thambiaiyahkirushanth – Revue Sources https://www.revue-sources.org Wed, 21 Dec 2016 10:27:07 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.3.1 Que nous veut L’homme qui marche d’Alberto Giacometti? https://www.revue-sources.org/veut-lhomme-marche-dalberto-giacometti/ https://www.revue-sources.org/veut-lhomme-marche-dalberto-giacometti/#respond Wed, 15 Jun 2016 04:16:58 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=1402 [print-me]

Que nous veut-il ? Que veut-il nous dire, cet homme « immobile à grand pas » ? Les mots sont de Paul Valéry dans Le cimetière marin. Il le disait d’Achille. « Pour l’âme, disait-il, Achille immobile à grands pas ». Achille, le héros, archétype de l’humain ! Pour son âme, son essentiel, l’homme est celui qui marche. Et même immobile, toujours à grands pas.

Enigme fascinante

L’homme qui marche. Nous avons dans l’œil cette sculpture des plus célèbres d’Alberto Giacometti. Son saisissant contraste de mobilité et d’immobilité. S’il nous fascine et nous interroge, cet homme qui marche, c’est sans doute à porter devant nous une énigme. Énigmatique et fascinant, oui, il l’est comme peut l’être tout ce qui nous semble à la fois bien connu, familier et dont nous peinons pourtant à percevoir le sens. Ce qui nous est présenté là, pas de doute que cela nous concerne, mais qu’est-ce que cela veut nous dire ? Et d’abord qui est-il ce « nous » ?

Nous qui nous pressons dans les musées et les expositions pour voir Giacometti dans ses œuvres, pratique essentielle à ce qui est pour nous « culture ». Nous autres occidentaux de haute modernité, possédés d’une passion pour l’art en général et l’art contemporain tout particulièrement. Nous en sommes bien d’accord, mais rien ici à même d’éclairer ce qui dans L’homme qui marche peut bien « nous » être une énigme.

Osons alors une autre caractéristique, moins bénigne, de ce qui constitue ce « nous ». Ne serions-nous pas ces hommes et femmes d’une civilisation qui perd le sens de ce que « être un humain » veut dire ? Voilà pourquoi cet homme qui marche, mobile du mode de locomotion rudimentaire de l’humanité d’avant « nous », aurait alors de quoi nous étonner. D’où vient-il ce vivant qui marche ? Où va-t-il ? Et comble de l’énigme, pourquoi avance-t-il encore à pied parmi nous, avec ce mode de transport des plus obsolètes. Aller sur ses deux pieds, voilà bien en effet ce qui n’a plus lieu d’être, ni droit de cité, dans un monde conçu pour la grande vitesse. Et tout au plus pour le plaisir, sur deux pieds, non pas la marche mais la glisse.

Exit l’homme qui marche

Pas de doute notre civilisation technique et scientifique de haute modernité est en train de perdre le sens de l’homme. Et le signe le plus manifeste n’en est pas seulement, pas d’abord, que la marche nous soit devenue étrange. Il faut revenir à la cause de cette étrangeté. C’est une mutation du regard. Notre œil ne sait plus reconnaître qui nous sommes. Preuve en est l’effacement aujourd’hui des contours spécifiques de l’humain tant du côté du vivant que vers la machine. Face à l’évidence de ce qui nous paraît tel, rien ne sert d’objecter qu’il y va d’un problème d’optique.

Tout à la fois présente et évanouissante, la figure de L’homme qui marche est prégnante de ce que la philosophie a savamment thématisé sous le mot de « finitude ».

Dans les objectifs de nos sciences, qui sont de la matière, on ne peut plus faire théoriquement la différence entre l’homme, l’animal et la machine. En toutes choses et partout, rien que des atomes ou de l’énergie. Tout cela ne diffère en rien. D’où qu’on entende partout aujourd’hui la rengaine : L’homme un vivant comme les autres. Et le vivant une machine comme une autre. Et l’homme donc lui aussi une machine… Certes pas tout à fait comme une autre, la mécanique humaine. Machine intelligente, mais l’intelligence, dira-t-on, qu’est-ce que cela sinon l’artifice aussi de quelque machinerie logique ?

Exit donc l’homme qui marche à grands pas, tourné résolument vers l’inconnu. Notre avenir est désormais au post-humain. Cet être bientôt sorti de nous, être enfin libéré de ce qui n’est pas vraiment nous. Et quoi de nous ne serait-il pas nous? Ce corps de misère bien sûr, voué aux maladies, au vieillissement, à la mort, ce corps qui nous condamne à la lenteur et à la pénibilité de la marche!

Et il n’y a pas à protester d’une telle ingratitude envers notre plus fidèle compagnon d’existence, pas à contester au nom de la raison, lorsque seule la technique a désormais raison scientifique. L’emprise de son autorité souveraine explique assez que nous ayons autant de mal aujourd’hui à comprendre le sens de ce que marcher veut dire. Toutefois que la sculpture de Giacometti puisse encore intriguer ceux-là qui n’ont plus d’évidence le sens conjoint et de l’homme et de la marche, voilà qui montre assez qu’il est toujours vivant en nous cet homme qui marche, quoique recouvert, occulté, dans un monde qui ne le comprend plus.

Corps et esprit: mystérieuse connexion

Entre les mains du sculpteur, le trait du marcheur est à la fois bien affirmé et comme vacillant, incertain. L’homme qui marche présente un concentré visuel de ce nœud d’opposés qu’est l’humain. En équilibre dans le déséquilibre, à la fois mobile et immobile, « immobile à grands pas », selon les mots du poète. Il émane de lui aussi et de la décision et de l’incertitude, et de la force et de la fragilité, et de la résolution et de la vulnérabilité. Le corps humain en marche est le foyer actif de ces tensions fécondes. Tout à la fois présente et évanouissante, la figure de L’homme qui marche est prégnante de ce que la philosophie a savamment thématisé sous le mot de « finitude ».

Gageons que la claudication se vit avec plus de légèreté lorsqu’elle rend visible à l’œil qui voit la vérité de l’homme.

Selon ce que le mot lui-même déclare, « finitude » est dans l’existence la marque au présent des stigmates de la fin. Notre finitude, c’est d’avoir un corps, diront ceux qui envisagent sans fiction un être d’après l’homme, au corps d’acier, de verre, de silicone, voire même un être sans corps, pur esprit circulant dans un monde réseau. La finitude est pour ceux-là un obstacle à la vie pleine que nous promet l’avenir des techniques. Mais celui qui, anachronique et pourtant visionnaire, centre sa pensée sur un être qui marche, déclare tacitement un : Notre finitude, c’est d’être un corps, ce corps où réside l’esprit. Corps et esprit. Le duo s’entend non d’un dualisme où seul compte l’esprit in fine, mais d’une dualité où corps et esprit ont à cheminer ensemble.

Au bonheur de la finitude

Pour creuser le mystère de cette connexion du charnel et du spirituel, où l’homme se tient, un philosophe voyait dans l’art l’expression d’une pensée indemne des abstractions de l’Occident. Pensée affranchie tout particulièrement de l’abstraction dualiste qui depuis le Phédon de Platon décorpore l’esprit en faisant du corps l’antithèse de la vie, « le tombeau de l’âme ». Ce philosophe est Martin Heidegger, penseur à sa manière de l’homme qui marche, dans les catégories de l’être et du temps, Sein und Zeit. La finitude selon Heidegger est l’existence dans son Sein zum Tode, son « être vers la mort ». L’idée peut faire peur, mais il n’y a rien de morbide dans le Sein zum Tode. Exister vers la mort n’est pas se laisser envahir d’un nihiliste « exister pour le rien » et donc pour rien. L’exister vers la mort est un être pour le plus haut du vivre. S’engage en lui l’étonnant paradoxe qui définit l’humain. La finitude est la source mystérieuse des pouvoirs de l’esprit.

