux jours».

Un rite éloquent

Je m’en tins ce jour-là à la réponse officielle fixée par le Processionnal de l’Ordre des Prêcheurs. Quatre mots faciles à retenir et à répéter: «Misericordiam Dei et vestram». «Je demande la miséricorde de Dieu et la vôtre». La miséricorde! Etait-ce bien ce dont j’avais besoin ce jour-là? Cette hypothèse m’avait-elle seulement effleuré au cours des mois où je me posais la question de ma vocation dominicaine? A vingt ans, étais-je si misérable pour provoquer pareille pitié? Si sale pour que le pardon me lave? La miséricorde d’un Père du Ciel qui voit dans le secret passe encore, mais celle de ces messieurs que je ne connaissais pas, pas plus qu’ils ne me connaissaient… Qu’avais-je à faire de leur «miséricorde»? Ce n’était pas le cadeau d’accueil que j’attendais de leur part. Il m’a fallu une longue vie religieuse pour mesurer cette erreur d’appréciation et la pertinence de l’offre qu’on me faisait.

A vingt ans, étais-je si misérable pour provoquer pareille pitié? Si sale pour que le pardon me lave?

La réponse rituelle du prieur à me demande, fixée elle aussi par le Processionnal, était ambiguë. Le supérieur avouait humblement ne pouvoir statuer sur la miséricorde divine, présumant toutefois qu’elle m’avait été accordée du fait que j’avais eu la bonne idée de frapper à la porte de son couvent. Quant à «sa» miséricorde et celle de ses frères, il promettait de ne m’en faire part qu’au jour où j’aurais donné la preuve d’un engagement sincère à observer les vœux religieux. Et de m’énumérer la liste impressionnante des contraintes et obligations que cela exigeait de moi. Un peu comme le ferait un juge d’application des peines mis en présence d’un détenu sollicitant sa libération conditionnelle. En fait de miséricorde, l’Ordre ne m’en promettait qu’une provisoire, à réévaluer d’ici une année. J’avais devant moi douze mois de noviciat pour mériter de la prolonger.

La confrérie des graciés

A plusieurs reprises, il m’est arrivé au cours de ma vie dominicaine de revisiter – comme on dit de nos jours – cette étrange et lointaine liturgie. Non que j’eusse douté de la miséricorde divine à mon endroit. J’ai été élevé sous le regard d’un Dieu bienveillant qui aim pardonner. Mes confessions fréquentes m’avaient enlevé toute illusion quant à ma prétendue sainteté. Je demandais donc aux Dominicains de m’accepter tel que j’étais, ni saint auréolé ni pécheur invétéré. En m’offrant leur miséricorde, ils estimaient, sans doute avec raison, que je ne répondais pas encore – y répondrais-je un jour? – à tous les canons et critères du bon dominicain. Sans attendre ce jour improbable, ils me faisaient miséricorde et m’acceptaient comme «convers», appellation réservée en ce temps-là à une catégorie de frères non prêtres, vêtus d’un capuce et d’un scapulaire noirs, qu’on reléguait dans les dernières stalles du chœur et sur les sièges les plus reculés du réfectoire. De vrais pénitents, quoi! Destiné à devenir clerc, je n’eus pas à subir ces humiliations, mais acquis la conviction que j’étais moi aussi, bien que tout de blanc vêtu, un candidat à un processus ininterrompu de conversion. Bref, j’entrais dans l’Ordre comme on entre en Carême, convaincu de n’être que poussière et désireux de changer de vie.

J’étais vraiment inséré dans une famille où la miséricorde ne devrait pas être un vain mot.

