Evangéliser? Oui. Mais comment? – Revue Sources https://www.revue-sources.org Wed, 04 Jan 2017 13:20:38 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.3.1 Veilleur, où en est la nuit? https://www.revue-sources.org/veilleur-ou-en-est-la-nuit/ https://www.revue-sources.org/veilleur-ou-en-est-la-nuit/#respond Tue, 01 Jan 2013 13:00:54 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=400 [print-me]

J’écris ces lignes en novembre 2012, alors que l’Europe sombre dans une profonde déprime, ponctuée de cris de révolte.

La régression économique, le chômage, les mesures de rigueur, l’endettement des collectivités publiques et des ménages, les faillites répétées, la fermeture et la délocalisation des entreprises: autant d’indices alarmants d’un climat social délétère. La désespérance et la résignation léthargique donnent le ton.

Un stratus oppressant

L’an dernier, à pareille date, nous vivions sous l’euphorie du discours indigné du prophète Stephan Hessel et nous voulions avec lui croire encore à l’engagement des meilleurs pour redresser la barre. Et puis, las! La rhétorique du docteur Coué ne passe plus. Nous ne croyons plus aux promesses politiques; nous mettons en doute les programmes de redressement et soupçonnons de corruption les gnomes qui s’agitent au devant de la scène, fussent-ils politiciens, économistes, banquiers, militaires, ou même leaders religieux. Les dirigeants des Etats totalitaires, comme la Chine, n’échappent pas plus que les autres à ce verdict accablant. Ajoutons à ce sombre tableau les cataclysmes naturels, les guerres intestines du Moyen Orient, la désillusion qui suivit les printemps arabes et nous aurons pris la mesure de l’épaisseur du stratus qui nous oppresse.[1]

La tentation qui nous guette est de sauver notre peau par tous les moyens, licites et illicites. Peu importent les règles éthiques, le souci du bien commun. L’important est de quitter ce navire en perdition. Même en bousculant les femmes et les enfants qui se pressent sur le pont. « Primum vivere, deinde philosophare!». Prendre soin de soi devient la règle prioritaire et exclusive. Au grand dam des principes généreux qui jusque-là commandaient notre agir commun. Nous sommes devenus aussi indifférents à l’avenir de notre planète. Ce futur lourd ne sera pas le nôtre. Il ne concerne que nos descendants. Mais, peu importe. «Après nous, le déluge!»

Certains auteurs[2] diraient que cet état d’esprit caractérise l’ère postmoderne dans laquelle nous serions entrés. Au centre l’individu qui noue et dénoue des relations le plus souvent éphémères selon le profit qu’il espère en tirer. Un monde régi par l’émotion plutôt que par la raison. Une société qui relativise les valeurs traditionnelles, n’adhère à aucune transcendance, rejette toute loi naturelle. Un monde enfin où l’individu prend ses distances d’avec l’institution civile ou religieuse, jusqu’à désintégrer le mariage qui a cessé d’être la communion d’un homme et d’une femme pour toute une vie[3].

La foi comme appendice

C’est cet univers postmoderne qui devrait être le sujet d’une première ou d’une seconde évangélisation, si tant est que la précédente n’a laissé aucune trace. Le paysage de cette terre à conquérir ou à reconquérir a été peint à maintes reprises. Nos Eglises ont définitivement quitté le terreau de la chrétienté. Elles ne cessent d’accentuer leur retrait de la vie publique. Leur influence sociale ou médiatique est insignifiante.

Que restera-t-il de ce « peuple immense » dont parle l’Apocalypse de Jean? Une minorité nostalgique qui se replie dans sa forteresse assiégée?

Autrefois majoritaires[4], ces Eglises doivent s’accommoder maintenant de lourdes structures administratives, de bâtiments, de lieux de culte conçus pour une époque où les chrétiens avaient pignon sur rue. Les voici maintenant, comme l’Auguste du cirque, empêtrées dans un costume trop large. Mêmes les rites, les calendriers liturgiques deviennent anachroniques, à l’instar des célébrations de la Toussaint ou des messes de la nuit de Noël. Ces liturgies ne rassemblent désormais que des crânes chauves et des cheveux blancs. Que restera-t-il de ce « peuple immense » dont parle l’Apocalypse de Jean? Une minorité nostalgique qui se replie dans sa forteresse assiégée? Une tribu exotique en voie d’extinction?

J’ai bien conscience que ces propos agaceront les prêtres qui remplissent encore leurs églises et les jeunes assidus aux rassemblements de Taizé ou aux JMJ. Quelques arbres cependant ne devraient pas cacher la forêt. Ces exceptions ne font que mettre en évidence la sécularisation qui gangrène le tissu ecclésial. Elle n’attaque pas seulement l’écorce de l’arbre, l’appareil extérieur ecclésial, ses lois, son culte ou son clergé. La sève elle-même est malade. Le Credo est contesté dans tous ses articles. Plus grave encore, la foi a cessé d’être un héritage précieux que les générations se transmettent; elle est devenue un appendice culturel anodin, un colifichet choisi par certains individus, rejeté par d’autres.

Je veux croire que ce sombre tableau n’enveloppe pas l’hémisphère sud, là où les statistiques catholiques affichent encore un état de santé réjouissant. J’en donne comme preuve la relève du clergé européen par des prêtres africains ou asiatiques, ainsi que la vitalité des communautés occidentales quand elles sont fécondées par de jeunes pousses importées des pays chauds.

Pierres d’attente

Comment ré-évangéliser notre vieux continent? Les nouveaux missionnaires devront prendre en compte ce qui vit et survit, la mèche qui fume encore, les espoirs qui se dessinent. Surtout, qu’ils laissent les morts enterrer leurs morts. L’heure n’est plus à sauver des structures ecclésiales périmées et sclérosées ou à s’enfermer dans un légalisme d’un autre âge. Faisons plutôt confiance à cette fameuse postmodernité. Précisément, cette ère nouvelle pourrait bien être une préparation évangélique inespérée, comme le fut jadis le réseau des voies romaines et la lingua franca qui couvrait le pourtour de la Méditerranée. L’ignorance religieuse que les barbons reprochent aux jeunes de ce temps présente au moins l’avantage d’être vierge de conflits et de contentieux à régler. Une terre propice donc à l’étonnement, au questionnement, à l’admiration. A la générosité aussi, quand on sait proposer à cette jeunesse des engagements personnels, libres et spontanés, même s’ils ne doivent être que ponctuels et de courte durée[5]. Autant de pierres d’attente, auraient dit les anciens missiologues, qui serviront un jour à construire en Occident l’Eglise de demain.

Le nouveau missionnaire devra nécessairement naviguer sur une mer d’indifférence et par des nuits sans lune. Mais cet océan est parsemé d’îlots d’espérance. A lui de les aborder, de s’y agripper et d’y dresser sa tente[6]. Il en est bien d’autres sur cette terre encore incognita. Il se pourrait même que l’indifférence ne soit que la façade qui cache un désir d’absolu, enfoui au plus secret des coeurs. Jésus n’a-t-il pas dit que le Père parle dans le secret? Le secret d’une chambre fermée à double tour, le secret d’un cœur cadenassé, le secret du mystère de Dieu finalement. Le nouveau missionnaire ne se laissera donc pas désarmer par des réactions ou des discours qui lui paraîtront de prime abord hostiles ou indifférents. Il se pourrait que ce ne soit là que démangeaisons épidermiques qui cachent un appel plus profond, étouffé le plus souvent par les préoccupations du moment. Le missionnaire ferait bien de se remémorer ce vers célèbre: «l’homme est un dieu tombé qui se souvient des cieux!« . Ce qui gît au plus intime de soi, le souvenir, l’appel ou la voix d’une transcendance, Dieu saura bien le faire surgir en plein jour. Le missionnaire facilite l’accouchement du divin. Socrate, familier de la maïeutique, l’avait déjà pressenti. Faut-il citer encore dans ce contexte cette maxime attribuée à un chercheur de Dieu bien connu?: «Notre cœur est agité, tant qu’il ne se repose en Toi, ô mon Dieu!». Attention! nous dirait aujourd’hui Augustin d’Hippone: une mer d’huile peut cacher des remous profonds.