Chez l’homme, ce vivant qui se sait mortel, – à quel degré il peut assumer ou refuser ce savoir, le réaliser ou le refouler, peu importe, là n’est pas la question -, chez ce vivant sachant peu ou prou qu’il va mourir et chez lui seul, naissent les plus hautes créations de la pensée en art, en science et technique, en politique, en religion. Avoir l’œil accommodé sur un fond d’absentement radical donne à l’homme la capacité d’être présent à tout ce qui se présente dans le réel et d’en être le témoin. L’être vers la mort est ainsi le lieu nocturne d’où jaillissent les lumières de l’esprit. Au  bonheur de la finitude, tel serait donc le leitmotiv d’exister.

Le message du boiteux

Cette vision de l’homme, chemineau de l’existence, nous ramène à la pensée concrète d’Alberto Giacometti. Il éprouvait, dit-on, un sentiment de profonde gratitude à l’égard d’un accident de la route qui l’avait rendu boiteux[1]. Rien d’insolite à cela. Dans le fait de boiter, il y va d’une révélation de l’existence, cette marche entre naissance et mort. L’épreuve accentuée de sa finitude instaure ainsi un homme en plus grande intimité avec ce qui lui donne d’agir, là où il puise sa joie d’exister. Un pas d’homme est à la fois régulier et toujours un peu irrégulier. Et même s’il ne boîte pas, un homme avance sur les chemins et dans la vie d’un pas légèrement claudiquant.

Lorsque le pas se fait plus lourd avec le poids des malheurs et des ans, la claudication naturelle s’accentue et devient plus visible, venant trahir la vulnérabilité du corps. Mais gageons que la claudication se vit avec plus de légèreté lorsqu’elle rend visible à l’œil qui voit la vérité de l’homme. Ce bonheur de la finitude, L’homme qui marche sait nous le rendre sensible dans sa perpétuelle advenue, l’événement d’une présence revenue toujours à nouveau de l’absence. Le poète Jean Genet l’a bien dit : « Encore que présentes ici, où sont donc ces figures de Giacometti (…) sinon dans la mort ? D’où elles s’échappent à chaque appel de notre œil pour s’approcher de nous »[2]. Cette arrivée insolite ne suscite pourtant pas l’effroi. Elle ne montre pas « la mort ». Elle fait plutôt éprouver la vie dans son surgissement miraculeux, don mystérieux d’un trépas à venir. L’homme qui marche est une icône de l’humain.

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Pascal Marin

Pascal Marin

Le frère dominicain Pascal Marin, prieur du Couvent de la Tourette, est Maître de Conférence de la Faculté de philosophie à  l’Université catholique de Lyon.

[1] Qu’est-ce qu’une tête ? Documentaire de Michel van Zele, Arte, France, 2000.

[2] J. Genet, L’atelier d’Alberto Giacometti, Paris, Mægth, 1957, p. 4.


Alberto GIACOMETTI (1901 – 1966)

Sculpteur et peintre suisse, né à Borgonovo dans le Val Bregaglia le 10 octobre 1901, décédé à Coire le 11 janvier 1966. Le nombre important d’œuvres appartenant à la Fondation Maeght (35 sculptures majeures dont deux versions de L’Homme qui marche, 30 dessins et près d’une centaine de lithographies) témoigne de cet intérêt soutenu. Ainsi, la Fondation Maeght possède la collection la plus importante de cet artiste en Europe, avec le Kunsthaus de Zürich et la Fondation Giacometti à Paris.

Extrait du site:  fondation-maeght.com


Icône de l’art moderne

Il existe dix exemplaires de L’Homme qui marche d’Alberto Giacometti : quatre épreuves d’artiste et six moulages en bronze portant la signature du sculpteur. Ils appartiennent à des collectionneurs privés et à des musées. En France, l’on peut admirer l’oeuvre à Saint-Paul-de-Vence (Alpes-Maritimes), où une épreuve d’artiste, don de Giacometti, est exposée dans les jardins de la Fondation Maeght. Deux autres exemplaires sont visibles aux Etats-Unis, au musée Carnegie de Pittsburgh (Pennsylvanie) et à la galerie Albright-Knox de Buffalo (New York). Chez Sotheby’s, à Londres, ( en février 2010) c’était la première fois depuis cinquante ans qu’une fonte de L’Homme qui marche, réalisée du vivant du sculpteur, passait en vente publique.

Dès sa création, cette sculpture sort de l’ordinaire de l’artiste. Ses 183 centimètres de hauteur en font la seule oeuvre du Suisse à taille humaine.

C’est la première fois, le 17 janvier 1959, que Giacometti accepte une commande publique, venue de la Chase Manhattan Bank à New York. Il se met au travail au printemps. Comme à son habitude, son perfectionnisme le conduit à multiplier les projets de toutes dimensions. Le retard provoqué par ces hésitations inquiète son marchand américain, Pierre Matisse, le fils du peintre. « Il n’avait jamais fini et s’efforçait sans cesse de restituer fidèlement sa vision », confirme la directrice de la fondation Giacometti à Paris, Véronique Wiesinger. « S’il n’était pas mort, il aurait retravaillé L’Homme qui marche pour en donner une nouvelle version, même des années après. ». Dans son atelier parisien, il en avait imaginé au moins quarante déclinaisons.

Pascal Ceaux

Extraits d’un article paru «L’Express » du 23/02/2010

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L’homme qui marche https://www.revue-sources.org/editorial/ https://www.revue-sources.org/editorial/#respond Wed, 15 Jun 2016 02:26:46 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=1404 [print-me]

Non, ce dossier ne se veut pas en premier chef un hommage rendu  à notre artiste suisse Alberto Giacometti. Bien que son «homme qui marche» et ne marche pas, à l’instar de la flèche de Zénon d’Elée qui «vibre, vole, et ne vole pas[1]» ait pu nous inspirer. Homo viator, fait pour marcher, mais pour aller où? A-t-il seulement une idée préconçue de son itinéraire? Ou reste-t-il là, figé et planté, comme les disciples au jour de l’Ascension, tétanisés par le départ du Maître.

De la marche du disciple à la suite ou au côté du maître, il en sera précisément question dans ce dossier. Un thème traditionnel dans un Ordre qui pendant des siècles a voué une fidélité quasi inconditionnelle à la pensée d’un Maître particulier. Qu’en est-il aujourd’hui?

L’heure n’est plus au sommeil; il est grand temps de se lever et de reprendre la route.

Un Ordre marqué pourtant par l’itinérance de Dominique, invitant ses frères à se décentrer pour aller aux «marches» – ce mot signifie aussi frontière – de la pensée chrétienne, à la recherche d’un Dieu toujours lointain et mystérieux. Notre dossier reprend à ce sujet les injonctions que le Maître des Prêcheurs,  Bruno Cadoré, adresse à ses frères au moment où ils célèbrent huit siècles de parcours dominicain. L’heure n’est plus au sommeil; il est grand temps de se lever et de reprendre la route.

