Les Dominicains: 800 et maintenant – Revue Sources https://www.revue-sources.org Wed, 21 Dec 2016 12:40:17 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.3.1 Vita mutatur https://www.revue-sources.org/vita-mutatur/ https://www.revue-sources.org/vita-mutatur/#respond Fri, 01 Jan 2016 22:17:04 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=440 [print-me]

In cordis jubilo. Le mot jubilé évoque chez moi la joie de Noël. Sans doute la réminiscence d’un vieux cantique chanté ce jour-là. Une jubilation donc, pour célébrer une naissance, un point de départ et non pas une arrivée ou le terme d’une longue marche, aurait-elle duré huit siècles. Mieux vaut se réjouir de ce qui naît que d’établir le bilan de ce qui fut et qui n’est plus. Non sans quelques bonnes raisons, les jubilaires sont souvent classés parmi les «has been».

Quand on lit la Bible, chaque demi-siècle Israël remettait ses pendules à l’heure et l’église, si j’ose dire, au milieu du village. L’année jubilaire devait effacer les dettes, réparer les injustices et rétablir l’équilibre social originel. Bref, on ramenait l’ardoise à zéro et on repartait allégé pour un nouvelle cinquantaine d’années.

Ce jubilé est un départ, non une arrivée.

C’est à un tel processus que je songe quand on me parle du Jubilé de l’Ordre des Prêcheurs. Il n’y a pas lieu de gonfler notre thorax et clamer en jetant un regard admiratif sur les huit siècles qui ont marqué notre histoire: «Y en a point comme nous!». Ce jubilé est un départ, non une arrivée. Surtout, pas une fin de course qui coïnciderait avec le repos ou la mort des guerriers.

La reconnaissance que nous devons à nos devanciers ne devrait pas nuire à notre lucidité. Saint Dominique nous a ouvert un chemin, sans pour autant nous ramener à celui qu’il parcourut au Languedoc ou en Lombardie. Forts de son intuition et de sa prière, nous avons à refonder un Ordre de Prêcheurs capables d’écouter les jeunes de ce temps et de répondre à leurs questions. Un Ordre, aussi, au service d’une mission désormais universelle, sans cloisonnement national, provincial, idéologique et même théologique. Les héritiers, qui ont de qui tenir, sauront-ils prendre ce nouveau tournant?

Ce numéro ne répond sans doute pas à tous les aspects de cette vaste question. Il trace pourtant en pointillé quelques pistes que nos aînés n’auraient pas désavouées. Ce dossier est le fruit des réflexions de quelques frères et sœurs de la Province dominicaine suisse. Un pétale parmi d’autres pour composer un bouquet d’anniversaire.

Ce numéro – spécial! – est aussi l’hommage que la revue Sources veut rendre à tous les amies et amies qui lui ont été fidèles depuis sa fondation, voici quarante ans. Vous l’aurez sans doute compris, ce numéro est le dernier à paraître. Du moins sous cette forme. Une nouvelle mouture électronique est en chantier. Pour nous aussi, mais à notre humble et modeste échelle, le jubilé nous ouvre une porte, alors qu’une autre se ferme.

«Vita mutatur, non tollitur»

«La vie n’est pas détruite, elle est transformée» (Préface de la messe des défunts)

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Le frère Guy Musy, du couvent dominicain de Genève, est rédacteur responsable de la revue Sources.

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Les trois silences de Dominique https://www.revue-sources.org/les-trois-silences-de-dominique/ https://www.revue-sources.org/les-trois-silences-de-dominique/#respond Fri, 01 Jan 2016 15:13:02 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=435 [print-me]

Les Dominicains ont la réputation de parler, de parler beaucoup et sur de nombreux sujets. Ce n’est sans doute pas là un défaut pour des frères qui ont été institués pour être des prêcheurs. Mais de leur fondateur, paradoxalement, les Dominicains parlent peu.

S’il n’est pas rare d’entendre un Salésien dire que c’est bouleversé par l’exemple de saint Jean Bosco qu’il a poussé la porte du noviciat, un Jésuite que c’est à l’école des Exercices de saint Ignace qu’il est entré dans la Compagnie, ou un Franciscain que c’est la figure du poverello d’Assise qui l’a converti, il est assez rare de voir un Dominicain lier son entrée dans l’Ordre à la seule figure de Dominique.

Et pour cause, en dépit des travaux historiques menés depuis les années postérieures au Concile[1. On peut citer, sans prétention d’exhaustivité, les travaux des Dominicains Marie-Humbert Vicaire, Vladimír Koudelka ou encore Simon Tugwell.], c’est plus à travers l’Ordre qu’il a fondé qu’à travers un trait saillant de sa personnalité ou de ses écrits que saint Dominique est renommé dans le monde chrétien. C’est un élément que l’on ne peut pas évacuer quand on évoque l’intuition profonde de Dominique.

Accoutumer notre regard

Parfois, la tentation peut être grande, pour un Dominicain, de se rêver – et donc de se reconstruire – un fondateur aux écrits inspirants, porteur d’un charisme qui le distinguerait clairement des autres saints. Pourtant, il me semble qu’il faille assumer le fait que saint Dominique ne soit pas marqué par ces caractéristiques… ou plutôt que cet effacement, ce silence constituent précisément une de ses caractéristiques.

Mais qui dit effacement ne dit pas inconsistance, bien au contraire. Car l’effacement, le silence de Dominique ne sont pas des fins en soi, elles sont mises au service de la manifestation de plus grand que lui. En ce sens, le charisme de Dominique ressemble plus à une icône qu’à une statue baroque. Sa puissance et sa grandeur ne sautent pas aux yeux, mais en accoutumant notre regard à son apparente austérité, nous sommes portés à percevoir plus que ce qui s’offre à notre vue.

Une fois la prédication prononcée, la voix doit se taire pour que demeure la Parole.

Puisqu’il est question de regard, je vous propose un petit parcours à travers quelques représentations de saint Dominique. Elles nous aideront à saisir en même temps le silence de Dominique et toute la richesse que ce silence laisse transparaître à travers la Parole qu’il prêche, l’Ordre qu’il donne à ses frères et finalement l’amour qu’il porte à tout homme.

Le silence au cœur de la Parole proclamée

Les figures les plus célèbres de saint Dominique sont sans doute celles peintes par Fra Angelico tout au long du XVe siècle. Frère dominicain, le bienheureux artiste florentin a représenté très fréquemment le fondateur de son Ordre sur des fresques ou des tableaux et l’a mis en scène dans diverses attitudes. Pourtant, il ne l’a jamais représenté en train de prêcher.

Encore une fois, le paradoxe n’est pas mince quand il s’agit de figurer celui qui est précisément le fondateur de l’Ordre des Prêcheurs. Les attitudes du saint Dominique représenté par Fra Angelico sont la plupart du temps des attitudes contemplatives ou d’étude de la Parole. Evidemment, on pourra voir ici une volonté de l’artiste de rappeler à ses frères les impératifs de l’observance régulière, oubliée en son temps au profit d’une vie devenue trop mondaine. Mais au-delà du contexte singulier d’exécution de ces œuvres, c’est sans doute la phrase, attribuée à saint Antonin de Florence, confrère de Fra Angelico, indiquant que «le silence est le père des prêcheurs» qui est ici illustrée.

C’est au cœur de cet effacement de Dominique, de ce silence, que va naître l’Ordre des prêcheurs

Ce silence n’est pas uniquement le silence des lèvres, c’est plutôt celui qui proclame que l’on ne peut annoncer l’Evangile à coup d’arguments, de formules-chocs ou d’actions éclatantes, mais uniquement par le témoignage crédible de toute une vie. On rapporte que Dominique aurait dit pour corriger la manière dont un évêque souhaitait lutter contre les Albigeois: «on confondra plutôt les hérétiques par l’exemple de l’humilité et des autres vertus que par l’apparat extérieur ou les joutes verbales»[2. Saint Dominique et ses frères, évangile ou croisade?, Textes du XIIIe siècle présentés et annotés par M-H. Vicaire, Paris, Editions du Cerf, 2007 (1967), p. 76.].

Si le refus de l’apparat extérieur et son remplacement par la mendicité est souvent souligné, on est moins enclin à rappeler la réticence de Dominique à l’égard des joutes verbales. Pourtant celle-ci procède du même mouvement que la pauvreté mendiante. Mendier implique un double abandon: à la Providence, mais aussi à celui à qui le pain est demandé et qui se trouve précisément constitué, s’il l’accepte, instrument de la Providence. Le mendiant pour le Royaume suscite en ce sens la rencontre entre Dieu et l’homme. Il en va de même pour la prédication et Dominique le manifeste dans toute sa vie. S’il prêche, il sait aussi se retirer, laisser à la conscience de son auditeur et à la Parole de Dieu l’intimité nécessaire pour qu’elles puissent – ou non – s’unir. Une fois la prédication prononcée, la voix doit se taire pour que demeure la Parole: «il faut que Lui grandisse et que moi je décroisse» (Jn 3,30).