Blés en herbe

Je suis donc optimiste face à la nouvelle évangélisation de la vieille Europe. A condition, bien sûr, qu’elle ne s’identifie pas à une restauration de formules éculées, qu’elle ne se contente pas d’aduler une hiérarchie prisonnière de comportements désuets. Qu’elle ait l’oreille fine et les yeux perçants pour observer de loin ces blés encore en herbe et ces moissons qui blanchissent. Que ces découvertes réjouissent et confortent le cœur des nouveaux apôtres. Que leur espérance rayonne bien au-delà des frontières de l’Eglise. Qu’ils deviennent des veilleurs sur la tour de garde et les remparts de la cité séculière. Qu’ils annoncent l’aurore à ceux qui « gisent dans l’ombre de la mort » et qui leur demandent, le cœur serré: « Veilleur, dis-nous où en est la nuit? » Qu’ils leur répondent que, par delà la grisaille. un nouveau jour se lève, qu’«un monde nouveau est en train de naître« .

La mission sera difficile. Nos contemporains sont nombreux à avoir été échaudés et blessés par les religions. Plus précisément par le comportement incohérent de leurs adhérents et de leurs représentants. L’appartenance confessionnelle du missionnaire pourrait bien être un handicap, un épouvantail qui fera fuir les candidats à la conversion. Qu’il assume donc ce passé douloureux et reconnaisse sa propre indignité, sans pour autant sombrer dans une culpabilité paralysante. Le nouveau missionnaire se souviendra aussi que le postmoderne donne peu d’importance au passé, mais adhère de préférence à un discours inédit qui parle à son cœur.

Dieu est de retour!

Le moment n’est-il pas venu de réhabiliter un discours sur Dieu[7], par-delà les formulations particulières ou partisanes que la « théo-logie » revêt dans les diverses religions? Une anecdote pourrait servir d’illustration. J’étais invité, il y a peu, avec un rabbin et un notable musulman, à répondre aux questions posées par des élèves de classe terminale d’un Institut privé. Une jeune fille prit son courage à deux mains pour me demander s’il était permis d’applaudir, oui ou non, dans une église. Je me rendis compte que cette banalité n’était qu’une dérobade qui cachait un questionnement autrement plus sérieux: celui de la croyance ou de la non croyance en un Etre transcendant, distinct de notre moi, moteur et guide de notre vie. J’orientai moi-même la discussion en ce sens. L’atmosphère cessa d’être badine et gamine. L’auditoire était gêné par cette intrusion dans sa vie intime. J’avais franchi la barrière du jardin secret, gardé jalousement par un mur de pudeur. C’est pourtant à ce niveau que la Parole se fait entendre. Me remontaient alors en mémoire ces versets de la Lettre aux Hébreux: «Vivante est la parole de Dieu,

[1] Les premières pages du dernier livre de Jean-Claude Guillebaud: Une autre vie est possible. Comment retrouver l’espérance, Paris, 2012, sont alarmistes à souhait. On ne saurait cependant reprocher à l’auteur de noircir à plaisir ce tableau. Il finit par convenir que « tout ne va pas si mal que le disent les pessimistes en chambre » (p.197) et se fait le prophète d’une « civilisation de l’empathie » (p.204).

[2] Je pourrais citer à ce sujet de larges extraits du livre du frère dominicain Thierry-Dominique Humbrecht: L’évangélisation impertinente. Guide du chrétien au pays des postmodernes, Parole et Silence, 2012.

[3] L’élargissement aux couples homosexuels des droits matrimoniaux reconnus aux couples hétérosexuels n’est pas le seul indice de cette désintégration. Dans certains pays (la France?) la majorité des enfants naissent désormais de couples non mariés, au civil comme au religieux. Et que dire des familles monoparentales ou recomposées, des divorces à répétition? Ces situations sont en voie de devenir aujourd’hui la règle générale. A tel point
-on me l’a dit – que les enfants qui naissent et grandissent dans un couple hétérosexuel uni sont gênés de l’avouer pour ne pas devenir la risée de leurs camarades.

[4] « Un cinquième des habitants de la Suisse se déclare sans appartenance religieuse. Un nombre qui a doublé depuis l’an 2000« , La Vie Protestante, Genève, novembre 2012, p.4. Ce nombre atteint 35% à Genève.

[5] Je ne saurais mieux faire que de recommander la lecture du «Petit guide de survie à l’usage de ceux qui veulent transmettre la foi aux jeunes, qui ont déjà essayé, et qui vont essayer encore», Paris, Editions de La Licorne, 2012. Un petit livre merveilleux du frère dominicain Yves Combeau, stimulant, encourageant et plein d’humour. Il s’adresse à tous ceux et celles qui se lamentent du fait que leurs ados n’épousent pas leur foi.

[6] Le dossier de ce numéro nous découvre quelques uns de ces lieux privilégiés.

[7] Comment ne pas faire référence dans ce contexte à l’essai magistral de Fabien Hadjaj, l’actuel directeur de l’Institut Philanthropos de Fribourg: Comment parler de Dieu aujourd’hui? Anti-manuel d’évangélisation? Editions Salvator, Paris 2012. Le style peut paraître déroutant, provocateur et surtout décapant. Un peu plus de 200 pages pour parvenir à cette conclusion étonnante, à laquelle je souscris: « L’essentiel n’est pas du côté de l’avoir mais de l’être. L’essentiel est d’être, avec le Christ, une parole vivante et livrée à autrui, et donc moins d’avoir une parole sur Dieu que d’être les uns les autres une parole de Dieu« . (p.215). Les nouveaux évangélisateurs feraient bien de graver dans leur mémoire les lignes directrices de cet « anti-manuel« .

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Guy Musy

Guy Musy

Le frère dominicain Guy Musy, du couvent de Genève, est rédacteur-responsable de la revue Sources

 

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La première lettre de Paul aux Thessaloniciens https://www.revue-sources.org/premiere-lettre-de-paul-aux-thessaloniciens/ https://www.revue-sources.org/premiere-lettre-de-paul-aux-thessaloniciens/#comments Tue, 01 Jan 2013 12:58:10 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=398

Qu’il me soit permis d’évoquer ici un souvenir personnel: j’ai longtemps enseigné la littérature paulinienne. J’essayais de comprendre et de faire comprendre les lettres de l’Apôtre, surtout les grandes épîtres: aux Romains, aux Galates et aux Corinthiens, parfois difficiles à interpréter.

Déjà S. Pierre le reconnaissait. Parlant des lettres de Paul, il écrivait: «Il s’y rencontre des points obscurs, que les gens sans instruction et sans fermeté détournent de leur sens – comme d’ailleurs les autres Ecritures – pour leur propre perdition.» (2Pi 3,16). Ce n’est qu’en abordant la première épître aux Thessaloniciens que j’ai découvert un autre type de lettre, au ton simple et direct, un peu comme le billet à Philémon.

La première lettre aux Thessaloniciens ne fait pas partie des grandes épîtres, elle ne développe pas le thème de la grâce par exemple, ni l’impact de la croix. La seconde partie aborde la thématique de l’eschatologie, l’attente de la venue du Seigneur et l’espérance du croyant; elle nous est connue par les messes d’enterrement: «il ne faut pas que vous vous désoliez comme les autres, qui n’ont pas d’espérance.» (4,13). Mais c’est la première partie de la lettre qui va retenir ici mon attention. Elle ne parle pour ainsi dire que d’une chose: la relation des évangélisateurs avec ceux auxquels ils annoncent la Bonne Nouvelle. Ces trois petits chapitres sont remarquables à cet égard: évangéliser, oui, mais comment? Jacques Loew aimait à dire que le premier obstacle à l’évangélisation, c’est souvent le missionnaire lui-même. Ici nous avons la face positive de la médaille: quel fut le comportement des apôtres alors qu’ils annonçaient l’Evangile à Thessalonique, en terre païenne, dans le cœur de ce qui allait devenir notre Europe.