Une marche qui n’est pas l’apanage des seuls Dominicans. Ils la vivent avec l’ensemble du peuple de Dieu en route lui aussi vers la «joie imprenable», au terme d’un exil sur une terre qui n’est pas la sienne.

Un exil bien réel et concret, celui-là, vécu par des milliers de migrants «déroutés» par les guerres, la famine ou la persécution. Notre dossier fait allusion à l’Arménie et au Moyen Orient. Nous avons voulu aussi faire écho aux poèmes d’Erri de Luca dénonçant en termes poignants ces marches forcées, indignes de notre humanité.

Et la marche, tout simplement? Le plaisir de flâner à tout âge et à toute saison, à travers villes ou buissons? Promenades de santé, sans autre but que celui de suivre son rythme et d’aller à son pas… Une riche littérature sur ce thème vers laquelle nous ne pouvons qu’orienter nos lecteur. Nous n’avons retenu qu’un seul titre. Son auteur est un ami. Il parle du jogging découvert à l’âge de sa retraite et il démontre tout le plaisir qu’il y trouve.

Un plaisir aussi que vous aurez sans doute en parcourant ce dossier et en prenant en compte les quatre rubriques qui l’accompagnent. Et, bien sûr, ne manquez pas de nous faire signe. Nous travaillons avec vous et pour vous.

[1] «Zénon! Cruel Zénon! Zénon d’Êlée!
 M’as-tu percé de cette flèche ailée
 Qui vibre, vole, et qui ne vole pas!» Paul Valéry

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«Va et prêche!» https://www.revue-sources.org/dominicains-chemin-va-preche/ https://www.revue-sources.org/dominicains-chemin-va-preche/#respond Wed, 15 Jun 2016 02:07:30 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=1400 [print-me]

L’itinérance semble être une des marques qui caractérise l’Ordre des Pêcheurs. Elle s’enracine dans la mission pérégrinante de Dominique de Guzman. Son successeur, le frère Bruno Cadoré, le rappelle à ses frères et à ses soeurs dans une lettre publiée le 1 er janvier 2016 à l’ouverture du Jubilé célébrant les huit cents ans de l’Ordre des Prêcheurs. En voici des extraits significatifs:

Va et Prêche!

Depuis la célébration de l’anniversaire de l’installation des premières moniales de l’Ordre à Prouilhe, chaque année de la neuvaine proposée par le frère Carlos nous a préparés a entendre aujourd’hui cet envoi. Notre tradition dominicaine nous dit que Dominique l’entendit un jour de saint Pierre et saint Paul: «Va  et prêche, car Dieu t’a choisi pour t’acquitter de ce ministère », lui dirent-ils. A la porte de la basilique de Sainte Sabine, cette même formule a été reprise par celle qui a écrit cette belle icône ou saint Dominique, a son tour, s’adresse a nous tous, frères et soeurs en la famille dominicaine : Va, et prêche! Vade Praedica!

De ville en village

Comme Dominique voulait le faire comprendre au Pape lorsqu’il lui demandait de confirmer les premiers fruits de son intuition, le feu de l’Evangile doit embraser d’abord l’existence de chaque Prêcheur: ils devaient « être » Prêcheurs. C’est ce feu intérieur qui nous a un jour donné l’audace de demander la grâce de consacrer toute notre vie à la Parole. C’est ce même feu qui peut établir en nous l’impatience, l’insomnie, l’espérance que de ville en village, le nom de Jésus-Christ devienne le nom d’un frère et d’un ami qui vient vivre familièrement avec les hommes, inspirant a tous la confiance d’aller vers Lui .

Le bâton et le livre

Et voila que revient l’image de la vision de Dominique: le bâton de Pierre et le livre de Paul.

Le bâton de Pierre, d’abord, pour ne jamais oublier qu’il est un seul Berger, dont Pierre lui-même fut le premier des serviteurs. Ainsi, les prêcheurs sont-ils envoyés pour être inlassablement prêcheurs de la grâce du salut dont l’Eglise, en l’unité de sa communion, est le sacrement. Mais le bâton, aussi, car il s’agit de prendre la route, de sortir de nos installations, d’aller plus loin que les frontières de nos sécurités, d’enjamber les fossés qui séparent les cultures et les groupes humains, d’accompagner les pas lorsqu’il s’agit d’avancer sur des chemins de peu de certitudes. Bâton sur lequel s’appuyer quand, conscients de nos fragilités et de nos péchés, nous appelons la grâce de la miséricorde pour qu’elle nous apprenne à devenir prêcheurs. Le bâton du prêcheur itinérant de la grâce de la miséricorde.

L’objet de la prédication est cette approche discrète et respectueuse de Celui qui vient, familièrement, proposer l’amitié et la miséricorde de Dieu.

La mobilité de cette itinérance, intérieure autant qu’elle est extérieure, exige que le bâton, toujours, soit accompagné du Livre porté par Paul. Certes, déjà, parce que dans le Livre est écrit ce que Dieu veut révéler à tous. Et aussi parce que c’est bien dans la Parole que doivent plonger à la fois l’expérience croyante, la conversation de l’évangélisation et l’effort d’intelligibilité que poursuit la théologie. Mais le livre avec le bâton, car la rencontre, le dialogue, l’étude des autres cultures, l’estime des autres quêtes de vérité, tout cela constituera des portes d’entrée vers une plus profonde connaissance et compréhension de cette Parole qui, progressivement, se révèle à force de scruter l’Ecriture déposée dans la Bible

Sur de nouveaux chemins

C’est en faisant retour aux premiers temps apostoliques que Diegue et Dominique ont eu !’intuition, déjà, de la nécessité d’un renouveau des méthodes, de l’ardeur et du message de l’évangélisation. Aujourd’hui et demain, à notre tour, nous sommes invités à ce même travail de renouveau, afin de contribuer à «conformer nos temps modernes à ceux des origines et diffuser la foi catholique ».

Et nous avons la chance de pouvoir le faire en accueillant dans tous les continents de nouvelles vocations qui sont autant d’appels au renouvellement incessant du dynamisme de la prédication de l’Ordre. Quelles sont donc ces routes sur lesquelles nous sommes aujourd’hui appelés à vivre familièrement avec les hommes? «II faut que j’aille aussi dans les autres villes pour leur annoncer la Bonne Nouvelle du règne de Dieu, car c’est pour cela que j’ai été envoyé » (Le 4, 43-44). L’Ordre de saint Dominique, dans son ensemble, doit être animé par un sentiment analogue de l’urgence de la «visitation de l’Evangile » (Lc 1, 39). Certes, nous avons tous, soeurs, frères et laïcs, de bonnes raisons pour dire qu’il nous faut, avant tout, assurer ce que nous faisons déjà.

Certes, nous pouvons parfois être comme «paralysés» en considérant l’ampleur de la tâche et le petit nombre que nous sommes. Bien sûr, nous avons raison de souligner que, déjà là où nous sommes établis, la tâche de la prédication est essentielle. Mais la « visitation de l’Evangile » nous presse de rejoindre les personnes, les groupes, les peuples et les lieux où l’annonce de la bonne nouvelle du Royaume doit aussi être entendue. L’objet de la prédication est cette approche discrète et respectueuse de Celui qui vient, familièrement, proposer l’amitié et la miséricorde de Dieu.

