Revue Sources

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Les lecteurs penseront que cet « Eclairage » survient comme la pluie après la moisson. Avant la parution de ce numéro, le corps électoral d’un canton suisse, celui de Vaud, se sera prononcé le 17 juin 2012 sur la possibilité d’offrir aux « patients ou aux pensionnaires de ses Hôpitaux et Etablissements Medico-Sociaux (EMS) ou Maisons de retraite » les services d’«assistance au suicide», jusque là tolérés à titre privé, mais jamais proposés dans un établissement public.

L’enjeu était de taille. Il entraînait la banalisation du suicide assisté et obligeait le corps médical et soignant à s’impliquer dans une intervention qui n’appartient pas à sa mission. Il posait aussi une question fondamentale aux établissements de soins publics ou subventionnés qui n’auraient plus la possibilité de s’opposer à ce genre d’interventions à l’intérieur de leur institution.

Les communautés religieuses de ce canton (catholique, réformée et juive) avaient réagi dans un premier temps dans un communiqué commun très vague, insistant sur l’importance de ce vote, mais refusant de donner à leurs coreligionnaires des consignes précises. L’Eglise catholique présente dans le canton de Vaud n’a pas voulu en rester là. A travers un communiqué de presse, paru à Lausanne le 9 mai 2012, l’Abbé Marc Donzé, Vicaire épiscopal a pris clairement position sur cette consultation populaire. Le Vicaire épiscopal reprend quasi textuellement un avis de droit émis par M. Philippe Gardaz, juriste vaudois, ancien juge cantonal, avis qui a paru à Genève dans l’Echo Magazine du 9 mai 2012.

La rédaction de Sources a jugé bon de publier le texte du Vicaire épiscopal. Le vote vaudois, quelle qu’en soit l’issue, ne sera pas sans créer des vagues sur l’ensemble du territoire suisse et même sur les pays voisins qui poursuivent la réflexion sur ce grave sujet. D’où l’importance de la prise de position que nous publions ici dont l’intérêt dépasse celui d’un scrutin régional.

Comment se pose la question?

Voici d’abord comment se pose la question. En Suisse, l’assistance au suicide n’est pas un délit s’il n’y a pas motif égoïste. On ne peut toutefois dire qu’elle est expressément autorisée, comme on l’entend parfois. Elle est tolérée.

Dans le canton de Vaud, l’association EXIT demande, par voie d’initiative populaire cantonale, que tous les établissements médico-sociaux (EMS) reconnus d’intérêt public, c’est-à-dire la quasi-totalité des EMS vaudois, soient obligés d’accepter l’assistance au suicide en leur sein.

Le Grand Conseil (assemblée législative cantonale) a adopté un contre-projet à l’initiative, prévoyant la possibilité de l’assistance au suicide dans tous les établissements de soins (hôpitaux et EMS) sous certaines conditions. La tenue d’un suicide assisté devra être autorisée par une décision écrite du médecin responsable si celui-ci, en concertation avec les proches, l’équipe soignante et le médecin traitant, constate que le requérant est capable de discernement, qu’il persiste dans sa volonté de suicide et qu’il souffre d’une maladie ou de séquelles d’accident graves et incurables.

Loi problématique

A première vue, l’initiative se borne à généraliser la pratique de l’assistance au suicide dans tous les EMS vaudois. Cette généralisation pose question, car la loi, en principe, ne peut pas imposer ce qui n’est qu’un acte toléré sous certaines conditions, ainsi que le stipule le droit au niveau de la Confédération.

La vie est reçue. Personne ne peut se la donner à lui-même. Elle est un mystère, dans son origine comme dans sa fin. Nous sommes loin d’en connaître tous les paramètres, en particulier pour ce qui concerne le passage de la mort vers un au-delà de la vie. Ce mystère est à respecter comme don. De ce fait, la vie n’est pas une possession, dont l’homme pourrait disposer sans référence à l’origine du don.

Dans l’optique chrétienne, ce don de la vie est reconnu comme venant de Dieu. Chacun en est responsable devant Lui.