De fait, Dominique vit une longue expérience de «silence», de 1208 à 1215, alors que sa prédication paraît marquée par un certain échec et que, retiré auprès des sœurs du monastère de Prouilhe, il s’en tient strictement à son activité apostolique, refusant de prendre une part active à la croisade contre les Albigeois. Or, c’est au cœur de cet effacement de Dominique, de ce silence, que va naître l’Ordre des prêcheurs, un ordre de prédicateurs mendiants. Ce premier silence de Dominique est donc un silence face à la Parole, un espace ouvert à la Parole pour qu’elle accomplisse son œuvre dans le cœur des hommes, libres de l’accueillir ou de la refuser.

Le silence au fondement de l’ordre des prêcheurs

Matisse_Saint_Dominique_1950Dominique fait silence aussi dans le rapport qu’il entretient à l’égard de ses frères et sœurs. On pourrait dire qu’il obéit aux membres de son Ordre, au sens étymologique du terme. Le saint Dominique que Matisse peint pour la chapelle de Vence, à partir d’avril 1948, manifeste bien ce second aspect. Dominique y est représenté par une silhouette sans visage, uniquement composée de traces noires sur des carreaux de céramique blancs, placé sur toute la hauteur du mur en face duquel les sœurs dominicaines prient. En quelques traits, beaucoup du fondateur de l’Ordre des prêcheurs est ici signifié: ne pas imposer sa marque, mais circonscrire un espace autour duquel une communauté peut se rassembler et se tourner vers Dieu.

En effet, saint Dominique est un homme d’institution, dans le bon sens du terme. On dit parfois que ce qu’il a légué à son Ordre, ce sont d’abord les Constitutions de celui-ci qui seraient en grande partie de sa main. S’il n’est pas possible de l’affirmer avec certitude, il est clair que Dominique était attaché à la structure institutionnelle et juridique de l’Ordre.

Ainsi, dès 1215, il décide de se rendre à Rome pour faire approuver sa fondation par le Pape. Un tel geste le distingue beaucoup de ses contemporains, plus marqués, au moins dans un premier temps, par une certaine liberté à l’égard de la hiérarchie ecclésiastique. Par ailleurs, même si une série de bulles de décembre 1219 lui confère le titre de «prieur de l’Ordre des prêcheurs», Dominique remet tous ses pouvoirs sur l’Ordre entre les mains du chapitre général des frères quand celui-ci se réunit.

Aujourd’hui, certains pensent qu’être trop attaché au droit dans l’Eglise et à la vie commune consiste à être atteint d’une pathologie peu digne d’un chrétien, libéré du «joug de la Loi». Certes, les excès de légalisme constituent toujours un écueil dangereux. Mais l’exemple de Dominique rappelle que la vie des hommes réunis en communauté, si elle prétend faire l’économie de structures institutionnelles, court le risque d’écraser les plus petits et de voir grandir un pouvoir uniquement centré sur les choix subjectifs de quelques-uns. Si la miséricorde est première, elle est suivie comme en écho, y compris dans la prière d’intercession de Dominique, par la justice. Saint Dominique sait aussi que le charisme d’un ordre ou d’un fondateur n’a de sens que dans la mesure où il est vécu au cœur de l’Eglise, dans un esprit de complémentarité et non de concurrence avec les autres.

Léguer à ses fils et ses filles le contour simple mais ferme des structures de son Ordre est pour Saint Dominique une marque d’amour de l’Eglise et l’ouverture pour eux d’un espace de liberté où la diversité est perçue comme une grâce, un reflet de la grandeur de Dieu.

Le silence pour entendre les cris du monde

Ces deux silences devant la Parole proclamée et devant son Ordre s’articulent enfin avec un silence de Dominique à l’égard du monde. Ce silence à l’égard du monde ne signifie pas que Dominique se retire du monde, mais plutôt qu’il se laisse saisir par le monde tel qu’il est et non tel qu’il voudrait le voir.

Pour appréhender ce dernier silence, nous pouvons, encore une fois, retourner à Vence. Photographiée hors de son contexte, la représentation de Dominique évoquée plus haut peut sembler austère. Mais contemplée dans la chapelle pour laquelle elle a été réalisée, il en va tout autrement.

marisseEn effet, cette œuvre est comme vivifiée quand la lumière du soleil frappe ses vitraux jaunes, bleus et verts. Ce Saint Dominique de Matisse est coloré de différentes manières en fonction de son contact avec un environnement changeant. A travers cette composition, l’artiste a su très bien manifester le fait que de Dominique on ne connaît que quelques traits, mais que sa figure ressort dans la mesure où ces quelques traits qui la composent accueillent ce qui vient du monde, de l’extérieur. Dominique n’est un prêcheur de la Parole puis un fondateur d’ordre que parce qu’il sait vibrer à l’unisson avec ceux qui l’entourent, parce qu’il sait non pas tant écouter le monde, mais reconnaître à travers la voix du monde un appel de Dieu.

Un témoin cité au procès de canonisation rapporte ainsi cet épisode connu, mais qui mérite d’être rappelé in extenso: «Etant prieur ou sous-prieur de l’Eglise d’Osma dont il était le chanoine, frère Dominique se livrait à Palencia à l’étude des Divines Ecritures. Sur ces entrefaites, vint à sévir dans la contrée une affreuse famine, à tel point que les pauvres mouraient de faim en grand nombre. Tout ému de compassion et de miséricorde, frère Dominique vendit ses livres annotés de sa main et en donna le prix aux pauvres. (…) Le bienheureux, quelques jours après, vint avec l’évêque d’Osma dans le pays toulousain pour y prêcher, spécialement contre les hérétiques. Et c’est là qu’il institua et organisa l’ordre des Frères Prêcheurs.»[3. Déposition du Frère Etienne au procès de Bologne le 13 août 1233, rapportée dans Saint Dominique: la vie apostolique. Textes présentés et annotés par M-H. Vicaire, Paris, Editions du Cerf, 1983 (1965), p.61.]

On ne connaît de Dominique que quelques traits, mais sa figure accueille ce qui vient du monde, de l’extérieur.

Il est saisissant de relire, dans cet extrait, la manière dont l’enchaînement des évènements est présenté. Il y a d’abord un geste courageux de charité, puis l’activité de prédication (située par le témoin quelques jours après la vente des livres à Palencia) et enfin la fondation de l’Ordre. Tout est lié chez Dominique qui correspond bien, en ce sens, à cette définition du chrétien que donne le Concile Vatican II: «il n’est rien de vraiment humain qui ne trouve écho dans [le] cœur [des disciples du Christ]»[4. Gaudium et Spes ,1.]. Dominique n’est pas homme qui impose sa vision des choses, mais il sait se laisser interpeller par la détresse de ses contemporains, y compris dans ce qu’elle a de plus concret. Il sait se détourner de ses projets, s’effacer à l’égard de ce qu’il avait prévu pour saisir la grâce de l’instant.

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Le frère dominicain Jacques-Benoît Rauscher, après un doctorat en sociologie et une agrégation en sciences économiques et sociales, poursuit des études théologiques à l’Université de Fribourg. Il est assigné au couvent St-Hyacinthe de cette ville.


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Saint Dominique, frère pour l’Evangile https://www.revue-sources.org/saint-dominique-frere-levangile/ https://www.revue-sources.org/saint-dominique-frere-levangile/#respond Fri, 01 Jan 2016 10:20:03 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=1320 [KGVID poster= »https://www.revue-sources.org/wp-content/uploads/sites/11/2016/04/Sans-titre-4.jpg » width= »799″ height= »450″]https://www.revue-sources.org/wp-content/uploads/SaintDo.mov[/KGVID]

Une production AEDom 2016 – Réalisé par Anne de Noray et frère Philippe Jeannin
Durée: 30 min

La passion de l’Evangile, la recherche intellectuelle au service de la foi… L’héritage de saint Dominique n’a rien perdu de son actualité.

On sait très peu de chose sur Dominique, car ce prêcheur infatigable n’a laissé quasiment aucun texte, hormis les constitutions qui fonda la règle de l’ordre des frères prêcheurs. Ce que l’on sait du procès de canonisation témoigne de nuits entières consacrées à la prière et de cette facilité d’être aimé de tous le monde: « Tout le monde l’aimait parce qu’il aimait tout le monde ».

Ce documentaire, illustré par une riche iconographie, s’appuie sur des entretiens qui aident à comprendre l’action de saint Dominique dans le cadre religieux et politique de l’époque.

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Confirmation de l’Ordre des Prêcheurs https://www.revue-sources.org/confirmation-de-lordre-des-precheurs/ https://www.revue-sources.org/confirmation-de-lordre-des-precheurs/#respond Fri, 01 Jan 2016 10:14:35 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=437 [print-me]

Le pape Honorius III loue le zèle du prieur Dominique et des frères de Saint-Romain, prêcheurs au pays de Toulouse. Il les exhorte à persévérer avec courage et leur accorde le privilège d’être les «fils spéciaux» du Saint-Siège. Bulle donnée au Latran, le 21 janvier 1217.

Honorius, évêque, serviteur des serviteurs de Dieu, à ses chers fils le prieur et les frères de Saint-Romain, prêcheurs au pays de Toulouse: salut et bénédiction apostolique.