Nous possédons un papyrus en grec du 3e siècle de la célèbre collection Chester Beatty à Dublin. Il provient d’un monastère égyptien du Fayoum. C’est le plus ancien manuscrit contenant une collection des lettres de Paul. Il nous en reste 86 pages sur un total d’une centaine de pages. De la première lettre aux Thessaloniciens, il ne nous reste que quelques mots du titre, 1,9 – 2,3 en partie et quelques versets du chapitre 5. Miraculeusement c’est un mot important de 2,1 qui est sauvegardé: «vous SAVEZ – oidate en grec – frères, comment nous sommes venus chez vous, que ce ne fut pas en vain». Ce petit mot est emblématique et typique de toute la lettre: l’évangélisation ne s’est pas faite en paroles seulement mais par une qualité de présence. Qui plus est, les apôtres peuvent s’appuyer sur cette expérience et y renvoyer les croyants. Expérience du côté des apôtres, expérience du côté des chrétiens: on est là dans le registre de l’Incarnation et de ses conséquences. La Bonne Nouvelle se répand parce qu’elle est incarnée, crédible, bonne à vivre et donc à transmettre.

La Bonne Nouvelle se répand parce qu’elle est incarnée, crédible, bonne à vivre et donc à transmettre.

Evangélisation par la communion

Je vais glaner ici et là quelques étincelles de cette lumineuse expérience. Et tout d’abord l’adresse de la lettre, écrite par Paul, Sylvain et Timothée. On parle couramment des lettres de Paul, comme s’il en était le seul auteur. C’est inexact. Il associe Sylvain et Timothée, les tout proches dans la tâche de l’évangélisation. Et toute la lettre est écrite en «nous». C’est extrêmement rare dans les lettres que nous connaissons de l’Antiquité. Certes, Paul a dû en être l’instigateur, probablement celui qui dictait: un groupe de personnes n’écrit pas… Mais il tient à faire de Sylvain et Timothée de véritables co-auteurs. Premier point d’attention: l’évangélisation part d’une communion entre des personnes. De même que notre Dieu est communion d’amour entre trois personnes, de même l’annonce de son amour ne se fait pas de manière solitaire, solipsiste, mais en diffusant et en laissant voir une communion. Jésus a réuni autour de lui des apôtres, les appelant à l’unité. C’est encore ce que S. Dominique a voulu, au moment où il fondait l’Ordre des Prêcheurs et envoyait les frères prêcher, deux par deux, comme les Apôtres. Le conventus (couvent) n’est pas d’abord un bâtiment, mais la communion des frères.

Un savoir en acte

Suivons cette thématique du «savoir»: «nous le SAVONS, frères aimés de Dieu, vous avez été choisis» (1,4). Paul, Sylvain et Timothée appliquent ici aux païens de Thessalonique le thème de l’élection, réservé jusqu’ici à Israël. Eux aussi sont les bien-aimés de Dieu. Comment Paul le sait-il? Par une expérience: il a vu à l’œuvre leur foi, leur espérance et leur charité (1,2-3). L’évangélisation n’a pas été chez eux pur blabla, flot de paroles aussi solennelles que générales et sans effet. Non, ils ont pu voir la puissance de Dieu, la puissance de l’Esprit Saint à l’œuvre, et en surabondance (v. 5). La vie des gens en a été transformée, les apôtres en furent les témoins et ils le disent.

Mais comment en est-on arrivé là? A nouveau, notre trio apostolique le précise: «vous SAVEZ, comment nous nous sommes comportés au milieu de vous pour votre service» (v. 5). Au milieu de vous (pas au-dessus) et pour vous. Paul dira ailleurs: «nous ne sommes, nous, que vos serviteurs à cause de Jésus» (2Co 4,5). L’Evangile du Serviteur – Jésus – s’incarne et fait des apôtres des serviteurs de la communauté. J’insiste: Paul ne fait pas que le dire, mais il renvoie les Thessaloniciens à l’expérience qu’ils ont eue de la venue chez eux de ces apôtres. «Vous le savez…»: si ce n’était pas vrai, clair et probant, c’est toute l’argumentation des apôtres qui serait privée de force et de sens.

Dans les épreuves

Ce même recours à l’expérience est invoqué pour souligner un double courage: celui de Paul et de ses compagnons appelés à prêcher un Evangile intégral, sans peur et sans concession, et le courage des Thessaloniciens devenus croyants: «vous-mêmes savez, frères, comment nous sommes venus chez vous, que ce ne fut pas en vain. Nous avions, vous le savez, enduré à Philippes des souffrances et des insultes, mais notre Dieu nous a accordé de prêcher en toute hardiesse devant vous l’Evangile de Dieu, au milieu d’une lutte pénible» (2,1-2). Plus encore, Paul peut souligner l’authenticité de leur prédication: «jamais non plus nous n’avons eu un mot de flatterie, vous le savez, ni une arrière-pensée de cupidité, Dieu en est témoin» (2,5). Là encore, c’est une expérience patente et irréfutable, sans quoi Paul ne gagnerait pas à l’invoquer avec le fameux: «vous le savez». Pour les arrière-pensées, il préfère dire: «Dieu en est témoin»!

S’ensuit alors ce qu’on peut appeler le sommet de la lettre, du point de vue de l’évangélisation: Paul et ses compagnons n’ont pas recherché la gloire humaine, «alors que nous pouvions, étant apôtres du Christ, vous faire sentir tout notre poids.» (2,7). Ils auraient pu s’imposer, ils en avaient même le droit, formellement, au nom de l’enseignement du Christ dont ils étaient les dépositaires. Mais ils ont choisi de ne pas séparer l’enseignement du Christ de sa vie concrète; ils n’ont pas voulu seulement transmettre un message: par fidélité, ils ont choisi de l’incarner. Et Paul de se comparer alors à une mère allaitant son enfant, puis à un père exhortant et encourageant ses enfants. Il peut à nouveau renvoyer non seulement à un message mais à leur expérience: «vous vous souvenez de nos labeurs et fatigues» (v. 9), puis à propos de leur conduite sainte: «vous êtes témoinset Dieu l’est aussi» (v. 10), enfin à propos de la liberté que leur avait donné le fait de gagner leur vie sans dépendre de ceux qu’ils évangélisaient:«vous le savez» (v.11).

Conclusion

L’Evangile s’est répandu de communauté à communauté, on comprend maintenant pourquoi. Le comportement des apôtres a été un évangile en acte. Les auditeurs en ont été marqués, ils ont pu et voulu obéir à cette parole qui n’était pas simplement parole humaine. Cela fait l’admiration des Apôtres: «voilà pourquoi de notre côté, nous ne cessons de rendre grâces à Dieu de ce que, une fois reçue la parole de Dieu que nous vous faisions entendre, vous l’avez accueillie, non comme une parole d’hommes mais comme ce qu’elle est réellement, la Parole de Dieu. Et cette parole reste active en vous les croyants.» (2,13). C’est en étant profondément humains que les apôtres ont été les disciples et les témoins crédibles de Jésus. Par là ils n’ont pas perdu leur autorité, ils l’ont au contraire gagnée, en même temps que pour l’Evangile une force irrésistible d’amour, de courage et de crédibilité. L’année de la foi ne nous invite-t-elle pas à faire de ces chapitres la charte des évangélisateurs, prêtres et laïcs?


Jean-Michel Poffet

Jean-Michel Poffet

Le frère dominicain Jean-Michel Poffet, bibliste, fut directeur de l’Ecole Biblique et Archéologique de Jérusalem. Il est aussi membre du comité de rédaction de notre revue «Sources ».