Cet aveu aurait pu me décourager, si je n’avais pas vécu chez les Dominicains des moments autrement plus chaleureux et réconfortants. Tout d’abord cet «osculum pacis», ce baiser de paix, prévu par le rituel après la prise d’habit. Il se transformait chez nous en embrassade générale, en bourrades viriles, avec des mots d’encouragement et des signes visibles d’amitié. Un débordement non prévu par les rubriques, mais accompagné d’un vibrant «Te Deum» que le chantre ne parvenait plus à diriger. Ce geste signifia pour moi que des frères m’acceptaient tel que j’étais et tel que je serai, pour le meilleur et…pour le pire. Et sans condition! J’étais vraiment inséré dans une famille où la miséricorde ne devrait pas être un vain mot. Je fus toujours ému quand mon tour venait d’accueillir un candidat qui sollicitait ma propre miséricorde. Qui étais-je, moi, pour prétendre la lui refuser? Ne l’avais-je pas tant de fois mendiée et reçue de mes frères ? Ce jour-là, se nouait entre lui et moi un pacte de mutuelle miséricorde. Nous entrions l’un et l’autre dans une communauté de graciés.

Dominique le miséricordieux

L’exemple venait de haut et de loin. Saint Dominique lui-même a ouvert cette voie. Les premiers frères ont témoigné de sa compassion pour les égarés, pour ces «pécheurs» que sa prière instante et incessante voulait ramener. Une de ses premières préoccupations ne fut-elle pas d’accueillir des femmes et des filles séduites par les Cathares? Dominique n’aurait eu honte d’aucun de nous.

Beaucoup plus tard, Jean-Joseph Lataste, un de ses fils, émule de son audace, recrutait de futures religieuses parmi les femmes condamnées et détenues dans les prisons de son temps. Nombre de Dominicains et Dominicaines exercent aujourd’hui encore ce ministère de miséricorde dans les maisons d’arrêt du vieux et du nouveau monde. A l’opposé, j’ai toujours trouvé ignoble le refus de miséricorde, la délation, la dénonciation, le rejet hautain et méprisant, la rupture sans pardon ni rémission. Autre indice de miséricorde dominicaine: notre Ordre ne peut renvoyer un frère «déviant» qu’au terme d’une procédure de plusieurs années, lui accordant le temps d’une très longue réflexion, lui offrant même la perspective de rejoindre à nouveau sa communauté. Personnellement, je n’ai jamais vécu comme une rupture d’amitié et de solidarité le départ d’un frère choisissant un jour un autre chemin que le mien. Surtout si ce frère m’avait un jour promis sa miséricorde ou si je lui avais promis la mienne. Je me sens lié par ce pacte de mutuelle fidélité.

Chapelle de Miséricorde

Les Prêcheurs sont arrivés à Fribourg à l’orée du siècle dernier. Ils ont choisi une résidence proche du quartier de «Miséricorde», là où quelques décennies plus tard allait être construite la nouvelle université, là où les Dominicains enseigneront et étudieront encore aujourd’hui. Il y avait à cet endroit, au temps de l’ancien régime patricien, une chapelle – la chapelle de la miséricorde – où les condamnés à mort qu’on allait supplicier sur une colline voisine faisaient une halte pitoyable. Un prêtre offrait à ces malheureux ce qui en vérité était pour eux les dernier sacrements. Sur cet emplacement a été édifiée au siècle dernier une splendide chapelle universitaire. Devant une verrière qui scintille comme autant d’étoiles dans la nuit, un Christ crucifié continue à ouvrir ses bras comme s’il voulait épouser toute la misère du monde. Selon une célèbre antienne, il continue de supplier les passants de ce chemin: «O vos omnes qui transítis per víam, atténdite et vidéte si est dólor símilis sícut dólor méus» «Vous tous qui passez par ce chemin, arrêtez-vous et voyez s’il existe une douleur semblable à la mienne!»

L’actuelle chapelle se dénomme toujours chapelle de Miséricorde comme l’ensemble de ce site universitaire. Quelle mission pour cette institution qu’on appelle aussi «alma mater», mère nourricière, compatissante et miséricordieuse. Les Dominicains qui la fréquentent devraient avoir à cœur de s’en souvenir.

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Guy Musy

Guy Musy

Le frère Guy Musy, dominicain du couvent de Genève, est rédacteur responsable de la revue Sources.

