La foi et le doute – Revue Sources https://www.revue-sources.org Thu, 30 Aug 2018 08:37:55 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.3.1 J’ai comme un doute… https://www.revue-sources.org/jai-comme-un-doute/ https://www.revue-sources.org/jai-comme-un-doute/#respond Wed, 29 Aug 2018 13:18:56 +0000 https://revue-sources.cath.ch/?p=2735 Je «doute» en effet que nos lecteurs manifestent un intérêt exceptionnel pour le sujet du dossier que leur présente ce numéro. Me voilà donc en train de «douter» du succès d’une réflexion sur le «doute», alors que cette activité mentale est universelle.

Elle caractérise d’abord les intellectuels qui assortissent d’un bémol leurs assentiments, se gardant bien de qualifier de définitives leurs affirmations, tant l’accès à la vérité leur paraît long et difficile, pour ne pas dire impossible. Le doute peut donc retarder l’engagement, générer l’immobilisme et l’impasse ou la sortie de scène.

Le doute tuerait-il la foi ou, au contraire, viendrait-il la conforter?

Paradoxalement, le doute profite à l’accusé, lui évite une condamnation et lui permet de conserver toutes ses chances. Le doute est l’ennemi de l’absolu, des certitudes péremptoires et emblématiques. Bien sûr, il se moque des discours de cantine et s’amuse des promesses électorales. Il oblige aussi à travailler, à analyser les comportements et même les traits des visages. Le douteur ne saute pas au cou du premier ou de la première venu, il ne se contente pas de goûter aux fruits appétissants qui ornent le devant du plat; il veut encore vérifier la saveur de ceux qui se cachent au fond de la corbeille. Méfiance! Méfiance! cri du cœur des ruraux de mon pays, à qui «on ne la fait plus».

Le douteur serait-il un rabat-joie qui met son grain de sel ou sa poignée de poivre dans les soirées exubérantes? Ou alors, est-il simplement «réaliste», plus proche de la vérité que ses compagnons naïfs et euphoriques? On n’en finirait pas de bénir ou de maudire le doute, sous toutes ses facettes.

Notre dossier n’a porté son regard que sur une seule facette du doute. Celle où il intervient dans le champ du croyant. Le doute tuerait-il la foi ou, au contraire, viendrait-il la conforter? Les avis divergent, comme les expériences qui les fondent. Notre dossier présente donc des témoignages pas forcément convergents ou concordants. Mais on ne peut mettre en doute l’honnêteté de ceux qui les expriment. Et puis, le parcours de la foi est à ce point personnel que l’on ne peut imaginer qu’une seule trajectoire qui conduit à s’approcher mystère du divin.

Nos lecteurs porteront peut-être leur attention sur les rubriques qui accompagnent ce dossier. Là précisément où la foi est mise en doute ou en valeur. Un frère dominicain rentré de Centrafrique témoigne de la survie de l’espérance au milieu d’un amas de décombres et de désillusions. De même, une céramiste de chez nous met son art au service de notre foi eucharistique. Grâce à ses dons particuliers, une porte de tabernacle n’est pas signe d’absence et de fermeture, mais rayonne de la présence lumineuse de Celui qui habite sous cette tente.


Guy Musy

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De la vérité et du doute https://www.revue-sources.org/de-la-verite-et-du-doute/ https://www.revue-sources.org/de-la-verite-et-du-doute/#comments Wed, 29 Aug 2018 12:55:57 +0000 https://revue-sources.cath.ch/?p=2728 Dans le but de préparer ce dossier dont l’objet est le doute, le frère Guy Musy, rédacteur responsable de la revue SOURCES, a réalisé une enquête auprès de 90 amis et amies. Il leur a posé les questions ci-dessous. Quelques uns ont donné leurs avis dont on lira des extraits, tout en respectant leur anonymat.

La question: Le doute est-il une étape nécessaire sur le chemin qui conduit à la foi? Thomas, l’apôtre, n’avait-il pas raison de mettre en doute les affirmations si peu rationnelles de ses collègues jusqu’à ce qu’une expérience – personnelle – le mette à genoux? Le doute méthodique ne nous fait-il pas progresser vers la découverte de la vérité? Qu’en pensez-vous?

Le douteur fait figure de soupçonneux, de méfiant, de rabat-joie, de perturbateur de l’enthousiasme collectif. A l’opposé, le croyant, avec ses prétendues certitudes, fait preuve de fermeture et finalement de fragilité. La foi qui n’a pas passé par le feu du doute a peu d’assise. Elle risque de s’évanouir au premier obstacle rencontré sur son chemin. Qu’en pensez-vous?

Les réponses:

Foi et doute: des compagnons

Oh que oui. J’abonde tout à fait dans ton sens. La foi et le doute ne sont pas des opposés, des antinomies, mais des compagnons de route. Je doute et je crois. Et croire n’est pas « certitude », mais s’accrocher, dans le doute, à ce qu’on ne voit pas et qu’on ne peux pas prouver.

Jusqu’au vertige!

Il m’arrive de douter jusqu’au vertige. Il m’arrive de douter parce que c’est trop grand, c’est trop beau. J’écoute les athées, les agnostiques et je les comprends. L’un disait l’autre jour: penser qu’un Dieu créateur de l’univers s’intéresse à nos moindres faits et gestes, quelle prétention! Mais oui, on peut penser cela. Mais j’écoute aussi les croyants: certains m’irritent avec leur foi qui ne doute de rien, certains m’édifient parce que leur vie est cohérente, les uns sont de grands savants assez humbles pour reconnaître ce qui les dépasse, les autres sont de simples gens qui font confiance au Bon Dieu et sont accueillants pour tous. Je pense à Jacques Loew assistant dans sa jeunesse à des offices liturgiques où une quarantaine de moines venaient plusieurs fois par jour chanter le Seigneur. Il s’est dit: ou bien ces hommes sont fous mais ils n’en ont pas l’air, ou c’est moi. Finalement, il mit en doute son propre doute. Toujours le mystère pascal: quelque chose doit mourir ici dans l’ordre intellectuel pour accéder à la vérité entrevue et surprise. Quand elle se dévoile, elle est si cohérente que l’intelligence s’en trouve bien.

Technique du doute

Quand j’ai redécouvert la foi, j’ai toujours eu la « technique du doute »: tant que je n’étais pas convaincu, je n’avançais pas, mais je ne fermais pas la porte complètement. Lorsque qu’une bonne explication me montrait la cohérence de la chose, alors l’élément de foi devenait sûr et acquis. Je ne sais pas si j’ai quitté cette approche…Voilà mon expérience du doute.

Le doute devient grâce

Voici un texte de Bertrand Piccard tiré du livre «Changer d’altitude» . Je m’y retrouve bien.

Le doute comme un moment d’ouverture qui crée la conscience? Cela nécessite de définir quelque peu ces deux termes.J’aimerais préciser que lorsque je parle de doutes, je n’entends pas «hésitations». Les doutes ont mauvaise presse lorsqu’ils sont compris comme tergiversation, des réflexions sans fin, qui paralysent nos décisions. Je valorise au contraire le doute comme une attitude d’ouverture à une question sans réponse, à un point d’interrogation, où nous pouvons nous dire: « Je suis sûr de mes doutes et je doute de mes certitudes ». Là, on peut devenir comme un artiste devant une toile blanche. Si ce dernier veut remplir sa toile avec tout ce qu’il a déjà appris, avec tout ce qu’il a déjà fait, il n’arrivera à produire que la pâle réplique de quelque chose d’autre. S’il accepte au contraire dans un premier temps de ne pas savoir ce qu’il va peindre, s’il accepte d’observer sans a priori ce qui va apparaître, il peut réaliser un chef d’oeuvre. En fin de compte, il nous appartient de faire exactement la même chose avec la vie: accueillir la morsure de l’inconnu ; ignorer totalement ce qui va se passer, ce que nous allons rencontrer sur la suite de notre chemin, et en profiter pour créer notre chef-d’œuvre personnel. Il est fondamental de valoriser les questions sans réponses en raison de l’effet qu’elles produisent sur nous. Accepter ce risque nous offre des moment de rupture par rapport à la routine. Des moments qui vont nous rendre plus vivants. Paradoxalement, une telle expérience peut être perçue par certains comme un risque inacceptable. Le face à face avec ce que nous sommes vraiment engendre dans ce cas non plus un moment de grâce mais un début de panique. C’est pourquoi je trouve tellement important de construire en nous le désir d’explorer, de devenir les aventuriers de notre existence. Si nous y sommes parvenus, il est alors de notre devoir d’accompagner dans cette rupture ceux qui nous entourent,

de les aider à passer du moment où ils lâchent une certitude à celui où le doute se transforme en grâce. Non pas en proposant des explications, mais en donnant de la confiance. Je ne crois pas que nous puissions vivre des moments de grâce sans rupture avec notre fonctionnement quotidien. La rupture est fondamentale. C’est elle qui réveille, qui aiguillonne, qui interroge, qui remet en question, qui ouvre le coeur et l’esprit. (…) Dans l’existence, les questions sans réponse, les moments de rupture, de doute, de perte de contrôle, de crise, sont inévitables. A nous de les transformer en moments de grâce.