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Plaidoyer pour un doute https://www.revue-sources.org/plaidoyer-pour-un-doute/ https://www.revue-sources.org/plaidoyer-pour-un-doute/#respond Tue, 01 Jan 2013 11:07:19 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=395 Vous convaincre de douter, est-ce bien convenable en cette «année de la foi» à laquelle le Pape Benoît XVI nous convie? C’est d’un doute bien particulier qu’il s’agit. Celui qu’Hauterive devrait semer dans le cœur de ceux qui passent par ici. Si le silence avait quelque chose à dire? Si le silence était en réalité un amour qui se déclare? Un doute, c’est peu. Mais un doute sur le silence… un doute silencieux!

Une puissance explosive

Méfiez-vous cependant, le doute, aussi infime soit-il, est la puissance la plus explosive de notre intelligence. Depuis Descartes on se méprend facilement sur le doute. On croit que penser juste c’est chasser ses doutes. Mais la vraie manière de penser, c’est chasser l’incertitude par le doute et non pas chasser les doutes qui justement révèlent mes incertitudes. En parfait cartésien, chacun doit chasser de la sphère de ses certitudes les pensées sur lesquelles plane l’ombre du doute.

Comment justifier en revanche le fait de déclarer une affaire classée, c’est-à-dire déclassée précisément, dès qu’un doute y apparaît? Le doute est comme le chien de chasse qui jappe et qui frétille devant le taillis où se cache le gibier. Il m’informe qu’une vérité attend de se montrer. Quel genre de chasseur serais-je, si je décidais de tirer sur mon chien au lieu de me concentrer sur le bondissement inopiné du lièvre. Autrement dit, quand un doute apparaît, mon intelligence se doit d’aller voir pour affronter la réalité. Elle a à vérifier chacun de ses doutes et non à évacuer les questions qu’il soulève. Tirer sur le chien, chasser ses doutes avant d’aller voir ce qu’il en est, est clairement de la mauvaise foi. Dans le domaine des responsabilités pratiques, refuser de vérifier les éléments douteux qui mettraient en danger l’ensemble d’une réalisation est un manquement grave à son devoir.

Ne pas vérifier ses doutes, voilà donc la mauvaise foi.

Le doute au secours de la foi

En cette année donc, le Pape demande aux chrétiens d’approfondir leur foi, la vraie foi, la foi pure et orthodoxe. Serait-ce alors l’année du fondamentalisme, d’une croyance qui écrase la raison? Non, l’année de la foi est par le fait même celle de la raison. Car approfondir sa foi, c’est poser les questions de sorte que je me réapproprie les formules du credo et c’est aussi oser affronter ma mauvaise foi.

Il est fort délicat pourtant de combattre en même temps la mauvaise foi des bons croyants et la foi erronée des gens de bonne foi. En effet, s’attaquer à l’une, c’est se faire récupérer par l’autre. Nul n’est ni entièrement de mauvaise foi ni entièrement de bonne foi (ce serait trop simple), pas plus que parfaitement orthodoxe ou parfaitement hétérodoxe. Chacun tend à se justifier par la position de l’autre, et personne n’avance dans sa propre conversion. L’unique moyen d’affronter notre foi mauvaise ou déviante est donc d’en appeler à la puissance explosive et libératrice du doute. Le doute combat sur tous les fronts.

L’unique moyen d’affronter notre foi mauvaise ou déviante est donc d’en appeler à la puissance explosive et libératrice du doute.

Dans son roman, «L’Idiot», Dostoïevski explique que les athées ne croient pas, non qu’ils aient résolu le problème de Dieu, mais uniquement parce qu’ils refusent d’envisager la question de Dieu. Le droit de douter est pour eux le devoir de ne plus questionner. Que la foi en Dieu soit difficile et comporte des doutes, je veux bien le croire. Mais n’existe-t-il pas aussi un doute quant à la non existence de Dieu? Autrement dit, qui peut être certain que Dieu n’existe pas? S’il y a doute à ce sujet, alors il doit y avoir vérification.

Or ce doute a des conséquences profondes. S’il n’est pas certain que Dieu n’existe pas, pourquoi suis-je certain d’être le propriétaire de ma vie? Pourquoi me comporter comme si j’étais le centre de mon existence? Qui peut m’assurer qu’il n’y a pas un amour qui m’habite, qui se déclare dans mon silence, mais que je néglige sans cesse? On veut éviter les fautes professionnelles et dans ce but on est prêt à relire ses dossiers pendant des soirées entières. Mais ce problème-là, quand donc va-t-on l’affronter? Cela ne concerne pas seulement l’athée qui a abattu son beau pointer à l’arrêt devant le buisson ardent. Cela concerne aussi le bon croyant qui n’évite rien autant qu’un silence où risque d’exploser la mesquinerie de sa mauvaise foi.

Un doute silencieux

Hauterive devrait être un doute face aux certitudes, religieuses ou non. Un doute silencieux, mais blessant les fondamentalismes d’où qu’ils proviennent. Un doute qui écoute. Un doute qui incite l’intelligence à venir voir. Nous n’avons pas à répondre à la place des autres. Nous n’avons même pas à les y inviter bruyamment. Notre unique apostolat consiste à accueillir celui qui ressent le besoin de savoir ce qu’il en est. Ce qu’il en est du silence et de l’amour. Le vrai silence s’invite de lui-même chez chacun. Une souffrance aiguë, la fragilité d’un amour, le sentiment soudain que la vie est précieuse et délicate. Le silence réclame lui-même un espace. Mais il le réclame comme se déclare un amour: timidement, sans élever la voix.

Qui sommes-nous, donc? Je ne sais que dire. Un doute nous a surpris, chacun un jour, silencieusement. Il nous a fallu alors vérifier combien profond est l’Amour qui se déclare dans le silence. Et maintenant il nous faut Lui répondre, sans mentir. Cela nous fait voyager, sans quitter notre cloître, à travers le cœur anxieux des humains qui tous se demandent secrètement: suis-je aimé? suis-je aimant?

Voilà, je doute que mon plaidoyer vous ait convaincus. Mais je n’oserai le vérifier, puisque je ne voulais pas vous convaincre, mais vous faire douter. Dieu me demande de chanter dans les stalles ou de prier en cellule, mais pas de jouer les ténors du barreau. C’est pourquoi je sais que vous me croirez si je vous assure une nouvelle fois de notre gratitude et de notre prière pour la mission qui est la vôtre. Nul ne doute ici de son importance.


L’Abbaye cistercienne d’Hauterive, près de Fribourg, a coutume de recevoir chaque année les membres du gouvernement de l’Etat de Fribourg, accompagnés de quelques notables du canton. En octobre 2012, l’Abbé du monastère, Dom Marc de Pothuau, leur a tenu ce discours

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Retraite dans la ville https://www.revue-sources.org/retraite-ville-dune-predication-traditionnelle-a-predication-virtuelle/ https://www.revue-sources.org/retraite-ville-dune-predication-traditionnelle-a-predication-virtuelle/#respond Tue, 01 Jan 2013 11:05:28 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=391 C’était il y a 10 ans, en 2002, le couvent des Dominicains de Lille décidait d’organiser chez eux des conférences chaque dimanche de Carême, et proposaient à la soixantaine de participants un livret d’accompagnement pour la semaine. C’est alors que de jeunes frères étudiants, habitués à surfer sur Internet, eurent l’idée d’élargir le public de la retraite en créant un site gratuit qui mettrait en ligne les conférences, et d’envoyer gratuitement à tous ceux qui s’y inscriraient un courriel quotidien leur proposant une méditation pour chaque jour. Retraite dans la Ville était née!

Évoluant de 2000 inscrits la 1re année à près de 70’000 inscrits, 300’000 visiteurs «uniques» et 1’000’000 de visites lors de sa 10eédition (en 2011), le projet initial de retraite de Carême, somme toute classique si ce n’est qu’elle était également retransmise sur le web, s’est ainsi transformé en véritable retraite numérique, intégrant peu à peu les outils caractéristiques du monde de la toile: blog, forums, offices audio, enregistrements vidéos, partage via les réseaux sociaux.