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Sida et miséricorde https://www.revue-sources.org/sida-et-misericorde/ https://www.revue-sources.org/sida-et-misericorde/#respond Wed, 30 Mar 2016 11:14:13 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=1218 [print-me]

Etre avec le malade sur son chemin, aller à son rythme et dans sa direction. Rester là, assis sur une chaise où un coin de matelas et offrir un temps de silence dans une attention parfaite. Autrement dit, accompagner c’est « être avec », ne rien faire et même parfois ne rien dire. Là se loge toute la difficulté; Tant il est difficile de comprendre qu »être » n’est pas «faire», mais écouter de tous ses sens, de tout son esprit, de tout son coeur. Ainsi, devient-on proche du malade, prêt à anticiper sa demande, deviner son attente, l’aider à s’exprimer. Le malade doit se sentir entouré – la solitude est la pire des maladies -, respecté, considéré, aimé.

Gilles

Je me souviens de Gilles contaminé par le virus du sida, le corps couvert de pustules purulentes. Lors de notre première rencontre il m’a dit : «Quelqu’un va-t-il m’aimer encore?». Je lui répondis que j’étais là pour l’aider et l’aimer tel qu’il était… Durant quatre ans nous avons cheminé ainsi et Gilles est parti dans la paix et la sérénité. Au moment du passage de la mort à la Vie, son visage et son corps sont redevenus très beaux. Les pustules avaient disparu. J’appelle cela le miracle de l’amour. Une forme de compassion. Demeurer auprès du souffrant, attentif à ce qu’il vit profondément, le rejoindre dans son silence. Et même, permettre à ses regrets de s’exprimer sans que vous ne les sollicitiez ou les freiniez.

Les malades sont nos maîtres et, à leur chevet, nous apprenons la patience, la puissance de l’amour et la force de la prière.

On ne peut être souffrant à la place du malade, mais nous marchons à ses côtés. Les malades sont nos maîtres et, à leur chevet, nous apprenons la patience, la puissance de l’amour et la force de la prière. Ce sont des sentiments de compassion. L’Eglise, à la suite du Christ, rejoint ainsi toute personne dans sa souffrance, sans la juger. La compassion est donc un sentiment très fort qui a habité le coeur de Jésus et qui nous habite aussi. L’apôtre ne dit-il pas : « Ayez entre-vous les mêmes sentiments qui sont dans le Christ-Jésus » (Ph. 2, 5)?

Rachid

En présence du malade, nous sommes souvent démunis. Que faire, sinon nous laisser habiter par la compassion? La compassion peut conduire à l’extrême de l’amour. Comme celle de Jésus: «ma vie nul ne la prend, mais c’est moi qui la donne».

Nous avons aussi accompagné Rachid, jeune musulman que sa communauté avait rejeté parce qu’homosexuel et malade du sida. Notre équipe toulousaine (Sida, Espérance, Lumière et Foi) l’a visité, soutenu, entouré durant trois ans et quelques semaines. Avant de mourir, Rachid nous a livré ce message que je conserve dans la mémoire du coeur : «Frère Jacques, nous marchons vers la même Lumière». «Celui qui se met au service des pauvres, se met au service de Dieu», disait Gandhi. Le plus grand des maux de notre siècle est le manque d’amour. «Heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde » (Mt 5, 7);

Responsabilité sociale

En fait, la miséricorde et la compassion nous convoquent chacun, bien plus qu’on ne l’imagine, à une responsabilité sociale et à une réflexion profonde sur le devenir de l’humain dans nos sociétés. L’accompagnement d’une personne malade ou exclue, touchée ainsi au plus profond de son être physique mais aussi psychique et spirituel, mobilise autant l’élan du cœur que l’engagement de notre intelligence à chercher des réponses…Rejoindre l’autre dans ses fragilités, sa vulnérabilité et sa différence, n’est-ce pas déjà essayer de porter avec lui mais aussi de témoigner aux yeux du monde, de sa dignité d’être humain et faire reconnaître ainsi l’image et la trace de l’invisible Présence du mystère de Dieu…?