Debout sur mes deux pieds

Pour croire en Jésus Sauveur deux pieds me sont nécessaires. Le premier est l’expérience des rencontres indicibles avec le Seigneur. Le deuxième est mon intelligence qui raisonne, qui cherche des arguments. Et c’est là qu’intervient le doute, remise en cause de mes certitudes, en voyant par exemple tant de souffrances dans certaines vies, certains pays comme le Bangladesh. Je pose alors mes questions au Seigneur. A certain moment j’ai des éclaircissements, parfois inattendus. Et si le doute se prolongé je m’appuie davantage sur mon premier pied.

Un sujet redoutable

Voilà un thème redoutable à aborder. On parle plus souvent de foi que de doute! D’abord de quel doute s’agit-il? Que Dieu existe? Que Dieu soit réellement présent en chacun et pour toujours? J’imagine que c’est de ce doute-là dont on veut parler.

J’ai de la peine avec ce verbe douter, qui me paraît avant tout provenir du registre purement intellectuel, celui d’un concept philosophique valorisant le fait de rester humble et de se méfier de toute certitude. Une attitude qui me semble par ailleurs tout à fait sage et opportune. Personnellement, je n’ai jamais expérimenté ce doute «primaire». J’ai douté en revanche que le Dieu dont j’entendais parler à certaines occasions était Celui que j’avais envie de rencontrer.

Douter de Dieu tout court, n’est-ce pas continuer à «penser» Dieu intellectuellement, comme s’il était extérieur à soi? Ou alors ce peut être déjà une manière d’admettre son existence: la personne qui se dit agnostique exprime plus volontiers un «je ne crois pas» plutôt qu’un «je doute». Oui, la démarche de la foi me semble être une prise de risque qui ne laisse pas place à la raison ni à la prudence… «Et si c’était vrai?», dit la chanson….

Maintenant, il faut se résoudre à une réalité: Mère Theresa de Calcutta a déclaré qu’elle a passé plusieurs décennies à douter. Et bien d’autres pourraient faire cette déclaration, j’en ai le sentiment. Mais ne devrait-on pas parler plutôt d’une forme de détresse spirituelle ou d’un découragement? Il est dit dans la Bible que Dieu habite nos entrailles (Sophonie 3,17) et pourtant, malgré cette promesse d’intimité profonde, il nous arrive de douter de son existence au quotidien, ou à douter d’être aimé de Lui. Certainement parce que nous ne sommes pas ou plus capables d’en faire l’expérience. Des événements comme la maladie, la dépression, ou d’autres épreuves nous déstabilisent et nous coupent du lien avec le Vivant qui nous habite.

Des clefs en main

J’aurais eu de la peine à me prononcer sur le sujet du doute si je n’avais pas quelques clés en main: un passage de Job et un livre, «La seconde conversion», du prêtre André Gromolard. Selon lui, le croyant doit passer d’une foi enfantine à une foi adulte. Un chemin qui passe par celui de s’apprécier soi-même et d’accepter ses limites et…le risque! «Oser la bienveillance» dit Lytta Basset qui a fait de cette expression le titre d’un de ses livres. Gromolard nous dit que la première conversion, qui a lieu lors de notre baptême, ne suffit pas toujours à nous maintenir vivants dans notre foi. Il n’hésite pas à parler de «dépression post-baptismale».

Et Job? A force d’aller jusqu’au bout de sa détresse et de donner libre cours à sa colère, quitte à s’en prendre à Dieu lui-même, Job change de regard sur lui-même. Jusque-là, il avait l’impression d’être seul au monde. Puis il s’accepte vulnérable, mais libre. Il «sait» qu’il a un défenseur vivant (19, 25-27). Ce savoir-là se base désormais non plus sur une doctrine, mais sur son expérience (car «je sais», en hébreu, est l’expression d’une expérience vécue, apparemment). Job poursuit: «Je ne te connaissais que par ouï-dire, mais maintenant, mes yeux t’ont vu. Aussi je retire mes paroles et j’abandonne la poussière et la cendre» (42,5-6) Il me semble que Job passe ici d’une foi dogmatique, intellectuelle, une foi de connaissance (certes reçue, mais malgré tout intellectuelle) à une foi d’expérience. Job exprime toute sa colère, met Dieu en procès, et Celui-ci ne le lui reproche aucunement. C’est lorsqu’il aura pu exprimer tout ce qu’il a sur le cœur qu’il parvient à changer de regard sur lui-même et à sortir de son sentiment d’isolement.

Nous aussi, puissions-nous découvrir un «autre Dieu» que celui qu’on invoque quand tout va bien ou tout va mal. Puissions-nous ne douter que d’un Dieu qui pense les plaies, mais croire à un Dieu qui marche «au milieu de nous» ( Lv 26,12 et Sophonie 3, encore), là où nous sommes, et quel que soit notre état. Et pour cela, rester à l’écoute, de soi, de l’autre, en état de réceptivité, vivre l’expérience. Le premier commandement est «écoute, Israël», et les verbes qui suivent sont au futur. C’est une promesse qui nous est faite. Alors oui, peut-être bien que l’épreuve du doute est nécessaire pour aller vers une foi plus libre et plus mature.

Les uns et les autres

Compliments. Vous touchez ici la différences la plus importante entre les personnes. Certaines ont besoin de certitudes pour vivre; d’autres peuvent survivre avec la doute et l’incertitude.

Pas une étape nécessaire

Je n’oserais pas dire que le doute est une étape nécessaire sur le chemin qui conduit à la foi: certains l’ont dès le moment où la vie leur est donnée, comme une « sensorialité » naturelle: ils voient, entendent, touchent, parlent… et croient avec la même évidence naturelle et sereine. Ensuite, il faut qu’ils s’approprient le contenu et la forme de leur propre foi mais ils ne doutent jamais. Il leur est difficile de transmettre leur foi parce qu’elle est un cadeau du ciel, au même titre que la santé ou l’aptitude sportive ou l’art des mathématiques ne se transmettent pas… Il leur arrive d’en être fiers et cela me parait non justifié: qu’ils soient dans la gratitude oui, ils peuvent et doivent l’être ; dans la fierté non. Dans la suffisance donneuse de leçon encore moins!

La foi de ceux qui sont passés par le doute, puis la quête, l’enquête même, est différente. Je ne dirai pas plus forte mais comme cautionnée et consolidée par le chemin volontairement accompli fait d’observations, de livres lus, de rencontres choisies, de pugnacité et d’espérance. Parce que leur foi est le fruit d’un travail réel, lent, élaboré, ils peuvent transmettre davantage, par le partage des chemins suivis pour aboutir.

On ne peut pas opposer une foi à une autre en terme de valeur, de mérite ou de force. Celle qui est allée au devant et au risque du doute me parait simplement plus personnalisée: construite par un intellect particulier, une sensibilité unique. Peut-être qu’il faut honorer et utiliser ces deux accès à la paix en Dieu: par la certitude et par le doute. Cela me fait penser à cette fresque célèbre de Raphaël qui se trouve au Vatican. On y voit Platon qui, le doigt pointé vers le haut, désigne « le ciel des idées », et Aristote qui montre la terre pour opposer le réalisme. Pour moi, la foi doit additionner les deux: la conception idéaliste/spirituelle qui tire vers le haut – sans preuve et c’est du courage -, et l’acceptation de l’incarnation qui nous confronte au réel, à gérer sans perdre de vue l’idéal. Et c’est du courage également. La foi peut avoir une composante utile, ou « utilitaire », de motivation ou d’alibi:
– utile et de motivation lorsqu’elle permet de vivre pleinement et concrètement son incarnation parce qu’elle donne un sens essentiel aux actes. Utilitaire et d’alibi quand elle permet de fuir le monde dans sa réalité imparfaite pour s’assimiler à l’Absolu, l’excellence, jusqu’à cultiver une certaine prétention qui dispense de donner sa part ici-bas.

Le croyant qui ne connaît pas le doute me fait envie souvent et parfois un peu peur: son absolutisme peut devenir une forme d’intolérance fascisante. Les guerres de religion n’ont pas dû réjouir le Dieu d’amour invoqué pour tuer en son nom!