Certes, cette retraite de Carême a adopté une forme de prédication entièrement virtuelle. Mais si l’on considère son histoire, son évolution et son dessein, nous voyons bien qu’elle s’inscrit dans une tradition de prédication, chère à la vocation de l’Ordre des Prêcheurs, n’ayant toujours pas d’autre but que d’annoncer la Parole de Dieu par le biais des moyens modernes de communication, afin de rejoindre avec toujours plus de pertinence un nombre croissant de personnes. De la sorte, elle n’a cessé de penser des animations qui cherchent à s’adapter aux attentes et demandes spirituelles d’un plus grand nombre de «chercheurs de Dieu», en tenant compte de leur diversité, notamment de leur proximité ou éloignement par rapport à l’Église et à la foi. Pour donner un ordre d’idées: près de 10% des retraitants se disent éloignés de l’Église et 20% des inscrits ont entre 18 et 42 ans.

C’est dans ce cadre que www.retraitedanslaville.org devient aujourd’hui un portail de prédication sur Internet. Il n’est plus porté par les frères étudiants, mais par une structure de frères et de laïcs dédiés à cet office, cependant toujours située au couvent de Lille, si bien que les membres de la communauté restent de fidèles soutiens dans cet apostolat. De nouveaux projets ont alors vu, ou vont prochainement voir le jour: des sites pour les enfants, les adolescents ou les jeunes adultes (à venir); une retraite pour l’Avent, www.aventdanslaville.org placée sous le signe de l’espérance; et pour accompagner le Temps Ordinaire (entre deux retraites !), le site www.psaumedanslaville.org publie depuis juin 2012 des méditations de psaumes et leur lecture par des comédiens professionnels[1], qui ont déjà attiré plus de 30 000 inscrits en moins de six mois, avec près de 300000 visiteurs «uniques» et 1000000 de visites. À l’image de la grâce dont ces propositions veulent être des canaux, celles-ci sont gratuites afin de pouvoir être offertes à tous. Retraite dans la Ville vit actuellement de la générosité des donateurs.

En dernier lieu, il ne faudrait pas croire que Retraite dans la Ville se limite à la virtualité. A l’instar de tout lieu traditionnel de prédication, nous désirons ardemment que ce soit l’Esprit de Vie qui souffle dans le cœur de l’homme et favorise ainsi sa rencontre avec Dieu. C’est en tant que support de cette rencontre spirituelle mais non moins réelle que nous œuvrons. Dans un contexte paroissial en permanente mutation et parfois fragilisé, nous espérons susciter des communautés «invisibles», qui se rassemblent virtuellement pour puiser réellement à la même Source de Vie, pour échanger sur leur foi, tisser des liens et se soutenir dans un monde appelé à accueillir le témoignage de l’Amour de Dieu pour l’humanité. Nombreux sont les témoignages de ceux que Retraite dans la Ville a réunis, soit qu’elle les ait réconciliés avec Dieu, avec l’Église ou avec eux-mêmes, soit qu’elle ait été l’occasion de partages communautaires, autour des méditations et des offices audio.

Ne nous y trompons donc pas: la vocation de Retraite dans la Ville, aussi immatérielle semble-t-elle, vise avant tout la rencontre humaine: celle de l’homme avec Dieu qui passe aussi par celle de l’homme avec l’homme. Notre mission est de lui annoncer son espérance et de lui permettre de découvrir la présence intime de Dieu agissant avec amour.

[1] Maxime d’Aboville, Jean-Damien Barbin, Nâzim Boujenah, Claire Chastel, Marie-Sophie Ferdane et Michael Lonsdale.


Le frère dominicain Olivier Zalmanski, du couvent de Lille, participe étroitement au Projet «Retraite dans la ville» avec les frères de sa communauté.

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A Bose, on ne communique que ce que l’on vit https://www.revue-sources.org/a-bose-on-ne-communique-que-ce-que-lon-vit/ https://www.revue-sources.org/a-bose-on-ne-communique-que-ce-que-lon-vit/#respond Tue, 01 Jan 2013 11:04:22 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=389 [print-me]

La Communauté de Bose (Italie du Nord) est une communauté monastique de frères et de sœurs qui, jour après jour, cherchent à vivre les exigences de l’Évangile dans leur beauté et leur radicalité, à travers le célibat et la vie commune.

Les membres de la communauté appartiennent à différentes Églises chrétiennes: la majorité sont catholiques, mais plusieurs réformés en font partie et une sœur orthodoxe prend également part à cette vie. Bose, qui est donc à la fois mixte et œcuménique, compte actuellement environ quatre-vingts religieux: quarante-cinq hommes et trente-cinq femmes. À travers leur existence, les moines et les moniales de Bose transmettent assurément quelque chose de leur foi à ceux qui les côtoient, qu’ils soient hôtes réguliers ou visiteurs de passage. Cette transmission, qui n’est pas le but premier de cette vie en communauté mais en est comme un fruit, naît de l’intention des frères et des sœurs de se situer dans la compagnie des hommes et des femmes de leur temps et de se mettre à leur service.

Bose ne se pose ici en aucun cas comme modèle, mais peut simplement donner le témoignage de la foi qui anime ses membres. A Bose, aucun effort spécifique n’est fourni pour proposer concrètement la foi. Mais c’est à travers l’authenticité de ce qu’ils vivent entre eux que les chrétiens – et en particulier ceux qui partagent une vie communautaire – rayonnent éventuellement vers d’autres une étincelle de l’espérance qui les anime. En effet, avant de se transmettre par des mots, la foi passe davantage par le témoignage d’une vie reconnue comme belle et heureuse. C’est parce que notre quotidien manifeste que ce qui nous fait vivre ensemble colore notre existence de beauté et même de bonheur que nous parvenons aussi à transmettre, par notre existence même, quelque chose de crédible concernant la foi qui nous anime. S’agirait-il là d’une manière somme toute égoïste de concevoir la transmission de la foi? C’est bien davantage l’idée selon laquelle on ne peut communiquer à d’autres que ce que l’on vit concrètement dans sa propre personne. Et qui est appelé à se propager de proche en proche.

Une grande attention alors est portée à Bose sur la qualité, la sobriété et l’esthétique des temps de prière et de célébration.

Cela passe bien entendu par une dimension proprement humaine qui rappelle notre enracinement et notre cheminement quotidien avec le Seigneur qui s’est lui-même fait homme pour partager et vivifier notre propre existence humaine. Mais cela se traduit aussi par le partage d’une vie commune qui est sans doute une des aspirations fortes de nos contemporains, si souvent tiraillés entre les appels de l’individualisme et l’ouverture démesurée de la mondialisation. La transmission de la foi passe aussi par la célébration quotidienne de la liturgie, mémoire orante de la relation fondamentale qui nous lie les uns aux autres et, en premier lieu, au Seigneur qui a appelé chacun d’entre nous à cette vie de louange et d’intercession. Pour proposer la foi et offrir l’intuition d’un mystère, la beauté d’une prière commune est parfois plus persuasive que de nombreux discours, aussi savants et brillants soient-ils! Une grande attention alors est portée à Bose sur la qualité, la sobriété et l’esthétique des temps de prière et de célébration.

De manière plus prosaïque, des rencontres touchant la Bible ou diverses thématiques de spiritualité sont aussi régulièrement proposées à ceux qui souhaitent y participer. Mais pour les frères et les sœurs de Bose ce n’est encore qu’une occasion de transmettre à d’autres ce qu’ils vivent eux-mêmes. Communauté monastique, Bose n’a aucun mandat pastoral. Elle ne constitue qu’une petite oasis dans le désert où les pèlerins assoiffés peuvent venir partager un brin de fraîcheur ou une goutte d’eau. Le temps d’une brève halte, avant de reprendre la route.

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Le frère Matthias Wirz, de nationalité suisse, est membre de la Communauté de Bose, fondée par Enzo Bianchi, dans le Nord de l’Italie.