Nous rendons de dignes actions de grâces au dispensateur de toutes grâces pour la grâce de Dieu qui vous est donnée dans laquelle vous restez et resterez établis, nous l’espérons, jusqu’à la fin.

En effet, brûlant à l’intérieur de la flamme de la charité, vous répandez au-dehors le parfum d’une réputation qui réjouit les âmes saines et rétablit les malades. A celles-ci, vous présentez en médecins zélés les mandragores spirituelles pour qu’elles ne demeurent pas stériles, vous les fécondez par la semence de la parole de Dieu par votre éloquence salutaire. Ainsi, comme de fidèles serviteurs, vous placez les talents qu’on vous a confiés, pour en rapporter le double au Seigneur. Ainsi, comme des athlètes invaincus du Christ, armés du bouclier de la foi et du casque du salut, sans craindre ceux qui peuvent tuer le corps, vous tirez avec magnanimité contre les ennemis de la foi la parole de Dieu, plus pénétrante qu’un glaive à deux tranchants. Ainsi, vous haïssez vos âmes en ce monde, afin de les garder pour la vie éternelle.

que confirmés de plus en plus dans le Seigneur, vous vous appliquiez à annoncer la parole de Dieu en insistant à temps et à contretemps

Du reste, parce que c’est le succès et non pas le combat qui obtient la couronne et que seule la persévérance, parmi toutes les vertus qui concourent dans le stade, remporte le prix proposé, nous adressons à votre charité cette demande et cette exhortation pressante, vous en faisant commandement par ces lettres apostoliques et vous l’imposant en rémission de vos péchés: que confirmés de plus en plus dans le Seigneur, vous vous appliquiez à annoncer la parole de Dieu en insistant à temps et à contretemps, pour accomplir pleinement et de manière digne d’éloge votre tâche de prédicateur de l’Evangile. Si vous avez à souffrir des tribulations pour cette cause, ne vous contentez pas de les supporter avec une âme égale: tirez-en gloire, avec l’apôtre et réjouissez-vous en elles de ce qu’on vous a jugés dignes d’endurer des outrages pour le nom de Jésus car cette affliction légère et temporaire produit un immense poids de gloire auquel on ne peut comparer les souffrances du temps présent.

Nous aussi, qui désirons vous réchauffer de notre faveur comme des fils spéciaux, nous vous demandons d’offrir au Seigneur à notre intention le sacrifice de vos lèvres pour obtenir peut-être par vos suffrages ce que nous ne pouvons par nos mérites.

Donné au Latran, le XII des calendes de février, l’an premier de notre pontificat.

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Veritas https://www.revue-sources.org/veritas/ https://www.revue-sources.org/veritas/#respond Fri, 01 Jan 2016 09:56:56 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=433 [print-me]

Pourquoi l’Ordre revendique-t-il ce mot très simple qui orne son blason? Parce qu’il exprime le désir du prêcheur. Il s’est voué à la vérité. «Père, consacre-les dans ta vérité», demande Jésus pour ses disciples.

De Somme en Somme

Cela commence par un long apprentissage, de plus de huit années de formation qui donne suite à un exercice permanent. Il s’agit d’étudier, et pas seulement de se spécialiser sur un sujet isolé, car tout se tient. Il s’agit d’atteindre une sagesse qui vient d’une vision globale, toujours à reformuler, comme le fait saint Thomas qui va de Somme en Somme. Il avait l’impression de ne produire que de la paille mais c’était bien du grain, pour nourrir de nombreuses générations. Comme Salomon, le prêcheur se veut philosophe au sens fort du mot: amoureux de la Sagesse. «Je suis le chemin, la Vérité et la Vie» [1. Jn 14, 6.], dit Jésus. Il est le «Logos» même, écrit saint Jean. La Vérité, ce ne sont donc pas seulement quelques connaissances, ni un système, ni un savoir.

La vérité n’est pas une gnose, c’est Quelqu’un. La Vérité, c’est la Vie, et elle se transmet. Il se forme ainsi une Tradition qui, comme une sève généreuse, pousse à former de nouveaux bourgeons. Alors que le savoir est morcelé, «en miettes» disait St Thomas[2. « Sauve-moi, Seigneur, car il me faut descendre parmi les fils des hommes où les vérités sont en miettes »], des synthèses nouvelles sont possibles, pour un discours pertinent, et de cette vision générale, il faut aussi témoigner.

La Vérité, c’est la Vie, et elle se transmet.

Mais les synthèses n’étouffent pas les questions, la Somme de théologie est d’ailleurs un ensemble de questions. La vérité vivante fait question «Qui est cet homme qui parle avec autorité?[3. Jn 7, 17]».

Comme pour Socrate, la pédagogie du Christ passe par des questions: «Qui suis-je pour vous?». L’Eglise y répond donc mais, contrairement à l’opinion courante, les dogmes n’étouffent pas l’intelligence: ils la stimulent. Ils précisent ce qui est à croire, même si c’est presque impossible à penser. Un seul Dieu, trois personnes. Une seule personne, deux natures… Qui peut expliquer en langage contemporain l’assomption de Marie?

Vérité universelle?

La vérité se veut universelle mais il est bon aussi de percevoir que le statut de la parole n’est pas le même dans toutes les cultures du monde, celui de la vérité non plus. Quand je demande en Amazonie quel est l’état de la piste que je dois emprunter le lendemain, et que l’on me répond que j’ai de la chance car la niveleuse vient de passer, je dois savoir que la réponse n’a rien à voir avec la réalité. Mon interlocuteur cherche avant tout à me rassurer. Dans un monde trop dur, la survie passe par la protection de l’imaginaire. Si je lui reproche, à mon retour, de m’avoir menti, mon interlocuteur répondra, vexé: «mais tu as bien dormi!»

La vérité s’exprime parfois dans le nondit. Il faut savoir comprendre ce qui se murmure, se laisse deviner.

Quand un peuple en écrase un autre, ou en colonise un autre, quand une classe ou un parti recouvre le champ de la communication, la vérité du plus fort s’impose. La vérité du plus faible prend alors des chemins de traverse pour se propager, ceux des petites histoires, ceux des proverbes. La censure ne perçoit pas les subtilités. Il y a plusieurs vérités et celle du méprisé reste inaccessible à celui qui opprime. Woch nan dlo pa kon doulè woch nan sole, la roche, dans l’eau, ne connait pas la douleur de celle qui est au soleil. Zafè kabrit pa zafè mouton, les affaires du cabri ne sont pas celles du mouton. Bay kou bliye pote mak sonje, celui qui a donné un coup peut l’oublier mais la victime y pense toujours[4. Proverbes haïtiens].

«Tu n’as toujours pas compris que ta notion de ‘normalité’ ne vaut que pour un confetti sur la planète?»

Ceux qui ont vécu sous le régime communiste savent ce qu’il en est de la Pravda, la «vérité» officielle. Alors que je m’écriais un jour «c’est pas normal!», un frère m’a doucement fait remarquer:

«Tu n’as toujours pas compris que ta notion de ‘normalité’ ne vaut que pour un confetti sur la planète?» Pour survivre, on se maintient entre deux eaux, entre chien et loup, entre deux vérités, celle de ceux qui souffrent et l’officielle. J’ai connu le temps où, du fait du terrorisme de Sendero Luminoso, au Pérou, il fallait attendre que les gens soient à la frontière de l’ivresse pour deviner ce qu’ils pensaient. Les inhibitions se levaient, et celui qui parlait jouait un peu la comédie, levant le pan du voile, sans engager sa responsabilité. «J’ai dit mais ce n’est pas moi qui l’ai dit, c’est l’esprit d’ébriété, tu as interprété…»

Parfois, dire la vérité est tout simplement impossible. Il y a des tabous, des zones d’ombres qu’il ne fait pas bon dévoiler mais qu’un apôtre, un prophète doit débusquer. Le témoin prend des risques. «Le premier qui dit la vérité, il doit être exécuté.[5. Chanson de Guy Béart.]» Témoin, en grec, se dit «martyr».

Faire la vérité

C’est ainsi que le prêcheur, chercheur de vérité, ne cesse de méditer l’attestation de Jésus sur sa propre mission et la réplique de Pilate. «Je suis né et je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité. Quiconque est de la vérité écoute ma voix». «Qu’est-ce que la vérité?[6. Jn 18, 37.]» Le silence qui répondit résonne encore. La vérité était, devant Pilate, un homme enchaîné qu’il savait innocent. Il n’avait pas le droit de s’en laver les mains. Un jour Las Casas dira:

«J’ai vu des milliers de crucifiés». Quand le contemplatif qu’est le prêcheur, perçoit que la vérité, c’est à dire le réel, doit changer, sa prédication invite à l’action. Ses opposants, curieusement, se diront souvent «réalistes». Le «réalisme» des faits, des chiffres, et de leurs intérêts! De quel réel parlent-ils? Du réel d’un moment, figé, mort, castré, qui n’est pas le réel vrai. Car le réel est vivant, il change. Il est la Vie même et, depuis la résurrection de Jésus, il est habité par un Souffle que rien ne peut arrêter. La foi est un ferment d’action et, réciproquement, l’action permet de comprendre, de vérifier, de croire plus encore. La praxis est révélatrice. «Nous ferons et nous comprendrons»[7. Ex 24, 7.], parole du peuple croyant, à laquelle fait écho la parole de Jésus: «Heureux serez-vous si vous le faites»[8. Jn 13, 17]. La vérité est aussi un faire et «celui qui fait la vérité vient à la lumière»[Jn 3, 21]. Puissions-nous, par notre prédication, verbo et exemplo, participer à la transformation d’un chaos informe, défiguré, en un cosmos organisé, humanisé, transfiguré.