Ouvrir les voies de l’interculturalité

Comment allons-nous, dans le futur, ouvrir largement les voies de l’interculturel, de l’échange entre les provinces et les congrégations. Comment mettre mieux au service de l’Eglise la réalité internationale de l’Ordre? Oserons-nous prendre le risque d’internationaliser nos communautés, d’en faire des témoignages de symphonie possible entre les cultures, entre les écoles théologiques, entre les savoirs, entre les représentations de l’Eglise?

Pour réaliser cela, il me semble que l’Ordre dans le futur aura, toujours besoin d’une prédication contemplative. Paradoxalement, alors qu’on ne cesse de dire, avec raison, que l’Eglise a besoin toujours davantage d’ouvriers pour la moisson, l’Ordre aura sans doute a offrir un service qui ne s’engouffrera pas seulement dans l’action pastorale, mais qui sera davantage des lieux de contemplation, de recherche, de sagesse, de quête de vérité. C’est dire la place que devrait prendre à l’avenir le soin apporté au témoignage de la communion fraternelle, la priorité non négociable accordée à la méditation de la Parole, à la prière des Heures et de !’intercession, à la patiente veille en présence du Seigneur. Mais c’est dire aussi la détermination avec laquelle nous devrons consolider et approfondir l’intensité de l’étude, voie privilégiée de la contemplation, mais aussi service pour l’Eglise que, au nom de la tradition qui nous a été transmise, nous ne pouvons décliner.

Au-delà des situations établies

Comment ne pas oublier que le propre de l’Ordre, hier, aujourd’hui et demain, est d’aller toujours au-delà des situations établies, de partir a la rencontre de celles et ceux qui n’ont pas encore eu la joie d’une rencontre personnelle avec Jésus-Christ, de prendre le risque de quitter des sécurités pour aller donner le témoignage de la miséricorde et de l’amitié de Dieu à celles et ceux pour qui Dieu est encore, ou est devenu, lointain et étranger. Comment nous laisser emporter par le feu du désir d’aller vers d’autres lieux, d’autres cultures?

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Bruno Cadoré, supérieur général de l’Ordre des prêcheurs

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Iter para tutum https://www.revue-sources.org/iter-para-tutum/ https://www.revue-sources.org/iter-para-tutum/#respond Wed, 15 Jun 2016 02:03:04 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=1398 [print-me]

Il m’arrive de chantonner ce verset extrait de l’«Ave Maris Stella», une hymne du premier millénaire chrétien que la liturgie mariale a rendue célèbre. Trois mots prennent la forme d’une prière à la Vierge: «Aménage-nous un chemin sûr» ou «Prépare-nous un itinéraire sans danger!»

Homo viator

Il faut donc partir, se mettre en chemin. Homo viator, disaient les anciens. Mais partir pour aller où? Vers quoi? Vers qui? Pas forcément en croisière, comme pourrait le suggérer le titre de la Vierge invoquée dans cette hymne. Marie n’est pas l’étoile du berger qui montre aux marins leur route dans la nuit. Le but de l’expédition est bien précisé par les versets qui suivent.

Comme les mages l’ont fait en leur temps, le chrétien entreprend un pèlerinage pour voir Jésus et éprouver à ce spectacle la joie qu’Hérode ne connaît pas. Iter para tutum / Ut videntes Jesum / Semper collaetemur. «Prépare-nous un bon chemin pour qu’à la vue de Jésus nous puissions ensemble nous réjouir.

Désirer voir!

Voir de ses yeux, quoi de plus humain! Ecrire «seen» sur les diverses haltes concoctées par un voyagiste. «Tu as voulu voir Vierzon, Vesoul, Honfleur, Hambourg…», chante Jacques Brel. Puis, tu n’as plus voulu voir Vierzon, Honfleur…Comme toujours!

Le pèlerin qui demande le secours de Marie est un touriste d’une autre veine. Il n’a que faire de Vesoul, Honfleur ou des remparts de Varsovie. Paysages fugitifs qui sautent aux yeux, puis s’évanouissent. C’est Jésus que le pèlerin veut voir. Désir profondément ancré chez ces chrétiens médiévaux qui, faute de voir ce Jésus tant désiré, se contentent de contempler la blanche hostie qui à la messe le représentait.

Pour les satisfaire, les liturgistes de l’époque inventent le rite de l’élévation et sainte Julienne de Cornillon suggère que soit processionné l’ostensoir le jour du Saint Sacrement. Depuis Thomas qui ne voulait croire qu’après l’avoir vu, les chrétiens cheminent à tâtons à la recherche du visage perdu de Jésus. Ce singulier pèlerinage est aussi long que leur vie.

Pas de  regard nostalgie ou nostalgique

Mais sans nostalgie et sans archéologie. Comme s’il s’agissait de retrouver ou reconstituer les traits physiques du fils de Marie. Laissons ce rêve impossible aux romanciers bibliques et aux pèlerins de Palestine. Ce n’est pas le Jésus d’hier qui nous fait signe, mais celui d’aujourd’hui et plus encore celui de demain. «Sans le voir, nous l’aimons et nous tressaillons de joie» chaque fois que son visage prend forme en ceux et celles qui lui ressemblent.

Vers le face à face

Depuis le jour où le signe de la croix a été marqué sur son front, le baptisé chemine à la recherche du visage de Jésus. Comme la fiancée du Cantique, il court à la quête de celui que son cœur aime. Comme le disciple bien aimé, il croit le percevoir dans l’obscurité d’une tombe vide ou au bord d’un lac enfoui sous la brume. La route n’est pas toujours sûre, le chemin mal balisé. Le pèlerin n’est pas à l’abri du faux pas, ni de l’impasse qui conduit nulle part. Il s’égare faute de repères, ou, lassé et découragé, il s’écrase au bord du chemin. A moins qu’il ne cède à la séduction d’autres aventures.

Le chrétien médiéval n’était pas dupe de ces dangers. Il prie Marie de l’en préserver: Iter para tutum! Il prend la Mère comme compagne de route et se laisse conduire par elle jusqu’à l’étape finale: la vision tant attendue, celle que les théologiens d’autrefois appelaient le «face à face» ou la vision bienheureuse, assortie d’une joie imprenable. Ut videntes Jesum semper collaetemur.

La «petite voie»

Nombre de nos contemporains verront dans ce voyage non pas une marche à la clarté de l’étoile, mais l’illusion naïve d’un mirage. Pourtant, eux aussi courent. Mais pour quoi et pour qui courent-ils? Le savent-ils seulement ? Peut-être ne courent-ils que pour s’étourdir et masquer le vide tragique qui marquera la fin de leur parcours.

Entre désespérance et naïveté que choisir? Je ne me laisserai pas enfermer dans ce dilemme. Je m’accroche à une parole d’évangile. Le Fils a le visage du Père. Qui me voit a vu le Père! Pas d’autre chemin vers Dieu que celui-là. Je n’aurai pas assez d’une vie pour le parcourir. Mais, avant qu’elle ne s’épuise: «Je cherche le visage, le visage du Seigneur… tout au fond de vos cœurs!».

Un souvenir m’étreint. Deux jours avant sa mort, au terme d’un long voyage, un frère aîné me confiait avec sérénité : « Je n’ai pas peur de mourir. Je vais voir Dieu».

Ceci dit, je respecte les religions ou les philosophies qui proposent d’autres chemins. Je respecte aussi ceux et celles qui n’en proposent aucun. Mais qu’on ne me détourne pas de ma «petite voie». Elle me suffit .