Pas de jugement sur les personnes

Quoi qu’il y paraisse, le suicide n’est pas un acte purement individuel. Il brise les liens qui unissent chaque personne à sa famille, à ses amis, à la cité. Il est un acte de désespoir, contraire à l’amour du Dieu donateur de vie ou contraire à la source de la vie, quelque représentation que l’on en ait. Mais, subjectivement, il est souvent explicable par des circonstances personnelles graves. De ce fait, il n’est pas question de porter jugement sur les personnes qui recourent au suicide.

Comme le suicide n’est pas qu’un acte individuel, l’assistance au suicide, elle aussi, a une portée sociale. De ce fait, il n’est pas légitime que l’accès à une telle prestation soit imposé par la loi aux maisons de soins, fût-ce avec des conditions. La tolérance prévue dans la loi fédérale suffit; elle permet de sauvegarder des choix éthiques que certains établissements ont fait en déclarant en toute transparence ne pas accepter la tenue d’assistance au suicide. Elle est en effet contraire à leur mission: soigner et accompagner.

Contre-projet discutable

Le contre-projet soumet l’assistance au suicide à une réglementation précise. Ainsi, le législateur fait, d’un acte aujourd’hui toléré, un acte expressément autorisé lorsque les conditions légales sont remplies. Par la décision du médecin responsable, le suicide assisté serait déclaré conforme à un droit légitime. Le souci d’encadrer l’assistance au suicide aboutirait donc, paradoxalement, à la légitimation d’un acte contraire à la vie.

De plus, l’équipe soignante devrait prendre part au processus décisionnaire aboutissant à l’autorisation (ou au refus) d’un suicide assisté. Et cela quelles que soient les convictions des soignants qui seront contraints de collaborer au moins indirectement à une démarche contraire à leur éthique de soins.

Le médecin responsable devrait aussi se concerter avec les proches du patient au sujet du discernement et de l’incurabilité de celui-ci. Il est infiniment délicat voire périlleux d’associer un conjoint, un partenaire, un enfant à une telle démarche aboutissant à une décision grave.

Pour ces raisons, j’estime que l’initiative et le contre-projet ne sont pas acceptables. Il me paraît bien préférable que, dans le canton de Vaud, on se contente de la législation fédérale qui se borne à ne pas pénaliser l’assistance au suicide, pour autant qu’elle ne repose pas sur des motifs intéressés ou égoïstes.

Post Scriptum

Le verdict des urnes est tombé au soir du 17 juin. Les électeurs vaudois qui ont pris part au vote – en fait, une minorité du corps électoral – ont nettement rejeté l’initiative proposé par Exit, mais approuvé le contre-projet gouvernemental. Pour la première fois en Suisse, l’assistance au suicide, bien qu’encadrée par des dispositions qui en conditionnent l’exercice, est légalisée.

Une semaine avant le vote, Denis Müller, professeur d’éthique à la Faculté de théologie protestante de l’Université de Genève, donnait un avis très clair recommandant, comme l’avait fait Marc Donzé, un double non à l’initiative et au contre-projet gouvernemental. Cet avis a paru dans le quotidien Le Temps, dans son édition du 12 juin 2012: « Refuser les manigances d’Exit au nom de la dignité de l’éthique ».

L’évêque diocésain, Charles Morerod, avait, pour sa part, pris une position semblable à celle de son Vicaire épiscopal dans une interview donnée au quotidien Le Matin, dans son édition du 15 juin 2006, deux jours avant le vote.

L’Abbé Marc Donzé, après avoir été vicaire épiscopal pour le canton de Fribourg pendant six ans, a été nommé Vicaire Episcopal pour l’Eglise catholique dans le Canton de Vaud par Mgr Charles Morerod, évêque du diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg. Spécialiste de Maurice Zundel, il a été professeur ordinaire de Théologie pastorale à l’Université de Fribourg de 1986 à 1997 avant de retourner à la pastorale paroissiale, puis cantonale.

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