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Le frère dominicain Michel Van Aerde est le directeur général de l’université dominicaine internationale www.domuni.eu. Il a été provincial de la Province dominicaine de Toulouse et, plus récemment, en Belgique. Il vit au couvent de Bruxelles.


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Thomas d’Aquin, disciple de Dominique? https://www.revue-sources.org/thomas-daquin-disciple-de-dominique/ https://www.revue-sources.org/thomas-daquin-disciple-de-dominique/#respond Fri, 01 Jan 2016 09:50:38 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=431 [print-me]

Saint Thomas d’Aquin fut-il un disciple de saint Dominique? Avant de proposer une réponse, deux remarques préalables s’imposent.

Premièrement, saint Thomas est né vers 1225, dans une région du royaume de Sicile à la frontière des États pontificaux (à peu près à mi-chemin entre Rome et Naples), quatre ans après la mort de saint Dominique († 1221): il n’a pas connu personnellement saint Dominique. Saint Thomas a fait la connaissance des frères dominicains à Naples où il fut envoyé pour des études vers 1239. Un couvent y avait été fondé en 1231; c’est probablement un frère de ce couvent napolitain, Jean de San Giuliano, qui fut à l’origine de la vocation de Thomas. Thomas y reçut l’habit dominicain vers 1242 ou 1244. Le maître de l’Ordre était alors Jean de Wildeshausen, aussi appelé Jean le Teutonique, troisième successeur (déjà) de saint Dominique à la tête de son Ordre.

Une seule mention de Dominique dans l’œuvre de Thomas

Deuxièmement, nous ne savons pas avec précision ce que saint Thomas connaissait de la vie de saint Dominique. Il a célébré les fêtes de saint Dominique (canonisé en 1234) et il avait certainement connaissance de nombreux témoignages, oraux et écrits, sur saint Dominique. Cependant, au sein de l’immense œuvre écrite de saint Thomas, on ne trouve pratiquement aucune mention de saint Dominique!

Cette discrétion de Thomas d’Aquin sur saint Dominique nous étonne aujourd’hui.

À ma connaissance, l’unique mention explicite se trouve dans le sermon «Il était un homme riche qui avait un intendant» (Luc 16, 1), un sermon pour le neuvième dimanche après la Trinité, prononcé probablement à Paris en 1270 ou 1271, et qui nous est parvenu grâce aux notes prises par un auditeur. Saint Dominique y est nommé aux côtés de saint François d’Assise, les deux (beatos Dominicum et Franciscum) étant présentés comme des exemples de fidèles et «glorieux intendants qui dispensent le salut, et dont le souci spécial fut de conduire les hommes au salut». Tandis que saint Dominique n’est nommé qu’une seule fois, saint François est mentionné une seconde fois, dans un autre sermon, pour ses stigmates attestant de son attachement à la passion du Christ.

L’ordre des prêcheurs plutôt que son fondateur

Cette discrétion de Thomas d’Aquin sur saint Dominique nous étonne aujourd’hui, mais située dans son contexte elle est moins surprenante qu’il n’y paraît. Lorsqu’il parle de la vie religieuse dominicaine, Thomas d’Aquin n’est guère porté aux personnifications. D’une part, Thomas ne parle guère de lui-même; et même lorsqu’il nous en dit davantage sur sa propre vocation de théologien, par exemple lorsqu’il explique ce qui constitue «le service principal de toute ma vie», il emprunte ses mots («que toutes mes paroles et tous mes sentiments parlent de Dieu») à… saint Hilaire de Poitiers! La ferveur de la confidence se tient ici dans une émotion contenue.

Ce que saint Thomas connaît le mieux de saint Dominique, c’est son Ordre.

D’autre part, ce dont Thomas d’Aquin parle avec abondance, c’est de «l’Ordre des frères prêcheurs», un «Ordre voué à l’office de la prédication», un «Ordre de religieux qui prêchent», un «Ordre voué à l’étude», un «Ordre institué pour étudier et enseigner», un «Ordre institué pour la prédication et pour les autres choses qui concernent le salut des âmes», ou encore un «Ordre institué pour prêcher et entendre les confessions» (les formulations sont diverses et nombreuses). On pourrait dire: ce que saint Thomas connaît le mieux de saint Dominique, ou du moins ce qu’il met en avant, c’est son Ordre!

Le refus du Mont Cassin

Cela dit, saint Thomas fut bel et bien un éminent disciple de saint Dominique. Dans le propos limité de ces lignes, je ne retiendrai que trois points: sa décision d’entrer dans l’Ordre des Prêcheurs, sa défense de la vie religieuse dominicaine, et enfin sa Somme de théologie.

La famille de saint Thomas n’était guère favorable à son entrée dans un Ordre nouveau, un Ordre de mendiants. Thomas était né dans une famille de seigneurs au service de l’empereur; son père était gouverneur de la région. Thomas a reçu sa première formation à l’abbaye du Mont-Cassin: sa famille le destinait manifestement à l’abbatiat de ce prestigieux monastère fondé par saint Benoît qui y avait rédigé sa règle.

« S’il est bon de contempler les choses divines, il est encore meilleur de les contempler et de les transmettre ».

La famille de Thomas tenta de s’opposer à sa vocation dominicaine mais, face à la fermeté de sa décision, elle dut s’y résoudre. Sans doute Thomas perçut-il très tôt que ses dispositions pour l’étude se réaliseraient de la manière la plus fructueuse dans l’Ordre des Prêcheurs, suivant ce qu’il expliquera plus tard: s’il est bon de contempler les choses divines, il est encore meilleur de les contempler et de les transmettre.

À cela s’ajoute un point que l’on oublie souvent: le choix d’une vie pauvre, qui lui fit toujours refuser avec obstination les honneurs ecclésiastiques (abbatiat du Mont-Cassin, épiscopat, cardinalat). Le Père Chenu l’a résumé dans une formule frappante: «Le refus du Mont Cassin est, chez Thomas d’Aquin, l’exacte réplique du geste de François d’Assise».

Illuminer plutôt que briller

Thomas s’engagea avec flamme à défendre la légitimité et la vocation des Ordres mendiants, en particulier la légitimité d’un Ordre voué à l’étude et à la prédication. Il rédigea plusieurs livres sur ce sujet, et il prit une part active à de nombreuses discussions animées face à des théologiens séculiers qui déniaient à un nouvel Ordre religieux, mendiant, le droit d’enseigner et de prêcher.

Thomas s’illustra spécialement dans les débats sur ce «point chaud» de la vie ecclésiale de son époque, avec une veine polémique («le fer s’aiguise par le fer»!) qui étonne lorsqu’on connaît le ton généralement mesuré qui le caractérise. Dans ces débats, en rappelant que «enseigner est un acte de miséricorde», il souligna toujours la priorité de la charité, de la gloire de Dieu et du «salut des âmes». On connaît la fameuse formule qu’il contribua à diffuser:

«Tout comme il est plus grand d’illuminer que de briller seulement, il est meilleur de transmettre aux autres ce que l’on a contemplé, plutôt que de contempler seulement». Et d’ajouter: le sacrifice qui plaît souverainement à Dieu, c’est «de s’unir soi-même et d’unir autrui à Dieu», «d’appliquer son âme et l’âme d’autrui à la contemplation».

La somme théologique comme «cura animarum»

En 1265, le chapitre provincial de la Province Romaine chargea Thomas de créer un centre d’études au couvent de Sainte Sabine à Rome et d’en être le responsable. Sa première tâche y fut d’enseigner la Bible. C’est aussi dans ce contexte que naquit le projet de la Somme de théologie, que Thomas conçut comme un manuel pour l’enseignement dans les couvents où un «lecteur» (un professeur conventuel) assurait non seulement la formation des jeunes frères mais aussi la formation continue des autres frères.

Thomas poursuivit la rédaction de sa Somme de théologie à Paris puis à Naples. L’œuvre resta inachevée: Thomas cessa d’écrire en décembre 1273, avant de mourir quelques mois plus tard.

Thomas y perçut une sorte de «vide doctrinal», et c’est ce «vide» qu’il a voulu combler par sa Somme.