Dernière chose: il y a pour moi une dichotomie entre l’accès à la foi, doute inclus à accepter pour le dépasser, et la discipline exigée par l’Eglise, prompte à condamner, excommunier (et je rends grâce à notre Pape actuel dont la parole est compréhensive et charitable). Sur le plan purement psychologique, j’attire toujours l’attention des enseignants en charge d’éduquer sur la nécessité de condamner fermement certains actes qui sont clairement des manquements à la morale, ce qui ne doit pas revenir à condamner la personne qui les a commis, qu’il faut au contraire aider à continuer à croire en son aptitude à devenir meilleure. C’est une chose de dire à un enfant: l’acte que tu as commis est moche ; c’en est une autre de lui dire: tu es moche. Pour moi cela a à voir avec la foi: foi dans le meilleur de soi possible, par tâtonnements, erreurs et doutes acceptés, pour les dépasser. C’est en cela que l’Eglise doit aider: en incitant et encourageant, pas en condamnant l’individu.

A ce titre, pour la personne qui ignore encore si elle est simplement humaine et mortelle ou fille de Dieu et immortelle, savoir que sa dignité est dans les deux cas de chercher pour trouver est un énorme encouragement pour chercher encore et encore, sans dramatiser de n’avoir pas encore trouvé.

Pourrait-on en conclure que l’homme qui a toujours douté mais cherché et mené une vie soucieuse de morale et de générosité, sera mieux accueilli par Dieu que celui qui a vécu planqué derrière une foi tranquille mais sans grand souci d’application et d’altruisme?
Mais peut-être que le mot « croire » est un oxymore à lui tout seul, puisqu’il dit tout à la fois la certitude et le doute: quand on me demande: « Vous avez la foi vous? » et que je réponds « je crois » , je ne suis pas très sûre de ce que cela exprime!

Les deux Thérèse

La question est provocante. Elle pose une alternative, blanc et noir, peu réelle. La foi est aussi multiforme que les individus, je pense. Certains la vivent avec un émerveillement de tous les jours, comme les enfants du Royaume. Bienheureux ceux-là! Il y a ceux qui mûrissent à travers les questionnements successifs et se font une foi « solide » adulte, raisonnée. Il a ceux plus affectifs qui s’enflamment, se déprennent, reviennent etc…Il y a ceux qui luttent contre le doute, jour après jour, et se confient à leur volonté pour rester accrochés. Il y a ceux que le doute emporte…

Quant à votre jugement, à l’emporte pièce, qui affirme que le croyant, avec ses «prétendues certitudes» ferait preuve de fermeture? Je répondrais que la foi est d’abord vécue et que le témoignage qu’apporte une telle vie est reconnu très largement: Soeur Emmanuelle, Jean Paul II, mère Teresa avec ses doutes… Et, tout récemment, Arnaud Beltrame). Ces témoins ne sont pas «fermés» ni «fragiles». Les convictions ne s’expriment que par des actions. Alors pour être honnête, il faut que je me situe…Et je suis bien mal placée. Car le doute m’habite, et m’a toujours habitée. Ce n’est pas la peur de l’engagement, de ce qui pourrait m’être demandé. C’est la primauté de la raison raisonnante, peut-être innée, sûrement inculquée, qui me fait douter devant un catéchisme qui demande tant de renoncements intellectuels. Et une question me bloque totalement: que comprend-on sous le nom de Providence? Quel rôle joue Dieu dans l’histoire des hommes?

La théologie m’a beaucoup apporté. La grâce aussi. Malheureusement le doute est revenu, très violemment. Et si les psaumes demandent au Seigneur qu’il n’abandonne pas son peuple, c’est moi, je crois, qui ne lui ouvre pas la porte. Je ne peux donc me plaindre de son silence.

Alors que me reste-t-il? Le doute et l’absence. Je me demande bien d’ailleurs comment les deux Thérèse ( la «grande» et la «petite» ont vécu leurs doutes crucifiants. Pour ma part, je recours à la volonté pour persévérer, accepter l’obscurité. Mais aussi à travers l’action inspirée par l’Evangile (en particulier, Matthieu 25). Mais peu de prière pour obtenir la foi de l’enfant, celui qui ne doute pas de ses parents et se laisse conduire confiant, aimant.

Une seule certitude: l’Amour

Le doute? De par l’éducation des années 50 en Valais (et ailleurs), qui n’a pas fait (ou subi) l’expérience d’un d’un Dieu qu’on suivait par habitude ou par obligation, et qui freinait la liberté de l’homme? Il y a là-dessous la docilité sincère d’êtres en quelque sorte “formatés“ et bien obéissants: la question du doute ne se posait même pas: Dieu nous aime et il faut le croire: telle est la Vérité.
Face à cette situation, peut-on fortifier sa foi autrement que par le doute? Peut-on vraiment dire qu’ “une foi qui n’a pas passé par le feu du doute a peu d’assises“? Il me semble que non. Et ceci paradoxalement par l’expérience de la souffrance, en l’occurrence pour moi, celle d’une hospitalisation. Certes, Dieu ne désire pas la souffrance de l’homme: Jésus a guéri les malades, chassé les démons, pleuré devant le tombeau de Lazare, etc… Et l’homme doit faire tout ce qu’il peut pour la combattre. Mais la souffrance est aussi un feu purificateur. Comment? Non pas nécessairement par une forme de “communion mystique“ avec le Christ en croix. Mais soudain, l’expérience inexplicable et forte de se sentir aimé plus que jamais. Il paraît que ce n’est pas inhabituel, m’a dit un prêtre ami.
Bien sûr, j’ai toujours été persuadé de l’amour de Dieu, mais depuis, comme dit Simone Weil, pour moi, Dieu est “j’aime“: c’est une certitude absolue et c’est toute la différence. Mais en sera-t-il toujours ainsi? Mystère. Je suis certain que les chemins de la foi sont multiples et dépassent toute logique. Doutes obligatoires ou pas, un jour ou l’autre dans notre vie. Je n’en sais rien. Dieu va au-delà de ce que l’on peut penser quand il s’agit de rejoindre la Vérité, qui est avant tout une question d’Amour.

Une certitude inquiétant

Le doute, cette « certitude » inquiétante dans l’orientation écologique de notre planète. Le doute, cette prudence intellectuelle dans la quête de vérité. Le doute, cette humilité dans la confiance de nos relations humaines. Le doute, ce désir trop souvent dissimulé sur l’itinéraire de notre confiance en la Vie.

Thomas, l’incrédule?

Un verrou était apposé sur les portes du Cénacle, mais un autre verrou bouclait le cœur des apôtres, effrayés, choqués non seulement par la mort de Jésus, mais par cette mort: le supplice de la croix. Comment fait-on pour continuer de vivre après un tel drame? Comment renaître à l’espérance quand on a perdu un être cher, et parfois dans des conditions terribles, comme lors des récents attentats en France? Surmontant leur chagrin, se souvenant du geste de Jésus leur partageant son corps et son sang, au soir du Jeudi Saint, les disciples étaient réunis, le premier jour de la semaine. Et voilà que Jésus était là, au milieu d’eux, vivant, et leur offrant sa paix, sa joie, son pardon. Expérience inoubliable qui fonde notre foi. Oui Jésus est vivant: ce n’est pas un rêve ni une seule espérance. Oui, il est apparu à Marie-Madeleine, aux femmes, aux apôtres, à Paul. Oui, l’incroyable est à croire, l’inouï a été entendu, l’impossible s’est réalisé: la mort est vaincue et Jésus nous donne sa paix et sa joie face à la mort. Oui Jésus est vivant: ce n’est pas un rêve ni une seule espérance.

Mais pas de chance: Thomas était absent. Il avait raté la messe du dimanche. Simple panne d’oreiller? Peut-être, à moins que le choc de la mort de Jésus ait commencé d’inscrire en lui de la distance, comme une hésitation.Il aurait aimé pouvoir y croire, mais était-ce bien vrai? Le vigoureux Thomas ne pouvait se suffire d’un espoir. Les disciples lui avaient certes annoncé qu’ils l’avaient vu vivant, mais leur témoignage n’avait pas prise sur lui: bien des contemporains pourraient en dire autant… Il lui fallait une expérience vive, une rencontre aussi forte que le spectacle horrible de la mise en croix. Il voulait être certain que Jésus, son maître et son ami, avait triomphé réellement de la violence, de la haine et de la mort. On a fait de Thomas le patron des incrédules… Il mérite mieux et chaque fois que j’entends cet évangile, j’ai envie de prendre sa défense. Certes, Thomas s’appelle aussi Didyme, c’est-à-dire Jumeau. Surnom symboliquement fort: en son âme se disputaient foi et doute. Mais de tout son être, il aspirait à la foi, à une foi forte et surtout à une rencontre avec Jésus. Bienheureux Thomas dont la foi était si exigeante!