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Dieu à genoux devant l’homme https://www.revue-sources.org/dieu-a-genoux-devant-lhomme-transmettre-la-foi-dans-un-lieu-de-souffrance/ https://www.revue-sources.org/dieu-a-genoux-devant-lhomme-transmettre-la-foi-dans-un-lieu-de-souffrance/#respond Tue, 01 Jan 2013 11:03:01 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=387 [print-me]

En 1996, j’ai prononcé mes premiers vœux moins d’un mois après l’assassinat de Pierre Claverie. Je me souviens à cette époque avoir été marquée par un texte que nous avions reçu pour Pâques, quelques mois avant, où il écrivait, parlant du sens de sa présence en Algérie:

Où serait l’Église de Jésus-Christ, elle-même Corps du Christ, si elle n’était pas là d’abord, présente dans les lieux de souffrance, dans les lieux de déréliction, d’abandon ? Je crois qu’elle meurt de n’être pas assez proche de la croix de son Seigneur. Si paradoxal que cela puisse paraître, et saint Paul le montre bien, la force, la vitalité, l’espérance chrétienne, la fécondité de l’Eglise viennent de là. Pas d’ailleurs, ni autrement. Tout, tout le reste n’est que poudre aux yeux, illusion mondaine. Elle se trompe l’Église, et elle trompe le monde, lorsqu’elle se situe comme une puissance parmi d’autres, comme une organisation humanitaire ou comme un mouvement évangélique à grand spectacle. Elle peut briller, elle ne brûle pas du feu de l’amour de Dieu «fort comme la mort» comme le dit le Cantique des Cantiques. «Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime.»

Elles étaient à genoux devant l’homme cloué là, qui avait choisi d’être du côté des coupables, sans les accuser, pour partager leur sort jusqu’au bout, et définitivement.

Depuis 1997, dans la prison où j’exerce la médecine, et dans ma vie religieuse, cette réflexion de Pierre Claverie n’a cessé de montrer sa pertinence et sa force. Je me souviens d’un jour, où exceptionnellement, j’avais participé à l’eucharistie avec les détenues, parce que des amis animaient la célébration, et que j’étais de garde ce jour-là. C’était l’épiphanie. Dans la salle de spectacle transformée en chapelle, il y avait une crèche devant l’autel et une grande croix de bois, sur le mur. Plus de 180 femmes étaient présentes, sur un total de 250 détenues (ce qui en fait la paroisse la plus pratiquante de France). Parmi elles, certaines de mes patientes, pas vraiment chrétiennes, délinquantes notoires et éminemment sympathiques. Au moment de la communion, toutes s’avançaient, et celles qui n’étaient pas baptisées ou ne communiaient pas avançaient aussi les bras croisés sur la poitrine. Tout à coup, je me suis rendue compte que près de dix d’entre elles, peut-être celles dont la vie était la plus cassée, étaient tombées à genoux devant la croix. La crèche, elles étaient passées devant presque sans la voir. Mais la croix, et ce type cloué dessus, elles avaient intuitivement compris que c’était leur histoire. Elles étaient à genoux devant l’homme cloué là, qui avait choisi d’être du côté des coupables, sans les accuser, pour partager leur sort jusqu’au bout, et définitivement. Où serait l’Eglise du Christ si elle n’était pas là d’abord?

La proposition de la foi n’est pas à comprendre en termes de transmission de valeurs. Ce que nous avons à proposer, c’est une rencontre, celle du Christ : Dieu à genoux devant l’homme à l’heure du jeudi saint et du lavement des pieds. Dieu crucifié entre deux bandits, à l’heure du vendredi. Dieu mort, visitant les morts, pour qu’aucun d’eux ne soit abandonné au royaume de la mort. Dieu, présent aujourd’hui si nous aussi sommes à genoux devant l’homme, si nous aussi acceptons de résister à l’accusation quitte à être rangés du côté des coupables, si nous nous laissons aimer de cet amour, «fort comme la mort», qui ne meurt pas avec la mort, mais en sort vainqueur.

La prison m’a fait lire l’évangile avec des yeux neufs, et entendre ce qui y est écrit: «Dieu n’a pas envoyé le Fils dans le monde pour qu’il juge le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui» (Jean 3,17) ou encore «Je n’ai perdu aucun de ceux que tu m’as donné» (Jean 17,12). Aucun. C’est-à-dire personne. «Hormis le fils de perdition» poursuit le texte. Mais qui est-il, ce fils de perdition, sinon le diviseur («diable» en grec), l’accusateur («satan» en hébreu), et non Judas ? Mais voilà, il faut avoir beaucoup perdu pour entendre la voix de celui qui vient tout sauver et pour reconnaître l’immense amour de celui, qui à l’heure de sa mort, prend encore la défense de ceux qui viennent de le trahir. «Ils ont gardé ta parole» (Jean 17,6), dit Jésus à son Père alors que Judas vient de le vendre, et Pierre de le renier.

Pour être crédible, l’Église de Jésus-Christ doit retrouver la croix de son Seigneur. Ne jamais accuser quiconque, mais partager la vie de ceux dont la pauvreté matérielle, affective, spirituelle, existentielle, pourrait les faire vaciller, et plus que tout reconnaître cette pauvreté en elle-même. Car elle existe jusque dans nos couvents; et la richesse de nos maisons peut étouffer ce qui pourtant était une chance, à l’origine de notre choix de vie: nous ne pouvions pas faire autrement que de chercher le seul qui pouvait rassembler nos vies éparses, et brinquebalantes. Cette brûlure, si nous ne l’étouffons pas, peut nous permettre d’être présents aux déchirures de ce monde, et de porter l’évangile de Jésus-Christ dans les lieux de souffrance, dans les lieux de déréliction, d’abandon.

La difficulté contemporaine pour transmettre la foi en Europe occidentale est peut-être finalement une chance: si nous devenons pauvres et fragiles, peut-être saurons-nous trouver des mots qui ne brillent pas, mais qui brûlent du feu de l’amour de Dieu?

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Sœur Anne Lécu, dominicaine de La Présentation, est médecin. Elle pratique son art dans une prison de femmes d’Ile de France.

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Evangile à la maison https://www.revue-sources.org/evangile-a-la-maison-une-annee-avec-marc/ https://www.revue-sources.org/evangile-a-la-maison-une-annee-avec-marc/#respond Tue, 01 Jan 2013 11:01:46 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=385 [print-me]

L’audace du partage. Parcourir l’ensemble de l’évangile de Marc et non seulement quelques péricopes, entendre des récits jamais présentés dans la liturgie, accéder ainsi à une nouvelle compréhension du Christ perçu plus globalement sous les différents visages de son parcours de vie terrestre… parvenir à une certaine familiarité avec Jésus et sa manière d’agir, de penser, d’opérer des miracles, de parler avec autorité, de prendre position, d’être toujours en chemin… voilà quelques fruits cueillis dans ce contact vivant avec la Parole.

Cette expérience s’est aussi révélée positive parce qu’elle est créatrice de liens fraternels, œcuméniques, intergénérationnels. Elle a permis de dépasser certaines craintes et de vivre l’audace du partage et du témoignage, au-delà des confessions. L’échange en groupe a également permis de mettre en mots et de thématiser des sujets, il a renforcé l’écoute des participants, ouvert une dynamique spirituelle reliant Parole et vie, rendant chacun témoin de l’action de Dieu dans la vie de l’autre. Ce partage invite à poursuivre cette aventure de la Parole.