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Guy Musy

Guy Musy

Guy Musy, rédacteur responsable

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Maître et disciple: marcher ensemble https://www.revue-sources.org/maitre-disciple-marcher-ensemble/ https://www.revue-sources.org/maitre-disciple-marcher-ensemble/#respond Wed, 15 Jun 2016 01:59:30 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=1396 [print-me]

Qu’il s’agisse de l’instruction propre à l’école ou, plus globalement de l’éducation, voire de la direction spirituelle, religieuse ou philosophique, le rapport du maître à un disciple consiste en une «marche» commune vers la vérité et vers la liberté. Dans le propos qui va suivre, on se bornera à parler du savoir qui est recherche de la vérité. La relation maître-disciple sera donc envisagée dans le cadre de l’enseignement scolaire.

Le «magister»

Qu’est-ce qu’un maître? C’est, selon l’étymologie latine, un magister. Magister vient du latin magis (plus). C’est-à-dire, plus que le maître est censé être, littéralement, «plus» avancé sur le chemin où il veut entraîner son disciple. Il en connaît les étapes, les difficultés, la destination, parce qu’il l’a déjà emprunté. Il se tient donc au côté du disciple, et non nécessairement en avant,  même s’il a l’avantage (c’est le «plus» de magis) d’avoir déjà parcouru et ainsi exploré la voie choisie.

Il a, en commun avec son disciple, de marcher sur le même sentier. il n’est donc pas d’une autre nature que le disciple, il habite le même univers. C’est pourquoi, la rencontre avec le disciple s’effectue dans un monde «commun». Raison pour laquelle, le maître peut «communiquer» ou plutôt «communier» avec le disciple. On y reviendra.

Le «dominus»

Le latin possède un autre mot pour dire le maître, c’est celui de dominus. Mais précisément, ce mot ne convient pas pour désigner la dyade maître-disciple car dominus c’est surtout le seigneur, celui qui «domine». La domination ne convient pas à la relation maître-disciple car on ne saurait conduire un être vers la vérité par l’imposition d’un savoir venu d’en haut.

Dominer, n’est donc pas cheminer avec le disciple, mais adopter une attitude de surplomb qui transforme le disciple en simple réceptacle d’un savoir censé se déverser au nom d’une autorité confondue avec un pouvoir coercitif, au lieu de faire du disciple un compagnon de route. La dyade ne serait plus alors celle du maître et du disciple (magister-discipulus), mais celle du maître et de l’esclave (dominus-servus). Il n’y aurait pas une marche commune entre le maître et son disciple, mais un asservissement paralysant du serviteur par son maître.

Et le disciple

Comment caractériser le disciple? Le mot paraît ne pas convenir dans le domaine de l’enseignement. Sans doute parce que l’instruction n’a pas la prétention de diriger un élève dans une voie de sagesse particulière pour laquelle le mot de disciple, dans l’usage actuel, convient davantage. L’instruction vise essentiellement à permettre l’accès à des méthodes et des savoirs et non à régler les mœurs.

À l’école, on se méfierait à juste titre d’un maître qui transformerait les êtres qui lui sont confiés en disciples parce qu’on le soupçonnerait alors de se comporter comme une sorte de gourou. Pourtant on peut admettre que le rapport entre l’enseignant et l’enseigné soit décrit comme une relation de maître à disciple, mais à la condition de retrouver la signification originaire du mot disciple.

Maître et disciple sont en réalité des condisciples, tous deux tendus vers une vérité et un savoir qui se donnent grâce à une lumière intérieure.

La langue, une fois de plus, nous instruit. L’indo-européen dek, qui signifie «acquérir ou faire acquérir une connaissance» a essaimé de manière significative en latin. Ce sont bien des «disciplines» (des matières) qu’on enseigne en classe où doit régner une certaine «discipline» (une organisation pour travailler), ce que le latin exprime à l’aide du mot disciplina, qui renvoie aussi bien à l’idée d’enseignement qu’à celle de règle de vie. Le disciple (discipulus) est bien celui qui se laisse enseigner parce qu’il est docile (docilis).

On peut prolonger cet inventaire lexical en observant que le docteur (doctor) est celui qui a autorité pour enseigner (docere) un art, une science (doctrina). Le grec, lui aussi, a exploité le filon de la racine indo-européenne en proposant aux langues, par exemple, la didactique (didaxis) pour caractériser la méthode et l’objet d’une leçon, d’un enseignement, ou encore la dogmatique (dogmatikos) qui est l’exposé d’une doctrine, éventuellement fondée sur des principes.

Un espace commun au maître et au disciple?

Toutes ces précisions permettent de mieux saisir la relation qui unit maître et disciple. D’une part, il existe entre eux une asymétrie irréductible, puisque que le premier est plus (magis) «avancé» que le second. Mais, d’autre part, ils sont tendus, comme des alpinistes encordés, par la recherche du même but. Et cette recherche commune les unit. Ainsi, le maître est plus avancé mais non différent, car si la place de l’enseignant n’est pas celle de l’enseigné, l’un et l’autre partagent le même espace de signification dans la recherche du savoir. Mettre l’accent sur la notion d’enseignement, permet, par le détour de l’étymologie (enseigner, c’est faire signe), de renouer avec l’idée simple et féconde que l’enseignant est celui qui adresse des «signes» à l’enseigné.

Or, comme l’a bien montré saint Augustin dans le De Magistro, les signes en tant que tels n’apprennent rien, ne transmettent rien, ils se bornent à indiquer, à orienter le regard de l’enseigné. Dès lors, enseignant et enseigné partagent le même espace de signification puisque les signes adressés par le premier ne sont reçus par le second que parce qu’ils correspondent à une expérience sémantique commune. Et surtout, ils permettent au maître et au disciple de se soumettre à la même vérité qu’ensemble ils recherchent.

Renseigner n’est pas enseigner

Il en résulte une conséquence capitale, celle déjà soulignée lorsque l’on a distingué le magister et le dominus: la «transmission» du maître au disciple ne peut en aucune façon se concevoir selon le schéma de l’émetteur et du récepteur, comme s’il s’agissait de transvaser le savoir du maître dans l’esprit vide et passif du disciple.

Certes, le maître peut communiquer des informations. Mais celles-ci appartiennent alors au registre du renseignement, non de l’enseignement. Et les informations que l’on communique ne viennent pas s’imprimer sur une cire vierge: elles sont reçues dans la mesure où elles trouvent à s’intégrer dans une structure forgée par le disciple lui-même, en fonction de ses expériences antérieures. Ainsi, la même information communiquée par le même maître à deux disciples différents ne sera pas accueillie et incorporée de la même façon par chacun.

Communier et non communiquer

Enseigner, ce n’est donc pas «communiquer» parce que l’espace «commun» du maître et du disciple est plutôt celui d’une «communion». L’enseignement est bien une relation triadique, non celle de l’émetteur-information-récepteur, mais celle qui place le savoir recherché au-dessus, ou plus exactement, au-dedans du maître et du disciple. Car, si la vérité transcende les particularités, cette transcendance se donne au fond du plus intime de chacun.

Telle est la leçon remarquable de saint Augustin: la relation triadique est celle qui réunit le maître et le disciple, mus par une commune participation à une même recherche de la vérité, et tous deux en capacité de se laisser habiter par celui que l’évêque d’Hippone nomme le Maître intérieur et qui, pour lui, n’est autre que le Christ.  Mais la leçon vaut au-delà de cette référence religieuse, car ce qui est perçu ici avec acuité par saint Augustin, c’est précisément que maître et disciple sont en réalité des condisciples, tous deux tendus vers une vérité et un savoir qui se donnent grâce à une lumière intérieure. Et il appartient à chacun de se laisser éclairer par cette lumière intérieure.