Quelle fut l’intention de Thomas? La formation ordinaire des frères dominicains était centrée sur la vie chrétienne, en particulier sur la vie morale (on parlerait aujourd’hui de théologie morale, de théologie pratique et d’homilétique) pour en faire des prédicateurs et des confesseurs. Or les manuels employés étaient souvent marqués par la casuistique, c’est-à-dire par l’enseignement des solutions pour résoudre les «cas» particuliers qui se présentent au confesseur, au conseiller spirituel et au prédicateur: Thomas y perçut une sorte de «vide doctrinal», et c’est ce «vide» qu’il a voulu combler par sa Somme, afin de donner à la théologie pastorale une solide assise dogmatique dans le contexte plus large de toute la théologie chrétienne, sans oublier les ressources offertes par la philosophie pour une meilleure intelligence de la Parole de Dieu.

Dans une «dispute» théologique tenue à Paris en 1269, Thomas définit ainsi la mission du théologien par rapport au «soin des âmes» (la cura animarum, d’où vient notre mot français «curé»): le théologien a pour tâche «de chercher et d’enseigner comment il convient de procurer le salut des âmes». Suivant les explications de Leonard Boyle, c’est là précisément ce que saint Thomas a voulu faire dans sa Somme: «non pas la théologie au service de la cura animarum, mais la théologie comme cura animarum»! Et cela dans une communauté de frères où enseignants et étudiants constituent une «communauté studieuse» (societas studii) vouée à l’étude contemplative et à sa transmission. Saint Thomas n’est pas saint Dominique, mais il est bien l’un de ses fils qui nous montrent lumineusement le charisme de son Ordre.

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Le frère Gilles Emery, de la Province dominicaine suisse, réside au couvent St-Hyacinthe à Fribourg. Il est professeur ordinaire de théologie dogmatique à l’Université de cette même ville. Maître en théologie, il est aussi membre de la Commission théologique internationale.

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Dominique manchot! https://www.revue-sources.org/dominique-manchot/ https://www.revue-sources.org/dominique-manchot/#respond Fri, 01 Jan 2016 09:44:19 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=429 [print-me]

Nous connaissions déjà un Dominique muet. Matisse l’avait privé d’orifice buccal et de cordes vocales. Supplice infernal, réservé aux prédicateurs bavards. Infamie pour le fondateur d’un Ordre de «prêcheurs». Et voilà qu’un frère provocateur glisse sous mon nez un Dominique manchot! Difficile d’épater un auditoire par des effets de manches. Mais Dominique en avait-il vraiment besoin?

Je ne saurais ni comparer ni rapprocher ces deux «icônes». La première est un chef d’œuvre devenu classique; la seconde, sortie d’un grenier de monastère, a subi l’épreuve du temps. A moins qu’elle ne fut la victime d’un iconoclaste impénitent.

Même sans voix et sans mains, il est encore possible de prêcher.

Mais rien n’est perdu. Même sans voix et sans mains, il est encore possible de prêcher. Le message évangélique n’a nul besoin d’être audible ou gesticulé. Dominique au pied de la croix ou penché sur sa Bible est à lui seul message et messager. Notre frère Angelico qui l’a peint dans cette double posture en était persuadé. Manchot ou non, le prêcheur fait corps avec Celui qui l’envoie. La prédication devient sublime quand le porte-parole est lui-même suspendu à la croix qu’il veut annoncer. Le témoin se confond alors avec son message. Même s’il n’est plus capable de le balbutier.

Ainsi Dominique prêchait-t-il, seul sur les sentiers caillouteux et épineux du Lauragais, à l’heure nocturne où le sicaire le guettait. Merveilleuse prédication aussi ce jour où il vendit ses parchemins pour nourrir des pauvres qui ne lui devaient rien. Prédication encore quand ses frères le portèrent sur une civière des hauts de Bologne vers le couvent où il voulait mourir et reposer sous leurs pieds.

Dietrich Bonhœffer aimait dire que le prédicateur avait mission d’accompagner la Parole. Parole en quête d’une terre en friche pour la féconder. Et si cette terre était d’abord la chair du prédicateur? Son corps, son âme et son histoire. Pour manifester la cohérence nécessaire entre la Parole qui vient de Dieu et le prêcheur qui la profère.

Le Matisse de Vence a voulu exprimer cette incarnation, légère, subtile et quasi décharnée. Un Dominique filiforme, réduit à quelques traits, comme une esquisse transparente et inachevée. Le prêcheur n’a nul besoin de bouche pour dire l’indicible. Il ne fait que le suggérer. Nul besoin non plus de mains pour le dessiner. Son cœur lui suffit.

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Dominique et François https://www.revue-sources.org/dominique-et-francois/ https://www.revue-sources.org/dominique-et-francois/#respond Fri, 01 Jan 2016 09:43:22 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=525 [print-me]

Bernard Cattanéo imagine la rencontre au Latran de Dominique et François, venus l’un et l’autre à Rome faire confirmer leur intuition missionnaire et évangélique. Cet événement, sans doute légendaire quoique vraisemblable, dit bien la convergence spirituelle des deux saints et la proximité des deux Ordres fondés par eux. Encore de nos jours, Franciscains et Dominicains se réclament, ne serait-ce que le jour de leur fête, de la double paternité de François et Dominique.

Le voyage à Rome que j’entrepris en ce temps-là fut pour moi l’occasion d’une rencontre dont je ne soupçonnais pas d’emblée l’importance: celle du frère François d’Assise. L’homme qui parlait aux oiseaux, telle était la façon dont on me le présenta. Il venait implorer le Saint-Siège pour la même raison que moi: habité d’une certitude et convaincu d’être appelé, il avait réuni quelques compagnons qui souhaitaient partir mendier sur les routes et prier pour le pardon universel.

Le rêve du pape

Il paraît, me dit-on, que le Pape a rêvé votre rencontre! Je ne pouvais le croire: comment moi, Dominique, petit religieux anonyme, aurais-je pu hanter les songes du Pontifex?

Mais si, insistait-on, il t’a vu qui retenait les colonnes branlantes de l’Eglise, puis rejoint par François qui te serrait dans ses bras. Que je fusse très sceptique ne m’empêcha pas de demander au Seigneur, si telle était sa volonté, de me donner les moyens de répondre à cette attente. Et je manifestai le désir de voir François d’Assise, petit frère de Dame pauvreté. Dans les prémices de la nuit romaine, rafraîchie par le souffle léger de l’automne commençant, nous nous rejoignîmes dans la basilique Saint-Jean.

« Frère Dominique, dit-il, si tu doutes trop de toi, tu n’avanceras pas dans le Seigneur »

Le Latran était calme, déserté par les prélats du concile au soir d’une rude journée. Frère François, tout menu dans sa bure grise, pieds nus sur le pavé froid, s’avança vers moi bras ouverts. Je fus saisi par son sourire et la profondeur de son regard. Nous nous donnâmes l’accolade en silence. Ainsi rencontrais-je cet apôtre du Seigneur qui marchait sur la même route que moi.

«Que Dieu te bénisse, frère Dominique, je suis heureux de te connaître», me dit-il de sa voix chantante. A genoux, nous rendîmes grâce, puis, deux heures durant, nous disputâmes en arpentant en tout sens l’église et le cloître. Chacun de nous, dans sa soif ardente de suivre Jésus-Christ, insistait sur les principes de vie qui lui semblaient essentiels. Je me surpris à vanter longuement les vertus de la réflexion, de la prédication, de la charité. François répondait prière, adoration, pauvreté. Il m’écoutait gravement quand j’expliquais comment j’imaginais la vie des prédicants, et j’étais fasciné par la poésie de ses paroles quand il me racontait ses découvertes des merveilles de la création sur les chemins de l’Italie.

Nous étions d’accord!

Nous étions d’accord pour mettre la pureté au centre de nos vies. Les rayons aveuglants de l’amour divin devaient traverser nos âmes et nos corps pour irradier nos frères. Il fallait nous laver de toute poussière pour que rien ne pût entraver le passage de la lumière. Si nous en retenions fût-ce qu’une parcelle, quelle perte c’était pour les hommes qui attendaient de nous leur salut! En écoutant frère François, je pris conscience de ma médiocrité. Je le vis si translucide que je le suppliai d’intercéder pour moi auprès du Tout-Puissant afin que je ne fusse pas trop indigne de la mission qui m’était confiée.

Il me sourit: «Frère Dominique, dit-il, si tu doutes trop de toi, tu n’avanceras pas dans le Seigneur, aie confiance, aime, et tu pourras à jamais chanter la gloire de Dieu». A son tour, il sollicita ma bénédiction. Il ne savait pas encore si le Pape reconnaîtrait son œuvre, et sa confiance fût-elle totale dans la bonté du Très-Haut, il me demanda quand même de prier pour lui. Comment pouvais-je refuser, moi qui, non moins inquiet, attendait aussi le verdict de Rome? Et du long moment d’adoration que nous passâmes ensemble prosternés au pied de l’autel demeure pour moi le souvenir intense d’une communion parfaite entre deux hommes arrivant d’horizons différents, brûlant d’une même flamme et destinés à une mission semblable. Réconcilier les ennemis de Dieu, accorder le pardon des péchés, enseigner la vraie foi, régé-nérer le monde dans le secret des cœurs: François et moi y étions consacrés. Puis, à regret, nous nous quittâmes. [1. Extrait de Bernard Cattanéo, Moi Dominique, Paris, DDB, 2001, p. 112-114.]