Approfondir la communion ecclésiale

L’évangile est appelé à se propager et devenir Parole vivante pour tous. Il s’offre comme expérience de communion fraternelle apte à fonder la conscience, progressive, d’une «appartenance» à l’Eglise, Corps du Christ en croissance. Au fil des récits, la découverte de Jésus permet de le rencontrer, personnellement, et, à travers lui, d’accueillir son invitation à le suivre avec d’autres, libérant ainsi en nous notre capacité d’aimer et de rejoindre le monde en besoin du Sauveur. Cette suite du Christ, l’évangile la donne à lire comme étant celle d’un groupe de disciples. On n’est pas disciple tout seul, mais en «église», une communion d’hommes et de femmes «convoqués» par la Parole à croire au Christ et devenir son Corps. La Parole et la foi en Christ fondent la communion des disciples. La lecture de l’évangile dans un partage mutuel permet à chacun de s’ouvrir à la foi. La «porte de la foi» s’entrebaille, quand l’évangile est annoncé et accueilli. Il s’agit d’aider et accompagner les personnes à vérifier comment et à quelles conditions, leurs actions sont menées «selon le Christ». Ce qui fait l’importance d’un tel itinéraire, c’est notre persévérance à proposer des expériences d’«église». La communion s’expérimente en se recevant les uns les autres comme membres d’une communauté par l’écoute croyante de la Parole.

Une vague de fond

Il y va de notre liberté spirituelle, car la Parole nous fait advenir à notre identité profonde et nous met en contact intime avec le Christ.

Il y va de la vitalité de nos communautés chrétiennes, car les Écritures sont bien plus fécondes que toutes nos stratégies pastorales et aptes à susciter du neuf dans nos paroisses, unités pastorales, mouvements et lieux de vie.

Il y va de l’humanisation et de la divinisation de nos contemporains, car la Parole déborde le cadre de nos Églises: elle appartient à notre patrimoine universel; elle inspire les réponses éthiques, artistiques et humaines aux défis qui se posent à nos sociétés, que ce soit dans le domaine de l’économie, de la politique, de la science et de la culture. Elle vient y insérer le ferment d’éternité qui n’attend que d’éclore et d’être porté à maturité.


Béatrice Vaucher, responsable du département de la formation de l’Eglise catholique du canton de Vaud (Suisse), a coordonné l’équipe diocésaine qui a adapté et mis en place ce qui était à l’origine une initiative importée de diocèses français. La démarche, qui se poursuit cette année encore par la lecture de l’Evangile selon saint Luc, a été présentée dans de précédents numéros de Sources. Cet article en donne une brève relecture pastorale.

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La prière commune https://www.revue-sources.org/priere-commune-chemin-royal-transmettre-foi/ https://www.revue-sources.org/priere-commune-chemin-royal-transmettre-foi/#respond Tue, 01 Jan 2013 11:00:23 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=383 [print-me]

S’il y a dans ma vie de prêtre une chose que je regrette sincèrement c’est bien de ne pas avoir proposé plus souvent la prière!

La réserve et la pudeur caractéristiques de notre époque à l’égard de cet acte combien intime et personnel m’ont parfois empêché d’inviter à prier ensemble. Encore dernièrement, alors que je venais de recevoir la visite d’un diacre catholique et de son épouse, l’un et l’autre missionnaires au Kazakhstan. Au terme de notre entretien, je me suis limité à les accompagner poliment à leur voiture. Eux non plus n’ont osé délier nos langues, alors que le Notre Père était sur les lèvres.

Cette conversion à la prière a mis du temps à frayer son chemin dans ma vie. Graduellement, elle s’est imposée comme une évidence au curé de paroisse que je fus durant 17ans. Et même comme un passage privilégié qu’aime emprunter la transmission de la foi.

C’est un véritable drame de constater que trop de rencontres et de réunions ecclésiales, administratives ou autres se trouvent privées de la dimension spirituelle que leur accorderait une prière en commun. Proposée comme la chose la plus naturelle du monde, elle se révélerait rapidement bénéfique, notamment à la fin d’une journée de travail. L’homme est fait pour prier et sa foi grandit et se renforce en priant.

C’est un véritable drame de constater que trop de rencontres et de réunions ecclésiales (…) se trouvent privées de la dimension spirituelle que leur accorderait une prière en commun.

Les enfants du catéchisme et les jeunes de l’aumônerie seront les premiers bénéficiaires de cette pédagogie vénérable que la religion chrétienne propose en guise d’initiation. Le catéchumène, ne reçoit-il pas à un moment donné de son initiation le «Notre Père»? Pas de leçon de catéchisme, pas de soirée de parents, pas de sortie scoute sans chants et prières. Initiés de la sorte, adolescents et adultes apprennent non seulement à prier, mais découvrent qu’ils sont capables de prier. Puissant facteur de cohésion, la prière commune rend les jeunes complices d’une expérience singulière dont ils découvriront rapidement qu’elle n’est pas à la portée de tous leurs amis et copains.

On sait que la prière personnelle et communautaire tient une place de choix au sein des Equipes Notre-Dame. Les foyers en bénéficient, tout comme les communautés chrétiennes elles-mêmes. Ce n’est donc pas par hasard que d’autres groupes paroissiaux, moins structurés, s’en inspirent. Ainsi les Jeunes foyers de la paroisse francophone de Zurich. Just married il y a quelques années, et devenus depuis parents, ils ont rapidement acquis l’heureuse habitude d’ouvrir leurs soirées mensuelles par un moment de prière, ponctué par la lecture de l’évangile du jour, d’intercessions et du «Notre Père». En cela, les initiés entraînent les novices, les confirmés, les hésitants. La parole se libère en priant.

Sans vouloir trancher de la relation entre foi et prière, force est de constater qu’on devient croyant en priant. Proposer de prier et oser prier ensemble pourrait donc bel et bien constituer un chemin royal de la transmission de la foi.

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Clau Lombriser

Clau Lombriser

Le frère dominicain Clau Lombriser fut pendant 17 ans curé de la communauté francophone de Zurich. Aujourd’hui, père maître des étudiants au couvent de formation St.Hyacinthe de Fribourg et membre de notre équipe de rédaction.

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Compostelle et Cordoue https://www.revue-sources.org/compostelle-et-cordoue-chemins-de-foi-et-de-reconciliation/ https://www.revue-sources.org/compostelle-et-cordoue-chemins-de-foi-et-de-reconciliation/#respond Tue, 01 Jan 2013 10:59:24 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=380 [print-me]

J’avais huit ou neuf ans quand on m’a enseigné au catéchisme le nom des trois vertus théologales. Je n’y ai pas compris grand-chose. Au fil des années, je croyais avoir saisi ce que les théologiens veulent dire par là. Mais c’est finalement le Chemin de Compostelle qui m’a fait comprendre du dedans, c’est-à-dire avec mes pieds, mes tripes et mon coeur, ce que la foi, l’espérance et l’amour signifient dans ma vie.

Il suffit d’aimer…

De mai à août 2001, j’ai marché vers le sanctuaire galicien à partir du Puy-en-Velay. Ces trois mois de solitude m’ont fait comprendre d’abord que la vie est chemin, un chemin pour lequel j’avais été appelée personnellement. Il m’avait fallu du temps pourtant avant que je me décide à quitter maison, famille et repères quotidiens. Du temps, une fois en route, pour apprendre à dépasser mes peurs. Peur des chiens, peur de l’inconnu, peur d’être volée ou agressée. J’ai dû parfois affronter des difficultés imprévues. Mais, comme tous les pèlerins en font l’expérience, j’ai pu me rendre compte que saint Jacques réserve de petits miracles à ceux qui osent mettre leurs pas dans les siens.

Le chemin, il m’est arrivé plus d’une fois de le perdre. Quelle angoisse de me retrouver égarée sous l’orage en traversant le Plateau de l’Aubrac, ce «lieu d’horreur et de profonde solitude» dont parlait les pèlerins du Moyen Âge! Mais quel bonheur de constater que boussole et carte me permettent de faire le point, de revenir à l’endroit où j’ai fait fausse route et de retrouver les flèches que ma précipitation ne m’avait pas permis de voir.