Est-ce à dire que toute frontière entre maître et disciple soit abolie? Non, car si un espace commun de signification les réunit, si chacun reçoit le rayon intérieur qui l’illumine, il demeure, pour revenir à notre point de départ, que, sur le chemin fréquenté, le maître est un éveilleur, un être qui connaît «plus» (magis) les cahots de la route, mais aussi les points de vue offerts par les panoramas rencontrés lors de sa marche commune avec le disciple. Le maître ne transmet rien, ne transporte rien. Il fait signe, il adresse des signes, et le disciple est convié à reconnaître les significations ainsi indiquées. Cela, le maître ne peut le faire à sa place. Il oriente le regard et invite le disciple à regarder cette vérité du savoir que lui-même voit. Son travail est de dire au disciple: «Regardons ensemble ce que je vois».

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Jacques Ricot

Jacques Ricot

Jacques Ricot est agrégé et docteur d’Etat en philosophie. Il a été de nombreuses années professeur de philosophie en classes préparatoires scientifiques à Nantes ainsi que chargé de cours de bioéthique à l’université de Nantes.

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Réfugiés et migrants https://www.revue-sources.org/refugies-migrants-entre-routes-deroutes/ https://www.revue-sources.org/refugies-migrants-entre-routes-deroutes/#comments Wed, 15 Jun 2016 01:54:58 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=1394 [print-me]

Avec la belle saison beaucoup reprennent joyeusement leur bâton de pèlerin. Ils ont soigneusement préparé leur itinéraire, consulté cartes et sites, partagé les expériences de leurs amis. Leur sac pesé et repesé ne contient que du matériel extra léger propice à de longues randonnées. Tout est prévu pour soigner cloques et fièvres, pallier au manque d’eau potable et aux forts écarts de température. Ils partent certes pour l’aventure, mais  cartes d’assurance et de rapatriement en poche et forts de leurs gadgets électroniques.

De l’autre côté de la Méditerranée, autre scénario. Du jour au lendemain des milliers de familles, incluant nouveau-nés, femmes enceintes, personnes âgées et malades,  doivent  tout quitter, parfois en quelques minutes, parce que leur village ou leur quartier est en passe  d’être encerclé par des forces de mort prêtes à tout: violer, torturer, massacrer…

Je rentre d’Arménie

Le 1er avril 2016 les Azéris ont attaqué deux villages du Haut-Karabagh, région autonome peuplée d’Arméniens. Terrorisée, la population civile a fui vers l’arrière-pays et les quelques vieillards qui ont refusé de quitter leur maison ont été sauvagement assassinés, les oreilles coupées en guise de trophée… Un soldat a été décapité, et la Croix-Rouge a découvert un charnier de dix-huit soldats horriblement torturés. Plus de mille personnes, femmes, enfants, vieillards, ont pris le chemin de l’exode, cherchant un abri miséricordieux.

Dans la capitale Erevan sont arrivés depuis deux ans près de dix-sept mille réfugiés: Arméniens de Syrie, Yézidis, Irakiens, voire Ukrainiens et Africains chassés par la guerre, la famine, des pouvoirs oppressifs. Petit pays sans grands moyens, l’Arménie, au 3ème  rang européen quant au taux d’accueil de réfugiés, se met en quatre pour accueillir ces frères condamnés à l’errance. La fondation KASA en a encadré plus d’un millier sur mandat UNHCR.

Mesurons-nous le désarroi, voire l’horreur que connaissent ceux qui sont jetés brutalement sur des chemins inconnus et hostiles?

Les Syriens se confient: «Nos grands-parents ont fui le génocide de 1915 jusqu’aux terribles déserts de Syrie,  et les rares survivants ont échoué à Deir-Ez-Zor ou à Alep. Trois générations plus tard Deir-Ez-Zor a été occupée par le Djihad, l’église chrétienne détruite,  la population contrainte de fuir en toute hâte pour ne pas être massacrée ou obligée de se convertir à l’Islam. Aujourd’hui nous reprenons la route en sens inverse, sans être même sûrs que nous pourrons trouver notre place dans ce pays, certes accueillant, mais qui peine à nourrir ses propres habitants. Sommes-nous condamnés à un éternel nomadisme?»

Pèlerinage insolite en Anatolie

Le 12 juillet dernier Pascal Maguesyan, journaliste franco-arménien, bon connaisseur des chrétiens du Proche-Orient, décide de commémorer les cent ans du génocide arménien et assyro-chaldéen en faisant  un pèlerinage  de trente jours en Anatolie orientale, sur des terres jadis peuplées d’Arméniens:

«Je voulais faire mémoire de ces gens envoyés à la mort par ces marches forcées, Arméniens, Syriaques, Chaldéens… Le but était de parcourir à pied les neuf cent kilomètres de route qui séparent Ani, à la frontière de République d’Arménie, dont les ruines rappellent que la ville fut la capitale de l’Arménie vers l’an mille, jusqu’à Diyarbakir, l’ancienne Dikranakert, la capitale fondée un siècle avant J.-C. par Tigrane le Grand, roi d’Arménie», confie-t-il au journaliste du site cath.ch.

Après 22 jours et 410 km parcourus, Pascal Maguesyan a dû interrompre sa marche, vu la forte tension créée dans la région après l’attentat terroriste de Suruç, à proximité de la frontière avec la Syrie face à Kobané, et la reprise des combats au Kurdistan entre l’armée turque et le PKK.

Ils étaient artisans, commerçants, fonctionnaires, techniciens, médecins, ingénieurs. Saurons-nous les accueillir, les réconforter, les intégrer?

Il pensait participer au grand pèlerinage annuel du 15 août à l’église Sourb Guiragos (Saint Cyriaque)  à Diyarbakir, reconstruite sur  le modèle de la cathédrale du XIVe s. détruite en 1915 et rendue au culte en 2011 avec le soutien des Arméniens et de la municipalité de la ville.  Non seulement  il n’y arrivera pas, mais l’église sera confisquée quelques mois plus tard et mise à mal.

Routes et déroutes, écrivait Nicolas Bouvier. Mesurons-nous le désarroi, voire l’horreur que connaissent ceux qui sont jetés brutalement sur des chemins inconnus et hostiles? Sans bagages, sans équipement adéquat, sans nourriture, livrés au bon vouloir de passeurs sans scrupules et au mépris de populations excédées ou indifférentes?

Belles histoires de solidarité

Elles émanent la plupart du temps des plus pauvres, parce que plus sensibles à la douleur d’autrui. Eux, connaissent la situation de celui qui  n’a pas de quoi se laver, se vêtir, s’abriter, boire ou se soigner. Ils ne se demandent pas s’ils ont une salle de bains séparée à leur offrir. Ils partagent ce qu’ils ont.[1]

Grecs et Italiens en particulier accueillent ces réfugiés avec beaucoup de générosité en dépit de leurs problèmes propres. Certains arrivent en Suisse, en France, en Allemagne. Il y a peu, la plupart vivaient bien, voire mieux que nous ici. Ils étaient artisans, commerçants, fonctionnaires, techniciens, médecins, ingénieurs. Saurons-nous les accueillir, les réconforter, les intégrer?