Heureusement, le dimanche suivant, il surmonte son doute et se joint aux disciples pour la célébration de l’eucharistie. Et voilà que Jésus est là, au milieu d’eux. Remarquons que Jésus ne fait aucun reproche à Thomas mais répond à sa demande de réalisme. “Avance ton doigt ici et vois mes mains; avance ta main et mets-la dans mon côté: cesse d’être incrédule, sois croyant“. Alors Thomas peut reconnaître et adorer Jésus. C’est maintenant Pâques pour lui: le passage du doute à la foi, de la mort à la vie. Mais, me direz-vous, chacun n’a pas la chance de bénéficier d’une apparition du ressuscité! C’est précisément en pensant à nous que Jésus proclame: “Heureux ceux qui croient sans avoir vu!“. En tenant à la foi des apôtres et en participant à l’eucharistie nous pouvons nous aussi, comme Thomas, vivre le même passage du doute à la foi, de la peur à la paix.


Guy Musy, rédacteur responsable de la revue SOURCES

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Le doute: une expérience positive https://www.revue-sources.org/le-doute-une-experience-positive/ https://www.revue-sources.org/le-doute-une-experience-positive/#comments Wed, 29 Aug 2018 12:38:55 +0000 https://revue-sources.cath.ch/?p=2722 L’expérience du doute dans ma vie de croyant a été paradoxalement toujours assez positive. C’est pourquoi j’ai osé faire l’éloge du doute devant le Conseil d’État de Fribourg en l’année de la foi 2012. Le texte, Plaidoyer pour un doute, a déjà été publié dans cette revue en 2013.

Une force qui dérange et m’ouvre à la rencontre. Le doute est une aide précieuse pour ma conscience, une force dérangeante mais vivifiante pour toute ma vie intérieure. Je parle du doute qui, me révélant mes incertitudes, m’oblige à aller voir ce qu’il en est. En effet l’intelligence ne peut se reposer sans certitude. Penser, chercher le vrai, c’est chasser mes incertitudes en allant vérifier ce que je mets encore en doute.

Bien sûr cela suppose de combattre ma mauvaise foi qui cache, sous l’ombre du doute, mes conclusions hâtives: celles émises sans certitude. Prenons un exemple. Si je ne suis pas certain d’avoir fermé le gaz en partant, ai-je le droit, dans le doute, d’évacuer simplement cette question? La mauvaise foi abuse du doute au lieu d’éliminer l’incertitude. Elle l’empêche de faire son travail: mettre au jour mon besoin de certitude qui me pousse à vérifier, à aller voir pour expérimenter, pour rencontrer. La rencontre avec un témoin crédible permettra en effet à mon cœur de se reposer malgré l’inévidence du fait. Je téléphone donc à mon voisin. Lui-même a plutôt intérêt à ce que la manette du gaz soit bien positionnée! La confiance en lui me permettra comme de voir par ses yeux. Le doute pousse donc mon intelligence à ne se reposer que dans le vrai. Sans lui elle s’assoupit dans le vide. Remarquez que le doute m’aura permis en plus de faire l’expérience d’une relation. Être en paix ne se peut sans les autres, c’est vivre et penser en lien avec les autres.

Quant à la foi en Dieu, le doute réveille mon besoin d’une présence. Idées ou discours sur Dieu n’offrant vite plus aucun repos, le doute réclame que je me débarrasse de tout ce que j’ai accumulé intérieurement entre Dieu et moi. Vaste chantier qui exige le silence, cet ami indispensable de la vérité et de la paix, ami devenu si rare. Lui seul permet de laisser monter lentement en moi la voix immense et douce de Dieu. Avec elle, je peux aussi entendre celle de cette foule de témoins qui nous entourent (cf. Heb 12, 1). Car ils sont nombreux les témoins de la Source incompréhensiblement généreuse, innombrables même mais humbles et discrets comme Celui dont ils témoignent. En revanche celui qui évite le silence pour ne pas affronter ses doutes se sent cruellement seul et aucune de ses multiples connexions ne pourra lui apporter la consolation que son cœur attend.

Un devoir du soupçon et la crédibilité de l’Église?

Il existe un lien profond entre la foi en Dieu et la confiance dans la communauté des témoins. C’est pourquoi, partant de mon expérience de père abbé, j’ajouterai un petit complément à cette réflexion au sujet de ce doute particulier que l’on nomme le soupçon. Saint Benoît, dans le chapitre 64 de sa Règle, l’institution de l’abbé – un des joyaux de la sagesse chrétienne –, indique comment l’abbé doit se comporter et précise (v.16): Qu’il ne soit ni turbulent, ni inquiet; qu’il ne soit ni excessif, ni opiniâtre; qu’il ne soit ni jaloux, ni trop soupçonneux; sinon, il n’aura jamais de repos.

Ce «pas trop soupçonneux» me donne souvent à penser. Benoît n’aurait-il pas dû dire que l’abbé ne doit pas être soupçonneux du tout? Quelle part faire aux soupçons dans une vie communautaire cloîtrée, dans une équipe de travail ou dans une famille? Ne faudrait-il pas bannir à jamais la méfiance et les suspicions pour privilégier la confiance mutuelle, une bonne ambiance de collaboration ou pour nourrir l’harmonie familiale? Qui aimerait avoir un chef ou un père soupçonneux, ne serait-ce qu’un peu?

En réalité Benoît n’est pas naïf. Il sait bien que l’homme est capable du pire. Nombreux sont les chapitres de la Règle qui décrivent la possible catastrophe dans telle ou telle situation. Certains pourraient en être horrifiés. D’autres en sont réconfortés. Les conseils de Benoît accompagnent les communautés quelle que soit la tempête qu’elles traversent. Et rares sont les pères abbés qui ne peuvent encore se rassurer en constatant que leur communauté n’est pas pire que celle du grand patriarche d’occident.

Effectivement nous sommes capables du pire puisque Dieu nous a fait capables du meilleur, c’est-à-dire libres. Saint Benoît demande à l’abbé d’accompagner chaque frère sur le long chemin de sa liberté. Et sur ce chemin, même le meilleur tombera. Le si intègre roi David, emporté par sa passion pour Bethsabée, est devenu en un instant un roi corrompu bien pire que Saül, allant jusqu’à abuser de l’intégrité d’Ourias pour le faire périr au combat (cf. 2 Sm 11). Et faut-il nommer ces grands noms du renouveau spirituel postconciliaire qui ont guidé des générations entières? Presque déjà canonisés de leur vivant, ils se sont révélés tragiquement défaillants, pour en rester à un euphémisme. Même le meilleur tombera; le saint étant celui qui se relève le plus vite.

Ce ne sont donc pas des loups que le Seigneur envoie au milieu des brebis. Pourtant saint Benoît semble prévoir comme un risque normal le fait que la brebis se change un jour en loup. Cependant, tempère-t-il, ne soyez pas non plus trop soupçonneux! Certes, mais comment blâmer ces baptisés scandalisés dans leur foi – ou pire encore – par des pasteurs devenus abuseurs? Force est de comprendre leur doute. Et nous, combien de fois avons-nous évacué un doute sur l’intégrité d’une personne que tous vénéraient? Combien de victimes se sont vues refuser une écoute pour qu’aucun doute ne vienne abîmer nos belles icônes déjà nimbées d’encens?

Que faire alors? Vivre dans le soupçon? Non. Au contraire: laisser le doute m’emmener sur le chemin du vrai qui est toujours celui de la rencontre. Si un frère éveille mon soupçon, je ne peux m’endormir sans lui avoir parlé, sans l’avoir rencontré. Vivre en communauté c’est-à-dire vivre en communion, c’est nourrir et servir la confiance mutuelle. C’est donc ne pas supporter longtemps ces doutes qui m’empêchent de laisser mon cœur se reposer dans la bienveillance de mon frère. La rencontre ne révèlera souvent qu’un simple et si fréquent problème de communication, mais parfois aussi, c’est bien une brebis en errance qu’elle permettra de découvrir.

Et pourquoi ne pas le dire aussi puisque saint Benoît le prévoit d’emblée (cf. RB 64, 3-6)? En tant que père abbé, j’espère que l’on ne me laissera pas trop longtemps errer, si – à Dieu ne plaise – ne sachant me relever vite de mes chutes je devenais «complice de mes vices». Ce lien entre la foi en Dieu et la confiance dans la communauté des témoins est grave. Notre Règle souligne que nous en sommes tous responsables sans quoi l’Église perd son statut de communauté de croyants. Si un soupçon apparaît alors il ne s’agit ni de le faire taire ni de le faire bavarder mais d’aller vérifier ce qu’il en est puisque rien ne peut reposer sur ce qui n’est qu’un doute, ni notre cœur, ni nos actions, ni nos discours. Une brebis qui commence à errer peut devenir si sauvage que sa transformation en loup est probable. Pourra-t-on l’accuser, elle seule, si tant de signes n’ont pas pu réveiller nos doutes sur le drame qui se jouait? Le père abbé comme n’importe quel pasteur – c’est-à-dire n’importe quel chrétien – doit savoir que de son doute dépend peut-être le relèvement de son frère, et de ce relèvement dépend aussi la foi de ceux qui ont besoin de la crédibilité de l’Église. Autrement dit notre crédulité a déjà trop abîmé la crédibilité du témoignage chrétien et donc suscité le doute chez nos contemporains.