Le chemin m’a enseigné l’importance de l’instant présent. Le plaisir de m’étendre sur un lit de mousse au moment de la pause et de boire goulûment l’eau de ma gourde. D’éprouver jour après jour la béatitude d’être en contact avec la nature, de m’enivrer d’une odeur, d’un chant d’oiseau, de la beauté d’une prairie sur laquelle le soleil vient de se lever. Autre bonheur acquis chemin faisant: la liberté. Quand on transporte sa maison sur le dos, on apprend à se délester de tout le superflu. Des vêtements et des objets inutiles qui ne font qu’alourdir le paquetage mais aussi des poids et des scories qui encombraient le cœur et l’esprit. Des vieilles rancunes, des sentiments d’échec, des deuils mal faits. C’est alors que s’ouvre à moi un «espace infini où ma liberté respire» (Maurice Zundel).

Le chemin m’a appris à attendre. Dans mes moments d’angoisse, il est arrivé plus d’une fois que la solution providentielle tarde à se manifester. Il a fallu alors patienter, continuer à marcher envers et contre tout. En espagnol, le mot attendre se traduit par esperar. Le chemin m’a appris à mettre de la certitude dans mon espérance.

Et puis, sur le chemin, il y a les autres. Les pèlerins, ces frères et ces sœurs avec qui il fait bon partager un morceau de pain et de fromage, une souffrance tue, un espoir fou. Et aussi, dans les villages traversés, ces inconnus qui vous offrent un verre d’eau ou l’hospitalité de leur maison. Avec eux, j’ai appris à accepter d’avoir besoin des autres et à m’enrichir à leur contact.

En me rapprochant du but, je me suis aperçue que mes peurs avaient perdu toute raison d’être. Et que, plus d’une fois pendant mon voyage, j’avais éprouvé cette sensation de légèreté indicible qu’on appelle la joie. Je suis entrée dans la cathédrale de Santiago à l’heure de la messe des pèlerins. Dans son homélie le célébrant disait: «El camino de la alegria, es el amor. Le chemin de la joie, me suis-je répété souvent depuis lors, il suffit d’aimer pour le retrouver. D’aimer le prochain comme le lointain.

Au-delà du Matamoros

Quand, quelque temps après mon retour, j’ai rencontré le Matamore dans les pages d’un guide espagnol, mon sang n’a fait qu’un tour. Santiago Matamoros. De matar, tuer, et Moros, Maures. Saint Jacques le tueur de Maures! Saint Jacques, l’Apôtre, on en faisait un massacreur de musulmans! En marchant jusqu’au lieu supposé de sa sépulture, j’avais découvert la paix intérieure. J’avais compris aussi que cette réconciliation avec moi-même impliquait nécessairement la réconciliation avec les autres. Et voici que je découvrais que le Chemin de Compostelle avait été aussi un chemin de haine et de guerre!

En me penchant sur l’histoire de Compostelle j’ai appris que les routes qu’empruntaient les pèlerins étaient celles fréquentées au Moyen Age par tous ceux qui voyageaient: commerçants, prélats, diplomates, militaires. En particulier les princes et les guerriers venus de l’Empire romain germanique prêter main-forte aux troupes levées par les rois chrétiens du Nord de la Péninsule ibérique pour en chasser les souverains musulmans. J’ai appris aussi que l’Apôtre avait été désigné comme le saint patron de l’Espagne et de ses armées. J’ai compris que c’est en grande partie grâce à l’ennemi commun qu’elle combattait que l’Europe avait pu s’unir au Moyen Âge. Et je me suis dit qu’il était grand temps d’opérer un retournement historique et de transformer les chemins du Matamore en chemins de réconciliation.

La personne avec qui j’ai partagé les joies et les peines d’une longue marche, le poids du sac, les ampoules au pied, les petits matins frisquets et l’extase d’un lever de soleil à travers la brume, ne sera plus jamais pour moi un étranger. La peur de l’autre est jetée dehors par la fraternité[2].Des rencontres successives m’ont permis de partager cette idée avec d’autres pèlerins de Compostelle, mais aussi avec des pèlerins de Jérusalem et des pèlerins de la Mecque. Ensemble, nous avons créé l’Association Compostelle-Cordoue qui s’est donnée pour but de favoriser le vivre ensemble de personnes d’origines et de cultures différentes, ceci grâce à la marche et au dialogue[1].

[1] www.compostelle-cordoue.org

[2] Un témoignage collectif sous la direction de Gabrielle Nanchen et Louis Mollaret Compostelle-Cordoue, marche et rencontre. Ed. St-Augustin, 2012.

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Gabrielle Nanchen fit partie des quelques femmes qui siégèrent pour la première fois au Parlement Fédéral suisse, en 1971. Elle est surtout une pèlerine passionnée de Compostelle. Se fondant sur cette expérience, elle propose une forme nouvelle de dialogue interculturel.

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Mille ans d’hospitalité https://www.revue-sources.org/mille-ans-dhospitalite-temoignage-de-foi-2/ https://www.revue-sources.org/mille-ans-dhospitalite-temoignage-de-foi-2/#respond Tue, 01 Jan 2013 10:56:52 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=378 [print-me]

L’Hospice du Grand-Saint-Bernard demeure depuis près de mille ans une porte ouverte à tous ceux qui passent. Sur ce col inhospitalier, à près de 2500 mètres d’altitude, la vie fraternelle se tisse, jour après jour à l’abri des rochers, siècle après siècle, sous le regard bienveillant du Père.

Les Romains déjà…

Voilà près de 2000 ans, les Romains s’étaient déjà aventurés à creuser dans le roc la voie qui relierait les deux versants de la montagne, favorisant ainsi le commerce et les échanges entre populations. La bâtisse actuelle conserve discrètement en ses murs d’antiques marbres témoins de ce temps. Ils rappellent à la communauté religieuse d’aujourd’hui combien son œuvre d’hospitalité s’appuie sur des fondations posées jadis par ceux que l’on nomme un peu trop facilement païens. Les premiers chanoines sur le col en étaient conscients. Comme en témoigne la devise latine de l’Hospice qui exhorte à la pratique d’un accueil sans frontières: Hic Christus adoratur et pascitur. Ici, le Christ est adoré dans la célébration de la foi et c’est encore Lui qui nourrit les frères et sœurs rassemblés en communauté. Il se donne à reconnaître au travers de tout visage rencontré, catholique ou musulman, agnostique ou bouddhiste.

Au lieu même du franchissement du col, l’Hospice apparaît tel un refuge d’humanité, érigé là où personne n’habite, mais où tant de gens passent. Proposer la foi aujourd’hui à l’Hospice, c’est avant tout offrir à chacun de nos hôtes sa simple présence et croire en la divine tendresse célébrée autour d’une tasse de thé, dans la chaleur d’un regard échangé ou le réconfort bienfaisant après une parole confiée.

S’agenouiller devant celui que l’on reçoit.

Proposer la foi à l’Hospice, ce n’est donc pas tant chercher à transmettre des connaissances sur Dieu, si profondes soient-elles; c’est m’agenouiller devant mon semblable, me mettre en attitude de réceptivité jusqu’à ce que l’hôte me devienne intérieur. La rencontre devient célébration de la foi lorsque mon regard est orienté vers l’infini qui consacre toute présence humaine. Quelles que soient les méandres d’une histoire de vie, si je m’ouvre à l’infini que l’hôte porte en lui, il m’est donné de reconnaître Dieu qui a pris chair de notre chair pour se livrer entre nos mains.

Comme au cours du dernier repas: «Prenez et mangez-en tous, ceci est mon Corps livré pour vous. Prenez et buvez-en tous, ceci est mon Sang versé pour vous et pour la multitude», le prêtre que je suis n’est pas à cet instant en train de renouveler le geste du Christ qui prend entre ses mains le pain et le vin. Je m’identifie plutôt à l’un des disciples qui reçoit la parole du Christ à travers l’humanité déjà consacrée de l’hôte qui s’offre à moi. Dès lors, il ne m’est pas tellement demandé de proposer la foi que de chercher à la recevoir au creuset de toute vraie rencontre.

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Le Chanoine José Mittaz est Prieur de l’Hospice du Grand-Saint-Bernard, au sommet du col qui relie le Valais suisse au Val d’Aoste italien.

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