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Jacques Ambec

Jacques Ambec

Jacques Ambec est un frère dominicain coopérateur de la Province de Toulouse. Il réside au couvent de Toulouse comme «Portier» et collabore à la pastorale de la santé avec le groupe Santé Saint-Luc, l’équipe du Service Evangélique des Malades et la structure associative SELF (Sida, Espérance, Lumière et Foi). Il est l’auteur de plusieurs ouvrages au travers desquels il partage son expérience d’accompagnants et de religieux confronté à la souffrance, à la maladie et à l’exclusion…

Biographie:

Marie-Christine Nouaux, Jacques Ambec, «Jacques, le combat de la vie», 1996, Ed. St Paul
Jacques Ambec, «L’Evangile de la compassion», 2001, Ed. St Paul
Jacques Ambec, «Témoins de la compassion», 2003, Ed. St Paul
Jacques Ambec, «Saint Martin de Porrès. Au service de la compassion», 2005, Ed. Pierre TEQUI
Jacques Ambec, «Vivre l’Evangile avec Saint Martin de Porrès», 2009, Ed. Pierre TEQUI
Jacques Ambec, «Vivre le mystère du Christ en méditant le Rosaire», 2009, Ed. Pierre TEQUI

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« Prêcher c’est transmettre l’enthousiasme d’une rencontre » https://www.revue-sources.org/precher-cest-transmettre-lenthousiasme-dune-rencontre/ https://www.revue-sources.org/precher-cest-transmettre-lenthousiasme-dune-rencontre/#comments Wed, 30 Mar 2016 10:16:28 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=1214 [print-me]

Quelle est l’actualité de la prédication dans la vie d’un jeune dominicain? Reconnaissons que ce terme a pris quelques rides dans notre langage usuel. Est-il pour autant dépassé? Pour frère Pierre de Marolles, étudiant à la Faculté de Théologie de Fribourg, pas le moindre doute: prêcher est une dimension fondamentale de son engagement religieux.

Reste que la prédication est une réalité complexe. Frère Pierre en a bien conscience. Ce qu’il perçoit et la communication de son enthousiasme s’achoppe à de multiples obstacles. Le Dominicain du couvent fribourgeois de St-Hyacinthe nous partage le fruit de sa réflexion, très lucide sur les enjeux de ce ministère particulier.

Frère Pierre, c’est quoi la prédication?

Prêcher, c’est transmettre Dieu. Communiquer ce qu’il te dit et ce qu’il veut dire à l’autre. Et c’est souvent semblable. Tu peux tabler sur le fait que si une parole est importante pour toi, elle a des chances de l’être pour l’autre.

Pendant un certain temps, j’ai cru qu’il fallait transmettre des notions. Mais les évangiles nous indiquent qu’il s’agit plutôt de l’enthousiasme d’une rencontre. Les notions viendront après. Quand saint Paul dit aux Corinthiens: « Nous vous le supplions, laissez-vous réconcilier avec Dieu », il ne transmet pas un concept. Il met sur un plateau la possibilité d’une relation avec Dieu. Prêcher ce n’est donc rien d’autre que d’affirmer: « J’ai rencontré quelqu’un qui veut vous rencontrer aussi », tout en sachant qu’on ne maîtrisera jamais l’expérience spirituelle de l’autre.

Quelles sont les conditions d’une bonne prédication, selon vous?

En premier lieu, la prière. Pour transmettre la parole de Dieu, il faut être en relation avec lui. On peut parfois s’assécher dans une vie de prédicateur. On transmet de belles idées, on émoustille un peu les gens, mais au fond tout cela peut cacher une indigence spirituelle terrible.

Prêcher suppose également un ménage intérieur: se désencombrer de concepts inutiles pour savoir ce qu’il faut dire et comment il faut le dire. Sans cette attention, tout ne sera que mots échangés et la parole ne transformera rien, ni chez moi, ni chez celui à qui je m’adresse.