La conversion du doute

J’insiste par conséquent pour souligner la finesse de saint Benoît conseillant de n’être pas trop soupçonneux. D’ailleurs, il ne prétend pas qu’il faille laisser le champ libre à notre regard accusateur. Adam a réussi à soupçonner même son Créateur sous l’influence du serpent. S’il n’avait pas laissé planer le doute pour conclure sans certitude, il aurait eu le courage d’aller à la rencontre de Dieu pour le questionner sur cette prétendue jalousie et sur ces menaces de mort. Mais il a eu peur, c’est-à-dire qu’il a laissé l’accusation structurer toute son existence. Il s’agit maintenant de nous méfier d’abord de ces peurs et de ces inquiétudes qui nous habitent. C’est pourquoi nos soupçons doivent se porter en tout premier lieu sur nos propres pensées. En allant à leur rencontre, nous découvrirons facilement qu’elles ne sont la plupart du temps que des conclusions abusives. Il faut donc, en somme, soupçonner nos propres soupçons et douter de nos doutes!

Enfants d’Adam, nous avons à transformer la structure intérieure de nos pensées. On nomme cela la conversion. Elle est ce renouvellement de notre jugement (Rm 12, 2), ce retournement intime vers la Source infinie de bonté qui nous porte. Nous capturons toute pensée pour l’amener à obéir au Christ, dit encore saint Paul (2 Co 10, 5). Aucune question, aucune peur, aucune inquiétude, aucune conclusion ne doit plus errer seule sans s’être replongée en cette présence. Alors, aussi paradoxal que cela puisse paraître, une foule de doutes peut continuer de nous habiter. Qu’importe en effet mille incertitudes si la puissance de l’amour continue de battre en nos veines? Cette unique certitude donne tant de paix (cf. Ph 4,7) que tout le reste peut demeurer sans conclusion, ni hâtive ni donc abusive. Cela nous laisse devant moult questions ouvertes, certes, mais c’est ainsi que la vraie foi chasse progressivement les couches successives de notre mauvaise foi.

Cette certitude que Dieu nous aime malgré tout, saint Paul explique qu’il la puise dans un double témoignage qui n’est qu’une seule et même expérience: celle de l’amour du Christ (cf. Rm 8, 35-39), le témoin fidèle du Père et celle de l’attestation intérieure de l’Esprit Paraclet qui nous pousse à invoquer Dieu en lui disant «Abba-Père» (cf. Rm 8, 15-16). Autrement dit, il nous est donné de pénétrer le mystère même de la Trinité. La perspective change alors car en participant à sa vie intime, c’est dans le questionnement même de Dieu que nous pouvons entrer. Car Dieu a des questions: «Adam où es-tu?» (cf. Gn 3,9). Il interroge Adam pour ne pas laisser le doute planer plus longtemps. Bien vite Dieu cherche donc la rencontre car il sait bien, lui, que si Adam a été capable du pire, c’est parce qu’il est aussi capable du meilleur. De cela Dieu n’en a aucun doute.


Le frère Marc de Pothuau est Père Abbé du monastère cistercien d’Hauterive, près de Fribourg en Suisse.

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L’ombre d’un doute https://www.revue-sources.org/lombre-dun-doute/ https://www.revue-sources.org/lombre-dun-doute/#respond Wed, 29 Aug 2018 12:21:46 +0000 https://revue-sources.cath.ch/?p=2719 Imaginons: un groupe venu au monastère de Chalais demande à rencontrer une soeur. Suite aux questions rituelles concernant la couleur de l’habit, les horaires de la communauté, l’emploi du temps quotidien, vient « la » question par excellence « Comment êtes-vous arrivée ici? »

Pour ma part, j’évoque l’appel de Dieu qui se traduit par une attirance profonde, irréductible à toute explication extérieure et un engagement « à la vie jusqu’à la mort ». « Mais, vous n’avez jamais eu de doute sur votre vocation?  » Me voilà au bord de la plongée sous-marine, répondre « non », c’est m’exposer à l’inquiétude générale et même à une sorte de déception. Aujourd’hui, bien souvent, le doute rassure, il offre à la réponse une fragilité qui lui donne une apparence de réalité plus crédible et donc garantit son authenticité. Jouer la carte de la vérité est toujours le meilleur parti, même si, sur le moment, il y faut un certain courage et la grâce de Dieu.

Je n’ai jamais douté

Eh bien non, je n’ai jamais douté de l’appel depuis qu’il est devenu certitude à l’âge de seize ans, lors d’une balade à vélo sur les routes de Seine et Marne. Mon journal secret de jeune fille en a été seul témoin à l’époque. Pas de révélation, ni de vision, là, on peut être rassuré ! Rien qu’une affirmation, une confirmation intérieure, secrète et ferme. Et, dans les événements et rencontres qui suivirent offrant d’autres choix, l’assurance de ma liberté face à celle de Dieu. Le « oui » de l’envol n’en fut que plus puissant.

Pourtant, les accidents de parcours n’ont pas manqué sur la route de la foi et de sa pratique dans une communauté où la fraternité est un trésor caché dans le champ de la vie quotidienne. La question des anciens au sujet d’un candidat à la vie monastique: »Cherche-t-il vraiment Dieu? » est toujours d’actualité. « Est-ce que vraiment, je cherche Dieu ou est-ce moi-même? Suis-je en train de me fabriquer un ‘kit de survie’ ou bien est-ce que je donner ma vie par amour? » La réalité ne ment pas, elle résiste, et peu à peu je découvre que c’est Lui, Dieu, qui me cherche et me trouve, comme la brebis perdue de l’évangile

Mais les tentations n’ont pas manqué.

Les angoisses, les incapacités d’aimer, l’opacité de la vie et de la mort, les tentations multiples nous persuadent, s’il en est besoin, de nos humaines fragilités mais nous découvrent tout en même temps la force de la grâce « qui se déploie dans la faiblesse », comme le dit l’apôtre Paul.

Une communauté de moniales peut se trouver en proie à la tentation. On voudrait tant se sentir fortes, assurées de l’avenir ! Oui, mais là encore, il faut nous en remettre à Dieu qui nous tient et nous soutient. Tout miser sur la foi en celui qui nous a appelées, ce n’est pas rien. Dans la communion fraternelle, quand l’une tombe, l’autre la relève et nous avançons, tantôt boitant, tantôt courant sur les rudes chemins du plus grand amour.

Douter de soi mais garder sa certitude

Autre chose est de douter de soi, de ses capacités ou de celles des autres et de mettre en doute la vocation qui nous attire ensemble, au-delà de nos horizons, « aux frontières » et même « hors frontières », à l’extrême. Bien sûr, il m’est arrivé de douter de moi-même, de perdre coeur et même de tomber, mais je dois confesser avoir gardé intacte la certitude initiale.

Nous avons trop souvent tendance à oublier un point fondamental que saint Paul rappelle aux chrétiens de Rome: « Les dons gratuits de Dieu et son appel sont sans repentance » (Rm 11, 29). Ce qui est donné est donné. Le doute n’a aucune prise sur la foi, notre liberté étant sauve. Et la foi trouve sa confirmation dans les actes. « Ainsi donc la foi, si elle n’est pas mise en oeuvre est bel et bien morte » (Jc 2, 17). La mise en oeuvre de la foi, c’est « l’amour » dans ses gestes les plus simples mais aussi les plus vrais et « l’amour parfait bannit la crainte. » (I Jn 4, 18).

Amis qui lirez ces humbles lignes, croyez que l’amour de Dieu a infiniment plus de poids que les doutes qui parfois vous assaillent. Et recevez cette Parole du Christ: « Ne crains pas, crois seulement »(Mc 5, 36).


Sœur Pascale Dominique est une moniale dominicaine du Monastère de Notre-Dame-de Chalais en Isère (France).

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La traversée du doute https://www.revue-sources.org/la-traversee-du-doute/ https://www.revue-sources.org/la-traversee-du-doute/#comments Wed, 29 Aug 2018 12:15:21 +0000 https://revue-sources.cath.ch/?p=2714

«Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté?» Mt 14, 31

Jésus semble être bien injuste envers son disciple Pierre. D’abord il lui demande l’impossible, à savoir de marcher sur les eaux. Pas seulement sur les eaux paisibles d’un lac de montagne, mais bien sur les flots turbulents et déchaînés d’un lac tempétueux, comme peut l’être celui de Tibériade. Par la suite, il lui reproche d’avoir douté: n’était-il pas injuste de lui adresser ce grief?