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Estavayer-le-Lac, 1316-2016 https://www.revue-sources.org/estavayer-le-lac-1316-2016/ https://www.revue-sources.org/estavayer-le-lac-1316-2016/#respond Fri, 01 Jan 2016 09:35:13 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=427 [print-me]

Un jubilé dans le jubilé. Nos sœurs moniales d’Estavayer s’offrent deux années consécutives de jubilation. Elles s’associent aux Frères qui fêtent un anniversaire de huit siècles. Mais elles veulent aussi célébrer sept siècles de «laus perennis» à l’intérieur de leurs vieux murs.

Les débuts du monastère d’Estavayer-le-Lac sont quelque peu environnés de mystère. Nous savons seulement qu’en 1290 une communauté de moniales dominicaines existait dans un monastère dédié à sainte Marguerite à Chissiez, dans l’actuel quartier du Trabandan de Lausanne, en lien avec le couvent des frères dominicains de cette ville. La maison, aujourd’hui disparue, était située hors des murs de la ville et isolée. Les sœurs cherchèrent donc un emplacement moins exposé pour vivre plus sereinement leur vie dominicaine. Le prieur de Lausanne, frère Jean d’Estavayer, fit appel à son cousin, le chanoine Guillaume d’Estavayer, qui offrit aux sœurs sa propre maison sise sur le rempart de la ville d’Estavayer, à la condition qu’il puisse encore y séjourner avec ses domestiques. La communauté agréa cette proposition et les sœurs arrivèrent à Estavayer à la toute fin de 1316 ou au début de 1317.

Accueillies froidement

Les moniales avaient sans doute le cœur gros, car en dernière minute quelques unes, entraînées par une ancienne prieure, firent sécession et décidèrent de rester à Chissiez. Elles ne rejoignirent le gros de la communauté qu’une quinzaine d’années plus tard, après plusieurs procès menés devant la cour pontificale.

Sans nul doute, elles recevraient des dons et des aumônes dont le clergé du lieu ne percevrait plus le doux tintement dans sa besace.

De plus, si la générosité du chanoine Guillaume ne s’est jamais démentie, le clergé d’Estavayer accueillit fraîchement les nouvelles arrivantes. Sans nul doute, elles recevraient des dons et des aumônes dont le clergé du lieu ne percevrait plus le doux tintement dans sa besace. On raconte même que quelques décennies plus tard un clerc d’Estavayer, furieux qu’une paroissienne fût enterrée dans l’église du monastère, vint dérober les cierges qui entouraient le cercueil de la défunte. Le sang de sœur Alix, sousprieure, ne fit qu’un tour. Elle bondit et s’élança à sa suite, récupérant les précieuses chandelles. Les choses se sont grandement améliorées depuis. Parmi les occasions de rendre grâce, ne faut-il pas mentionner les relations étroites et fraternelles qui lient le monastère aux prêtres et paroissiens d’Estavayer, toujours prêts à le soutenir et lui rendre mille services?

Les empreintes de l’islam

Plus isolées qu’à Chissiez, les sœurs gardaient cependant des liens avec l’Ordre dominicain. Ainsi, en 1404, saint Vincent Ferrier vint prêcher au monastère lors de sa grande campagne d’évangélisation dans la région. Le texte de ses interventions a été copié par le père gardien des Cordeliers de Fribourg. Ce précieux témoin de la vie spirituelle de cette époque est parvenu jusqu’à nous.

L’architecture est mieux documentée. Cette période vit le retour de croisade d’Humbert, prince de Savoie. Cinq années de captivité chez les Turcs lui avaient donné le goût de la prière. Il fit le vœu de construire une église s’il était libéré. Et ce fut celle de notre monastère, bâtie en pierre de la Molière, à l’intérieur de laquelle Humbert fit ériger une chapelle funéraire [1. En homme prudent, ne sachant où il mourait, il avait prévu trois chapelles funéraires pour ses restes mortels: ce fut finalement à Estavayer qu’il décéda et fut enseveli.] protégée par de magnifiques grilles ouvragées à ses armes. C’est ainsi que nous avons en notre église le blason de la maison de Savoie, orné de cinq croissants de lune, chacun évoquant une année de captivité en terre d’islam. Ce souvenir marqué dans la pierre incite les moniales d’aujourd’hui à garder une place à l’islam dans leurs prières.

Le temps des turbulences

Un siècle plus tard, la Réforme protestante déferlait sur la Suisse. Les couvents des frères dominicains furent supprimés et l’aumônier du monastère, frère Jean de Rome, fut chassé, dit la chronique. Les sœurs devaient donc sortir du monastère pour assister à la messe paroissiale à la collégiale. Quand un prêtre de passage venait célébrer au monastère, les sœurs devaient servir elles-mêmes sa messe. Elles perdirent une partie des terres qu’elles avaient gardées en pays de Vaud, et virent leurs revenus amputés d’autant. Malgré tout, elles restèrent fidèles à leur foi et à leur vocation.

En juillet 1599, une partie des bâtiments conventuels s’effondre en pleine nuit.

Puis, en 1575, ce fut la peste qui ravagea la cité et le monastère. On ne donnait guère attention aux registres à cette époque, et moins encore en période d’épidémie. Une tradition veut que seules deux ou trois sœurs soient restées en vie pour maintenir la louange dans nos murs. Nous ne connaissons pas leurs noms, mais les sœurs les invoquent en ces temps de précarité et leur demandent de leur envoyer quelques renforts.

En juillet 1599, une partie des bâtiments conventuels s’effondre en pleine nuit. Les sœurs ne durent leur vie sauve qu’à leur ferveur. En effet, elles chantaient matines dans l’église qui, elle, ne s’effondra pas. On reconstruisit par étapes. Faute de moyens, on cloisonnait les cellules au fur et à mesure que les postulantes se présentaient.

Les siècles «classiques»

Le début du XVIIe siècle marque une nouvelle étape. Nous pouvons mettre un peu de chair sur le nom des sœurs. Divers cahiers nous sont parvenus. Ils contiennent des prières manuscrites ou des notes prises durant des conférences spirituelles données par les aumôniers.

La vie de l’une ou l’autre sœur a même été consignée dans des publications d’époque. C’est le cas de la jeune Barbe Progin, entrée au monastère à 15 ans. Elle vécut une forte expérience spirituelle cinq ans plus tard et, dès lors, mena une vie de prière et de pénitence intenses. Malade, elle supportait ses souffrances avec joie pour le salut du monde. «Je désire souffrir encore bien davantage, s’il le faut, pour la conversion d’une âme.» Elle mourut en 1633, âgée seulement de 23 ans.

Un cahier du conseil fourmille de détails truculents.

Le début du XVIIIe siècle nous offre – ô délices – une mine d’informations: un cahier du conseil fourmille de détails truculents. Ainsi, nous apprenons que deux sœurs protestent quand, un jour, le père aumônier tente d’imposer une décision à la communauté. «Ce n’est pas dans notre tradition qu’on prenne les décisions à notre place!». Aucun doute, nos sœurs sont de vraies dominicaines et elles en sont conscientes!

A cette époque aussi, les sœurs décident de revenir à la vie commune. Chacune avait (ou n’avait pas, en ce qui concerne les sœurs issues de milieux plus modestes) son pécule, son linge et ses meubles. Nous assistons alors à deux jours de grand remue-ménage où toutes les sœurs apportent joyeusement leurs affaires aux officières que la prieure a désignées et se réjouissent de pouvoir partager avec les moins fortunées.

La fin du siècle est plus morose. Une prieure, manipulée par un cousin cistercien, fait sortir le monastère de la juridiction de l’Ordre dominicain. Et ceci contre l’avis unanime de la communauté. Début d’une longue période douloureuse où les sœurs désireuses de rester dominicaines n’eurent plus le soutien de leur Ordre. Les observances pâtirent de cette situation. On obtint la permission de faire gras, les matines ne furent plus dites en pleine nuit, on renonça au port de la laine, et les temps de prières furent raccourcis…

Et un dix-neuvième contrasté

Alors que le vent révolutionnaire soufflait en France, de nombreux prêtres de ce pays trouvèrent refuge en Suisse, particulièrement dans le canton de Fribourg demeuré catholique. Estavayer en accueillit un certain nombre. Le monastère les aida matériellement. Surtout, il leur ouvrit les portes de son église pour qu’ils puissent y célébrer la messe. On ne parlait pas à cette époque de concélébration. Les messes donc s’enchaînaient presque sans interruption de quatre heures du matin à midi sur les sept autels de l’église. Les sœurs offraient le vin et le pain d’autel, soit une bonne trentaine de bouteilles de vin et un quarteron [2. Une vingtaine de litres dans le canton de Fribourg.] de froment par semaine. On utilisa aussi onze chasubles! Les sœurs accueillirent en outre des religieuses françaises chassées elles aussi de leurs couvents, ainsi que des dames de la noblesse qui tenaient salon au monastère.

Le Père Lacordaire vint visiter la communauté.