Une vie en mouvement met en mouvement à son tour.

Je crois que la prédication nécessite une certaine exigence la capacité à ne pas se satisfaire du peu. Ce n’est pas parce que j’avais deux ou trois bonnes idées que j’ai fait mon job. Il faut rechercher une parole efficace. Les gens sentent tout de suite une parole verbeuse, mêmes les grands-mères, qui vous ne le diront certainement pas.

Quels sont les lieux où vous exercez ce ministère de prédication?

Auprès des élèves du catéchisme, dans les retraites que je prêche, ainsi qu’à l’Université.

N’avez-vous pas un peu l’impression de prêcher à des convaincus?

Parfois c’est vrai. Quand je constate l’effort que déploient nos frères français pour rejoindre les gens qui n’ont jamais entendu parler de Dieu, avec Retraite dans la ville notamment, je me dis que je n’en fais pas assez.

Mais je me retrouve face à une interrogation. Les convaincus sont-ils suffisamment convaincants? Quand on regarde nos communautés ecclésiales, les problèmes et les dissensions ne manquent pas. Alors, que va-t-on dire aux autres: « Venez à la messe pour assister à nos disputes »? Il faudrait que l’on commence à travailler sur nous-mêmes.

Je crois qu’il ne faut pas trop vite déprécier une prédication faite aux « convaincus ». C’est d’autant plus important que toute la communauté est appelée à la prédication.

Et les « non convaincus », comment les rejoindre ?

Prenez l’exemple de grands-parents qui souhaitent transmettre leur foi à leurs petits-enfants. Un cours de catéchisme ex-cathedra n’y fera rien – et ce d’autant plus si papa et maman y sont opposés. Mais si ces mêmes grands-parents se laissent travailler par la Parole de Dieu, s’ils prient, s’ils cherchent à approfondir leur foi, les petits-enfants s’en apercevront et ils seront peut-être un jour curieux de savoir ce qui habite leur cœur.

Je crois qu’une vie en mouvement met en mouvement à son tour. L’immobilisme, en revanche, paralyse. Si nous sommes pris au trip, même si nous n’avons pas les meilleurs mots pour le dire, quelque chose va se transmettre.

La prédication est-elle unilatérale?

Je ne crois pas. Elle doit aussi transformer le prêcheur. Elle implique une attention à l’autre, à sa manière de voir les choses. Chercher à convaincre revient à ne pas quitter son point de vue.

Un regard sur l’histoire nous montrera assez vite que les grands saints ont toujours su se laisser toucher par l’autre. Charles de Foucault a fait un dictionnaire touareg dans le désert. Mère Teresa accompagnait les mourants. A quoi ça « sert », puisqu’ils vont mourir? Ils ne deviendront pas évangélisateurs à leur tour. Si on envisage ces réalités avec une logique de rentabilité humaine, on peut conclure que de tels engagements ne servent à rien. Et pourtant, ce sont eux qui ont réussi. Ce sont eux les modèles. Que nous disent-ils? Que la transmission de la foi est avant tout l’affaire d’un cœur « inquiet » de l’humain, un cœur qui à la vue de ses frères et de ses sœurs se demande : « Où courent-ils? Qu’est-ce qui les fait vivre? A quoi s’intéressent-ils? ». Rien de ce qui est humain ne devrait être étranger au prédicateur.

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Pierre PistolettiInterview menée par Pierre Pistoletti, membre de notre équipe rédactionnelle.

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La miséricorde https://www.revue-sources.org/la-misericorde/ https://www.revue-sources.org/la-misericorde/#respond Wed, 30 Mar 2016 10:12:51 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=1229 [print-me]

Les expressions:

  1. L’hébreu

En hébreu, nous avons deux ensembles d’expressions de sens différent:

  1. a) hèsèd: principale qualité de l’honnête homme hébreu Une expression que l’on pourrait traduire par magnanimité, générosité, libéralité, clémence, sens de la famille et du bien commun
  1. b) rahamîm: compassion, pitié.