Ce lac tempétueux, ne serait-il pas notre propre cœur, que le prophète Jérémie définit comme compliqué et malade (Jér 17, 9)? Celui d’un moine n’y fait pas exception. Combien de fois a-t-il déjà été secoué par les vagues violentes du doute: doute sur lui-même, sur les autres, sur Dieu. Sans nécessairement douter de sa propre vocation, que de fois n’a-t-il pas douté des modalités dans lesquelles celle-ci se concrétise dans le quotidien.

Je n’arriverai jamais à bout de mon problème; alors, à quoi bon faire de nouveaux efforts? Ce frère-là n’est vraiment pas digne de ma confiance; que de fois l’a-t-il trahie? Pourquoi cette responsabilité, cette tâche et pas cette autre dans laquelle je me sentirais bien plus à l’aise et où je pourrais donner le meilleur de moi-même?Suis-je vraiment compris? Dieu lui-même, me comprend-il? Pourquoi Dieu me met-il à l’épreuve?

Pierre met Jésus à l’épreuve

Dans le récit matthéen qui fait marcher Jésus sur les eaux, je suis toujours frappé en constatant que ce n’est pas le Christ qui met Pierre à l’épreuve; c’est plutôt l’inverse: Jésus vient de dire à ses disciples sur la barque: «Courage, c’est moi, ne craignez pas». Pierre, pris entre la stupeur et le besoin de réconfort, lui rétorque au quart de tour: «Si c’est toi, ordonne que je vienne vers toi sur les eaux.». Etrange demande qui fait écho à une demande analogue, dans un contexte bien plus troublant: «Si tu es le Fils de Dieu, dis que ces pierres deviennent du pain» (Mt 4, 3). La réponse sans ambiguïtés de Jésus est bien connue. Avec Pierre, elle est plus nuancée: Jésus n’ordonne pas, il invite: «Viens!».

Il semblerait donc que, ici, ce soit Pierre, plongé dans la crainte et le doute, qui mette Jésus à l’épreuve. C’est comme s’il lui disait: «Si tu es Dieu…». Le doute se manifeste souvent en nous quand nous mettons plus ou moins consciemment Dieu à l’épreuve. Et Lui, dans son infini respect de notre liberté, ne peut qu’acquiescer, et laisser faire. Il n’interviendra que quand l’épreuve deviendra insoutenable, et encore, uniquement avec notre consentement.

Le doute vaincu par la confiance

Or le doute, comme le soupçon, a très souvent sa source dans un manque de confiance que nous cultivons dans notre cœur, que ce soit en nous-mêmes, en les autres, ou en Dieu lui-même. Nous ne pouvons le vaincre que par son contraire: par la confiance, c’est-à-dire par la foi.

N’est-il pas vrai que quelqu’un qui ne voit autour de lui que des voleurs ne sera toujours entouré que par des voleurs? Par contre, qu’en est-il de celui qui pose toujours (ou s’efforce de le faire) un regard confiant sur ceux qui l’entourent? N’est-il pas toujours en sécurité? Pensons par exemple au prince Mychkine dans le roman L’idiot de Dostoïevski.

La prière contre le doute

Je ne sais pas si et dans quelle mesure une communauté monastique est mieux armée contre le doute. Etant donné que c’est une question de foi, des religieux voués à la prière continuelle devraient en tout cas être plus exposés que d’autres au doute dans leur combat spirituel journalier. Les récits des Pères du désert nous en donnent quantité d’exemples. Ce qui est certain, c’est qu’ils disposent, dans la mesure où ils savent ou veulent s’en servir, de nombreux instruments pour faire face au doute qui guette à tout moment, et le combattre: le plus efficace, comme le souligne St Benoît s’agissant de redresser les moines les plus rétifs à la discipline de la Règle (RB 28, 4-5), c’est la prière.

Sept fois par jour, et à heures strictement fixées, la prière commune convie les moines au chœur pour leur rappeler que Dieu est Dieu et qu’il aime son humanité. Une première fois, au cœur de la nuit, la prière s’ouvre avec une invocation: «Seigneur, ouvre mes lèvres, et ma bouche annoncera ta louange!» (Ps 50, 17). La louange ne peut advenir que quand la grâce divine a rendu nos lèvres disponibles. Chaque matin est une résurrection! Mais, par la suite, de Laudes à Complies, de l’aurore au crépuscule, c’est toujours un appel de détresse qui ouvre chaque office: «Dieu, viens à mon aide. Seigneur, viens vite à mon secours!» (Ps 69, 2).

Dans le tumulte de chaque journée, sept fois par jour le Seigneur rappelle au moine que sans Lui personne ne peut rien faire, l’invitant régulièrement à une sorte de bref Sabbat restaurateur qui remet les pendules à l’heure. En somme, c’est comme si à chaque office liturgique, le Seigneur appelait le moine en lui disant: «Homme de peu de foi, viens te reposer avec moi pour ne pas sombrer dans le doute, et puiser de nouvelles forces pour la suite de la journée!».

S’agissant d’une prière d’intercession, en puisant des forces pour lui-même, le moine arrive mystérieusement à ressourcer en même temps tous ceux pour qui il offre sa prière journalière. Certes, cela ne suffit pas à le libérer de toute inquiétude et de tout doute. Hélas, le combat se renouvelle chaque jour. Chaque jour nous sommes appelés à sortir avec courage et confiance de notre petite embarcation pour marcher vers Jésus sur les flots souvent houleux de notre quotidien. Mais avec une certitude qui nous vient de la foi et que la prière alimente et entretient: que Jésus est prêt à nous secourir, dès que le doute se fait trop pesant.

«Certains disciples eurent des doutes…»

L’Ecriture surabonde de passages qui affermissent cette confiance. Dans l’Evangile de St Matthieu, la deuxième occurrence du terme «doute» se trouve dans la toute dernière page, associée à une exhortation à la confiance en une parole qui est justement digne de foi: celle de Jésus Christ, le Verbe fait chair à qui tout pouvoir a été donné: Les onze disciples s’en allèrent en Galilée, à la montagne où Jésus leur avait ordonné de se rendre. Quand ils le virent, ils se prosternèrent, mais certains eurent des doutes. Jésus s’approcha d’eux et leur adressa ces paroles: «Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre. Allez! De toutes les nations faites des disciples: baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, apprenez-leur à observer tout ce que je vous ai commandé. Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde.» (Mt 28, 16-20)

Saint Paul nous pousse à cultiver cette même confiance dans un beau passage de la deuxième Lettre à Timothée, que nous retrouvons régulièrement parmi les lectures brèves dans la Liturgie des heures: Voici une parole digne de foi: Si nous sommes morts avec lui, avec lui nous vivrons. Si nous supportons l’épreuve, avec lui nous régnerons. Si nous le rejetons, lui aussi nous rejettera. Si nous manquons de foi, lui reste fidèle à sa parole, car il ne peut se rejeter lui-même. (2 Tm 2, 11-13)

Une oraison pour le Temps pascal qui m’est très chère y insiste aussi: Dieu qui nous recrées pour la vie éternelle dans la résurrection du Christ, fortifie la foi et l’espérance de ton peuple: ne laisse pas le doute entamer notre confiance en la promesse que toi-même nous as faite. (Collecte pour la messe du mardi dans la 5ème semaine du temps pascal).

Au secours!

Enfin, un Apophtegme des Pères du désert nous confirme sur cette voie: Quelqu’un demanda à Abba Macaire: « Comment doit-on prier ? » L’ancien répondit: « Tu n’as pas besoin de faire de longs discours. Etends seulement les mains et dis: ‘Seigneur, comme tu le veux, et tu sais, aie pitié ! Et si le combat se poursuit, dis: ‘Seigneur, au secours ! Lui-même sait ce qu’il nous convient et nous fait miséricorde ».

De par leur vocation, les moines vivent donc ce combat de manière très intense. Les instruments mis à leur disposition, nous l’avons vu, sont nombreux et variés. J’ai évoqué en particulier la prière. J’aurais pu en évoquer d’autres, tout à fait complémentaires, comme l’ouverture du cœur au père spirituel, l’obéissance ou l’humilité, sur lesquels saint Benoît insiste beaucoup.

Le sérieux avec lequel le moine mène ce combat quotidien est la mesure de la vérité de sa réponse à l’appel du Seigneur, et donc de sa fécondité. Le but est toujours de raviver la foi et la confiance malgré et contre toute adversité qui rend le quotidien si instable. Comme les eaux du lac de Tibériade.


Le frère Jean-Paul Bernasconi est un moine cistercien de l’Abbaye d’Hauterive, proche de Fribourg, en Suisse.