La communauté traversa la période révolutionnaire et napoléonienne sans trop de dommage. Dès 1817, elle reprit progressivement les observances tombées en désuétude, puis renoua des liens avec les frères dominicains. Le Père Lacordaire vint visiter la communauté. On conserve plusieurs lettres écrites de sa main. La situation politique devint à nouveau tendue au milieu du XIXe siècle. Le gouvernement radical imposa la fermeture du noviciat et aliéna divers domaines. En 1872, le Père Jandel, maître de l’Ordre, vint visiter le monastère. Prélude au retour à la direction spirituelle de l’Ordre dominicain. Le Père Barthier assuma la charge de directeur durant une trentaine d’années. Outre les conférences et prédications qu’il donnait aux sœurs, il restaura entièrement l’église du monastère, faisant notamment appel à des artistes belges. Les vitraux qui relatent l’histoire de la communauté datent de cette restauration.

La révolution conciliaire

Que dire du XXe siècle? L’événement marquant fut sans doute le concile Vatican II et son cortège de conséquences. Si la vie des moniales reste la même, tissée de travail et de prière, la forme extérieure a beaucoup changé. La communauté a adapté sa liturgie au français, tout en gardant les plus belles pièces du répertoire grégorien.

On installa le chœur dans la nef, proche de l’assemblée. Les sœurs purent enfin profiter elles aussi de la magnifique architecture de l’église. La vie dominicaine s’élargit aux dimensions des Fédérations ou du Service des Contemplatives de Suisse romande qui permirent aux sœurs de s’entraider. Et même aux dimensions du monde, grâce au passage de frères et de sœurs de tous horizons. Les liens avec l’extérieur se sont aussi intensifiés. En témoigne notre hôtellerie La Source: une grange du XVIIe siècle menacée de ruine fut rebâtie pour recevoir des hôtes désirant se ressourcer et divers groupes pour des sessions et retraites.

Et maintenant?

L’année 2016-2017 marquera les 700 ans de notre monastère et nous en préparons les festivités. Et voici le programme.


Sœur Isabelle, qui réside dans le monastère d’Estavayer-le-Lac, remémore quelques souvenirs de la longue et passionnante histoire de ce monastère.

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Aux origines de la présence dominicaine à Fribourg https://www.revue-sources.org/aux-origines-de-la-presence-dominicaine-a-fribourg/ https://www.revue-sources.org/aux-origines-de-la-presence-dominicaine-a-fribourg/#respond Fri, 01 Jan 2016 09:16:25 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=423 [print-me]

Dans son allocution à l’évêque de Lausanne et Genève, lors de l’inauguration officielle des cours universitaires 1892/1893, le Père Joachim Berthier OP (1848-1924), à ce moment Vice-recteur de la jeune Université, rappelle «un vieux souvenir»:

«En plein XIIIe siècle, vers 1230, Jourdain de Saxe, le second Maître Général des Prêcheurs, celui-là même qu’on appelait ‘la Sirène des Universités’, faisait le voyage de Lausanne. Il venait y visiter un ami intime. Cet ami à lui, c’était l’Evêque. Valde se mutuo longis temporibus diligebant, dit le vieux texte [1. Traduction: «Depuis longtemps ils étaient amicalement très liés».], le Vitae Fratrum [2. Joachim Berthier renvoie ici à la chronique médiévale de Gérard de Frachet OP qui, vers 1260, a rassemblé un recueil d’événements sur la vie des premiers frères et les développements de l’Ordre.], auquel j’emprunte ce récit, et qui raconte à ce propos une délicieuse histoire d’après le témoignage du sacriste de Lausanne. Je n’ai pas cherché le nom de l’Evêque. Mais ce que je sais bien, c’est que les Evêques de Lausanne se sont réfugiés à Fribourg, et que les Dominicains ont fait quelque chose d’analogue. Au moment où la jeune Université de Lausanne s’élève sur les fondements de l’ancien couvent des Dominicains, ces derniers se retrouvent à Fribourg.» [3. Textes de l’inauguration officielle des cours universitaires pour l’année 1892/93, Fribourg 1893.]

Aux origines, une équipe internationale

C’était en effet trois dominicains, le même Joachim Berthier, ensemble avec l’allemand Albert Maria Weiss (18441925) et l’américain Joseph Kennedy (1862-1930) qui arrivèrent le jeudi saint 3 avril 1890 à Fribourg pour y fonder la Faculté de Théologie.[4. Sur cette arrivée à Fribourg on peut lire des détails dans: Joachim Joseph Berthier: Notes relatives aux débuts de la faculté de théologie à Fribourg. Mémoire dominicaine, n° 27, Paris 2011.] Ils vont enseigner d’abord en Faculté de Philosophie – la Faculté de Théologie ne fut érigée formellement qu’en automne de l’année 1890.

Weiss est spécialiste en économie politique.[5. Ses compétences étaient bienvenues dans la nouvelle université. Il ne faut pas oublier que le fondateur de l’Université, le Conseiller d’Etat Georges Python, avait suggéré, dans une lettre du 1.1.1890 au Pape Léon XIII, la création d’une faculté d’économie politique, où on enseignerait la doctrine sociale de l’Eglise.] Plus tard, il enseignera l’apologétique jusqu’en 1919. Berthier, spécialiste de Dante, explique dans ses premiers cours l’Inferno de la ‘Divina Comedia’ pour être ensuite professeur en différentes branches de la théologie. Berthier fut très vite impliqué dans la vie culturelle et artistique de la ville.[6. Voir: Notes relatives aux débuts de la faculté de théologie à Fribourg, 134-136.] Kennedy enseigne l’introduction à la philosophie et la logique. Ce trio dominicain sera vite renforcé par la présence du dogmaticien, Thomas Coconnier OP (1846-1908). Avec Berthier et l’historien de l’Eglise, Pierre-Marie Mandonnet OP (1858-1936), qui rejoint la Faculté de Théologie en 1891/92, le père Coconnier fonde La Revue thomiste.

«Il me semble même, que ce ne peut être qu’un très grand avantage pour la Suisse catholique, si les R. R. Pères Dominicains sont appelés aux chaires de la faculté théologique».

A la toute première équipe d’enseignants s’ajoute très vite un groupe de Dominicains aussi bien francophones que germanophones. Certains ne seront à Fribourg que pour quelques semestres. Ce sont Leo Michel OP (1857-1919) pour la philosophie et Ange Boisdron OP (1845-1924) qui enseignera la morale pratique et la théologie fondamentale; Ambrosius Gietl OP (1851-1918) et Thomas Esser OP (1850-1926) pour le droit canonique; Réginald Frankenstein OP (1858-1914) pour l’histoire de l’Eglise; Symphorien Hyvernat OP (1855-1926) pour la théologie morale. L’exégèse est bien dotée avec les enseignants Albert Fritsch OP (1840-1920) et Vincent Zapletal OP (1867-1938) qui, lui, restera 36 ans et marquera toute une époque. Le premier programme des cours mentionne aussi des cours de Marie-Joseph Lagrange OP (Introduction à l’écriture sainte et exégèse du livre de la Genèse). Mais ce dernier ne viendra finalement pas à Fribourg, étant retenu par la fondation de l’Ecole Biblique et Archéologique française à Jérusalem.

Encouragements épiscopaux

Dans Histoire de l’Université de Fribourg Suisse 1889-1989, publié à l’occasion du centenaire de l’Université, Dominique Barthélemy OP souligne le rôle qu’a joué Mgr Augustin Egger, évêque de Saint-Gall, dans l’appel fait aux Dominicains en vue de la création d’une Faculté de Théologie,«vraiment catholique et internationale», que le gouvernement fribourgeois voulait ajouter aux deux facultés, le Droit et la Philosophie, déjà existantes.

Dans une lettre du 3 décembre 1889 au Secrétaire d’Etat du Pape Léon XIII, le Cardinal Mariano Rampolla, Egger écrit, sans oublier de dire que les moyens financiers sont modestes et qu’ils «ne suffiraient guère que pour des Religieux», que l’on pense «à l’Ordre de saint Dominique et on espère, qu’on pourrait obtenir plusieurs savants professeurs de cet Ordre.» Et l’évêque saint-gallois ajoute: «Les temps et les circonstances où nous vivons exigent que ces professeurs Dominicains, tout en enseignant la vraie doctrine de Saint-Thomas d’après la volonté et l’exemple admirable du Saint-Père, ne perdent pas trop de temps en agitant des questions stériles de l’Ecole et ne défendent pas trop exclusivement et apodictement certaines théories disputées (comme par exemple le Thomisme en opposition au Molinisme)».[7. Etudes et Documents sur l’histoire de l’Université de Fribourg/Suisse, édités par D. Barthélemy OP, Fribourg 1991, Volume Documents, 106.]

Mermillod, qui, lors de la fondation de l’Université aurait préféré le modèle français d’un Institut Catholique, exprime ses réserves contre une trop massive présence dominicaine.