Les deux termes sont apparentés ou dérivés (épithètes, verbes)

Il faut distinguer ces deux familles de mots d’un autre groupe: hen qui signifie grâce au double sens:

  1. a) de charme, beauté, rayonnement de la personne, et

b) de faveur, attachement, inclination aimante, attirance.

  1. Le grec

La traduction grecque de la Septante a choisi pour hèsèd la traduction éléos qui met l‘accent sur le côté émotionnel de la générosité et probablement aussi sur l’inclination du supérieur vers l’inférieur. Rahamîm est traduit par: oiktirmoí, splangchna, mais aussi éléos. Quant à hen ce terme est traduit par: cháris

  1. Le latin

La version dite Vetus Latina ainsi que Jérôme dans la Vulgate traduisent hèsèd par: misericordia, rahamîm par: viscera, et hen par: gratia.

Hésed ou Miséricorde

Le terme principal, hèsèd, dans son milieu sociologique et culturel a trois significations complémentaires:

  1. a) une vertu ou qualité de l’homme riche et influent dans un milieu (village, ville) qui ne connaît pas de réseau social pour aider les pauvres et les faibles. Le miséricordieux est donc celui à qui on peut s’adresser pour obtenir de l’aide. A Rome, on l’appellerait le patronus; les pauvres étant ses clientes ou ses obligés. Il est responsable de la cohésion sociale. L’avantage qu’il tire de sa protection des faibles est sa célébrité. Il sera connu et loué pour sa générosité.

Il accueille aussi les étrangers de passage et pratique l’hospitalité ( cf. Gen 18; 2 Sam 12,1-4). Il fait l’aumône aux mendiants et intervient en l’absence d’autres appuis, par exemple, le bon Samaritain, cité en la parabole (Luc 10,25-37.

  1. b) une vertu familiale. Est appelé miséricordieux celui qui a une responsabilité dans la famille, la protège, veille sur elle et sur chacun de ceux qui la composent. En particulier, ceux qui ont le plus besoin d’être soutenus. Ce serait en latin la pietas, vertu honorée dans l’ancienne Rome. Ruth aussi est un exemple de miséricorde. Elle exerce la hèsèd pour sa belle-mère réduite à la solitude en l’absence de tout autre parent.
  1. c) une vertu religieuse qui consiste à reconnaître en Dieu le «patron», la source de bienfaits et donc se reconnaître comme son «client». Cette vertu proche de celle de «religion»: reconnaître Dieu comme celui qui veut et qui peut aider (hasîd = saint, pieux, dévot vis-à-vis de Dieu)

Essai de définition:

Le Hésed ou miséricorde serait donc une disposition à assumer généreusement des responsabilités là où il n’y a personne qui est obligé de les prendre. Une intervention donc qui se situe au-delà du strictement obligatoire. Le mot comporte l’idée d’un plus, du «surérogatoire», de générosité, de magnanimité, de libéralité.

Usage linguistique dérivé

Le terme le plus souvent associé à hèsèd, éléos, misericordia est celui de èmèt, alétheia, veritas (surtout dans les psaumes); il signifie ce qui est digne de confiance, ferme. Soit les paroles qui sont dignes de confiance quand elles sont vraies et ne tromperont pas, soit des personnes qui sont dignes de confiance quand elles sont fidèles et ne tromperont pas. La «miséricorde» biblique est durable et ferme. La nuance de «vérité» lui assure cette perfection.

Compassion et miséricorde

La compassion, fruit de l’émotion ressentie face à ce qui est petit et faible (Am 7:1-6; Ps 103,13-16), est proche de notre compassion-empathie. Elle exprime davantage le mouvement intérieur de l’âme qu’une vertu qui sert de fondement à la vie et à la cohésion sociale. Elle est proche de la douceur, ou de la clémence de celui qui est fort et victorieux, sans éprouver pour autant le besoin ou le désir d’anéantir l’adversaire ( Os 11,8-9).