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Dubia pour la Loi-une-seconde-fois https://www.revue-sources.org/dubia-pour-la-loi-une-seconde-fois/ https://www.revue-sources.org/dubia-pour-la-loi-une-seconde-fois/#respond Wed, 29 Aug 2018 12:07:59 +0000 https://revue-sources.cath.ch/?p=2711 La Bible est traversée par le doute. Même de très grandes figures y sont confrontées. En poète, à travers un parcours libre dans le texte biblique, le frère Grégoire Laurent-Huyghues-Beaufond, dominicain au couvent de Lyon, met des mots sur la foi – et les doutes – de Moïse.

La mort ou le silence
Ex 2, 11-15

J’ai tué l’Égyptien et j’ai fui au désert. Meurtre ou bien suicide, tout ce sang sur les mains. J’ai vu la violence des Hébreux – mes frères – , j’ai redouté la justice égyptienne – mon père. Je ne me doutais pas que chacun est un homme de violence et de sang, tomber dans l’effroi et douter des humains. Je me tais, puisque je ne vaux pas mieux que mes pairs, puisque je ne peux soutenir la lumière.

et parler m’est pénible
Ex 3-4

D’ailleurs, je parle mal et ma langue est pesante. On dira qu’un ange a dévié la main de l’enfant que j’étais pour saisir non pas l’or mais la braise, la porter à sa bouche, quand Pharaon voulait voir si j’étais pour son trône un danger. De là, la vie sauve et ma langue bégaie. Pourquoi pas? On aimerait y croire. Comme pour Isaïe, mes lèvres seraient pures et ma bouche scellée.

Mais c’est plutôt que j’ai sous la langue une langue étrangère, ma bouche s’ensable des regrets de l’Égypte. Si je parle hébreu, j’ai l’accent égyptien. De là cette parole heurtée et ma langue boiteuse, achoppant sur les glyphes du Nil, la grammaire judéenne – de là cette vie d’orthographe fautive, son impropre syntaxe.

Une main ensanglantée – à l’occasion lépreuse–, et la bouche pénible, mon verbe incirconcis. Pour libérer un peuple, en frapper un autre: un bâton et un frère porte-voix pourraient-il y suffire? Je suis dubitatif et d’avance lassé. Je suis dubitatif et je suis révolté: ce que tu demandes, ma parole, c’est de parfaire le meurtre, d’emporter le butin; c’est devenir hébreu en tuant l’Égyptien, puisque tu es Celui d’Abraham, Isaac et Jacob, mes vrais pères?

(Je ne te comprends pas quand bien même j’obéis; et je comprends encore moins cet autre mot ni d’hébreu ni d’Égypte, un pidgin qui buissonne et serait ton vrai nom, non je ne Te comprends pas; que Tu es Qui fus et seras, Celui de mes pères, Pharaon et Jacob, Verbe à mes deux langues).

Rumeurs égyptiennes
Ex 17

C’est à Rephidim la première fois: tout un peuple querelleur, les rumeurs de la foule – la colère dans les yeux et la pierre dans le poing. C’est là sans doute que ça recommence, je veux dire pour moi: si je ne réfléchis pas et cette fois obéis – frapper du bois contre la pierre, tout un peuple qui boit –, je suis désemparé – la main reste tremblante, ma bouche malhabile – et bientôt atterré –éloigne-toi de moi, pour qu’enfin je respire, éloignez-vous de moi, que je cesse de trembler.

Je ne veux qu’une chose, parfois, n’y être pour personne; là sans doute que ça recommence, pour moi je veux dire, les regrets de l’Égypte – si ton peuple querelle, silencieux je murmure, quand mon peuple trébuche, je ne peux que tomber. Je ne veux qu’une chose, souvent, n’être plus personne.

Une Loi par deux fois
Ex 31, 18 – 34, 35

Ce n’est plus un buisson, c’est toute la montagne –on a raison de trembler, a raison d’avoir peur (mais, enfin! je suis seul). Et Tu écris pour moi ce que Tu veux que je fasse – voilà ce que j’aime – Parole après Parole, enfin Tu parlais clair.

J’aurais dû m’en douter, même si Tu ne m’avais averti: l’Égypte n’est jamais loin, du peuple et de ma main. Je baisserai les bras: ce que Pharaon, Amaleq ont tenté, c’est moi qui le ferai: je me fais querelleur, le camp et ma main de nouveau s’ensanglantent.

(Mais si le peuple est coupable, je suis seul responsable. Non, pas mieux que mes pairs. Si ta colère a raison, nous avons toujours tort. Ne suis qu’un bégaiement, ne peux soutenir ta lumière: efface-moi de ton livre et cesse, ma parole, de prononcer mon nom, qu’enfin je ne sois plus personne).

Je n’ose pas y croire, ta Loi une seconde fois. Je descends vers ce qui reste d’hébreu tout abreuvé d’Égypte. Saint Jérôme traduira que j’ai des cornes au front – comme une mise en garde: la Loi, même hébraïque, pourrait être veau d’Égypte.

Une chose que tu dis
Nb 20, 1-13

C’est à Cadès, bien après Rephidim: toujours le peuple à sa querelle, quoique je dise ou bien mon frère – ventre assoiffé n’a pas d’oreilles. (On parle de doublet, d’ajout rédactionnel, plût à Toi que c’ait été le cas). Ventre assoiffé n’a pas d’oreilles et ma langue se dessèche. Je doute de Te comprendre – se raccrocher aux souvenirs, se croire mage d’Égypte et puis un peu s’y croire. Une chose que tu dis, une autre que j’imagine: je frappe deux fois la roche.
Et si le peuple boit, déjà on se doute qu’on a eu tort – et quand Tu parles et me condamnes, comme au sortir d’un songe on a enfin trop tard les idées claires.

Liste de dix paroles pour ne pas oublier
Ex 33, 18-34

J’ai rarement douté de: (1) ta colère contre l’Égypte, (2) ta colère contre mes pairs, (3) la cruauté de ta lumière. J’ai souvent redouté: (4) ma misère, (5) les cruautés de ma main, (6) les murmures de mes frères. Trop longtemps j’y ai cru: (7) qu’il fallait tuer l’Égyptien, (8) les hiéroglyphes en soi, on doit les effacer (9) et ces langues étrangères, il faut les oublier (9).

Mais si je ne comprends pas et si caché comme colombe dans le creux du rocher, je ne peux encore Te voir, c’est Toi, ma parole, Toi et ta main sur ma face – si peu levé, mon profil égyptien, et tant voilée ma face sémitique.

(10) Toi Qui me donnes de voir: que dans ton sanctuaire le bois est hébreu, et l’or, le bronze sont d’Égypte; Qui me donnes d’entendre: que Tu sais l’égyptien; Qui me donnes d’y croire: ta colère est bien lente, ton amour est fidèle à mes pères, Abraham et Pharaon, ton alliance pour la fille de Sion, aussi pour mes fils de Samarie, pour des enfants d’Alexandrie.

Du Nébo à ta bouche
Dt 34

Continue d’écouter … je T’écoute et T’entends, ma Parole, dans mon verbe barbare, que Tu m’as circoncis et je T’inventerai, ma Parole, une arche en ma langue hébraïque, en mes mots égyptiens.

Ami, retourne-toi enfin, ne cesse pas d’écouter … Je me tourne et Te vois, face de messie, la lumière nous est douce sur une autre montagne, Tu parles de partir. Je Te crois puisque Tu le veux, me voici suspendu à tes lèvres.
Monte un peu plus haut … que je meure sur ta bouche.

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Doute https://www.revue-sources.org/doute/ https://www.revue-sources.org/doute/#respond Wed, 29 Aug 2018 11:56:19 +0000 https://revue-sources.cath.ch/?p=2706 Sobriété dans le titre et les scènes présentées, mais pas dans les questions soulevées. Voilà comment on pourrait résumer l’impression qui envahit le spectateur après avoir vu le film Doute (Doubt, dans son titre original).

Inspiré d’une pièce de théâtre, ce film américain, sorti en 2008, est en effet traversé de bout en bout par le doute. Le récit écrit et porté à l’écran par John Patrick Shanley nous plonge dans le cadre d’une école américaine des années 1960 dirigée par Sister Aloysius, religieuse (magistralement interprétée par Meryl Streep) confrontée au comportement «douteux» à l’égard d’enfants du Père Flynn (incarné par Philip Seymour Hoffman), officiant dans son établissement scolaire. De fait, c’est bien d’un doute dont il s’agit puisque, jusqu’à la dernière scène, le spectateur ne peut jamais être sûr de la culpabilité de l’abbé. Par ailleurs, si le titre du film est au singulier, il faudrait plutôt parler des doutes que ces agissements soulèvent. En effet, il y est question à la fois du doute sur le comportement des personnes, du doute sur la capacité d’institutions (scolaires, religieuses, familiales) à remplir adéquatement leurs rôles et du doute, enfin, qui traverse le croyant dans sa relation à Dieu. Ce mélange des différents registres du doute est une des forces de cette œuvre qui manifeste bien la manière dont le doute (comme la confiance) ne peut être circonscrit à un domaine particulier, mais étend ses racines à tous les registres de l’existence.