Presque en même temps l’évêque de Bâle, Mgr Leonard Haas, écrit à Rampolla: «Il me semble même, que ce ne peut être qu’un très grand avantage pour la Suisse catholique, si les R. R. Pères Dominicains sont appelés aux chaires de la faculté théologique». L’évêque est sûr que la qualité scientifique de l’enseignement des dominicains sera supérieure à celle des professeurs des séminaires diocésains et qu’une faculté avec la présence d’un Ordre religieux contribuera à établir dans le corps enseignant une unité de doctrine et évitera des dissensions. «Des maîtres pris dans l’Ordre de St. Dominique seront aussi les meilleurs promoteurs de l’étude approfondie des Œuvres de St. Thomas, si recommandée par notre St Père le Pape et tout concourrait à donner une impulsion nouvelle à l’étude de la théologie en Suisse».[8. Ibid. 107.] Dans un article sur les dominicains à l’Université de Fribourg publié dans Helvetia Sacra, le père Guy Bedouelle OP soulève ce dernier aspect.

«Le choix de l’ordre dominicain comme partenaire répondait bien aux intentions des fondateurs, en raison de son caractère international et aussi de l’importance qu’y revêtait traditionnellement l’enseignement de saint Thomas d’Aquin, recommandé en 1879 par l’encyclique de Léon XIII, Aeterni Patris. Cette préoccupation était également chère à l’Union de Fribourg, ce groupe d’intellectuels catholiques qui se retrouvaient chaque année pour des réunions consacrées aux problèmes économiques et sociaux, où Python et Decurtins étaient actifs.»[9. Guy Bedouelle OP, Les Dominicains à l’Université de Fribourg (depuis 1889), dans: Helvetia Sacra, Basel 1999, Section IV, Vol 5, Partie 1, 155.]

Python, Decurtins et Mermillod

Concernant la démarche de faire venir des Dominicains à Fribourg il faut mentionner le rôle proactif de ces deux fondateurs de l’Université, qui dans leurs contacts la mi-août 1889 à Paris avec le savant historien Henri Denifle OP et leurs interventions auprès du Saint Siège et du Maître de l’Ordre des Frères Prêcheurs, José Maria Larroca, ont en quelque sorte court circuité l’évêque du lieu, Mgr. Gaspard Mermillod (1824-1892 – Cardinal depuis 1890). Celui-ci, n’étant pas favorable à ce qu’on confie toutes les chaires aux Dominicains, essaie de corriger le tir de Decurtins et de Python en écrivant le 19 décembre 1889 à Rampolla, que les évêques suisses, «un épiscopat uni, agissant d’un commun accord», soutiennent la création d’une faculté de théologie à Fribourg. Mais Mermillod, qui, lors de la fondation de l’Université aurait préféré le modèle français d’un Institut Catholique, exprime ses réserves contre une trop massive présence dominicaine.

Il est d’ailleurs irrité par la démarche fort autonome des politiciens: «Nous serons heureux d’avoir quelques Dominicains comme professeurs; mais il nous semble, qu’au point de vue des intérêts religieux nationaux de la Suisse, et de notre situation démocratique, il est important qu’il y ait des prêtres séculiers comme professeurs, afin que nous ayons des hommes distingués dans notre pays qui élèvent le niveau du clergé séculier.»[10. Etudes et Documents sur l’histoire de l’Université de Fribourg/Suisse, édités par D. Barthélemy OP, Fribourg 1991, Volume Documents, 110.]

Les fondateurs de l’Université chérissaient l’idée d’une contemporanéité critique dans un contexte catholique.

Mais Decurtins reste convaincu de l’importance de l’engagement des Dominicains. Il insiste dans des lettres en italien à Rampolla et au Pape Léon XIII sur le fait que la présence des dominicains correspond parfaitement au caractère international de l’Université. La qualité de l’enseignement des Dominicains, qui se situe dans la ligne du renouveau thomiste, est conforme à la politique intellectuelle du Pape. Il est donc évident que la faculté de théologie soit confiée aux Dominicains, «affidata ai Reverendi Padri Domincani».

Il souligne en plus que le gouvernement fédéral ne s’opposerait pas à la venue des Dominicains comme professeurs. Au contraire, «si vede adempito un vantaggio di tutta la Svizzera, poiché i giovani teologi che andavano finora a perfezionarsi nei loro studi all’estero, potranno farlo nella patria svizzera».[11. Traduction: on y voit en effet un avantage pour toute la Suisse, car les jeunes théologiens qui jusqu’à maintenant allaient perfectionner leurs études à l’étranger pourront le faire dans leur patrie suisse.]

Il est intéressant de noter que Decurtins, dans sa lettre au Pape du 21 décembre 1889, dit explicitement que les dominicains devraient aussi enseigner la philosophie, pour que les étudiants des autres facultés – il cite l’histoire, la philologie, le droit et la médecine – puissent suivre ces cours «come fondamento delle scienze nominate». Il s’agit de «rendere alla gioventù un vero ed unico concetto filosofico del mondo»[12. bid. 115. Traduction: Donner à la jeunesse un vrai et unique concept philosophique du monde.], et ceci contre les tendances panthéistes et matérialistes du temps.

L’argument est fort important. La faculté n’est pas simplement une institution cléricale ni une école d’études philosophiques et théologiques propre à l’Ordre, elle est au service du projet universitaire. Les fondateurs de l’Université chérissaient l’idée d’une contemporanéité critique dans un contexte catholique et, dans ce sens, universel. L’orientation catholique mais laïque de l’Université exprime d’un côté la distance par rapport aux prétentions cléricales tant dans le milieu fribourgeois que romain dont Mermillod était en quelque sorte le porte-parole. D’autre part cette orientation préconisait l’ouverture à toutes les disciplines capables de contribuer au bien-être de la société et ceci en correspondance avec la doctrine sociale de l’Eglise, que le Pape Léon XIII exprimera plus tard, le 15 mai 1891, dans son encyclique Rerum Novarum. La catholicité n’était pas une fin confessionnelle en soi, mais plutôt un moyen pour percevoir le monde et les questions du temps. C’était aussi une réaction face au constat de la confessionnalité des autres universités dans les cantons à majorité protestante. Le 24 décembre 1889 une convention fut signée entre le Maître de l’Ordre Larroca et le Gouvernement du Canton de Fribourg.

125 années de présence dominicaine à l’Université

La suite de l’histoire de la présence dominicaine à Fribourg sera écrite à travers de multiples tractations sur les statuts de la Faculté et le maintien de la place spécifique des Dominicains. Cette histoire est bien décrite dans les publications des pères Dominique Barthélemy, Marie-Humbert Vicaire et Dirk Van Damme dans le volume deux l’Histoire de l’Université de Fribourg Suisse 1889-1989. Mais c’est avant tout l’histoire d’un corps international de professeurs qui, par la qualité de leur enseignement et de leur recherche, ont, de manière substantielle, contribué à l’excellence de l’Université de Fribourg et de sa faculté de Théologie. La plupart d’entre eux ont marqué l’histoire de leur discipline.

Au risque d’en oublier, je ne mentionne que ceux de la toute première génération à la frontière du XIXe et du XXe siècle. Dans les sciences bibliques Vincent Zapletal et Bernard Allo; dans la dogmatique Thomas Coconnier et Norbert del Prado; dans la morale Joachim Berthier et Dominik Prümmer; dans l’histoire de l’Eglise Pierre Mandonnet; dans la théologie fondamentale Albert-Maria Weiss; dans la philosophie Gallus Maria Manser et Leo Michel. Plusieurs d’entre eux et des générations suivantes sont enterrés dans la crypte de l’Albertinum. La longue liste de leurs noms est inscrite sur la pierre tombale.

Ces noms témoignent, sans exception, des 125 ans de la présence dominicaine dans ce Fribourg que le père Berthier, en arrivant de Rome, trouvait une ville «noire et morne»[13. Joachim Joseph Berthier: Notes relative aux débuts de la faculté de théologie à Fribourg, dans: Mémoire Dominicaine n° 27, Paris 2011, 116.], ce Fribourg où la présence dominicaine à l’Université et à la Faculté de Théologie sera devenue quelques années plus tard si évidente que l’Ordre entier pouvait célébrer en 1916 à Fribourg son chapitre général sous la présidence du Bienheureux Hyacinthe Cormier. Ce fut aussi l’occasion de faire mémoire du septième centenaire de la confirmation de l’Ordre.

Puisse le huitième centenaire de cette confirmation encourager l’Ordre à maintenir et renforcer sa présence à Fribourg. Une présence théologique intégrée pleinement à cette Université, comme l’ont voulu et cherché tant les fondateurs de cette institution que les générations de Dominicains qui ont contribué au rayonnement international et scientifique de Fribourg.

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Le frère Guido Vergauwen

Le frère Guido Vergauwen

Le frère Guido Vergauwen est né en 1944 et a grandi à SintNiklaas (Belgique). En 1962, il entre dans la Province dominicaine flamande. Il étudie à Leuven, Fribourg et Tübingen. De 1993 à 2001, il fut assistant du Maître de l’Ordre pour la vie intellectuelle. Recteur de l’Université de Fribourg de 2007 à mars 2015, le 6 janvier 2015 le Chapitre de la Province dominicaine suisse l’a élu nouveau Provincial.


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