Et comment comprendre la béatitude des miséricordieux en Matthieur 5,7? Il semble qu’il faille la lire dans la perspective de la hèsèd. En effet la parabole du bon samaritain qui se trouve en Luc mais fait partie du contexte néotestamentaire ainsi que l’appellation « Père » que Jésus préfère donner à Dieu semblent orienter l’interprétation de la béatitude dans ce sens. La hèsèd n’exclut donc pas le coeur, comme la pietas latine ne l’exclut pas non plus. Mais le côté émotionnel n’en est qu’une dimension, non le tout de cette qualité ou vertu.

Et si le rédacteur risquait cette paraphrase de la béatitude: Bienheureux le riche ou le puissant qui a le cœur compatissant pour aider le pauvre ou accueillir l’étranger, sans qu’il ne soit obligé de le faire. Il se pourrait qu’un jour, connaissant semblable détresse, il rencontre sur son chemin un autre humain qui ait pour lui la même «miséricorde». (NDLR)

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Adrien Schenker

Adrien Schenker

Le frère dominicain Adrien Schenker est professeur émérite d’Ecriture sainte à l’Université de Fribourg.

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Chers amis et amies navigateurs…

Par hasard peut-être, au gré de vos cabotages «internautiques», vous avez atterri sur la planète «Sources». A moins que, votre curiosité et – qui sait? – votre intérêt ne vous ait orientés et amenés vers nous. Nous en sommes très heureux. Qui que vous soyez, soyez les bienvenus.

Mais qui sommes-nous? Un groupe de frères dominicains suisses épaulés par des amis laïcs et laïques qui partagent notre mission et nos idéaux. Héritiers de devanciers qui depuis quarante ans transmettaient leur message à travers une revue de papier – SOURCES – nous avons repris le flambeau et prolongeons leur œuvre, mais désormais sous une forme électronique. Non pas pour céder à la mode ou nous mettre au goût d’une modernité de mauvais aloi, mais par nécessité économique et professionnelle. Nous caressons aussi l’espoir de gagner ainsi un public, plus nombreux et plus jeune que celui qui nous était fidèle jusqu’ici. Et vous voilà!

Nous avons repris le flambeau et prolongeons leur œuvre, mais désormais sous une forme électronique

Dominicains, qu’est-ce à dire? Une famille spirituelle qui se réclame de saint Dominique, fondateur de l’Ordre des Prêcheurs, il y a exactement huit cents ans cette année. Dominique, non pas inquisiteur, mais homme de cœur et de foi qui se mettait longuement à l’écoute de ses contemporains pour tenter de comprendre leurs problèmes, plutôt que de leur asséner des solutions étriquées comme autant de vérités prêtes à porter. Amoureux de la Vérité, il ne pouvait que la faire surgir au terme d’un réel échange avec ceux et celles dont il partageait la vie.

Notre but est le même. Réfléchir avec vous sur les questions qui interpellent le plus nos contemporains et leur proposer à partir de nos «sources» des repères ou des jalons qui faciliteront leur marche. Pour ce faire, nous vous proposerons chaque trois mois un dossier axé sur une thématique actuelle. Nous l’accompagnerons de rubriques plus brèves, étayées au fil de l’année. Voici celles que nous avons retenues pour cette année: éclairage éthique, art symbole de foi, témoin pour notre temps, nouvelles de notre famille dominicaine et présentation sous un mode renouvelé d’un choix de livres dont on vous propose la lecture.

Quant au «numéro» que vous avez sous les yeux, il contient donc un dossier que nous avons intitulé «Parole et Miséricorde». Parole pour honorer notre statut de prêcheurs et miséricorde qui, conformément à notre tradition, doit être le premier objet de notre prédication.

Il nous reste à fidéliser nos contacts et notre amitié. Et à vous remercier d’avoir fait escale à notre port.

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Frère Guy Musy et frère Michel Fontaine, rédacteurs responsables

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