Des personnages complexes

Les personnages contribuent à tisser la trame de fond de cette fiction. Si ces derniers occupent des rôles bien campés, c’est dans leurs interactions que l’on voit la richesse d’un scénario qui ne tombe jamais dans la caricature facile. Sister Aloysius, si elle peut être perçue comme l’héroïne du film par sa volonté acharnée de dénoncer les comportements obscurs qui se déroulent dans son établissement, apparaît bien souvent comme une femme dure, que la lucidité isole. Le Père Flynn a, quant à lui, tout pour attirer un certain dégoût par son cléricalisme et ses attitudes résolument manipulatrices. Il n’en reste pas moins qu’il aide des enfants là où la religieuse paraît échouer par son excès de rigorisme et qu’il est impossible, à la fin, d’être pleinement convaincu de sa responsabilité.

Doute ne se complait pas par ailleurs dans un face à face facile entre ces deux personnages principaux. Il implique, de manière assez subtile, différentes figures secondaires dont le rôle apparaît déterminant dans le récit. On peut, en particulier, citer Sister James, jeune consœur de Sister Aloysius; première à alerter sa supérieure, elle apparaît habitée par une telle crainte de voir sa foi vaciller par les dénonciations sur lesquelles elle lève le voile, qu’elle préfère se satisfaire d’explications tranquillisantes. Un autre rôle important est attribué à la mère d’une victime présumée: c’est, contre toute attente immédiate, cette dernière qui tente d’empêcher l’enquête d’aller plus loin pour «protéger son fils».

De bonnes questions posées sur un problème actuel

Évidemment, cette fiction ne peut traiter de manière exhaustive d’un problème aussi complexe que celui de la pédophilie dans l’Église. Mais sa force réside dans la manière dont il conduit le spectateur à se poser un grand nombre de (bonnes) questions.

Ainsi, si la responsabilité de la hiérarchie ecclésiastique est souvent évoquée, ce sont bien les contours de ce qu’on pourrait nommer «une structure de péchés» qui se dessinent, structure à laquelle contribue évidemment ceux qui agissent en faisant le mal, mais aussi ceux qui, à divers niveaux, se taisent. Ces situations ne peuvent pas ne pas nous faire penser à des cas récemment mis au jour où, certes, la hiérarchie de prêtres incriminés a gravement failli mais où une série de «simples fidèles», connaissant leurs agissements, n’ont jamais dénoncé ces derniers ni soutenu les victimes. On peut un peu regretter qu’une des thèses implicites du film manifestée par certains dialogues consiste à voir dans l’ébranlement des sociétés et institutions religieuses des années 1960 une des causes des crimes commis à l’encontre de mineurs. Il n’en reste pas moins que cette œuvre désigne de manière efficace le cléricalisme et une attitude quasi-fidéiste à l’égard de l’institution comme causes parmi d’autres des très graves problèmes soulevés par les affaires de pédophilie. Il montre aussi de manière efficace qu’en ne pouvant s’en remettre avec confiance à une communauté croyante qui se montre gravement indigne de sa vocation à protéger le bien – et en particulier le bien des plus faibles – ce n’est pas seulement la position d’une institution qui est remise en cause, mais bien un doute sur le message qu’elle transmet, sur l’Amour de Dieu qu’elle est chargée d’annoncer.

Bref, un film qui donne à penser et à débattre. Un conseil clair donc: un film à voir… sans l’ombre d’un doute!


Le frère dominicain Jacques-Benoît Rauscher, sous-prieur du couvent St Hyacinthe de Fribourg, participe aussi à l’équipe rédactionnelle  de la revue Sources.

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Eloge du doute comme racine de la sagesse https://www.revue-sources.org/eloge-du-doute-comme-racine-de-la-sagesse/ https://www.revue-sources.org/eloge-du-doute-comme-racine-de-la-sagesse/#respond Wed, 29 Aug 2018 11:48:07 +0000 https://revue-sources.cath.ch/?p=2703 Est-ce possible de parler du doute en relation avec la philosophie, dans l’urgence, en toute hâte? Impossible de refuser, la demande venant d’un ami. Impossible également de se lancer dans une recherche personnelle d’envergure, dans des délais restreints. Face à ce dilemme, nous nous sommes mis à des lectures, avec des souvenirs, d’abord, puis avec des espoirs. Nous nous permettons de donner ici quelques résultats.

Florent Gaboriau, Présenté par Flurin Spescha

Les souvenirs nous ont menés à Florent Gaboriau, avec les premiers tomes de sa Nouvelle initiation philosophique (Casterman 1962). Nous savions que nous avions trouvé autrefois des analyses sévères de la position de Descartes, dont on parle dès qu’il est question du doute. L’essentiel de ce qui fera notre texte sera puisé dans ces tomes. F.S.

Le doute a pout objet un bien

«L’actualité même de la philosophie pose aujourd’hui, au milieu des divergences qui s’accusent, et du brouhaha qui s’intensifie, le problème de son point de départ, et de la mesure qui préside à son déroulement. Nous voilà derechef affrontés à cette condition initiale, qui est pour nous la condition même, de la pensée. Le moment est donc venu de prononcer ici un éloge du doute comme racine de la sagesse – comme sagesse radicale – et de réclamer que ce doute persiste assez longtemps pour que s’édifient, postulées par lui seul, les réponses qu’il attend. Il arrive, en effet, qu’on l’étrangle, à peine reconnu.

Expliquons-nous une bonne fois sur la carrière véritable du doute philosophique. Elle a d’autres conséquences. Nous allons voir qu’elle est coexistente à la métaphysique entière. Celui qui ne doute de rien se révèle inapte à penser. Mais également celui qui ne doute pas de tout et qui, secrètement, se réserve un postulat chéri.

Comment se fait-il alors qu’on redoute au départ cette incertitude universelle, au point qu’on ne puisse la supporter, ni «endurer» qu’elle se prolonge? Les hâtives philosophies qu’on lui oppose partagent dès l’abord cette méprise qui consiste à transférer la crainte que l’on a de se tromper, – cette passion capitale au principe de la sagesse, – pour la confondre avec l’interrogation elle-même qui est un acte, l’acte de douter, prudence primordiale. A l’orée de la recherche, la crainte a pour objet le mal, une erreur que chacun risque. Mais le doute a pour objet un bien, en prévision d’un bien meilleur qui sera le savoir, celui dont l’ignorance est justement privée.

Peut-être convient-il encore, tant les méprises sont fréquentes, d’écarter ici certaines représentations du doute qui le font ressembler à une attitude morbide, à une défiance sournoise, à une incapacité constitutionnelle. Douter n’est pas s’interdire d’apprendre. C’est un acte de l’intelligence, non une faiblesse de la volonté. Ignorer n’est pas un mal, mais un état; un état préférable, dans sa vacuité vierge, à la situation du mal-informé, déformé. Interroger signifie seulement que, dépourvu de difformité préalable, on veuille s’informer davantage.

Dubitatio universalis

Or, en philosophie, on n’a pas le choix. Ou bien nulla dubitatio : on ne doute de rien (à partir d’un postulat on ne peut sérieusement pas croire qu’on remet tout en cause); ou bien dubitatio universalis: doute universel qui n’accepte pas même au principe la «notion» d’être. Le point de départ ressemble ainsi à un saut d’avion,, accompli lucidement. Le doute vous met dans le vide. Mais il ne vous tourne pas la tête pour autant. Le penseut assiste à sa propre chute, Vécu, et vécu avec ses conditions d’existence, le plongeon n’est pas pour autant simulé. Conscient, il n’en est que plus éveillé, plus réel. (…)

Comprend-on pourquoi rien ne sert de «précipiter» le doute, de l’abattre au sol et de le terrasser? Il nou porte au contraire. Pourquoi s’affoler de ce qui est notre salut? Pourquoi – pis encore – briser se amarres et faire comme si ce doute n’était pas l’instrument de notre sagesse? Le doute n’est pas «rien». Or, l’existence de cette inquiétude enferme déjà le plan secret de toute la trajectoire philosophique. Car elle existe à propos du monde: à propos des choses qui sont des semblants d’être; elle n’est point simulée.
(…)

La force de l’homme, sa grandeur et son audace, consistent dans cette particularité: avant de savoir, sa vertu consiste à douter.»


Flurin Spescha, professeur émérite de philosophie au Collège Claparède de Genève.

Florent Gaboriau, dominicain, philosophe et théologien français.
(1921 -2002). Aumônier à l’université d’Angers, professeur
de philosophie.

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