Revivre le rêve américain

Au XIXème s. des millions d’Européens partirent pour cette terre promise que représentait l’Amérique.

Au XXème s. des millions de  réfugiés traversèrent l’Europe en tout sens, chassés par les guerres, les pogroms, les génocides. Dans une récente interview sur Euronews, Madeleine Albright, première femme à être secrétaire d’Etat aux USA, d’origine tchèque et qui connut deux migrations douloureuses, disait combien son intégration avait été facilitée par l’accueil chaleureux des Américains d’alors. Une histoire pas si lointaine, qui devrait inciter les nantis que nous sommes à ressentir la tragédie de tous ceux qui ne prennent pas la route pour leur plaisir, mais parce qu’elle est pour eux leur seule chance de survie.

La fraternité l’emportera-t-elle sur la fermeture des frontières et des cœurs?

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Monique Bondolfi

Monique Bondolfi

Monique Bondolfi-Masraff, membre de l’équipe rédactionnelle de Sources. D’origine arménienne elle préside à Erevan depuis près de vingt ans  la Fondation humanitaire et de développement KASA. Très sensible de ce fait au génocide qu’a subi son peuple il y a cent ans et à l’émigration forcée qui a suivi, elle est à même de comprendre le désarroi des nouveaux réfugiés qui frappent à nos portes aujourd’hui.

[1] Le directeur local du UNHCR nous racontait combien il avait été bouleversé de rencontrer aux confins de l’Arménie, dans une région menacée par les tirs des voisins, une famille de six personnes vivant dans d’une extrême pauvreté accueillir une autre famille constituée de douze réfugiés.


SIX VOIX

Ce n’est pas la mer qui nous a recueillis,
nous avons recueilli la mer à bras ouverts.
Venus de hauts plateaux incendiés par la guerre et non par le soleil,
nous avons traversé les déserts du tropique du Cancer.

Quand d’une hauteur la mer fut en vue
elle était ligne d’arrivée, pieds embrassés par les vagues.
Finie l’Afrique semelle de fourmis,
par elle les caravanes apprennent à piétiner.

Sous un fouet de poussière en colonne,
seul le premier se doit de lever les yeux.
Les autres suivent le talon qui précède,
le voyage à pied est une piste d’échines.

Erri de Luca, Aller simple, Edition Bilingue. Poèmes. Traduit de l’italien par Danièle Valin, Gallimard, Paris 2015

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Courir plutôt que marcher! https://www.revue-sources.org/courir-plutot-marcher/ https://www.revue-sources.org/courir-plutot-marcher/#respond Wed, 15 Jun 2016 01:48:48 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=1392 Nicolas Duruz: «Dis-moi pourquoi tu cours. Comment la course à pied nous révèle à nous-mêmes», Editions Médecine & Hygiène, 2015, 117 p.


Un professeur honoraire de psychologie clinique devient fan de yogging à l’heure de sa retraite et nous fait part de sa découverte. Un livre stimulant, revigorant et plaisant. Fourmillant de notes scientifiques, l’ouvrage demeure abordable au profane qui pourra en retirer sagesse et bonheur de vivre. A condition de courir «contactuel», en dilettante, et non en compétiteur stressé, pressé de dépasser son précédent score et d’abattre au passage ses concurrents. Suivre son souffle, lui obéir sans le forcer, tout en se préparant à accueillir ou à rendre le dernier. Sans trop y penser, tout de même.

Finement écrit, cet essai se lit d’une traite avec le même plaisir que le corps d’un joggeur éprouve à traverser les bois et les vignes par un bel après-midi d’automne quand le soleil dore encore le Léman.

Extraits:

«J’essaye de courir au mieux l’instant même, faisant confiance au souffle qui m’anime à chaque moment. C’est vrai que j’espère arriver le plus vivant possible au terme du parcours. Il y aura bien sûr un dernier souffle. Pourrai-je le vivre alors comme un autre moment de vie? Mais stop. «Maintenant, c’est maintenant; après c’est après»…Entre trop convoquer la mort ou trop la fuir, l’équilibre est difficile. Courir m’y aide un peu.»

«Parfois, un lien plus subtil peut être créé entre le coureur et certains de ses proches admirateurs, dès le moment où ceux-ci, fiers de ses performances, se réjouissent excessivement de le voir bien courir. La crainte de les décevoir, s’il ne court pas suffisamment à la hauteur de leurs attentes, peut alors le gêner. Le regard des autres est souvent bienfaisant en tant que source de reconnaissance, mais peut être aussi aliénant lorsqu’il véhicule exagérément des normes de conduite qu’il faut satisfaire à tout prix.»

«Je songe à mon parcours dans l’existence. Forgé dès ma naissance aux mamelles d’une identité chrétienne, que des études en philosophie, en théologie et en psychologie ont d’abord consolidée puis contestée, j’en suis arrivé parfois à être fatigué de ce travail identitaire exigé et valorisé par la pensée occidentale: Qui suis-je? Que suis-je pour l’autre? Qui est l’autre pour moi? Pourquoi dois-je mourir? Comment m’épargner les souffrances de trop d’attachement ?

Un saut dans un monde plus simple m’a tenté, où la raison lâche un peu prise. Courir « contactuel» m’y invite…» 

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Flâner https://www.revue-sources.org/flaner/ https://www.revue-sources.org/flaner/#respond Wed, 15 Jun 2016 01:47:15 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=1390 Pierre Corajoud. Flâneries lausannoises. 18 balades à travers des chemins à (re) découvrir, 152 p.


Encore une autre façon de marcher pour Pierre Corajoud, jeune lausannois qui flâne à travers sa ville, sans autre but  que celui de s’arrêter hors du tourbillon des choses à faire, dans un décor familier, heureux et  surpris de découvrir ce qu’il n’avait jamais aperçu jusque là.

«L’évasion est souvent là où on ne l’attend pas. Avec un brin de curiosité, des choses prétendues banales peuvent devenir extraordinaires».

 

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Les Dominicains et la «Grande Guerre» https://www.revue-sources.org/dominicains-grande-guerre/ https://www.revue-sources.org/dominicains-grande-guerre/#respond Wed, 15 Jun 2016 01:37:08 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=1388 [print-me]

La Société d’histoire de Fribourg et la chaire d’histoire de l’Eglise de l’université de cette ville, en union avec l’Institut S. Thomas d’Aquin pour la théologie et la culture ont organisé à l’Albertinum  le vendredi 8 avril 2016 une journée d’étude consacrée au Chapitre Général de l’Ordre des Prêcheurs tenu précisément à l’Albertinum de Fribourg en août 1916, voici cent ans. La thématique relative à ce Chapitre n’occupa qu’une partie des débats du colloque. Le reste fut consacré au contexte social et politique fribourgeois de l’époque.

Nous attendons avec une certaine impatience la publication des Actes de ce colloque pour en savoir davantage. Un lot de consolation cependant. Les lecteurs de l’hebdomadaire romand «L’Echo Magazine» avaient été alléchés par la publication d’une notice et d’une photo sur ce même sujet parues le 30 octobre 2014.  C’était déjà le frère Bernard Hodel, un des organisateurs de la journée d’étude du 8 avril dernier, qui en avait pris l’initiative.

Le chapitre de 1916, présidé par le Père Theissling, accompagné de son bienheureux prédécesseur, le Père Cormier, rassemblait en  un pays neutre des capitulaires provenant de divers pays belligérants. Une immense surprise à la lecture des Actes de ce chapitre, relève Bernard Hodel: «On voudrait trouver dans les textes écrits à cette occasion(…)une dénonciation de la guerre. Déception: il n’y a presque rien. Les cent cinquante pages des Actes son essentiellement consacrées à des questions de gouvernement de l’Ordre ou à des questions de discipline religieuse».

Comment expliquer ce silence?

«Il n’y a pas à s’en étonner», poursuit le frère historien. Mais précisément, nous nous en étonnons. Comment expliquer ce singulier silence? Désir d’éviter entre frères les sujets qui fâchent? De sauver l’unité de l’Ordre au milieu des décombres de l’Europe? Pourquoi cette absence de parole de paix, de médiation et de réconciliation? Nous savons bien par ailleurs comment des Dominicains de ce temps furent fortement sollicités à prendre parti dans ce conflit. Notre revue a déjà fait état du sermon de La Madeleine du 10 décembre 1917 qui valut au Père Sertillanges de sérieux ennuis. (Cf Sources, avril-juin 2015: Philippe Verdin: Servir l’Eglise ou sa patrie? Le dilemme du père Sertillanges.)

Par chance, le Colloque de Fribourg avait prévu une contribution qui aurait pu répondre à nos questions. Celle du frère Philppe Toxé, intitulée: «La guerre absente du Chapitre». Nous attendrons la publication des Actes de ce colloque pour en prendre connaissance.

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La première «Zürcher Bibel» https://www.revue-sources.org/premiere-zurcher-bibel/ https://www.revue-sources.org/premiere-zurcher-bibel/#respond Wed, 15 Jun 2016 01:35:21 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=1386 [print-me]

Le frère Clau Lombriser a participé le jeudi 12 mai 2016 au vernissage à Zurich de l’édition d’extraits de la première version de la Bible en langue allemande. Une œuvre attribuée au Frère dominicain Marquart Biberli qui vivait dans notre couvent de Zurich au début du XIV ème siècle.

Un moment mémorable pour notre famille dominicaine suisse qui prit une part décisive à l’édition de cette Bible dont voici les références:

Marquart Biberli, Die erste Zürcher Bibel
Die Erste Zürcherbibel
Erstmalige teilweise Ausgabe und Uebersetzung der ältesten vollständig erhaltenen Bibel in deutscher Sprache.
Eingeleitet, herausgegeben und übersetzt von Adrian Schenker, Raphaela Gasser und Urs Kamber.
Academic Press Fribourg, 2016

Deux siècles avant la Bible de Zwingli

Les Eglises de la Réforme sont à juste titre fières de leurs Bibles en langue vernaculaire. C’est le cas de l’Eglise de Zurich, héritière de la célèbre Zürcher Bibel, traduite en allemand à partir de l’hébreu et du grec par le réformateur Huldrych Zwingli et ses collègues et parue en 1531. Présentée comme Première Bible intégrale en langue allemande, elle connaîtra de nombreuses rééditions dont la dernière remonte à 2007.

Récemment, des recherches approfondies menées par une équipe sous la direction du professeur Adrian Schenker (Fribourg) sont venues rappeler que la première édition complète de la Bible en allemand remonte à quelques 200 ans avant la Bible de Zwingli.

Oubliée ou ignorée de la recherche scientifique, elle aurait vu le jour 200 ans plus tôt, entre 1300 et 1330, également à Zurich, vraisemblablement dans l’entourage du couvent des Prêcheurs dont l’église connue sous le nom Predigerkirche existe encore de nos jours. Le professeur Schenker pense même pouvoir attribuer cette toute première traduction de la Bible en allemand (Mittelhochdeutsch) à un Frère Dominicain de ce même couvent du nom de Marchwart Biberli (lire SOURCES 2015/3).

Dernièrement, une illustre assemblée de collègues et amis de l’auteur à assisté à la maison «Karl der Grosse» à Zurich au vernissage du livre présentant les résultats de cette recherche et appuyant ces quelques thèses qui viendront bouleverser l’histoire de la Bible en ses traductions allemandes.

A fait l’honneur d’assister à ce vernissage également Konrad Schmid, professeur d’Ancien Testament à Zurich et co-auteur de la nouvelle «Zürcher Bibel», lequel s’est déclaré heureusement surpris de se trouver confronté à une traduction de la Bible dont il ignorait jusqu’à son existence. Le professeur Schmid a remercié les auteurs d’avoir restitué cette Bible presque oubliéede la science et du grand public.

Une hypothèse à confirmer

Certes, le livre présenté à Zurich par le professeur Schenker n’a nullement l’ambition de clarifier définitivement une page de l’histoire de la Bible dans ses traductions. Bien au contraire, il entend ouvrir d’autres pistes de recherches qui devront aboutir tôt ou tard à une édition intégrale et scientifique de la Bible de Biberli. Si l’attribution de cette traduction au dominicain Marchwart Biberli relève davantage de l’hypothèse que de la certitude, on pourra d’ores et déjà retenir Zurich comme son milieu d’origine.

Zwingli et ses compagnons de route partageront un jour la même ambition qui habitait, quelques deux cent ans plus tôt, les Prêcheurs de Zurich

Le livre du professeur Schenker ne donne pour l’instant qu’un avant goût de cette toute première Bible alémanique, grâce à 17 extraits de chapitre en version originale parcourant l’ensemble des livres bibliques, tous accompagnés d’une traduction en Hochdeutsch. Cette partie du travail est due aux médiévistes Raphaela Gasser et Urs Kamber, co-auteurs du livre ici présenté. La lecture à haute voix de quelques passages originaux de la Bible de Biberli a fait le bonheur de l’auditoire familier du parler alémanique.

Les auteurs de la Erste Zürcher Bibel tiennent à présenter leurs recherches sous l’angle de la continuité. Ils font tout simplement remonter davantage dans le temps le travail des réformateurs zurichois qui viendront rendre, quelques deux siècles plus tard, la parole de Dieu définitivement au peuple de Dieu. Zwingli et ses compagnons de route partageront un jour la même ambition qui habitait, quelques deux cent ans plus tôt, les Prêcheurs de Zurich, sous la plume, vraisemblablement, d’un certain Marchwart Biberli. Ils le feront – inestimable nouveauté – non pas à partir de la Vulgate latine, mais de l’original hébreu et grec.

La marque dominicaine

Le vernissage de la Erste Zürcher Bibel en cette année 2016 est aussi à considérer comme un hommage rendu à l’Ordre dominicain qui, fort d’une histoire qui comporte autant de pages sombres que des pages lumineuses, commémore en 2016 les 800 ans depuis sa fondation par l’espagnol Dominique de Guzman.

Qui plus est: cet hommage à Saint Dominique est rendu par une équipe appartenant aux trois branches de son Ordre, à savoir un frère de la province dominicaine suisse, une sœur de la congrégation des Dominicaines d’Ilanz, un membre laïc du tiers Ordre de saint Dominique. La satisfaction qui se lisait sur leurs visages était légitime.

Dans sa préface, les auteurs font mémoire du dominicain Franz Müller, disparu prématurément en 2012 et qui avait tissé, ensemble avec sœur Ingrid Grave op, un apostolat intense entre les Prêcheurs revenus à Zurich dans les années 1950 et les responsables de la Predigerkirche, devenue à la Réforme une des quatre églises protestantes de la vieille ville.

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Clau Lombriser

Clau Lombriser

Clau Lombriser

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